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Chroniques d'un hiver européen, Episode 1. Athènes, Décembre 2011.
La première impression d'Athènes,
30 kms de trajet en bus, de l'aéroport jusqu'au centre.
En regardant par la fenêtre du bus,
Il y a qu'un seul indice montrant que quelque chose n'est pas tout à fait normal ici
Il n'y a pas une seule banlieue, pas une seule rue commercante
sans quelques unes ou beaucoup de boutiques fermées.
Pendant tout le trajet, des vitrines abandonnées défilent sans fin,
chacune barrée d'un grand autocollant "à louer" ou "à vendre".
C'est le seul signe concret d'une crise qui ne fait que flotter dans l'air
pour un arrivant n'ayant aucune idée de comment la Grèce était,
avant.
Quelques jours plus ***, près d'Ermou, la principale rue commerçante d'Athènes.
J'ai besoin de beaucoup de temps pour t'expliquer,
mais je suis là depuis quarante ans,
et je ne me souviens pas avoir déjà vu une telle situation.
Regarde,
ici c'est la plus grande rue commerçante du centre ville,
Tu vois :
une, deux,
trois, quatre
qui ont fermé.
Lambros possède une petite boutique de vêtements pour femme.
Il m'a spontanément adressé la parole alors que je passais.
Nos paiements ont beaucoup de retard.
Tu comprends? Beaucoup de retard.
Tout est foutu ici.
Et je ne vois aucune solution pour le futur.
Que va t'il se passer dans le futur?
Aujourd'hui
c'est la saint Nicolas.
Et l'an dernier, beaucoup de monde est venu dépenser ce jour là.
Mais maintenant, il n'y a plus rien.
Rien.
Comment ça va pour vous? Avez vous des problèmes?
Allez vous fermer?
Non non, je suis un battant,
je suis un battant, je me bats.
J'aime me battre, jusqu'au bout.
Non, je ne vais pas fermer ma boutique.
Mais je me bats pour ça.
J'ai l'impression d'être le capitaine d'un navire.
C'est une affaire de famille ici,
cette dame est ma femme. Pas celle-ci, l'autre, c'est ma femme.
Viens.
L'an dernier, ici,
on faisait mille euros de chiffre d'affaire pas jour.
Maintenant, c'est fini.
500, 400, 300, 600 euros par jour...
Alors je te l'ai dit avant :
Je suis un battant.
Peut être que je vais perdre, je sais pas...
Je sais pas.
Fin novembre 2009.
Le risque de faillite de Dubai fait trembler les sphères de la finance.
C'est la première fois depuis le début de la crise financière
que le risque d'une faillite d'Etat devient concret.
En Grèce, George Papandreou, chef du parti socialiste grec,
est premier ministre depuis deux mois.
Après le passage de pouvoir, son gouvernement se rend compte que les finances de l'Etat
sont dans de moins bonnes conditions que ce que le parti précédent voulait faire croire.
Il l'annonce officiellement le 30 Novembre 2009.
Une semaine plus ***, l'agence de notation Fitch Ratings
dégrade la note de la dette d'Etat grecque d'un cran, de A- à BBB+.
On avait entendu parler de ça
il y a quelques années
Mais on pouvait pas s'imaginer
ce que cela serait de subir ce qui arrive en ce moment.
Il y a une grande différence.
On ne pouvait pas comprendre ce qui nous attendait.
Même il y a deux ans
pour une personne moyenne ici en Grèce,
ça allait bien. Jusqu'en 2009.
Yannis a 33 ans. Il est salarié dans une maison d'édition.
Et n'a pas été payé les trois derniers mois.
Son collègue travaillant dans le même bureau a 50 ans,et le même problème.
En fait, on n'a aucune idée de ce qu'il va se passer demain.
On sait que ce sera pire.
Mais de quelle manière?
On nous menace de rembourser ce que nous devons à l'Europe
Alors ils prennent tout, aux pauvres, à n'importe qui.
Parce qu'on voit qu'ils ne peuvent pas atteindre...
