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Je vais vous dire quelques mots sur les comportements irrationnels
(Rires)
Je souhaite parler d'un problème particulier : la maîtrise de soi.
Il y avait deux sœurs, en Caroline du Nord,
les sœurs Delaney.
Lorsque la plus jeune des deux est devenue centenaire,
on lui a demandé quel avait été son secret de longévité,
dans une interview du New York Times.
« Quel a été votre secret de longévité ? »
Elles ont répondu qu'elles avaient deux secrets.
Le premier : elles avaient décidé de ne jamais se marier.
(Rires)
Elles disaient ne pas vouloir un mari qui les pousserait dans la tombe.
(Rires)
Et ma femme est ici présente
alors je vais sauter ce conseil.
(Rires)
Mais la deuxième chose qu'elles ont dite était qu'elles ne voulaient pas aller à l'hôpital
parce qu'à l'hôpital on attrape des maladies.
Il y a de la sagesse là-dedans.
J'ai fait un très long séjour à l'hôpital
et comme beaucoup d'autres j'ai attrapé de nouvelles maladies
pendant ce séjour.
J'ai été brûlé et j'étais dans le service des brûlés
mais j'ai reçu une transfusion de sang contaminé
et j'ai attrapé une maladie à cause de ça.
C'est déjà pas joyeux d'être à l'hôpital, en général,
c'est encore pire d'attraper une maladie du foie.
Ça allait affecter ma récupération, ralentir l'opération,
générer un rejet de greffe, tout un tas de mauvaises choses.
Mais en plus les médecins ne savaient pas d'où ça venait.
Ils ne savaient pas quelle était l'essence du problème.
Pendant les années qui ont suivi, mon foie faisait des siennes de temps en temps.
Environ sept ans plus ***, j'ai une sorte de rechute.
Je vais me faire examiner à l'hôpital et on m'annonce la bonne nouvelle :
on sait ce que c'est. C'était une hépatite C.
C'est un virus que j'ai attrapé à l'époque.
Et ils m'ont dit qu'ils avaient repéré le problème.
Mais en plus, il y avait un essai de la FDA (Food and Drug Administration) qui portait là-dessus.
Ils mettaient à l'essai un nouveau traitement appelé Interferon
pour voir s'il marcherait contre l’hépatite C.
On m'a demandé si je voulais participer à l'essai clinique.
Evidemment que oui ;
qui voudrait mourir d'une cirrhose du foie ?
Et voilà que je participe à l'essai.
Et quand à ce moment-là, on m'explique
toutes les difficultés et tous les ennuis qui vont avec l'Interferon.
Pour moi, ces injections d'Interferon
symbolise la complexité de la condition humaine.
Imaginez que vous êtes là avec une seringue
et vous devez vous faire une injection dans la cuisse
trois fois par semaine pendant un an et demi.
Et vous savez que si vous faites ça pendant un an et demi,
vous n'aurez peut-être pas de cirrhose du foie dans 30 ans.
Mais vous savez aussi que si vous le faites, là maintenant,
vous allez vous sentir vraiment mal pendant les seize prochaines heures :
vomissements, maux de tête, fièvre, tremblements.
Prenez une seconde pour réfléchir à ce que vous feriez.
En seriez-vous capable ? Capable d'accepter
les conséquences à court terme d'une perte,
pour un gain potentiel probable à long terme ?
Quand on y pense, c'est un vieux problème
du comportement humain. C'est la question d'Adam et Eve.
On se dit :
« Qui échangerait l'éternité dans le jardin d'Eden contre une pomme là tout de suite ? »
(Rires)
Ça parait dément !
Et voici la version moderne de cette question.
(Rires)
Quelle personne saine d'esprit risquerait sa vie tout en envoyant un SMS ?
Levez la main si vous avez déjà envoyé des SMS au volant.
Je suppose que la plupart du reste d'entre vous ment.
(Rires)
Il y a quelques semaines, une étude s'est penchée sur la question
de ce qui se passe dans les Etats qui interdisent de faire des SMS au volant.
En réalité, le taux d'accident augmente. Pourquoi ?
Parce qu'au lieu d'écrire un SMS comme ça, les gens se mettent à écrire comme ça.
(Rires)
Quoi qu'il en soit, le problème est bien plus général,
au-delà des SMS.
Il s'agit de santé.
Pensez à un régime : très bon sur le long terme,
pas très drôle sur le moment.
L'activité physique : pas terrible sur le moment, bon sur le long terme.
Économiser : pas très drôle sur le moment, bon sur le long terme.
Rapports sexuels protégés : même chose.
Or, il s'avère que face à ces problèmes
nous échouons régulièrement, systématiquement, fidèles à nous-mêmes.
