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*Le Projet Imagine
*Présente
*Jean-Guy Henckel
*Un Héros Imagine
*Qu'est-ce qu'un "Héros Imagine" ?
*C'est une personne qui ne cherche pas la lumière
*et qui ne prétend pas être exemplaire...
*Mais c'est une personne bien décidée à aimer...
*Et aimer envers et malgré tout, c'est assurément héroïque !
*Un "Héros Imagine" sommeille en chacun de nous...
*"Il ne faut pas attendre d'être parfait
*"pour commencer quelque chose de bien !"
*L'abbé Pierre (1912-2007)
Le train-train qui s'organisait dans les familles, autour de moi,
ne me convenait pas. Voilà.
Je ne me voyais pas trouver la plus jolie fille du village,
l'épouser, aller travailler chez Peugeot
et y mener toute ma vie. J'ai beaucoup de respect pour tout ça,
mais c'était pas mon truc.
J'ignorais ce que je voulais, mais ça ne se passerait pas là.
Il fallait que j'aille ailleurs tester un peu d'autres choses.
Tout commence en Franche-Comté, dans l'univers ouvrier
de Peugeot, "la Peuge".
C'est là que Jean-Guy grandit.
Sans être rebelle, il ne rentre pas dans le moule.
C'est peut-être pourquoi il se sent irrésistiblement attiré
par les gueules cassées, les marginaux, les exclus.
Il devient éducateur et travaille plusieurs années
dans un centre d'hébergement et de réinsertion,
avant d'être interpellé par le sort d'une population :
les agriculteurs en difficulté.
Nous sommes à la fin des années 80, début des années 90.
On découvre alors cette autre forme de pauvreté qui fait des ravages.
C'est lui, l'urbain,
qui décide de s'attaquer à cette question alarmante
et trouve une solution géniale et totalement innovante :
les Jardins de Cocagne.
Voici le portrait de Jean-Guy Henckel,
un "Héros Imagine".
Le bonhomme suscite le respect.
On ne peut pas lui dire non.
C'est vraiment quelqu'un
que je suivrai jusqu'au bout.
C'est une personne tellement belle...
C'est 4 étoiles. C'est formidable.
On se laisse, finalement,
entraîner par son dynamisme et la vie qui l'habite.
Le feu sacré qui le motive,
c'est qu'il a l'intelligence du cœur.
Il s'est donné corps et âme à aider ces plus démunis.
Concrètement, lui, il a mis les mains dans la terre
et il a fabriqué une réponse.
Faire le bien est une chose, bien le faire est un vrai métier.
C'est une énergie énorme.
Ça fait avancer le monde, quoi.
Merci pour l'insertion.
Ce qu'il a créé est magnifique.
Heureusement, il y a des gens comme ça.
Voilà.
Vous avez besoin de légumes. Ils ont besoin de travail.
Ensemble, cultivons la solidarité.
Jean-Guy, quel enfant as-tu été ?
Quel caractère avais-tu ?
*Jean-Guy Henckel Fondateur des Jardins de Cocagne.
J'étais dans un petit village franc-comtois...
Onans, ça s'appelait. Un tout petit village.
Le bistrot de mon grand-père était en face de chez moi.
Mes parents travaillaient beaucoup.
J'avais une très grande liberté les dix premières années.
Les milliers d'hectares de forêt autour étaient à moi.
Il y avait des moments un peu moins libres
quand il fallait aller à l'école.
On faisait un peu ce qu'on voulait.
On rentrait de l'école à pied. On faisait quelques petits détours.
On jouait au foot en bas du village,
on montait dans les bois faire des cabanes.
On rentrait surtout quand on entendait ma mère nous appeler
et que ça faisait beaucoup de bruit. Il fallait rentrer.
Ma mère, à l'époque, travaillait à La Poste,
dans un endroit qui me fascinait,
puisqu'on était au milieu des années 50.
Comme dans les vieux films, elle enlevait la touche
pour brancher le 22 à Asnières.
Les fameuses standardistes de l'époque.
Mon père était maçon et après, il a travaillé
chez Peugeot.
Ici, c'était un peu la voie écrite, royale.
On ne se posait pas forcément de questions sur l'avenir.
On devait travailler chez Peugeot.
Jean-Guy, tu décides de devenir éducateur et tout d'abord,
tu pars pour une année de travail,
une première expérience de boulot.
Cette expérience a été véritablement déterminante.
