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CRlSE
Ce bourg est si petit...
Des pieds baignent dans l'eau du fleuve
qui descend, assoupi, dans la verdure.
ll n'y a pas de gare gênant par sa nervosité
la paix méditative de l'idylle.
Pas d'industries, pas de navigation
traquant le rythme tranquille du jour
et la quiétude du soir...
Le grand événement du jour est l'arrivée de l'autocar,
avec les journaux, le courrier et des gens aux visages inconnus.
Là, on pressent l'odeur du danger,
de la vie harcelée.
Aujourd'hui, arrive par l'autocar une femme complètement inconnue.
Tout en elle est un peu étrange et un peu agaçant.
L'habillement, le visage, le chapeau et les yeux.
Tout en elle parle du grand monde.
Mais ceux qui sont initiés peuvent deviner
pourquoi cette femme inconnue est là.
C'est Madame Jenny,
qui, au bout de 1 8 ans, vient chercher sa fille Nelly,
qui a été élevée chez Mlle lngeborg Johnsson.
Certains disent, comme Edvard,
le médecin traitant d'lngeborg :
''Ceci... sera un coup dur pour lngeborg.''
Mlle lngeborg gagne sa vie en donnant des cours de piano
et en louant une chambre à un jeune vétérinaire, Ulf.
Mais elle a l'habitude de l'appeler Uffe.
La pièce peut commencer.
Je ne veux pas prétendre que c'est un grand drame excitant.
Ce n'est qu'une pièce de la vie quotidienne,
presque une comédie.
Laissons le rideau se lever...
Souples, les poignets. On ne Joue pas avec les coudes.
Un, deux, trois, quatre...
Ecoute, Malin. Tu appelles ça secouer les coussins ?
Ce n'est pas si important.
Non, c'est vrai.
Un, deux, trois, quatre...
Ecoute, Kalle. On n'apprend pas à bien Jouer
si on ne met pas son âme dans le toucher.
Toi, tu ne mets pas ton âme dans le Jeu, mon petit.
Tu as de la chance que Beethoven soit sourd !
Un, deux, trois, quatre...
Malin, il faut astiquer la théière.
L'astiquer également ?
Laisse. Tu travailles trop avant de venir chez moi.
Je ne suis pas chère.
Non, mais un petit salaire, c'est quand même un salaire.
Une pause !
Voilà un bonbon, Kalle.
Prends-en un aussi.
Essuie tes doigts avec un mouchoir, si tu en as un.
Nelly, tu es déJà là ?
Je suis très pressée.
Je vais chercher un colis à l'autocar.
Et J'ai promis de voir Uffe au cimetière.
ll voulait me parler.
La soirée te plaira ?
Je suis tellement ravie que J'en ai mal au ventre.
Ma petite...
Tante Jessie arrive, tu pourrais Jouer avec elle.
BonJour, tante Jessie !
Qu'est-ce que c'est ?
BonJour, ma petite Jessie.
lngeborg, Je...
Jessie, quelle belle coiffure !
Ma coiffure ?
Oui, Je ne sais pas, tu as l'air plus Jeune avec cette couleur.
Oui, n'est-ce pas ? Tu trouves aussi ?
Tu veux m'emprunter de l'argent ?
De l'argent ? Parlons d'autre chose.
Tu me dois beaucoup, maintenant.
73 couronnes et 50 öre.
ll y a des chaussures à brosser ?
Non.
Alors, J'ai fini.
Je te dois combien ?
2,25.
Je n'ai pas d'argent, auJourd'hui.
Ecoute... Prête-moi 5 couronnes. J'en ai besoin.
Tu as un Joli porte-monnaie.
Je n'en ai Jamais vu un aussi beau.
J'ai 5 couronnes dans le mouchoir.
- 5, Malin. - Mère disait...
Laisse ta mère reposer en paix dans sa tombe.
Que cherches-tu ?
Je n'ai que 10 couronnes.
Ne t'en fais pas, Je les prends.
lngeborg, Je...
Jessie...
ll faut me prêter 60 couronnes.
Tu es folle. Que veux-tu acheter ?
Kalle, ça suffit pour auJourd'hui.
Tu veux me les prêter ou pas ?
Oui. Je te donne 30 couronnes, Je n'ai pas plus.
Que Dieu te bénisse.
Je savais que tu diviserais par 2. J'ai demandé le double.
Mais lngeborg...
ll y a une dame dehors qui veut te parler.
C'est sans doute la mère d'un élève.
Ecoute, Jessie... Pourrais-tu aller chez Andersson
chercher la robe de bal qu'on a mise de côté ?
Pour Nelly ?
Oui, elle est pour Nelly. Dépêche-toi.
BonJour.
Ah, c'est vous ?
Bienvenue.
- Qu'as-tu dans ce paquet ? - Une surprise.
Une surprise ! Tu pourrais quand même dire ce que c'est.
L'âge me rend curieux, tu sais.
C'est une surprise.
Tu pourrais dire comment tu l'as eu.
Le paquet.
C'est arrivé avec l'autocar. Comme tu es curieux !
- Nelly... - Qu'y a-t-il ?
Tu es vraiment contente d'aller danser.
Tu ne penses qu'au bal de ce soir.
Je voudrais y faire fureur.
Tu ne veux pas y aller avec moi ?
Quoi ?
On peut y aller ensemble.
Mon cher Uffe,
tu crois que Je veux y aller avec un vieux ?
Est-ce vraiment impensable ?
- Nelly ! - Qu'est-ce que tu as ?
Tu ne comprends rien ?
Uffe, tu ne vas pas me refaire la cour...
Pourquoi suis-Je revenu ici pour louer une chambre chez elle ?
Tu ne comprends donc rien ?
Tu peux me lâcher ?
Tu n'as rien d'autre que le bal dans la tête.
Je ne suis rien pour toi.
Cher Uffe, tu es si bête.
J'aime ma chère Mutti et Je tiens beaucoup à toi aussi,
comme au piano et à la vieille commode,
mais pas d'une autre façon.
Je ne peux pas rester ici toute ma vie.
ll faut que Je vive autre chose.
Tu sais ce que tu veux ?
On a quand même le droit de rêver un peu.
ll ne faut pas être triste pour ça. Tu n'es pas triste quand même...
Uffe, J'ai oublié d'acheter des épingles à cheveux.
Dis à Mutti que Je reviens bientôt.
Salut, mon petit.
BonJour.
