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DE LA VIE DES MARIONNETTES
Prologue
Je suis fatigué.
Tu devrais dormir, maintenant.
Vingt heures après le crime,
Mogens Jenser, Pr en psychiatrie,
parle au chargé d'enquête.
Il était environ 5 heures.
Je venais de me lever, et j'allais sortir
pour aller chercher le journal.
Je suis un lève-tôt. Le téléphone a sonné.
Je me souviens de m'en être voulu d'avoir oublié
de le débrancher pour la nuit.
Il n'est pas rare
que des patients appellent à n'importe quelle heure.
J'ai laissé sonner, mais j'ai fini par décrocher
pour ne pas réveiller ma femme, qui dort à côté.
C'était Peter Egermann.
Il était très calme.
La voix posée.
Il me priait de me rendre à une certaine adresse.
Là, je devais pousser une porte, traverser la cour
et trouver une porte métallique à gauche de l'escalier.
Il disait qu'il avait une clé et m'ouvrirait.
Vingt minutes après, j'y étais.
Il devait être un peu plus de 5h et demie.
J'ai ouvert cette porte, et j'ai descendu l'escalier de la cave.
Tout était illuminé.
Branchée à fond, une cassette beuglait.
Sur la scène, la fille était étendue, à plat ventre.
Recouverte d'un dessus de lit à brocart.
Jambes écartées,
le visage ensanglanté, tuméfié, altéré.
Pour plus de détails,
je vous renvoie au rapport d'autopsie.
Peter Egermann m'expliqua qu'il l'avait tuée
et ensuite, avait eu des rapports anaux avec la morte.
Très honnêtement, ça m'a profondément choqué.
Je connais Peter Egermann depuis vingt ans.
Un garçon sympathique, brillant, d'une grande droiture,
très aimé, que je sache.
Heureusement marié à une femme de tête très dynamique.
Beaucoup de relations.
Une vie aisée, sans plus.
Une mère charmante.
Cordelia Egermann, la comédienne.
Père décédé, il y a quelque temps.
Famille fortunée. Le frère de Peter est ambassadeur.
Sa soeur a épousé un industriel très en vue.
Pas de terrain dépressif héréditaire?
Selon moi, non.
Peter et Katarina vous ont-ils jamais consulté?
Pour des riens, qu'un *** ou qu'un Mogadon arrangeait.
Quatorze jours avant la catastrophe,
Peter Egermann rend visite au Pr Jensen
à son cabinet.
Ces derniers temps, trop de sorties le soir, trop d'alcool.
Et puis, n'est-ce pas...
les jours passent.
Enfin!
Trêve de périphrase, je vais te dire ce que j'ai sur le coeur.
Nous avons tous en nous un malaise. Tu ne crois pas?
Le mien, je crois, est assez particulier.
C'est pourquoi je suis venu.
Tu trouves que je parle beaucoup.
C'est vrai.
J'hésite peut-être à te raconter ce qui me perturbe.
Tant que je ne le formule pas, mon malaise reste un rêve, irréel.
Quand je l'aurai formulé,
il se sera... matérialisé.
Je suis effrayé à l'idée de vouloir tuer.
De vouloir tuer quelqu'un.
Je suis effrayé.
Je veux tuer ma femme.
Je veux la tuer.
Depuis deux ans, je vis avec la pensée que je tuerai Katarina.
Elle m'a trompé, et je l'ai trompée. Cela n'a rien à voir.
Au lit, nous deux, c'est formidable!
Vraiment fantastique.
Nous faisons l'amour, comment dirais-je,
sans sentiments.
Sans penser à ce que nous ressentons l'un pour l'autre.
Je n'ai pas l'habitude de décrire les imbroglios de l'âme,
mais il me semble que ça, tu l'as déjà compris.
Nous aimons notre plaisir.
Ou chacun aime le plaisir de l'autre, je ne sais pas.
Le mieux, c'était
quand on s'était trompés.
Je dis "trompés", mais à tort.
Ce mot a une connotation morale négative. Et nous avons jamais...
"Liberté sexuelle mutuelle", comme on dit.
Oui.
Je parle.
Tu vois comme je suis démuni.
Les médecins de l'âme s'intéressent aux rêves.
Les miens sont banals,
insignifiants, fades.
Je veux que tu me dises que mon idée fixe de la mort de Katarina
est un problème hormonal.
Je veux peut-être que tu m'hypnotises!
Ce serait une solution.
- Tu ne dis rien. - Pourquoi tu es venu?
Tu ne crois pas à tes propres souffrances.
Peter, mon ami, les hommes comme toi
ne croient pas à l'existence de l'âme.
Je ne comprends pas ta visite.
- Tu es furieux? - Bien sûr.
Tu as pour ton angoisse
si peu de respect.
Prescris-moi quand même
un tranquillisant.
Fais une bonne promenade.
C'est un excellent remède contre la déprime et les idées noires.
Bois un café bien serré, du cognac. Tu te sentiras
un autre homme.
Merci, tu m'as été d'un grand secours!
Au revoir.
Je ne veux pas...
Assieds-toi.
J'ai pourtant lutté.
Si souvent, on dit qu'on hait.
Ou qu'on voudrait voir l'autre mort.
On se bat.
On s'humilie, on se provoque, on se menace.
On se crache dessus, on s'empoigne,
on lutte, on crie.
Après, un peu de sang coule.
L'un triomphe, l'autre est anéanti
et demande pardon devant la porte de la salle de bains.
Ça manque désespérément de risques.
Atrocement.
C'est comme dans une pièce
où les répliques, les temps, les éclats sont répétés.
Les sorties sont réglées.
L'absence de public est regrettable
mais c'est un inconvénient auquel on peut remédier.
- Tout ça... - Tout ça n'est rien.
Ça fait partie de l'ordinaire de notre vie.
Je crois...
Non, ce n'est pas vrai non plus.
Pas vrai?
Ne traîne-t-il pas cette idée idiote qu'il y a de pauvres fous
qui aiment les coups et les humiliations qu'ils s'infligent?
Que c'est une forme de contact particulièrement recherchée?
Un coup sur le nez. Hourra! Le courant passe.
Divorcer, peut-être...
Comment tu la tues?
Dans l'appartement, calme total.
Le soleil inonde la pièce.
Nous sommes livrés à nous-mêmes depuis quelques jours,
peut-être plus.
Il n'y a pas eu de dispute.
Tout est calme.
Peut-être est-il tôt. Les rues sont calmes et vides.
J'éprouve un sentiment de paix.
Tout s'est un peu éloigné.
Je veux dire: le travail,
le quotidien, les voix, les rendez-vous d'affaires.
Aucune agitation, aucune angoisse.
Je la vois bouger à la salle de bains
dans la lumière crue et presque irréelle du soleil.
Elle peigne ses cheveux.
J'ai toujours aimé regarder ma femme.
Même aux moments où on se haïssait,
même répugnante, ivre, malade... méchante.
J'ai toujours eu plaisir à sentir ses mouvements,
son parfum, sa présence.
Elle s'est placée devant la grande glace.
Dans laquelle elle me voit.
Mais elle est ailleurs. Elle a du mal à respirer.
Je suis derrière elle, en biais,
le rasoir ouvert dans ma main droite.
Elle n'a pas cessé de me regarder
mais ce n'est que maintenant qu'elle me voit.
