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La crise économique mondiale
de 2008
a privé des dizaines
de millions de personnes
de leur épargne,
de leur travail et de leur toit.
Voici comment c'est arrivé.
ISLANDE
Population : 320 000 habitants
Produit Intérieur Brut : 13 milliards de $
Pertes bancaires : 100 milliards de $
L'Islande est une démocratie stable
avec un niveau de vie élevé,
et hier encore,
un chômage et une dette publique
extrêmement bas.
Nous avions toute l'infrastructure
d'une société moderne.
Énergie propre,
production alimentaire,
pêcheries avec gestion par quota.
Bon système de santé, d'éducation.
Air pur.
Peu de délinquance.
Un bon environnement familial.
Écrivain-cinéaste
On était presque estampillés
"fin de l'Histoire".
Mais en 2000, le gouvernement
lance un vaste plan de dérégulation
aux conséquences désastreuses.
D'abord pour l'environnement,
puis pour l'économie.
Il commence par laisser
des multinationales comme Alcoa
construire d'énormes usines
d'aluminium
et exploiter les ressources
hydro-électriques et géothermale.
Un grand nombre
des magnifiques hautes terres,
dotées de couleurs spectaculaires,
sont géothermiques.
Alors, rien n'est sans conséquences.
À la même époque,
le gouvernement privatise
les 3 premières banques du pays.
Résultat :
un des plus purs exemples
de dérégulation financière.
On n'en peut plus !
Comment ça a pu arriver ?
La finance a pris les commandes et...
tout mis par terre.
En l'espace de 5 ans,
ces 3 banques minuscules,
qui n'avaient jamais
opéré à l'étranger,
empruntent 120 milliards de $.
10 fois la taille
de l'économie islandaise.
Les banquiers s'enrichissent
entre eux et enrichissent leurs amis.
La bulle a été énorme.
Le prix des actions
a été multiplié par 9.
L'immobilier a plus que doublé.
Cette bulle engendre des gens
comme Jón Ásgeir Jóhannesson.
Il emprunte des milliards
pour acheter
des boutiques de luxe à Londres.
Ainsi qu'un jet privé à rayures,
un yacht de 40 millions
et un penthouse à Manhattan.
La presse titrait sans arrêt :
"Tel millionnaire
a acheté telle société."
Au Royaume-Uni, en Finlande...
en France, etc.
Au lieu de dire :
"Tel millionnaire a emprunté
1 milliard de $
pour acheter telle société.
Et l'argent vient de votre banque."
Ces banques ont créé
des fonds monétaires
et conseillé à leurs clients
d'y transférer leur argent.
Une pyramide de Ponzi,
c'est gourmand.
Des cabinets d'audit américains,
comme KPMG,
contrôlent les banques
d'affaires islandaises
et ne voient rien à redire.
Les agences de notation américaines
encensent l'Islande.
En février 2007,
les agences de notation
ont donné aux banques
la meilleure note possible : AAA.
On a même vu nos gouvernants
voyager avec les banquiers
pour faire de la com'.
Quand les banques islandaises
s'effondrent, fin 2008,
le chômage triple en 6 mois.
Pas un Islandais n'en sort indemne.
Beaucoup ont perdu leur épargne.
C'est exact.
L'Autorité de régulation,
censée protéger les citoyens,
n'a rien fait.
Prenez 2 avocats de l'Autorité
qui allaient dans une banque
évoquer un problème donné.
En arrivant, ils voyaient 19...
4x4 garés devant la banque.
Ils entraient
et avaient 19 avocats face à eux,
fin prêts
à démonter tout argument.
Et s'ils étaient bons,
on leur proposait un boulot.
Un tiers des membres
de l'Autorité de régulation
sont débauchés par les banques.
Mais c'est un problème universel.
C'est pareil à New York, non ?
Que pensez-vous
des salaires actuels de Wall Street ?
Excessifs.
Ex-président de la Réserve Fédérale
On me dit qu'il est très difficile
pour le FMI de critiquer les États-Unis.
Je ne dirais pas ça.
Directeur général
du Fonds Monétaire International
Nous regrettons profondément
d'avoir enfreint la loi.
Incroyable la quantité de cocaïne
que Wall Street peut prendre
un soir de semaine.
J'ignorais la notion
de "couverture de défaillance".
Je suis de la vieille école.
Milliardaire, financier, philanthrope
Larry Summers a exprimé
le moindre remords ?
Je ne suis pas confesseur.
Pdt de la commission
parlementaire des services financiers
L'État se contente
de faire des chèques.
Voilà pour le plan A,
le plan B, le plan C.
Souhaitez-vous un contrôle juridique
des hauts salaires ?
Non.
Sous-secrétaire au Trésor
de l'administration Bush
Trouvez-vous raisonnables
les rémunérations dans la finance ?
Si elles sont méritées, oui.
- Le sont-elles ?
- Oui.
Chef lobbyiste
Table Ronde des Services Financiers
Vous avez aidé ces gens
à tout faire sauter ?
On peut dire ça.
D'énormes profits personnels
au détriment des citoyens.
Pdt de la commission
de régulation bancaire chinoise
Quand on croit pouvoir créer
à partir de rien,
difficile de résister.
Premier ministre de Singapour
Beaucoup, hélas, veulent
reprendre leurs vieilles habitudes
d'avant la crise.
Ministre française de l'Économie,
de l'Industrie et de l'Emploi
Je recevais de nombreux mails
anonymes de banquiers :
"Ne me citez pas,
mais je suis très inquiet."
Rédactrice en chef aux USA
Financial Times
Selon vous, pourquoi on ne lance pas
d'enquête plus systématique ?
Car on trouverait les fautifs.
Professeur à la NYU Business School
La Columbia Business School
a un problème de conflit d'intérêts ?
J'en doute.
Conseiller du Pdt Bush
Doyen - Columbia Business School
Ex-gouverneur
et ex-procureur de New York
Les régulateurs n'ont rien fait.
Ils pouvaient poursuivre les affaires
que j'avais ouvertes. Ils ont refusé.
Ce week-end, Lehman Brothers,
prestigieuse banque d'affaires,
a dû se déclarer en faillite.
Une autre, Merrill Lynch,
a été obligée de se vendre.
Les bourses chutent
suite aux rebondissements...
En septembre 2008,
la faillite de la banque
américaine Lehman Brothers
et l'effondrement du plus grand
assureur au monde, AIG,
déclenchent une crise mondiale.
Les bourses asiatiques ont dévissé.
Une dégringolade,
la plus forte baisse de l'histoire.
Les indices continuent de plonger,
suite à la chute de Lehman.
La banque doit nous rembourser !
Pas de compromis !
S'ensuit une récession mondiale
qui coûtera des dizaines
de billions de dollars,
fera 30 millions de chômeurs
et doublera la dette publique
des États-Unis.
Le coût de cette crise :
destruction de patrimoines
boursiers et immobiliers,
destruction de revenus, d'emplois.
50 millions de personnes,
de par le monde,
pourraient repasser
sous le seuil de pauvreté.
C'est vraiment
une crise extrêmement coûteuse.
Cette crise n'est pas accidentelle.
Elle est causée
par une industrie en roue libre.
Depuis les années 1980,
l'essor de la finance américaine
provoque des crises
de plus en plus graves.
Chaque crise faisant plus de dégâts
tandis que le secteur
gagne de plus en plus d'argent.
PREMIÈRE PARTIE :
COMMENT ON EN EST ARRIVÉ LÀ
Après la Grande Dépression,
les États-Unis connaissent
40 ans de croissance
sans une seule crise financière.
Le secteur financier
est très réglementé.
Les banques de dépôt
sont surtout locales
et ont interdiction de spéculer
avec l'épargne des clients.
Les banques d'affaires,
qui interviennent en bourse,
sont de petites sociétés
en nom collectif.
Traditionnellement,
dans une banque en nom collectif,
les associés apportaient l'argent
et bien entendu,
y faisaient très attention.
Ils voulaient prospérer
sans jamais mettre leur ranch en jeu.
Paul Volcker travaille au Trésor,
puis dirige la Réserve Fédérale
de 1979 à 1987.
Avant de servir l'État,
il est économiste financier
à la Chase Manhattan Bank.
Quand j'ai quitté la Chase
pour aller au Trésor,
en 1969,
je devais gagner
dans les 45 000 $ par an.
45 000 $ par an ?
Morgan Stanley, en 1972,
avait environ 110 employés en tout,
un bureau
et un capital de 12 millions de $.
Aujourd'hui, Morgan Stanley
a 50 000 employés,
un capital de plusieurs milliards
et des bureaux de par le monde.
Dans les années 1980,
l'industrie financière explose.
En s'introduisant en bourse,
les banques d'affaires
récoltent une fortune.
À Wall Street,
on commence à s'enrichir.
J'avais un ami trader
chez Merrill Lynch
dans les années 1970.
Il était conducteur de train le soir,
car il avait 3 enfants
et ne s'en sortait pas
avec un salaire de trader.
En 1986,
il gagnait des millions de dollars,
persuadé que c'était dû
à son intelligence.
Notre premier devoir devant la Nation
est de rétablir notre prospérité.
En 1981,
le Pdt Ronald Reagan nomme
secrétaire au Trésor
le PDG de la banque d'affaires
Merrill Lynch, Donald Regan.
Wall Street et le Président
ont la même optique.
Les décideurs de Wall Street
me disent
qu'ils soutiennent le Président
à 100 %.
L'administration Reagan, avec l'aide
d'économistes et de lobbyistes,
ouvre une période de 30 ans
de dérégulation financière.
En 1982,
la déréglementation
des sociétés d'épargne et de crédit
leur permet de faire
des placements à risque.
Au cours de la décennie,
des centaines de sociétés d'épargne
font faillite.
Cette crise coûte aux contribuables
124 milliards de $
et à nombre de gens
l'épargne de toute une vie.
Peut-être le plus grand hold-up
de notre histoire.
Des milliers de cadres de
ces sociétés vont en prison pour vol.
Parmi les cas les plus graves,
celui de Charles Keating.
En 1985,
quand les régulateurs
ouvrent leur enquête,
Keating engage un économiste
nommé Alan Greenspan.
Dans sa lettre aux régulateurs,
Greenspan vante les projets
et la compétence de Keating,
ne voyant aucun risque à le laisser
placer l'argent de ses clients.
Keating aurait versé à Greenspan
40 000 $.
Keating est emprisonné peu après.
Quant à Greenspan,
le Pdt Reagan lui confie
la Banque centrale américaine,
la Réserve Fédérale.
Greenspan est confirmé par Clinton
et George W. Bush.
Sous Clinton,
Greenspan poursuit la dérégulation
avec les secrétaires au Trésor :
Robert Rubin,
ex-PDG de la banque d'affaires
Goldman Sachs,
et Larry Summers,
professeur d'économie à Harvard.
