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Roberto Montenegro Illustrateur
Imprimée dans des livres, des revues
et quelques dossiers de l’auteur,
l’oeuvre d’illustration du peintre Roberto Montenegro
est demeurée inconnue des critiques
et des historiens pendant plusieurs décennies
Quand il a écrit ses mémoires,
Montenegro lui-même semble avoir ignoré
cet aspect de son travail artistique.
Son silence surprend
surtout si l’on tient compte
de la qualité artistique et de l’originalité
de sa production entre 1900 et 1962.
Comme plusieurs peintres de sa génération,
il est entré dans le monde de l’illustration
pour se faire connaître comme artiste
et gagner sa vie.
Ses dessins, vignettes et annonces publicitaires
ont une valeur esthétique et historique indéniable.
Ces documents nous permettent de mieux connaître
les utilisations de l’image imprimée
et mettent en valeur sa contribution
à la culture visuelle mexicaine
de la première moitié du vingtième siècle.
Membre d’une famille de l’élite porfirienne de Guadalajara,
Roberto Montenegro Nervo
a fait ses études au Lycée de Garçons
pendant les dix dernières années du XIX siècle.
C’est l’époque où le rythme et les valeurs
de la ville de Guadalajara
et de plusieurs autres régions du Mexique,
ont été touchées par la modernisation.
L’installation du réseau électrique
ainsi que l’évolution des communications et des transports,
ont facilité les échanges commerciaux et culturels.
Le jeune Montenegro a grandi
dans ce climat de changement.
Grâce à l’influence de ses professeurs
et de son cousin, le poète Amado Nervo,
il s’est tenu au courant des nouveautés artistiques
et littéraires qui venaient d’Europe.
Il suivit ses premières cours de dessin
au Lycée de Garçons,
et à partir de 1897, il assista à l’atelier
du peintre Félix Bernardelli.
C´est là qu´il rencontra Jorge Enciso,
Rafael Ponce de León, José María Lupercio
et Gerardo Murillo, le Dr. Atl.
Pendant 5 ans, guidé par Bernardelli,
Montenegro a étudié les différents courants
de la peinture européenne de l’époque.
Les étudiants de Bernardelli
ainsi que des poètes et intellectuels,
ont édité la revue "Noir et Rouge",
hebdomadaire illustré dans lequel Montenegro
a publié ses premières illustrations.
Les illustrations de partitions
de musiciens reconnus de Jalisco
appartiennent aussi à cette époque.
Déjà, on perçoit le penchant de Montenegro
pour le symbolisme,
ce qui l´amènera plus *** vers l’Art Nouveau.
Le symbolisme fut un mouvement
littéraire et pictural qui s’est propagé
dans toute l’Europe et plus *** en Amérique,
sous le nom de Modernisme.
Regarder vers le passé,
recréer des scènes de la mythologie,
dessiner des images féminines
dans un ambiance sensuelle,
sont les thèmes traités par ce courant.
L´illustration est une pratique
plus ancienne que l’imprimerie.
Ce fut au milieu du XIX siècle,
que s’est multipliée l’image imprimée
grâce aux progrès technologiques
et en particulier à la découverte de la photographie,
Durant le XIX siècle,
le processus d’illustration des livres,
des journaux et des revues, était la lithographie.
En tant qu’illustrateur,
on devait connaître la lithographie,
être un bon dessinateur ou connaître la gravure,
comme Manilla y Posada...
On ne pouvait pas réunir
la lithographie et la typographie.
Si tu voulais produire
une image avec du texte,
tu devais passer deux fois la feuille,
une fois pour l’illustration et une autre fois pour les lettres...
Mais au moment où arrive le journal "L´Impartial"
avec de grandes machines de photogravure,
on n’a plus besoin d’être graveur
pour illustrer les publications.
Le processus, qui existe toujours,
est alors devenu photomécanique.
On prend une photo du dessin original,
on en sort ensuite un négatif,
puis un cliché avec lequel on imprime.
À l´époque, ce fut une révolution.
Les premiers grands utilisateurs
de cette technique ont été Julio Ruelas
et Roberto Montenegro.
Dès lors, les étudiants
de l’Académie de San Carlos
qui commençaient à travailler dans les revues
n´étaient pas obligés de connaître
la lithographie et la gravure.
C’était aussi pour les artistes
une manière de gagner de l’argent
avant de pouvoir vendre leurs oeuvres.
Le monde de l´édition commença alors
à se saturer de toutes sortes d’images.
Au même moment, les industriels
et les commerçants cherchèrent
à augmenter leurs ventes
à travers la publicité imprimée.
