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Le sport et l’Histoire : deux disciplines que l’on a trop rarement l’occasion de
voir coexister et, pourtant, il existe de très belles initiatives qui visent à rapprocher
ces deux univers. C’est notamment le cas des Arts Martiaux Historiques Européens : l’AMHE.
L’AMHE, c’est vraiment faire de la recherche sur comment on se battait en Europe, avant,
pendant les périodes de l’Histoire qui nous intéressent. Donc, ça peut démarrer
à l’Antiquité jusqu’à, on va dire, la Première Guerre Mondiale. Mais à partir
du moment où, sur les champs de bataille, on a une grosse majorité d’armes à feu,
on a dit : ce n’est pas des Arts Martiaux Historiques Européens, on ne travaille pas
ça de la même manière donc on s’est limité dans le temps.
On étudie aussi bien des arts martiaux avec armes que sans arme. Sans arme, on peut parler,
par exemple, de Glima (de lutte).
Ça rentre dans les AMHE tant que c’est du un contre un et sans arme à distance.
Les AMHE, c’est vraiment spécialisé sur un savoir qui a été perdu et qu’on doit
retrouver à partir de sources.
Ce qui est intéressant, c’est la démarche de recherche. On ne fait pas que se bagarrer,
que se battre, il y a un gros travail intellectuel finalement : on étudie, on émet des théories,
on regarde ce que les autres font.
On passait des longues heures à lire des sagas, à fouiller, à chercher un peu tous
les détails…
C’est presque 50/50, il y a autant de recherches que de combats.
Les recherches justement, comment sont-elles entreprises ? Sur quelles sources s’appuient
les AMHEurs pour que leurs travaux soient légitimes ?
On a éventuellement des sources directes, des manuscrits médiévaux, des textes d’historiens
grecs voire latins qui vont nous permettre de comprendre et d’interpréter comment
on pouvait se battre et on a aussi toute une quantité de sources secondaires qui sont
l'iconographie médiévale, l’iconographie en sculpture, des résultats archéologiques
— on va dire : des pièces de fouille — ou alors même des études paléopathologiques,
c’est-à-dire quand vous étudiez un champ de bataille, vous pouvez étudier les dégâts
sur les corps humains et grâce à ça, on peut comprendre quel os était le plus touché
ou pas. Qu’est-ce que je peux toucher derrière
son bouclier pour toucher uniquement que son corps ? D’accord ? Effectivement, la majorité
des frappes qu’on a retrouvé, la paléopathologie nous indique qu’on a retrouvé plus de frappes
aux membres inférieurs, plus précisément au membre inférieur gauche, d’accord ? Le
tibia gauche est l’os le plus brisé dans quasiment toutes les sources.
On recherche la vérité, mais déjà on ne sait pas si on l’atteindra un jour et ensuite,
tout ce qu’on fait pour y parvenir, on s’approche petit à petit. Plus on remonte dans le temps
et moins on a de sources. Plus on s’éloigne de la source, plus on est obligés d’avoir
des sources secondaires d’appui, de soutien et plus on peut avoir un travail erroné.
En Viking, c’est le problème majeur : on n’a pas de sources directes. On sait ce
qui a été fait un peu avant — pas sur les Vikings mais chez d’autres peuples comme
les Gaulois — et, pour les Vikings, ce sont des sources qui datent du XIIIème siècle,
souvent qui ont été rédigées par des chrétiens (qui n’étaient pas vraiment les amis des
Vikings), donc c’est à prendre avec des pincettes ces sources-là. C’est à nous
de faire le travail, derrière, d’enlever ce qui n’est pas bon, ce qui nous semble
bizarre et de trouver ce qui est juste. C’est très très compliqué, c’est un gros travail.
Alors ici, c’est une source anglaise du XIIIème siècle où l’on voit des gars
qui se chopent par la ceinture. On ne sait pas trop, à la fois par la ceinture et un
peu par le froc aussi, ce qui veut dire que c’est vraiment une tradition, à priori,
qui est assez ancestrale et puis on l’a retrouve partout.
Quand un pratiquant vient dans un club AMHE, l’intérêt est vraiment de lui donner les
documents sur lesquels on travaille, sur lesquels il souhaite travailler si on les a.
