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Je m'appelle Ahmed Shaheed et je suis le Rapporteur des Nations Unies pour l'Iran. Dans le cadre
de mon travail, j'ai pu constater, non sans alarme, le taux élevé d'exécutions en Iran.
Notre première préoccupation reste évidemment le nombre important de personnes mises à
mort. Le nombre total d'exécutions confère au pays la seconde place du classement mondial,
voire la première si l'on considère le taux d'exécution par habitant. Nos inquiétudes
se voient amplifiées par le fait que, bien souvent, les individus mis à mort sont exécutés
pour des crimes n'étant pas passibles de la peine capitale au regard du droit international.
Le droit international n'interdit pas la peine de mort même s'il la limite aux crimes les
plus graves. Cependant, en Iran, les condamnations à la peine capitale sont prononcées pour
des crimes ne répondant pas à ces critères ; la consommation répétée d'alcool peut
être passible de peine de mort, tout comme certaines infractions à caractère sexuel
telles que l'appartenance à certaines communautés sexuelles ou autres délits très spécifiques.
Le problème est donc que l'Iran ne limite pas l'application de la peine capitale aux
crimes les plus graves. Par ailleurs, il a été indiqué que la plupart des procès
résultant en une condamnation à mort ne se déroulent manifestement pas de manière
libre et équitable. On parle de procès injustes, au cours lesquels les prévenus ont été
soumis à la torture afin d'extraire d'eux une confession, n'ont pu avoir de contact
avec leur avocat durant les différentes étapes des poursuites et n'ont pas eu la possibilité
de se défendre face à la cour. Qui plus est, les procès peuvent être extrêmement
courts. Ces procès inéquitables, ces crimes passibles de peine de mort mais ne répondant
pas aux critères internationaux et le grand nombre de personnes exécutées sont réellement
ce qui me préoccupent le plus au sujet de la situation en Iran.
L'Iran est un membre actif de l'ONU. Il entretient cependant des relations tendues avec la communauté
internationale. Comment sont accueillis vos rapports et recommandations dans le pays et
comment espérez-vous parvenir à y faire évoluer la situation ?
La République Islamique est au pouvoir depuis trente ans. On peut aujourd'hui réellement
observer une transformation générationnelle du pays. Mes rapports sont largement lus.
On peut voir que les rapports des Rapporteurs des Nations Unies pour l'Iran génèrent un
grand intérêt, notamment parmi les jeunes. Le gouvernement se soucie de ce qui est dit
de leur pays que ce soit par les Rapporteurs ou d'autres institutions de l'ONU. L'Iran,
à la différence de la Corée du Nord, se préoccupe de l'opinion des Nations Unies.
Le pays participe par exemple aux élections onusiennes ; il souhaiterait notamment être
élu au Conseil des Droits de l'Homme et a également contesté d'autres élections.
De ce fait, les autorités iraniennes cherchent à dégager une image positive en termes de
communication. Elles prêtent donc attention aux critiques faites sur leur situation intérieure.
Je pense que cela nous offre une possibilité d'agir, comme c'est le cas pour bien d'autres
pays qui considèrent que ce genre de critiques requièrent tout d'abord la mise en place
de mesures ou concessions tactiques, avant que l'État ne prenne la voie de mesures plus
normatives du point du vue des normes d'application des Droits de l'Homme. Je croie que l'intérêt
international pour l'Iran et que les critiques des violations des Droits de l'Homme qui s'y
produisent contribueront à faire avancer l'Iran sur le chemin de l'adoption des valeurs
des Droits de l'Homme.
Il existe différentes agences au sein du système des Nations Unies, par exemple l'Office
des Nations Unies contre la Drogue et le Crime qui est très présente en Iran et y soutient
divers programmes de lutte contre le trafic de stupéfiants. Ici, au Congrès Mondial
contre la peine de mort, des personnes encouragent les membres du public à signer une pétition
demandant la limitation de ces programmes en raison de leur impact sur le nombre d'exécutions.
Pensez-vous que vous pourriez aider les Nations Unies, par exemple en contactant UNODC, à
mener une politique plus cohérente vis-à-vis du crime et de la peine de mort ?
Oui, la politique de l'ONU vise à généraliser le respect des Droits de l'Homme mais sa mise
en œuvre peut paraitre fragmentée dans la mesure où il existe différentes agences,
telles que le PNUD, Unicef ou encore, comme ici, UNODC, dont les priorités et la manière
de promouvoir les Droits de l'Homme varient. Or on a pu constater une inquiétude croissante
concernant l'Iran, notamment en raison du fait que 80% des exécutions sont liées au
trafic de stupéfiants ainsi qu'à la possession de drogues. De nombreux pays finançant ces
programmes, eux-mêmes abolitionnistes, sont sensibles aux conséquences des programmes
de lutte contre la drogue en Iran. Je me suis déjà entretenu avec leurs représentants
à ce propos et espère rester en contact avec eux pour m'assurer que leurs programmes
ne contribuent pas à l'emploi de la peine capitale. L'ONU applique un code de conduite
qui ne permet pas à ses agences d'être liées à des programmes ayant comme résultat la
violation des Droits de l'Homme.