On devait faire ce qu'on appelait un "pré-stage",
c'est-à dire une année d'embauche. Je me retrouve donc
dans un IMP, un institut médico-pédagogique,
avec les terminologies de l'époque, terribles,
qui accueillait
des "débiles légers avec troubles associés."
On avait un frère plus jeune
qui est né handicapé, qui était trisomique.
Quand on parle d'accepter la différence,
ce ne sont pas des mots, c'est qu'on est nés dedans.
Je connais Jean-Guy, bientôt, depuis 40 ans.
On a fait les trois ans d'école d'éducateur ensemble.
On avait une volonté de vivre, d'apprendre,
de comprendre et de changer le monde,
en fait... Besançon, c'était aussi Lip.
Et donc, les manifs. Voilà.
Il y avait une activité très intense.
On pouvait penser que nous étions de petits anars,
mais pas du tout.
On avait envie de croire et cette croyance était notre moteur.
T'étais hippie ?
J'en avais quelques atours.
Il était comme les travailleurs sociaux de l'époque,
c'est-à dire cheveux longs,
barbe longue.
C'était pas un hippie, mais c'était quelqu'un qui était un peu
dans toute la mouvance qui courrait autour de Kerouac,
l'esprit du voyage. Voilà. Tout ce type de littérature
et surtout, cette ouverture au monde.
Quelqu'un qui n'était pas ranci,
qui était plutôt pétillant,
qui était curieux,
qui avait un humour dingue.
Alors ça y est, tu te formes véritablement
à ce métier d'éducateur.
Ça dure 3 ans.
Ce sont 3 ans de cours théoriques ponctués de stages.
Et le dernier, le stage que l'on choisit,
tu choisis de le faire
dans un CHRS, un Centre d'Hébergement et de Réinsertion.
- Et là, tu restes. - Après avoir fait
des enfants, des handicapés,
des jeunes filles en voie de prostitution,
des délinquants,
je me retrouve dans ce centre d'hébergement
et ce sont des adultes.
C'était un centre d'hébergement très spécialisé, à l'époque,
dans l'accueil de gens qui sortent de taule.
Parmi les personnes que j'ai rencontrées là-bas
au début des années 70,
il y avait encore des sortis de bagne qui avaient été
sur l'île de Ré, en Guyane, etc.
Ce milieu un peu adulte,
clochards célestes qui avaient choisi leur mode de vie,
qui avaient truandé la société, qui étaient passés par la case taule,
ça me branchait bien.
Les personnes que tu viens de décrire sont celles
que tout le monde rejette, avec qui personne n'a envie de vivre. Et toi,
tu as vraiment envie de vivre auprès d'eux. C'est quand même curieux.
Où est la morale, dans tout ça ?
"Où est la morale ?" La morale, c'est de les rejeter ?
Pour moi, la morale, c'est effectivement de...
Ce sont des gens, quand on les connaît individuellement,
qui sont assez fascinants.
Ce que j'aimais bien chez Jean-Guy, c'était sa faculté
de transformer un monsieur puant,
pas rasé,
déglingué,
alcoolique, car ils étaient gravement alcooliques, les messieurs,
en un personnage extrêmement romanesque
qui, tout à coup, prenait une dimension...
romanesque décalée. Tout à coup, ce n'était pas un détritus.
Quand tu deviens éducateur, on est aux environs
de 1975, 1976, quelque chose comme ça.
On a les effets du 1er choc pétrolier qui sont en train de se faire sentir.
Comment tu vois l'évolution de la population
de ce centre d'hébergement ?
Si on a appelé les années 1945 à 1975 "Les Trente Glorieuses",
je qualifierais les 25 suivantes de "Vingt-cinq Miséreuses".
On passe allégrement le million de chômeurs,
annoncé comme le signe avant-coureur d'une dangereuse révolution,
on attaque le 2e million puis le 3e million.
On découvre d'énormes disparités sur le territoire.
Ce qui nous intéresse plus, ici,
c'est une clientèle qu'on n'avait pas pu venir :
les agriculteurs,
et des agriculteurs en difficulté. Leurs fermes,
elles tournent, mais ils sont tellement endettés
que tout ce qu'ils gagnent avec les bénéfices de leur travail
suffit à peine à rembourser les emprunts contractés.
Et c'est une agriculture qui doute :
les crises agricoles successives,
la vache folle, le poulet à la dioxine, etc.