...les riches. Ils ne peuvent pas les atteindre.
Ils sont intouchables, on ne peut rien leur faire.
Les mesures d'austérité.
Depuis 2010, de nouvelles lois sont proposées et votées en Grèce,
en Irlande, au Portugal, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni,
et ont une influence directe importante sur le niveau de vie des populations.
Ces lois sont votées par différents types de partis politiques,
conservateurs libéraux ou sociaux-libéraux.
Sous le nom de rigueur ou d'austérité,
ces mesures augmentent les taxes
et diminuent l'importance des services proposés par l'état.
Augmentation de la TVA, des taxes sur le carburant ou sur le combustible de chauffage,
de l'impôt sur le revenu, des cotisations sociales, des taxes d'habitation,
et bien d'autres encore.
Baisse des retraites, des allocations pour les chômeurs et handicapés
diminution des offres de service public dans les domaines de la santé,
de l'éducation ou des transports, et augmentation de leur coût.
En faisant la somme des lois votées dans les pays cités auparavant,
on doit facilement approcher la centaine de mesures de ce genre
prises en Europe au cours des deux dernières années.
Cette année, on n'est pas payés régulièrement.
Il y avait un certain salaire,
Et pour commencer, ce salaire a été réduit... de beaucoup
il y a 10 mois.
Et maintenant, cela fait trois mois que nous n'avons plus de salaire.
Depuis trois mois, nous travaillons gratuitement.
Notre chef, avait trois entreprises il y a trois ans.
Avec 37 salariés
Maintenant nous sommes trois
et une seule entreprise.
C'est de la folie
Je n'achète plus rien du tout.
Et je n'exagère pas. Rien du tout.
Je ne garde de l'argent que pour la nourriture,
et pour les impôts les plus importants.
Tous les autres impôts...
Je les laisse de côté.
Tous les trois ou quatre mois
j'entend parler d'amis proches perdant leur travail.
Des gens qui étaient...
spécialisés dans leur domaine, très bien payés,
et qui sont maintenant au chômage. Très difficile.
Certains d'entre eux ont des familles maintenant, des bébés,
et ils ne savent pas quoi faire.
Je pense que certains pensent déjà à retourner à leurs racines
dans des banlieues lointaines, ou en dehors d'Athènes, tu vois... dans leurs villages.
Et beaucoup de mes amis sont déjà partis à l'étranger.
Et aussi des amis à moi.
Et nous parlons de BEAUCOUP d'entre eux.
Allemagne, Angleterre, USA, Chypre,
Australie, Brésil, Belgique...
Je connais même des gens allant en Bulgarie,
et des pays de ce genre.
Et ton moral dans tout ça?
Ne demande pas.
Psychologiquement, on est vraiment à zéro.
Dans tous les aspects de notre vie.
Il y a une différence entre dire que les grecs doivent vivre avec moins
et dire que les les grecs doivent vivre avec rien du tout.
Il y a une différence. Là on va vers rien du tout.
On voit ça accélérer, c'est comme une avalanche.
Et on voit l'avalanche qui va nous emporter.
Nous tous.
C'est une question de survie,
et pas une question de confort
ou de passer du bon temps.
Nous sommes dans une sorte de guerre.
C'est une guerre différente, sans balles,
mais avec des victimes d'un autre genre.
Des victimes qui ne font pas la une des journeaux.
Mais quand on voit des gens affamés,
et fouillant les poubelles pour trouver à manger,
ou des choses à revendre,
Ce n'est pas une bonne situation,
et nous ne sommes pas habitués à voir ce genre de choses ici en Grèce.
Hier, le journal Ekathimerini rapportait l'histoire d'une petite fille
qui a été laissée à la garderie avec une note de sa mère dans la poche :
Désolé, je ne peux pas la nourrir
Je ne viendrai pas pour la ramener à la maison.
Février 2010
Les prêteurs s'inquiètent de plus en plus de la dette grecque.
