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Traducteur: eric vautier Relecteur: Juliet Vdt
J'aimerais vous parler un peu de la peur
et du prix de la peur
et de cet âge de la peur qui est maintenant le nôtre.
Je suis bien placé pour en parler, croyez-moi.
La peur, j'en connais un rayon.
Je suis un Juif du New Jersey.
(Rires)
J'avais la trouille avant de savoir marcher.
(Rires)
Ça mériterait quelques applaudissements...
(Applaudissements)
Merci.
Mais à l'époque, on avait aussi de bonnes raisons d'avoir peur.
Quand j'étais petit, on nous rassemblait dans le couloir
et on nous apprenait à nous cacher la tête sous notre manteau
pour nous protéger de la guerre thermonucléaire mondiale.
J'avais beau avoir sept ans, je savais que ça ne suffirait pas.
Mais je savais aussi
que la guerre thermonucléaire mondiale était quelque chose de préoccupant.
Et malgré tout, bien que nous ayons vécu 50 ans
avec la menace d'une telle guerre,
la réponse de notre gouvernement et de notre société
a été de produire des choses fabuleuses.
On a créé un programme spatial en réponse à ça.
On a construit un réseau d'autoroutes en réponse à ça.
On a créé l'Internet en réponse à ça.
C'est donc que parfois la peur peut générer une réponse constructive.
Mais parfois aussi, la peur génère une réponse non constructive.
Le 11 septembre 2001,
19 types se sont emparé de quatre avions
et les ont précipités sur des édifices.
Ils ont fait des ravages terribles.
Loin de moi l'intention de minimiser l'horreur de cet événement.
Mais notre réponse a été clairement disproportionnée –
presque insensée à force de disproportion.
Nous avons reconfiguré l'appareil de sécurité des États-Unis
et de beaucoup d'autres gouvernements
pour contrer une menace qui, au moment des attaques,
était plutôt limitée.
En fait, si l'on en croit nos services de renseignement,
le 11 septembre 2001,
le noyau dur d’Al-Qaïda comptait une centaine de membres.
Il y avait tout au plus quelques milliers de terroristes.
Et ils ne menaçaient l'existence de personne.
Mais nous avons totalement réorganisé notre appareil de sécurité national
comme jamais nous ne l'avions fait depuis la Seconde Guerre mondiale.
Nous avons lancé deux guerres.
Nous avons dépensé des milliards de dollars.
Nous avons mis nos valeurs entre parenthèses.
Nous avons violé le droit international.
Nous avons torturé.
Nous nous sommes convaincus
que si ces 19 types pouvaient faire ça, n'importe qui pouvait le faire.
Et alors, pour la première fois dans l'Histoire,
tout le monde nous semblait une menace.
Et qu'est-ce qui en a résulté ?
Des programmes de surveillance des courriels et des appels téléphoniques
de pays entiers –
de centaines de millions de gens –
sans considération du fait que ces pays étaient nos alliés,
sans considération pour nos intérêts.
J'ai l'impression, 15 ans plus ***,
alors qu'il y a aujourd'hui plus de terroristes,
plus d'attaques terroristes, plus de victimes du terrorisme –
selon le décompte même du département d'État américain –
alors qu'aujourd'hui la région qui orchestre ces attaques
est plus instable qu'elle l'a jamais été,
depuis le Déluge, peut-être,
j'ai l'impression que nous avons échoué dans notre réponse.
Alors, me direz-vous, où avons-nous échoué ?
Qu'avons-nous fait ? Quelle erreur avons-nous commise ?
Une réponse serait de dire que Washington est dysfonctionnel.
Pour cause de luttes politiques.
Et parce que nous avons fait de nos débats un match de boxe en cage.
Et c'est vrai.
Mais il y a des problèmes plus graves que ce dysfonctionnement, croyez-moi.
Et cela même si je suis convaincu
que ce dysfonctionnement qui interdit de parvenir à un résultat
dans le pays le plus riche et le plus puissant du monde
est bien plus dangereux que ce que fait un groupe comme Daech,
parce que ça nous entrave et que ça nous empêche d'avancer.
Mais il y a d'autres problèmes.
Et ces problèmes
viennent du fait qu'à Washington et dans d'autres capitales aujourd'hui,
la créativité est en crise.
