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Hygiène Mentale a eu l’excellente idée de représenter l’évolution de ses idées religieuses sous la forme d’un graphique, avec en ordonné le niveau de preuve et en abscisse le niveau d’adhésion.
Je vais tenter d’en faire de même relativement au simple christianisme, qui, je le rappelle, contient les points fondamentaux communs à toutes les confessions chrétiennes.
Jusqu’à mes 18 ans, j’ai été un athée au sens fort du terme. Je pensais que Dieu n’existait pas et je pensais disposer d’arguments suffisants pour le croire.
Mes arguments n’étaient pas très originaux, c’était les arguments que l’on retrouve à peu près chez tous les athées classiques.
Mon principal argument était que l’univers s’explique par lui-même. La science semble pouvoir l’expliquer complètement, il est donc inutile de faire référence à un quelconque Créateur.
Mon deuxième argument concernait le problème du mal. Même si je ne croyais pas en l’objectivité des valeurs morales, du bien et du mal, j’avais du mal à imaginer qu’un Dieu puisse vouloir ce monde précisément.
Mon troisième argument concernait le pluralisme religieux. Il existe plusieurs religions, qui semblent se confondre avec la culture dans laquelle elles existent, ce qui donne à penser qu’il s’agit de productions humaines.
Et puis, le christianisme ne me semblait pas si différent des mythes antiques.
J’avais d’autres arguments, mais ces trois là me semblaient être les plus pertinents.
D’une manière plus générale, c’était la crédulité des chrétiens, cette satisfaction dans le fait de croire en l’absence de preuve, qui me semblait être le meilleur motif pour rejeter cette superstition.
À 18 ans, je suis entré en fac de philo, après un an de prépa Science Po. C’est là que j’ai rencontré un étudiant chrétien qui m’a expliqué sa foi de façon intelligible.
J’ai réalisé qu’il était possible d’être religieux, et intelligent, aussi étonnant que cela puisse paraître.
D’ailleurs ce constat s’est renforcé en approfondissant des auteurs comme Thomas d’Aquin, Descartes ou Leibniz. Ils avaient beau être théistes et même chrétiens, ils n’en savaient pas moins raisonner.
L’athéisme me semblait toujours supérieur au théisme, mais je ne pouvais plus affirmer avec autant de vigueur la stupidité des religieux.
À 19 ans, j’ai commencé à lire la Bible pour la première fois. Je souhaitais y trouver des contradictions pour prouver, à cet ami chrétien, que cette supposée révélation n’était pas crédible.
J’ai trouvé que c’était un texte complètement dépassé sur le plan scientifique.
J’ai aussi approfondi les arguments de Leibniz en faveur de l’existence de Dieu. J’ai trouvé que son argument à partir de la contingence du monde était pertinent, ce qui m’a obligé à abandonner mon athéisme.
Je suis temporairement devenu agnostique.
J’ai continué à lire la Bible, et notamment les Évangiles, toujours dans le but d’y trouver des contradictions. J’avoue que j’ai été frappé par la répartie et l’éthique exigeante de ce Jésus de Nazareth.
Mais comme j’avais été influencé par les thèses mythistes, je n’en croyais pas moins qu’il ne s’agissait que d’une légende.
C’est d’ailleurs en lisant la Bible que j’ai vécu une expérience spirituelle. J’avais beau être convaincu que ce genre d’expérience se produit sous l’effet d’une maladie mentale, j’en ai vécu une moi-même.
J’ai entendu une voix mentale me dire : « Alexis, tu es pécheur, mais je te pardonne, car je t’adopte comme mon fils ». En une fraction de seconde, toutes mes émotions et mes idées sur l’éthique ont été modifiées. J’étais rempli de joie et d’amour.
Comme je ne pensais pas être devenu fou, et que l’existence de Dieu me paraissait être possible, je me suis dit que j’avais probablement vécu l’expérience d’une révélation divine.
C’était donc une connaissance, en tant qu’expérience, quoi qu’incommunicable.
Je suis donc devenu théiste, mais pas chrétien pour autant.
