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Plein Cadre (23 juin 1972)
(G. Denoyan) La première rencontre à Alger
de 3 anciens adversaires
de la Guerre d'Algérie (1954-1962).
10 ans après la fin de la Guerre d'Algérie,
3 hommes
qui se sont livrés, dans des camps opposés,
un combat sans merci,
acceptent de se rencontrer, pour la première fois,
sur le sol algérien.
Pour ces 3 hommes:
Un militant gaulliste qui a lutté contre
les Commandos Delta de l'OAS.
Un officier d'active, originaire d'Algérie,
qui a rejoint les rangs de l'OAS.
Et un responsable FLN de la Zone d'Alger.
C'est la confrontation, sincère
et en toute liberté, de leurs 3 vérités.
La recherche des voies de l'avenir,
la rencontre de l'apaisement.
C'est au pied des montagnes du Sakamody,
là où la bataille fit rage,
que la première confrontation
entre ces 3 hommes s'est faite,
autour d'un méchoui: symbole de paix.
Ces 3 hommes qui ont eu une certaine vision
du patriotisme, vont, sans haine, mais sans
concession envers l'Histoire,
livrer leurs vérités et se tourner vers l'avenir.
(FLN) Vous savez, cette histoire de l'OAS,
je crois que,
Elle a quand même rendu un grand service.
Un grand service en permettant
aux positions de se
cristalliser,
d'arriver à
à une cassure,
à une coupure,
au sein de la population
européenne coloniale ici,
d'avec le régime
français du Général De Gaulle,
si bien qu'après l'épreuve
franchie, il a été possible
de rejoindre, au niveau
de la solution,
de l'objectif, que s'était fixé le FLN.
(OAS) Mais, il faut bien dire que
vous devez votre indépendance
au Général De Gaulle, parceque,
en 1960, le FLN était militairement battu,
la masse de la population, politiquement,
ne le suivait plus, des milliers de villages
s'armaient en autodéfense,
et si, le Gouvernement français avait continué
dans la voie de la fraternisation du 13 mai 1958,
en faisant de l'Algérie, une véritable révolution sociale,
et en poursuivant les opérations militaires Challe (Plan Challe),
et bien, je crois que,
nous ne serions pas là, en train de manger un méchoui, aujourd'hui,
et l'Algérie ne serait pas indépendante.
(MPC) Je crois qu'on serait toujours en guerre, d'ailleurs.
(OAS) Non, non, parceque la guerre se serait, éventuellement...
(MPC) Vous savez que, vous auriez pu arriver à la paix.
(FLN) Le 13 mai 1958 a été, pour les Algériens,
effectivement, je l'ai vécu, je peux en témoigner,
une comédie qui se jouait en plein air, au Forum d'Alger.
À aucun moment, les Algériens, n'ont donné dans le jeu.
Et, ce n'est pas le Général De Gaulle qui a donné le...
(OAS) Je ne suis pas du tout d'accord
avec votre interprétation des faits.
D'ailleurs le FLN...
du tout, qui a donné l'indépendance à l'Algérie.
(FLN) Voyez-vous, ce n'est pas le Général De Gaulle,
L'indépendance, ce n'est pas une indépendance octroyée
pour l'Algérie.
C'est un aboutissement, de très longue date, qui s'inscrit
dans la tradition des luttes populaires
de l'Algérie depuis
l'Émir Abdelkader, en passant par les étapes de 1871 (Mokrani)
et de 1905, à Margueritte (Aïn Torki),
pour aboutir, finalement,
à ce que, le moment était historiquement arrivé,
au 1 novembre 1954 (Toussaint Rouge),
où il a trouvé, des générations politiquement prêtes
à affronter ce combat pour le destin...
(OAS) Si le peuple algérien a rallié le FLN, après 1960,
c'est parcequ'il a très bien senti
que le Gouvernement français
allait traiter avec le FLN et donner l'indépendance à l'Algérie.