À Washington, dans les think tanks,
là où les gens sont censés élaborer de nouvelles idées,
les idées audacieuses font défaut,
parce que si vous lancez une idée audacieuse,
d'une part, vous allez être attaqué sur Twitter,
mais vous allez perdre votre job au gouvernement.
Nous sommes si réactifs au venin du débat politique,
que les gouvernements ont une mentalité du nous-contre-eux,
de minuscules groupes de décideurs.
Or, dans une pièce qui rassemble un petit groupe de décideurs,
qu'est-ce qu'on trouve ?
Une pensée de groupe.
Tout le monde a la même vision du monde,
et toute vision étrangère au groupe apparaît comme une menace.
C'est un vrai danger.
Il y a aussi des processus qui deviennent réactifs aux cycles des actualités.
Alors, les secteurs du gouvernement censés anticiper et se projeter,
ceux qui font de la stratégie,
ceux qui ailleurs anticipent – ne peuvent pas le faire ici
parce qu'ils sont dépendants du cycle des actualités.
Et du coup, nous ne nous projetons pas.
Le 11 septembre a suscité une crise parce qu'on a fait fausse route.
Aujourd'hui, on est en crise parce qu'à cause du 11 septembre,
on fait toujours fausse route.
On le sait, parce que les mutations qui se profilent à l'horizon
sont bien plus importantes que ce qu'on a vu le 11 septembre,
bien plus importantes que la menace que posent ces terroristes,
bien plus importantes même que l'instabilité qui règne aujourd'hui
dans certaines régions du monde.
En fait, ce que nous observons dans ces endroits
pourrait bien n'être qu'un symptôme.
Cela pourrait constituer une réaction à des phénomènes à plus grande échelle.
Et si nous traitons le symptôme en ignorant sa cause,
nous allons nous retrouver avec de plus gros problèmes.
Alors, quels sont ces phénomènes ?
Eh bien, pour un groupe comme le vôtre,
ces phénomènes sont manifestes.
Nous vivons une époque dans laquelle le tissu même de la société humaine
se trouve retissé.
Vous avez peut-être vu la dernière une de The Economist –
qui titre que 80% des gens sur cette planète
auront un téléphone intelligent en 2020.
Ces gens auront un petit ordinateur connecté à l'Internet dans la poche.
Dans la plupart des régions d'Afrique, le taux de pénétration est déjà de 80%.
En octobre dernier, nous avons atteint le point
où il y a plus d'appareils cellulaires, plus de cartes SIM
que de gens dans le monde.
Nous approchons du moment décisif dans notre histoire,
où chaque humain de la planète fera effectivement partie
d'un système créé de main d'homme pour la première fois,
capable d'atteindre tous les autres –
pour le meilleur et pour le pire.
Et les changements associés à cela modifient la nature profonde
de tous les aspects de la gouvernance et de la vie sur la planète
dans des proportions que nos dirigeants feraient bien de prendre en compte
quand ils réfléchissent aux menaces immédiates.
Sur le plan de la sécurité, nous sommes sortis de la guerre froide
– la guerre nucléaire était trop coûteuse et nous ne l'avons donc pas faite –
pour entrer dans une ère que j'appelle la guerre tiède, la cyber-guerre
où les coûts du conflits sont si faibles qu'on pourrait bien ne jamais en sortir.
Nous entrons peut-être dans un temps de combat permanent,
on s'en rend compte parce qu'on en fait l'expérience depuis plusieurs années.
Et pourtant, nous ne disposons pas de la doctrine de base pour nous guider.
Les concepts fondamentaux n'ont pas été formulés.
En cas de cyber-attaque,
avons-nous la capacité de répondre par une attaque cinétique ?
On n'en sait rien.
Si quelqu'un lance une cyber-attaque, comment peut-on la contrecarrer ?
Quand la Chine a lancé ses cyber-attaques,
qu'a fait notre gouvernement ?
Il a pointé du doigt quelques-uns des responsables chinois,
qui ne mettront jamais les pieds en Amérique.
Ces types ne se trouveront jamais à portée de main d'un officier de police
qui pourrait les conduire en prison.
C'est un geste symbolique – pas une mesure dissuasive.
Les membres des Forces Spéciales qui sont sur le terrain aujourd'hui
découvrent que de petits groupes d'insurgés avec des téléphones portables
ont accès à des images satellites autrefois réservées aux superpuissances.