Voici une manière de voir ce problème :
imaginez que je vous propose de choisir entre une demi-boite de chocolats tout de suite
et une boite entière dans une semaine.
Une demi-boite de chocolats maintenant, et une entière dans une semaine.
Et vous avez droit d'en goûter un,
comme ça ce n'est pas seulement hypothétique ;
vous pouvez les voir, les sentir, les toucher.
Dans ces conditions,
combien d'entre vous attendraient une semaine de plus pour avoir l'autre moitié de la boite de chocolats ?
Levez la main. Bien : nous avons quelques personnes patientes,
peut-être 20 %. Je suis sûr que si on essayait pour de vrai il y en aurait moins.
(Rires)
Mais la majorité a dit : « Donnez-moi les chocolats tout de suite ! »
Imaginez maintenant que le choix a lieu dans l'avenir,
que je vous dise : « Qu'est-ce que vous préférez :
une demi-boite dans un an,
ou une boite entière dans un an et une semaine ? »
Remarquez que c'est la même question,
la question de savoir si vous êtes prêt à attendre une semaine de plus pour l'autre moitié de la boite.
Combien sont prêts à attendre dans ce cas ?
Tout le monde ! (Rires)
Parce que dans l'avenir, nous sommes des gens formidables.
(Rires)
Nous ferons de l'exercice, nous ferons un régime, nous économiserons !
Le problème c'est bien sûr que nous ne vivons jamais dans l'avenir.
Nous vivons toujours dans le présent. Et dans le présent, nous sommes des gens très très différents.
Le temps passe. J'ai pris ces injections pendant très longtemps,
et c'était une période horrible de ma vie.
Lorsque j'ai fini, les médecins m'ont dit deux choses.
Tout d'abord, ils m'ont dit que le traitement avait marché.
Il avait éradiqué le virus de mon organisme. Bonne nouvelle !
La deuxième chose qu'ils ont dit est que de tout le protocole de la FDA,
j'étais le seul patient qui ait pris le traitement à temps.
La question est de savoir comment j'y suis arrivé.
Ai-je une meilleure maîtrise de moi ?Est-ce que je me projette plus dans l'avenir que les autres ?
Est-ce que j'y accorde plus d'importance ?
Réponse : rien de tout ça.
La réponse est que j'ai conçu une astuce qui marche pour moi.
Une astuce basée sur le fait que j'adore les films.
Si j'avais le temps, je regarderais des tonnes de films.
Malheureusement, je n'ai pas tant de temps pour moi.
En gros, j'ai passé un contrat avec moi-même : je ne regarderais des films qu'après mon injection.
Les lundis, mercredis et vendredis, jours d'injection,
j'allais à l'école, je m'arrêtais en chemin dans un vidéo-club,
je louais des films que j'avais vraiment envie de voir,
je les gardais toute la journée dans mon sac en pensant au moment où je les regarderais.
Ensuite, en fin d'après-midi, à la maison, je mettais un film dans le magnéto,
je me faisais l'injection, je prenais un seau et une couverture pour les effets secondaires,
je me faisais l'injection et je commençais tout de suite à regarder le film.
Quand on y pense, c'est une drôle d'idée.
Parce qu'on pense aux choses qui sont importantes ou pas dans la vie,
le foie c'est vraiment important. (Rires) C'est à peu près à ce niveau.
Les injections, les effets secondaires : pas si importants dans le plan général de la vie.
Les films, c'est encore moins important !
Alors, qu'est-ce qui se passe ?
Le problème c'est que nous ne voyons pas le problème et le monde de cette manière.
On ne se dit pas que le foie c'est important
et que les effets secondaires ne le sont pas.
Nous avons une échelle de temps pour ça.
Et en ajoutant cette échelle de temps,
comme le foie c'est important mais c'est loin dans l'avenir,
on n'en tient pas compte, comme pour le chocolat dans une semaine.
Et comme les injections sont maintenant, on exagère grandement leur importance.
Réfléchissons un peu là-dessus : est-ce que cette astuce des films
m'a aidé à me rendre compte de l'importance de mon foie ?
Est-ce que je me levais le matin plein d'énergie pour faire quelque chose pour mon foie ?
Non. J'ai fait ce qu'on appelle une substitution de récompense :
remplacer le foie par les films.
J'ai commencé à agir comme si mon foie m'importait.
Il m'importait parce qu'il y avait autre chose au milieu
qui était immédiat et attractif.
Et bien que ce ne soit pas aussi important que le foie,
c'est devenu un substitut de récompense.
Le fait est qu'on se retrouve sans arrêt face
à des problèmes impliquant la maîtrise de soi.
Tous ces problèmes dont je parle sont fondamentalement humains.
Peut-on pousser les gens à se réveiller un jour avec la volonté de solutionner ces problèmes ?
Très peu probable.
Peut-on recourir à la substitution de récompense ? Peut-être.