Et sur ses lèvres se forme un imperceptible sourire.
Je sens son contact léger,
sur son cou bat un petit pouls.
Tu ne t'es jamais dit qu'un homme,
c'est aussi une ahurissante masse de sang?
Si tu tranches la carotide, le sang gicle sur les murs,
et toi, des pieds à la tête, tu es inondé.
Ça sent fort, et c'est gluant.
Et puis, ta victime ne meurt pas tout de suite.
Il faut plusieurs minutes avant qu'elle perde connaissance.
Vous avez le temps de penser, tous les deux.
Peut-être que tu regrettes?
Que ça ne s'est pas passé comme tu le pensais,
que tu n'as pas vécu ton expérience extraordinaire, supranaturelle?
Sans compter que Katarina est étendue par terre
avec, au cou, une plaie béante d'où s'échappent des jets de sang.
- Sarcastique, hein? - Non.
Si tu veux, je te ferai entrer dans ma clinique.
On te fera toutes sortes de piqûres.
Tu n'en auras rien à foutre
d'être Peter Egermann ou l'empereur de Chine.
Ne t'en fais pas, on est imbattable pour abolir l'identité des gens.
Plus de moi, plus d'angoisse.
Fantastique, non?
J'ai lu que la médecine de pointe de l'âme est d'une exquise dureté.
Quoi qu'il en soit, je te prends au sérieux.
Je te dérange.
Un peu. En fait, j'ai une consultation.
- Alors, je m'en vais. - Reviens jeudi, à quatre heures.
On pourra parler quelques heures. Je n'aurai pas de malades à voir.
- Tu es gentil. - N'est-ce pas?
- Je dis à Katarina que...? - Allez, au revoir
et courage.
Au revoir.
Toi, porte-toi bien.
Pourquoi tu dis ça?
Ta consultation...
Tu connais le chemin?
Bien sûr.
Mme Egermann? Est-elle là?
C'est important. Très.
Professeur Jensen.
J'attends.
Je viens de voir Peter.
Non, il est parti à l'instant.
Peux-tu venir?
Je laisse la porte ouverte.
Excuse-moi, j'arrive un peu ***.
J'ai dû me garer loin, pour qu'on ne...
J'ai couru. Il fait un froid de canard!
Ça va?
Tu as l'air en pleine forme.
Tu n'as rien de buvable?
Alors, ta collection?
Ça s'annonce bien. Tu viendras?
*** ira. Moi, je ne peux pas. Une conférence à préparer.
Je reste chez moi pour faire mes devoirs!
- Après, tu pars en Tunisie. - Vendredi.
- Combien de temps? - Six semaines.
Seul?
Bien sûr!
Fameux, ton vin.
Et ta femme?
Depuis 7 ans, on fait vacances à part.
Ça, je sais!
Viens avec moi.
- En Tunisie? - Pourquoi pas?
Et Peter?
Il trouvera peut-être ça pratique!
Toi qui es si futé, n'as-tu pas compris que j'aime mon mari?
- Tu ne l'as jamais...? - Souvent.
Trop souvent. Mais ça n'a rien à voir.
Je n'y comprends rien.
Ce n'est pas la peine.
Tu piques ma curiosité.
Je te trouve attirant.
Je crois même qu'on pourrait se faire une bonne petite baise.
Mais de là à voyager ensemble...
Et là, maintenant?
Je ne suis pas venue pour coucher avec toi, mais pour parler de Peter.
D'ailleurs, j'ai mes règles.
Deux minables échappatoires!
De toute façon, on ne peut pas... là.
Non. Pas ici.
Qu'est-ce que tu proposes?
Là.
Ce n'est pas la première fois, hein?
Secret professionnel!
Où est la salle de bains?
Je regrette, mais je ne peux pas.
Je suis sûre que ce serait bon mais je ne peux pas.
C'est Peter?
Oui, c'est Peter.
Touchant.
Pourquoi cette ironie?
Ça n'en était pas. Parole d'honneur.
Peter voulait me parler.
Il se prétend torturé par une obsession.
Une obsession?
Une idée fixe.
C'est sérieux?
Beaucoup de gens exagèrent leurs maux.
Ils ont peur, et cette peur est pire que l'obsession en elle-même.
C'est quoi, ses obsessions?
Phantasmes morbides, suicidaires. Meurtre,
actes de violence, violence.
Je ne sais pas encore.
Jeudi, on commencera à tirer ça au clair.
- Risque-t-il de...? - Je ne crois pas qu'on en soit là.
Qu'est-ce que je peux faire?
Partir en voyage, peut-être.
En pleine saison! Quelle idée saugrenue!
Pourquoi partir? Si Peter est malade, quelqu'un doit s'en occuper.
Il y a un risque, léger, mais tout de même, que ce soit à toi
qu'il arrive quelque chose.
Que veux-tu dire?
- Est-ce que Peter... - Oui.
A-t-il dit que...
A mots couverts.
Ça me paraît absurde.
Tu ne peux pas partir?
Absolument pas. Tu dois bien comprendre ça.
Pouvez-vous inviter quelqu'un chez vous?
Peter ne le supporterait pas.
Vous avez deux neveux, non?
Un gamin de deux ans et un de huit? C'est impossible.
- Que Peter parte, lui. - Il a trop à faire.
Il mène actuellement des négociations très délicates.
Je vais lui donner un congé maladie.
Complètement irréaliste!
En tout cas, je ne vois rien de mieux à faire.
Je me demande si tu ne t'inquiètes pas plus
que tu veux bien le dire.
Ma raison me dit que les risques sont minimes.
Justement, soyons raisonnables!
Je ne sais pas.
Mon intuition me dit qu'il y a de quoi s'inquiéter.
Et ton intuition a toujours raison?
Je crois, oui.
Moi aussi, j'ai une intuition.
Qui te dit quoi?
Elle me dit que consciemment, ou inconsciemment,
tu essaies de traquer notre relation à Peter et à moi.
Pour quelle raison?
Je ne sais pas.
Tu es peut-être de cette race-là.
Ça alors, j'en suis soufflé!
J'ai toujours eu un peu peur de toi.
Pas uniquement peur?
Peter fait partie de moi.
Tu ne le comprends pas?
Je l'emmène avec moi, où que j'aille.
Je l'ai en moi.
Je n'ai jamais éprouvé ça pour personne.
Encore, si on avait eu des enfants...
Mais là, chacun de nous est l'enfant de l'autre.
Non, c'est faux.
Ni l'un ni l'autre ne veut être sensé, majeur.
Alors, on se dispute, on se bat, on pleure.
Ni l'un ni l'autre ne veut être adulte.
Mais nous avons la même circulation,
le même influx parcourt nos nerfs à un point inquiétant.
Est-ce que tu comprends?
Si Peter se sent mal, moi, c'est pareil.
J'ai envie de courir à la maison, de retenir Peter et lui dire:
Ça y est.
Maintenant, je comprends tout ce que tu dis,
tout ce que tu penses,
tout ce que tu sens.
Je veux le retenir jusqu'à ce qu'il me découvre.
Enfin, comment peut-on ne pas voir
alors qu'on est si proches et qu'on sait tout l'un de l'autre!
Une semaine après le meurtre,
le chargé d'enquête a un entretien
avec la mère de Peter Egermann.
Je ne sais pas quoi dire.
