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On y est.
C’est pas tellement que j’ai redouté ce moment.
Non… C’est pas ça.
Ce scénario, je me le suis répété tellement de fois
qu’il m’est très difficile de vous expliquer comment je l’appréhende.
Un mélange répugnant entre anxiété et fatalisme.
Une peur langoureuse qui lacère mes boyaux : celle d’être un lâche.
Et toujours cette putain de chaleur.
Un pied devant l’autre. Tout a commencé là.
Mes premiers pas, mon premier souvenir.
Une maison chaleureuse et les bras protecteurs d’une mère aimante.
De l’insouciance et un goût enivrant de bonheur.
Puis je grandis.
Quelques flingues en plastoc, des billes, de l’encre sur les mains.
J’écoute et j’apprends des Grands.
Je bois leur parole, construis ma prophétie, me définis une identité.
Et tout s’effondre.
Des boutons et de la guerre.
Tout est si moche, si superficiel.
De gros nuages sont venus obscurcir les rayons de l’astre solaire.
On ne sourit plus, on feinte.
La vie est un long fleuve de merde qu'on avale la bouche ouverte.
Nous ne sommes que des faibles créatures perdues dans l’immensité de l’Univers.
Et toujours cette putain de chaleur.
Et je l’oublie.
Je prends conscience que je suis, et qu’inéluctablement, par ce biais, je dois résister.
Le système est pourri, il est rongé à la moelle par l’acide sulfurique du repli solitaire.
Le partage est un concept bien lointain.
Mon sang vaut mieux que le vôtre et toutes ces conneries.
Tout détruire.
Du clodo de l’avenue Louise, aux pétasses Guccisées qui le snobbent
en sniffant leur troisième Nespresso de la journée.
Du connard de présentateur des informations truquées sur RTL
aux beaufs embourgeoisés qui se lobotomisent devant le juste prix.
Des politiques ventripotents et de leurs promesses les doigts croisés
qui s’amusent à déguiser leurs citoyens honnêtes
en de beaux chevaux de trait aux œillères rabaissées.
Des pseudos-étudiants qui se vautrent dans le stupre et la fornication,
propageant leur connerie et leur méconnaissance aussi vite que leurs MST,
jusqu’à leurs profs minables qui fécondent ces pauvres d’esprits
et les transforment en moutons pathétiques.
C’est ça votre élite ?
Des magnats de la finance,
qui spéculent sans remords sur les denrées alimentaires,
avachis dans leurs confortables duplex
et bien conscients d’affamer l’Afrique.
De l’ingérence militaire,
des GI’s qui détruisent les pays sous prétexte pacifique
et qui américanisent le monde dans le silence le plus complet
de la communauté internationale.
Qu’elle est belle ta putain de démocratie, du Macdo et des frites bordel !
Ces crevards d’training-casket
qui souillent nos beaux quartiers par leurs crachats dégueulasses
et leurs tags aussi artistiques que "Two Girls One Cup",
à leurs victimes, petits Charles-Edouards du lycée Molière
qui votent toujours plus à droite
et qui finiront au market pour reprendre la boîte de leur cher procréateur.
De ces gauchos-bobos, qui se pavanent chez Tarte-Françoise
et défendent Marx sans avoir jamais lu Le Capital,
pour qui le fossé entre la parole et les actes
est plus gigantesque que la dette de la Grèce.
De ces religieux fanatiques
qui sucent le cortex de pauvres gosses dès leur plus jeune âge,
qui communautarisent une société qu’ils n’ont cesse de vomir
à leurs militants grognards,
ces ultra-laïques de la dernière heure qui assimilent une barbe au terrorisme
et qui font de leur athéisme une religion incontestable
et qui masquent leur racisme dégoutant derrière un sourire hypocrite
qui inonde nos chaînes nationales.
Et toujours cette putain de chaleur.
Je relativise enfin.
Une fille pas trop moche pour partager à deux ce fardeau quotidien.
Mon questionnement laisse place à des priorités plus importantes.
Le Delhaize c’est pas tout prêt et l’essence se payera pas toute seule.
La gueule à Ruquier est pas si moche et Bigard a quand même quelques bonnes vannes.
Mon âge augmente aussi vite que ma condition physique diminue.
J’ai deux enfants.
Mon dernier râle de résistant acharné me poussera à les appeler Karl et Hugo.
Ils sont gentils, ils m’offrent un voile de bonheur suffisant pour masquer mes angoisses.
Je ne crise plus que très rarement et c’est souvent pour engueuler les connards de Belgacom
qui me promettent tous les trois mois d’augmenter mon débit de téléchargement.
J’apprends à aimer de nouveau la chaleur du soleil sur mon visage ridé.
Je profite du silence que m’offrent mes moments de pêche,
où les poissons me nargent railleurs.
Ils ne savent pas que je sais. Je sais que je n’ai pas d’hameçon, mais je m’en fous.
Et toujours cette putain de chaleur.
Voilà que je commence à avoir mal au dos.
Je me recroqueville doucement et mon front se rapproche de la terre.
J’espère secrètement que Dieu existe et que quelque part,
il est satisfait des 10 euros que je donne à Amnesty tous les 3 mois.
Je suis fier de voir mes enfants grandir, ils ont de très bonnes situations.
La vieillesse est impitoyable et terrible.
Chaque année, c’est maintenant à regret que je souffle les bougies
que mes enfants et petits-enfants ont préalablement déposé sur un gâteau au chocolat
qui n’améliorera en rien l’état de mon cholestérol.
C’est tellement plus facile de se laisser porter par le temps.
Je n’ai plus d’envies ni de regrets.
Laissez-moi tranquille.
Alors que ma misérable vie défile devant mes yeux,
toi, ma bête immonde, mon adorée,
il est venu le temps de notre ultime confrontation.
Puisses-tu,
puisses-tu être ...
miséricordieux.