Parallèlement, sur le plan culturel,
on réussit à produire des revues à fort tirage
avec des textes littéraires illustrés.
À cette époque, l’importance de l’image
a pris de l´essor grâce à un dialogue
constant avec la littérature.
L’illustration est un art utilitaire
qui se réalise sur commande,
ce n´est pas une création libre,
et cela limite l’expression de l’artiste.
Le fait de commander un original à l’artiste
pour le soumettre ensuite
au processus industriel de reproduction,
est resté le même
pendant les premières décennies du 20ème siècle,
jusqu’à ce que la photographie vienne le concurrencer.
Finalement l’illustration a complètement disparu
dans les années 50
pour laisser la place à la photographie.
À la fin de l´année 1903,
Montenegro, recommandé par Amado Nervo,
a collaboré pour la première fois
à la "Revue Moderne du Mexique",
organe de diffusion des modernistes.
Les premières illustrations
de partitions et de la "Revue Moderne",
mettent en évidence le manque d´expérience
du dessinateur qui pourtant réussira bientôt
à définir son style dans les publicités
pour les “Entrepôts Généraux” et “Labadie”,
dans le conte “Les fourmis et leurs esclaves”
et dans le poème “Mr. Bonifax”.
Dans la "Revue Moderne", les dessins de Montenegro
accompagnent les illustrations de Julio Ruelas,
un des principaux représentant
de l’expression visuelle du Modernisme.
En 1904, Montenegro,
qui vivait dans la ville de Mexico,
a étudié à l’Académie de San Carlos.
Il y a développé son goût pour les concepts esthétiques
de la version moderniste
du Symbolisme latino-américain.
En 1905, une bourse de l’École des Beaux-Arts,
lui permit de réaliser des études en Europe.
Une fois installé à Madrid,
il rencontra Amado Nervo,
premier secrétaire de la Délégation Mexicaine.
Grâce à son talent,
il entra à l’Académie de San Fernando
pour y suivre des cours de gravure.
Il fréquenta le milieu bohême de Madrid.
L’année de son arrivée, il gagna un concours
organisé par la revue "Blanc y Noir"
pour illustrer ses pages de couvertures.
Toujours en 1905,
il illustra un chapitre
du livre d’Amado Nervo "Jardins Intérieurs",
en collaboration avec Julio Ruelas.
Les vignettes de ce recueil de poèmes
maintiennent comme figure centrale la femme,
ainsi que des motifs propres au Symbolisme.
Plus *** il réalisa le dessin graphique
de la page de couverture de "À Voix Basse".
En 1907, il décida de continuer ses études
à l’École des Beaux-Arts de Paris.
A la même époque il collabora à la revue Le Témoin.
Il dessinait des nus féminins
qu’il envoyait à Mexico pour qu’ils y soient publiés.
Depuis Paris, il voyagea en Italie,
en Hollande et en Belgique
tout en parcourant les musées
et en s´appropriant les formes et les couleurs.
À son retour d’Italie en 1908,
il connut le poète symboliste Henri de Régnier,
qui lui suggéra d’éditer un album
de ses dessins produits entre 1907 et 1910.
La même année, l’album fut publié
avec une introduction de Régnier.
Après avoir peint sur chevalet
et réalisé le dessin d’ex libris,
la Première Guerre Mondiale l’obligea
à s’exiler en Espagne,
tout comme Diego Rivera et Picasso.
Il y réalisa "Les Vénétiennes",
une série de dessins
de ses souvenirs du Carnaval de Venise,
influencés par Franz von Byros.
Pendant sa dernière année de résidence à Mallorca,
il peint sa première peinture murale.
Il dessina des pages couvertures et vignettes
pour les livres "Le Conte" et "La lampe d´Aladin",
publiés à Barcelone,
et Le Mexique Révolutionnaire,
une histoire de la Révolution mexicaine
illustrée à partir d’estampes précolombiennes.
L’ambassade de Mexico à Madrid
lui demanda d’illustrer le livre
"Lyrique Mexicane",
recueil de poèmes, dans lequel il utilisa
des figures préhispaniques,
qu’on associera plus ***
au nouveau discours nationaliste.
Dans le numéro dédié au Mexique.
de la revue culturelle madrilène "La Sphère"
se trouve aussi la peinture de chevalet
et l´oeuvre graphique de Montenegro.
Durant son long séjour en Europe
Montenegro a amélioré son travail
comme dessinateur et coloriste.
Il a anticipé plusieurs motifs et sujets
qui caractériseront
la peinture mexicaine post-révolutionnaire.