Pensez à quelque chose comme le changement climatique.
Si on devait concevoir un problème dont les gens ne se soucieraient pas
ce serait le changement climatique.
(Rires)
N'est-ce pas ?
Tous les éléments propices à l'apathie humaine sont réunis.
Long terme, avenir lointain, touchera d'autres personnes d'abord,
on ne le voit pas avancer, on ne voit pas d'individus en souffrir,
et toute action de notre part n'est qu'une goutte d'eau !
Tous les éléments qui génèrent l'apathie humaine fondus en un seul !
Peut-on faire que les gens se réveillent un matin avec la volonté d'agir sur le changement climatique ?
Peut-être une fraction infime.
Mais peut-être que la clé est de créer une substitution de récompense :
faire que les gens se soucient d'autres choses en lien avec une bonne conduite
et faire que les gens se conduisent bien pour les mauvaises raisons.
Alors, sur la maîtrise de soi, je vous ai dit quelques mots sur la substitution de récompense.
J'aimerais vous parler d'une autre approche.
C'est ce que j’appellerais les contrats de maîtrise de soi ou les contrats à la Ulysse.
Vous vous souvenez peut-être de l'histoire d'Ulysse et des sirènes :
Ulysse savait que si les sirènes venaient, il serait face à la tentation.
Du coup, il s'est attaché au mât, a demandé aux marins de se boucher les oreilles à la cire,
de sorte que même si les sirènes venaient, il ne pourrait succomber à la tentation.
C'est une vision différente du mécanisme de maîtrise de soi;
et c'est plutôt sophistiqué.
Il s'agit de dire : « Nous savons que, le moment venu, nous serons tentés,
donc nous allons faire quelque chose maintenant qui élimine la tentation de notre chemin. »
Imaginez par exemple que vous allez au restaurant
et vous vous êtes juré de faire un régime.
Quelles sont les chances,
si le serveur passe avec un soufflé au chocolat,
que vous résistiez à la tentation ?
Pas bien grandes !
Seriez-vous prêts à passer un contrat à la Ulysse, qui serait de dire au serveur :
« Voilà un dollar ; ne me montrez pas les desserts. »
(Rires)
Avant de voir ça, revenons en arrière une minute
et demandons-nous si les animaux peuvent faire ça.
Imaginez que vous soyez un pigeon ou un rat,
et que vous appreniez deux choses.
Vous apprenez que le bouton vert
signifie une boulette de nourriture immédiatement,
et le bouton violet signifie dix boulettes de nourriture dans dix secondes.
Vous apprenez l'un, vous apprenez l'autre, et maintenant on les met ensemble.
La question est de savoir,
si vous êtes un rat ou un pigeon, lequel choisiriez-vous ?
Et pour avoir une idée d'échelle, pour un rat, dix secondes c'est comme une semaine pour nous.
Que pensez-vous qu'ils choisissent ?
Ils choisissent le bouton vert.
C'est triste, mais ils prennent une boulette ; ils perdent les dix boulettes.
Encore pire : vous lancez l'expérience,
le bouton violet apparait, un certain temps s'écoule
et ensuite le bouton vert apparait.
Si le rat ou le pigeon peut attendre, se tourner les pouces,
s'il peut attendre, se distraire,
il aura dix boulettes de nourriture.
Mais non, impossible !
Il appuie sur le bouton vert et perd les dix boulettes.
Mais, il y a une bonne nouvelle.
Si vous introduisez un bouton rouge
qui n'est pas en lien avec la nourriture,
les pigeons et les rats n'aiment pas appuyer dessus.
Mais le bouton rouge va éliminer l'apparition du bouton vert.
Le bouton violet apparait, il appuie dessus, le bouton rouge apparait.
Si le rat ou le pigeon appuie dessus,
la seule chose qui se passe c'est que la tentation ne survient pas.
Que pensez-vous ? Que font-ils ?
Ils appuient !
Pas toujours, mais assez souvent.
Et je pense que c'est très optimiste, parce que s'ils peuvent le faire,
alors, peut-être que nous le pouvons aussi.
(Rires)
Voici quelques exemples.
Voici un réveil qu'un de mes étudiants à Media Lab a réalisé.
Il s'appelle Clocky. Comme vous pouvez le voir, il a deux grosses roues.
Et quand il sonne, il se met aussi à rouler dans toute la pièce.
Ça marche comme ça :
quand vous allez vous coucher, vous êtes tout à fait le genre de personne
à vous lever à 6h du matin pour aller courir
avant d'aller au bureau ou à la fac.
Quand vous vous réveillez à 6h du matin, vous n'êtes pas la même personne ;
vous êtes quelqu'un qui reste au lit jusqu'à 8h30,
qui pense aller courir le lendemain. (Rires)
Ce réveil élimine le problème, parce que si vous le réglez la veille au soir,
vous êtes obligé de vous lever le lendemain !