Tous les membres AMHE doivent avoir accès aux sources et à un membre qui est là, depuis
genre une semaine, peut lire la source une fois que j’ai présenté la technique, il
peut dire “Tiens, Benoît, cette technique là, je la verrais plus comme ça” et, tant
que ce qu’il dit n’est pas contredit par le texte, il a autant raison que moi.
On n’arrive jamais, en fait, avec une coupe remplie. On arrive toujours vide ou à moitié
vide et puis ce sont les autres qui vont apporter, qui vont la remplir, on va beaucoup échanger
et c’est rare de trouver des affrontements, c’est plutôt de l’échange. On partage,
on propose, on essaie, des fois on arrive à quelque chose, on trouve ça très bien
et puis en fait on trouve ça très mauvais, et finalement quand on l’a partagé et qu’on
se l’est fait démonter, c’est vraiment très intéressant cet échange là. Et les
stages comme aujourd’hui, justement, permettent cela, de se rencontrer, des gens de plein
de milieux différents, et d’apporter chacun sa touche quelque soit le niveau du combattant.
Le but ultime après de tout ça est de passer à la pratique, de mettre les protections
puis d’aller combattre, d’appliquer toutes ces techniques à vitesse réelle et d’essayer
de les placer. Donc il y a du combat, on fait du sport, on s’éclate bien.
La communauté, aujourd’hui, elle se développe autour d’une fédération que l’on a créée
il y a 3 ans, la FFAMHE (Fédération Française des Arts Martiaux Historiques Européens)
et on est en pleine explosion, on va dire, démographique puisque nous avons de plus
en plus de pratiquants et que l’on vient de passer le cap symbolique des 1000 pratiquants.
Ce qui est très novateur, c’est que l’on intéresse des gens qui au début n’étaient
pas intéressés par du sport. Aux pratiquants d’AMHE, on a des gens qui étaient, on va
dire, considérés comme des gros fans de médiéval fantastique, soit pratiquants de
GN qui ont envie de passer à quelque chose d’un peu plus costaud, soit passionnés
on va dire d’histoire ou voire même de jeux vidéos, et donc là, du coup, on a toute
une catégorie de personnes qui n’ont pas été vers les sports traditionnels, qui se
tournent vers nous et qui font une bonne partie de nos 1000 membres aujourd’hui en France.
Je suis venu à l’AMHE parce que j’ai toujours été intéressé par le Moyen- ge
et tout ça. Au début on est un peu attiré par une image un peu romantique du guerrier
et tout ça, et au bout d’un moment à force de creuser un peu on découvre qu’il existe
des manuels, qu’il y a des choses à retravailler et à reprendre, que les gestes sont perdus
mais qu’il existe des techniques, qu’on les connaît encore et c’est ça qui m’a
attiré en fait.
Donc on a vraiment un côté fun où on peut se libérer et on peut y aller franchement
et ça fait du bien.
C’est un plaisir de se taper sur la tête avec nos amis, dans des conditions de sécurité
optimales avec un masque d’escrime et tout ça.
A ce propos, est-ce que ça coûte cher de se mettre à l’AMHE, est-ce que cette pratique
est accessible à tous ?
Pierre : Il faut, je pense, prévoir à peu près 1000 euros pour un équipement complet,
c’est-à-dire avoir masque, gants, veste, le plastron, un gorgerin, une protection pour
l’arrière de la tête, et bien sûr l’épée qui coûte quand même assez cher, après
si on est bricoleur et que l’on achète d’occasion, on peut commencer avec une centaine
d’euros je dirais.
Après si vraiment t’as pas de sous et que tu veux faire de l’AMHE, au pire tu viens
avec ton jogging et tes baskets et tu pratiques de la dague ou de la lutte : pas besoin d’épée,
pas besoin de masque : c’est vraiment ce que je veux faire : c’est ouvert à tous
et quelque soit leurs moyens.
Si vous aussi vous avez envie de rejoindre le mouvement AMHE, n’hésitez donc plus
: pour avoir moi-même tenu une épée entre les mains, c’est plutôt fun. Merci au club
AMHE du Maine et de Tour pour m’avoir aidé dans la réalisation de ce reportage, et si
ce sport vous a particulièrement intéressé, il est fort possible que vous soyez intrigués
par le prochain reportage de la chaîne : le Béhourd. A la prochaine !