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D'APRÉS L'OEUVRE DE DARCY RIBEIRO
LE PEUPLE BRESILIEN
Le Brésil du 16ème et du 17 ème siècle...
a été le plus grand marché du monde, parce qu'il était riche.
La richesse relative du Brésil, avec la canne à sucre...
équivalait à celle du pétrole, aujourd'hui.
Et l'immense prospérité employait des esclaves. Le Brésil était...
un moulin à consumer des gens, à user des gens.
Cent millions de nègres...
ont été arrachés d'Afrique...
en quatre siècles, vers les Amériques.
De ceux-là, nous en avons dépensé 12 millions.
La moitié a péri...
et l'autre moitié, 6 millions...
a été incorporé au système productif.
Dans la région...
que j'appelle noire, de Pernambuco à Bahia...
une quantité immense de nègres...
produisait du sucre.
Des nègres importés. Ils mouraient, on les changeait.
Le nègre était comme un sac de charbon.
Fini, on en achète un autre.
>
LE BRESIL NEGRE
Dans les terres fraîches et fertiles de la forêt tropicale atlantique...
natifs, européens et africains...
ont fait naître la premiêre maniêre d'être des brésiliens:
La civilisation du sucre.
Le Brésil commence par l'usine.
L'usine se composait du seigneur d'usine...
tout-puissant, un vrai seigneur médiéval...
qui dominait absolument tout, et était l'autorité suprême...
économique, juridique et même religieuse, dans la colonie...
aux siècles 16 et 17.
L'usine était une opération compliquée...
qui exigeait de la technologie, beaucoup d'esclaves...
et toute la société brésilienne se basait sur cette production.
A part l'aspect économique, il y a avait, aussi...
le contact seigneur-esclave.
Ce rapport était, évidemment, de domination...
mais il y a eu, aussi, un rapport d'inter croisement...
y compris sexuel, qui est à la base du métissage.
La complexité du Brésil provient de là.
C'est un rapport d'exploitation de classe...
mais, en même temps, traversé par ce rapport corporel...
affectif, sexuel.
On raconte l'histoire d'une dame...
dont le mari a fait acheter une petite négresse...
qu'il voulait pour lui tout seul.
La dame a fait casser toutes ses dents...
pour que la petite soit vilaine.
Tout pouvait être fait.
La > est, originairement, le > des nègres.
Les nègres vivaient encaissés, entassés les uns sur les autres.
Tous les essayistes brésiliens...
citent l'opulence et l'aristocratie générée par la canne à sucre...
de l'usine, qui était chose somptueuse...
jusqu'aux villes coloniales.
Ils ont fait des églises...
chaque fois plus prodigieuses.
Naît Ouro Preto...
et naît, pour première fois en Amériques...
un centre culturel homogène...
de grande sculpture, grande peinture, grande musique sacrée...
grande poésie, grande pensée philosophique-politique.
C'était le monde de Minas Gerais.
Pendant la période coloniale, nous étions riches.
Jamais les Américains ont eu un endroit comme Bahia...
et encore moins comme Ouro Preto.
Avec l'abolition de l'esclavage...
est venu le procès de décadence.
Les nègres sont restés sans le pouvoir patriarcal...
sont partis dans les villes, sont restés marginaux.
Les villes se sont enflées...
et les nègres n'ont pas réussi à se classer socialement.
Eparpillés par mines, villes et cannaies...
les nêgres ont répondu vigoureusement à leur situation.
Au Brésil, ils ont crée un monde culturel parallêle...
différent de l'européen.
CREATION
PERMANENCE
REINVENTION
Tout brésilien, du moins la plupart...
a toujours une descendance africaine...
même de 5ème ou 6ème génération.
Quand les Africains sont venus, ils sont venus par groupes et régions.
Sont venus les bantous, les nagôs et les iorubás.
Les bantous sont venus...
à une autre époque, avant les iorubás...
et sont venus sans biens matériels, seul les vêtements qu'ils portaient...
mais leur foi et leur énergie est venue à l'intérieur...
dans leur tête, leurs cours.
Personne ne peut défaire une chose innée.
L'image peut diminuer un peu, mais elle ne s'efface pas.
Les Africains, les nègres africains...
avaient beaucoup d'intelligence...
qu'ils ne pouvaient pas manifester, comme esclaves.
Ils ont emmené beaucoup de choses et nous ont fortement enrichis.
Le lexique portugais a une infinité de vocables purement africains...
passés à la langue portugaise.
Mais l'origine est africaine.