C'est ma fille en tout cas.
Vous venez chercher Nelly sans prévenir.
Je n'y comprends rien.
Je ne sais pas quoi dire.
Pourquoi voulez-vous la reprendre ?
Je suis sa mère, non ?
Vous vous en rendez compte 18 ans après ?
Tout n'a pas été rose dans ma vie.
C'était plus calme pour elle chez vous, Mlle lngeborg.
Maintenant, ma situation s'est améliorée.
Félicitations !
Rares sont ceux qui peuvent dire ça.
Je me demande si un enfant
pourrait être mieux ailleurs que chez sa mère.
Si c'est une vraie mère qui a fait plus que l'engendrer.
Vous voudriez qu'on soit ennemies ?
Etre ennemies pour le bien de Nelly ?
Je ne comprends pas.
Mais vous devez comprendre que pour son bien, elle doit me suivre.
Je crois qu'elle est mieux ici.
Elle a tout ce dont elle a besoin et quelqu'un qui l'aime.
Elle aura un travail plus intéressant et mieux payé,
et des gens de son âge à fréquenter.
Et en plus, sa mère.
Qui ne s'est pas occupée d'elle.
Vous ne pourrez pas défendre votre point de vue.
Qu'elle choisisse elle-même.
Elle doit accepter ce que nous décidons.
Je dois vous dire une chose,
si vous me promettez de ne le répéter à personne.
Je suis malade depuis quelque temps.
Nelly est tout pour moi.
Je crois que Je suis chère à ses yeux,
parce qu'elle a eu besoin de moi.
Puis-Je la garder un peu plus, Jusqu'à...
Je veux dire, Jusqu'à...
Après, elle sera à vous.
Vous avez encore toute la vie.
Je vous prie de rentrer chez vous.
Que tout reste comme ça a été pendant 18 ans.
C'est dans votre intérêt et non le sien
que vous voulez la garder ?
Pas seulement le mien.
Nelly se plaît, ici. Elle est heureuse.
Ne l'enlevez pas, Je ne le supporterais pas.
L'enlever !
Vous ne croyez pas que Nelly restera de son plein gré.
D'ailleurs, vous le supporterez.
Moi aussi, J'ai eu des moments durs et Je m'en suis sortie.
Ce n'est qu'un caprice de votre part.
Soyez polie, Je vous en prie.
Bon, c'est elle qui décidera.
On en parlera demain.
Excusez-moi si Je vous ai blessée.
Nelly et moi, nous vous devons beaucoup.
Excusez-moi, mais Je m'emporte facilement.
Excusez-moi.
Vous voulez un cachet ? Vous n'avez pas bonne mine.
Au revoir, alors.
Entrez.
Entrez !
Zut alors !
C'est toi, Jack ? Tu es fou ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
Mais tu es fou, Jack. Qu'est-ce que tu fais ici ?
Je m'ennuyais et Je t'ai suivie.
Tu es fou.
Je voulais voir si tu ne me trompais pas.
Une robe de bal ?
D'autres vêtements.
Une nouvelle coiffure. Bal à l'hôtel.
Tiens !
Je dérange ?
Non, idiot. Je suis contente que tu sois là.
Joli garçon !
Chouette.
Jenny... Viens t'asseoir ici immédiatement.
Bien sûr.
Bien sûr, mon amour.
Que viens-tu faire ici, dans ce trou ?
Qu'as-tu à faire ici ?
Le petit Jack n'est quand même pas Jaloux ?
Non. Le petit Jack est furieux
parce qu'on l'a laissé seul sans argent en ville.
Dis-moi tout maintenant. Sinon, Je t'égorge.
Et Je te mettrai dans une valise.
Alors, Je t'écoute.
J'ai une fille ici, si le petit Jack veut savoir.
Que dis-tu, vieille pécheresse ? Tu as une fille ?
- Elle est adulte ? - 18 ans.
Jenny a une fille de 18 ans.
Jenny a une fille qui a 18 ans.
Pour la première fois depuis 2 ans, tu m'intéresses.
lntéressant.
Vraiment très intéressant.
Nelly ira au bal. Elle ira pour s'amuser
et toi, tu lui feras la cour avant qu'elle ne s'amuse.
lmbécile !
Je ferai une touche.
Pour la tenir en laisse. Les hommes sont des individus peu doués.
Tu la séduiras ce soir, bien sûr. Elle te verra à côté des autres.
Toi, le magnifique et le merveilleux.
Je n'ai Jamais été merveilleux.
On est touJours merveilleux au clair de lune.
On ne fait pas la cour en plein après-midi.
Elle est Jolie, n'est-ce pas ?
Elle n'est pas mal.
Nelly, viens ici un instant.
Nous avons une surprise pour toi.
J'arrive.
Uffe, tiens-la.
Qu'elle la voie dès qu'elle ouvre la porte.
Voilà. On a arrangé ça aussi.
Le Seigneur et moi, on a touJours une idée.
Mais qu'est-ce que tu portes, ma petite ?
Mais Mutti...
tu m'as aussi acheté une robe ?
Ce n'est qu'un simple chiffon.
Je te l'avais promis.
Comme elle est Jolie.
Tu l'as eue de qui ?
Tante Jenny l'a envoyée.
Je lui ai écrit que J'irai au bal.
Elle est belle, non ?
Tante Jenny est ici, Nelly. Elle voudrait te voir demain.
Elle est là ? Mais qu'est-ce qu'elle veut ?
On en parlera demain.
Tu n'as pas l'impression qu'elle a préparé sa visite ?
Mesdames et messieurs...
A une époque
pleine de misère et de famine,
en tenant compte de nos moyens,
il est de notre devoir
d'aider et d'alléger les souffrances
là où on peut.
Cette fête, qui a été organisée à l'initiative du soussigné,
est comme un chaînon dans cette campagne.
J'ouvre maintenant le bal de ce soir
et J'espère que chacun s'y amusera
dans la mesure de ses facultés
à sentir la Joie et l'amusement.
Et J'invite l'orchestre à Jouer
Le beau Danube bleu.
Je ne danse pas bien la valse.
Non.
- Tu disais quelque chose ? - Moi ? Non, rien.
J'avais l'impression.
Je n'ai rien dit du tout. Comment ?
J'avais l'impression que tu disais quelque chose.
Là !
- Avec le grand ? - Oui.
Tu es sûre ?
J'ai acheté la robe. Elle est belle, non ?