Le réveil se cache sous une table,
il court partout. Impossible de ne pas se lever !
En voici un autre. Une idée très intéressante,
qui n'a jamais rencontré de succès commercial,
mais je l'aime beaucoup. Ça s'appelle « Snooze and lose » (Tu roupilles, tu perds) !
C'est un réveil connecté à votre compte en banque.
(Rires)
Et aussi connecté à une organisation caritative que vous détestez.
(Rires)
Chaque seconde qui sépare la sonnerie du réveil
du moment où vous l'éteignez,
de l'argent est versé à l'organisation que vous détestez.
Imaginez-vous essayer de vous rendormir dans ces conditions !
Une autre exemple : « Stikk »
Stikk est un très bon site internet
qui permet de créer des contrats de maîtrise de soi
entre soi-même et d'autres gens,
des gens qu'on aime ou qu'on aime pas, des organisations...
Vous pouvez contrô*** le temps que vous passez sur Facebook,
sur vos e-mails, ou ce que vous mangez,
et tout un tas de choses de ce genre.
Voici un autre site intéressant :
c'est un logiciel qui se télécharge.
On désigne ensuite d'autres personnes, qui seront averties par le logiciel
lorsque l'utilisateur regarde du matériel pornographique sur internet.
(Rires)
Il avertit aussi ces personnes si vous désinstallez le logiciel.
Alors, quelle est l'idée ?
L'idée c'est que la tentation est partout.
On dirait qu'on est faits pour ne pas réussir à penser à notre longévité à long terme.
Ce qui est très triste.
C'est le problème d'Adam et Eve, en quelque sorte.
Et ce serait génial si on pouvait tous concevoir
nos propres instruments pour surmonter ce problème.
Ce serait génial si on pouvait tous trouver une solution à la Ulysse pour ça.
Le problème c'est qu'on ne peut pas tous faire ça ; ce n'est pas si facile, pas si simple.
Par chance, il me semble qu'il y a une bonne nouvelle en la matière :
on peut créer d'autres mécanismes.
On peut créer des choses comme Clocky, Stikk...
On peut créer des interfaces et des mécanismes qui aident les gens à réussir
et à vivre comme on voudrait vivre sur le long terme.
Voici un exemple que nous avons essayé.
Il s'avère que dans l'histoire de l'humanité, personne ne s'est jamais réveillé
en se disant : « Aujourd'hui, j'irais bien faire une coloscopie ! »
(Rires)
Certains d'entre vous savent de quoi je parle.
Et que font les hommes concernés,
lorsqu'ils se lèvent et que c'est le jour de la coloscopie ?
Ils trouvent beaucoup d'autres choses à faire !
« Oh, j'ai plein de boulot au bureau ! »
« Je me sens pas très bien ! »
Et tout le monde en souffre : le système de santé en souffre
l'individu en souffre et ça ne donne rien de bon.
Imaginez que je vous donne un mécanisme de solution à la Ulysse.
Imaginez que je vous dise :
« Bon, je te prends rendez-vous pour une coloscopie le 15 décembre,
et je te donne le choix, maintenant, de me faire un chèque de 500 dollars.
Si tu y vas en temps et en heure, je te rends l'argent.
Si tu rates le rendez-vous, je prends l'argent. »
Que se passerait-il ?
Si vous me faites le chèque, c'est parce que vous savez que le 15 décembre
vous n'aurez pas envie d'y aller. Mais vous savez aussi
que ce serait une torture de perdre cette somme.
Et plus vous me donneriez d'argent, plus grande serait la torture
de rater le rendez-vous.
Il y a de nombreux mécanismes similaires,
et de nombreuses opportunités de créer chacun les conditions
qui nous forceront à nous conduire sur le long terme de la manière dont nous voulons nous conduire.
C'est donc ça l'idée.
je crois que certaines choses sont gratuites.
Vous connaissez l'expression
« Rien n'est gratuit. »
L'expression « rien n'est gratuit » est basée sur l'idée que tout le monde est optimal,
tout le monde se comporte déjà de manière rationnelle.
Et si en fait on ne se comportait pas de manière rationnelle ?
Et si on avait tort systématiquement ?
Si on avait des biais systématiques ?
Ça veut dire qu'il y a des manières, il y a des mécanismes,
il y a des choses qu'on peut faire pour améliorer la situation de tout le monde.
On peut améliorer la situation de chacun :
on peut améliorer le système de santé
on peut aider ses proches
et d'autres choses qui sont les grands espoirs de l'économie comportementale.
En comprenant pourquoi les gens se trompent,
on peut essayer de trouver des solutions pour améliorer le monde.
Merci.
(Applaudissements)