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>> Sophie (voix off) : J'ai toujours voulu avoir un frère.
>> Sophie (voix off) : J’ai toujours voulu avoir un frère.
[RAP murmures]
Thiat était loin d'être une star au Sénégal.
C'était juste un ados de province qui rappait et organisait des grèves à l'école.
[RAP murmures] Ma grand-mère me disait toujours, il faut
croire en soi et se battre. C'est peut être pour ça que Thiat est devenu mon frère.
C'était il y'a 13 ans. [RAP]
Thiat est toujours mon frère ; avec nos amis, on a réussit ce que même dans nos rêves,
on n'osait pas imaginer. Faire descendre un peuple dans la rue ! Vous
savez, ce que c'est ? [Bruits de tonnerres]
[BOY SALOUM, La révolte des Y'en a marre] [Musique de concert]
[Images d'archives] Je m'appelle, Sophia.
Notre histoire a commencée ici, dans la ville de notre enfance : Kaolack.
Kaolack est la grande ville de la province du Saloum, à 200 Km de Dakar.
Une terre de commerce du sel et de l'arachide. Une terre de transit, de voyageurs et de contestations.
Nous en sommes fiers. A l'époque la province était un royaume, on l'appelait le royaume
du Saloum. Nous sommes tous des boy Saloum.
Ça nous vient aussi de Valdiodio N'diaye. A Kaolack, mon Lycée portait son nom.
Valdiodio avait tenu tête au Général DeGaulle, en août 1958, jusqu'avant l'indépendance.
Son discours, on l'a tous en mémoire. C'est peut être pour ça que les mots sont notre
arme. Le meilleur ami de Thiat, c'était Kilifeu.
Ils ont grandis dans les mêmes rues. Il est devenu mon deuxième frère.
Le rap est entré dans notre vie, à l'adolescence. [Musique]
Thiat et Kilifeu allaient former leur groupe « Keurgui ». En Wolof, « Keurgui » veut
dire « la maison ». Et entre eux, c'était à la vie, à la
mort. >> Kilifeu : Quand on venait par exemple,
dans les concerts, pour faire les premières parties. Quand on montait sur scène, c'était
la récréation pour le public. Les gens profitaient pour aller acheter de
l'eau ou des cacahuètes ou discuter un peu avec leurs copines. Jusqu'à ce qu'on
finisse. Le premier jour ou le public a apprécié,
la salle était pleine à craquer. Quand on est venus demander au promoteur,
qu'on veut jouer, il nous a dit : « Oh, Oh, Oh, allez, allez... vous ne savez
pas faire le rap, vraiment vous allez ... vous allez épuiser notre temps, on n'a
pas assez de temps, quoi. On a des groupes qui vont faire la première
partie, et puis c'est tout, quoi. » On a dit au promoteur : « Même si on va
payer les tickets d'entrée, et que juste tu nous donne 2 minutes de scène ? ». Le
gars a dit : « Ok, dans cette condition, d'accord. ».
J'ai pris le micro ; Thiat a pris le micro ; et on a dit le D.J. il ne faut pas allumer
le son. Donc tout était calme. La salle était calme,
comme au cimetière. On leurs a dit : « Vous ! Vous ne méritez
pas d'être Kaolackois ! en tant que les fils de Valdiodio,
en tant que Saloum Saloum ; là ou il fait plus de 45 degrés.
Saloum, Saloum, Bagnkat, les vrais résistants, les vrais révolutionnaires.
Vous vous faites arnaquer par des groupes qui viennent chanter du 'Love'.
Vraiment, vous ne méritez pas d'être des Saloum Saloum.
Au moment, ou, le Maire, est entrain de faire tout ce qu'ils veulent ;
Au moment, ou, le Kaolack, manque d'infrastructures ;
Au moment, ou, rien ne va ; Au moment, ou, Kaolack va mal !