Le mouton qui a la tremblote...
Tout le monde se pose des questions sur ce qu'il consomme ou mange.
Ce sont des choses qui apparaissent.
Donc tout cela se télescope dans nos petites têtes.
L'insertion, les publics en difficulté, les agriculteurs,
l'agriculture qui ne va pas bien...
Avec tout ça, il faut trouver l'idée.
Pendant un an et demi, véritablement,
tu as une réflexion poussée sur la situation.
Ça passe par mille idées et finalement, le concept sort.
On est là, à voir des milliers d'agriculteurs
qui se débattent avec des problèmes de santé,
car ils utilisent des produits chimiques,
lesquels font du mal à la terre, font du mal à l'agriculteur
et font du mal aux consommateurs.
D'un coup apparaît aussi l'élément évident :
il faut faire de l'agriculture biologique.
Ton idée, c'était vraiment de faire de la mixité.
On a des agriculteurs sur site,
mais on a aussi des urbains qui ont besoin de se reprendre,
on va dire, et qui vont apprendre le métier de la terre.
Et en plus, avec l'agriculture biologique,
ils reprennent estime d'eux-mêmes.
La mixité,
c'est mon gros problème dans ce pays,
dans l'insertion
et dans la manière dont on traite tous les marginaux
dans ce pays.
Quand une femme est en difficulté, cela se traite à cet endroit,
quand c'est le monsieur, il va ailleurs,
pour le handicapé, c'est encore ailleurs...
Selon qu'on est jeune, on est à tel endroit,
si on est une personne âgée, on est ailleurs. Ça m'emmerde.
C'est pas ça, la vraie vie.
La vraie vie, c'est être rassemblés en équipes mixtes
d'hommes, de femmes,
des qualifiés, des pas qualifiés,
des ruraux, des urbains.
Quand c'est fait autour d'un travail porteur de sens
et très ancré sur un territoire,
on s'aperçoit qu'effectivement,
les gens reprennent beaucoup plus goût à la vie
dans des endroits avec toute cette mixité,
plutôt que de traiter chaque catégorie un petit peu dans son coin.
Le cercle vertueux va au bout de la chaîne
puisqu'il y a ce nouveau concept de la consommation engagée.
La consommation engagée, c'était, effectivement,
le pari de ce début des années 90.
C'était de se dire, à un moment :
"Est-ce qu'il y aura des consommateurs assez avisés
"pour accepter les règles du jeu qu'on leur propose ?"
Il faut qu'il y ait des clients.
Ce système est formidable
car les clients sont des acteurs du projet.
Ce sont des familles qui s'engagent,
des partenaires appelés des "consommacteurs" qui acceptent
de payer une petite cotisation,
en plus du panier, de 20 euros par an,
pour soutenir le réseau.
Banco ! Vos paniers de légumes
qui n'existent pas encore et devraient exister dans 2 mois,
qu'on doit payer d'avance et qu'on prendra sans les choisir,
nous, on marche.
Pour moi, pas question d'être consommatrice,
mais consommactrice.
Ce sont des légumes, entre guillemets, vivants.
On est également ce que l'on mange.
Bien sûr, lorsqu'on va dans une grande surface,
on prend, on met dans le chariot, et puis c'est tout.
Chacun avec son petit chariot.
Au fond,
c'est un peu de la consommation responsable.
Il y a des gens qui ne veulent pas consommer
parce que le marketing les oblige à le faire,
parce que dans les grandes surfaces, on voit des rayons très fournis.
Ils ont décidé de consommer bio
et s'adressent directement à des gens qui produisent bio.
On arrive à l'aventure du tout 1er Jardin de Cocagne.
Là encore, une belle aventure qui n'a pas été si simple.
Non. On avait trouvé des terrains. C'était déjà pas simple,
d'expliquer à des agriculteurs conventionnels de Franche-Comté
qu'on ferait du social et du bio, tout ce qui leur faisait peur.
Il me parle de ce projet,
et je me dis :
"Ça ne tient pas debout, son histoire.
"Et puis,
"on ne va pas faire travailler des clochards dans les champs.
"Ils ne sont pas paysans, ils ne vont pas aimer ça, c'est pas leur truc.
"Et l'agriculture biologique, Jean-Guy n'y connaît rien."
Moi, je suis arrivé ici avec mon bagage.
J'avais quelques expériences agricoles
et de fonctionnement en collectif dans l'agriculture.