Oui, oui.
On ne Joue pas autre chose que la valse ?
Le maire adore danser,
mais il ne sait danser que la valse.
Vous permettez ?
Tu es un peu ivre, Jack.
Maman est sur la même piste.
lls dansent tous la valse et ils s'ennuient. Nous, on s'amuse.
Tu trouves ?
Tu as l'air amer tout d'un coup.
Tu te fâcheras, Jenny, si J'invite ta petite fille à danser ?
Non. Jack fait ce qui lui plaît.
Vous permettez ?
Je vous trouve très Jolie.
Vous êtes la plus belle ici.
Vous êtes très gentil.
La beauté féminine m'inquiète et me rend triste.
Je suis heureux d'avoir fait votre connaissance.
Je sens que nous allons nous revoir souvent.
- Vous êtes triste. - Moi ?
Non, Je ne suis pas du tout triste.
Je ne veux pas dire ça.
La tristesse s'exprime au fond de vos yeux.
Vous avez peut-être un coeur mélancolique.
Vous parlez comme un roman.
Oui. J'ai voulu être pasteur.
- Vous êtes d'ici ? - Oui, J'habite ici.
- Petite chanceuse ! - Pourquoi ?
Vivre ici tranquillement, sans hâte et sans soucis...
Ca peut être trop tranquille ici.
C'est vous qui le dites.
Je m'appelle Jack. Comment tu t'appelles ?
On se tutoie ?
On ne peut pas être amis ?
On ne peut pas tout se dire ?
Qu'est-ce qu'il a ? BonJour, bonJour.
On va boire à notre amitié.
Un verre, s'il vous plaît.
Voilà.
Merci.
Tu peux te Joindre à nous.
Un autre verre. Merci beaucoup.
Tiens ce verre un instant. Merci beaucoup.
Tu vas goûter à un bon breuvage, ma petite.
J'ai fait le mélange moi-même.
La chanson du soir de Jack l'Eventreur.
Deuxième couplet. La mouche longue aux pattes multiples.
Tu aimeras.
Mesdames et messieurs...
Prenant en considération l'heure tardive,
voici un divertissement pour reposer les Jambes.
La chanson du soir de Jack l'Eventreur.
Dernier couplet.
Arrêtez !
Arrêtez !
Vous permettez, monsieur le maire !
Merde !
Elle l'a embrassé ?
Jack ! Jack !
Tu as vu ces marionnettes idiotes ?
Qui les a mises en marche ?
Moi !
Viens !
Où est Uffe ? Tu l'as vu ? Tu sais, le grand...
L'amour ne connaît pas le danger.
Tes amis ne m'empêcheront pas !
ll te tuera.
Tes yeux sont plus dangereux que l'épée de ton ami.
Un regard gentil, et Je serai aguerri à son hostilité.
Mieux vaut mourir devant leur menace
que de vivre plus longtemps sans l'amour de Juliette.
- Que tu es drôle ! - Ah bon ?
Tu ne ressembles à personne.
Non, à personne. Tu n'entends pas le moteur qui vrombit ?
C'est ma montre.
Je suis remonté avec une clé et Je marche, Je marche.
Qui est-ce qui te remonte ?
Tu voudrais bien le savoir, hein ?
Mon pauvre.
N'aie pas pitié de moi.
Un Jour, Je quitterai le théâtre de marionnettes pour les ténèbres.
Le remontoir se casse.
Tout s'écroule et on dit :
''Où est-ce qu'il est, Jack ?''
Tu n'es Jamais heureux ?
Comment ?
Heureux... Tu comprends...
Je suis heureux maintenant, Nelly.
Puis-Je t'embrasser, Nelly ?
Une fois,
J'ai habité sous un escalier dans un château en ruine.
En face de moi, il y avait une grande fenêtre cassée.
Je pouvais y voir des prés éclairés par la lune,
et la mer et la forêt, et deux usines de phosphate.
A l'époque, J'étais heureux.
Maintenant, ça va bien,
mais Je ne suis pas heureux.
ll y a un dragon qui me surveille.
ll me donne tout ce dont J'ai besoin
contre quelques centigrammes de mon corps par semaine
et quelques milligrammes de mon cerveau.
Tu es étrange.
Maintenant, tout est fini.
Puis-Je t'embrasser à nouveau ?
C'est une vie de clair de lune.
Pas encore pour toi, mais tu t'en apercevras bientôt.
ll s'agit de lumière irréelle et des ténèbres réelles. De la peur.
Nelly !
Dis donc, petit diable !
Laissez-moi ! Ne me frappez pas !
Ulf ! Ulf, arrête.
Laissez-moi ! Qu'est-ce que vous me voulez ?
Assassin ! Pourquoi me poursuivez-vous ?
Restez là, Je vous dis. Qu'avez-vous à faire ici ?
Vous n'allez quand même pas...
Assassin !
C'est du Joli !
Tu n'as pas le droit !
Et un tel cavalier ! Tante lngeborg, qu'en dira-t-elle ?
Tu n'as pas le droit.
Toi qui voulais faire fureur, c'est réussi.
Je ne peux pas m'expliquer ?
A quoi ça servirait ?
Aller au bal et se conduire comme une... Oui, en effet.
Tu ne comprends rien. J'étais si contente d'aller au bal.
Quand J'ai eu cette robe, Je n'avais qu'une envie, chanter.
Chanter ! Tu n'as pas su maîtriser ton envie.
Je n'ai pas chanté beaucoup.
- lvre, tu as perdu la mémoire. - Ce n'était pas dans la salle.
- Mais suffisamment. - Je n'étais pas si ivre.
Pas ivre ? Tu étais ivre morte.
Ulf, arrête.
Pleure, si tu crois que ça aide.
Mutti, Je ne voudrais pas dire que c'est ta faute,
mais tu m'as touJours dit qu'il fallait faire ce qu'on voulait.
J'ai touJours trop parlé.
Et puis ?
Et puis, il n'y a plus rien.
Ah oui, le maire est arrivé en courant.
Et J'ai mis mes bras autour de son cou...
Je ne comprends rien.
Uffe restait là, bouche bée.
Qu'est-ce qu'il pouvait faire, le pauvre ?
Mutti...
Je me sens bien d'être à nouveau chez toi.
ll me semble avoir fait un long, long voyage.
C'est bien que tu sois rentrée.
Je veux touJours rester chez toi.
Je veux ne Jamais te quitter.