Que voulez vous savoir?
Tout ce que vous me direz sera bienvenu.
Peter, nous l'avons désiré,
c'était une telle joie.
Il a eu une enfance heureuse, peut-être un peu trop protégée,
je ne sais pas.
C'était un anxieux.
Il avait peur dans le noir.
Il lui fallait toujours de la lumière dans sa chambre.
Il avait peur de tout!
Des chiens, des chevaux, des gros oiseaux.
Ses frères et soeurs étaient plus solides.
Lui, il me ressemblait.
Enfant, j'étais, moi aussi, très sensible,
un peu souffreteuse.
J'avais de l'asthme, des crises d'allergie.
Je me souviens, il se rongeait les ongles.
C'était pas bien joli à voir.
Il était tout le temps avec sa soeur cadette.
Ils jouaient à la poupée
ou aux marionnettes.
A l'école, il avait beaucoup de facilités
et avait toujours les meilleures notes.
C'était de loin le plus doué des enfants.
A vingt ans, il a connu une jeune fille, charmante.
Ils devaient se marier une fois leurs études terminées.
Et puis, Peter a rencontré Katarina
dont il est tombé follement amoureux.
Elle a eu une grande influence sur lui.
C'était elle qui décidait.
Ce que les parents de Peter disaient,
ou pensaient,
n'avait pas la moindre importance.
C'est peut-être normal.
Je n'en sais rien.
Je n'y comprends rien.
D'ailleurs, comment est-ce que je pourrais?
Avant mon mariage, j'étais comédienne.
Après, je me suis consacrée à mes enfants.
Mon mari n'a jamais voulu que je retravaille
et je ne l'ai jamais regretté.
J'ai eu une vie pleine,
une vie heureuse.
Il y a quelques jours, Peter est passé
en coup de vent.
Il avait reçu la liste des réparations
à faire d'urgence dans ma maison.
Nous l'avons étudiée
et il devait contacter l'architecte et l'entrepreneur.
C'est une vieille bâtisse délabrée et...
le parc est à l'abandon, lui aussi.
Dans une aile, le toit est en si piteux état
que l'humidité envahit la maison, à la fonte des neiges.
Nous avons parlé de tout ça.
Mais nous étions tous deux un peu pressés.
J'avais du monde à dîner
et Peter devait aller à une conférence.
Je n'ai rien noté
d'anormal.
Il a seulement dit qu'il était fatigué, qu'il avait pris froid.
Katarina était à Paris et rentrerait en milieu de semaine.
Nous avons bien ri avec le rapport de l'architecte.
C'était franchement cocasse.
Peter m'a dit que la baraque était bonne pour la casse.
Mais j'aime ma vieille maison
et je ne la quitterai jamais.
Cinq jours avant la catastrophe,
Katarina et Peter Egermann passent une nuit blanche.
Si tu veux allumer pour lire, tu peux.
Ça ne me gêne pas.
Je vais me lever.
Je te fais un lait chaud?
Non, merci.
Je monte le chauffage?
Pas pour moi.
Ça ne va pas mieux?
Je n'ai plus mal à la gorge.
Tant mieux.
Je n'arrive pas à dormir non plus.
C'est peut-être le changement de temps, la pleine lune
ou ce dîner dégueulasse qu'Oscar a absolument voulu mitonner.
Qu'est-ce que tu bois?
Du cognac.
Je vais prendre quelque chose aussi.
Ton infâme liqueur est à gauche.
Tu es fou! De la liqueur à 3h du matin!
Je vais me prendre un petit whisky. Rien d'autre.
C'est à la fois calmant et très sain.
Tu ne devrais pas boire autant.
Je bois autant que je veux, mon chéri.
D'ailleurs, je reste toujours très maîtresse de moi.
Tu t'es rendu compte que tu as été odieuse, hier soir?
Figure-toi que je le sais!
Tu as trop bu, et tu as été odieuse!
C'était exprès.
Tiens donc! Exprès.
J'aime mettre Martin mal à l'aise.
Bravo! C'était réussi.
Il me tripote, en douce.
Alors, je me soûle un peu et je lui rends la pareille!
Ouvertement.
C'est une vengeance très raffinée! Tu comprends, mon petit Peter?
Tu ne t'es pas mise à divaguer exprès!
Parce que pour toi, je divaguais!
Les autres me trouvent adorable!
Marre de toutes ces bouffes!
La semaine prochaine, on en a cinq!
Toi, ça t'amuse encore.
Toi aussi.
Plus maintenant.
Demain, on déjeune chez ta mère.
- Ça, c'est important. - Pour toi. Pas pour moi.
Déjeuner d'affaires.
Je n'ai pas le temps.
Katarina, tu m'avais promis.
Dire que tes relations s'estiment flattées
d'aller chez ton horrible vieille mère bouffer n'importe quoi...
dans sa vieille baraque. C'est inouï!
Maman est un monument.
Ta mère est un vieux monument,
un vestige du putain d'empire de ton tyran de père!
Bon.
Cette fois, Katarina va se coucher!
Comme tu le sais, moi, c'est du 7h moins le quart!
Je coucherai dans le bureau.
Tu ne joues pas au tennis, demain?
Harry a mal au bras.
Il fume trop.
Ça n'a rien à voir!
Quand on fume 60 à 70 cigarettes par jour,
on a des ennuis circulatoires et musculaires.
Oui. Des ennuis circulatoires.
Cela va sans dire.
Il va sans dire que cela va sans dire.
Je ne te réveille pas, avant de partir?
- Tu pars quand? - Vers 8h.
Réveille-moi vers 8h.
Bonne nuit, mon chéri.
Bonne nuit, ma chère.
Tu ne peux pas me dire pourquoi tu es si malheureux?
Je ne suis ni malheureux ni heureux.
Quel mot à la con!
- Tu as des problèmes? - Au contraire.
Les affaires sont florissantes, si c'est à ça que tu penses!
Non, je ne pensais pas à ça.
Tous les chemins sont sans issue.
Si tu vois ce que je veux dire.
Non.
Donne-moi un exemple.
Le dégoût.
Connais pas.
La composante caractéristique du dégoût
c'est l'insurmontable dégoût qu'on ressent
quand on doit expliquer comment naît le dégoût.
Je vais te raconter quelque chose qu'au fond je ne voulais pas dire.
Oh, ça n'a rien d'extraordinaire,
une impression.
Ça s'est passé hier matin, tôt.
J'étais dans la salle de bains.
Je me frottais avec une serviette propre.
C'était rêche, ça sentait bon.
Soudain, j'ai eu comme une révélation.
Appelle ça comme tu voudras.
Je regardais tous les objets familiers qui m'entouraient
et je savais
qu'ils ne m'appartiendraient plus.
Que tout me serait repris.
Rien de ce que je voyais ne serait plus à moi.
Une minute après, j'avais oublié,
mais hier soir, ça s'est reproduit plusieurs fois.
Je suis fatigué, Katarina.
Tu vas pouvoir dormir?
J'ai repris un Nembutal.
Viens.
Allons nous coucher.
Quelle heure est-il?
Presque 4 heures.
On entend les camions sur l'autoroute.
De deux choses l'une:
ou nous supportons les frais d'investissement et
les droits de licence augmenteront selon le taux d'intérêt en vigueur
compte tenu de l'amortissement,
ou la partie adverse supporte l'investissement.