Ce qui m'effrayait un peu, c'était quand même le fait
que c'étaient pas des permanents.
C'est-à-dire
des personnes qui restaient 6 mois, 1 an et hop, on recommençait.
Je trouvais un peu l'idée
moyennement réaliste, on va dire.
Catherine et Didier,
les deux premiers maraîcher et maraîchère
embauchés à Besançon,
ont été déterminants.
Eux connaissaient le travail de la terre
et étaient passionnés par ce projet.
Ils me regardaient m'affoler à chercher de l'argent,
du matériel, etc.
Ils n'étaient pas inquiets.
Ils savaient qu'en plantant à tel moment,
il y aurait de beaux radis à livrer quelques semaines plus ***.
On n'est pas les 1ers à le voir. Des psychiatres, depuis 100 ans,
savent bien que plutôt que de donner beaucoup de médicaments
ou mettre une camisole à des gens qui sont en difficulté,
voire avec des problèmes psychiatriques,
de cultiver un petit lopin de terre, ça a une vertu.
Ça restructure et ça fait du bien.
Ça apporte de la quiétude.
Ça répare le psychologique. Ça répare le physique.
Avec des besoins primaires à satisfaire au quotidien,
l'essentiel étant de savoir comment on va manger aujourd'hui et demain,
on a des difficultés à se projeter dans l'avenir.
Ce travail saisonnier fait qu'on se réapproprie un avenir.
Remettre au travail des personnes très éloignées de l'emploi,
mais de manière respectueuse,
pas avec des coups de pied au train, mais justement dans un environnement
qui est celui de la nature, des rythmes
de la nature, de la patience de la nature,
je pense que ça a un effet tout à fait bénéfique sur la psychologie
des personnes et des groupes.
La réconciliation avec soi-même, c'est déjà
le premier travail à faire
avant d'avancer ailleurs,
aussi bien au niveau social qu'au niveau emploi et tout ça.
Il faut reprendre confiance et se dire qu'on en est capables.
Je me suis présenté ici au mois de juin 2004.
Mais physiquement, je ne savais pas si j'étais prêt
puisque ça faisait 8 ans que je ne travaillais pas.
Je me suis donné du mal, mais petit à petit,
je suis arrivé à retrouver l'envie de travailler
et la motivation.
Au début, j'avais la peur au ventre.
J'avais peur. J'avais la trouille de ne pas réussir.
"J'ai jamais fait de culture.
"Est-ce que je vais tenir le coup ?
"Ils vont me garder ?" J'avais pas confiance en moi.
C'était difficile de travailler dans les Vosges.
J'acceptais toutes les missions intérimaires.
Les poubelles, c'était un travail comme un autre.
Il fallait bien que je vive.
J'ai accepté ça, j'ai remplacé le facteur,
mais ce n'étaient que des CDD.
D'abord, j'ai été licencié quand j'étais en CDI.
Après, je n'ai fait que des petits CDD.
Mais CDD sur CDD,
il n'y a rien eu de plus.
Je suis arrivée ici car ça faisait 3 ans que j'étais sans emploi.
Je m'occupais de mon fils.
Il faut dire aussi qu'en ce moment, le travail, ça ne court pas les rues.
Donc il n'y a plus de travail. Pas de travail, pas d'argent.
Nous sommes un tremplin.
Les gens ont eu une histoire avant, ils auront une histoire après.
Nous, notre responsabilité,
vraiment, c'est ça, les chantiers d'insertion,
c'est de leur donner les meilleurs outils
pour qu'ils puissent, eux,
construire leur devenir.
C'est cette double exigence entre le travail de production
et le travail d'avenir
qui crée ce qu'on appelle chez nous cet espace qui est l'enccapagnement,
la synergie entre l'encadrement et l'accompagnement.
On appelle ça l'enccapagnement
car c'est le cœur de notre travail.
Ici, j'ai des ateliers,
certaines après-midis, pour essayer de trouver un petit peu
ce qu'on envisage comme vie professionnelle.
À 40 balais, je ne savais pas ce que j'allais faire de ma vie.
Maintenant, je sais.
Ça m'a donné le temps et le pouvoir
de changer des choses dans ma vie,
de prendre des décisions
parfois importantes. C'est pour ça que les Jardins de Cocagne,
ça a un effet tremplin.
On ne peut pas y rester longtemps.