En 1920,
Roberto Montenegro est rentré
définitivement au Mexique.
C était un artiste mûr,
prêt à relever de nouveaux défis.
Il a retrouvé un pays engagé
dans un processus de reconstruction
qui devait répondre aux exigences sociales
des groupes révolutionnaires.
Il y participa comme muraliste et illustrateur,
et dans le domaine de l’éducation.
Malgré ses liens familiaux avec le régime porfirien,
et son opposition personnelle au madérisme,
Montenegro est devenu l’artiste
le plus proche du philosophe José Vasconcelos,
alors recteur de l’Université Nationale.
C’est Vasconcelos qui lui a demandé
de prendre en charge la réalisation
des peintures murales du temple de San Pedro et San Pablo.
Dans les années vingt, ses illustrations
sont apparues sur les pages de couvertures
de livres et revues liés à la littérature et la culture.
À cette époque,
il aborde les thèmes du Nationalisme,
sans toutefois renoncer aux formes propres du Modernisme.
En 1924 sa collaboration au projet
"Lectures Classiques pour les enfants"
a été considérée comme l´une des plus importantes
dans le domaine de l’illustration.
Ce projet éditorial fut une initiative de Vasconcelos,
qui était devenu Ministre de l’Éducation Publique
et voulait donner aux enfants mexicains
un livre illustré avec des adaptations
de plusieurs oeuvres de la littérature universelle.
Dans ces livres, on remarque la beauté
et la capacité de synthèse du graphisme.
On y remarque aussi la connaissance de l’oeuvre
de plusieurs illustrateurs européens
comme Edmond Dulac.
Les lumières et les ombres
des dessins en noir et blanc
sont un exemple d’expression moderniste,
qui ressemblent à des xylographies.
Ce sont de belles images fantastiques
semblables à des photographies
ou à des décors de théâtre.
Sa collaboration avec le Ministère de l’Éducation Publique
comprend aussi la revue
"Le Semeur".
Il montre ses qualités d’illustrateur
dans de nouveaux projets éducatifs
qui s’adressent à la population rurale.
Certaines illustrations nous rappellent
les premières représentations
du monde populaire mexicain réalisées en Espagne.
Entre 1926 et 1927 il réalise le dessin graphique
des pages de couvertures de la revue CROM.
On perçoit dans ces illustrations
des liens avec les costumes préhispaniques
qu’il avait conçus en 1919
pour le Ballet Mexicain.
On y trouve aussi une synthèse d’éléments symbolistes
propres au tout nouveau nationalisme post-révolutionnaire.
Montenegro
trouve dans ses voyages une source de créativité.
C´est de là que provient son intérêt pour les coutumes
et les traditions populaires
qui ont marqué son travail d’illustrateur.
En 1930, il a réalisé vingt dessins
de la ville de Taxco
d´une grande originalité.
Ces dessins imprimés en noir et blanc
et reproduits comme des lithographies,
ont été publiés avec une image
qui rappelle les anciennes cartes coloniales.
Au long de sa carrière,
Montenegro s’est servit de son riche bagage culturel
pour interpréter librement
aussi bien des thèmes sacrés que de la propagande politique
à la demande de ses amis
ou de groupes d’idéologies opposées.
Sa relation avec le groupe d’écrivains de la revue
"Les Contemporains" est à souligner.
Ce groupe ne partageait pas le nationalisme de l’époque
et assumait plutôt une position cosmopolite.
Montenegro a fait leur portrait et illustré leurs livres.
Montenegro s’est toujours maintenu au courant
de l’évolution de l’art mondial
afin d’enrichir son travail
en tant que peintre et illustrateur.
Sa maîtrise de plusieurs styles et techniques
lui a permis de réaliser des pages de couvertures
et des vignettes très diverses.
La production de Roberto Montenegro
a diminué dans les années 30,
même s’il continuait à créer des pages de couvertures
d’une grande originalité.
En 1936, il illustra le livre "Trajectoire", de Xavier Icaza
avec des dessins qui rappellaient
les allégories des peintures murales
de l’ancien collège de San Pedro et San Pablo.
Ses qualités de dessinateur
et son adaptation aux exigences du discours officiel nationaliste,
lui ont permis d’être présent dans les couvertures
de deux livres de texte gratuits
publiés par le Ministère de l’Éducation Publique en 1960.
À 80 ans, Montenegro a remis
à la revue "Les Cahiers des Beaux Arts",
ses deux dernières illustrations,
concluant ainsi la brillante carrière
d’un artiste qui a su exprimer à travers l’image imprimée
les aspirations et les illusions de toute une époque.