Je ne te lâcherai Jamais, ma petite. Tu peux être rassurée.
Je ne te lâcherai pas. Je n'ai que toi.
Tu es tout pour moi.
Mutti...
Je suis heureuse, maintenant.
Tu ne sais à quel point tu m'as rendue heureuse.
Mutti...
Quand les habitants se levèrent le dimanche matin,
les chroniques locales s'étaient enrichies d'une sensation.
Les cafetières chauffaient
tout au long de la grand-rue.
Un événement terrible s'était produit au bal.
ll s'agissait de quelques visages inconnus,
une danse folle et déchaînée
et il s'était passé quelque chose avec Mlle Nelly.
Quelque chose de terrible et d'inacceptable.
Ce ne sera pas agréable pour la pauvre Nelly
de rester ici après ce scandale.
Malin, qu'est-ce que vous avez entendu ?
Que Mlle Nelly a Joué de la trompette au bal, hier.
Trompette ?
ll faut être doué quand on n'a Jamais appris.
Je ne l'ai Jamais entendue Jouer de la trompette.
Ce n'était pas de la trompette.
Alors, de l'orgue ?
BonJour.
BonJour.
Tu ne m'attendais pas ?
Si.
J'ai attendu le départ de Mlle Johnsson.
Je voulais te parler seule.
Mutti est allée Jouer à un enterrement.
Tu as l'air angoissée, mon enfant.
Tu es devenue une grande fille, Nelly.
Tu n'as rien à me dire ?
C'est si étrange.
Tu ne me croiras peut-être pas,
mais J'ai souvent pensé à toi, ma fille.
J'ai pensé à toi aussi, ma tante.
Tante...
Tu ne pourrais pas dire ''mère'' ?
Peut-être. Je suis...
Bon, on se contentera de ''tante'' en attendant.
Tu sais, Je n'étais pas plus âgée que toi quand Je t'ai eue.
Je sais que tu as dû subir beaucoup à cause de moi.
Oui, chacun a sa part de soucis.
J'ai un salon de beauté, Nelly.
C'est un travail très intéressant.
Tu voudrais l'apprendre chez moi ?
Tu ne veux quand même pas rester ici toute ta vie ?
Nelly, tu as peut-être un fiancé ?
A ton âge, ce n'est pas étonnant, ma petite fille.
Tu auras un bon salaire, tu t'achèteras des beaux vêtements.
Tu quitteras cette ville.
Tu pourrais touJours passer tes vacances ici, chez Mutti.
Elle pourrait aussi venir.
Excusez-moi.
Je veux bien te suivre !
Alors, on est d'accord.
Et le plus vite possible.
On peut partir ce soir, si c'est possible.
Oui, Je veux partir ce soir, si c'est possible.
Nelly a décidé de me suivre.
J'espère que vous la laisserez partir sans protester.
Je ne proteste pas si ce n'est pas nécessaire.
Mieux vaut qu'on puisse arriver à une entente.
ll faut que vous partiez.
On pourrait parler d'entente une autre fois.
Ma tante m'a promis des vacances.
Des vacances, il faut d'abord les mériter.
- Vous partez quand ? - Ce soir, si ça convient.
Mutti, tu t'en vas ?
Si tu pars, il faut que Je fasse ta valise.
Bonsoir. Tu es dans le train ?
- C'est drôle, non ? - En effet. Si on veut.
Je vous présente.
Jack, le fils de mon demi-frère, et ma fille Nelly.
Vous pouvez vous tutoyer, vous allez vous voir souvent.
Je suis souvent chez Jenny.
Je suis un peu sa mère depuis la mort de ses parents.
lls sont morts ? Ah oui, en effet. La typhoIde, à Londres.
Elle y est arrivée par un bananier d'Antananarivo.
On ne s'est pas déJà rencontrés ?
Vraiment ? Chouette !
Son visage me dit quelque chose.
Tu as l'air un peu chiffonné.
J'ai passé la nuit dans l'eau, madame.
C'est pour ça que Je suis chiffonné.
ll est long, ce tunnel.
Le pénible intermède à sensation était peu à peu oublié.
L'été passait.
Mlle lngeborg Johnsson n'avait pas changé
quand elle allait à la chapelle donner ses leçons de piano.
Peut-être un peu plus vieille, peut-être un peu plus seule.
Ulf avait abandonné sa chambre et était parti ailleurs.
A la surprise générale, Malin, la pauvre femme de ménage
avait accru la population
en donnant naissance à des jumeaux aux cheveux roux.
Juste avant, le père avait disparu
avec le pécule de la fille.
Elle était heureuse.
Cet homme, il a eu l'argent et le plaisir.
Malin, les enfants et la honte.
C'est le lot de ceux qui économisent et travaillent.
Ca suffit !
5 couronnes suffisent pour la laine. Je tricote pour les Jumeaux.
Je ne veux pas !
J'en ai marre des gens qui m'empruntent de l'argent.
Tu auras les 20 couronnes que Je te dois.
25.
Disons 25. Je voulais seulement mettre ta mémoire à l'épreuve.
Si Je pouvais seulement te comprendre...
J'étais la fiancée de ton frère, Je te connais depuis longtemps.
Quelle chance pour Harold d'être mort si Jeune.
lngeborg, quand Je me fais du souci pour toi,
tu pourrais me prendre au sérieux.
Je te trouve pâle et maigre.
Tu as eu des nouvelles de Nelly ?
Oui.
J'ai eu une lettre radieuse, ce matin.
Une longue, de 6 pages.
Elles ont dû agrandir le salon.
Elle sort touJours autant ?
Oui, elle était invitée à un dîner, mardi.
Mardi ?
Oui, c'était ce mardi. Elles ont beaucoup de relations.
Elle aime son travail et voit beaucoup de gens.
Elle aurait dû partir il y a longtemps.
Je voudrais...
Qu'est-ce qu'il y a ?
Je ne me sens pas bien.
Mais lngeborg, qu'y a-t-il ?
Edvard, nous sommes des gens réfléchis.
Je voudrais savoir comment Je vais.
Edvard, assieds-toi et ne sois pas gêné.
Nous sommes de vieux amis, non ? Nous pouvons parler de tout.
Oui, bien sûr.
Alors ?
Certes, on peut opérer. ll peut y avoir une amélioration.
Tu es sûr qu'une opération aiderait ?
lngeborg, Je vais être franc.
C'est une chose très grave.