Il faut profiter du moment où on est là
pour partager des choses, pour revivre,
vivre des choses nouvelles
et essayer de changer ou de se régénérer.
Aux Jardins de Cocagne, j'ai eu une formation.
Une bénévole, institutrice à la retraite,
est venue aux Jardins de Cocagne me préparer au concours écrit
de ma future école.
Une fois l'écrit en poche,
ils ont fait venir une coach
pour me préparer à l'oral de ce concours.
Je l'ai réussi.
Voyant que j'étais une personne un peu nerveuse,
on m'a également donné des cours de relaxation,
toujours avec un bénévole.
J'ai été complètement encadrée.
Je voulais rester ici car pour moi,
c'était comme une seconde chance.
Ça m'a beaucoup aidé,
et physiquement, et mentalement, surtout.
Les Jardins de Cocagne, c'est à l'opposé total
du métier que je faisais avant.
J'étais en usine,
à faire du travail à la chaîne.
J'étais enfermée. Pas de lumière naturelle.
Du bruit. Beaucoup de bruit.
Et puis la cadence, la cadence à adopter en usine.
Alors que là... Moi, ce que j'aime beaucoup, dans ce travail,
c'est d'être à l'air libre,
d'entendre les oiseaux, d'avoir la lumière naturelle,
d'être dehors.
Les légumes, la terre, tout ça, j'aime bien.
Ça change. Totalement.
Ici, aux Jardins de Cocagne,
on nous explique, on nous montre. Il y a le geste.
On va nous montrer comment planter, comment semer,
comment cueillir et après, on le fait.
On arrive à le faire seul. On a le droit de se tromper.
La connaissance. Chacun vient avec ses petites connaissances.
On partage les connaissances et notre instruction.
On n'a pas toujours raison, mais on n'a pas toujours tort.
Une fois qu'on a écouté ces gens-là et qu'on les a vus vivre,
qu'on a décelé chez eux
des richesses invisibles de prime abord, d'un seul coup,
ce qu'on a cru apporter aux gens, ce sont eux qui nous l'ont donné.
Je trouve que chaque personne porte en elle une forme de soleil.
La vie est magnifique,
même quand il y a du mistral.
Aujourd'hui, je suis salariée.
J'exerce le métier de travailleuse familiale.
Ma vie a vraiment changé.
Beaucoup d'espoir.
Ça m'a redonné du baume au cœur et un grand sourire.
Je suis fier de travailler et je sais pourquoi je travaille.
Je suis fier de mon travail.
Je suis très fier de mon travail.
Est-ce que tu peux nous dire d'où est venue l'idée
des Fleurs de Cocagne ?
Les supports d'insertion en direction des femmes
ne sont pas toujours vécus comme étant très valorisants.
Je pense, bien entendu, au ménage ou au repassage. Voilà.
Il y a un déficit. On s'est dit :
"Qu'est-ce qu'il y a dans notre cœur,
"notre support 1er qu'est l'agriculture, de valorisant ?"
On a pensé aux fleurs pour les dames. Voilà.
Les fleurs, ça apporte la beauté de la vie.
C'est quelque chose d'inutile, mais tellement...
tellement nécessaire pour pouvoir avancer, être optimiste,
car il y a des belles choses, dans la vie,
même si on vit des choses difficiles.
Je me sens comme une artiste.
Est-ce que tu peux me donner les chiffres du succès ?
120 Jardins de Cocagne,
4 000 personnes en insertion,
600 postes de cadres, des dirigeants,
accompagnateurs socioprofessionnels,
encadrants techniques,
tout le staff secrétariat et gestion,
et ce qu'on appelle "le staff commercial",
les animateurs de réseaux d'adhérents.
Là-dessus, ce sont des associations créées sur des territoires.
Une association fonctionne avec des bénévoles.
Il y a aussi 1 200 bénévoles.
Enfin, il y a les adhérents-consommateurs,
soit un peu plus de 20 000 familles qui consomment,
chaque semaine, des paniers venant des 120 Jardins de Cocagne.
Maintenant, tu es un peu victime de ton succès.
La concurrence te rattrape.
Il y a des paniers
qui sont proposés un petit peu partout, dans le commerce.
Comment tu comptes faire face à cette situation ?
Quels plans élabores-tu pour le futur ?
Si on imagine les 20 ans qui viennent,
le monde, une fois de plus, bouge, change.
Les formes de pauvreté évoluent.