(FLN) Mais non, écoutez, dans ces conditions-là, comment
expliquez-vous que la lutte ait duré,
6 ans auparavant, avant l'arrivée du Général De Gaulle,
avant 1960, si le peuple n'était pas, unanimement,
derrière le FLN ?
Tout laisse croire, et c'est une vérité historique,
que le peuple était acquis au FLN, dès le départ.
(MPC) Je crois que l'un et l'autre,
vous oubliez plusieurs choses.
D'une part, c'est que le peuple français,
dans son immense majorité, était favorable à l'indépendance
de l'Algérie, il l'avait prouvé, en janvier 1961,
en votant pour le référendum qui prévoyait le droit
à l'auto-détermination du peuple algérien
et un Exécutif provisoire.
Mais d'autre part, le Général De Gaulle,
quand il est arrivé au pouvoir en 1958,
il ne voyait peut-être pas, comme solution finale,
l'indépendance de l'Algérie.
La preuve c'est qu'il avait donné à l'armée,
tous les moyens matériels pour combattre
la rébellion algérienne.
En même temps, il donnait le droit de vote
aux femmes algériennes, il instituait le Collège Unique,
des citoyens à part entière, et d'autre part,
la France continuait à être isolée dans le monde.
Car, il faut se dire que, tout était ramené en France,
pendant cette époque, au drame algérien.
Voyant qu'on n'arrivait pas une solution militaire complète,
qu'il n'y avait pas de solution politique, avec les Algériens de l'intérieur,
il n'y avait qu'une négociation possible.
C'est ce qui a été fait, et qui a été approuvé
en avril 1962 par l'immense majorité des français (référendum Accords d'Évian).
(FLN) Nous étions arrivé à un point de non-retour,
en ce qui concerne, "les évènements" (attentats de l'OAS 1961-1962),
et nous considérions cette dernière tentative,
comme des réactions de désespoir, entrant dans le cadre d'une tactique de
terre brûlée inspirée, tout bonnement, par la haine,
je peux le dire maintenant, en toute sérénité, par la haine de l'Arabe,
par la haine de l'Algérien.
(OAS) Quand vous parlez de haine, oui, il y avait peut-être de la haine,
mais, il y avait de la haine de tous les côtés, vous savez.
Quand vous sentez qu'on vous arrache à une terre dans laquelle
vous avez vécu 130 ans, qu'on vous offre des garanties illusoires, parceque...
(FLN) Toute révolution populaire est comparable à un rouleau compresseur
qui se déroule inexorablement, et tout ce qui est contre,
doit être, nécessairement...
(OAS) ... abattu ?
(FLN) ... balayé !
(MPC) Alors, est-ce que vous pensez qu'il y a des déclarations,
est-ce qu'il y avait des hommes du FLN, des Algériens nationalistes
qui souhaitaient une Algérie sans Pieds-Noirs (Européens d'Algérie) ?
(FLN) Écoutez, à ma connaissance, et nous pouvons même remonter avant le
déclenchement de la lutte armée du 1 novembre 1954,
jamais, en Algérie, nous n'avons souhaité le départ des hommes de bonne volonté.
Le FLN n'a pas mené une guerre contre des hommes, contre des populations,
contre une fraction des gens qui vivaient en Algérie à l'époque, mais contre
un système.
Un système politique, un système d'exploitation coloniale, qui a amené en 1954,
en plein vingtième siècle, un état de fait colonial, en Algérie.
(OAS) Non, je ne suis pas du tout d'accord, il est trop facile, 10 ans après,
de faire porter à l'OAS la responsabilité du départ des Pieds-Noirs.
Il suffit, simplement, de regarder ce qui s'est passé, immédiatement
après l'indépendance, alors que tous les Pieds-Noirs étaient partis,
et qu'il en restait très peu, et qu'il n'y avait pas de problème économique
et social important pour le FLN, pour le pouvoir algérien, on leur a...