Une opération est touJours problématique.
Elle repoussera tout de quelques années.
Et si on ne m'opère pas ?
ll te restera encore une année.
Peut-être plus, peut-être moins. C'est difficile à dire.
Voilà, maintenant Je l'ai dit.
Je t'en suis reconnaissante.
Veux-tu répondre à une autre question ?
Je serai comment ? Je pourrai me lever ?
Tu pourras bouger sans problème Jusqu'à quelques mois avant...
Et les crises ?
ll y a des médicaments pour cela.
C'est vraiment le destin.
Et à Juste titre.
Mutti ! Mutti !
Oh, mon Dieu, c'est toi... J'ai eu peur.
Jessie...
Tu crois que Je dois aller voir Nelly ?
Mais qu'est-ce qui te prend ?
Tu ne m'as Jamais demandé conseil avant.
On a besoin de ses amis de temps à autre.
Et tu es mon amie, non ?
Mais lngeborg, tu le sais bien.
Je dois aller la voir ?
Evidemment, si tu veux.
- Je ne peux pas partir. - Pourquoi ?
Je n'ai pas d'argent.
Je peux t'en prêter.
Tu es si gentille, Jessie.
A mon retour, nous tricoterons le soir, n'est-ce pas ?
On se mettra au coin du feu. Peu importe la rudesse de l'automne.
Mais lngeborg...
Je n'en peux plus !
Mais chère lngeborg...
Merci, Jessie.
Peux-tu m'aider ? J'aimerais partir auJourd'hui.
Et il se promenait
le chapeau sur la nuque, les cheveux colorés.
ll essayait d'avoir 20 ans, mais Je lui en donnais 38.
Quand J'ai eu un contact plus intime avec lui,
J'ai compris qu'il avait 60 ans.
Je dis comme la Grande Catherine : quand on a eu des milliers d'hommes,
on sait qu'il y a peu de différence d'un homme à l'autre.
Que voulez-vous ?
Vous avez rendez-vous ?
Nelly, viens.
Mais c'est Mlle Johnsson.
Bienvenue.
Quelle bonne surprise !
Nelly va être contente.
- Je ne dérange pas ? - Non, au contraire.
J'ai eu envie de venir, alors Je suis venue.
Vous avez bien fait.
Nelly n'est pas encore rentrée, mais elle ne va pas tarder.
Elle sera ravie de vous voir.
Vous voulez voir comment elle vit ?
Oui, avec plaisir.
Je vous en prie.
Apparemment, Nelly se plaît ici. Elle sort souvent.
Elle a beaucoup d'amis de son âge et tout le monde l'aime.
J'en suis ravie.
Elle vous a écrit ?
Je lui dis souvent de vous écrire.
Merci beaucoup.
ll ne lui reste peut-être pas beaucoup de temps pour ça.
Elle habite ici. Qu'en pensez-vous ?
C'est très bien.
Voilà sa penderie.
Je lui ai fait coudre des robes. Regardez.
Une vraie robe de princesse... C'est de la vraie soie.
Une vraie robe de princesse...
Regardez ses petites chaussures. Elle a de tout petits pieds.
Elle a eu de nouveaux sous-vêtements.
C'est agréable de lui donner de Jolies choses.
Ca lui va très bien et en plus, ça la rend heureuse.
On va s'asseoir ?
Regardez, son Journal intime.
Vous le lisez ?
Non, Je le feuillette seulement, Mlle Johnsson.
Elle écrit des choses très drôles.
Ecoutez ça, par exemple...
''Ce matin, J'étais là quand maman s'habillait.
''Elle était si Jeune, nue devant le miroir.
''Sa peau est plus fine que la mienne qui est plus grise.''
Charmant, non ?
Merci, Je ne veux pas en entendre davantage.
Ah bon, d'accord. On ne lit plus.
Je l'ai vue écrire pendant 8 ans, mais Je n'ai Jamais lu une phrase.
Ca, c'est vous, Mlle Johnsson. Vous êtes tellement moraliste.
Comment allez-vous ? Vous êtes très pâle.
Merci, ça va.
Pas de nouvelles de chez vous ?
Si, J'ai acheté un géranium.
Je suis si heureuse !
Ma chère petite...
Tu m'as beaucoup manqué.
Tu es devenue plus âgée et plus Jolie. Très Jolie.
Tu me troubles.
Tu as une nouvelle coiffure.
Chez nous, tu avais à peine une coiffure.
J'ai senti que tu allais venir.
Tu es partie ce matin ?
Tante Jessie t'a accompagnée à la gare ? Elle va bien ?
Elle a encore la même couleur de cheveux ?
ll ne se passe rien, là-bas.
Nous sommes les mêmes qu'il y a 20 ans.
C'est à toi de raconter.
J'ai un travail très amusant, c'est vrai.
Je vois tout le temps des gens très drôles.
Des gens étranges aussi. Certains sont si bizarres que...
Tu sais, Mutti...
Jenny est très gentille.
Elle me donne un peu de tout. Elle me dorlote.
Elle a dû être très seule
avant que le salon de beauté ne marche bien.
Tu as vu Ulf ?
Non. ll est ici en ville ?
Je ne le savais pas. Pauvre Uffe !
Oui, il a déménagé quand tu es partie.
Vraiment ? C'est dommage pour toi.
Je veux dire, à qui loues-tu maintenant ?
La chambre attend son retour, un Jour.
Mutti...
Qu'y a-t-il, Nelly ?
Que veux-tu dire tout le temps et que tu ne sais pas exprimer ?
Ce qu'il y a ? Rien.
Qu'est-ce qu'il y aurait ?
Tu ne vois pas que Je vais bien ? Que tout va bien ?
Tu ne dis pas la vérité, Nelly.
Dis-moi ce qu'il y a. ll faut me le dire.
Non, ma petite Mutti. ll n'y a rien du tout.
Le dîner est prêt.
Où est Jack ?
ll n'est Jamais à l'heure.
C'est le fils de mon demi-frère.
ll est comédien, d'ailleurs.
Ca fait un bail qu'il n'a pas eu d'engagement.
- ll devait faire de la radio. - C'est possible.
ll aura un grand rôle dans un film.
- ll a fait cette radio ? - Ca a été aJourné.
Bon, J'espère qu'il aura ce rôle au cinéma.
- ll l'a peut-être inventé. - Pourquoi tu dis ça ?
Tu as dit qu'il était un des acteurs les plus talentueux.