Tout le monde fait des paniers de légumes.
La grande distribution en fait,
nos amis des Amap et des agriculteurs en font...
Et puis, en même temps,
il y a de plus en plus de publics en difficulté, de chômeurs.
12 millions de personnes sont dites pauvres.
Les pouvoirs publics ne feront plus face seuls.
Le plan d'action qu'on a essayé de mettre en place,
c'est de penser à travers un rapprochement important
avec le monde de l'entreprise.
Alors qu'on est en capacité, très souvent,
dans le secteur d'insertion par l'activité économique, d'innover,
on n'a pas de moyens.
Ça, c'est une vraie problématique.
C'est pour ça aussi qu'on essaye de trouver,
à la fois par conviction et par nécessité,
de nouvelles alliances,
avec ceux qui peuvent nous aider, qui ont envie de le faire.
Il n'y a pas de honte, au contraire,
à essayer de trouver des solutions et des aides
avec le secteur privé.
Nous commencions à réfléchir, depuis 2 ou 3 ans,
à la fois à la lutte contre la pauvreté,
et en même temps à l'écologie, au développement durable.
C'est la rencontre que la fondation a faite avec ce projet :
ce bonhomme incroyable, depuis des années,
réfléchit à la pauvreté
et à l'écologie.
Jean-Guy Henckel, je l'ai rencontré
il y a 4 ans, quand je suis arrivée à cette fondation.
Il fait partie des acteurs qu'on ne peut éviter longtemps
quand on est dans le monde
de l'action sociale en France.
L'idée que nous avions, c'était...
Étant concessionnaires d'autoroutes en France,
avec des terrains inoccupés le long de nos autoroutes,
nous pensions que ce serait une bonne idée de prêter ces terrains
pour de nouveaux jardins.
Chaque jardin que nous avons soutenu
n'a fait que confirmer l'intérêt
de ce modèle socio-économico-écologique
que Jean-Guy avait imaginé au démarrage de cette aventure.
Il nous rapproche, nous,
fondation d'utilité publique, avec des organismes
d'État, collectivités locales, Caisse des dépôts, fondations d'entreprise,
de très grandes entreprises, des cabinets de conseil...
Il prend le meilleur de nous tous.
Il utilise des vraies pratiques professionnelles.
Il a une grosse pression pour, sans cesse, professionnaliser le réseau.
Le problème de l'emploi évolue lui aussi sans cesse.
Et ça, ça fertilise son système.
C'est pourquoi actuellement,
il représente 30 millions d'euros de volume d'affaires consolidées.
C'est énorme pour ce système.
Avec un public en difficulté,
ces milliers de gens qui cherchent un emploi,
où vont-ils travailler ? En entreprise.
Il faut qu'on ait des liens importants avec ces entreprises.
Ces entreprises ne viennent pas spontanément embaucher des gens
chez nous à cause de représentations dégradées
des gens en insertion. À nous de leur prouver
qu'on a ici des gens qui sont fiers,
qui font leur journée de travail, qui sont compétents
et qui pourront, un jour, intégrer leur organisation ou entreprise.
La deuxième façon d'aider,
c'est de recruter les personnes
qui sortent de ces parcours de reconstruction
dans le cadre des Jardins
et les stabiliser dans l'emploi, chez nous.
Par exemple,
on a des personnes, à qui nous avons appris un métier,
comme l'entretien d'espaces verts, que nous pouvons, aujourd'hui,
employer sur les aires de service des autoroutes
ou sur des métiers de ce type dans le groupe.
On est en train de connecter aujourd'hui des mondes
qui n'étaient pas connectés auparavant.
Il y avait ceux qui faisaient du social
et ceux qui faisaient du business,
avec une muraille de Chine entre les deux.
Aujourd'hui, on se rend compte que pour faire du social,
il faut des savoir-faire,
des capitaux, des méthodes de management
qui sont celles des grands groupes.
Et dans les grands groupes, on est en train de réaliser
que pour faire tourner le groupe, pour faire du business et du profit,
il faut revenir aussi à des intuitions assez fondamentales,
à de l'humain, à de l'implication personnelle,
à des formes de gratuité,
ce qui était impensable il y a 10 ans encore.
Il faut que tu m'expliques.
Où est-ce qu'on est ? Qu'est-ce qu'on fait là ?
Qu'est-ce qu'on fait dans les champs sur le plateau de Saclay ?