Même le traitement intime: Iaiá, ioiô...
senhorzinho.
C'est africain.
Le Brésilien, celui du nord, ne voit aucun exotisme...
dans les paroles >
Ces mots s'accommodent mieux que les portugais à notre expérience...
à notre palais, à nos sens et émotions.
>
L'âme négresse a fait avec les paroles le même qu'avec les mets.
Elle les a traités, leur a enlevé les épines, les os, les âpretés...
et n'a laissé pour la bouche du petit blanc...
que les syllabes molles.
Les Africains ont emmené des modêles rythmiques...
des instruments musicaux, comme la cuíca et le berimbau...
des styles de danse.
Des corps énergiques, élastiques, sensuels...
s'affirment, en vitalité et beauté, contre toute oppression.
De valeurs nutritives typiques sont venus avec les nêgres en Amerique.
Les végétaux, l'huile de dendê, le piment rouge...
le gombo et la banane...
les techniques de préparation de poissons et poulets.
Au Brésil, les nêgres sont devenus, en un sens, patrons de la terre...
en dominant la cuisine.
Mes haricots ont un secret spécial.
Vous savez?
Un bon morceau de lard...
une bonne saucisse spéciale, la bonne, de porc...
un bon filet de porc, de la viande sèche spéciale, et tout ça...
on prépare. On met à tremper, depuis la veille...
le pied de porc et la viande, les choses plus dures.
Puis le reste.
Noix de colle, caoris, savon de la côte, huile de dendê.
Distribués dans les senzalas des maisons coloniales...
les nêgres n'ont pas perdu contact avec l'Afrique.
Quelques-uns ont pu importer des objets de culte religieux...
et d'emploi personnel.
De nos jours, nous voyons encore, à Bahia...
des négresses avec leurs longs châles de tissu de la côte.
Dans les fazendas, le jour de fête des seigneurs...
était un jour de repos pour les esclaves.
Alors, l'esclave intelligent...
profitait de ce jour pour vénérer son orixá.
Pendant que les blancs disaient leurs litanies...
ils chantaient leurs orixás et dansaient pour eux, dans la senzala.
Comme personne ne comprenait rien...
ils prenaient les nègres pour fous, mais ils étaient en vénération.
Cela a fait que, malgré l'atrocité de la senzala...
ils aient pu, même en souffrance, évoquer leurs orixás.
Les orixás sont les feuilles vertes que nous voyons...
la brise qui nous rafraîchit, tout cela.
Alors, contre toutes ces forces naturelles...
nul ne peut combattre.
Je pense que chaque mythe crée par les Africains...
s'est enchanté d'un fragment de la nature.
De telle sorte qu'on dit que lemanjá est patronne de la mer...
lansã, la patronne du vent, Xangô, le patron du feu.
Donc, enchantés par la nature. La mer n'en est pas un fragment?
Bonne santé, beauté, richesse, fertilité.
La Terre est le plateau des dieux. Ici Exu ouvre les chemins...
lemanjá a ses amours, Omolu guérit, Oxóssi guette, Oxalá sourit.
Des dieux présents, dans la vie présente.
Depuis la Grèce...
on n'avait pas inventé une déesse qui faisait l'amour...
une mère de dieu qui fait l'amour.
Les nègres de Rio ont inventé lemanjá.
Cela est une opération culturelle incroyable...
plus importante que tous les romans écrits.
Et importante pour le peuple. Qui est lemanjá?
Elle est une espèce de sainte...
qui domine la mer...
et à qui on ne demande pas de guérir le cancer ou le SIDA...
mais de ne plus les attraper du mari, de trouver un amoureux meilleur.
Louanges à Jésus Et à saint Gabriel
Ave, ave, ave Maria Ave, ave, ave Maria
Les Africains ont plongé si profondément...
ont mis tellement de vigueur et de créativité pour créer le Brésil...
qu'ils ont cessé d'être eux...
et sont devenus nous, les brésiliens.
Il faut être culturellement fort pour imposer des valeurs au métissage...
et cela, les africains l'ont été.
Ils ont été si forts, qu'aujourd'hui...
Oxóssi est plus vivant et lumineux dans la culture brésilienne...
qu'en Afrique.
En Europe pour premiêre fois...
on ne m'a pas demandé si j'étais portugais ou grec.
On m'a pris pour un persan, par mon visage.
Mon visage différent, celui de la plupart des brésiliens...
vient des portions indiennes et négresses mélangées.
Cela nous rend plus beaux. Nous avons une telle sêve...
une telle vie propre, de telles singularités...
qu'effacer le visage brésilien est impossible.
