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Le cours d’aujourd’hui sera consacré à la question de la conception.
Il est donc évident de commencer par étudier des choses qui, clairement, n’ont pas fait l’objet d’une conception intelligente.
Ceci n’est qu’une pierre ordinaire.
Les lois de la physique, si l’on n’y touche pas, produisent des choses de ce genre.
Elles peuvent aussi produire des pierres comme celle-ci,
qui ressemblent plus ou moins à une botte, mais la ressemblance est purement accidentelle,
ca ne veut absolument rien dire,
tout comme la ressemblance de cette autre pierre avec un poisson,
ou de cette autre pierre avec une tête de canard,
Celle-ci est un peu plus intéressante, même si c’est toujours un hasard -
elle ressemble à un œuf, et à l’intérieur on distingue un petit point comme un embryon;
mais, une fois encore, c’est un hasard, un produit des lois de la physique.
C’est aussi vrai pour ces jolis cristaux.
Mais ce qui est plus intéressant, c’est que les cristaux se forment
lorsque des atomes, qui sont tous identiques, réussissent à s’agglutiner
comme ils le « veulent »,
Voici une autre variété de cristal, une rose des sables.
On dirait presque un ouvrage de joaillerie.
Mais tous ces objets sont le fruit du hasard.
Aucun d’entre eux n’a été inventer.
Toutes ces pierres appartiennent à la catégorie des objets élémentaires,
C’est la même chose pour les étoiles et les nuages. Personne ne les a inventés,
ils sont apparus tels quels simplement grâce aux lois de la physique, sans intervention extérieure.
Ce sont des exemples de choses qui arrivent, tout simplement.
Maintenant, voici des objets qui ont véritablement été conçus.
Ce microscope, par exemple - personne ne pourrait penser
qu’il s’est juste formé de lui-même.
Tout en lui indique qu’il a été conçu dans un dessein particulier.
Il y a un long tube fait pour qu’on regarde à l’intérieur, une lentille de ce côté-là, une autre de l’autre côté,
un miroir pour refléter la lumière à l’intérieur du tube, des boutons pour corriger la visibilité,
d’autres boutons pour faire bouger la lamelle de droite à gauche et de haut en bas.
Les boutons eux-mêmes sont striés pour les rendre plus faciles à manipuler.
Cet objet a été inventé.
Même chose pour cette calculatrice, et aussi pour cette montre.
Il y a des cas un peu plus difficiles. Ces pointes de flèche en silex,
par exemple: il est presque certain qu’elles ont été inventé.
Elles sont taillées d’une manière que l’on ne s’attendrait pas à voir pour une pierre normale sur une plage.
Celle-ci est encore plus difficile à identifier.
les archéologues, nous disent que c’est un objet inventé,
que des peuplades primitives ont en effet taillé ceci dans un but précis,
et je suis enclin à les croire. Mais c’est plus difficile à discerner.
Quoi qu’il en soit, il y a des tas d’objets qui sont véritablement,
et sans erreur possible, inventés.
Qu’ont-ils en commun?
Ils servent tous à quelque chose, à un objectif précis,
et ils ne peuvent pas être le fruit du hasard.
Le microscope, de toute évidence, remplit parfaitement sa mission d’amplifier la vision de petits objets,
et il n’est certainement pas apparu par accident.
Si on prend un ramassis d’atomes et qu’on les secoue arbitrairement, on aura peut-être un cristal,
mais même en des milliards de milliards de milliards d’années on n’obtiendra pas un microscope.
Et voici un pot de chambre, qui,
même si son utilisation est moins noble que le microscope,
fait très bien ce qu’il a à faire, il a été conçu pour ça.
Une fois que l’on connaît son utilisation - contenir du liquide -
on peut calculer plus ou moins sa capacité à le faire.
On peut le mesurer, dire que son prix est proportionnel à la quantité d’argile qu’il a fallu pour le créer,
et qui a une incidence sur la quantité de liquide qu’il peut contenir.
Et ainsi, son efficacité est déterminée par la proportion entre le poids du liquide qu’il retient
et le poids de l’argile nécessaire pour le produire.
Comparons-le avec celui ci, qui n’a pas été créé par l’homme, mais qui est une pierre naturelle concave.
Elle aussi pourrait contenir de l’eau,
mais elle n’en contiendrait pas beaucoup, par comparaison avec la masse de pierre qui entoure le creux.
Son taux d’efficacité n’est pas très élevé, et en effet ce n’est pas un objet inventé.
C’est un objet élémentaire, qui s’est formé tout seul.
Ainsi avons-nous réparti ces objets selon qu’ils ont été inventés
ou qu’ils sont élémentaires,
Mais maintenant, je vais vous présenter une catégorie essentielle d’objets
qui ne sont certainement pas élémentaires, et dont je vais montrer qu’ils n’ont pas non plus été inventés.
