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Bonsoir à tous. Moi, c'est Anwar de l'équipe Speakers.
La personne qui va parler maintenant est un diplômé de l'école Supélec Paris.
Il est actuellement chercheur au CEA-LETI de Grenoble
et il va nous parler d'un de ses thèmes de recherche
portant sur les interactions entre les systèmes d'information
et le système biologique.
Je vous demande d'accueillir Rodolphe Héliot.
(Applaudissements)
Bonjour à tous. Merci d'être venus. Et merci à l'organisation.
Je suis chercheur au LETI à Grenoble et je vais vous parler de neurones.
C'est super qu'on ait eu cette intro de la vidéo avant. C'est parfait. Merci!
Le titre, c'est Aller-Retour.
Je vais vous parler d'allers-retours dans tous les sens.
Avec un peu de chance, vous arriverez à suivre.
Ça commence par une histoire de deux familles qui se détestent,
la famille de Juliette et la famille de Roméo.
Elles ne s'entendent pas du tout.
C'est d'un côté, le monde biologique
et de l'autre côté, le monde électronique.
Certains membres de la famille de Roméo
et Juliette qui, eux, aimeraient se parler.
Alors, de temps en temps,
Roméo descend la nuit, furtivement,
sans trop que sa famille soit au courant,
parce qu'elle n'est pas vraiment d'accord,
et Roméo va la nuit voir Juliette.
Donc, de temps en temps, ce qui se passe, c'est que
quelque part, le monde électronique va aller
filer un coup de main au monde biologique.
Des exemples, vous en connaissez tous,
de systèmes électroniques qui viennent en support au vivant.
Je vais prendre un exemple universel, c'est le pacemaker.
Il y a des millions de pacemakers dans le monde,
qui permettent à des gens de vivre, tout simplement.
Il y a plein de recherches qui se font dans ce type de domaines,
où on va avoir des systèmes électroniques
qui vont essayer d'aider la biologie.
J'ai eu l'occasion de travailler sur de tels systèmes,
par exemple, ici, sur la restauration du mouvement
pour des personnes handicapées,
depuis une petite dizaine d'années.
Et aujourd'hui, je vais essayer d'étendre un petit peu autour de ce concept
pour vous montrer quelles sont les interactions
qu'il peut y avoir entre le monde biologique
et le monde électronique, ce qu'on peut en faire et
surtout, quelles leçons on peut en tirer.
Ces deux familles, historiquement, elles ne peuvent pas se comprendre
pour une raison précise : elles n'ont pas le même objectif.
L'une, le monde biologique, a pour objectif de comprendre ce qui se passe.
Un chercheur en biologie veut comprendre le monde,
il veut comprendre le monde biologique.
De l'autre côté, le monde de l'électronique,
on a plutôt affaire à des ingénieurs.
Eux, ils ont un but très différent :
c'est de construire.
C'est de construire des systèmes,
construire un téléphone, un ordinateur, tout ce que vous voulez.
Fatalement, dès le départ, c'est deux familles
qui n'ont pas vocation à se comprendre.
Alors il y a quelques petites interactions
qui se passent entre l'une et l'autre.
Et je vais essayer de vous montrer
comment ça peut se passer.
Pour ça, je vais revenir un petit cran en arrière.
Je vais vous parler un peu de mon métier : je suis architecte.
Pas du tout cette architecture-là. Je suis désolé.
Je suis architecte des ordinateurs.
C'est beaucoup plus petit, beaucoup moins visible
et ça part d'un personnage, principalement,
qui s'appelle John von Neumann
qui a travaillé avant et après-guerre
à essayer de définir la structure, l'architecture d'ordinateurs.
En fait, tous les ordinateurs que vous avez aujourd'hui,
que ce soit vos ordinateurs portables, vos téléphones, absolument tout,
découlent de cette architecture-là.
On ne va pas rentrer dans les détails, c'est pas le but du jeu.
Je vais quand même mentionner un point sur cette architecture-là.
On a d'un côté ce qu'on appelle un processeur,
et de l'autre côté, de la mémoire.