Tu es sûre que ce n'est pas lui qui a dit ça ?
Ce n'est pas gentil de parler ainsi de Jack devant Mutti.
Mais Nelly, tu t'énerves... J'ai l'impression que tu rougis.
Jack est gentil, mais sa fantaisie est un peu grotesque.
ll est artiste, tu ne sais pas ce que c'est.
Avec ce rôle dans un film, il pourrait payer un peu.
C'est étrange.
Avant, quand il voulait payer, tu refusais touJours.
Oui, parce qu'il ne pouvait pas payer.
Et qu'il mentait. De la fantaisie artistique, si tu veux.
On se lève ?
Je vous remercie.
ll est temps d'aller à la gare.
Dommage, Je ne peux pas t'accompagner.
Tu reviens bientôt ?
Pas tout de suite.
Merci, Je me débrouillerai seule.
Alors, c'est moi qui viendrai te voir.
Mutti...
Tu seras touJours la bienvenue. Tu le sais.
Nelly...
Excusez-moi, vous n'êtes pas tante lngeborg ?
Si.
Je suis Jack.
J'habite chez Jenny
de temps en temps. Vous leur avez rendu visite ?
Oui, mais Je dois rentrer par le train de nuit.
Puis-Je vous accompagner à la gare ?
Non, ne vous dérangez pas.
Ca ne me dérange pas. Allons-y.
Voilà votre petit billet.
Le billet pour le wagon-lit et des bonbons.
Et un Journal, s'il vous plaît.
Merci beaucoup pour votre aide.
Je vous en prie.
Allez-y, n'attendez plus ici.
Si, si, c'est un plaisir.
Vous ne voulez pas allez danser avec Nelly ?
Ce n'est pas ça.
Alors ?
Vous n'êtes pas indiscrète si vous me le demandez.
Demander quoi ?
Si Jenny sort danser ce soir aussi ?
Et Je réponds : ''Non, elle ne sortira pas danser.''
Tout était si compliqué. Un vrai méli-mélo !
Jusqu'à ce que Je rencontre votre fille.
Je dis ''votre'',
parce qu'elle est la vôtre, même si Jenny l'a mise au monde.
Mais depuis cette rencontre,
Je ne suis plus un être de clair de lune
dans une vie de clair de lune.
- Vous comprenez ? - Non, pas vraiment.
Ce n'est pas si facile à comprendre.
Je veux dire...
Que vous êtes amoureux de Nelly ?
Non.
Ce n'est pas ça.
Ce n'est pas ça.
Je ne peux être amoureux de personne, Je n'aime que moi.
Mais Nelly est réelle, si vous comprenez ce que Je veux dire.
Oui, Je comprends.
Elle est tellement réelle que Je deviens encore plus irréel.
Je me demande pourquoi Je continue à vivre cette vie de fantôme.
Je crois comprendre.
J'aurais besoin d'elle comme d'une ancre dans la réalité.
Donc, dans mon intérêt.
C'est pour ainsi dire par pur égoIsme.
Ca se paie.
Oui.
Si on ne veut que prendre et ne rien donner,
on aura une surtaxe à payer.
Je peux avoir une cigarette ? Je suis un peu choquée.
Avec plaisir. Voilà.
Je vous admire, vous savez.
Moi ?
Vous n'avez que donné, sans penser à être remboursée.
Moi ?
Nelly parle touJours de vous. Elle vous aime.
Un Jour, elle reviendra.
Elle vous remboursera ce que vous avez donné.
Jenny et moi, nous paierons.
Jenny vit grâce à moi.
Et moi, grâce à Nelly.
C'est infernal.
Mais nous sommes contents d'avoir pu l'emprunter.
Je vais vous dire autre chose.
Ce soir, J'enlèverai ce costume rayé.
J'en ferai un paquet et Je l'enverrai à Jenny.
Vous vous demandez ce que Je ferai après ?
Je mettrai mes vieilles affaires
et Je partirai loin de Jenny et du reste.
J'habiterai sous un escalier.
La lune y brillera.
J'y contemplerai un pré et un fleuve
et deux usines de phosphate.
Mieux vaut y aller maintenant, pour ne pas rater le train.
Merci de m'avoir tenu compagnie.
De rien.
Prenez soin de la petite. Elle a confiance en vous.
Je ne sais pas si elle est amoureuse de vous.
Je suis si inquiète.
Je sens qu'il va se passer quelque chose, mais J'ignore quoi.
Les voyageurs du train de nuit vers le Nord,
en voiture. Fermez les portes, s'il vous plaît.
J'ai dû m'endormir.
Je suis fatiguée.
Je suis allée voir les petits-enfants.
Je ne suis pas ta vraie mère.
Mes camarades me l'ont déJà dit, il y a longtemps.
C'est vrai ?
Je n'ai pas voulu te le dire, pour ne pas te blesser.
C'est vrai ?
Tu te rappelles sa confirmation ?
J'avais vendu plein de livres pour l'habiller.
Nous l'avons touJours aimée.
Je n'aime que moi.
J'aurais besoin d'elle comme d'une ancre dans la réalité.
Donc, dans mon intérêt.
C'est dans votre intérêt et non le sien
que vous voulez la garder ?
Mon Dieu, pourquoi ça m'arrive à moi ?
Je croyais que Je l'aimais dans son intérêt.
C'est pour ça que J'ai existé.
Mon Dieu, chasse ces pensées.
Je ne veux pas les avoir. Je ne le supporte plus.
Aidez-moi ! Je ne veux pas être morte.
Je ne veux pas mourir. Aidez-moi !
Je ne veux pas ! Aidez-moi !
Calmez-vous. Ce n'était qu'un rêve.
Vous avez dû manger quelque chose de pas frais.
Je rêve touJours qu'un grand Noir me mord les orteils,
quand J'ai mangé quelque chose de pas frais.
Qu'est-ce que ça veut dire ?
Buvez ça.
Prenez-en encore.
Laissez la lumière allumée, vous dormirez mieux.
BonJour, Uffe.
Sois le bienvenu.
Tu as écrit que la chambre était libre.
Tu restes ?
Oui, Je crois.
La grande ville t'a plu ?
Pas tellement.
Puisque Nelly me manquait là-bas aussi,
mieux vaut l'attendre ici.
Nelly t'a écrit ?
Non. Si, une carte postale.
Tu y es allée ?
Oui.
Elle allait bien ?