Tout ce territoire est dévolu à devenir
la Silicon Valley européenne,
la plus grosse concentration d'entreprises
recherche et développement en Europe.
Les grandes écoles sont déjà...
Il y a déjà Polytechnique, HEC...
Le CEA, Danone, des tas d'entreprises sont déjà en place
et bien d'autres vont les rejoindre.
Ces gens-là pensent. Ils préparent l'avenir.
Pour préparer l'avenir,
ils se basent essentiellement sur de la recherche technologique.
Notre modeste présence
veut simplement montrer que l'avenir
est aussi constitué de lien social et d'écologie.
C'est la rencontre de ces bénédictines
qui n'exploitent plus cette ferme depuis 10 ans,
qui n'ont pas pour autant envie de laisser ces locaux
à n'importe quel projet.
On avait une attente, il avait un projet.
On s'est reconnus sur des valeurs humaines :
donner à des personnes un lieu de vie
qui soit vraiment un lieu de vie avec un grand V.
C'est une communauté bénédictine cloîtrée.
C'est une clôture. C'est physique.
Il y a une barrière et personne, normalement,
n'a le droit de rentrer à l'intérieur de la clôture car c'est fermé.
Jean-Guy, c'est comme s'il avait sauté par-dessus la barrière.
Il a été, d'emblée, accepté
par la communauté. Et ça, c'est lui.
Il a cette qualité-là.
On a commencé avec M. Jean-Guy Henckel,
qui est venu nous demander 5 hectares.
De 5 hectares, M. Henckel a demandé le tout.
18 hectares dans un cadre agricole conventionnel, c'est pas grand-chose.
On a des exploitations aujourd'hui
de plusieurs centaines d'hectares, un peu partout dans le pays.
En matière de maraîchage,
faire 18 hectares autour de 2 ou 3 productions
n'aurait rien d'exceptionnel.
Mais faire 18 hectares,
faire tourner sur ces 18 hectares 70 légumes différents,
été comme hiver, pour en avoir pendant 50 semaines par an,
en mettre 4 ou 5
dans 600 paniers d'adhérents-consommateurs
de la région Île-de-France,
c'est un tour de force exceptionnel
dont personne ne connaît la méthode.
Ce lieu va servir aussi de recherche et développement
à ces Jardins de Cocagne
qui devront produire plus gros.
Le projet de Vauhallan,
c'est vraiment un tournant pour l'association,
d'un point de vue opérationnel :
apprendre à produire
de l'agriculture biologique, naturelle,
à grande échelle. C'est inédit, en France.
Donc c'est déjà pilote.
Ensuite,
le réseau était accueilli dans des locaux très exigus à Paris.
Là, le projet leur permet d'avoir un centre
dans lequel, vraiment,
ils pourront faire vivre le réseau, le développer,
le structurer, diffuser de nouvelles pratiques
et construire un centre de formation national
pour recevoir plus de 200 personnes pour des formations.
Ça, c'est capital.
Le projet, vu d'un côté professionnel,
il est crédible parce qu'ils ont déjà fait,
il est fiable, il est très bien monté,
il est bien décrit, il a été évalué par des cabinets extérieurs.
La seule chose qui manque, ce sont des pépètes,
et il a besoin d'être sécurisé financièrement.
Tout le monde grandit, dans cette histoire,
quand c'est comme ça,
dans sa propre humanité, dans son propre chemin de vie.
Là, c'est vraiment la vie qui circule.
Il y a une phrase d'Edgar Morin là-dessus :
"Le pire est malheureusement probable,
"mais le meilleur est encore toujours possible."
Jean-Guy Henckel, tu es un "Héros Imagine".
- C'est un honneur de te connaître. - Merci.
C'était la plus facile.
*"Vous avez besoin de légumes. Ils ont besoin de travail.
"Ensemble, cultivons la solidarité !" Jean-Guy Henckel*
C'est vrai que moi,
j'étais meilleure pour la récolte que pour semer.
Elle est super !
Ah oui.
- Il vous a charmées, mes sœurs ? - Oui. Tout à fait. Tout à fait.
Oui. Il nous charme.
Il y a le ménage qui attend.
Allez !
Et les micros.
- On allait partir avec les micros. - Vous pouvez. C'est bon. Allez-y.
Mon plus beau lapsus, c'est quand même "solitaire" pour "solidaire".
C'est extraordinaire, ça.
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