Vous achetez un PC à Carrefour, vous allez voir à quoi ça sert :
1,5 GHz, mémoire 4 Go. Super.
Ce sont deux des composants principaux de votre ordinateur.
Il se trouve que, de la manière dont ils sont organisés entre eux,
ils vont passer leur temps à se parler l'un à l'autre.
Le processeur demande à la mémoire :
« Tu peux m'envoyer un truc s'il te plaît ? »
La mémoire lui envoie. « - Merci ! »
Je travaille. « - Ok, je te renvoie un truc. »
« Super. Merci, je l'ai reçu. »
En gros, -- qu'est-ce qu'il se passe ? -- on passe notre temps à faire
des allers-retours entre le processeur d'un côté
et la mémoire de l'autre.
La bonne image pour ça, c'est un sprinter sur une piste d'athlétisme,
un bâton de relais à la main.
On lui demande de partir
du point 0 du 100 m au point 100 du 100 m,
le plus vite possible, parce que l'ordinateur, il faut qu'il pédale vite,
de donner le relais, d'attendre 2 secondes, de reprendre un autre relais
et de repartir vers l'autre bout, à 0.
Et il recommence.
Au bout de 5 minutes, le sprinter est complètement fatigué.
Pourquoi ? Parce qu'il a passé une énergie énorme à faire ces allers-retours.
Cette architecture, elle est super parce qu'elle est très polyvalente.
Elle a un gros défaut : elle est très très consommatrice en énergie.
Et c'est un vrai problème. Alors, quand on regarde ce qui se passe...
Ah, super histoire!
Il y a 5 ans, j'étais aux US, dans un département d'électronique.
Je travaille sur ces ordinateurs-là.
Un jour, je vais assister à une présentation d'un professeur
dans un département de neurosciences. Comme on parlait de neurones...
C'est un vieux professeur, vous imaginez, le professeur typique,
avec une barbe, une veste toute râpée... ce genre de choses.
Il est docteur en neuro-sciences -- il nous parle de la douleur, ce qui, a priori,
n'a pas grand-chose à voir avec ce que je sais faire.
Et il dit : « Ce qu'il y a de bien, avec le cerveau,
c'est que le même neurone peut servir à plein de choses à la fois. »
Cette phrase, elle s'inscrivait dans un contexte bien précis de neuroscience.
Mais, par rapport à mes propres travaux, en électronique,
elle offrait un miroir, une résonance particulière.
Ça pourrait donner lieu à de nouveaux concepts.
Ça m'a incité à penser : comment fonctionne le cerveau ?
Est-ce qu'on pourrait s'en servir pour construire une nouvelle sorte d'ordinateurs?
Pourquoi est-ce intéressant?
Parce que notre cerveau, tout compris, ça consomme, en énergie, 15 watts.
15 watts, c'est 4 ou 5 fois moins que n'importe quelle ampoule dans votre salle de bains.
Pourtant, quand on voit ce qu'on est capable de faire avec un cerveau,
on se dit : « C'est quand même mieux qu'une ampoule ! »
Si je vous demande par exemple
-- c'est pas un exemple au hasard, c'est une tâche qui est très difficile pour un PC aujourd'hui --
si je vous demande un nom de président qui ressemble à un yaourt.
Il y en a qui l'ont. Ce genre de tâches où on doit associer des idées,
des concepts très différents, c'est très difficile à faire pour un ordinateur.
S'il fallait le faire, on saurait le faire, mais il ne faudrait pas 15 watts, il en faudrait un milliard.
Et j'exagère à peine.
Est-ce qu'on pourrait s'inspirer du cerveau pour construire de nouvelles races d'ordinateurs
qui seraient beaucoup plus efficaces?
On pousse, on travaille, et on regarde un petit peu l'organisation des neurones dans le cerveau...
En gros, c'est pas compliqué.
C'est plein de neurones, des petits points partout, qui sont tous enchevêtrés.
Ils se parlent tous, un petit peu, tout le monde. Compliqué.
