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Traducteur: Carole Vautier Relecteur: Anna Cristiana Minoli
J'ai commencé
dans l'écriture et la recherche
comme interne en chirurgie,
comme quelqu'un qui était très loin
de devenir un expert quelconque en quoi que ce soit.
Alors, naturellement la question qui se pose à ce moment là
est, comment est-ce que je deviens bon à ce que j'essaye de faire ?
Et c'est devenu une question de,
comment est-ce qu'on devient tous bons
à ce que nous essayons de faire ?
C'est déjà assez difficile d'acquérir toutes les techniques,
d'essayer d'apprendre toutes les connaissances que vous devez assimiler
pour toutes les tâches que vous prenez en charge.
Je devais penser à la façon dont je couds et je coupe,
mais aussi à comment je choisis la bonne personne
qui vient dans la salle d'opération.
Et au beau milieu de tout ça
est arrivé ce nouveau contexte
pour réfléchir à ce que "être bon" voulait dire.
Ces dernières années
nous avons réalisé que nous traversions la crise la plus sévère
dans l'existence de la médecine
à cause d'une chose à laquelle on ne pense pas normalement
quand on est un médecin
qui se préoccupe de comment faire du bien aux gens,
et c'est le coût
des soins médicaux.
Il n'y a pas un pays au monde
qui ne se demande pas maintenant
si nous pouvons nous permettre ce que les docteurs font.
Le combat politique que nous avons développé
porte désormais sur
si la nature du problème est le gouvernement
ou les compagnies d'assurance.
Et la réponse est oui et non;
c'est plus compliqué que cela.
La source de nos problèmes
est en fait la complexité que la science nous a donné.
Et pour comprendre ça,
je vais vous faire remonter de quelques générations.
Je veux vous ramener
à une époque où Lewis Thomas écrivait son livre, "Une Science Naissante".
Lewis Thomas était un médecin-écrivain,
un de mes auteurs préférés.
Et il a écrit ce livre pour expliquer, entre autres,
ce que c'était d'être un interne en médecine
au Boston City Hospital
en 1937
avant la création de la pénicilline.
C'était une époque où la médecine était bon marché
et très inefficace.
Si vous étiez dans un hôpital, il disait,
ça vous faisait du bien
juste parce qu'on vous offrait
un peu de chaleur, de nourriture, un abri,
et peut-être les soins et l'attention
d'une infirmière.
Les docteurs et la médecine
ne faisaient absolument aucune différence.
Ça ne semblait pas empêcher les docteurs
d'être complètement surchargés à leur époque,
comme il l'expliqua.
Ce qu'ils essayaient de faire
était de trouver si vous aviez un des diagnostiques
pour lesquels ils pouvaient faire quelque chose.
Et il y en avait quelques-uns.
Si vous aviez une pneumonie lobaire aiguë, par exemple
ils pouvaient vous faire subir une sérothérapie,
qui est l'injection d'anticorps de la rage
à la bactérie streptocoque,
si l'interne l'avait correctement sous-classée.
Si vous aviez une insuffisance cardiaque,
ils pouvaient vous vider d'un demi-litre de sang
en vous ouvrant une veine du bras,
vous administrant une préparation grossière de feuilles de digitale pourpre
puis en vous plaçant dans une tente à oxygène.
Si vous aviez les premiers signes d'une paralysie
et que vous étiez très bon à poser des questions personnelles,
vous pouviez déduire
que cette paralysie était due à la syphilis,
auquel cas vous pourriez administrer cette agréable concoction
de mercure et d'arsenic --
du moment que vous ne causiez pas une overdose et tuiez le patient.
En dehors de tout ça,
un médecin ne pouvait pas faire grand-chose de plus.
C'est à cette époque que la structure principale de la médecine
a été créée --
ce qui signifiait être bon à ce qu'on faisait
et comment on voulait que la médecine se développe.
C'était à une époque
où vous pouviez connaitre ce qui était connu,
vous pouviez tout retenir, et vous pouviez faire tout.
Si vous aviez un carnet d'ordonnance,
si vous aviez une infirmière,
si vous aviez un hôpital
qui vous donnerait un lieu de convalescence, peut-être quelques outils basiques,
vous pouviez vraiment tout faire.
On réduisait la fracture, on faisait des saignées,
on centrifugeait le sang,
l'observait au microscope,
on mettait les cellules en culture, on injectait la sérothérapie.
C'était la vie d'un artisan.