>
A Abaeté il y a un lac obscur A Abaeté il y a un lac obscur
Entouré de sable blanc Entouré de sable blanc
De sable blanc De sable blanc
Le poête synthétise le mélange.
Dans la composition >...
il rime Abaeté, batucajé et quizé.
Abaeté est mot tupi, batucajé, bantou...
et quizé, portugais.
C'est une rime trilingue du peuple brésilien.
CREATION
PERMANENCE
REINVENTION
Je me souviens, petit...
nos tambourins étaient faits de sacs de ciment et de boîtes en fer...
quand il y a eu un changement, très fort, dans ma vie, la radio...
où j'écoutais tout, du candomblé au boléro, tout.
Et aujourd'hui le rap...
des jeunes de race noire de périphérie, plus pauvres...
qui a mélangé tous les sons...
cette habilité du nègre de fondre et de donner de la continuité...
à une sagesse intérieure négresse.
Pendant três longtemps...
par préjugé de race, le nêgre n'apparaissait pas à la télévision...
et n'avait aucune emphase.
Une des belles choses au Brésil, ces derniêres décades...
est que, par le mouvement américain Black is Beautiful...
et par un processus propre...
nous avons commencé à être fiers d'être nêgres, mulâtres, indiens.
C'est beau. C'est la rencontre du Brésil avec lui-même.
La culture négresse n'est pas encore tout à fait accepté...
le préjugé existe toujours, je crois...
quoique moins qu'autrefois.
Colline Pieds nus sur la pente
Boite d'eau sur la tête Vie sans beaucoup de chance
L'enfant sans futur, sans école S'il ne joue pas au ballon
Souffrira sa vie entiêre
Colline Ta samba a été bercée
Est devenu si sophistiqué Qu'elle n'est plus traditionnelle
Colline, tu es si belle Quand le soleil se lêve
Que tes maux sont crédités Au désajustement social
Colline, tu es si belle Quand le soleil se lêve
Que tes maux sont crédités Au désajustement social
Colline
Pourquoi l'Amerique fleurit-elle, pauvre et arriérée...
et nous, si illustres, avec de grands noms des lettres...
de grandes villes, n'avons pas progressé?
Parce que ce pays n'a jamais existé pour son peuple...
que pour le marché mondial. Le célêbre marché mondial.
Pour le marché mondial et la fameuse usine...
6 millions d'indiens ont péri et, aprês, 6 millions de nêgres.
Tel était le projet de la classe dominante.
Cependant...
nous sommes encore victimes et nous souffrons...
d'énormes inégalités sociales et économiques...
qui adviennent de l'incompréhension des élites...
qui ne classent la culture traditionnelle et archaïque...
que comme du folklore.
Le pire que l'on puisse faire à une culture...
est de s'en approprier comme une chose exotique.
Le Brésil offre non pas des exotismes...
mais une histoire de création d'une civilisation...
des plus intéressantes, pas comme pièce de musée...
mais comme répertoire de solutions pour le monde. Ces solutions...
basiques, au fond de cette culture, ne sont pas d'ordre matérielle...
mais spirituelle.
>
Malgré les atrocités qu'il y a eu...
nous devons demander le salut...
de l'âme de ces bourreaux...
car c'est à cause d'eux, malgré tant de choses funèbres...
qu'il y a eu...
que les orixás peuvent briller au Nouveau Monde.
Pour cela notre civilisation a une chose forte:
Le goût de vivre, la joie de vivre, si importants.
Dans une société mondiale qui marche, de plus en plus...
vers l'automation de la production...
et vers la réduction des heures de travail...
le grand produit que le Brésil peut offrire...
est de montrer à ceux qui, ne pouvant travailler, se tuent...
comment ne pas travailler est la meilleure forme d'être heureux.
Souriant J'ai l'intention de vivre
Ma vie
Car pleurant J'ai vu ma jeunesse
Se perdre
Souriant J'ai l'intention de vivre
Ma vie
Car pleurant J'ai vu ma jeunesse
Se perdre
Finie la tempête Le soleil viendra
Finira ma tristesse Et j'aurais un nouvel amour
Souriant J'ai l'intention de vivre
Ma vie
Car pleurant J'ai vu ma jeunesse
Se perdre
Finie la tempête Le soleil viendra
Finira ma tristesse Et j'aurais un nouvel amour
Souriant J'ai l'intention de vivre
Ma vie
Car pleurant J'ai vu ma jeunesse
Se perdre
J'ai vu ma jeunesse Se perdre