La première solution a été adoptée.
Paragraphe.
La période d'amortissement a été fixée à sept ans.
C'est un long étalement, mais en contrepartie,
nos réparations sont comprises dans ce plan,
parenthèse,
permettant peu à peu le remplacement des pièces usagées.
Fermez la parenthèse.
Ce qui est relativement avantageux pour nous.
Paragraphe.
Oui, paragraphe.
Entre des droits de licence annuels fixes par équipement
ou bien calculés sur le minimum garanti de production,
la firme a préféré la première solution,
craignant visiblement que notre droit de regard
nous révèle leur chiffre de production.
Non, écrivez "que notre droit"
fasse transpirer des informations
ou en mette à notre service,
au cas où nous nous installerions dans les pays en question.
Mais un nouveau problème a été soulevé.
J'ai protesté, estimant que la question était abordée trop ***.
Mais leur revendication est légitime
et il faudra accéder à leurs exigences.
Paragraphe. Ayant choisi la solution no 1
pour le règlement des droits de licence,
lesdits droits paieraient les équipements en 7 ans.
La première prolongation de nos accords a été établie
pour une durée de 7 ans et demi
et la suivante, pour dix ans.
Etant donné que les équipements qui restent notre propriété
seront amortis à la fin de la 1re prolongation contractuelle,
selon eux, les droits de licence devraient baisser après sept ans.
Paragraphe. A longue échéance, ils ont raison,
mais cela nous oblige dès maintenant à leur chiffrer le matériel.
Lors de l'évaluation des deux solutions,
nous avons pensé, à juste titre,
qu'ils opteraient pour la solution no 1
et nous avons fait une estimation élevée.
Cela implique qu'au bout de sept ans, lorsque ces frais
auront été couverts par les droits de licence,
nos revenus seront moins élevés que prévu.
Faites-en une copie pour le conseil d'administration,
une pour les archives, pour vous, pour moi et pour le dossier.
Ce sera tout.
Vous voulez une tasse de café?
Non, merci.
Je peux partir à 5h, demain? Je dois aller chez le dentiste.
Bien sûr.
Ça va?
Parfaitement bien.
Votre mère a appelé.
J'ai dit que vous étiez en conférence.
Parfait.
N'oubliez pas que vous devez la voir.
Quatre jours avant la catastrophe,
Katarina Egermann prépare sa collection.
Tu as eu Milan?
Et Paul?
Je l'ai eu au fil dix minutes. Il se débat à la douane depuis ce matin.
Notre machine est introuvable. Personne n'est au courant.
Bon, eh bien, on ne paie pas.
Mon Dieu, déjà!
Je t'ai fait attendre?
Ici, c'est une pagaille noire.
Il manque encore 25% de la collection!
Vous partez?
On a ce déjeuner idiot chez la mère de Peter.
On est atrocement en retard.
Dès que je peux, je reviens.
Au revoir, mon chou.
- J'ai besoin d'un verre. - On est déjà en retard.
- J'ai besoin d'un verre! - Tu boiras là-bas.
Il me faut du corsé pour supporter ta mère et tous ces gens.
Passons au bar. Ça prendra deux minutes!
Encore un, Jack.
Tu es prodigieusement agacé.
Prodigieusement.
Ça te va bien. Tu as l'oeil sombre et le teint coloré.
C'est la fatigue.
C'est toi qui accepte de déjeuner.
Je t'ai demandé ton avis.
Après avoir accepté.
Tu sais très bien que c'est important.
Fous-toi en rogne si tu veux, mais il me faut encore un verre.
Je te laisse. Je dirai à maman que tu ne peux pas.
Excellente idée.
- Vous prendrez autre chose? - Non, merci.
Tu n'es pas allée chez la mère de Peter?
Ça va là-haut?
Très bien.
Pause jusqu'à 4 heures. Tu n'as rien contre?
Je n'ai rien contre.
Tu as mangé quelque chose?
Je ne crois pas.
J'ai une idée géniale.
Je t'emmène chez moi.
Un bon bain, tu te détends et je te fais une délicieuse salade.
Je suis très bien où je suis.
Allez, viens. Tu as besoin de changer d'air!
J'ai mauvaise conscience.
- Peter? - C'est si bête...
Allez, viens!
Martin était vraiment un type bien.
On était très attachés l'un à l'autre.
Mais comme tu le sais
la fidélité, ça n'existe pas.
Pas la vraie fidélité.
Quand on est pédé, on est infidèle.
Le problème, c'est les enfants.
La tristesse de ne pas en avoir, et de ne pas pouvoir en adopter.
Peter et moi, on n'en a pas non plus.
J'ai toujours aimé les enfants.
Je crois
que j'aurais fait une assez bonne mère.
Tu ne penses pas?
Si.
Martin est tombé amoureux fou d'un lycéen.
Les parents étaient désespérés.
Ça a failli faire un scandale.
Bien sûr, je me suis senti atrocement abandonné.
J'ai pas mal souffert.
Il m'a laissé l'appartement, en guise de consolation.
Martin est souvent revenu ici.
Il s'asseyait dans ce fauteuil, là, où tu es.
Quelquefois il pleurait.
C'était dur.
Ça a été une époque très dure.
Celui-là, un vrai démon, je te jure.
Mais l'appartement est joli.
Vraiment.
Très.
C'est bon d'être tous les deux.
Depuis combien d'années on se connaît?
Quinze ans, Tim.
Mon Dieu, Katarina!
Quinze ans et douze qu'on travaille ensemble.
Tu es triste?
J'en ai l'air?
Tu es toujours avenante, si efficace,
si maîtresse de toi.
Tout à coup, j'ai pensé que tu étais affreusement triste.
Excuse-moi,
je ne voulais pas te mettre mal à l'aise.
- J'ai peut-être envie de pleurer. - Pleure, si ça peut te soulager.
Ça ne me gêne pas du tout.
Au contraire,
je verrai ça comme une marque de confiance.
Les pédés aiment bien les femmes,
non pas que nous soyons particulièrement féminins,
non,
mais nous avons une meilleure appréhension
de nos sentiments.
Enfin, cette idée n'est pas de moi, mais de Martin,
ce qui ne l'empêche pas d'être vraie!
C'est une tristesse infinie, tu comprends?
Jamais.
Peut-être pas une tristesse, mais une rage. Je ne sais pas.
Les gens comme moi ne pensent pas à leur âme.
Et puis elle braille, et on est là tout bête.
- Tu comprends? - Je comprends.
C'est peut-être les larmes qui viennent d'abord
et qui coulent, de plus en plus bizarres.
Puis ça devient un affreux cri de tristesse, de désespoir.
Et après un hurlement aveugle,
hurlement sur hurlement.
Il faut sans doute craquer de temps en temps.
Ça m'est arrivé plusieurs fois.
Je ne sais pas si ça m'attriste tant que ça.
Je ne crois pas.
C'est l'amour qui me mène à ça.
J'ai un besoin maladif d'être proche,
mais est-ce seulement réalisable?
Et quand je dis proche,
c'est proche.
C'est toujours la même calamité.
Ou c'est le corps qui fait obstacle,
ou c'est l'âme.
Et on patauge dans l'espérance, les rêves,
les compromis.
Je tombe dans la rhétorique!
J'ai un cadeau pour toi.
- Un cadeau? - Attends.
