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On les appelait autrefois les hermaphrodites.
Ces personnes possèdent des organes sexuels en partie mâles et en partie femelles.
Aujourd'hui, certains jugent le terme insultant.
Ils préfèrent qu'on les appelle "intersexes".
Parmi ces personnes, la plupart sont peu disposées à témoigner publiquement.
Aujourd'hui, quelques-unes nous rejoignent dans l'espoir de briser le silence.
Voici Katie, étudiante en médecine de 22 ans.
Elle fait aussi du mannequinat.
Nous avons tous des secrets, des choses que nous avons peur de dévoiler.
Quand j'avais six ans, on m'a conduite à l'hôpital pour opérer une hernie.
Et dans mon ventre, les médecins ont trouvé des testicules à la place des ovaires.
C'est alors qu'ils ont posé le diagnostic de syndrome d'insensibilité aux androgènes.
Au lieu d'avoir deux chromosomes X, comme la plupart des filles,
j'ai un chromosome X et un chromosome Y.
Mais mon développement a été celui d'une fille.
Le chromosome Y n'a eu aucun effet.
Mes parents m'ont montré un manuel d'anatomie,
et ils m'ont dit : voilà l'utérus.
C'est de là que viennent les bébés. Tu n'as pas d'utérus, donc tu ne pourras pas avoir de bébés.
Je me rappelle qu'à mes quatorze ans, j'ai commencé à prendre des oestrogènes
pour continuer à me développer comme les autres.
C'était vraiment horrible, au collège puis au lycée :
mes amies avaient leurs premières règles, et je savais que ça ne m'arriverait jamais.
J'ai vraiment appris ce qu'était mon syndrome quand j'avais entre 16 et 17 ans.
Je ne m'étais jamais dit que mon chromosome Y aurait dû faire de moi un garçon.
A 18 ans, on m'a retiré mes testicules.
Ce qui m'a fait le plus de mal, c'est de savoir que tous ces médecins qui m'avaient examinée
dès mon jeune âge, savaient tout de mon corps alors que je n'en savais rien.
C'était dur à encaisser : je n'étais pas dans le secret concernant mon propre corps.
Mes parties intimes, les plus privées, avaient été rendues publiques.
Ce soir, Katie et sa mère Arlene sont avec nous.
Merci de nous rejoindre sur ce plateau.
Comme je le disais, l'émission a eu du mal à contacter des participants volontaires.
La plupart des gens n'ont pas envie d'en parler. Ils préfèrent que ça reste un secret.
Ils veulent éviter les questions de leur famille ou à leurs amis.
Pourquoi avez-vous accepté de participer ?
Si j'ai voulu le faire, c'est que, selon moi...
Justement, les gens ont du mal à en parler parce que c'est un sujet trop méconnu.
Ce n'est pas un sujet que l'on peut aborder à l'improviste, entre deux cocktails.
Cette honte, ils la ressentent parce qu'ils ont été élevés dans la honte.
Ce serait différent si on pouvait en parler.
C'est pourquoi je participe à cette émission.
C'est l'occasion de briser le silence, comme vous le disiez, et d'informer le public.
J'espère qu'il sera ainsi plus facile, à l'avenir, pour les femmes comme moi,
de s'exprimer sur ce sujet sans ressentir de honte.
J'aimerais pouvoir lever ce voile de secret qui étouffe de si nombreuses existences.
Donc, génétiquement, vous êtes mâle ?
Dans un sens, oui, puisque j'ai un chromosome X et un chromosome Y.
Ce chromosome Y a donné l'ordre à mon corps de développer des testicules.
Mes testicules se sont mises en marche comme prévu, en produisant des hormones mâles,
la testostérone, et les androgènes en général...
Mon corps n'a pas réagi à ces hormones.
Je suis insensible aux androgènes.
D'où le nom : syndrome d'insensibilité aux androgènes.
Donc dans un sens, je n'ai rien de mâle.
Je produis toutes ces hormones, mais... - Mais vous avez des testicules ?
J'avais des testicules. - Vous les avez fait enlever.
Elles faisaient leur travail, mais sans aucun résultat, car mon corps refusait de réagir.
Quelles sont les différences entre votre corps et celui d'une femme classique ?
Y a-t-il des différences, à part les testicules ?
Extérieurement, je suis totalement féminine.
Je confirme. - Merci !
Même complètement nue, chez le médecin ou dans les vestiaires, vous verriez une femme.
La seule différence, c'est qu'à l'intérieur, au lieu des ovaires, j'avais ces testicules.
Je n'ai jamais développé d'utérus ou de trompes de Fallope.
Quand vous dites "à l'intérieur"... Je peux dire "zizi", à cause des enfants ?
Bien sûr, si vous voulez.
Quand vous dites "à l'intérieur", vous parlez de l'intérieur de votre zizi ?
Je parle de mes organes internes.
Pour la plupart des femmes, le vagin conduit à l'utérus, c'est le canal par où passe le bébé.
Mais vous avez un vagin, ou rien du tout ?
Oui, j'ai un zizi.