La finance à Wall Street,
vu son pouvoir
dû à ses lobbies, son argent,
a peu à peu
colonisé le monde politique,
autant du côté démocrate
que républicain.
À la fin des années 1990,
le secteur financier se concentre
dans des firmes géantes,
la faillite d'une d'entre elles
pouvant menacer le système.
Et l'administration Clinton
les aide à grandir encore.
En 1998,
Citicorp et Travelers fusionnent
pour former Citigroup,
la plus grande société financière
au monde.
Cette fusion viole
la loi Glass-Steagall,
votée après la Grande Dépression,
qui interdit aux banques de dépôt
de se livrer à
des placements à risque.
Il était illégal de racheter Travelers.
Greenspan n'a rien dit.
La Fed a accordé
une dérogation d'un an,
puis ils ont fait voter la loi.
En 1999,
pressé par Summers et Rubin,
le Congrès vote
la loi Gramm-Leach-Bliley,
surnommée
"loi de secours à Citigroup".
Elle abroge Glass-Steagall
et ouvre la voie à d'autres fusions.
Robert Rubin, devenu vice-président
de Citigroup, recevra 126 millions de $.
Il n'a pas souhaité être interviewé.
Les banques grandissent car
elles aiment la force des monopoles,
la force des lobbies...
Car elles savent
que si elles grandissent trop,
on les renflouera.
Les marchés sont par nature instables
ou au moins potentiellement instables.
Une bonne métaphore
est celle des pétroliers.
Ils sont immenses.
Il faut donc les cloisonner
pour éviter que le pétrole,
agité par la houle,
ne fasse chavirer le navire.
La conception du navire
doit prendre ça en compte.
Après la Dépression,
les réglementations ont instauré
ces cloisons étanches.
La déréglementation a sonné
la fin de ce cloisonnement.
Nouvelle crise à la fin des années 90.
Les banques d'affaires alimentent
une énorme bulle Internet,
suivie d'un krach en 2001
qui cause 5 milliards de $
de pertes sur placements.
La SEC, l'agence fédérale
créée pendant la Dépression
pour réguler les banques d'affaires,
n'a rien fait.
Vu l'inaction totale de l'État fédéral
et l'échec flagrant de l'autorégulation,
d'autres doivent adopter les mesures
de protection nécessaires.
L'enquête d'Eliot Spitzer
révèle que les banques ont soutenu
des sociétés Internet
vouées à l'échec.
Les analystes financiers
étaient payés à la commission.
Et ce qu'ils disaient en public
n'était pas ce qu'ils disaient en privé.
Infospace, qui avait reçu
la meilleure note possible,
qualifiée par un analyste de "déchet".
Excite, aussi très bien notée,
traitée de "vraie merde".
La ligne de défense adoptée
par de nombreuses banques d'affaires
n'était pas de dire : "Vous avez tort."
C'était de dire :
"Ils le font tous, on le sait,
il ne faut pas se fier aux analystes."
En décembre 2002,
10 banques transigent
à hauteur de 1,4 milliard de $ au total.
Et promettent de s'amender.
Scott Talbott représente la Table
Ronde des Services Financiers,
un des lobbies
les plus puissants de Washington
qui regroupe la grande majorité
des banques du monde.
Cela ne vous gêne pas
que plusieurs de vos membres
aient commis
de vastes escroqueries ?
Soyez plus précis.
L'escroquerie
ne doit pas être tolérée, point.
1 milliard d'amendes
Avec la déréglementation,
les grandes banques
font du blanchiment,
escroquent leurs clients
et trafiquent leurs comptes,
encore et encore.
JP Morgan
achetait des hauts fonctionnaires
JP Morgan convaincue de corruption
Riggs Bank blanchissait de l'argent
pour le dictateur chilien Pinochet
Le Crédit Suisse achemine des fonds
pour le nucléaire iranien
et l'Organisation
de l'Industrie Spatiale d'Iran
qui construit des missiles.
Toute information liée à l'Iran
était effacée.
La banque est condamnée
à une amende de 536 millions.
Citibank exfiltre
l'argent de la drogue du Mexique.
Lui avez-vous dit qu'elle devait
"perdre tous les documents
liés au compte" ?
C'était une plaisanterie.
C'était tout au début.
Je ne disais pas ça sérieusement.
Entre 1998 et 2003,
Fannie Mae gonfle ses revenus
de plus de 10 milliards de $.
Ces règles comptables
sont très complexes
et demandent des arbitrages,
qui, souvent, divisent les experts.
Son PDG, Franklin Raines,
ex-directeur du Budget de Bill Clinton,
touche plus de 52 millions $ de bonus.
L'UBS, accusée d'évasion fiscale
pour des clients américains,
refuse de coopérer
avec le gouvernement.
Fourniriez-vous les noms ?
Dans le cadre d'un traité...
Non,
vous avez admis
être impliqué dans une fraude.
AIG transigerait
à hauteur de 1,6 milliard de $
Les banques ont participé
à la fraude d'Enron
Ont aidé Enron
à dissimuler la fraude :
Condamnées à des amendes
sans précédent,
ces banques n'ont pas pour autant
à admettre leurs malversations.
Vu le nombre de produits et de clients,
des erreurs se produisent.
Dans la finance, il semble y avoir
un niveau de criminalité
très particulier.
Quand peut-on dire
que Cisco, Intel, Google,
Apple ou IBM...
On peut opposer
le secteur high-tech à la finance.
Mais pourquoi ?
Le secteur high-tech
est par essence créatif,
la valeur ajoutée et les revenus
naissent de la création de nouveautés.
À partir des années 1990,
la dérégulation
et le progrès technologique
génèrent
des produits financiers complexes :
les produits dérivés.
Économistes et banquiers affirment
qu'ils sécurisent les marchés.
En fait, ils les déstabilisent.
Depuis la fin de la Guerre froide,
beaucoup d'anciens physiciens
et mathématiciens
ont concentré leurs talents
non plus sur les technologies
de la Guerre froide
mais sur les marchés financiers.
Avec les banques et les fonds...
- On crée d'autres armes.
- Exact.
Warren Buffett parle
d'armes de destruction massive.
Les régulateurs, les politiciens
et le monde des affaires
n'ont pas mesuré les risques
de l'innovation financière
pour la stabilité du système financier.
Avec les produits dérivés,
les banquiers jouent avec tout.
Ils parient sur les cours du pétrole,
la faillite d'une entreprise
ou même la météo.
À la fin des années 1990,
les dérivés constituent un marché
non réglementé de 50 milliards de $.
En 1998,
quelqu'un tente de les réglementer.
Brooksley Born, sortie major
de la faculté de droit de Stanford,
est la première femme
à diriger une revue juridique.
Spécialiste des dérivés
chez Arnold & Porter,
elle est placée par le Pdt Clinton
à la tête de la CFTC
qui supervise marchés à terme
et dérivés.
Brooksley Born m'a demandé
de la rejoindre.
Ex-directeur adjoint de la CFTC
Nous avons estimé
que c'était un marché
qui pouvait s'avérer déstabilisant.
En mai 1998,
la CFTC propose
une réglementation des dérivés.
Le Département du Trésor de Clinton
réagit sans tarder.
J'entrais justement
dans le bureau de Brooksley.
Elle raccrochait le téléphone.
Son visage était blême.
Elle m'a regardé et a dit :
"C'était Larry Summers."
Il avait 1 3 banquiers dans son bureau.
De façon très brutale,
il lui a ordonné d'arrêter.
Les banques comptaient
sur les revenus de ces activités.
D'où un combat de titans
pour empêcher toute réglementation.
Après le coup de fil de Summers,
Greenspan, Rubin
et le président de la SEC,
Arthur Levitt,
condamnent collectivement Born
et recommandent
de ne pas réglementer les dérivés.
La réglementation
des transactions dérivées,
négociées de façon privée
par des professionnels,
est inutile.
Born a été hélas désavouée
par l'administration Clinton
puis par le Congrès.
En 2000, le sénateur Phil Gramm
s'est attaché à faire voter une loi
soustrayant les dérivés
à la réglementation.
Unifier les marchés,
alléger la réglementation,
je crois qu'on doit le faire.
Après le Sénat, Phil Gramm
devient vice-président de l'UBS.
Depuis 1993, son épouse Wendy était
au Conseil d'Administration d'Enron.
Notre grand espoir,
c'est de progresser cette année
vers une loi
qui de façon appropriée,
contribuera
à sécuriser juridiquement
les dérivés de gré à gré.
Par la suite,
Larry Summers gagnera 20 millions
en conseillant
un fonds de produits dérivés.
Je m'associe à tous les propos
de M. Summers.
En décembre 2000,
le Congrès vote la loi de
modernisation des marchés à terme.
Rédigée avec l'aide des lobbyistes,
elle interdit
la réglementation des dérivés.
Après ça, c'était la folie.
L'utilisation des dérivés
et l'innovation financière
ont totalement explosé après 2000.
Avec l'aide de Dieu.
À l'entrée en fonction
de George W. Bush en 2001,
la finance américaine
est plus rentable,
plus concentrée
et plus puissante que jamais.
Les leaders du secteur
sont 5 banques d'affaires,
2 conglomérats financiers,
3 sociétés d'assurance
et 3 agences de notation.
Tous sont liés
par la chaîne de titrisation,
système offrant des billions
en crédits immobiliers et autres
à des investisseurs du monde entier.
Il y a 30 ans, pour un prêt immobilier,
le prêteur s'attendait
à être remboursé.
On empruntait et il fallait rembourser.
Depuis qu'on a la titrisation,
les prêteurs n'assument plus
le risque d'une défaillance.
Anciennement, un propriétaire
payait son crédit tous les mois
et l'argent revenait au prêteur local.
Les crédits s'étalant
sur des décennies,
les prêteurs étaient prudents.
À présent, les prêteurs cèdent
les crédits à des banques d'affaires.
Celles-ci agrègent des milliers
de crédits immobiliers,
de crédits auto, de crédits étudiants
ou de dettes de cartes de crédit
pour créer des dérivés complexes :
les obligations adossées à des actifs,
ou CDO.
Les banques revendent ensuite
ces CDO à des investisseurs.
Désormais, on rembourse
son crédit immobilier
à des investisseurs du monde entier.
Les banques paient des notateurs
pour évaluer ces CDO.
Beaucoup obtiennent AAA,
la meilleure note
pour un investissement.
Les CDO sont donc prisés
par les fonds de pension,
qui n'ont le droit d'acheter
que des valeurs sûres.
Ce système
est une bombe à retardement.
Les prêteurs ne veillent plus
à la solvabilité de l'emprunteur.
Ils accordent des prêts plus risqués.
Les banques d'affaires
n'y veillent pas plus.