Ayant peur qu'elle ne soit pas remboursée,
ils demandent des taux d'intérêt de plus en plus élevés,
ce qui fait augmenter le montant de la dette et aggrave le problème.
Le gouvernement doit agir avant qu'il ne soit trop ***.
Il annonce la mise en place de mesures d'austérités.
Le principe est d'élever les taxes et de réduire les dépenses de l'Etat
pour équilibrer le budget.
Les premières mesures sont mises en place le 9 Février 2010 ,
en économisant sur les salaires des fonctionnaires.
De nombreux économistes reconnus
dont les prix Nobel Joseph Stiglitz et Paul Krugman critiquent ces mesures :
une telle politique ne peut marcher qu'en cas de très forte croissance,
et serait inefficace et très dangereuse dans un contexte de crise.
Tout le monde a un avis maintenant.
Au moins pour ne pas se sentir coupable de ne rien avoir fait.
La plupart d'entre nous, on ne s'y intéressait pas.
Moi même, je n'avais jamais été impliqué en politique.
Jamais.
Et peut être que ça a été notre erreur.
Avant de quitter le travail,
le collègue de Yannis nous demande s'il peut ajouter quelque chose.
Ma situation n'est pas aussi mauvaise
que celle d'autres personnes
parce que ma femme a un bon emploi.
Néanmoins, même si je dis que je ne suis pas
dans une si mauvaise position,
Nous avons dû vendre une voiture,
Nous avons retiré nos enfants de l'école privée où ils allaient,
nous ne prévoyons rien pour Noël,
Et bien sûr, je me sens très mal
de ne pas pouvoir contribuer aux dépenses du foyer.
Depuis septembre,
J'ai apporté 400 euros.
C'est rien, comme tu le sais.
C'est moins que les courses au supermarché du mois
Je ne peux pas fuir la Grèce :
mes enfants vont à l'école en Grèce,
ma femme travaille ici
C'est très difficile d'aller commencer une nouvelle vie à l'étranger.
Ma femme et moi avons la cinquantaine.
C'est difficile maintenant.
Yannis est plus jeune alors...
Il peut partir.
Non, il n'y a pas de plan secret.
Le seul plan B, c'est d'aller dans une plus petite maison mais...
Mais je n'aime pas y penser.
Nous devons essayer de conserver un certain niveau de vie,
Au moins pour ne pas devenir fous,
pour garder un certain équilibre.
Voilà, c'est tout.
C'est ma triste histoire.
Un petit supermarché comme un autre dans une banlieue de classe moyenne.
Je voulais juste acheter des choses très basiques :
deux litres de lait, 500g de yaourt,
six oeufs, 500g de pain de mie,
et 200g de feta.
En choisissant les produits "discount" les moins chers qu'il y avait
cela m'a coûté 8,55€.
En France, j'aurai payé 6,55€ pour la même chose,
et en Allemagne, seulement 4,73€.
En général, je suis quelqu'un d'optimiste.
J'essaye de rester optimiste, mais je sais que ce n'est qu'une illusion.
Mikhailis a 30 ans et est ingénieur.
Pour le moment, tout va bien,
Mais cela ne veut pas dire que la crise ne le touche pas.
Je me sens réellement mal quand je vois des choses comme des gens
dormant dans la rue.
Et as tu déjà vu ce truc?
C'est pas une voiture, pas une moto, mais entre les deux,
ils ont ça en Asie, ils avaient ça en Italie du sud et en Espagne, il y a quelques années
Maintenant on les voit de nouveau dans la rue.
Donc parfois, c'est comme une machine à remonter le temps.
Tu vois des choses qui avaient disparu les vingt dernières années.
Et je me sens vraiment pas bien en voyant ça.
Et tu sais, même si t'essaies de rester de bonne humeur,
Quand tu vois ces choses, tu peux pas être de bonne humeur.
Si tu vois des magasins fermer,
tu peux pas rester tout le temps de bonne humeur.
Regarde, il y a deux semaines j'étais en Belgique.