En fait, avec un téléphone portable,
on détient maintenant un pouvoir que les superpuissances n'avaient pas,
et qu'on aurait classé secret défense il y a dix ans.
Dans mon téléphone, j'ai une application qui me dit
où se trouvent tous les avions en vol du monde, leur altitude, leur vitesse
de quel type d'avion il s'agit,
où est-ce qu'il se rend et où il va se poser.
Ils disposent d'applications qui leur permettent de savoir
ce que leur adversaire est sur le point de faire.
Et ils utilisent ces instruments de façon nouvelle.
Quand un terroriste s'est emparé d'un café à Sydney,
il est entré avec un fusil...
et un Ipad.
Et l'arme, c'était le Ipad.
Parce qu'il a capturé des gens, il les a terrorisés,
il a pointé l'Ipad sur eux,
et puis il a pris une vidéo qu'il a mise sur Internet,
et il s'est emparé des médias.
Cela n'affecte pas uniquement le plan de la sécurité.
Les relations entre grandes puissances aussi –
nous pensions que nous étions sortis de l'ère bipolaire.
Nous pensions vivre dans un monde unipolaire
où tous les problèmes avaient été résolus.
Vous vous rappelez ? C'était la fin de l'Histoire.
Mais ce n'est pas le cas.
On est en train de se rendre compte que notre hypothèse concernant Internet –
qui nous connecterait les uns aux autres, et resserrerait le tissu de la société –
n'est pas nécessairement exacte.
Dans un pays comme la Chine, il y a la Grand Muraille Informatique.
On a donc des pays qui disent si l'Internet existe sur notre territoire,
nous l'y contrôlons.
Nous contrôlons le contenu. Et nous contrôlons notre sécurité.
Nous allons gérer cet Internet
et décider de ce qui peut s'y trouver.
Nous allons imposer nos propres règles.
On pourrait se dire que ça n'arrive qu'en Chine.
Mais il n'y a pas que la Chine.
Il y a la Chine, l'Inde, la Russie.
Il y a l'Arabie Saoudite, Singapour, le Brésil.
Après le scandale de la NSA, les Russes, les Chinois, les Indiens, les Brésiliens,
se sont dit qu'ils allaient créer une nouvelle dorsale Internet,
parce qu'ils ne voulaient pas dépendre de l'existante.
Résultat ?
On se retrouve avec un nouveau monde bipolaire
où l'internationalisme cybernétique,
en lequel nous croyons,
est mis en péril par le nationalisme cybernétique,
en lequel d'autres croient.
On peut observer ces changements tout autour de nous.
Prenez l'émergence de l'argent mobile.
Cela se produit là où on s'y attendrait le moins.
Cela se produit au Kenya et en Tanzanie,
où des millions de gens qui n'avaient pas accès aux services financiers
gèrent maintenant tout cela sur leurs téléphones.
Il a aujourd'hui 2,5 millions de gens sans accès aux services financiers
qui sont sur le point de l'obtenir.
Un milliard de personnes y accéderont sur leur téléphone bientôt.
Cela ne va pas seulement leur permettre d'avoir recours aux banques.
Cela va changer la nature de la politique monétaire.
Cela va changer la nature de l'argent.
Même chose avec l'éducation.
Même chose avec le système de santé.
Et même chose avec les services gouvernementaux.
Et pourtant, à Washington, on est occupé à débattre pour savoir
si on doit appeler le groupe terroriste qui s'est emparé de la Syrie et de l'Irak
Daech ou État Islamique.
On essaye de déterminer
ce qu'on peut se permettre de donner dans une négociation avec les Iraniens
sur un accord nucléaire qui concerne des technologie vieilles de 50 ans,
alors qu'on sait bien que les Iraniens nous font aujourd'hui la cyber-guerre
mais on fait comme si de rien n'était, en partie parce que les entreprises
ne veulent pas parler des attaques dont elles sont victimes.
Et cela nous conduit à une autre rupture fondamentale,
et une rupture primordiale pour un groupe comme le vôtre,
parce que la croissance de l'Amérique et la sécurité nationale américaine
et toutes les choses qui ont généré du progrès même pendant la guerre froide
tenaient à un partenariat public-privé entre science, technologie et gouvernement
qui a vu le jour lorsque Thomas Jefferson inventait de nouvelles choses
dans la solitude de son laboratoire.