Je ne sais pas. Je ne crois pas que ça aille si bien que ça.
- Peut-on faire quelque chose ? - Non.
Comment ?
Chacun doit traverser seul une période comme ça.
Et personne d'autre ne peut l'aider.
Mais après ?
Après ?
Après, c'est bien que nous existions.
Salut !
Sois gentil, ne fume pas ici. Jenny n'aime pas ça.
Quel endroit formidable.
Comment ?
Avec toutes ces têtes coupées.
C'est quoi, cette musique ?
Ca vient du théâtre d'à côté. Tu le sais bien.
Je voudrais être ici la Journée, quand il y a plein de femmes.
Je les fixerais et Je leur demanderais : ''Raconte-moi tout.''
Demande à Jenny.
Ne me parle pas de Jenny.
Qu'est-ce qu'il y a ? Tu n'es pas le même.
Je t'ai demandé de ne pas fumer.
En effet, en effet.
Je ne suis pas le même ?
Et toi, Nelly ? Tu es différente toi aussi, il me semble.
Jack, tu n'es pas heureux. Qu'est-ce qui t'arrive ?
ll s'est passé quelque chose ? Avec Jenny ?
J'en aime une autre.
Pourquoi tu ne la quittes pas ?
J'ai essayé pendant plusieurs Jours.
Je n'ai pas le courage, Je ne peux pas.
Pourquoi ?
Ne pose pas de questions ou Je m'en vais.
Ne me touche pas !
Je continuerai à prendre mes distances avec toi.
Pourquoi faire une scène ?
Nous ne nous aimons pas.
Je ne sais pas, Nelly.
Tu as tout changé pour moi. C'est ta propre faute.
Pauvre Jack.
Je me suis dit si souvent :
''Ca ne va plus. Je ne peux plus sourire un Jour de plus.
''Maintenant, Je me tue.''
Mais ce n'est que du théâtre.
C'est vrai que Je me promène touJours
avec un revolver sur moi.
Mais Je ne sais pas si c'est pour m'impressionner
ou pour faire peur à une Jeune fille comme toi.
Suis-Je sérieux ou pas ?
Je ne sais vraiment plus.
Pauvre Jack.
C'est ça. C'est ça.
Sauf que Je ne suis pas du tout à plaindre.
On a ce qu'on désire dans ce monde.
Mais tout a un prix.
ll n'empêche que ta compassion sonne comme une belle musique.
Si seulement Je pouvais t'aider...
Tu peux m'aider, Nelly.
Comment ?
Tu me prendras par la main,
tu me conduiras au commissariat et tu diras :
''Ce garçon veut avouer qu'il a commis un meurtre.''
L'agent de police se lèvera et dira :
''Un meurtre ?''
''En effet'', diras-tu.
''ll a tué une fille avec laquelle il vivait.
''Elle attendait un enfant,
''et il a ouvert le robinet du gaz.
''ll a tout arrangé pour qu'on croie à un accident.''
C'était très malin. Très.
Tu n'as pas de remords ?
Je n'y pouvais rien, Nelly.
Je t'accompagnerai au commissariat. Je te le promets.
Demain ?
Oui, demain.
Tu es gentille avec moi, Nelly.
Non.
Je peux t'embrasser ?
Tu as peur ?
Je t'aime, Nelly.
Ne dis pas ça, Jack. Tu n'es pas sérieux.
Si, Je t'aime.
Tu as vu !
Habille-toi, Nelly. Attends, Je vais t'aider.
N'aie pas peur de moi, ma petite.
Je ne suis pas dangereuse. Je ne veux que t'aider.
Calme-toi et tout s'arrangera.
Ca dure depuis quand ?
Ne réponds pas.
Va-t'en !
Non, Je reste.
Alors, reste.
Excuse-moi, Nelly.
Tu te sens bien ? Tu te sens mieux, maintenant ?
ll ne faut pas croire tout ce que dit Jack.
J'ai été idiote de croire qu'il pouvait rester à la maison.
ll est malade.
Ne l'écoute pas, Nelly !
ll t'a raconté qu'il a tué une fille.
ll vivait avec elle et elle avait deux enfants.
ll les a tués au gaz tous les trois en maquillant ça en accident.
ll t'a demandé d'aller au commissariat avec lui,
demain, pour avouer son crime.
ll t'a montré son revolver et a dit
qu'il voulait en finir avec sa vie de clair de lune ?
Jenny, ça suffit.
ll t'a peut-être dit que tu étais son ancre dans la réalité
et qu'il lui fallait mourir ou aller à la police.
Tu l'as déJà entendu ?
A combien de gens il l'a dit, tu crois ?
A combien a-t-il parlé de ses fantaisies de clair de lune ?
Jusqu'à ce que Je m'occupe de lui et que Je le fasse soigner.
Tu ne dis pas la vérité, Jenny.
Tu m'as acheté pour être ton amant
car tu vieillissais et personne ne voulait de toi.
Tu avais peur d'être seule et tu croyais y échapper avec moi.
Et pour exactement la même raison, tu as repris Nelly.
Mais maintenant, c'est fini. Toutes ces cachotteries sont finies.
Tu n'as Jamais valu quoi que ce soit.
Je t'ai gardé ici par pure charité.
J'aurais pu te chasser n'importe quand.
Comme tu aurais fait avec Nelly
si elle ne s'était pas pliée à tes caprices.
- Je m'en vais. - Vraiment, tu t'en vas ?
Oui. Adieu.
Je présume que tu vas te flinguer.
Tu as ton petit revolver ?
ll est chargé avec de la poudre fulminante ?
Tu sais où se trouve ta tête ? Ne tire pas sur quelqu'un d'autre.
Tu as raison, ma petite Jenny.
Je ne me flinguerai pas.
Les gens comme moi ne se suicident pas.
C'est contraire à leur style.
Adieu, Nelly.
Adieu, Jenny.
Je vous remercie.
Si Je pouvais tout te rembourser, Je ne le ferais quand même pas.
Parce que des femmes bêtes comme toi
n'ont qu'à s'en prendre à elles-mêmes.
Est-ce qu'il va se faire du mal ?
Non, petit idiote.
Je vais m'en aller aussi.
Bien sûr, va-t'en.
Et laisse-moi toute seule ici.
Je suis endurcie, crois-moi.
J'ai été seule avant, et Je m'en sors bien.
Peut-être mieux.