Je voulais voir comment ça va là-bas car mon chef me dit :
"Mikhailis, pars de Grèce, ce pays est en train de s'éffondrer"
"tu es dans un bateau qui coule."
Et il dit : "j'ai cinq maisons en Grèce,"
"j'ai une très bonne retraite et j'ai de l'argent."
"Mais j'envoie mon fils en Amérique car je ne vois aucun futur en Grèce."
"Alors tu devrais faire la même chose. Je suis ton chef et je te veux dans la boite."
"Mais je suis aussi ton ami, alors ... "
"réfléchis-y."
Bon, heureusement, mon salaire ne diminue pas.
Je suis ingénieur électricien pour une boite qui fait de l'automation industrielle.
Mais je connais des gens qui ont perdu la moitié de leur salaire en un an.
Le problème en fait est que ...
il y a deux ans, beaucoup de gens
ont prit des crédits pour acheter une maison ou une voiture,
parce qu'il y a deux ans, le gouvernement nous a dit :
"Allez acheter une nouvelle voiture et nous vous donnerons une remise
si vous vous débarrassez de l'ancienne. 20% de remise.
Donc beaucoup de gens sont allés acheter une nouvelle voiture.
Et ces gens ont vraiment de gros problèmes.
Car s'ils vendent la voiture,
ils ne récupèrent que un tiers du prix qu'ils ont payé.
La même chose pour les maisons. Ils sont maudits, d'une certaine manière.
Et en deux ans, le prix du carburant a doublé.
En deux ans.
Le prix des cigarettes a doublé,
le prix de l'alcool a doublé
le ticket de métro a augmenté de 40%,
Tout a augmenté.
Le prix du fioul de chauffage a doublé,
L'électricité a augmenté de 20%...
C'est très dur pour certaines personnes. Je le sais.
L'effet des mesures d'austérité.
Les conséquences pour les populations sont immédiates :
l'augmentation des taxes et la baisse des aides sociales diminue leur pouvoir d'achat
et la baisse de l'offre en services publics augmente les coûts personnels liés à la santé,
à l'éducation ou aux transports.
Au total, le niveau de vie baisse notablement pour la majeure partie de la population.
De plus, la baisse du pouvoir d'achat entraîne une baisse de la consommation moyenne,
et donc de la croissance.
Des boutiques, des bureaux et des usines ferment, d'où une augmentation du chômage.
Mais si ces mesures sont si néfastes pour les populations,
pourquoi tant de gouvernements ont-ils fait le choix de les appliquer
au cours des deux dernières années?
Je pense que tout le monde a changé sa vie.
Des petits changements, des gros changements...
Je connais aussi des gens qui ne sortent plus.
Tu les appelles pour sortir et ils trouvent toujours une excuse,
comme "je suis fatigué", "je suis malade" ou "je dois aller chez le docteur"
Et j'arrête de les appeler car je sais qu'ils on été virés
et ils n'ont pas d'argent pour sortir avec toi, donc ils trouvent une excuse.
Et c'est mauvais, car ils ne perdent pas seulement de l'argent,
mais aussi le contact avec d'autres personnes.
Un autre problème est qu'il y a des Grecs qui n'ont pas l'argent pour payer le loyer.
Un ami m'a raconté que la femme habitant au dessus de chez lui
a appelé des techniciens pour démonter les radiateurs de son appartement
car elle n'a plus d'argent pour payer le chauffage
Et comme il s'agit d'un chauffage central,
c'était la seule manière de ne plus payer le chauffage.
C'est triste
Je connais des gens qui n'ont pas déplacé leur voiture depuis six mois
Parce qu'ils n'ont plus d'argent pour payer l'assurance.
Le gens se disent que...
"Ok, peut être que je serai le prochain. Alors..."
"mieux vaut se comporter de manière plus solidaire"
"car peut être que dans trois mois je serai aussi au chômage."
Donc d'une certaine manière, la crise nous a aussi un peu rapproché.
Je me souviens du grand tremblement de terre il y a douze ans.
Ça nous a aussi rapproché.