Mais ma chérie...
En fait, c'était pour Peter,
mais il a vraiment été trop bête.
Ravissant.
Je l'ai acheté à Milan. Je crois que ça t'ira bien.
C'est une de tes couleurs.
Regarde.
Ça me vieillit?
Et tu ne veux pas?
Les rides, ce n'est rien.
C'est toute cette laideur qui me torture.
La peau qui se dessèche, qui devient rugueuse
malgré la crème que je mets chaque soir.
Ce pli profond, ici, autour de la bouche.
Un jour, je me suis réveillé, je me suis regardé dans la glace
et d'un seul coup, il était là.
C'était comme si j'avais eu une petite attaque d'apoplexie.
Le cou se tient, lui,
et autour des yeux, rien de catastrophique.
Mais les mains, les mains sont horribles.
J'ai demandé à 3 médecins
ce qu'il y avait à faire.
Ces taches brunes, ça part.
Mais les veines, le flétrissement, c'est affreux.
Je regarde ma bouche,
mes mains,
et je n'en crois pas mes yeux.
Je suis pourtant encore un enfant.
Ou peut-être plus, au fond?
Je ne comprends rien au temps.
"Ça n'existe pas", disent ceux qui ont réfléchi à la question.
C'est tellement vrai.
Je ferme les yeux
et j'ai dix ans.
Physiquement aussi.
Et puis, je les rouvre,
je regarde dans la glace
et je vois un vieux schnock.
Un vieux schnock en culottes courtes.
Ce n'est pas curieux, ça?
Un vieux schnock en culottes courtes. C'est tout.
Non. Il y a autre chose.
Quoi?
On devient comme ça.
Je ne comprends pas.
On devient comme ça, c'est tout.
Ce fameux besoin d'être proche n'est qu'un rêve.
Brutalité et chiennerie.
Parfois, je pars en chasse. Tu me comprends.
Je lève la pire racaille. Tu n'en croirais pas tes yeux.
Plaisir, folle excitation, chiennerie.
Sauvagement mêlés.
La vie amoureuse du vieux schnock!
Besoin d'être proche, tendresse. Pas tant que ça!
Un jour, je finirai par me faire tuer.
Ce n'est pas sans séduction.
Je suis mené par des forces que je ne domine pas.
Médecins, amants,
comprimés, drogues,
alcool,
travail.
Rien n'y fait.
Ce sont des forces secrètes.
Leurs noms? Je n'en sais rien.
Vieillissement, peut-être. Décomposition.
Je ne sais pas.
Des forces dont je ne suis pas maître.
Je plonge mon regard dans la glace, et je scrute mon visage
que je connais plutôt bien
et je décèle dans ce mélange de sang,
de chair, de nerfs et d'os
deux inconciliables...
Je ne trouve pas le mot.
Deux inconciliables...
D'un côté, il y a ce rêve d'être proche,
de tendresse, de communion,
d'abnégation totale.
De l'autre, violence, chiennerie,
effroi, menace de mort.
Quelquefois, je crois
que tout ça n'a qu'une seule et même source.
Je ne sais pas.
Comment pourrais-je le savoir?
Mes rêves étaient peut-être un peu trop beaux
et comme punition,
la vie te bouscule quand tu t'y attends le moins.
Comme punition, tu as droit à ton orgasme,
le nez bien profond dans la merde, jusqu'à l'étouffement.
Regarde-moi.
Prends ma main. Sois gentille.
Pose-la contre ta joue.
Sens-tu ma main?
Sens-tu que c'est moi?
Que c'est moi?
Trois jours après le meurtre,
Tim a un entretien avec le chargé d'enquête.
Votre nom à l'état civil, je vous prie?
C'est votre nom d'artiste, votre griffe, enfin ce que vous voudrez.
Nous voulons votre vrai nom.
Je m'appelle Tim. Partout, on m'appelle comme ça.
D'après le dossier,
vous vous appelez Thomas Isidore Mandelbaum.
Si vous le savez, pourquoi le demander?
C'est juste une question de routine.
Pour qu'il n'y ait pas confusion sur la personne.
Totalement impossible.
Ce n'est pas un interrogatoire, mais un simple entretien.
Dans ce cas, coupez donc ça.
Ça vous gêne?
Sinon, je ne vous demanderais pas de couper.
Voilà.
Merci infiniment.
Voulez-vous un café? Un verre de vin? Une cigarette?
Un peu d'eau minérale? Une tasse de thé?
Malheureusement, on a pas grand-chose.
Merci. Je ne veux rien.
Eh bien, commençons.
- Monsieur Tim. - Je vous en prie.
Ça ne sera pas pénible.
Je ne pense pas non plus.
J'ai voulu vous voir car vous êtes un ami de la famille.
Je suis le collaborateur de K. Egermann
depuis dix, non, douze ans.
Depuis dix ans, nous sommes associés.
Avant, nous avions un patron.
- Vous connaissez Peter Egermann? - Bien sûr.
Quels étaient les rapports des époux?
Bons.
Ce n'est pas l'impression de la mère d'Egermann.
Eh bien, nous différons sur ce point. Passionnant, non?
Une liaison
avec Egermann?
Vous hésitez.
Je n'ai jamais eu de liaison avec lui.
On ne s'est jamais touchés.
Si ce n'est des poignées de mains, des embrassades amicales.
Excusez-moi d'être aussi direct.
J'y suis habitué.
Vous connaissiez la jeune femme assassinée?
Vous la connaissiez bien?
Nous étions bons amis.
Vous? L'ami d'une prostituée?
Je ne sais pas comment je dois le prendre, M. le commissaire.
Vous êtes ou désobligeant, ou insinuant, ou naïf.
Votre question est déplacée dans un "entretien confidentiel".
Je n'ai pas voulu vous blesser.
Admettons.
Vous vivez seul?
En effet. Je vis seul.
Votre amie vous ménageait certaines rencontres?
C'est arrivé.
Et vous avez ménagé celle d'Egermann et de Katarina Krafft,
ou "Ka", comme on l'appelait.
Effectivement.
Comment ça s'est passé?
C'était un dimanche, l'automne dernier.
- J'étais à la gare. - Vous partiez en voyage?
Dans les gares, il y a des garçons de toutes nationalités
qui se font de l'argent de poche.
Je me suis trouvé nez à nez avec Egermann.
Il était devant le kiosque
où il venait d'acheter des journaux étrangers.
Nous avons été boire
un café.
Je ne sais pas pourquoi,
je lui ai raconté ce que je faisais là.
Ça l'a intéressé.
Tout d'un coup, il m'a dit
qu'il n'avait encore jamais été avec une prostituée.
Je lui ai recommandé Katarina Krafft.
J'ai donné son adresse et j'ai promis de parler de lui.
Voilà, c'est tout.
C'est la vérité, même si ce n'est qu'une demi-vérité.
J'étais furieux contre Katarina Egermann.
Elle m'a toujours rendu furieux,
bien que je l'aime bien.
L'idée que Peter la trompe avec une prostituée me plaisait.
Ça aussi, ce n'est qu'une demi-vérité.
Les gens faibles suivent de curieux chemins.
Vous êtes bien placé pour le savoir.
Ça me torture
d'avoir été le trait d'union entre le meurtrier et la victime.
Si vous voulez bien excuser cette formulation mélo.
J'avais simplement mauvaise conscience.