(MPC) Je ne sais pas ce qu'il faut, tout le pays était à feu et à sang...
(OAS) On leur a tout de même pris leurs propriétés, sans indemnisation,
en violation des Accords d'Évian, d'autre part...
(FLN) Ils les avaient déserté ces propriétés...
(OAS) Quelques jours, quelques jours après l'indépendance...
Je vous ai laissé parler, je ne vous ai pas interrompu,
laissez-moi parler, s'il vous plaît !
Quelques jours après l'indépendance, des Européens,
pendant toute une journée (5 juillet 1962), ont été massacrés
dans les rues d'Oran (massacre d'Oran), sans que l'armée française
intervienne, alors qu'on avait dit (Accords d'Évian) que la présence de
l'armée française en Algérie, des années après l'indépendance,
serait une garantie supplémentaire pour les Européens
(base B2-Namous évacuée en 1978).
(MPC) Oui, il y a encore des cicatrices, certaines se ferment,
d'autres sont encore ouvertes.
Nous, nous sommes, je crois, contre ceux qui voudraient les maintenir ouvertes,
par intérêts, en France, et ça existe. (note: et en Algérie ?)
(FLN) Vous savez, l'Algérie, a affirmé, très clairement, très nettement,
à maintes reprises, par les voix les plus autorisées de ses représentants,
et là, je le dis parceque je le pense, en tant que militant sincère,
l'Algérie est ouverte à la coopération, dans le respect mutuel,
et l'équilibre mutuel des intérêts de chacun.
Pour peu, que l'on prenne en considération, de façon intangible, le principe
du respect de l'Autre , je crois que la coopération est une chance
qui est offerte à tous les hommes de bonne volonté.
(MPC) Ce sang versé, je crois qu'il a peut-être servi à quelque chose,
à ce qu'on se retrouve, ici, et qu'on ne ressasse pas le passé, et qu'on
décolonise un peu les esprits, car, les uns et les autres aussi,
nous sommes conditionnés par ce passé, nous vivons encore
en fonction de ce passé.
Nous avons, tous, quelque chose en travers de la gorge, qu'il faut... extraire.
Et là, je crois que...
(FLN) Qu'il faut extraire... ou avaler!
(MPC) Ou avaler!
C'est avec notre interlocuteur algérien, que nous Français, divisés
il y a 10 ans, nous pouvons dire, c'est aujourd'hui et demain.
Et l'Histoire peut-être, la géographie, la politique font que, nous sommes,
d'une façon ou de l'autre, amenés à continuer à vivre ensemble.
(OAS) Oui, je crois qu'il est temps de cesser de s'envoyer à la figure,
les cadavres que chacun a à se reprocher, parceque tout le monde en a eu.
Je crois que l'Histoire de l'Algérie et de la France, c'est l'histoire
des rendez-vous d'amour manqués, car il y a eu, je suis persuadé qu'il y a eu,
enfin, pour ma part, il y a eu une véritable passion pour l'Algérie
et ce n'était pas du tout une Algérie raciste et colonialiste,
c'était une Algérie nouvelle, vraiment révolutionnaire, et j'étais beaucoup plus déçu
par la France, à ce moment-là, que par l'Algérie.
Enfin, maintenant, je crois qu'il n'y a plus de litige majeur,
entre la France et l'Algérie.
Il est de temps de tourner la page et d'essayer de bâtir un nouvel avenir.
(G. Denoyan) Cette rencontre, que certains pensaient impossible, Plein Cadre,
en l'organisant, a voulu, à travers ce dialogue, susciter l'apaisement.
Peut-être, alors que beaucoup reste à faire, pouvons-nous dire, ainsi que
Jules Roy (écrivain Pied-Noir):
Que le sang versé soit, l'espérance et le ciment de l'avenir.
À la Grâce de Dieu...