Mais je préférerais qu'on n'aie pas besoin de séisme ou de crise
et qu'on puisse se rapprocher d'une autre manière.
C'est vraiment comme un tremblement de terre. Vraiment.
Tu sais, j'étais là, toi aussi Manos t'étais là lors du grand séisme de 1999.
D'une certaine manière, toute la terre tremble...
Tu vois les bâtiments vaciller ... Et tu peux aller nulle part.
C'est comme la crise.
Tu vois ton monde vaciller
Et tu sais pas quoi faire. Commencer à courir? Et aller dans un autre pays?
Ou rester dans la maison ou tu te sens plus en sécurité...
Donc tu sais vraiment pas quoi faire, mais...
avec les tremblemenst de terre, tu sais que ça finira.
Je ne sais pas quand la Grèce verra la fin de la crise.
J'espère bientôt. Car c'est vraiment très triste,
de voir tes amis, et toi même, sans aucun espoir.
J'ai rencontré des personnes âgées,
car j'aime beaucoup discuter avec elles, et elles disent :
"J'étais ici à Pirée pendant la 2ème guerre mondiale"
"Et il y avait les Allemands, et les Italiens, des bombardements, etc..."
"Au bout du tunnel, il y avait une lueur, un espoir"
"Maintenant, je ne vois aucun espoir." Voilà ce qu'ils me disent.
Comment les choses pourraient elles s'améliorer? J'en sais rien.
Ça a commencé petit à petit. Tu pouvais t'en rendre compte, mais tu ne voulais pas y croire,
que quelque chose allait mal tourner.
Même il y a un an, tu ne voulais pas y croire.
Les gens racontaient "on va vers une crise grave"
"on va devoir rembourser toute la dette"
"ce qui va entraîner une récession"
Et les gens ne voulaient pas y croire.
C'était comme crier au loup :
"le loup arrive, le loup arrive" pendant tant d'années,
et le loup ne venait pas...
Et c'est toujours le cas! On ne veut pas y croire.
Même maintenant, on se dit "ok, ça va aller mal"
"Mais on va s'en sortir..."
Dans les rues d'Athènes
le bruit des caddies de supermarché est devenu habituel
après son apparition au cours de l'été 2011.
Dans la rue, principalement des immigrés,
mais aussi de nombreux retraités
vont de poubelle en poubelle pour collecter
du papier, du métal ou des objets encombrants.
-Vous parlez anglais?
-Bangladesh.
-Ceci? Ça a quelle valeur?
-20 centimes.
-Par objet?
-Non, par kilo.
-20 centimes le kilo.
-Même ça?
-Non, 10 centimes le kilo.
-Et vous emmenez ça où?
-À cinq kilomètres d'ici.
-Bonne chance.
20 centimes par kilo de métal.
10 centimes par kilo pour le reste.
Et 7 centimes par kilo de papier.
Un chariot chargé avec 100 kilos
doit être poussé sur 5 kilomètres par deux personnes
et rapporte 20 euros, à peu près 10 euros par personne.
Pour les plus pauvres,
beaucoup de petits travaux au noir ont disparu les derniers mois,
et ils doivent trouver de nouvelles manières de survivre.
Mars 2010.
Les taux d'intérêt exigés par les banques
pour prêter au gouvernement grec continuent d'augmenter.
Un deuxième plan d'austérité plus radical est adopté.
Parmi les mesures, les salaires des fonctionnaires sont abaissés,
la TVA et la taxe sur les carburants sont augmentés.
En économisant, le gouvernement fait baisser les salaires
et augmenter les coûts pour les citoyens.
Le pouvoir d'achat baisse, et donc la consommation.
Cela fait diminuer l'activité économique, entraînant une baisse de croissance,
et à terme une récession et une augmentation du chômage.
Au final, la baisse de l'activité économique entraîne une baisse des collectes d'impôts,
ainsi qu'une hausse des dépenses sociales dues au chômage.
Le gouvernement perds plus d'argent par les effets secondaires de l'austérité
qu'il n'en a économisé au départ.