Pourtant on dirait, incroyablement et de manière très convaincante, qu’ils ont été inventés.
Je vais les appeler des « pseudo-conceptions ».
Les objets pseudo-conçus ont l’air inventé, mais en réalité ils ont obtenu cette apparence
à la suite d’un processus très différent, dont nous parlerons plus ***.
Il se peut que vous trouviez, difficile à imaginer
que ces pseudo-conceptions n’ont pas été inventées, mais attendez de voir.
Alors, voici notre premier objet pseudo-conçu. Merci.
Donc, toi, c’est Andrew, n’est-ce pas? Et comment s’appelle le serpent?
[Enfant] Étrangleur. [Richard Dawkins] Étrangleur. Ce serpent s’appelle Étrangleur.
C’est un boa constrictor, et c’est un magnifique exemple d’un objet pseudo-conçu.
On dirait qu’il a été parfaitement conçu pour des objectifs précis.
L’un de ces objectifs est d’avaler des proies qui sembleraient bien trop grosses pour être avalées.
Et l’un des moyens qu’il emploie dans ce but, c’est dans la tête que ça se passe…
Regardez. Les os de la tête, les os du crâne, sont capables de se détacher,
de s’écarter - sous la peau, bien entendu - et donc la tête peut grandir pour dépasser considérablement son volume initial.
Et là, on a une grande mâchoire béante,
qui peut ensuite avaler des proies bien plus grosses que vous ne l’auriez pensé.
La peau, ici, est très joliment pommelée,
ce qui, comme vous vous en doutez, est un très très bon moyen de passer inaperçu dans une forêt.
Le serpent a perdu ses pattes. Perdre ses pattes est très courant parmi les reptiles.
Il y a beaucoup de branches de reptiles qui ont perdu leurs pattes avec l’évolution.
Ce que le boa constrictor sait très bien faire, c’est étrangler sa proie,
(Rires)
et je crois qu’Andrew et Étrangleur méritent des applaudissements.
Merci beaucoup. (Applaudissements)
Ce n’est pas simplement en regardant l’apparence extérieure d’Étrangleur que l’on peut se faire une idée
de l’incroyable complexité de sa structure, comme de celles de tous les autres êtres vivants.
Un être vivant comme Étrangleur n’est pas seulement plus compliqué qu’un microscope,
il est des milliards de fois plus compliqué qu’un microscope.
Revenons-en aux pots.
Nous avons vu un pot inventé, et nous avons vu un pot élémentaire, accidentel.
A présent, voici un pot pseudo-conçu.
Ceci est une plante carnivore à poches.
Voici les différentes poches. Vous pouvez les voir en plus gros sur l’écran.
Les poches sont remplies d’eau et constituent des pièges pour les insectes,
qui tombent à l’intérieur et s’y noient.
Voici comment une poche se développe. C’est le stade suivant de son éclosion.
Elle commence comme une feuille, avec, comme vous le voyez, un trou qui se forme -
c’est une jeune poche. Et ensuite, comme on va le voir… Voici la poche complète.
Il y a une mouche qui grimpe le long de la paroi extérieure. Le bord de la poche est glissant.
La mouche… chute à l’intérieur, dans l’eau.
Elle va maintenant se noyer, et, après un certain temps, ses nutriments vont être digérés par la plante.
Ceci est une plante carnivore vivante. Voici l’une de ses poches.
Vous pouvez observer le petit opercule qui la ferme.
La zone glissante est située ici, et l’eau est à l’intérieur.
On dirait bien un objet inventé.
Si l’on devait évaluer son taux d’efficacité,
en mesurant le volume d’eau contenue par rapport au poids de la plante elle-même,
on s’apercevrait que c’est un pot vraiment très efficace.
Mais si l’on observait l’intérieur, en la découpant,
on trouverait une structure extrêmement compliquée.
Voici l’intérieur d’une seule cellule d’une plante carnivore, vue à travers un microscope électronique.
Vous voyez à quel point elle est complexe.
Ce qui est plus intéressant, c’est que cette structure interne est très bien adaptée
à la production d’une grande quantité d’oxygène, sécrétée dans l’eau de la poche.
L’effet est très avantageux, parce que dans l’eau de chaque
poche vivent quantités d’équipes de désintégrations, constituées de petits vers et d’autres insectes.
Que font-ils là-dedans?
Eh bien, c’est une chose de vouloir manger des insectes, comme une plante carnivore,
mais une plante n’a pas de dents - difficile de manger des insectes quand on n’a pas de dents.
Donc, ce que la plante carnivore fait, en réalité, c’est emprunter les dents des vers qui vivent dans ses poches.
Les vers mangent la proie qui atterrit dans la poche,
et ensuite leurs excréments sont absorbés par la plante carnivore.