Par conséquent, on a construit la médecine moderne
autour d'une culture et d'un système de valeurs
qui disaient que vos qualités
étaient d'être audacieux,
courageux,
être indépendant et autonome.
L'autonomie était notre plus grande qualité.
Regardons quelques générations plus ***,
à notre époque,
et on dirait un monde complètement différent.
Nous avons maintenant trouvé des traitements
pour presque tous les milliers de maladie
qu'un être humain peut avoir.
On ne peut pas tout guérir.
On ne peut pas garantir que tout le monde vivra une longue vie en bonne santé.
Mais on peut le rendre possible
pour la plupart.
Mais qu'est-ce que ça coûte en échange ?
Eh bien, maintenant nous avons découvert
4000 procédures médicales et chirurgicales.
Nous avons découvert 6000 médicaments
que j'ai maintenant l'autorisation de prescrire.
Et nous essayons de déployer cette capacité,
ville par ville,
à toutes les personnes vivantes --
dans notre propre pays,
sans parler du monde entier.
Et nous avons atteint le point où nous avons réalisé,
qu'en tant que docteurs,
on ne peut pas tout savoir.
On ne peut pas tout faire
tout seuls.
Une étude a été réalisée où ils ont regardé
combien de cliniciens il fallait pour prendre soin de vous
si vous alliez dans un hôpital,
à différentes époques.
Et en 1970,
il fallait seulement l'équivalent de deux cliniciens à temps complet.
Donc,
il fallait en gros les soins d'une infirmière
puis seulement quelques visites d'un docteur
qui vous examinait plus ou moins
une fois par jour.
A la fin du 20ème siècle,
le chiffre avait augmenté à plus de 15 cliniciens
pour le même patient d'hôpital typique --
les spécialistes, les kinésithérapeutes,
les infirmières.
Nous sommes tous des spécialistes maintenant,
même les médecins de premiers secours.
Tout le monde obtient
une partie des soins.
Mais nous accrocher à cette structure que nous avons construite
autour de l'audace, de l'indépendance,
de l'autonomie
de chacune de ces personnes
est devenu un désastre.
Nous avons entraîné, engagé et récompensé des gens
à agir comme des cowboys.
Mais c'est d'une équipe de spécialiste dont nous avons besoin,
comme en Formule 1, mais pour les patients.
On en trouve la preuve partout autour de nous :
40% des patients en cardiopathie coronarienne
dans nos communautés
reçoivent des soins incomplets ou inadaptés.
60 %
de nos patients asthmatiques ou avec une congestion cérébrale
reçoivent des soins incomplets ou inadaptés.
Deux millions de personnes qui viennent dans nos hôpitaux
contractent une infection
qu'ils n'avaient pas
parce que quelqu'un n'a pas pu suivre
les règles basiques d'hygiène.
Notre expérience
en tant que personnes qui tombent malade,
et avons besoin d'aide d'autres personnes,
est que nous avons des cliniciens formidables
vers lesquels nous pouvons nous tourner --
des travailleurs, incroyablement bien formés et très intelligents --
que nous avons accès à des technologies incroyables
qui nous donnent de grands espoirs,
mais pas vraiment l'impression
que tout se déroule régulièrement pour vous
du début à la fin
pour aboutir à un résultat réussi.
Il y a un autre signe qui nous montre
que nous avons besoin d'équipes de spécialistes,
et c'est le coût démesuré
de nos soins.
Je pense que, maintenant, en médecine
nous sommes dépassés par cette question de coût.
On veut dire : « Les choses sont ainsi.
C'est juste le coût de la médecine. »
Quand vous venez d'un monde
où on traitait l'arthrose avec de l'aspirine,
qui la plupart du temps ne fonctionnait pas,
à un où, si les choses empirent,
on peut vous mettre une prothèse de hanche ou de genoux
qui vous donnent des années, voire des décennies,
sans handicape,
un changement dramatique,
et bien est-ce étonnant
qu'une prothèse de hanche à 40 000$
remplaçant de l'aspirine à 10 centimes
soit plus chère ?
Les choses sont ainsi.
Mais je pense que nous ignorons certains faits
qui nous disent quelque chose sur ce que nous pouvons faire.
Nous avons étudié les données
sur les résultats qui sont arrivés
au fur et à mesure que la complexité a augmenté
nous avons trouvé
que les soins les plus chers
ne sont pas forcément les meilleurs.
Et vice versa,
les meilleurs soins
souvent s'avèrent être les moins chers --
ont moins de complications,
les gens deviennent plus efficaces à ce qu'ils font.