Vous, vous êtes là ! Vous vous êtes là, entrain de faire du 'Bégué' avec des
groupes qui chantent du 'Love'. Vraiment, vous êtes des .... ». ... et on a insulté
le public. Et, le public a réagit comme pas possible.
[RAP] C'est depuis ce jour là, qu'on a du respect,
et qu'on a fait découvert par le public. Le lendemain, le bruit commence à courir
: « Keurgui, Keurgui, Keurgui, ... ce que Keurgui a fait hier, ce que Keurgui a dit
hier. Eh, mais c'est ça la réalité. Les Rap Love, là, ils nous emmerdent. Il faut
dire les choses. [RAP]
>> Thiat : On commencé, mais direct, avec des musiques engagées contre la Mairie de
Kaolack, contre la Gouvernance de Kaolack, contre les écoles, contre les hôpitaux,
la police, les sapeurs pompiers... Et quand on a commencé à faire ces choses,
qu'on a vu que les gens commençaient à prendre conscience vraiment de ce qui devait
se passer réellement et qui ne se passe pas. On s'est dit alors nous ce qu'on n'est
entrain de faire c'est du vrai quoi. [RAP]
>> Sophie (voix off) : Mais le Sénégal avait beau être une démocratie, quand des jeunes
mobilisent d'autres jeunes, ça peut aussi dégénérer.
Deux ans après la création du groupe, Thiat et Kilifeu ont été arrêtés.
Abdou Diouf était au pouvoir depuis déjà 17 ans. Des hommes de main ont embarqués
les gars, à la fin d'un concert et les ont tabassés.
Thiat et Kilifeu sont restés plusieurs semaines à l'hôpital.
Un an plus ***, c'était la prison. 5 jours de cellule, sans aucune charge ; ils étaient
encore mineurs. Depuis, ils rappent torse nu.
[Discussion dans la rue] >> Thiat : C'est clair que c'était pas
la vie que mes parents ont voulu tracer pour moi. Je suis resté 10 ans sans parler avec
mon père. On s'est réconciliés 3 mois avant qu'il décède. Parce qu'il voulait
que je sois, banquier, ... etc. J'ai dit, je veux pas être banquier.
Je veux pas faire des études pour devenir un banquier.
Je ne me vois pas avec un costume; cravate; aller dans un bureau; garer 8h; avec avoir
un boss; un chef qui me commande. Je suis pas né pour être un chef, pour être
commandé. Je suis né pour être impliqué dans la gestion
de la chose publique. Avoir mon rôle à jouer. Je veux continuer
mon Hip Hop. Il a pas voulu comprendre.
Et je n'oublierai jamais, le jour ou il m'a trouvé en train de faire du thé, en
me disant : « Tu ne veux pas aller à l'école, faire
le cursus que je veux. Tu resteras à finir ta vie comme ça en faisant
le thé pour tes pôtes, qui eux, iront au bureau et à midi,
tu viendras manger chez eux parce que tu n'as pas de quoi manger,
tu n'auras même pas de famille, et tu feras le tour de tes copains pour leur faire du
thé. » Cette phrase là, chaque fois qu'on était
face à des difficultés, et que la pression était forte, pour genre abandonner, non aller
faire autre chose, je m'en rappelais. Et quand je m'en rappelais, c'était comme
si j'étais rechargé à bloc. Et je me suis dit, non, j'ai défié mon
père, il faut que je réussisse. [RAP]
[Discussion en Wolof] >>Kilifeu : Ils nous taxaient de sauvages,
nous on les taxait de playboys, de play arts, de noye boys, ... vous voyez ?
Alors après, c'est ce qui a poussé Thiat à me rejoindre.
Il a dit, vraiment j'en ai marre de cette vie de... fils à papa, fila à maman, quoi.
J'en ai vraiment ras le bol, alors ce que je vais faire, c'est d'aller rejoindre
les Kilifeu, parce que c'est lui le Thug Life, quoi.