Plus elles vendent de CDO,
plus leurs profits grimpent.
Et les agences de notation,
payées par les banques,
ne sont pas responsables
en cas de notation erronée.
Il n'y avait ni responsabilité
ni réglementation.
C'était le feu vert
à la multiplication des prêts.
Entre 2000 et 2003,
le nombre de prêts immobiliers
accordés par an
quadruple presque.
Les acteurs de la chaîne de titrisation,
de bout en bout,
se moquaient de la qualité du prêt.
Ils voulaient augmenter le volume
et toucher une commission.
Au début des années 2000,
on assiste à une montée en flèche
des crédits à risques, les subprimes.
Mais une fois ces milliers
de subprimes agrégés en CDO,
beaucoup obtiennent encore AAA.
Il aurait été possible
de créer des produits dérivés
ne comportant pas ces risques,
avec un système de franchise
et avec une limite
sur le risque qui peut être pris.
Ils ne l'ont pas fait.
Non et avec le recul, ils auraient dû.
Ils savaient
qu'ils prenaient des risques ?
Je crois que oui.
Les banques d'affaires
privilégiaient les subprimes
du fait de leurs taux élevés.
Ce qui a entraîné une forte
augmentation des prêts abusifs.
On proposait sans raison
des subprimes coûteux,
souvent à des gens
qui ne pouvaient les rembourser.
Les commissions que les banques
payaient à leurs courtiers de prêt
étaient basées sur la vente
des produits les plus rentables,
qui étaient des prêts abusifs.
Si le banquier veut plus d'argent,
il vous collera un subprime.
DEUXIÈME PARTIE : LA BULLE
(2001-2007 )
D'un coup, chaque année,
des centaines de milliards
affluent dans la chaîne de titrisation.
Avec ce crédit facile,
les ventes immobilières
et les prix s'envolent.
Résultat : la plus grosse
bulle financière de l'histoire.
L'immobilier, c'est réel.
On voit son bien,
on vit dedans, on le loue.
Le marché immobilier
a explosé sans raison.
L'appé*** pour le crédit
du secteur de la finance
déterminait ce que faisaient les autres.
La dernière bulle immobilière
datait de la fin des années 80.
La hausse des prix
avait été relativement faible.
Cette bulle immobilière avait causé
une récession assez grave.
Entre 1996 et 2006,
les prix ont pour ainsi dire doublé.
Pour 500 $ la place,
ils sont venus apprendre
comment acheter
leur part de rêve américain.
Goldman Sachs, Bear Sterns,
Lehman Brothers, Merrill Lynch
étaient toutes de la partie.
Les prêts subprimes sont passés
de 30 milliards par an
à plus de 600 milliards par an,
en dix ans.
Ils savaient.
Countrywide Financial,
le 1 er pourvoyeur de subprimes,
a octroyé des prêts
pour un total de 97 milliards de $,
générant un profit
de plus de 11 milliards de $.
À Wall Street,
les bonus annuels grimpent.
Les traders et les PDG gagnent
des sommes énormes durant la bulle.
Lehman Brothers
est un gros souscripteur
de subprimes.
Et son PDG, Richard Fuld,
empoche 485 millions de $.
À Wall Street,
cette bulle de crédit immobilier
générait
des centaines de milliards de profits.
En 2006,
environ 40 % des bénéfices
des sociétés du S&P 500
provenaient
des institutions financières.
Ces profits n'étaient pas réels.
C'était de l'argent créé par le système
et comptabilisé comme un revenu.
2 ou 3 ans plus ***,
il y a défaillance et on efface tout.
Je qualifierais ça, avec le recul,
au niveau national et même mondial,
d'énorme pyramide de Ponzi.
La loi de protection
de la propriété résidentielle
permet à la Réserve Fédérale
de réguler
le secteur des prêts immobiliers.
Mais le président de la Fed,
Alan Greenspan,
refuse de le faire.
Alan Greenspan a dit :
"Idéologiquement, je suis contre."
Pendant 20 ans,
Robert Gnaizda préside Greenlining,
une puissante association
de consommateurs.
Il voit alors régulièrement Greenspan.
On lui a cité Countrywide
et ses 150 différents
prêts complexes à taux variable.
Il a dit :
"Même avec un doctorat en maths,
on ne peut pas les comprendre
suffisamment
pour savoir ce qui est bien
et ce qui ne l'est pas."
On a cru qu'il prendrait des mesures.
Mais au fil de la conversation,
c'était clair qu'il était prisonnier
de son idéologie.
On a revu Greenspan en 2005.
Souvent, on le voyait deux fois par an,
mais au moins une fois.
Il n'a jamais changé d'avis.
Alan Greenspan
n'a pas souhaité être interviewé.
Dans ce monde fascinant
de communication immédiate,
la libre circulation des capitaux
contribue à la plus grande
prospérité jamais connue.
La SEC n'a mené
aucune enquête significative
sur les banques d'affaires
durant la bulle.
146 postes ont été supprimés
au service de contrôle de la SEC.
C'est aussi ce que vous avez dit ?
Ex-chef comptable à la SEC
Je crois qu'il y a eu...
un écrémage systématique,
peu importe le terme,
de la structure et de ses moyens,
par des réductions d'effectifs.
Le service gestion des risques
de la SEC
a été réduit...
à une personne, c'est bien ça ?
Quand ce monsieur partait,
il pouvait éteindre la lumière.
Durant la bulle,
les banques d'affaires s'endettent
pour acheter plus de prêts
et créer plus de CDO.
Le ratio entre l'argent emprunté
et les fonds propres de la banque
s'appelle le levier.
Plus une banque emprunte,
plus son levier est élevé.
En 2004,
Henry Paulson,
PDG de Goldman Sachs,
pousse la SEC
à assouplir la limitation du levier,
permettant aux banques
de multiplier leurs emprunts.
La SEC, comme par hasard,
a permis aux banques
de jouer beaucoup plus gros.
C'était de la folie.
J'ignore pourquoi ils ont fait ça.
Le 28 avril 2004,
la SEC se réunit dans le but
de supprimer la limitation du levier.
On s'est dit :
"C'est les gros poissons". C'est vrai.
Mais du coup, si ça tourne mal,
ce sera une vraie catastrophe.
À ce niveau, on a affaire
aux institutions financières
les plus pointues.
Ce sont les plus grands acteurs
du secteur des dérivés.
On a demandé à certains
s'ils étaient confiants.
Les firmes estimaient
que le chiffre était approprié.
La commission vote les règles
proposées par ses services ?
Oui.
Tout à fait. À l'unanimité.
Et la séance est levée.
L'effet de levier
dans le système financier
est devenu totalement effrayant.
Les banques d'affaires allaient
jusqu'à des ratios de 33 pour 1.
Et donc une petite baisse de 3 %
de leur actif
les mettrait en faillite.
Il y a une autre bombe à retardement
dans le système.
AIG.
Le 1 er assureur au monde
vend en masse
d'autres dérivés,
les couvertures de défaillance.
Pour les investisseurs en CDO,
les couvertures de défaillance
sont des polices d'assurance.
Quand on achète
une telle couverture,
on paie à AIG une prime trimestrielle.
Si le CDO tourne mal,
AIG s'engage
à rembourser les pertes.
Mais à l'inverse
des assurances classiques,
les spéculateurs ont accès
aux couvertures de défaillance d'AIG
pour parier contre des CDO
qu'ils ne possèdent pas.
Normalement, on ne peut assurer
que ce que l'on possède.
Disons que je suis propriétaire.
J'ai une maison.
Je ne peux l'assurer qu'une fois.
L'univers des dérivés
permet à n'importe qui
d'assurer cette maison.
Vous pouvez l'assurer. 50 personnes
peuvent assurer ma maison.
Si ma maison brûle,
le nombre de pertes à rembourser
augmente en proportion.
Les couvertures de défaillance
étant non réglementées,
AIG n'a pas à provisionner
d'éventuelles pertes.
Au lieu de ça, AIG paie
des bonus colossaux à ses employés
dès que les contrats sont signés.
Mais si les CDO tournent mal,
AIG devra débourser.
Les gens étaient récompensés
pour leurs énormes prises de risques.
Quand tout va bien,
ils génèrent des profits à court terme
et donc des bonus.
Mais cela entraînera
la faillite de la firme plus ***.
Ce mode de rémunération est pervers.
La filiale de produits financiers d'AIG
à Londres
émet pour 500 milliards de $
de couvertures de défaillance
durant la bulle,
souvent pour des CDO
adossés à des subprimes.
Les 400 employés d'AIGFP
gagnent 3, 5 milliards de $
entre 2000 et 2007.
Joseph Cassano, à la tête d'AIGFP,
touche lui-même 315 millions de $.
C'est dur pour nous,
sans paraître désinvolte,
d'envisager un scénario,
ne serait-ce que plausible,
dans lequel on perdrait
un seul dollar
dans ces transactions.
En 2007, les commissaires
aux comptes d'AIG donnent l'alerte.
L'un d'eux, Joseph St. Denis,
en vient à démissionner
après avoir été empêché
par Cassano
d'examiner les comptes d'AIGFP.
Je vais vous dire
qui n'a pas eu de bonus.
Pdt de la commission
parlementaire de contrôle
M. St. Denis, qui vous a avertis
des dangers qui vous guettaient.
Il a démissionné de rage.
Pour lui, pas de bonus.
En 2005,
Raghuram Rajan,
alors économiste en chef du FMI,
fait un discours
au Symposium de Jackson Hole,
la plus prestigieuse
des conférences bancaires.
Qui était dans l'assistance ?
Tous les banquiers centraux
du monde.
À commencer par
M. Greenspan lui-même,
Ben Bernanke,
Larry Summers était là.
Tim Geithner aussi.
Le titre de mon discours était :
"Le développement financier
est-il un risque pour le monde ?"
La conclusion était :
en effet.
Le discours de Rajan
traite d'un système de primes
qui génère d'énormes bonus
basés sur des profits à court terme
mais sans pénalités
en cas de pertes ultérieures.
Rajan affirme que cela pousse
les banquiers à prendre des risques,
qui à terme,
peuvent détruire leur firme,
voire tout le système financier.
Il est très facile de générer du profit
en prenant plus de risques.
Il faut donc intégrer
un facteur risque au calcul du profit.
C'est le placard aux cadavres.
Rajan a touché le cœur du problème.
En particulier quand il a dit :
"Vous affirmez pouvoir gagner plus
en prenant moins de risques.
Je dis que vous gagnez plus
en prenant plus de risques.
C'est très différent."
Summers a réagi avec force.
En gros, il pensait
que je critiquais les évolutions
dans l'univers de la finance.
Et il craignait
que la réglementation
n'entrave ces évolutions.
Il m'accusait d'être rétrograde.
Il voulait empêcher
qu'on crée tout un tas
de nouvelles réglementations
afin de brider la finance.