Et cela signifie
qu'il y a de l'espoir.
Parce que si pour obtenir les meilleurs résultats,
on avait vraiment besoin des soins les plus chers
du pays, ou du monde,
alors nous parlerions sérieusement de rationnement,
de qui nous allons priver d'assurance maladie.
Ce serait vraiment notre unique choix.
Mais quand on regarde les déviants positifs --
ceux qui obtiennent les meilleurs résultats
aux coûts les plus moindres --
on découvre que ceux qui ressemblent le plus à des systèmes
sont plus efficaces.
Ce qui veut dire qu'ils ont trouvé des moyens
de rassembler toutes les différentes pièces,
tous les différents composants
en un tout.
Avoir des supers composants n'est pas suffisant,
et pourtant, en médecine, nous avons été obsédés avec les composants.
On veut les meilleurs médicaments, les meilleures technologies,
les meilleurs spécialistes,
mais nous ne pensons pas assez
à comment tout cela s'assemble.
C'est une horrible méthode de conception en fait.
Il y a une expérience connue
qui parle précisément de ça
qui dit, que se passerait-il si vous construisiez une voiture
avec les meilleures pièces détachées ?
Eh bien, cela vous ferait installer des freins Porsche,
un moteur Ferrari,
une carrosserie Volvo, un châssis BMW.
Et vous assemblez tout et qu'est-ce que vous obtenez ?
Un tas de bric-à-brac inabordable qui ne va nulle part.
Et parfois, c'est l'impression qu'on a avec la médecine.
Ce n'est pas un système.
On réalise qu'un système, en revanche,
où les choses commencent à s'imbriquer,
possèdent certaines qualités
pour ressembler à un système et fonctionner de la sorte.
La qualité numéro un
est l'habilité de reconnaître la réussite
et l'habilité de reconnaître l'échec.
Quand vous êtes un spécialiste,
vous ne pouvez pas très bien voir le résultat final.
Vous devez commencer à vous intéresser vraiment aux données,
aussi peu sexy que ça en ait l'air.
Un de mes collègues est un chirurgien à Cedar Rapids en Iowa
et il s'est intéressé à cette question :
combien de scanners ont-ils effectué
pour leur communauté à Cedar Rapids ?
Il s'est intéressé à ça
car il y avait eu des rapports gouvernementaux,
des reportages, des articles de journaux
disant qu'on avait fait beaucoup trop de scanners.
Il ne l'a pas vu avec ses propres patients.
Et alors, il s'est demandé, « Combien en avons-nous fait ? »
et il voulait obtenir les données.
Ça lui a pris trois mois.
Personne n'avait posé la question dans sa communauté avant.
Et ce qu'il a découvert c'est que
pour les 300 000 personnes dans leur communauté,
l'année précédente
ils avaient effectué 52.000 scanners.
Ils avaient trouvé un problème.
Ce qui nous amène à la deuxième qualité qu'un système possède.
Première qualité, trouver où vous avez échoué.
La seconde qualité est de concevoir des solutions.
Je me suis intéressé à ça
quand l'Organisation Mondiale de la Santé est venue dans mon équipe
en demandant si nous pouvions les aider avec un projet
pour réduire les décès en chirurgie.
Le nombre de chirurgie a augmenté
dans le monde entier,
mais pas
la sûreté de la chirurgie.
Nos tactiques habituelles pour s'attaquer à ce type de problème
sont de faire plus de formation,
de donner aux gens plus de spécialisation
ou d'apporter plus de technologie.
Eh bien, en chirurgie, vous ne pourriez pas avoir des gens plus spécialisés
et vous ne pourriez pas avoir des gens mieux formés.
Et pourtant, nous voyons des niveaux impensables
de morts, d'handicapes,
qui pourraient être évités.
Donc, nous avons regardé ce que les autres industries à haut risques font.
Nous avons regardé la construction de gratte-ciels,
nous avons regardé le monde de l'aviation,
et nous avons découvert
qu'ils ont des technologies, des formations
et ils ont une autre chose:
ils ont des checklists.
Je ne m'attendais pas
à passer une partie considérable de mon temps
en tant que chirurgien à Harvard
à me préoccuper de checklists.
Et pourtant, ce que nous avons découvert
c'est que ces outils
aidaient les experts à s'améliorer.
Nous avons fait appel à l'ingénieur sécurité en chef de Boeing pour nous aider.
Pouvions-nous créer une checklist pour la chirurgie ?