Alors, ha ha, je lui ai dit, bienvenue. [rire] [RAP]
>> Thiat : On commençait à être incontournables pour la région. Tout le monde nous réclamait,
les concerts, c'était nous. On faisait, nous un groupe underground, qui n'avait
pas d'album, on faisait guichet fermé à l'Alliance. Quand les gens ont commencé
à prendre conscience de cela, nous nous sommes dits, Kaolack devient de plus en plus petit
pour nous. Il faut qu'on aille à Dakar. >>Kilifeu : On a compris que si on reste à
Kaolack, on ne va pas nous entendre. Donc on a vraiment enlevé ça dans la tête, et
venir accaparer la Capitale et faire de la capitale notre truc à nous même.
[RAP] >> Sophie : Quand ils
sont arrivés à Dakar, j'y vivais déjà depuis un an.
Après mes études d'anglais à la faculté, je venais de terminer un stage en informatique.
Un jour, ils ont débarqués chez moi. Finalement, nous restés presque 6 mois à
vivre ensembles. 6 ans pendant lesquels on a tout partagés.
Le groupe Keurgui commençait à être reconnus. Mais la musique ne les faisait pas encore
vivre. Ce n'est qu'à leur troisième album, qu'ils ont vraiment décollés. C'était
en 2008. Ils avaient mûris. Leur collère aussi.
En 2010, on a rencontré Fadel. Fadel c'est le pilier qui nous manquait.
L'homme avec qui, tout va s'accélérer. Fadel est journaliste d'investigation.
A l'époque, il travaillait pour l'hebdomadaire « la gazette ».
Il sortait régulièrement des enquêtes sur la corruption du président Wade.
Le 16 janvier 2011, on était chez lui, à boire du thé et à refaire le monde.
Et là, une fois de plus, une coupure de courant. Ce jour là, il y'avait donc Fadel ; son
petit frère Ma Ladji ; son ami journaliste Aliou Sané ; qu'on appelle Ndo' ; Thiat
; Kilifeu et Seck. La coupure a durée plus d'une journée.
Et c'est cette nuit là que nos vies ont basculées.
>> Kilifeu : Fadel nous a dit, mais vous ! Vous ne croyez pas que là, c'est trop, quoi.
Vous n'avez pas honte de laisser un combat qui est le votre, à des vieux du troisième
âge ? Ça vous dérange pas de rester comme ça,
oui, d'attendre que l'électricité coupe. Vous ne faites rien, attendre deux jours après,
que ça revienne. Ouais, vous continuez vos activités, vous
croyez que ça, c'est ça qui va faire changer les choses ? Mais, réagissez !
Et puis, vous êtes un groupe respecté, que les gens écoutent. Faites quelque chose.
On s'est chamaillés, on s'est tirés dessus. Alors,
Tap, on s'est dit, oui, pourquoi, tous les deux ont raison, pourquoi donc pas mettre
quelque chose sur place. C'est là ou l'idée de créer le mouvement
est né. >> Sophie : ça servait à rien de rester
dans un coin râler, parler par ci par là. On l'a fait depuis des années, personne
ne nous a entendu jusque là. Et quand Y'En A Marre est venu, il a marqué
un grand coup, et les gens ont commencés à écouter.
[MUSIQUE RAP] Y'En A Marre, c'est mon premier engagement.
Nous avons lancé le mouvement publiquement, le 18 janvier 2011 à Dakar, à la Place du
Souvenir. Nous voulions que notre génération s'engage.
Qu'elle se bouge pour bâtir un pays plus juste et plus libre.
On a reçu des appels de partout, des Sénégalais qui n'attendaient que ça.
Et qui sont venus intégrer le mouvement. Je n'ai jamais cru qu'il prendrait cette
ampleur là. [Extrait émission TV]
>> Malal Tall : Notre rôle c'est pas d'être députés ; le pouvoir ne nous intéresse
pas. Nous sommes des agents de mobilisation sociale.
Nous sommes des agents de conscientisation des masses.
Nous sommes des artistes. Et le Hip Hop c'est un discours artistique sur l'actualité.