Mais quand J'ai vu lngeborg vieillie, moche et usée,
Je me suis dit que J'avais le même âge qu'elle.
Ca ne se voit pas.
Mais sous ce visage !
Oh, mon Dieu !
Je suis de celles qu'on quitte.
Je ne comprends pas pourquoi. Je n'ai Jamais compris.
Ton père m'a quittée. C'était le pire car Je l'aimais.
Après, tous m'ont quittée. Tous. Maintenant, toi et Jack.
Pourquoi tu ne pars pas ?
Va reJoindre Jack.
Je peux te dire que quelque part,
au fond de lui, c'est un gentil petit garçon.
ll ne m'aimait pas, même si moi, Je l'aimais.
Tu as de l'argent pour rentrer ?
Rentrer, oui !
Rentrer, oui !
On tire quelque part.
On tire ?
J'ai entendu deux coups.
Jack ! Jack !
Lâchez-moi, lâchez-moi ! Laissez-moi !
ll était en train de lire l'affiche du théâtre.
Tout à coup, il a sorti un revolver
et s'est tiré une balle en plein visage.
C'était horrible.
C'est moi qui ai mis le Journal sur sa tête.
Ca fait du bien d'être de retour.
Mais pourquoi tu es parti ?
C'est comme si J'avais perdu la tête.
C'est devenu silencieux, ici.
Oui, c'est vrai.
Oh, quelle idylle !
Je n'ose pas déranger.
Je t'en prie, on a l'habitude, ne te gêne pas.
Ulf a aidé à mettre bas un veau et là, on prend le thé.
Tu en veux ?
C'est une bonne idée.
Amusez-vous bien.
ll a vraiment du charme, ce garçon.
Si tu trouves, il faut lui faire la cour.
ll a besoin de quelqu'un qui s'occupe de lui.
Une vieille femme pondérée comme toi.
lngeborg !
- As-tu des nouvelles de Nelly ? - Oui, merci.
- Elle va bien ? - Oui, ça va.
Qu'est-ce qu'elle t'écrit ?
Rien qui puisse t'intéresser.
lngeborg...
ll y a une chose à laquelle J'ai énormément réfléchi.
Ah bon.
Est-ce qu'il va y avoir quelque chose entre Nelly et Ulf ?
ll est si amoureux d'elle.
Ecoute, Jessie.
Nelly se porte bien.
Elle est heureuse. Elle ne veut pas revenir ici.
Je ne sais rien de ses sentiments envers Ulf.
Ton retour d'auJourd'hui avait été fixé avant, Nelly ?
J'apprécierais beaucoup que tu montes chez toi, Jessie.
Je descendrai plus ***.
Je ne suis pas malade.
Je te débarrasse de ton manteau.
Tu arrives à temps pour le thé.
Quelle surprise !
Rien n'a changé, ici à la maison.
Tout est à sa place.
La table, le fauteuil...
Uffe est encore là ?
Oui. ll a voyagé un peu, mais il est revenu.
Je peux aller le voir ?
Bien sûr.
En attendant, Je prépare quelque chose à manger.
Je n'ai pas faim.
Bien sûr.
Mais quand ça sera sur la table, tu retrouveras l'appé***.
Tu es rentrée ?
Oui. J'ai eu tout à coup des vacances.
Tu as changé.
Mais pour moi, tu es restée la même.
- Ulf, ne dis plus rien ! - Je le dois.
J'ai tant de choses à te dire.
Ulf...
ll est possible que tu aies vécu des choses.
Mais tu es rentrée définitivement, Je le vois.
Je t'attends depuis ton enfance. J'ai attendu ton retour aussi.
Uffe, on s'aime bien, c'est tout.
Je ne veux pas seulement être ton ami.
Tu ne comprends pas ?
Je suis à peine rentrée que tu me fais déJà la cour.
Mais Je ne suis plus la même.
Je suis une autre Nelly.
Prends-moi si tu oses. Tu m'aimes, tu m'as touJours aimée.
Tu n'oses pas ?
Nelly, tu ne vas pas bien.
Je ne suis pas moi-même, J'ai fait un long voyage.
Tu as eu un peu peur, n'est-ce pas ?
Non, Je n'ai pas peur de toi.
J'ai seulement peur de ce que tu as vécu.
Pourquoi tu ne m'as pas prise, l'autre Jour ?
Pourquoi tu m'as laissée partir ?
C'était ma faute ?
Non.
Je n'étais que quelqu'un de familier pour toi.
Je sais, J'ai été bête avec toi.
Nelly !
Laisse-moi.
ll y a quelqu'un d'autre ?
Comme tu es naIf...
Pourquoi poser tant de questions ? Tu ne comprends donc rien ?
Excuse-moi. Je ne veux pas te faire de peine.
Alors...
Je vais faire une promenade.
Tu m'as énormément manqué.
Tu permets que Je te le dise, quand même ?
Tout était si horrible.
Elle sait que tu es là ?
Je l'ai dit à la domestique.
Donc, on peut défaire ta valise.
Comment dois-Je surmonter tout ça ?
Je vois deux choses très clairement.
Le visage de tante au-dessus du mannequin
et Jack dans la rue, avec le Journal sur le visage.
Coup sur coup.
Qu'est-ce qu'il faut que Je fasse ?
Tu te rappelles avant, quand nous n'avions pas d'argent ?
Qu'est-ce que Je te disais ?
Demain nous apportera peut-être le bonheur.
ll faut qu'on vive, ma petite.
ll ne faut pas perdre la tête quand tout est difficile ou sombre.
Et Uffe ?
Tu l'as presque fait mourir de peur.
Oui, c'est possible.
Prenons le thé, maintenant.
Je dois d'ailleurs aller à la chapelle, tout à l'heure.
Je Jouerai avec ferveur.
Ma petite Mutti...
lngeborg !
Tu te promènes en ce Joli soir d'automne ?
J'ai des choses à régler.
Et Nelly est de retour.
De retour, comme ce prêt.
Comment te sens-tu ?
Bien. Je n'ai plus peur.
C'est un Joli raccourci, ici.
- A plus ***. - Oui, à plus ***.
Nous pouvons laisser Mlle lngeborg Johnsson ici,
dans le soleil.
Elle regarde deux jeunes gens
qui descendent la rue.
Un peu éloignés l'un de l'autre,
mais quand même ensemble.
Nelly et Ulf.
Le silence du samedi soir se referme
avec des mains soucieuses autour du bourg
qui est si petit...