Sans doute mon homosexualité!
Encore une demi-vérité.
Ça devient intéressant, vous ne trouvez pas?
La vérité, c'est que je voulais Peter pour moi.
Mais je ne l'avais pas compris, moi-même.
Je désirais partager un secret avec lui.
Je voulais lentement le gagner en le détachant de sa femme.
J'avais vu cette terrible absence d'amour, entre eux,
et j'étais obsédé par l'idée qu'un jour,
il se tournerait vers moi,
qu'enfin il me découvrirait
et comprendrait...
que je l'aimais en secret.
Affectivement, Peter était un moribond,
comme un homme meurt de faim, de soif, ou exsangue.
Je savais que je pouvais le sauver.
J'espérais qu'il viendrait à moi,
qu'il chercherait à m'être proche.
Je ne crois pas me tromper.
Nous autres, nous avons du flair pour ces choses-là.
Ce que je viens de raconter n'est peut-être encore pas la vérité.
Certaines grandes intelligences
disent que notre aveuglement est total.
Nous agissons selon un schéma préétabli,
nous sommes déterminés
ou encore violentés.
Ça n'a d'ailleurs aucune importance.
Vous ne trouvez pas?
Peter Egermann a écrit une lettre au Pr Jensen.
Elle n'a jamais été envoyée.
Cher Mogens,
ce que je veux te décrire ici n'est pas un rêve au sens propre,
bien que vécu la nuit,
sous l'influence de somnifères et d'alcool.
Si je dis que cette réalité-là est plus grande et plus terrifiante
que celle de ma grisaille quotidienne,
c'est une banalité.
Tu peux mettre ça au panier.
Je n'écris pas pour toi, mais parce que c'est plus fort que moi.
Je rêvais que je dormais.
Je rêvais que je rêvais.
C'était très sensuel,
au sens large, pas seulement érotique...
bien qu'il y ait une nette relation
entre mon bas-ventre
et le parfum prenant et doux d'une moiteur de femme.
Sueur,
salive,
la fraîcheur d'une opulente chevelure.
Je me mouvais, les yeux fermés, sur une étincelante
et vaste surface.
Tout était calme.
Ma plénitude était absolue
et j'avais l'envie comique de raconter une histoire drôle.
Mais je ne pouvais pas parler.
Ça ne me gênait pas, au contraire, je sentais
que ma façon de planer et d'être muet étaient liées
et que mon cerveau était concentré dans mes mains,
ou mieux, dans le bout de mes doigts.
Sur chacun de mes doigts, un petit oeil...
clignait avec ravissement,
enregistrait cette blancheur éclatante, et ce survol.
Tout était bien ainsi.
Et pouvait rester ainsi.
Je pensais
ou plutôt, je ne pensais pas du tout.
Cela sortait de mes lèvres comme un ruban multicolore:
"Si tu es ma mort,
"sois bienvenue, ma mort.
"Si tu es la vie
"sois bienvenue, ma vie."
Je suis dans un espace clos
sans portes ni fenêtres,
mais sans toit ni murs,
sans doute une sphère ou une ellipse,
je ne sais pas très bien.
Je n'ai pas pensé à examiner les contours de cet espace.
Je rêvais
que j'émergeais d'un profond sommeil,
étendu sur le plancher, moelleux comme un épais tapis.
Je me sentais bien, au chaud, à l'aise.
A côté de moi, Katarina
encore immobile, endormie.
J'ai tout de suite su qu'il s'agissait d'un rêve.
Je me disais à mi-voix: "N'aie pas peur."
L'unique danger, c'était d'avoir peur,
d'être pris de panique,
de vouloir sortir,
de pleurer, de crier, de marteler les murs.
J'ai décidé de ne pas bouger.
Katarina se réveillait doucement.
J'ai essayé de lui parler,
mais je n'arrivais pas à l'atteindre.
Elle faisait semblant de ne pas me voir.
Elle était douce
et d'une indifférence excitante.
Je voulais qu'on fasse l'amour
mais elle m'échappait, je n'arrivais pas à la pénétrer.
Elle me regardait, paupières mi-closes, souriante.
Une colère aveugle m'a pris
et je me suis retiré, pour ne pas la tuer.
J'étais fou de rage et de terreur.
Pourtant, je devais montrer du calme
et non de l'anxiété,
de la maîtrise, et non de l'agitation.
Tout avait échoué.
Il y a eu aussi un moment de tendresse,
de grand calme.
Difficile de décrire cet instant-là.
L'air s'est transformé.
Il est devenu fluide, facile à respirer.
La lumière grise s'est évanouie
et c'est une aube tendre qui s'est levée en sourdine
comme une main douce sur nos corps endoloris.
Nous nous sommes rencontrés dans une soudaine intériorité,
inconditionnelle.
C'est alors que l'épouvantable,
l'incompréhensible,
l'irrévocable s'est produit.
D'un seul coup, Katarina était morte
et je savais que je l'avais tuée
d'une façon cruelle et torturante.
Je me suis réveillé et assis dans mon lit.
En bas, sur l'autoroute, l'intense trafic avait repris.
Tout était comme d'habitude.
Katarina dormait à mes côtés et respirait calmement.
Peux-tu m'aider?
Y a-t-il un moyen de m'aider?
Puis-je continuer à vivre?
Est-ce que je vis?
Ou ce rêve, tel qu'il s'est organisé,
a-t-il été mon unique et bref instant de vie,
de réalité vécue et conquise?
Deux jours avant la catastrophe,
Peter tente de se suicider.
Excusez-moi d'appeler si tôt. Puis-je parler au Pr Jensen?
Non, merci. Excusez-moi.
C'est gentil d'être venu.
Tu pourras peut-être le raisonner.
Il est dehors, sur le toit.
Sauter dans le vide, soit!
Mais faire une peur bleue à son prochain, non!
Quelqu'un va te voir, et appeler la police.
Tu as froid?
Je t'apporte ton manteau de fourrure?
Ce serait gentil.
Son manteau!
Une seconde.
Laisse-moi.
Martha t'envoie ses amitiés.
La pauvre, on l'a dérangée.
Pas du tout. Elle avait un enfant à opérer.
Elle en fait un peu trop, non?
Viens t'asseoir près de moi.
Je suis très bien par terre.
Nous étions chez Johan et Marianne.
Ils ont voulu dîner dehors dans cette pizzeria,
tu sais, derrière le théâtre.
On y a rencontré Melkers et sa femme.
Ils ont insisté pour qu'on aille chez eux.
Tu as une cigarette?
Merci.
Qu'est-ce que tu as au cou?
Son collier s'est cassé.
Je me suis pris les doigts dedans.
Attention, ça peut s'infecter.
Katarina veut me quitter.
J'ai dit: "Bravo, quelle bonté d'âme!"
Alors, elle a dit qu'elle ne pouvait pas se passer de moi.
Moi, que j'étais mieux sans elle qu'avec elle.
Et elle m'a traité d'impuissant.
J'ai dit que je n'étais impuissant qu'avec elle!
Peter m'a vexée, au restaurant.
Et puis, il m'a singée et je me suis mise à pleurer.
Katarina sait d'instinct quand il faut chialer.
Je vais te dire pourquoi on s'est disputés!
La grande scène du Deux!
Tais-toi un peu. Tu l'as déjà faite, ton entrée!
