Tip:
Highlight text to annotate it
X
OK, je vais commencer par m'excuser,
je suis physicien théoricien
et il y aura une formule dans ma présentation.
Plus particulièrement, je travaille dans le domaine de la physique fondamentale
et un objectif ambitieux de la physique fondamentale
est de répondre à des questions profondes comme :
de quoi l'Univers est-il fait ?
quelles sont les forces fondamentales de la nature ?
quelle est la nature de l'espace-temps et de la matière ?
Il y a aussi des questions auxquelles
nous ne pouvons pas répondre bien qu'elles soient très intéressantes
et la plupart de ces questions commencent par « pourquoi ».
Je vais maintenant m'arrêter sur la première de ces questions :
de quoi l'Univers est-il fait ?
Si j'avais tenu cette conférence il y a plus d'un siècle,
j'aurais probablement répondu : l'Univers est fait d'atomes.
A cette époque, les atomes étaient considérés comme les briques fondamentales
de la matière. Tout dans cette pièce était fait d'atomes.
Mais maintenant nous savons que les atomes ne sont pas indivisibles,
ils sont composés d'électrons, de neutrons, de protons,
et les protons eux-mêmes ne sont pas fondamentaux non plus,
ils sont constitués de quarks.
Aujourd'hui nous avons un schéma un peu plus simple que
le tableau périodique des éléments.
Nous avons ce genre de petit tableau périodique
des particules élémentaires.
Ces particules et leurs interactions
décrivent par exemple tout ce qui se passe dans cette pièce.
Cependant, lorsque vous essayez d'appliquer ça
à l'Univers entier, vous trouvez quelque chose d'assez embarrassant.
A savoir, toutes les particules connues,
ainsi que toutes les forces connues,
représentent au total moins de 5% de l'énergie contenue dans l'Univers.
En d'autres termes, il y a plus de 95% de l'Univers
que nous ne comprenons pas
malgré notre connaissance actuelle de la physique des particules élémentaires.
Environ un quart de l'Univers est constitué de ce qu'on appelle la « matière noire »
et les trois quarts restant constituent « l'énergie sombre ».
Comment savons-nous ça et qu'est-ce que la matière noire ?
Bien, je vais essayer d'y répondre en citant un précédent historique,
à savoir, la découverte de Neptune.
En 1821, Alexis Bouvard publia des tables,
il avait calculé l'orbite d'Uranus.
Et il est intéressant de noter que les observations de la trajectoire d'Uranus
différait de ces tables.
Il y avait une anomalie gravitationnelle
et les observations ne coïncidaient pas avec ces prédictions théoriques.
Pour combler le fossé entre les prédictions théoriques et les observations expérimentales,
il y avait deux réponses logiques possibles.
Soit vous prédisez quelque chose comme la matière noire,
vous prédisez une planète invisible
située près d'Uranus qui affecte sa trajectoire
de sorte qu'elle coïncide avec celle observée, ou vous changez la théorie.
Vous déclarez que la théorie de Newton n'est pas tout à fait juste,
que vous devez la modifier.
En 1845, ces deux messieurs, particulièrement Urbain Le Verrier,
ont prédit l'existence d'une nouvelle planète.
Ils ont donc utilisé ce paradigme de la matière noire et ont calculé sa position.
Et contre toute attente, un an plus ***, on a trouvé cette planète et on l'a appelée Neptune.
La découverte de Neptune a été
le premier succès du concept de matière noire.
Bien sûr, après sa découverte, elle n'était plus noire.
(Rires)
OK, il y a une autre histoire intéressante et très similaire à celle-ci,
mais qui a une fin totalement opposée.
Durant le même siècle, nous avons aussi découvert
que Mercure avait un problème avec sa trajectoire.
Les tables calculées de la trajectoire de Mercure
ne coïncidaient pas avec celles observées.
C'était un autre exemple d'anomalie gravitationnelle.
Et cette fois encore, deux explications logiques étaient possibles ;
soit on prédisait une nouvelle forme de matière noire,
par exemple, une nouvelle planète, ou on changeait la théorie de la gravité.
Ainsi la même personne qui avait prédit l'existence de Neptune par la théorie
prédit aussi une autre planète, à savoir Vulcain.
Urbain Le Verrier prédit donc une nouvelle planète et calcula sa position en 1859.
De manière intéressante, cette planète fut découverte en 1860, un an plus ***.
Cette planète s'appelle Vulcain et est supposée tourner autour du soleil
sur une orbite plus proche du soleil que Mercure.
Ça aurait donc été une planète plus proche que Mercure.
Cependant ces observations ne furent jamais confirmées par personne
et aujourd'hui nous savons que Vulcain n'existe pas.
Cette histoire a une fin différente.
Mais le problème n'a pas été réglé jusqu'à ce qu'Albert Einstein passe par là en 1915,
mette en place la relativité générale,
et que cette nouvelle théorie de la gravité explique entièrement la trajectoire de Mercure.
La non-découverte de Vulcain a été le premier échec
du concept de matière noire.
Aujourd'hui en astrophysique, il y a 2-3 anomalies gravitationnelles,
des écarts entre la théorie et les observations,
et je vais vous montrer l'exemple le plus remarquable.
Voici ce qu'on appelle les courbes de rotation galactique.
Ce que vous voyez sur cette courbe est la vitesse
des étoiles de la galaxie par rapport au centre de la galaxie
en fonction de la distance radiale depuis le centre.
Si on prend la relativité générale et qu'on calcule cette vitesse,
on obtient cette courbe en pointillé, c'est la prédiction théorique.
Cependant, quand vous observez les galaxies,
ce que que vous trouvez en réalité est cette courbe continue, ce sont les observations.