L'austérité empire le problème de la dette au lieu de le résoudre.
Sofia donne des visites guidées pour une exposition sur Yannis Metsis,
un danseur et chorégraphe qui a changé l'histoire du ballet en Grèce dans les années 60.
Elle a monté cette exposition, essayant maintenant de la faire vivre elle-même
le musée ayant annulé la plus grande partie de son soutien, à cause de la crise.
On parle des problématiques professionnelles?
Parce que dans mon cas, ce sont les grands changements.
Je travaille dans deux domaines,
en freelance pour des évènements culturels
dans le spectacle.
Et je suis aussi professeur à l'université.
En fait, c'est comme un domino.
Si quelqu'un commence à ne plus avoir d'argent,
Ça se transmet au suivant, puis au suivant, et ainsi de suite...
C'est ce qui est en train de se passer maintenant.
On voit cette chaîne d'échanges
ayant des problèmes.
On voit beaucoup de boutiques fermer,
on voit tellement de monde perdre leur emploi.
Tout bascule vers l'extrême, c'est un fait général, mais...
En ce moment, dans les universités, tu sais ce qu'il se passe?
Dans le département où j'enseigne,
nous étions 48 professeurs.
Pas tous à temps plein, aussi à temps partiel
car la plupart d'entre nous avons aussi d'autres boulots.
À un moment donné, cet effectif de 48 a été réduit à 38
puis à 20...
Cette année, nous ne serons que 5.
Mais il n'y a plus d'argent de l'Etat pour cette année
donc on m'a dit, ou plutôt on m'a ordonné d'accepter
d'enseigner pour un sixième du salaire que je devrais recevoir.
Donc... je suis censée aller enseigner
pour 100 euros par mois.
Et mon établissement est en dehors d'Athènes
et cela me coûte 150 euros par mois pour m'y rendre en bus.
Cela signifie que si je souhaite garder mon lien avec l'université
Je dois payer pour travailler.
Que ferais tu à ma place?
Tu t'en irais, tout simplement?
Ils trouveraient forcément quelqu'un d'autre
pas forcément avec la même qualification,
et bien sûr pas le même genre de personne, mais
dans un tel contexte, des gens plus jeunes, particulièrement les plus jeunes d'entre eux
iraient sans hésitation, même en travaillant gratuitement
au moins pour accumuler de l'expérience, pour leur CV.
Mai 2010.
Les deux premiers plans d'austérité n'ont pas suffi à redonner confiances aux prêteurs.
Les taux d'intérêt exigés sont si hauts que la Grèce
est obligée de demander une aide financière extérieure
pour éviter de faire défaut sur sa dette.
Le Fond Monétaire International, la Commission Européenne et la Banque Centrale Européenne,
un trio depuis communément baptisé « Troïka »,
accepte de prêter de l'argent au gouvernement grec.
En contrepartie, cette troïka exige une radicalisation des politiques d'austérité,
ainsi que le lancement d'un programme de libéralisation économique.
Cette radicalisation de l'austérité est dénoncée avec de plus en plus de virulence :
la récession résultante pourrait être catastrophique et augmenter la dette au lieu de la réduire.
Paul Krugman écrit le premier juillet 2010 :
"D'autres collègues et moi-même avons observé avec stupéfaction et horreur"
"l'apparition dans les milieux politiques d'un consensus en faveur"
"d'une austérité budgétaire immédiate"
Joseph Stiglitz explique le 22 Mai 2010 que :
"Si l'Union Européenne continue dans cette voie-là, elle court au désastre."
"Nous savons, depuis la Grande Dépression, que l'austérité n'est pas la solution."
En ce moment, je suis dans la situation où
j'ai posé ma candidature pour des postes ailleurs en Europe.
Parce que je ne vois pas de futur à court terme,
surtout pour la génération "active".
J'ai 38 ans, mais ma génération ne voit pas de futur.