Larry Summers
n'a pas souhaité être interviewé.
Vous allez gagner 2 millions de plus
par an, ou 10 millions,
en mettant votre banque en danger.
Quelqu'un d'autre paiera, pas vous.
Feriez-vous ce pari ?
La plupart des gens à Wall Street
ont répondu banco !
Les Hamptons,
à 2 heures de New York
Ce n'était jamais assez.
Ils ne voulaient pas une maison,
mais cinq.
Il leur fallait un penthouse
hors de prix sur Park Avenue.
Il leur fallait un jet privé.
Pensez-vous que dans ce secteur,
les très hautes rémunérations
sont justifiées ?
Je serais prudent.
Je réfuterais le terme "très hautes".
Tout est relatif.
Vous avez une maison
à 14 millions de $ en Floride,
une maison de vacances
à Sun Valley, dans l'Idaho.
Vous collectionnez
les tableaux valant des millions.
Richard Fuld évitait
la salle des marchés.
Les conseillers en art défilaient.
Il avait un ascenseur privé.
Il faisait tout pour rester en dehors.
Son ascenseur était programmé
spécialement.
Son chauffeur appelait en arrivant,
un vigile gardait la porte.
Il n'y avait que 2 ou 3 secondes
où il risquait de voir des gens.
Il montait dans l'ascenseur
et allait direct au 31 e.
Lehman avait plusieurs jets privés,
vous le savez ?
Combien en tout ?
Il y en avait 6, en comptant les 7 67.
Plus un hélicoptère.
Je vois.
Ça fait beaucoup, non ?
Ce sont des hyperactifs.
Ils savent tout sur tout.
C'était à qui pissait le plus loin.
La mienne est plus grosse
que la tienne.
Il n'y a que des hommes, d'ailleurs.
Un contrat à 50 milliards ne suffit pas,
on passe à 100 milliards.
Ce sont des casse-cou,
ils sont impulsifs.
Jonathan Alpert, psychiatre,
suit beaucoup de cadres supérieurs
de Wall Street.
C'est leur façon d'agir,
leur personnalité.
Ça se manifeste aussi
en dehors du travail.
Ils fréquentent les strip clubs,
ils se droguent.
Ils sont consommateurs de cocaïne,
de prostitution.
Le patron du VIP Club à Chelsea
estime à 80 %
sa clientèle de banquiers.
Récemment, des neurologues
ont fait des expériences
en mettant des gens dans une IRM.
Ils les ont fait jouer à un jeu
récompensé par de l'argent.
Ils ont vu que quand les sujets
gagnent de l'argent,
la partie du cerveau qui est stimulée
est celle que stimule la cocaïne.
Beaucoup se sentent obligés
d'adopter ce comportement
pour réussir,
être promus, reconnus.
Selon Bloomberg,
les sorties représentent
5 % du revenu
des courtiers en dérivés de New York
et incluent souvent strip clubs,
prostitution et drogue.
Un courtier de New York a attaqué
son employeur en 2007,
l'accusant de l'avoir forcé à engager
des prostituées pour les traders.
Ils ne tiennent clairement pas compte
de l'impact de leurs actes
sur la société ou la famille.
Ça ne les gêne pas
de voir une prostituée
puis d'aller retrouver leur femme.
Kristin Davis dirigeait un réseau
de prostitution de luxe
depuis son appartement,
à deux pas de la Bourse de New York.
Combien de clients ?
Environ 10 000, à cette époque.
À partir de 1000 $ l'heure
Quel pourcentage venait
de Wall Street ?
Pour les clients haut de gamme,
sans doute...
40 à 50 %.
Il y avait toutes les grandes banques ?
- Goldman Sachs ?
- Lehman Brothers...
Oui, ils venaient tous.
Chez Morgan Stanley,
ça se pratiquait moins.
Je crois que chez Goldman,
c'était très courant.
Ils me demandaient une Lamborghini
pour la soirée pour la fille.
C'était l'argent de leur société.
J'avais beaucoup de cartes noires
des différentes banques.
En fait, les frais sont imputés
à la maintenance informatique...
Recherche sur les marchés,
conseil en conformité juridique...
Je donnais un papier à en-tête,
ils faisaient la facture.
Ces comportements
concernent aussi la direction ?
Totalement, oui.
Je sais que c'est le cas.
Ça va jusqu'au sommet.
Un ami lié à une société
très présente dans la finance m'a dit :
"Il est temps
que tu découvres les subprimes."
Il a organisé une réunion
entre son desk de trading et moi.
Le grouillot de service s'agite,
court à son ordinateur
et sort en 3 secondes
une émission de titres
de Goldman Sachs.
C'était n'importe quoi.
Les crédits atteignaient en moyenne
99,3 % de la valeur de la maison.
Il n'y avait aucune mise de fonds.
En cas de problème,
l'emprunteur jetterait l'éponge.
Ce n'est pas un crédit raisonnable,
n'est-ce pas ?
Il faut être fou !
Pourtant,
on agrège 8000 de ces crédits
et quand Goldman Sachs
et les notateurs ont terminé,
2/3 des prêts sont notés AAA.
C'est-à-dire aussi sûrs
que des bons du Trésor !
C'est complètement fou !
Goldman Sachs vend au moins
3, 1 milliards de $ de ces CDO toxiques
au premier semestre 2006.
Le PDG de Goldman Sachs,
à l'époque,
est Henry Paulson,
le PDG le mieux payé de Wall Street.
Bienvenue à la Maison Blanche.
J'ai le plaisir d'annoncer
que je nomme Henry Paulson
secrétaire au Trésor.
Homme d'affaires-né, il connaît
parfaitement les marchés financiers.
Il est reconnu
pour son honnêteté et son intégrité.
On penserait que Paulson souffrirait
d'un maigre salaire de fonctionnaire.
Mais accepter ce poste est
la décision la plus rentable de sa vie.
Paulson doit vendre
ses 485 millions de $ d'actions Goldman
en entrant au gouvernement.
Mais grâce à une loi
datant du premier Président Bush,
il est exonéré d'impôts.
Il économise 50 millions de $.
En 2007, Allan Sloan publie un article
sur les CDO émis
durant les derniers mois
où Paulson était PDG.
L'article est sorti en octobre 2007.
Un tiers des prêts
étaient déjà impayés.
Maintenant, la plupart le sont.
Parmi les acheteurs de ces titres
désormais sans valeur,
il y a le fonds de retraite public
du Mississippi
qui paie les pensions
de plus de 80 000 retraités.
Il perd des millions
et maintenant,
poursuit Goldman Sachs.
Retraite moyenne d'un fonctionnaire
du Mississippi : 18 750 $ par an
Rémunération moyenne chez
Goldman Sachs : 600 000 $ par an
Rémunération de Hank Paulson
en 2005 : 31 000 000 $
Fin 2006,
Goldman va encore plus loin.
Non contente de vendre
des CDO toxiques,
elle parie activement contre eux
tout en vantant à ses clients
la qualité de cet investissement.
En achetant
des couvertures de défaillance à AIG,
Goldman peut parier
contre des CDO qu'elle n'a pas
et être payée en cas de défaillance.
Je leur ai demandé
s'ils avaient dit à leurs clients :
"On n'est plus trop fan
de ces crédits,
on voulait vous prévenir."
Ils n'ont rien répondu,
mais je les entendais presque rire
au téléphone.
Goldman Sachs achète
pour 22 milliards de $
de couvertures de défaillance à AIG.
Au point que Goldman réalise
qu'AIG pourrait faire faillite.
Elle dépense donc 150 millions de $
pour s'assurer
contre un effondrement d'AIG.
Puis en 2007,
Goldman va encore plus loin.
Elle vend
des CDO spécialement conçus :
plus ses clients perdent d'argent,
plus Goldman Sachs en gagne.
Le PDG de Goldman Sachs
et sa direction
n'ont pas souhaité être interviewés.
Mais en avril 2010, on les oblige
à déposer devant le Congrès.
600 millions de $
en titres Timberwolf,
voilà ce que
vous avez vendu.
Avant de les vendre,
voici ce que vos vendeurs
disaient entre eux :
"Dis donc, cette opération Timberwolf,
quelle merde !"
C'est un e-mail
qu'on m'a envoyé fin juin,
après la transaction.
Non, vous avez encore vendu
du Timberwolf après.
On en a négocié après ?
L'e-mail suivant, vérifiez,
juillet, pièce 107,
donne comme priorité de vente
Timberwolf.
Votre priorité de vente
est cette opération de merde ?
Si votre intérêt est opposé à celui
du client, devez-vous l'en informer ?
Informer votre client
de votre intérêt opposé ?
Voilà ma question.
J'essaie de comprendre...
Non, vous ne voulez pas répondre.
Pensez-vous avoir le devoir
d'œuvrer dans l'intérêt
de vos clients ?
Je répète,
Mme la sénatrice,
que nous avons le devoir
de servir nos clients
en indiquant le prix des transactions
qu'ils nous demandent d'indiquer.
Que dites-vous
du fait de vendre des titres
que votre propre équipe dit
"merdiques" ?
Ça ne vous dérange pas ?
Je pense qu'ils seraient...
- En théorie ?
- Non, c'est réel.
- Alors...
- On l'a entendu aujourd'hui.
On a entendu :
"Opération de merde, merdique."
Je n'ai rien entendu aujourd'hui
qui me donne à penser
que quelque chose ait mal tourné.
N'y a-t-il pas conflit
quand vous vendez quelque chose
à quelqu'un
tout en étant résolu
à parier contre ce même titre
sans le révéler à votre acheteur ?
Aucun problème ?
Pour un teneur de marché,
ce n'est pas un conflit.
Apprendre que vos employés,
dans ces e-mails,
disaient :
"Quelle opération merdique.
Quelle merde."
Ça ne vous a rien fait ?
Je trouve ça regrettable,
dans un e-mail.
Et regrettable...
"Dans un e-mail" ?
Pas regrettable tout court ?
Il est regrettable de dire ça,
sous n'importe quelle forme.
Estimez-vous
que vos concurrents
se livraient
au même genre d'actes ?
Oui, et à une plus large échelle
que nous, en général.
Gérant d'un fonds spéculatif,
John Paulson gagne 12 milliards de $
en pariant
contre les prêts immobiliers.
Et quand il manque de titres
contre lesquels parier,
avec Goldman Sachs
et Deutsche Bank,
il en crée de nouveaux.
Morgan Stanley vend aussi des titres
contre lesquels elle parie.
Elle est attaquée par le fonds
de pension public des Îles Vierges
pour fraude.
Il est plaidé que Morgan Stanley
savait que ses CDO ne valaient rien.
Bien que notés AAA,
Morgan Stanley pariait sur leur échec.