C'est ça, le Hip Hop. >> Sophie : Pour nous réunir, nous avons
improvisés un Q.G. chez Fadel. Les rôles ce sont installés progressivement.
Je me suis d'abord chargée des réseaux sociaux.
Nous voulions créer des antennes de Y'En A Marre dans chaque localité du pays.
On les
a appelés les esprits. Car Y'En A Marre, comme on
le disait, était aussi un état d'esprit. [Discussions de réunions et publiques]
[Mashup de vidéos] >> Sophie : A la fin du printemps, nous avions
réussis à installer des esprits dans tout le pays.
Notre campagne de sensibilisation avait beaucoup joué dans l'inscription de 350.000 jeunes
sur les listes électorales. Le Q.G. était devenu notre lieu de vie.
Et puis, le 18 juin, ... [Extrait Radio]
>>RFI : «Bienvenue si vous nous rejoignez à suive vos réactions sur le projet de réforme
constitutionnelle au Sénégal, un projet qui est loin de faire l'unanimité, puisque
nous sommes, vous le savez, à huit mois de la présidentielle, et à la grande surprise
générale, le gouvernement a adopté la semaine dernière en conseil des ministres un texte
instituant un ticket présidentiel. Et autrement dit, si un ticket président, vice-président,
obtient 25% des suffrages exprimés, il remporte donc le scrutin dès le premier tour. Une
disposition qui remet donc en question, le principe de l'élection présidentielle
à deux tours, alors que vous inspire ce projet. »
>> Sophie : On était fous de rage. C'était transformer la république et la démocratie
en monarchie. Il y'avait un risque énorme que Wade confie le pouvoir à son fils.
Le 22 juin, on est tous partis à une réunion de coordination de la société civile, et
les partis d'opposition. >> Thiat : Quand on est arrivés, on a écouté
les discours. : « Oui, il faut écrire une plateforme »,
« amener ça à l'OUA, l'ONU, au américains, à l'Union Européenne
pour qu'ils comprennent que Wade ce qu'il veut faire après demain c'est pas juste»
et « ce qu'il veut faire demain, il faut le combattre » etc.
hhé, j'étais ... là ! j'ai pris le micro et j'ai dit mais qu'est ce que vous
êtes entrain de raconter ? L'heure n'est plus à la parole.
La France, elle cautionne ce que Wade elle fait. Ce que Abdoulaye Wade fait, la France
cautionne cela. La France a envoyé Wade en Tirailleur Sénégalais
aller dire à Benghazi, à Khadafi, dégage ton peuple ne veut plus de toi !
Est-ce que vous pensez que cette France là, elle va s'en occuper ? Quand vous lui écrivez
une lettre qui va durer une semaine avant d'arriver, après que la loi soit promulguée
? L'Union Européenne, vous pensez qu'elle
n'est pas là, présente ? Qu'ils n'ont pas des émissaires ? ça c'est de l'ingérence
! Les Etats Unis sont là, ils savent ce qui
se passe, ils savent ce que Wade veut faire. Mais personne ne peut nous supporter si nous,
notre peuple, on ne montre pas notre capacité d'indignation.
Il faut que nous, nous montrions, que nous, nous ne sommes pas d'accord. Pour que d'autres
puissent nous aider. Ils nous aideront à quoi ? à écrire des
pétitions pour dire aux gens dites non, dites non ?
Il faut qu'on soit dans la rue, et si vous êtes des vrais,
si vous croyez aux combats de principes dont vous menez depuis super longtemps, que nous
vous avions rejoint parce que nous sommes la relève, la jeunesse,
suivez nous dans la rue et tout de suite. On va montrer à Wade que nous n'allons
pas accepter que cette loi, elle passe, au prix
du sang, de la prison, ou de la mort, ou de tout ce qu'il veut.
Mais, les vieux ont hués, ils ont dit, mais non calmez vous les jeunes. Et on est sortis
illico. Quand nous sommes sortis, on a forcé les
barrages, on a dit directement le Palais. Devant les grilles.