Pas pour les personnes tout en bas de l'organigramme,
mais pour les gens
qui sont tout au long de la chaîne,
l'équipe tout entière y compris les chirurgiens.
Et ce qu'ils nous ont enseigné
c'est que créer une checklist
pour aider les gens à gérer la complexité
implique, en fait, plus de difficultés que ce que j'avais cru.
Vous devez penser à des choses
telles que des pauses.
Vous devez identifier les moments dans un processus
où vous pouvez saisir un problème avant qu'il ne devienne un danger
et agir.
Vous devez identifier
que ceci est une checklist de pré-décollage.
Et après vous devez vous concentrer sur les éléments cruciaux.
Une checklist d'aviation
comme celle-ci pour un avion monomoteur,
n'est pas une recette pour faire voler un avion,
c'est un rappel des éléments clé
qui sont oubliés ou manqués
s'ils ne sont pas vérifiés.
Alors nous avons fait ça.
Nous avons créé une checklist de 19 éléments qui prend 2 minutes.
pour les équipes chirurgicales.
Nous avions les moments de pause
juste avant que l'anesthésie se passe,
juste avant que le scalpel touche la peau,
juste avant que le patient quitte la salle d'opération.
Et nous avions un mélange de choses bêtes sur cette liste --
s'assurer qu'un antibiotique soit donné au bon moment
parce que ça réduit le taux d'infection de moitié --
et puis, des choses intéressantes,
parce que vous ne pouvez pas concocter une recette pour quelque chose d'aussi compliqué que la chirurgie.
Au lieu de ça, vous pouvez créer une recette
pour préparer une équipe à l'inattendu.
Et nous avions des points comme s'assurer que tout le monde dans la pièce
se soit présenté par son nom au début de la journée,
parce que vous avez une demi-douzaine de personnes ou plus
qui parfois forment une équipe
pour la première fois quand vous arrivez.
On a implémenté cette checklist
dans 8 hôpitaux dans le monde,
délibérément dans des endroits différents de la Tanzanie rurale
à l'université de Washington à Seattle.
On a découvert qu’après l’avoir adoptée
le taux de complications est tombé
à 35 pour cent.
Il est tombé dans tous les hôpitaux où la liste a été implémentée.
Le taux de mortalité est tombé
à 47 pour cent.
C'était plus important qu'un médicament.
(Applaudissements)
Et ça nous amène
à la qualité numéro trois,
la capacité à implémenter ceci,
à faire en sorte que les collègues tout au long de la chaîne
l'appliquent vraiment.
Et ça fut long à se développer.
Ce n'est pas encore notre norme en chirurgie --
sans parler de faire des checklists
pour l'accouchement et pour d'autres domaines.
Il y a une résistance profonde
parce que utiliser ces outils
nous forcent à nous confronter au fait
que nous ne sommes pas un système,
nous forcent à agir avec un système différent de valeurs.
Seulement utiliser une checklist
requiert qu'on adopte des valeurs différentes que celles qu'on a,
comme l'humilité,
la discipline,
le travail d'équipe.
C'est le contraire de comment nous avons été formés:
l'indépendance, l'autosuffisance,
l'autonomie.
J'ai d'ailleurs rencontré un vrai cowboy.
Je lui ai demandé ce que ça faisait
de rassembler un troupeau de milles bestiaux pour de vrai
à travers des centaines de kilomètres ?
Comment faites-vous ça ?
Et il a dit, « Nous avons des cowboys stationnés à des endroits différents tout autour. »
Ils communiquent électroniquement constamment,
et ils ont des protocoles et des checklists
sur comment tout gérer --
(Rires)
-- du mauvais temps
aux urgences ou aux vaccinations pour le bétail.
Même les cowboys sont des équipes de spécialistes maintenant.
Et il semble qu'il soit temps
que nous le devenions aussi.
Faire fonctionner des systèmes
est la grande tâche de ma génération
de médecins et scientifiques.
Mais j'irais plus loin et je dirais
que faire fonctionner des systèmes,
que ce soit en soins médicaux, éducation,
changement climatique,
créer un chemin pour sortir de la pauvreté,
est la grande tâche de notre génération tout entière.
Dans tous les domaines, la connaissance a explosé,
mais ça a apporté de la complexité,
ça a apporté de la spécialisation.
Et nous en sommes arrivés à un point où nous n'avons d'autre choix
que de reconnaître,
que aussi individualiste que nous souhaitons être,
la complexité exige
la réussite du groupe.
Nous avons tous besoin de former des équipes de spécialistes maintenant.
Merci.
(Applaudissements)