Mais, quand on regarde de près le trajet que suit l'information,
quand on traite une information dans le cerveau,
quand le sprinter va porter son relais d'un point à un autre,
il va passer de temps en temps par des petits carrés,
et de temps en temps par des petits ronds.
Les petits carrés sont des bouts de mémoire ;
les petits ronds sont des bouts de calcul.
Au lieu de faire des allers-retours entre l'un et l'autre, il va juste suivre un trajet tout droit.
Le sprinter, au lieu de faire des allers-retours tout le temps, a juste à faire une grande ligne droite.
Pour lui, c'est beaucoup plus facile, c'est beaucoup moins fatigant.
Conclusion : il a consommé beaucoup moins d'énergie.
Super!
Qu'est-ce qu'on fait avec ça?
Est-ce qu'il y en a qui connaissent cette personne?
Oui. J'en vois là-bas!
Pour ceux qui ne la connaissent pas, c'est une personne très célèbre.
Une personne qui a posé dans le magazine Playboy dans les années 70.
Elle était dans le poster au milieu. Vous voyez ce que je veux dire?
Elle s'appelle Lena.
C'est aussi une personne qui est très célèbre pour une autre raison.
C'est la première personne qui s'est fait scanner.
Sa photo qui était dans le poster central de Playboy a été scannée
par des chercheurs en informatique, à l'époque en électronique,
aux USA dans les années 70.
C'est devenu une photo dont tout le monde se sert pour faire du traitement d'image,
pour tester des algorithmes de traitement d'image.
C'est assez marrant.
Elle a reçu un prix spécial de l'IEEE, une société savante qui s'occupe de tout ce qui est électronique.
Cette personne a reçu un prix il y a environ 10 ans, de l'IEEE,
pour son immense contribution au domaine.
Très sérieusement! Elle est partout. Encore aujourd'hui.
Cette image est un peu floue.
Elle a un grain qui n'est pas terrible.
Il existe plein d'algorithmes pour traiter cette image et la rendre un peu moins floue.
Elle est plus nette. On la préfère comme ça.
Ce sont des algorithmes qu'on fait tous les jours
sur nos PC standards, sur nos téléphones portables.
Pour ceux qui utilisent Instagram, par exemple, quand vous appliquez un filtre sépia,
c'est exactement ce que vous faites.
Ce type de traitements, on sait le faire avec ces nouvelles architectures qui s'inspirent du cerveau.
Et on va les faire avec un énorme gain énergétique.
Au lieu de passer -- j'en sais rien -- 15 watts, on va passer plus que 0,5 watt.
Un facteur 30 qu'on a gagné. C'est énorme.
Typiquement, ça va nous permettre de faire quoi?
De faire des PC plus puissants,
de faire des téléphones portables qui durent plus longtemps,
dont la batterie dure plus longtemps. Plein de choses.
C'est pas le message essentiel.
On a fait un super PC. C'est chouette,
mais ce n'est pas le but de mon message aujourd'hui.
Ce que je voulais vous dire, le plus important, c'est qu'on a réuni Roméo et Juliette.
C'était quand même notre problème de base au départ.
Les deux mondes - électronique d'un côté, biologique de l'autre - ont parlé ensemble.
Et, de là, en est sorti quelque chose qu'on n'aurait pas du tout pu prévoir à la base.
Le message principal que je voulais faire passer aujourd'hui, à vous, étudiants,
ici à l'INSA et à tout le monde qui est dans cette salle évidemment :
Allez voir ce qui se passe à côté.
Si vous êtes électronicien,
allez voir ce qui se passe dans le monde de la biologie.
Si vous êtes entrepreneur,
allez voir ce qui se passe ailleurs, chez les artistes, par exemple.
Bref, cassez les barrières.
On a de magnifiques exemples dans l'histoire de barrières qui se sont cassées.
Ça, c'était en 1989.
Ça a donné plein de bonnes choses.
Le message aujourd'hui, c'est :
« Cassez les barrières, allez voir ce qui se passe autour, il en sortira plein de belles choses. »
Merci.
(Applaudissements)