Tip:
Highlight text to annotate it
X
Traducteur: Robin Plantey Relecteur: Patrick Brault
Je suis professeur en école d'ingénieur,
et pendant ces 14 dernières années,
j'ai enseigné de la merde.
(Rires)
Non pas que je sois un mauvais professeur,
mais mon sujet d' étude et d'enseignement
étaient les déchets humains
et les moyens utilisés pour les traiter
dans les stations d'épuration
et comment on conçoit et construit
ces stations, afin de protéger
les eaux de surface, comme les rivières, par exemple.
J'ai basé toute ma carrière scientifique
sur l'utilisation de techniques moléculaires de pointe,
des méthodes basées sur l'ARN et l'ADN
qui permettent d'observer les populations bactériennes
dans les réacteurs biologiques
et d'optimiser ces systèmes.
Et au fil des années,
j'ai développé une obsession maladive pour les toilettes.
J'étais connu pour me glisser dans les WC
avec mon appareil photo
partout dans le monde.
Mais ce faisant, j'ai appris
qu'il n'y a pas seulement l'aspect technique,
mais qu'il y a aussi ce qu'on pourrait appeler
la culture de la merde.
Ainsi, par exemple,
combien d'entre vous se lavent
et combien s'essuient ?
(Rires)
Je suppose que vous voyez de quoi je parle.
Si vous vous lavez, vous utilisez de l'eau
pour le nettoyage ***. C'est le terme technique.
Et si vous vous essuyez,
alors vous utilisez du papier toilette
ou bien, dans certaines régions du monde,
où il n'y en a pas, du papier journal,
des chiffons, ou des feuilles de maïs.
Il ne s'agit pas d'une question futile,
mais il est très important de comprendre
et de résoudre le problème des sanitaires.
Et c'est un gros problème :
il y a 2,5 milliards de personnes dans le monde
qui n'ont pas accès à des sanitaires corrects.
Pour eux, pas de toilettes modernes.
Il y a 1,1 milliard de personnes
pour qui les toilettes sont les rues,
ou les berges des rivières, ou les terrains vagues.
En terme scientifique, on appelle ça
la défécation à ciel ouvert,
mais en fait c'est juste
chier dehors.
Et si l'on vit au milieu des matières fécales,
et qu'elles vous entourent, on tombe malade.
Elles s'insinuent dans l'eau potable,
dans les aliments, dans l'environnement immédiat.
Les Nations-Unies estiment
que chaque année, 1,5 million d 'enfants meurent
à cause de sanitaires inadaptés.
C'est une mort évitable toutes les 20 secondes,
171 par heure,
4 100 par jour.
Pour éviter la défécation à ciel ouvert,
les villes et les municipalités
construisent des infrastructures, par exemple des latrines à fosse,
dans les espaces ruraux ou périurbains.
Par exemple, dans la province du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud,
ils ont construit des dizaines de milliers de fosses de ce genre.
Mais un problème se pose lorsqu' on passe
à l'échelle des dizaines de milliers :
qu'arrive-t-il quand la fosse est pleine ?
Voilà ce qui arrive :
les gens défèquent autour.
Dans les écoles, les enfants défèquent par terre,
et puis ils laissent des traces à l'extérieur du bâtiment,
et commencent à déféquer autour du bâtiment,
et ces fosses doivent être nettoyées
et vidées manuellement.
Et qui s'en charge ?
Il y a ces travailleurs
qui doivent parfois descendre au fond des fosses
pour en vider contenu à la main.
C'est un travail sale et dangereux.
Comme vous pouvez le voir, pas d'équipements
ni de vêtements de protection.
Il y a un ouvrier là-dedans.
J'espère que vous pouvez le voir.
Il porte un masque, mais pas de chemise.
Et dans certains pays, comme en Inde,
les castes les plus basses sont condamnées
à vider ces fosses,
et elles sont de plus blâmées par la société.
Vous vous demandez : « Que peut-on faire ? »
Pourquoi ne pas construire des toilettes à l'occidentale avec chasse d'eau
pour ces deux milliards et demi de personnes ?
Et la réponse est : c'est juste impossible.
Dans certains endroits, il n'y a pas assez d'eau,
pas d'énergie.