Alors, quand vous avez eu ce problème d'hernie,
c'était la première fois que vous réalisiez...?
J'étais très petite, je n'ai pas compris ce qui se passait.
Je savais juste que je devais aller à l'hôpital.
Et c'est à mon retour de l'hôpital que mes parents... ma mère ici présente,
ont hérité de ce fardeau, le secret de ce diagnostic.
Que vous avait-on dit exactement, Arlene ?
On m'a parlé du syndrome d'insensibilité aux androgènes, on m'en a expliqué les particularités
et j'ai eu la chance d'être très bien entourée, par une équipe médicale au langage très positif.
Ce qui comptait avant tout pour moi, c'était d'avoir un enfant heureux et en bonne santé.
C'était ma priorité. - C'est pourquoi vous avez tout de suite décidé
de lui expliquer les implications de tout cela, en trouvant des mots qu'un enfant comprendrait.
Oui, nous lui avons donné les éléments qui étaient appropriés à son âge.
Par exemple, à six ans, on peut parler du fait que les bébés viennent du ventre de la maman.
Certains fondent une famille en faisant un bébé qui se développe dans le ventre de sa maman,
et d'autres, en adoptant un bébé.
Nous nous en sommes tenus là au départ, puis, avec le temps, nous lui en avons dit davantage.
Qu'avez-vous ressenti sur le moment ? Vous semblez le prendre très bien.
C'était très choquant, mais nous avions une bonne équipe médicale qui nous a soutenus.
Nous nous sommes renseignés au maximum, et j'ai trouvé une association de parents,
qui nous a été d'une grande aide, à ses 14 ans.
Comment expliquez-vous à vos connaissances que vous avez des gènes masculins ?
Déjà, leur expliquez-vous ? Rien ne vous y oblige, ça ne se voit pas.
Oui, je mets tout le monde au courant.
Mais au collège... J'ai essayé d'en parler un peu, pour expliquer mon absence de règles.
Mais ce n'était pas évident, les autres n'y comprenaient rien, et moi non plus.
On s'est un peu moqué de moi pour ça.
Comment pouvait-on se moquer de vous, alors que personne n'y comprenait rien ?
La question qui venait logiquement était : "Tu n'as pas d'utérus, il est passé où ?"
Et comme je n'avais pas de réponse, on disait que j'étais une mutante et ce genre de chose.
Avez-vous déjà pensé que c'était le cas ?
Avez-vous eu l'impression d'être une mutante, d'être bizarre au milieu de gens normaux ?
Oui, bien sûr. L'adolescence, pour une fille, consiste à traverser ces rites de passage :
les premières règles, le premier soutien-gorge, vos parents qui ne savent pas comment réagir...
Le premier rendez-vous, et ainsi de suite.
Je ne faisais pas vraiment tout ça en même temps que mes amies.
J'éprouvais donc un grand sentiment de solitude.
Et je n'avais jamais rencontré quelqu'un qui soit comme moi.
Ma mère était d'un grand soutien, et mes médecins également,
mais c'était dur, je me sentais très seule.
Très seule, et qu'est-ce qui vous a permis de rompre cette isolation, cette solitude ?
La meilleure chose qui me soit jamais arrivée, avec le recul, c'était à mes 18 ans...
mes parents m'ont emmenée pour la première fois à un groupe de parole de femmes atteintes d'AIS.
J'ai rencontré des femmes merveilleuses, talentueuses, très belles, très intelligentes.
Elles disaient : "Après tout, j'ai ce syndrome, et c'est vrai qu'au départ j'avais des testicules
mais ça n'a aucune incidence sur moi, ou sur la manière dont je mène ma vie."
C'est une partie de moi, ce n'est pas moi.
Bien, je voudrais vous poser une question.
Quel est l'impact sur votre vie sentimentale ?
Très bonne question. - Je trouve aussi.
Vous faites ça plutôt bien. - Merci, j'essaye.
Vous savez, c'est toujours intimidant de se dire : "je dois lui en parler".
"Je vais peut-être sortir avec lui."
C'est une chose qui me fait beaucoup cogiter, je deviens rapidement très nerveuse.
Mais le fait est... J'ai eu trois petits amis.
Mon petit ami actuel est adorable.
Aucun des trois ne s'est jamais soucié de ça.
L'un des trois a simplement dit : "Ok, et tu veux dîner à quelle heure ?"
C'est le genre de conversation...
Il plaît au public.
Vous connaissez le livre "Middlesex" ? - Oui.
Quand vous l'avez lu, vous êtes-vous reconnue dans le comportement de Callie ?
Evitez-vous de vous rapprocher des gens ?
Ou avez-vous des flirts, auxquels vous mettez fin en sentant que la relation devient plus intime ?
Bien sûr. C'est évidemment un gros obstacle à l'établissement d'une intimité sentimentale.
Je sais que chaque personne qui nous regarde dans cette salle ou à travers un écran
a déjà eu des secrets pour ceux qu'elle aime.
Ce secret-là est terrifiant, car on craint que sa révélation mette un terme à la relation.