Beaucoup de mes amis ont des salaires très très bas,
Beaucoup de mes amis ne peuvent pas survivre en ayant leur propre domicile,
donc ils cherchent des solutions, comme retourner vivre avec leurs parents,
ce qui est pour moi une solution ridicule,
car nous sommes des adultes.
Et la vieille idée de la famille grecque vivant ensemble...
je ne suis pas si sûre que ce modèle puisse subsister aujourd'hui
J'ai aussi l'impression que
nous devenons quelque chose de comparable aux...
pays des Balkans ou aux pays communistes il y a cinquante ans.
Que nous retournons aux besoins les plus basiques de la survie
de manière à ce qu'il n'y ait qu'une éducation sommaire, un petit peu de nourriture
J'ai l'impression que nous sommes en train de devenir quelque chose de semblable
à ce que ces pays ont été.
Je n'ai quasiment plus de contacts avec mes amis,
car tout le monde se débat pour trouver de nouvelles solutions
particulièrement au niveau professionnel, donc tout le monde
travaille travaille travaille.
À mon âge, nous n'avons pas le temps de nous voir.
Je parle de mon âge car parce que la plupart ont de jeunes enfants,
donc pour l'instant, ils se débattent pour travailler encore et encore
et trouver une solution pour leurs jeunes enfants.
Et quelles émotions ressens tu dans tout ça?
Je suis en colère
parfois, je suis déprimée,
et sinon je me passionne pour ce que je fais
parce que je veux faire quelque chose contre cette situation.
C'est comme ça que j'ai fait cette exposition, que nous avons vu.
qui est l'un de mes projets récents.
Tout et tout le monde pousse à tout annuler.
Je ne veux pas annuler. Je veux produire,
je veux montrer que certaines choses ont une valeur.
Et donc j'essaie de faire de mon mieux
même si j'ai très peu de moyens pour ça.
Donc dans ce cas, je deviens active.
Je travaille dans le domaine culturel,
et cela fait partie des luxes.
Quand certains n'ont plus à manger, pourquoi parler de culture?
C'est ce que disent beaucoup de gens.
Pour moi, et je pense pour beaucoup d'autres personnes,
la culture est une sorte de nourriture
et cela crée des réflexions.
Donc je pense que c'est nécessaire.
Et je pense que nous ne devrions pas uniquement parler
d'avoir de quoi payer nos factures et notre nourriture.
Pas uniquement.
Nous sommes des êtres humains et nous avons des besoins variés.
Pas seulement d'être nourris.
Donc c'est mon positionnement pour devenir active.
Mais en général, et particulièrement en rentrant à la maison le soir,
je me sens complètement vide.
et j'ai très peur, et suis très en colère.
Je veux encore ajouter que parler avec toi,
C'est une sorte de soulagement.
Parce que j'ai moi même réfléchi et réfléchi à tout ça,
et j'en parle souvent avec des amis, mais...
en parler avec quelqu'un qui est extérieur à cette situation
fait réfléchir à ce que que tu veux dire,
pose la question de ce qui est le pire, et de ce qui est le plus important.
Donc c'est une sorte d'aide au niveau psychologique.
J'ai l'impression que c'est une sorte de ...
presque une sorte de petite... thérapie,
de pouvoir exprimer les choses à haute voix.
Tu dois probablement trouver ça bizarre, mais...
Une belle et douce après-midi d'hiver, dans le centre ville d'Athènes.
La crise n'est pas partout.
C'est une bête souterraine, qui engloutit lentementles gens par en-dessous,
l'un après l'autre.
Et pour ceux qui n'ont pas encore été totalement avalés,
et ils sont encore nombreux,
la peur est là.
Mais la vie continue,
et le plus simple est de continuer à vivre comme avant...
aussi longtemps que possible.
Chroniques d'un hiver européen, 1er épisode.
Avec les voix de Viviana Delgado et Ifeoluwa Babaloa.
Remerciements particuliers à Bernd Bechthold, Hélène Lutz et Juliana Hogan.
Idée et production, Etienne Haug
Ce documentaire radio est libre d'utilisation selon la license CC-BY Creative Commons.
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Janvier 2012