En rentrant, Peter bandait et voulait baiser.
J'étais fatiguée mais je me suis dit: si c'est vite fait.
Mais Peter, lui,
voulait le grand jeu.
Je me suis dit: bon, allons-y.
Ce n'est pas la première fois.
Il a voulu m'enculer,
mais pas moyen de faire entrer la queue!
Il avait sans doute trop bu.
Alors, j'ai éclaté de rire
et il s'est mis dans une rogne.
Il m'engueulait,
mais je ne pouvais pas m'arrêter.
C'était plus fort que moi.
J'ai voulu lui faire une pipe, en général, il aime ça.
Mais il a attrapé mon collier,
il a serré, et il a failli m'étrangler.
Je peux te faire jouir.
Je sais faire prendre son pied à Katarina Egermann.
- Je raconte? - En dix ans de vie commune,
tu m'as donné 832 orgasmes.
513 fois, j'ai fait semblant
et je suis allée me satisfaire à la salle de bains.
Quelquefois, j'ai eu un minable petit soubresaut, c'est vrai.
Je t'en suis follement reconnaissante!
Peter Egermann m'a révélée!
Pauvre Peter! Tu me fais pitié.
Vraiment pitié.
Ça, c'était le disque: "franchise perverse".
On régale notre ami
d'un autre numéro?
Pour le bla-bla, tu es fort!
Le silence te ferait peur?
Dans le silence, on entend la vérité.
Enfin, la vérité de Katarina, moi, je n'en ai pas.
Parce que c'est elle
qui a un contrat à vie avec la Vérité objective, garantie pure!
D'une part, parce que c'est la Femme,
la grande Prêtresse du Sang et de la Terre,
et d'autre part, parce que c'est Katarina,
élue et créée par Dieu dans la félicité!
Il faut que j'aille me reposer.
A quelle heure on doit voir Bauer?
Dix heures.
Tu peux dormir une bonne heure.
Après tu prendras une ***, ça te réveillera.
Je peux t'aider?
Merci, c'est très aimable à toi,
mais je me débrouillerai.
Merci d'être venu, mon cher. Quel ami tu fais!
Quand je te vois avec Katarina,
ça saute au yeux: vous auriez fait un couple parfait.
Comme disait le Christ en Croix:
"Mère, voici ton fils!"
"Fils, voici ta mère!"
J'ai fait une scène idiote et hystérique.
A quoi tu penses?
Je pense que ça, c'était le disque-rengaine:
"C'est ma faute. Pardon, mon amour."
Celui qui passe le premier a le bon rôle.
Si je pense que j'ai fait une scène idiote et hystérique,
- je ne dois pas le dire? - Non.
- Que dois-je en penser? - Rien.
Tu peux rester là, si tu la fermes.
Arrête! Ça ne mène à rien.
On ne peut pas parler?
On ne peut pas essayer?
On a essayé cent mille fois.
Au prochain conflit, tout ce qu'on se dira sera autant d'armes.
Tu te souviens au début? Comme on se donnait du mal!
On avait un capital.
Un capital d'amour, si tu veux.
On l'a dilapidé sans le reconstituer. Tu sais pourquoi?
On a accepté les règles du jeu sans avoir le talent de jouer.
Alors, on a été floués.
Tu sais ce qui me fait le plus peur?
Ne pas aller travailler,
ne pas lire mes journaux,
ne pas manger à heure fixe,
avoir des insomnies,
être constipé, en panne de voiture,
être malade, avoir mal aux dents.
Je sais que le moindre grain de sable
menace mon système de sécurité.
Si c'était vrai,
tu ne boirais pas.
Ça me donne le courage de détraquer le système.
Ça t'apporte quoi?
Je me fais exploser.
Et qu'est-ce qu'il reste?
Une sorte de hachis de nerfs et de sang.
Et ça, ce serait mieux?
Au moins, ça me rapproche de la réalité.
Trois semaines après la catastrophe,
Katarina Egermann rend visite à la mère de Peter.
Je suis là, toute seule dans ma grande maison
et je n'ai envie de voir personne.
Je ne veux même pas sortir.
Vous devriez voyager.
Ma soeur a téléphoné et m'a invitée chez elle, à Paris.
Vous devriez partir.
Mais si Peter veut que j'aille le voir?
Vous êtes allée là-bas?
Non, je ne peux pas.
Pas encore.
Je l'ai vu hier.
Mais on sent qu'il n'est pas là.
Il est tourmenté?
Les piqûres, ça tient les tourments à distance.
Je voudrais qu'on m'en fasse aussi, pour sortir de cet enfer.
C'est un enfer.
Je tourne en rond toute la journée.
Je mets un manteau pour aller dans le parc,
mais je n'arrive pas à sortir.
Je ne sais pas quoi faire de moi.
Je devrais peut-être aller voir un médecin,
mais le vieux Jacobi est tellement gâteux.
Je peux demander au Pr Jensen
de vous recevoir.
Ce serait peut-être une bonne chose.
Je l'appellerai demain.
Je suis si seule.
Si vous voulez, je viendrai tous les jours.
- Tu as assez de soucis! - Comme tout le monde.
Tu penses: "C'est sa faute."
Tu as toujours vu mes rapports avec Peter
d'un oeil critique.
Et vous, notre mariage.
Je suis sa mère, Katarina.
C'est moi qui suis la plus proche de lui.
Je l'ai mis au monde, élevé.
C'est une part de ma vie.
Toi, tu n'as pas d'enfant.
Tu ne peux pas comprendre ce qu'une mère ressent.
La responsabilité.
La culpabilité.
La honte.
Vous avez raison. Je ne comprends rien.
Pardon. Je ne voulais pas te blesser.
Vous ne me blessez pas.
Vous me faites pitié.
Tu ne penses pas ce que tu dis.
Depuis 1/2 h que je suis là,
vous m'avez déballé vos sentiments,
vos difficultés, votre culpabilité,
votre honte.
Excuse-moi. Je croyais...
que tu étais venue pour parler avec moi.
Je croyais qu'on était ensemble
pour parler de nous.
A quoi je m'attendais donc...
J'ai aussi pensé à toi, Katarina.
A toutes les heures du jour.
Moi aussi, je suis seule.
Je regarde avec étonnement notre passé,
notre réalité passée et je pense: nous avons rêvé,
joué, ou Dieu sait quoi.
C'est la réalité et elle est insupportable.
Je parle, je réponds, je pense, je m'habille,
je dors, je mange.
C'est une contrainte quotidienne. C'est l'étrange et rigide surface.
Mais sous cette surface, je pleure sans cesse.
Je pleure sur moi,
parce que je n'ai plus le droit d'être la même.
Ce qui a été ne sera plus,
s'est irrémédiablement brisé, enfui,
comme un rêve.
Je pleure sur Peter.
Je n'ai jamais pu me mettre à la place d'un autre.
Et tout d'un coup, je crois comprendre
ce que Peter ressent et pense.
Je comprends qu'il est sans défense,
anxieux et seul.
Totalement seul.
Il a tourné le dos, il ne reviendra plus,
aussi fort que nous l'appelions.
Mais le pire,
le plus terrible, dont je peux à peine parler,
c'est cette pauvre femme.
Je me dis que peut-être elle n'a eu qu'un bref instant de peur,
qu'elle ne s'est pas rendu compte.
Mais ça n'aide à rien.