A grande distance, on a donc une anomalie gravitationnelle
avec des écarts entre la théorie et les observations.
Il y a aussi une anomalie gravitationnelle à petite échelle,
l'anomalie Pioneer.
Les sondes Pioneer ont été envoyées dans les années 70 et 80
pour explorer notre système solaire
et depuis nous avons suivi la trajectoire des sondes
très précisément, donc nous pouvons déterminer très précisément la trajectoire
et nous pouvons en déduire qu'il y a une accélération anormale en direction du soleil,
c'est donc un autre exemple d'anomalie gravitationelle.
La trajectoire qu'on observe ne coïncide pas tout à fait
avec la trajectoire qu'on calcule.
La question clé semble être : « Est-ce un scénario de type Vulcain ou de type Neptune ? »
Aujourd'hui, la plupart des scientifique, moi compris, considèrent le scénario « Vulcain » peu probable
et le scénario « Neptune » vraisemblable.
Il semble réellement qu'il y ait une matière noire dans l'Univers,
mais le problème est qu'on ne l'a pas encore détectée.
Il y a différents acronymes et candidats pour la matière noire,
peut-être que l'un d'eux sera découvert au LHC du CERN au cours de la prochaine décénnie,
mais pour l'instant nous n'avons aucune idée de ce qu'est la matière noire.
Et on ne doit pas oublier que le succès principal de
l'histoire de Neptune n'est pas seulement que Neptune a été prédite par la théorie,
mais aussi qu'elle a été observée.
Pour l'instant nous en sommes à l'étape
où la matière noire est prédite mais pas encore observée.
A cause de ça, certains ont des sentiments quasi-religieux sur cette question de savoir
si nous sommes dans un cas de « Vulcain » ou de « Neptune ».
La question est maintenant, comment progresser ?
La stratégie la plus directe serait
de démontrer que le scénario « Vulcain » ou le scénario « Neptune » est le bon,
mais malheureusement, les deux stratégies sont actuellement hors de notre portée.
Comment progresser du côté de la théorie ?
Ma stratégie a été de rester agnostique sur ce problème,
et de reformuler la question, bien que ça ressemble à de la triche.
La question à laquelle je souhaite répondre est
quelle est la théorie la plus générale de la gravité qui est possible à grande distance ?
L'hypothèse de départ était de rendre le modèle le plus simple possible,
parce que sinon je ne peux rien faire,
une des hypothèses qui ont permis de simplifier les choses a été d'imposer une symétrie sphérique.
Si vous regardez autour de vous,
cette pièce ne semble pas suivre une symétrie sphérique du tout
mais si vous vous envolez de quelques milliers de kilomètres,
la Terre ressemble petit à petit à une sphère parfaitement ronde.
A grande distance, la gravité se comporte comme si elle suivait une symétrie sphérique
et la même chose s'applique au soleil, aux étoiles et de nombreuses galaxies.
J'ai eu besoin d'une autre hypothèse,
l'absence de certains défauts à grande distance,
connue sous le nom de censure cosmique.
Elle suppose que la gravité ne devient pas arbitrairement grande
dans l'Univers excepté à l'intérieur d'un trou noir.
C'est l'hypothèse que j'ai faite.
Puis j'ai du faire quelques hypothèses techniques que je présenterai pas ici,
mais le résultat de ces hypothèses a été un modèle
qui prédit une loi de force de gravité constituée de plusieurs parties.
Voici la formule.
La force qui contient la partie newtonienne
qui est, bien sûr, un bon test de cohérence,
Ici la force centrifuge
qui était déjà connue du temps de Kepler.
Ensuite la partie d'Einstein,
ce terme inoffensif est au fond la planète Vulcain
ou ce qui la replace, c'est la modification d'Einstein
de la théorie de la gravité de Newton.
Il est intéressant de noter qu'on obtient automatiquement un autre terme,
à savoir la constante cosmologique.
Ce « lambda fois R » d'apparence inoffensive
est ce qui contribue à 72% du budget énergétique de l'Univers.
C'est la fameuse énergie sombre.
La surprise réelle a été qu'il y avait un autre terme
que j'ai appelé accélération de Rindler d'après le physicien Autrichien, Wolfgang Rindler,
qui est constitué d'une constante, l'accélération de Rindler, "a"
et d'une dépendance radiale.
La conséquence est qu'en utilisant les hypothèses simplificatrices,
j'obtiens une loi, et cette loi prédit
une nouvelle force à grande distance, une force de Rindler.
Mettons-la en pratique.
Je l'ai testée pour les galaxies dans un modèle de temps très simple
puis j'ai tracé la courbe de la vitesse en fonction de la distance réelle.
Et vous pouvez voir que la ligne continue,
qui est celle qu'on obtient quand on prend en compte la force de Rindler,
correspond beaucoup mieux aux observations
que la loi de la relativité générale.
OK, c'était un premier test de cohérence.
L'autre test de cohérence était la trajectoire de la sonde Pioneer
et je n'ai pas eu grand chose à faire,
parce que la définition de l'anomalie Pioneer
est qu'il y a une accélération anormale
en direction du soleil et c'est précisément ce que prédit la force de Rindler.
OK, j'ai donc presque terminé.
Je vais conclure avec quelques conclusions scientifiques.
J'ai présenté un modèle très simple pour la gravité à grande distance
qui prédit une nouvelle force
et les données observationnelles que j'ai vérifiées
sont compatibles avec cette force de Rindler.
Peut-être qu'un truisme à retenir de ce discours est que
si vous êtes bloqué sur une question, reformulez-la ou évitez-la,
même si vous avez l'impression de tricher,
et cela apportera peut-être un peu de lumière sur la question d'origine.
Merci !
(Applaudissements)