Faut que Wade sorte, il comprenne aujourd'hui... [Extrait TV]
>> Sophie : Thiat venait d'être arrêté. Kilifeu et les autres tentaient de faire sortir
les gens dans la rue. Je n'avais plus qu'une chose à faire.
Faire passer l'information sur les réseaux sociaux et aux esprits de Y'En A Marre.
>> Thiat : Quand on s'est fait arrêtés et tabassés devant tout le monde, les gens
se sont dits mais, demain c'est le point de rendez vous, c'est l'Assemblée nationale.
La loi, elle ne va pas passer. >> Fadel : Wade pouvait faire tout ce qu'il
voulait, avant, mais après la naissance de Y'En A Marre, il faut qu'il comprenne
que dans ce pays là, les jeunes ne se laisseront plus faire.
[Musique de fond, slogans de manifestants] >> Sophie : Devant l'Assemblée nationale,
Kilifeu m'a dit : « Si je rentre chez moi ce soir, c'est parce que cette loi n'est
pas passée. Si non, je ne bougerai pas d'ici ».
[RAP, Bruits manifestations] Il y'a eu des dizaines de blessés, mais
le 23 juin, le peuple a gagné. Dans l'après midi, la radio a annoncé
que l'Assemblée Nationale retirait le projet de loi. Thiat et les autres ont été libérés
au milieu de la nuit. On était heureux, fiers, mais aussi un peu
amers. Il y'avait eu des émeutes et cette violence
bousculait les valeurs de notre mouvement qu'on voulait pacifique.
>> Fadel : Notre réaction s'était de rester fidèles à l'esprit originel de Y'En
A Marre. C'est que nous restons, foncièrement des républicains.
Donc nous avons choisis la république. Nous avons choisi la démocratie pour faire partir
Abdoulaye Wade, en tout cas, et son système. Et notre stratégique, c'était de créer
les conditions d'une démocratie participative. >> Sophie : Voilà pourquoi, nous avions rejoint
la coordination des ONG et des partis politiques pour former ensemble, le Mouvement du M23.
[Extrait TV] Mais Wade n'a pas compris. En Mi-Juillet
il a annoncé sa candidature pour un troisième mandat,
c'était un affront. Il avait lui-même limité le nombre de mandats à 2 dans la
Constitution de 2001. Encore une fois, il prenait la Constitution
pour un cahier de brouillon. [Extrait TV]
La coalition a tout de suite réagit. On a décidé que le 23 de chaque mois, les forces
vives de la nation se rassembleraient à la Place de l'Obélisque, pour montrer à Wade
que le peuple était maintenant prêt à défendre jusqu'au bout la constitution et les acquis
démocratiques. [Extrait TV : Déclaration de Thiat lors d'une
manifestation populaire] >> Thiat : Et deux jours après j'ai été
arrêté à la DIC. J'ai répondu aux questions qu'ils m'ont posées. Toutes les questions
possibles : « Qui a fait ceci ? », « Qui c'est qui vous supporte ? », « Est-ce
que vous êtes soutenus par les Américains ? », « vous êtes soutenus par les .. », parce
que ils ne croient même pas en leur jeunesse. Comment est-ce que cette jeunesse elle est
capable de se mettre au devant de la scène en prenant ses responsabilités. Tu donne
l'appartenance de leur combat à des Européens ou à des Américains, ou à un parti politique.
C'est même insulter sa génération. C'est même insulter son futur, le futur de ce pays.
[Musique RAP] [RAP]
[Bruits d'émeutes] [Extrait radio]
[Musique]
>> Sophie : Kilifeu venait d'être libéré après 2 jours de prison.
3 semaines étaient passées après la validation de la candidature de Wade.
Y'En A Marre avait organisé avec le M23 de grands rassemblements à la Place de l'Obelisque.
On était à 2 semaines du premier tour quand Wade a voulu reprendre Dakar en main.