A rien!
Cinquante minutes avant la catastrophe,
P. Egermann se rend chez la prostituée K. Krafft.
Bonsoir.
On ferme.
Terminé!
Allez hop! On ferme!
Elle marche pour rester jusqu'à 6h du matin.
En fait, c'est interdit. A cause de l'assurance incendie.
A six heures, faut qu'elle soit partie.
C'est toujours le matin qu'on a les flics.
Quand ils ont fait la nuit, c'est des taureaux!
Faut qu'ils tirent un coup avant leur café!
Ils appellent ça: "contrôle de routine"!
Entre. J'en ai pour une seconde.
Tu veux un verre de vin?
Je préfère que tu sois maquillée.
- Si ça ne t'ennuie pas. - Non, pas du tout.
Si j'ai pas à mettre mes faux cils.
Ça sent le renfermé, non?
Ça va.
On a oublié la ventilation, dans les transformations.
Et il n'y a pas de fenêtres.
Pour aérer, il faut ouvrir la porte de la cave,
mais du coup, on récolte de drôles de cocos.
T'enlèves pas ton manteau?
J'ai oublié
mon journal! Je veux quand même le prendre,
je l'ai pas acheté pour rien.
Attention, hein? Six heures!
Ça t'a plu, mon numéro?
Pas spécialement.
Tu travailles ici depuis longtemps?
Trois ans.
Je suis arrivée à l'ouverture.
- Ça rapporte? - J'ai pas à me plaindre.
Tu as encore du vin?
Sur l'étagère, derrière le frigo.
Toi, t'es bizarre.
T'as quelque chose de bizarre.
T'as fait une connerie?
Je ne crois pas.
J'ai une copine qui voulait rester.
J'ai peut-être été idiote de la laisser partir.
T'inquiète pas.
Il y a quelque chose, quand même!
Il y a quelque chose, oui.
T'aurais pas peur?
Psychologue!
Et ironique, en plus!
Toujours.
Une sorte d'invalidité.
C'est pas le confort ici, hein?
Tu trouves pas? On peut aller à côté.
Viens.
C'est ta chambre?
Je reçois les clients ici.
Quelle chaleur! On peut ouvrir la fenêtre?
Y en a pas, de fenêtre!
J'étouffe, ici.
Eh ben, allons sur la scène.
On est au large, et puis c'est joli!
Viens.
- Comment tu t'appelles? - Ka.
Mais en vrai, c'est Katarina.
Tu as le même nom que ma femme.
Ça alors, c'est marrant!
Tu voulais dire quelque chose?
Tu as dû mal me comprendre, tout à l'heure.
Ton numéro était bête et ennuyeux,
mais toi, par contre, tu es attirante.
Attirante!
Assieds-toi sur la chaise, que je te regarde.
Comme ça?
Ce serait mieux debout.
C'est mieux?
Regarde-moi.
On ne te demande jamais
des choses plus désagréables?
Ça, c'est pire.
Tous les chemins sont sans issue.
Tu veux partir?
Tous les chemins sont sans issue.
Pourquoi tu dis des trucs bizarres? Viens!
Je t'ai dit que les portes étaient fermées.
Faut que tu restes là.
Tu veux du café?
La lumière est éblouissante. On ne peut pas éteindre?
On s'en plaint assez, mais personne ne nous écoute, ici.
- C'est quoi, cette odeur? - Une odeur?
Oui. Ça sent quelque chose.
Ici, ça sent toujours.
La poussière, la sueur, le parfum, la cigarette...
et quand les cabinets sont bouchés, la merde.
Ça sent quoi?
Je ne sais pas C'est peut-être une idée.
Je crois que j'ai plus de nez.
Je sens plus rien.
Quand j'étais gosse,
ma mère m'a emmenée chez ses parents, au Danemark.
Je me souviens encore de l'odeur des saisons.
Des saisons?
L'hiver...
L'hiver, ça sentait la neige,
le poêle à charbon, le gant humide.
Et l'été, le varech, la fourmilière.
Au printemps,
à la fonte des neiges,
il y avait le parfum des chatons
et de la pluie.
Mais l'automne, c'était le plus beau.
Je ne dors pas.
Tu peux pas le retirer, ce manteau?
Il fait pourtant chaud ici, non?
Oui.
Je suis fatigué.
Quatre semaines plus ***...
le Professeur Jensen fait un bilan provisoire.
Notre patient a eu une mère dominatrice
et une mauvaise relation au père,
d'où une homosexualité latente
dont lui-même n'était pas conscient,
mais qui, bien sûr, a perturbé ses rapports avec sa femme,
et avec toutes les femmes, en général.
Cette perturbation
doublée d'une angoisse,
qui n'est qu'agressivité envers cette mère dominatrice,
n'a pas trouvé un exutoire dans le contexte social d'Egermann,
où toute forme d'explosion émotionnelle
est considérée comme une obscénité.
Pour cette raison, le patient a très tôt refoulé sa vie affective.
Au lieu d'être lui-même, il a pris des attitudes,
joué le rôle que son éducation et son milieu lui ont inculqué.
Excusez-moi, je ne savais pas que vous étiez là.
J'avais des anamnèses à...
J'en ai encore pour quelques minutes.
Un sens très poussé de ses responsabilités,
une maîtrise de soi acquise dès l'enfance,
ainsi qu'une réussite sociale éclatante
ont empêché le patient d'extérioriser tout sentiment.
Celui-ci est très attaché à son épouse qui, comme sa mère,
est une personnalité possessive et volontaire.
Son angoisse inexpliquée et l'angoisse de cette angoisse
ont été ritualisées et enfermées dans un schéma social
où une certaine consommation d'alcool et de drogues
est admise et même considérée comme souhaitable
en tant qu'issue de secours.
Rien ne serait arrivé si Egermann était resté dans son milieu.
La catastrophe a lieu au moment
où il est en contact avec la prostituée.
Soudain, tout est possible.
Son impulsion a pu se libérer pour une vétille:
Un mot,
un geste, une intonation.
La fille, dans un instant
de court-circuit émotionnel, est assassinée.
Et c'est sans doute dans un moment d'extase,
qu'Egermann consomme l'acte sexuel avec la morte.
L'avalanche émotionnelle s'est déclenchée.
Seul, celui qu'on tue est possédé, ou mieux,
dominé totalement.
Le patient a levé les interdits sociaux et émotionnels
et de ce fait, est un suicidé en puissance
selon le principe que je viens de formuler.
Seul, celui qui se tue
est en totale possession de lui-même.
Le matin,
dès qu'il a pris son petit déjeuner et fait son lit,
c'est lui le premier levé,
il se met à sa partie d'échecs.
Il se branche sur un problème très difficile
qui peut durer plusieurs jours.
Il est très poli avec le personnel, mais en même temps, distant.
Il fait très soigneusement sa toilette
et nettoie sa chambre au moins une fois par jour.
Il est très méticuleux pour son dessus de lit
et prend un 1/4 d'heure
pour qu'il soit bien tendu, sans faux plis.
Il ne lit ni livres, ni journaux,
n'écoute pas la radio, et ne regarde pas la télé.
Par moment, il a des crises d'angoisse,
mais repousse toute aide,
tout contact avec nous.
La nuit, il dort avec un vieux nounours tout râpé.
Peut-être un souvenir d'enfance.