Alors c'était les canaux, les chemins de fer et le télégraphe,
c'était le radar, et l'Internet.
Ou le Tang, cette boisson du petit-déjeuner –
peut-être pas la plus importante de ces inventions au demeurant.
Mais il y avait alors un partenariat et un dialogue, et ce dialogue s'est rompu.
Il s'est rompu parce qu'à Washington,
on considère que moins il y a de gouvernement et mieux c'est.
Il s'est rompu parce qu'à Washington, croyez-le ou non,
on fait la guerre à la science –
malgré le fait que dans toute l'histoire humaine,
à chaque fois qu'on s'en est pris à la science,
c'est la science qui a gagné.
(Applaudissements)
Mais notre gouvernement refuse d'écouter,
personne dans les hautes sphères n'est capable de comprendre.
À l'âge nucléaire,
les gens aux postes de direction à la sécurité nationale,
étaient censés savoir de quoi ils parlaient.
Ils étaient censés connaître le jargon, le lexique.
Si vous interrogez aujourd'hui les gens à la tête du gouvernement
sur la cybernétique ou la neuroscience,
sur les choses qui vont changer le monde,
ils vous lanceraient un regard vide.
Je le sais, parce que pour écrire ce livre,
j'ai parlé à 150 personnes, beaucoup du milieu scientifique et technologique,
qui se sentaient reléguées à la table des enfants.
Tandis que du côté des technologies,
il y a plein de gens formidables qui créent des choses extraordinaires,
mais qui ont commencé dans leur garage sans l'aide du gouvernement
et qui n'en veulent pas aujourd'hui.
Leur vision politique, pour beaucoup, est entre libertarianisme et anarchie,
en gros, fichez-moi la paix.
Mais le monde se désagrège.
D'énormes changements de réglementation vont survenir subitement
et d'énormes enjeux concernant les conflits
et d'énormes enjeux concernant la sécurité et la confidentialité.
Et voilà que surgissent des enjeux d'une autre nature :
les enjeux philosophiques.
Si vous ne pouvez pas voter, si vous ne pouvez pas travailler,
si vous ne pouvez pas accéder au système bancaire ou au système de santé,
si vous ne pouvez pas recevoir d'éducation sans accès à Internet,
l'accès à l'Internet n'est-il pas un droit fondamental, relevant de la constitution ?
Si Internet est un droit fondamental,
l'accès à l'électricité pour les 1,2 milliard de personnes qui en sont privées
n'est-il pas un droit fondamental ?
Ce sont des questions essentielles. Où sont les philosophes ?
Où est le dialogue ?
Et ceci me conduit à la raison pour laquelle je suis ici.
Je vis à Washington. Pauvre de moi.
(Rires)
Le dialogue n'y a pas lieu.
Les grands questions qui vont changer le monde,
bouleverser la sécurité nationale, bouleverser l'économie,
créer l'espoir et la menace,
ne peuvent être réglées que si on réunit
des groupes de gens qui comprennent la science et la technologie,
et le gouvernement.
Chacune des parties a besoin de l'autre.
Et tant que nous n'aurons pas recréé cette connexion,
qui a permis à l'Amérique et à d'autres pays de croître,
nous deviendrons de plus en plus vulnérables.
Les risques associés au 11 septembre ne seront plus mesurés
par le nombre de morts de ces attaques terroristes
ou au nombre d'édifices détruits, ou aux milliards de dollars dépensés.
Ils seront mesurés à l'aune de notre aveuglement aux questions essentielles
et de notre incapacité à réunir
les scientifiques, les technologues et les dirigeants politiques,
à un moment de transformation comparable au début de la Renaissance,
comparable au début des époques de bouleversements majeurs
qui se sont produites sur Terre,
pour commencer à trouver les bonnes réponses,
ou, à défaut, les bonnes questions.
Nous n'en sommes pas encore là,
mais les discussions comme celle-ci, et les groupes comme le vôtre
permettent à ces questions d'être formulées et posées.
Et c'est pourquoi je suis convaincu que des groupes comme TED,
des discussions de ce genre partout sur la planète
constituent l'avenir de la politique étrangère, de la politique économique,
de la politique sociale et de la philosophie.
Et c'est pourquoi ça a été un réel plaisir de parler avec vous.
Merci, merci beaucoup.
(Applaudissements)