Un an plus ***, Morgan Stanley
avait gagné des centaines de millions
et les investisseurs
avaient presque tout perdu.
Goldman Sachs, John Paulson
et Morgan Stanley
ne sont pas les seuls.
Les fonds Tricadia et Magnetar
font fortune
en pariant contre des CDO
conçus avec Merrill Lynch,
JP Morgan et Lehman Bros.
Les CDO étant vendus comme "sûrs".
Les fonds de pension
auraient dû dire :
"Ce sont des subprimes.
Pourquoi les acheter ?"
Et les types de chez Moody's et S&P
disaient que c'étaient des AAA.
Ces titres n'étaient
jamais émis sans l'imprimatur,
le "label de qualité"
des agences de notation.
Les 3 agences de notation
Moody's,
S&P et Fitch
gagnent des milliards
en surnotant des titres risqués.
Moody's, la plus grande,
quadruple ses profits
entre 2000 et 2007.
Gérant de fonds spéculatifs
Ils sont payés à la notation.
Plus ils attribuent de AAA,
plus ils gagnent, ce trimestre-là.
Imaginez proposer au New York Times
500 000 $ pour un article positif.
Et sinon, pas un sou.
On pouvait arrêter la musique et dire :
"Désolés. On va être plus strict."
Et réduire immédiatement
le flux de financement
aux emprunteurs risqués.
Les produits notés AAA
sont passés brutalement
d'un tout petit nombre
à des milliers et des milliers.
Des centaines de milliards de dollars
étaient notés.
- Par an ?
- C'est ça.
J'ai témoigné
devant les 2 chambres du Congrès
au sujet des agences de notation.
Les 2 fois,
elles ont sorti de leur chapeau
d'éminents avocats
spécialistes du 1 er amendement
pour arguer que "quand on
donne à un produit la note AAA,
ce n'est que notre opinion.
Il ne faut pas s'y fier."
Nos notes reflètent notre opinion.
Ces notes sont...
notre opinion, des opinions.
Des opinions,
uniquement des opinions.
Je crois que nous voulons souligner
que ces notes sont...
des opinions.
Ils ne nous ont pas donné
leur opinion.
Aucun n'a souhaité être interviewé.
Elles n'attestent pas
la valeur de marché d'un titre,
la volatilité de son prix ou
sa pertinence comme investissement.
TROISIÈME PARTIE : LA CRISE
Nombre d'économistes
viennent nous dire :
"C'est une bulle
qui va exploser
et cela va vraiment
affecter l'économie."
Certains redoutent même
une récession.
Quel est le pire scénario imaginable
s'il se confirmait
que les prix baissent nettement
à travers le pays ?
Je rejette votre postulat.
Le risque est faible.
Jamais les prix de l'immobilier
n'ont baissé au niveau national.
Ben Bernanke
est nommé à la tête de la Fed
en février 2006,
à l'apogée des prêts subprimes.
Malgré de nombreuses alertes,
Bernanke et le conseil de la Fed
n'ont rien fait.
Ben Bernanke
n'a pas souhaité être interviewé.
Robert Gnaizda verra Ben Bernanke
et le conseil de la Fed 3 fois
après l'arrivée de Bernanke
à sa tête.
Ce n'est que la dernière fois
qu'il a insinué
qu'il y avait un problème
et que le gouvernement
devrait étudier ça.
C'était en quelle année ?
En 2009, le 11 mars, à Washington.
- Cette année.
- En effet.
Donc, aux réunions
des 2 années précédentes...
Même en 2008 ?
Parmi les 6 gouverneurs de la Fed
dirigée par Bernanke,
on trouve Frederic Mishkin,
nommé par le Président Bush
en 2006.
Avez-vous assisté
aux réunions semestrielles
entre Robert Gnaizda, Greenlining
et le conseil de la Fed ?
Oui, je faisais même partie
de la commission concernée,
la commission
Protection des consommateurs.
Il a lancé une mise en garde explicite
contre ce qui se passait
et apporté au conseil de la Fed
le genre de contrats de prêt
qui étaient fréquemment accordés.
On l'a écouté poliment
et rien n'a été fait.
J'ignore les détails
pour ce qui est de...
Quels documents il a apportés,
je ne sais au juste...
À vrai dire, je ne sais plus
si on en a parlé.
Mais il est sûr que des problèmes
étaient soulevés.
La question étant : sont-ils répandus ?
Pourquoi n'avoir pas cherché
à savoir ?
On a demandé
à tout un groupe de le faire.
Vous plaisantez.
En cherchant, vous auriez trouvé.
Il est très facile de dire
qu'on trouve toujours.
Dés 2004,
le FBI met en garde contre
une épidémie de fraude
au prêt immobilier.
Il signale des évaluations
emphatiques,
des notices de prêt édulcorées
et autres malversations.
En 2005,
l'économiste en chef du FMI,
Raghuram Rajan,
met en garde contre les primes
pouvant causer une crise.
Puis viennent les mises en garde
de Nouriel Roubini, en 2006,
les articles d'Allan Sloan
dans Fortune
et le Washington Post, en 2007,
et les mises en garde répétées
du FMI.
J'ai dit, au nom de l'institution :
"La crise qui nous attend est énorme."
À qui ?
Gouvernement, Trésor, Fed, tous.
En mai 2007, le gérant
de fonds spéculatifs Bill Ackman
diffuse un exposé intitulé
"Qui paiera la casse ?"
qui décrit comment la bulle explosera.
Et début 2008,
Charles Morris sort son livre
sur la crise imminente.
Argent facile, flambeurs
et grand krach du crédit
On ne sait trop que faire.
On soupçonne éventuellement
une baisse des normes
de souscription.
La question étant : doit-on agir ?
En 2008,
les saisies immobilières se multiplient
et la chaîne de titrisation implose.
Les prêteurs ne peuvent plus vendre
leurs prêts aux banques.
Les prêts tournant mal,
des dizaines de prêteurs
font faillite.
Chuck Prince, de Citibank,
a eu une formule célèbre :
"Il faut danser
jusqu'à ce que la musique s'arrête."
En fait, la musique s'était déjà arrêtée
quand il a dit ça.
Le marché des CDO s'écroule.
Les banques se retrouvent
avec des centaines de milliards
en prêts, CDO et biens immobiliers
invendables.
Au début de la crise,
l'administration Bush
comme la Réserve Fédérale
étaient complètement dépassées.
Elles ne mesuraient pas les dégâts.
À quel stade vous êtes-vous
dit pour la première fois :
"Attention, danger" ?
Je me rappelle très bien.
Je crois que c'était au sommet du G 7
de février 2008.
Et je me rappelle en avoir parlé
avec Hank Paulson.
Et je me rappelle très bien
avoir dit à Hank :
"Nous regardons ce tsunami arriver
et vous...
proposez seulement qu'on décide
quel maillot on va mettre."
Quelle a été sa réponse,
son sentiment ?
"Nous maîtrisons la situation.
Nous suivons ce problème de près.
Nous maîtrisons."
On va continuer à croître.
Et à l'évidence, je vais vous dire :
si on a la croissance,
on n'est pas en récession.
On sait tous ça.
La récession a en fait débuté 4 mois
avant cette déclaration de Paulson.
En quelques jours,
un pilier de Wall Street...
En mars 2008, la banque
Bear Stearns, à court de liquidités,
est rachetée pour 2 $ l'action
par JP Morgan Chase.
Opération bénéficiant
de 30 milliards de $
en aide d'urgence venus de la Fed.
Alors, l'administration
aurait pu intervenir
et mettre en place
diverses mesures pouvant réduire
le risque systémique.
Selon plusieurs de mes sources,
la fin n'est pas en vue,
le jeu de massacre va continuer.
J'ai vu ces banques d'affaires
travailler avec la Fed et la SEC
pour renforcer leurs liquidités,
renforcer
leur capitalisation.
Je suis constamment informé.
Nos régulateurs sont très vigilants.
Le 7 septembre 2008,
Henry Paulson annonce
la nationalisation
de Fannie Mae et Freddie Mac,
2 géants du prêt immobilier
au bord du gouffre.
Nos décisions d'aujourd'hui
ne reflètent en rien
une vision modifiée
de la correction immobilière
ou de la solidité
de nos institutions financières.
2 jours après,
Lehman Brothers dévoile
une perte record de 3,2 milliards de $
et son cours s'effondre.
L'effet "Lehman-AIG" de septembre
a quand même été une surprise.
Même après juillet,
et "Fannie-Freddie", alors...
clairement, il y avait des choses
qui jusqu'en septembre,
des choses capitales
que personne ne savait.
Ça me paraît juste.
Bear Stearns était notée AAA
un mois avant sa faillite ?
Plutôt A2.
A2 ne signifie pas non plus
"faillite".
C'est une excellente note
pour un investissement.
Lehman Brothers notée A2
à quelques jours de la faillite.
AIG noté AA quelques jours
avant d'être renfloué.
Fannie Mae et Freddie Mac
étaient AAA, lors de leur sauvetage.
Citigroup, Merrill, tous avaient
des notes de bon investissement.
Au nom de quoi ?
Bonne question.
Super question.
À aucun moment
les autorités ne disent
aux grandes sociétés :
"C'est grave.
Parlez-nous de votre situation.
Trêve de bobards,
où en êtes-vous ?"
Primo, c'est aux régulateurs de...
C'est leur métier de découvrir
la surexposition de ces sociétés.
Et ils ont un excellent discernement
qui s'est encore aiguisé
à mesure que la crise s'amplifiait.
Pardon,
mais c'est clairement faux.
Comment cela, faux ?
En août 2008,
étiez-vous au courant
des notations financières
obtenues par Lehman Brothers,
Merrill Lynch, AIG,
et les trouviez-vous adéquates ?
Clairement, les notes précédentes
étaient inadéquates
puisqu'on les dépréciait.
Pas du tout.
Il y a eu dépréciation, dans le secteur,
le cours des actions...
Toutes sans exception
obtenaient au minimum A2
quelques jours
avant d'être secourues.
Alors, ma réponse est
que je n'en sais pas assez
pour vous répondre.
Fred Mishkin abandonnera
ses fonctions à la Fed le 31 août.
Il reprend son poste de professeur
à la Columbia Business School.
Pourquoi avoir quitté
la Réserve Fédérale en août 2008,
au beau milieu de la crise financière
la plus grave...
Afin de réactualiser un manuel.
Le conseil de la Fed compte
désormais 3 sièges vacants sur 7,
en plein désarroi économique.
Votre manuel
est sûrement important et très lu,
mais en août 2008,
il se passait des choses
quelque peu plus importantes, non ?
Le vendredi 12 septembre,
Lehman se retrouve sans liquidités
et tout le secteur
des banques d'affaires fait naufrage.
La stabilité du système
financier mondial est menacée.