Que cette personne cesse de nous aimer. C'est effrayant. Mais j'ai eu beaucoup de chance :
ça ne m'est jamais arrivé.
C'était une très jolie conclusion. Très bien dit.
Nous allons ensuite rencontrer Hida, qui dit n'être ni un homme, ni une femme, mais les deux.
A suivre !
Le docteur Alice Dreger est une spécialiste
de ce que l'Université de Northwest appelle les anomalies sexuelles.
Elle va maintenant répondre pour nous à la question : "Qu'est-ce qu'un intersexe ?"
Les intersexes sont les personnes qui naissent avec toutes sortes d'anomalies sexuelles.
A la conception, une personne est issue d'un ovule et d'un spermatozoïde.
Chacun contient un chromosome sexuel : la mère apporte un X, le père, en général, un X ou un Y.
L'embryon XX se développe en femelle, et l'embryon XY, en mâle... la plupart du temps.
Mais ce n'est pas ce qui détermine l'intégralité du développement sexué.
Ce dernier se produit au cours d'une centaine d'étapes environ.
Un même organe donne les ovaires chez la fille et chez le garçon, des testicules qui descendent.
C'est aussi un même organe que nous appelons le *** d'une part et le pénis d'autre part.
Chez l'intersexe, certaines étapes diffèrent.
Même si on ne compte que les naissances qui présentent une anomalie bien visible,
cela concerne un enfant sur 2000.
Voici un individu mâle complètement insensible aux androgènes.
Ce peut être un pénis minuscule,
avec une fente sur le côté ou à la base, au lieu de l'avoir à l'extrémité ;
un *** très développé, pas de vagin...
On distingue trente conditions intersexes connues à ce jour.
Dans les livres pour enfants, on dit : voilà un garçon, voilà une fille...
En réalité, c'est beaucoup plus compliqué.
Très compliqué, en effet. Hida, 35 ans, estime que c'est une bénédiction d'être née intersexe.
Je m'appelle Hida, et je suis née intersexe, j'ai une hyperplasie congénitale des surrénales.
Je suis née avec des organes sexuels ambigus, on ne savait pas si j'étais un garçon ou une fille.
En fait, mon *** était surdéveloppé.
Biologiquement, je suis femelle avec deux chromosomes X.
Mais je produis beaucoup de testostérone, ce qui me donne un physique masculin.
Dans l'enfance, j'avais le sentiment d'être une fille d'un genre différent.
J'étais plus agressive que les autres.
J'avais plutôt les jeux et l'esprit de compétition des groupes de garçons.
A 11 ans, j'ai vu à quoi ressemblaient les organes sexuels d'une autre fille.
J'étais aux vestiaires, et quand je l'ai vue se déshabiller, j'ai d'abord pensé :
"Pourquoi le sien est tout plat ? Il lui manque quelque chose !"
Mon *** est de la taille d'un petit pénis.
Je peux avoir des érections, et j'ai également un appé*** sexuel comparable à celui d'un homme.
Je suis heureuse de ne pas avoir été opérée.
Vers 27 ans, j'ai découvert un article qui parlait des personnes intersexes.
Et je me suis tout de suite reconnue.
Vous n'y aviez jamais pensé auparavant ?
Comme tout le monde, j'étais dans l'ignorance. Je savais bien que j'étais différente,
mais je n'avais jamais entendu un mot pour décrire cette différence.
Que vous disaient vos parents ? - Rien du tout.
Et finalement, c'était une excellente solution.
Je l'ai vécu beaucoup mieux que d'autres gens à qui on a servi de grandes explications.
Pas vous, bien sûr. Vous avez reçu une information digne de ce nom, honnête.
Mais contrairement à d'autres, mes parents ont été encouragés à me traiter comme une fille...
"normale", à défaut d'un autre terme. Donc ils ne m'ont absolument rien dit.
Une fille qui faisait parfois comme les garçons.
Oui, je crois que c'est l'idée.
Je savais que j'étais différente, mais je me voyais bien comme une fille.
Je n'ai jamais souhaité être un garçon. - Mais quand vous étiez un bébé,
les médecins ont-ils proposé de vous opérer, pour vous rendre semblable aux autres ?
Dans mon cas, ils ont vu que j'avais un vagin.
Même sans tester mes chromosomes, ils ont vu que j'étais biologiquement femelle.
J'avais simplement un *** très développé, mais j'étais déjà "une fille normale".
Ils auraient pratiqué une réduction du ***, ou une clitorectomie.
Ils l'auraient coupé ? - C'est ça, ils l'auraient coupé.
Mais mes parents ont décidé... mon père était médecin en Colombie.
Il était donc mieux informé que la plupart des parents.
Il a dit : pourquoi m'opérer, alors que je suis en bonne santé et que tout fonctionne bien ?
Chacun sait qu'on n'opère que pour améliorer l'état du patient, surtout si c'est un bébé.
Avez-vous déjà eu le sentiment d'avoir à choisir entre le genre masculin et le genre féminin ?
Dans votre enfance ? - Non, pas dans mon enfance.
Personne ne savait que j'étais intersexe. Si je ne le disais pas, ça ne se voyait pas.