Y'En A Marre avait appelé à faire un sitting sur la Place.
Wade a répliqué en interdisant toute manifestation publique en dehors de la campagne électorale
officielle. Kilifeu et d'autres Y'En A Marristes ont
voulu forcer le barrage. Ils se sont fait arrêtés.
[Discussions] A partir de là, notre
rapport au pouvoir a changé. Alors que nous étions pour le respect des
lois et des règlements, nous sommes entrés dans la désobéissance civile.
A 10 jours du premier tour, nous avons appelé à investir la place de l'indépendance,
coûte que coûte. [Discussions]
[Extraits audio] >> Thiat : Je suis dégouté, quoi. Je suis
pas sorti parce que on craint que puisse m'assassiner ou ...
Voilà quoi. Tout le monde est à ma recherche, quoi.
Et ils veulent profiter des manifestations pour m'éliminer, en fait. C'est frustrant
quoi. C'est frustrant de pas pouvoir sortir, quoi. Je me sens lâche.
[Bruits de rues et de bombes à lacrymogènes] >> Sophie : J'avais pas eu peur quand même.
Je me suis que, si ça, si on devait mourir, qu'on meurt quoi.
J'avais pas peur, mais j'avais une ... haine, quoi.
[Bruits d'émeutes, d'explosions de bombes lacrymogènes et de cris]
>> Fadel au téléphone : A, et puis je peux te jurer, je peux t'assurer que ce n'est
que le début. ... Ouais, ... je peux t'assurer que ce n'est que le début. Mm, tout à
l'heure... A partir ou tu es, da ngey dem recenser les
blessés, les décédés, les arrêtés, et tout. ... essaies d'avoir une liste exhaustive.
...ok. Allo ? an ? oui, comment ça se passe là
bas ? naka sen Secteur ? ... [Radio]
>> Sophie : On ne pouvait plus retourner chez nous. Il y'avait des nervis partout, que
les hommes politiques engagés. Et on disait qu'ils s'apprêtaient à venir au Q.G
et tout. Alors, on a été obligés de déserter carrément
le Q.G. pendant des jours. Certains sont allés vivre chez des amis,
ou autres. D'autres chez les membres de leurs familles.
On n'osait pas sortir dans la rue tout seul. Même quand on sortait on recevait des menaces.
Vraiment très tendu quoi. [discussions]
[extrait radio] >> ? : On était à des moments cruciaux de
la vie de toute une nation ou beaucoup d'espoir reposait sur nos frêles épaules.
Et je me rappelle, ce matin, j'ai craqué, en fait, chez moi. Quand je suis rentré dans
la chambre de ma maman, et elle m'a dit : « comment ça va Aliou ? », elle m'a
dit « comment ça va... » j'ai, voilà, j'ai peiné à sortir les mots, et j'ai
craqué ce jours là. C'était pas parce que c'était la peur.
Mais c'est quand j'ai mesuré en fait toutes ces attentes, quand j'ai mesuré
en fait l'urgence de l'heure, j'ai craqué en fait. Elle m'a dit « qu'est-ce qu'il
y'a », j'ai dit « franchement, je sais que le fardeau, il est lourd et j'ai à
cœur d'accomplir cette mission que le peuple nous a assigné. »
[Réunion] [RAP]
>> Fodé (lecture) : Depuis la validation de la candidature de Abdoulaye Wade, par le
Conseil Constitutionnel, les Sénégalais en majorité sont dans les rues pour manifester
leur opposition à cette n'ième forfaiture. Des Sénégalais ont perdu la vie dans ces
manifestations réprimées dans le sang. Fodé Ndiaye ; Mamadou Diop ; Mamadou Ndiaye
; Ousseynou Seck, battus à mort à Grand-Yoff ;
El Hadji Thiam, tué par balle à Rufisque ;
Mamadou Sy et Bané Ndiaye, tués par balle par des gendarmes à Podor
et les disparus et torturés. >> Sophie : Nous n'avions pas réussis à
empêcher la candidature de Wade, nous ressentions cela comme un échec.