Ce week-end-là,
Henry Paulson et Timothy Geithner,
qui préside la Fed de New York,
réunissent en urgence
les PDG des grandes banques
dans l'espoir de secourir Lehman.
Mais Lehman n'est pas la seule.
Merrill Lynch,
autre grande banque d'affaires,
est également au bord de la faillite.
Et ce même dimanche,
elle est rachetée par
Bank of America.
La seule banque
intéressée par Lehman
est la britannique Barclay's.
Mais les régulateurs britanniques
exigent la garantie
de l'État américain.
Paulson refuse.
Ni Lehman ni les autorités
n'auront anticipé une faillite.
Nous avons tous pris
le premier taxi venu
pour aller au siège de la Fed.
Ils voulaient entamer
la procédure de faillite avant minuit,
en ce 14 septembre.
Nous avons dit avec insistance
que ce serait
un événement terrible.
À un moment,
j'ai parlé d'apocalypse.
Avaient-ils pesé les conséquences
de ce qu'ils proposaient ?
Le marché réagirait violemment.
Vous l'avez dit ?
Ils ont répondu qu'ils avaient pesé
tous nos commentaires
mais qu'ils estimaient toujours
qu'afin de calmer les marchés
et d'aller de l'avant,
Lehman devait être mise en faillite.
"Calmer les marchés" ?
Quand vous a-t-on dit
que Lehman était mise en faillite ?
Après coup.
Quelle a été votre réaction ?
"La vache !"
Paulson et Bernanke
ne consultent pas les autres pays
et ne comprennent pas les effets
des lois étrangères sur les faillites.
Lehman-Londres vide ses...
bureaux.
La loi anglaise
oblige Lehman-Londres
à fermer immédiatement.
Arrêt net des transactions
et il y en avait des milliers
et des milliers.
Les fonds spéculatifs qui avaient
des actifs chez Lehman-Londres
découvrent, horrifiés,
qu'ils ne peuvent les récupérer.
L'un des points du réseau
ne répondait plus.
Avec d'énormes répercussions
sur tout le système.
Le doyen des fonds monétaires
fait une croix sur environ
750 millions de $ de créances douteuses
émises par feue Lehman Brothers.
Autre conséquence : la chute
du marché des effets de commerce
dont dépendent nombre de sociétés
pour régler charges et salaires.
On doit licencier,
on ne peut acheter des pièces.
Ça paralyse les affaires.
D'un seul coup, on se dit :
"En quoi croire ?
On ne peut plus se fier à rien."
La même semaine,
AIG doit rembourser 13 milliards de $
aux détenteurs
de couvertures de défaillance.
Il n'a pas cet argent.
AIG était une sorte d'aéroport.
Si AIG s'arrêtait,
tous les avions étaient cloués au sol.
Le 17 septembre,
AIG est mis sous tutelle par l'État.
Le lendemain, Paulson et Bernanke
demandent au Congrès
700 milliards de $
pour renflouer les banques.
Faute de quoi, assurent-ils,
la catastrophe financière sera totale.
C'était effrayant.
Tout le système s'est figé.
Chaque maillon du système financier,
du système de crédit.
Plus personne ne pouvait emprunter.
Une sorte d'arrêt cardiaque
de la finance mondiale.
Je fais avec ce dont j'ai hérité.
La majeure partie de ma tâche
est de gérer les conséquences
de choses faites il y a des années.
Paulson s'est beaucoup exprimé.
Toutes les racines possibles du mal,
qui sont nombreuses,
il les a nommées, alors je ne sais...
- Vous ne parlez pas sérieusement.
- Si. Qu'attendiez-vous ?
Qu'espériez-vous d'autre ?
Il a été le plus farouche opposant
à la réglementation
des couvertures de défaillance
et partisan de la suppression
de la limitation du levier.
En a-t-il parlé ?
Je ne l'ai pas entendu en parler.
On peut couper, un instant ?
Henry Paulson
n'a pas souhaité être interviewé.
Une fois AIG renfloué,
les détenteurs de ses couvertures,
avec au 1 er rang Goldman Sachs,
reçoivent 61 milliards de $
dès le lendemain.
Paulson, Bernanke et Tim Geithner
forcent AIG
à payer 100 cents par dollar,
plutôt que de négocier un rabais.
Finalement, le renflouement d'AIG
coûtera aux contribuables
plus de 150 milliards de $.
160 milliards sont distribués via AIG,
14 milliards vont à Goldman Sachs.
Simultanément,
Paulson et Geithner forcent AIG
à renoncer à poursuivre Goldman
et les autres banques pour fraude.
N'y a-t-il pas problème quand
la personne chargée de gérer
cette crise
est l'ex-PDG de Goldman Sachs ?
Un des principaux
artisans de cette crise.
Indiscutablement,
les marchés d'aujourd'hui
sont extrêmement compliqués.
Aide financière d'urgence.
Le 4 octobre 2008,
le Pdt Bush signe un plan
de renflouement de 700 milliards de $.
Mais les bourses continuent à chuter
car l'on craint désormais
une récession mondiale.
Ce plan n'endigue en rien la vague
de licenciements et de saisies.
Le chômage, aux États-Unis
et en Europe, atteint vite 10 %.
La récession s'emballe
et s'étend au monde entier.
J'ai vraiment pris peur
car je n'avais pas imaginé voir
le monde entier
frappé à la même vitesse,
en même temps.
En décembre 2008,
General Motors et Chrysler
sont menacés de faillite.
Et comme
la consommation américaine baisse,
l'industrie chinoise
voit ses ventes s'écrouler.
Plus de 10 millions de migrants
en Chine perdent leur emploi.
En fin de compte,
les plus pauvres
paient toujours le prix fort.
Usine de luminaires
Province du Guangdong, Chine
Ici, on peut gagner beaucoup d'argent.
Comme 70 ou 80 $ par mois.
Comme paysan, à la campagne,
on ne peut pas gagner autant.
Les ouvriers envoient des mandats
dans leur village,
pour leur famille.
La crise a commencé en Amérique.
On sait tous
qu'elle va arriver en Chine.
Il y a des usines
qui vont renvoyer des ouvriers.
Il y aura des pauvres,
à cause du chômage.
La vie sera plus dure.
Singapour
On avait une croissance
d'environ 20 %.
C'était une super année.
Et d'un seul coup, -9 %, ce trimestre.
Les exportations ont chuté.
De l'ordre de 30 %.
On a pris un sacré coup,
on est tombé de haut.
Au début de la crise,
nous ne savions
jusqu'où elle s'étendrait
et quelle serait sa gravité.
Et nous espérions toujours
trouver le moyen de nous abriter
pour moins subir la tempête.
C'est impossible.
Le monde est très globalisé,
les économies sont toutes liées.
Le nombre de saisies aux États-Unis
atteint les 6 millions début 2010.
Dès qu'une maison est saisie,
cela affecte tout le voisinage.
Quand cette maison est revendue,
c'est à un prix très bas.
Peut-être, avant ça,
aura-t-elle été mal entretenue.
Nous prévoyons encore
9 millions de propriétaires expulsés.
On est allé, un week-end,
voir les maisons à vendre.
Une nous plaisait.
Le paiement était de 3200.
Columba Ramos et son mari
ne parlent pas anglais.
Ils sont floués
par leur courtier de prêt,
lui-même payé
par un prêteur abusif.
La maison était belle,
c'était pas cher. Tout allait bien.
On touchait le gros lot !
Retour à la réalité
avec le premier paiement.
Je suis très triste pour mon mari...
parce que...
il travaille trop.
Et on a 3 enfants.
"Ville de tentes"
Comté de Pinellas, Floride
Je m'occupe, en grande majorité,
de victimes de la crise.
Ils vivaient au jour le jour, au gré
des fiches de paie. Puis, chômage.
Les allocs ne remboursent pas
la maison, la voiture.
J'étais chauffeur routier.
Ils ont fermé
toutes les exploitations de bois,
les scieries, etc.
J'ai déménagé ici
pour bosser dans le bâtiment.
Ici aussi, la boîte a fermé, alors...
La vie est dure, on est beaucoup ici.
Il va y avoir plein d'autres camps,
vu le manque de boulot.
QUATRIÈME PARTIE :
RESPONSABILITÉS
Quand l'entreprise prospérait...
PDG de Lehman Brothers
... nous prospérions.
Quand l'entreprise ne prospérait pas,
nous ne prospérions pas.
Ceux qui ont détruit leur entreprise
et jeté le monde dans la crise
sortent des décombres,
leur fortune intacte.
Les 5 principaux dirigeants
de Lehman
gagnent plus d'un milliard
entre 2000 et 2007.
Et après la faillite,
ils ont le droit de tout garder.
Le système a fonctionné.
Il est absurde d'accorder
un prêt voué à l'échec. On y perd.
L'emprunteur y perd,
la collectivité y perd, on y perd.
Le PDG de Countrywide,
Angelo Mozilo,
gagne 470 millions de $
entre 2003 and 2008.
Dont 140 récoltés en bradant
ses actions Countrywide
dans les 12 mois précédant
la chute de sa société.
C'est au Conseil d'Administration
d'assumer une faillite.
C'est lui qui recrute ou renvoie le PDG
et supervise la stratégie.
Le problème, en Amérique,
c'est son mode d'élection.
Les membres du CA sont très souvent
choisis par le PDG.
Le CA et le comité des rémunérations
sont les organes les mieux placés
pour fixer le traitement des dirigeants.
Ont-ils bien rempli leur tâche
depuis 10 ans ?
Selon moi,
si on prend en compte les...
Je leur donnerais dans les 15/20.
- Pas zéro ?
- Non, pas zéro.
Stan O'Neal,
le PDG de Merrill Lynch,
touche 90 millions de $
pour la seule période 2006-2007.
Après avoir coulé l'entreprise,
il est autorisé à démissionner
par le CA
et reçoit 161 millions de $
d'indemnités.
Au lieu d'être renvoyé, Stan O'Neal
est autorisé à démissionner
et empoche 151 millions de $.
C'est la décision du CA
à un moment donné.
Quelle note lui donnez-vous ?
Difficile.
Je ne sais si ce serait 15 également.
Le successeur d'O'Neal, John Thain,
touche 87 millions de $ en 2007.
Et en décembre 2008,
2 mois après le renflouement
de Merrill par les contribuables,
Thain et le CA de Merrill
distribuent des milliards en bonus.
En mars 2008,
la filiale de produits financiers d'AIG
perd 11 milliards de $.
Au lieu d'être renvoyé,
Joseph Cassano, qui est à sa tête,
est gardé comme consultant,
à un million par mois.
Il fallait veiller
à conserver les acteurs clés,
les employés clés d'AIGFP,
à conserver
cette richesse intellectuelle.
J'ai assisté à un dîner très intéressant
donné par Hank Paulson
il y a un peu plus d'un an.