Si je voulais bien admettre l’existence d’un Dieu révélé à travers la morale du Christ, je ne croyais ni en la Trinité, ni en l’Incarnation, ni même en l’historicité du Christ. Jésus n’était pour moi qu’une jolie fiction morale mais guère plus.
Entre 20 et 22 ans, je me suis lentement rapproché du simple christianisme.
J’ai été profondément influencé par mes études de philosophie.
J’ai eu des cours sur la philosophie de l’esprit, sur la conscience et l’altérité.
L’idée que l’altérité soit nécessaire dans la constitution de la conscience de soi m’a conduit à l’idée qu’un Dieu trinitaire était plus crédible qu’un Dieu unipersonnel.
J’ai aussi eu des cours d’épistémologie des sciences historiques. J’ai réalisé que les thèses mythistes n’étaient pas tenables et j’ai considérablement réduit mon scepticisme à l’égard de l’historicité du Christ.
J’ai lu la Bible entièrement, et j’ai fini par considérer que Dieu s’était peut-être accommodé à l’homme, à sa culture, ce qui pouvait expliquer la forme de la révélation. J’aurais préféré un traité démonstratif, mais il fallait s’y faire.
J’ai lu des ouvrages de théologie catholique et protestante, comme plus *** j’ai lu des ouvrages de théologie orthodoxe, pour comprendre les différentes manières d’interpréter la Bible.
J’ai fini par considérer qu’aucun ne l’emportait sur les autres et que la Bible manquait de clarté sur plusieurs points, probablement parce que leur importance était secondaire.
C’est aussi une période durant laquelle je me suis intéressé aux arguments contre le christianisme pour en mesurer la solidité face aux objections.
Entre 22 et 30 ans, mon simple christianisme s’est considérablement renforcé.
En Master de philosophie, je me suis consacré à la question des preuves de l’existence de Dieu. J’ai étudié Thomas d’Aquin, ainsi que les objections contre sa philosophie théologique.
J’ai fini par considérer que l’argument de Leibniz en faveur de l’existence de Dieu était proche de la certitude et j’ai abandonné la référence à l’expérience religieuse comme élément de preuve subjective.
J’ai également découvert la philosophie analytique de la religion, et les débats plus contemporains sur le christianisme. J’ai découvert pas mal d’arguments en faveur du simple christianisme, tandis que mes lectures en faveur de l’athéisme m’ont paru plutôt faibles.
À 30 ans, j’ai connu une importante crise intellectuelle. J’ai reconsidéré positivement les arguments contre la causalité, notamment ceux de Hume.
Pour moi, cela a été un effondrement complet. Je ne croyais plus en rien, pas même en l’existence du monde. Je doutais de presque absolument tout.
Je suis sorti de cette crise en admettant une version probabiliste du principe de causalité.
Mais cela signifie aussi que mon adhésion au christianisme, de même que la plupart de mes croyances, qui dépendent de ce principe, sont également devenues probabilistes.
Voilà donc comment je suis passé d’un athéisme fort à un théisme probabiliste, et plus précisément à un simple christianisme probabiliste.
Je dois avouer qu’il n’est pas toujours évident de se positionner sur ce graphique.
Même si on peut se souvenir assez bien des différentes périodes de sa vie, il faut encore se souvenir de l’évaluation des arguments que l’on avait soi-même à l’époque.
Une autre difficulté est que ce graphique ne concernant qu’une seule position, il rend très brutales les légères variations d’idées, ou au contraire les sous-estime.
Par exemple, entre 18 et 19 ans, je suis passé d’un athéisme radical à un théisme philosophique, mais sans adhérer au simple christianisme.
Ces deux positions sont donc très proches du point de vue du simple christianisme, puisque toutes deux le rejettent.
En revanche, entre 19 et 22 ans, la distance est très importante, alors qu’au fond sur le plan des idées en général j’ai moins évolué.
Ce fut donc un exercice intéressant, mais je pense qu’il manque quelques petites choses pour rendre ce graphique plus lisible.