A 2 jours des élections, notre dernière réunion a éclatée.
Certains voulaient continuer le combat dans la rue quoi qu'il en coûte.
« Beu Dé ! », on disait. Jusqu'à la mort.
Les autres misaient sur le processus électoral. Moi j'étais persuadée que les élections
seraient truquées. Qu'on allait tout perdre. Entre nous, c'était très tendu.
J'étais abattue. Nous l'étions tous. [Extrait d'une conférence de presse]
>> Fodé (lecture d'une déclaration) : Allez voter massivement ; ignorez formellement le
bulletin de Abdoulaye Wade ; sécurisez les résultats issus des urnes. Vous avez longtemps
aiguisés vos armes, vos cartes d'électeurs, c'est le moment de les sortir. Ne les rangeons
pas. Ne rangeons pas nos armes. >> Thiat : On demande à tous les Sénégalais
d'être prêts. C'est aujourd'hui que le combat commence, en fait. C'était les
préliminaires, tout ce qu'on a dépassé, le combat commence aujourd'hui.
>> Fodé (suite de la lecture) : Ensemble nous vaincrons. Il n'y a pas de destin forclos,
il n'y a que des responsabilités désertées. Dakar, le 24 février 2012.
[Discussions] [Prières]
[Discussions] [RAP, extrait radio]
>> Sophie : Je m'étais trompée, grâce à la surveillance du scrutin, il n'y avait
pas eu tant de fraudes. Le second tour aura bien lieu.
Wade se trouvait face à son ancien premier ministre, Macky Sall.
C'est le 2 mars, trois semaines avant le deuxième tour que Macky est venu chercher
notre soutien au Q.G. Je n'avais aucune confiance en lui.
Y'En A Marre d'ailleurs n'appellera pas à voter Macky,
mais à voter Contre Wade. Nous n'avions pas le choix.
Au fond, nous avions la conviction que si Macky gagnait, il serait obligé de tenir
compte de notre mouvement. Tous les rappeurs de Y'En A Marre ont enregistrés
un dernier titre « Doggali », en wolof, ça veut dire l'achèvement.
Nous avons monté un sound system et nous sommes partis en caravane, faire le tour du Sénégal.
[RAP] >> Sophie : J'arrive pas à comprendre ce
Abdoulaye Wade. Il dit qu'il aime son peuple. Mais moi je
dis que ça, c'est pas aimer son peuple. S'il aimait vraiment son peuple, il n'aurait
pas sacrifié des vies comme ça. On n'aurait pas tué tous ces jeunes là.
Il n'aurait pas accepté ça. [RAP]
C'est nous qui l'avions élu, nous lui avons fait comprendre que nous ne voulions
plus de lui. Et il a voulu rester jusqu'à causer des
morts. C'est impardonnable.
Il doit être jugé. C'est ce que je me dis.
Il doit être jugé. [Extrait radio, discussions, chants, rires]
>> Macky Sall (extrait du discours d'investiture) : « Nous avons prouvé à la face du monde
que notre démocratie est majeure. » ... >> Fodé (dans une émission TV) : ... le
Sénégal qui
a su trancher, mais qui a su faire dont de soi même quand il a fallu, qui a su se mobiliser
quand il a fallu et qui a su s'arrêter à temps pour aller le combattre dans les urnes. ... C'est lui en réalité qui
a pris le pouvoir. ... Macky de toute façon, même si c'est pas Y'En A Marre, parce
qu'il n'y aura pas de période de grâce, parce que les attentes sont nombreuses, parce
que l'attente est grande. >> Thiat (au téléphone) : Boy Simon, c'est
pas à nous Y'En A Marre d'être euphoriques. Au contraire c'est à nous de calmer les passions,
ramener les Sénégalais à la réalité.
Cela ne veut pas dire qu'on a changé Abdoulaye Wade, que le Sénégal
va se développer... [discussions et générique de fin]