Quelques officiels
et des PDG des plus grandes banques
américaines.
O surprise,
tous ces messieurs disaient :
"Nous étions trop cupides.
Alors, nous sommes
en partie responsables". Bien.
Et alors, ils se tournaient
vers le secrétaire au Trésor :
"Vous devriez plus réglementer,
on est trop cupide.
Le seul remède,
c'est plus de réglementation."
J'ai évoqué ce sujet
avec beaucoup de banquiers
dont de très haut placés.
C'est la première fois
que j'entends dire
qu'ils voulaient qu'on réglemente
leur rémunération.
Mais à l'époque, ils avaient peur.
Plus ***,
quand des solutions à la crise
sont apparues,
ils ont sans doute changé d'avis.
Aux États-Unis, les banques
sont plus grandes, plus puissantes
et plus concentrées que jamais.
Il y a moins de concurrents.
Nombre de petites banques
ont été absorbées.
JP Morgan
est encore plus grande qu'avant.
JP Morgan a d'abord absorbé
Bear Stearns puis WAMU.
Bank of America a absorbé
Countrywide et Merrill Lynch.
Wells Fargo a absorbé Wachovia.
Depuis la crise, le secteur financier,
dont la Table Ronde
des Services Financiers,
combat plus que jamais les réformes.
Le secteur financier
emploie 3000 lobbyistes,
plus de 5
pour chaque membre du Congrès.
Pensez-vous que le secteur financier
est trop influent politiquement,
aux États-Unis ?
Je pense que
tous les gens de ce pays
sont représentés à Washington.
Pensez-vous que tous les segments
de la société américaine
ont un égal et juste accès
au système ?
Vous pouvez entrer dans
n'importe quelle salle d'audience.
Donc, oui.
Entrer dans une salle d'audience,
mais pas forcément
faire un chèque aussi élevé
que ceux de vos lobbies
ou faire des dons politiques
aussi importants que les vôtres.
Entre 1998 and 2008,
le secteur financier dépense
plus de 5 milliards de $
en frais de lobbying
et dons politiques.
Et depuis la crise,
il dépense encore plus.
Le secteur financier exerce
aussi une influence plus subtile
que la plupart des Américains
ignorent.
Il corrompt jusqu'à l'enseignement
de l'économie.
La dérégulation a bénéficié
d'un immense soutien financier
et intellectuel.
Car les gens l'ont défendue
dans leur propre intérêt.
Le corps des économistes
a été le moteur de cette illusion.
Depuis les années 1980,
les économistes universitaires
prônent la dérégulation
et contribuent grandement à modeler
la politique américaine.
Très peu de ces experts
ont donné l'alerte, avant la crise.
Et même après la crise,
nombre d'entre eux
s'opposent aux réformes.
Les types qui enseignaient ces trucs
gagnaient souvent gros
comme consultants.
Les professeurs d'école de commerce
ne vivent pas de leur salaire.
Ils gagnent très bien leur vie.
Depuis 10 ans, le secteur financier
a fait des dons
politiques d'environ 5 milliards de $,
aux États-Unis.
C'est beaucoup.
Ça ne vous dérange pas ?
Martin Feldstein
est professeur à Harvard
et économiste
de renommée mondiale.
Premier conseiller économique
du Pdt Reagan,
il est un des architectes
de la déréglementation.
Et de 1988 à 2009,
il siège
aux Conseils d'Administration d'AIG
et de sa filiale
de produits financiers,
ce qui lui rapporte des millions.
Regrettez-vous d'avoir siégé
au conseil d'AIG ?
Aucun commentaire.
Non, aucun regret d'y avoir siégé.
- Aucun ?
- Absolument aucun.
Avez-vous le moindre regret sur...
les décisions d'AIG ?
Je ne peux rien dire de plus sur AIG.
J'ai enseigné à Northwestern,
Chicago, Harvard et Columbia.
Glenn Hubbard est le doyen
de la Columbia Business School
et a dirigé les conseillers
économiques de George W. Bush.
Pensez-vous
que le secteur financier a trop
de poids politique aux États-Unis ?
Je ne le crois pas.
Ce n'est certainement pas
l'impression qu'on a
vu les coups qu'il reçoit régulièrement
à Washington.
Nombre de grands universitaires
s'enrichissent en douce
tout en aidant la finance à façonner
l'opinion et les décisions politiques.
Analysis Group,
Charles River Associates,
Compass Lexecon et
Law & Economics Consulting Group
font des milliards de bénéfices
en vendant
les services d'experts universitaires.
Voici 2 banquiers
ayant fait appel à eux : Ralph Ciofi
et Matthew Tannin,
gérants de fonds spéculatifs chez
Bear Stearns
et poursuivis pour fraude.
Après avoir fait appel
à Analysis Group, ils sont acquittés.
Glenn Hubbard est payé 100 000 $
pour témoigner en leur faveur.
Pensez-vous
que les sciences économiques ont
un problème de conflit d'intérêts ?
Comment cela ?
Pensez-vous qu'une large fraction
des enseignants en économie
ont des conflits d'intérêts financiers
pouvant faire douter de...
Compris. J'en doute.
La plupart
des économistes universitaires
ne sont pas
des hommes d'affaires aisés.
Hubbard gagne 250 000 $ par an
en siégeant au CA de Met Life
et a siégé à celui de Capmark,
un des leaders du crédit immobilier
durant la bulle
et qui a fait faillite en 2009.
Il a aussi conseillé
Nomura Securities,
KKR Financial Corporation
et bien d'autres sociétés financières.
Laura Tyson,
qui n'a pas souhaité être interviewée,
enseigne à l'université de Berkeley,
en Californie.
Elle dirige
les conseillers économiques
puis préside le Conseil Économique
National sous Clinton.
Peu après avoir quitté
le gouvernement,
elle siège
au CA de Morgan Stanley
qui lui verse 350 000 $ par an.
Ruth Simmons,
présidente de Brown University,
gagne plus de 300 000 $ par an
en siégeant
au CA de Goldman Sachs.
Larry Summers, qui au Trésor,
a beaucoup contribué
à la déréglementation des dérivés,
devient président de Harvard
en 2001.
De Harvard, il gagne des millions
en conseillant des fonds spéculatifs
et pour des discours payés
en majorité
par des banques d'affaires.
D'après la déclaration
qu'il a déposée,
le patrimoine de Summers atteint
entre 16,5 et 39,5 millions de $.
Frederic Mishkin,
rentré à la Columbia Business School
après la Fed,
déclare, quant à lui,
un patrimoine
compris entre 6 et 17 millions de $.
En 2006, vous avez coécrit une étude
du système financier islandais.
"C'est un pays évolué
doté d'excellentes institutions.
Peu de corruption,
état de droit,
économie convertie
à la libéralisation financière.
Réglementation et surveillance
prudentielles de qualité."
Là était l'erreur.
Il est apparu que
réglementation et surveillance
prudentielles n'étaient pas de qualité.
Qu'est-ce qui
vous a fait croire le contraire ?
On s'en remet
aux informations qu'on a
et l'opinion générale voulait que
l'Islande ait d'excellentes institutions
et soit très évoluée.
Qui vous l'avait dit ?
Quelles recherches aviez...
On parle à des gens,
on se fie à la Banque centrale
qui finalement
n'a pas été à la hauteur.
Et clairement...
Pourquoi vous être fié
à la Banque centrale ?
On s'en remet aux infos qu'on a.
Ça vous a rapporté combien ?
J'ai été payé...
Le montant est du domaine public.
Frederic Mishkin a reçu 124 000 $ de
la Chambre de commerce islandaise
pour écrire cette étude.
Sur votre CV,
le titre du rapport
"Stabilité financière en Islande"
devient
"Instabilité financière en Islande".
Je ne sais pas pourquoi, mais...
Les coquilles, ça arrive.
Ce qu'il faudrait, c'est que
toute personne faisant des recherches
révèle ses éventuels conflits d'intérêts
financiers avec ces recherches.
Mais si je ne m'abuse,
rien ne l'y oblige.
Je ne vois pas
qui pourrait ne pas le faire.
Ne pas en faire mention.
Ce serait s'exposer
à une lourde sanction professionnelle.
Je n'ai vu mentionné nulle part
que vous aviez été payé
par la Chambre de commerce
islandaise pour l'écrire.
Richard Portes, le plus connu
des économistes britanniques,
professeur
à la London Business School,
a également été chargé
par la Chambre
de commerce islandaise, en 2007,
d'écrire un rapport
vantant le secteur financier islandais.
Ces banques
ont de fortes liquidités,
elles ont même spéculé
sur la chute de leur devise.
Ce sont de solides banques,
leur financement
est assuré pour l'année.
Elles sont bien gérées.
Comme Mishkin,
Portes ne révèle pas avoir été payé
par la Chambre de commerce
islandaise.
Harvard exige-t-elle la mention
de conflits d'intérêts
dans les publications ?
Pas à ma connaissance.
Demandez-vous à ces gens
de signaler
les rémunérations
de leurs activités externes ?
N'est-ce pas un problème ?
Je ne vois pas pourquoi.
Que Martin Feldstein
siège au CA d'AIG,
Laura Tyson chez Morgan Stanley,
que Larry Summers reçoive
10 millions de $ l'an
de sociétés financières :
hors sujet ?
En gros.
Vous avez écrit de nombreux articles
sur un large éventail de sujets.
Vous n'avez jamais cru bon
d'étudier le risque
à ne pas réglementer
les couvertures de défaillance ?
Jamais.
Même question à propos
des hautes rémunérations,
de la gouvernance d'entreprise,
des conséquences
des dons politiques...
Je ne crois pas que j'aurais eu
quelque chose à ajouter à ces débats.
J'ai votre CV sous les yeux.
Il me semble que la majorité
de vos activités externes consiste en
services de conseil et d'administration
pour le secteur financier.
Ne diriez-vous pas cela ?
Je crois que mes clients en consulting
ne figurent même pas sur mon CV.
Qui sont-ils ?
Je ne crois pas devoir vous le dire.
Encore quelques minutes
et cette interview est terminée.
Conseillez-vous
des sociétés financières ?
Ma réponse est oui.
Mais je ne veux pas
entrer dans les détails.
Y compris
d'autres sociétés financières ?
C'est possible.
Vous ne vous rappelez pas ?
Ce n'est pas un interrogatoire.
J'ai eu la politesse de vous recevoir,
bêtement.
Il vous reste 3 min.
Mettez le paquet.
En 2004,
au plus fort de la bulle,
Glenn Hubbard coécrit un article
retentissant avec William Dudley,
économiste en chef
de Goldman Sachs.
Hubbard y vante les dérivés de crédit
et la chaîne de titrisation
censés améliorer
la répartition du capital
et renforcer la stabilité financière.