Cela coûterait des milliards de milliards de dollars
pour poser le réseau d’égouts
pour construire les installations,
et pour faire marcher et entretenir ces systèmes.
Et si on ne les construit pas comme il faut,
les chasses d'eau rejetteront
directement dans les rivières,
comme c'est le cas dans de nombreuses villes
dans les pays en voie de développement.
Est-ce la solution ?
Parce que ce qu'on fait réellement,
c'est qu'on utilise de l'eau propre
pour tirer la chasse d'eau,
qu'on la conduit en station d'épuration
et se retrouve dans une rivière
qui est elle-même une source d'eau potable.
Nous devons repenser l'hygiène sanitaire
et inventer de nouvelles infrastructures sanitaires,
et je soutiens que pour ça,
nous devons réfléchir en termes de systèmes.
Nous devons considérer la chaîne sanitaire dans son ensemble.
On part avec une interface humaine,
puis on doit réfléchir a la façon dont les selles
sont collectées et stockées,
transportées, traitées et recyclées...
Ce n'est pas seulement du traitement, mais du recyclage.
Commençons avec l'interface humaine.
Je dis que peu importe qu'on se lave ou qu'on s'essuie,
qu'on s'asseye ou qu'on s'accroupisse,
l'interface humaine doit être propre
et simple à utiliser, parce qu'après tout,
chier devrait être agréable.
(Rires)
Et quand nous envisageons les possibilités
offertes par cette chaîne sanitaire,
la technologie sous-jacente
de la collecte jusqu'au recyclage n'importe pas vraiment,
et nous pouvons alors
utiliser des solutions qui s'adaptent au contexte local.
Il faut alors s'ouvrir à des possibilités telles que,
par exemple, ces toilettes à séparation d'urine,
avec deux trous a l'intérieur.
L'urine est collectée à l'avant,
tandis que les matières fécales
sont collectées à l'arrière.
On sépare ainsi l'urine,
qui contient 80% de l'azote
et 50% du phosphore,
et on peut ainsi la traiter
et la précipiter sous forme de struvite,
qui est un engrais de grande valeur,
et puis les matières fécales peuvent être désinfectées
et transformées aussi en produits finis utiles.
Par exemple, dans certaines de nos recherches,
on peut recycler l'eau en la traitant
dans des systèmes sanitaires locaux
comme des bacs à fleur ou des marécages artificiels.
On peut envisager toutes ces possibilités
si on oublie le vieux concept de chasse d'eau
et de station d'épuration.
Vous vous demandez peut-être : « Qui va payer ? »
Eh bien, je soutiens que c'est aux gouvernements
de financer les infrastructures sanitaires.
Les ONG et les associations caritatives
font de leur mieux, mais ça ne sera pas suffisant.
C'est aux gouvernements d'assurer le financement des sanitaires,
au même titre que les routes,
les écoles, les hôpitaux,
ou d'autres infrastructures, comme les ponts,
parce que nous savons, et c'est l'OMS qui a mené cette étude,
que pour chaque dollar investi
dans les infrastructures sanitaires,
nous récupérons entre 3 et 34 dollars.
Revenons sur le problème de la vidange des fosses.
À l'Université d’État de Caroline du Nord,
nous avons mis au défi nos étudiants de trouver une solution simple,
et voilà ce qu'ils ont trouvé :
une simple vis sans fin modifiée
qui peut remonter les déchets
de la fosse jusque dans un bidon collecteur,
et maintenant il n'est plus nécessaire
de descendre dans la fosse.
On l'a testé en Afrique du Sud, et ça marche.
Il faut encore consolider le système,
et on va faire d'autres tests
au Malawi et en Afrique du Sud l'année prochaine.
Notre idée est d'en faire
un service professionnel de vidange de fosse,
de façon à créer ainsi une petite activité,
avec des emplois et des bénéfices,
et nous espérons
qu'en repensant l'hygiène sanitaire,
nous augmenterons la durée de vie de ces fosses,
sans avoir recours
à des solutions d'urgence
qui n'auraient pas de sens.
Je pense que l'accès à des sanitaires adaptés
est un droit humain fondamental.
Il faut arrêter de condamner
ces personnes de caste et de statut social inférieurs
à descendre dans ces fosses et à les vider.
Nous en avons le devoir moral,
social et environnemental.
Je vous remercie.
(Applaudissements)