Il parle
de volatilité économique réduite
et déclare que les récessions
sont moins fréquentes et plus faibles.
"Les dérivés de crédit
préservent les banques des pertes
et aident à répartir les risques. "
Un chercheur en médecine
écrit un article disant :
"Pour soigner cette maladie,
il faut prescrire ce médicament."
Il s'avère que ce médecin
reçoit 80 % de ses revenus
du fabricant de ce médicament.
Ça ne vous dérange pas.
Je pense qu'il est, bien sûr,
important de révéler...
C'est un peu différent
des cas que nous évoquons ici, car...
Les présidents
des universités Harvard et Columbia
ont refusé de commenter
les conflits d'intérêts des professeurs.
Ni l'un ni l'autre
n'ont souhaité être interviewés.
Qu'est-ce que cela indique
sur les sciences économiques ?
Qu'elles sont sans rapport
avec la réalité.
Et d'ailleurs, je crois...
que c'est une grande partie
du problème.
CINQUIÈME PARTIE :
OÙ EN EST-ON ?
Le pouvoir grandissant
de la finance américaine
fait partie d'un changement plus vaste
en Amérique.
Depuis les années 1980,
les États-Unis voient leurs inégalités
se creuser
et leur domination économique
décliner.
Des sociétés
comme General Motors, Chrysler
et US Steel, autrefois le noyau
de l'économie américaine,
sont mal gérées
et cèdent le pas
à la concurrence étrangère.
Alors que des pays comme la Chine
ouvrent leur économie,
les sociétés américaines délocalisent
par souci d'économie.
Pendant bien des années,
les 660 millions d'habitants
des pays développés étaient protégés
de toute la réserve de main-d'œuvre
du reste du monde.
Soudain, le rideau de bambou
et le rideau de fer sont levés
et voilà
2,5 milliards de gens en plus.
Les ouvriers américains sont
licenciés par dizaines de milliers.
Notre base manufacturière
a été détruite en quelques années.
L'industrie manufacturière déclinant,
d'autres se développent.
Les États-Unis sont leaders
dans les technologies de l'information
où les emplois bien rémunérés
sont légion
mais exigent
un certain niveau d'études.
Et pour l'Américain moyen,
l'université est
de plus en plus inaccessible.
Les grandes universités privées
comme Harvard
ont des milliards
dans leur fonds de dotation
alors que le financement
de l'université publique chute
et les frais de scolarité grimpent.
Dans les universités publiques
de Californie,
les frais passent de 650 $
dans les années 1970
à plus de 10 000 en 2010.
De plus en plus, ce qui détermine
si un Américain ira à l'université,
ce sont ses possibilités
de financement.
En même temps,
la politique fiscale évolue
en faveur des riches.
Quand j'ai pris mes fonctions,
je trouvais les impôts excessifs,
et c'était vrai.
Changement le plus radical :
les baisses d'impôts
de Glenn Hubbard,
alors premier conseiller économique
du Président Bush.
Nette diminution
de l'impôt sur la plus-value mobilière
et les dividendes, suppression
des droits de succession.
Notre plan global
a fait économiser près d'1,1 milliard
aux travailleurs, familles,
investisseurs et entrepreneurs.
Baisses d'impôts
profitant surtout
aux plus riches,
1 % des Américains.
À bien des égards, c'était le pivot
de notre politique de relance.
Les inégalités de richesse
aux États-Unis
sont aujourd'hui les plus fortes
du monde développé.
Les familles américaines
réagissent de 2 façons.
En travaillant plus
et en s'endettant.
La classe moyenne étant
de plus en plus à la traîne,
il y a une pression politique
pour compenser cela
en facilitant le crédit.
Rien ne vous force
à avoir une maison minable.
Même en gagnant peu,
on peut avoir
une aussi belle maison que le voisin.
La famille américaine emprunte
pour payer maison, voitures,
assurance santé
et études des enfants.
90 % de la population
a régressé
entre 1980 et 2007.
Tout a bénéficié
à la tranche supérieure, soit 1 %.
Pour la première fois,
l'Américain moyen fait moins d'études
et est moins riche que ses parents.
L'ère de cupidité
et d'irresponsabilité à Wall Street
et à Washington,
a causé une crise financière
plus grave
que toutes celles survenues
depuis la Dépression.
Quand la crise éclate
juste avant les élections de 2008,
Barack Obama cite
la cupidité de Wall Street
et les failles réglementaires
comme exemples
d'un besoin de changement.
Le laxisme de Washington
et de Wall Street
nous a précisément
mis dans ce pétrin.
Une fois élu, Obama évoque
la nécessité de réformer la finance.
Il faut un régulateur systémique,
des exigences de capitaux,
une agence de protection financière
du consommateur.
Il faut changer
la culture de Wall Street.
Mais enfin promulguées
à la mi-2010,
les réformes financières sont timides.
Et sur certaines questions clés :
agences de notation,
lobbying et rémunérations,
rien de significatif
n'est même proposé.
Au sujet d'Obama
et des "réformes réglementaires",
ma réponse, en un mot, serait...
Il y a très peu de réformes.
Pourquoi ?
C'est un gouvernement "Wall Street".
Obama nomme Timothy Geithner
secrétaire au Trésor.
Geithner était président
de la Fed de New York durant la crise
et a poussé
au remboursement à Goldman Sachs
de 100 % de ses paris
contre les prêts immobiliers.
Tim Geithner,
lors du processus de sa confirmation
à la tête du Trésor, a dit :
"Je n'ai jamais été un régulateur."
Il ne comprenait donc pas sa fonction
de président de la Fed de New York.
Tim Geithner n'a pas souhaité
être interviewé.
Son successeur à la Fed
de New York est William Dudley,
ex-économiste en chef de Goldman
et coauteur avec Glenn Hubbard
d'un éloge des dérivés.
Son directeur de cabinet
est Mark Patterson,
ex-lobbyiste pour Goldman.
Un de ses conseillers
est Lewis Sachs,
qui dirigeait Tricadia,
une société très occupée à parier
contre les titres de crédit
qu'elle vendait.
Pour diriger la CFTC,
Obama choisit Gary Gensler,
ancien cadre chez Goldman et artisan
de la non-régulation des dérivés.
À la tête de la SEC,
Obama nomme Mary Shapiro,
ex-PDG de la FINRA,
l'organisme d'autorégulation
des banques d'affaires.
Le Secrétaire Général d'Obama,
Rahm Emanuel,
a gagné 320 000 $
en siégeant au CA de Freddie Mac.
Martin Feldstein et Laura Tyson
siègent au Conseil consultatif
sur la reprise économique.
Et le premier conseiller économique
d'Obama est Larry Summers.
Les principaux conseillers
économiques
sont ceux qui ont créé la structure.
En voyant
que Summers et Geithner
allaient devenir
des conseillers de premier plan,
j'ai su d'emblée
qu'on en resterait au statu quo.
On refuse même de réglementer
les rémunérations bancaires,
malgré l'insistance
des gouvernants étrangers.
La finance
est une industrie de services
qui devrait servir les autres
avant de se servir.
En septembre 2009,
Christine Lagarde et
les ministres des finances suédois,
néerlandais, luxembourgeois,
italien, espagnol et allemand
engagent les nations du G20,
y compris les États-Unis,
à réglementer strictement
les rémunérations bancaires.
Et en juillet 2010,
le Parlement européen
promulgue de telles réglementations.
L'administration Obama
ne fait aucun commentaire.
Pour eux, c'est un contretemps,
tout rentrera dans l'ordre.
Voilà pourquoi je le confirme
dans ses fonctions
de président de la Réserve Fédérale.
En 2009, Barack Obama
confirme Ben Bernanke.
À la mi-2010,
pas un seul cadre de la finance
n'a été poursuivi au pénal
ou même arrêté.
Pas de procureur spécial désigné,
aucune institution financière
poursuivie au pénal
pour fraude sur titres
ou fraude comptable.
L'administration Obama ne tente pas
de récupérer les rémunérations
versées aux cadres des banques
durant la bulle.
J'envisagerais certainement
des poursuites pénales
contre les dirigeants de Countrywide
comme Mozilo.
Je m'intéresserais aussi
à Bear Stearns,
Goldman Sachs, Lehman Brothers
et Merrill Lynch.
Pour des poursuites pénales ?
Elles seraient très difficiles à gagner.
Mais ils pourraient y arriver
en trouvant assez de sous-fifres
pour dire la vérité.
Dans un secteur où drogue
et prostitution frauduleusement
facturée en frais professionnels
se consomment à grande échelle,
il serait facile de faire parler
les gens, si on le voulait vraiment.
Ils m'ont proposé de plaider coupable
et j'ai accepté.
Ils ne voulaient pas mes fichiers,
ils ne voulaient rien.
- Ils ne voulaient pas vos fichiers ?
- Exact.
Il y a une réticence
à utiliser les vices privés des gens
dans les affaires liées à Wall Street
pour les faire parler.
Peut-être qu'après
les cataclysmes récents,
cette attitude changera.
Je suis mal placé pour juger.
Les procureurs fédéraux
n'ont pas hésité à utiliser
les vices d'Eliot Spitzer
pour le faire démissionner en 2008.
Ils n'ont pas montré le même entrain
concernant Wall Street.
Vous venez aujourd'hui
nous dire :
"On regrette,
on ne se rendait pas compte.
On ne le fera plus.
Faites-nous confiance."
Il y a des gens
dans ma circonscription
qui ont braqué
certaines de vos banques.
Ils disent la même chose.
Ils regrettent, se rendaient
pas compte. Ils le feront plus.
En 2009, alors que le chômage
est au plus haut depuis 17 ans,
Morgan Stanley distribue
plus de 14 milliards de $ à ses employés
et Goldman Sachs,
plus de 16 milliards.
En 2010, les bonus
sont encore plus élevés.
Au nom de quoi
un ingénieur financier
est payé entre 4 et 100 fois plus
qu'un vrai ingénieur ?
Un vrai ingénieur construit des ponts.
Un ingénieur financier
construit des rêves.
Et quand ces rêves
tournent au cauchemar,
ce sont les autres qui paient.
Durant des décennies, le système
financier américain est stable et sûr.
Puis quelque chose change.
La finance
se met à ignorer la société,
à corrompre le système politique
et plonge l'économie mondiale
dans la crise.
À un coût exorbitant,
nous évitons la catastrophe
et nous nous relevons.
Mais les hommes et les institutions
responsables sont toujours là
et cela doit changer.
Ils diront qu'on a besoin d'eux
et que ce qu'ils font
est incompréhensible pour nous.
Ils nous diront
que ça n'arrivera plus.
À coup de milliards,
ils combattront les réformes.
Ce ne sera pas facile.
Mais il y a des choses
qui valent une bataille.
Traduction :
Hélène Monsché - Pierre Arson
L.V.T. - Paris