Donc, en réalité, la plante carnivore récupère exactement la même chose que n’importe quelle autre plante
qui se nourrit d’engrais.
Mais elle réussit à s’accaparer une réserve privée d’engrais
en attirant des insectes et en entretenant les vers qui vivent dans ses poches
avec une eau fraîche, agréable, riche en oxygène,
dans laquelle ils ne voudraient pas continuer à vivre si elle n’était pas ainsi.
Voici une autre sorte de pot pseudo-conçu.
Celui-ci a été tissé par une araignée, vous pouvez voir la trappe au sommet.
L’araignée vit à l’intérieur.
En voici un autre. C’est le pot d’une guêpe potière.
C’est une guêpe solitaire, contrairement aux guêpes grégaires,
qui fabriquent des ruches ressemblant à cette ruche à miel, là-bas.
La guêpe potière femelle fabrique un pot comme celui-ci à l’aide de boue, et y pond ses œufs,
et puis les larves grandissent à l’intérieur du pot.
Regardez comme il ressemble à ce pot-là, qui,
lui, a été inventé, et vient du Mexique.
Regardez combien les deux pots se ressemblent.
Et encore un autre pot fabriqué par un animal.
Celui-ci a été fait par une abeille maçonne.
Une petite merveille.
Elle l’utilise dans le même but que la guêpe potière,
mais la structure est différente. Le pot ressemble à une maison humaine,
composée de petits cailloux que l’abeille femelle
a rassemblés et cimentés pour construire cette splendide petite structure.
L’histoire ne s’arrête pas là. Vous voyez seulement un pot,
ici, mais en-dessous il y en a quatre autres,
qui ont été recouverts avec attention par l’abeille.
Elle est allée à la rivière chercher de l’argile pour recouvrir ses pots.
L’argile est exactement de la même couleur et de la même texture que la roche sur laquelle le pot est fixé,
pour que les prédateurs de l’abeille, les prédateurs qui pourraient vouloir manger les larves,
ne s’aperçoivent pas, même en tournant autour pendant un million d’années, qu’il y a des pots sous cette couche d’argile.
Voilà un autre exemple magnifique d’architecture pseudo-conçue.
Ces mégalithes gigantesques, qui ressemblent aux menhirs d’Avebury ou de Stonehenge,
ont été construits par le termite-boussole d’Australie.
Ce sont des structures énormes, comme des immeubles -
du moins, à l’échelle du termite.
Elles ont toutes une orientation exactement nord-sud, ce qui est très malin,
parce que cela veut dire qu’elles récupèrent la lumière du soleil le matin d’un côté
et en soirée de l’autre,
donc restent confortablement au chaud durant les heures les plus froides de la journée,
mais lorsqu’il fait très chaud, le soleil à son zénith ne les frappe qu’au sommet,
ce qui signifie qu’elles ne sont jamais en surchauffe.
C’est pourquoi on appelle ces nids de termites des termitières-boussoles;
si vous êtes perdu dans le désert,
vous pourrez toujours connaître la direction nord-sud en regardant une termitière-boussole.
Celle-ci est encore plus grande… c’est un autre genre de termitière.
Voici l’échelle. C’est une structure colossale.
L’éthologue autrichien Karl von Frisch a noté
que « si les bâtiments construits par les êtres humains étaient proportionnels à ces termitières,
les structures bâties seraient quatre fois plus hautes que l’Empire State Building ».
Donc les termites sont des architectes très, très impressionnants.
Ces objets pseudo-conçus sont très impressionnants.
Maintenant, passons des objets apparemment conçus par des animaux
à la conception des animaux eux-mêmes.
Je vais débuter avec le camouflage.
Si vous vous promenez dans le désert et que vous voyez ceci,
vous penserez probablement, à première vue, qu’il s’agit d’une pierre. Mais ce n’est pas une pierre, c’est une sauterelle.
Elle ressemble simplement à une pierre, et elle est protégée par son apparence de pierre.
Voici l’exemple suivant. Ceci, je trouve, ressemble parfaitement à une algue,
c’est l’une de mes pseudo-conceptions préférées. En réalité, c’est un poisson;
une variété d’hippocampe. Là, c’est sa tête, là, son cou, là, son corps.
Et ces choses qui dépassent, ici, font partie du corps de l’hippocampe,
mais n’importe qui penserait que ce sont des algues.
Elles ressemblent exactement à de l’algue,
et l’hippocampe se cache parmi les algues qui lui ressemblent exactement.
C’est un camouflage presque parfait.
Voici quelques autres exemples.
Ceci est une vidéo de… vous verrez ce que c’est dans un instant. C’est, en réalité, un phasme.
Voici la carapace recouvrant son thorax, et voici sa tête.
Les ailes sont ici, et quand il ne bouge pas, et même quand il bouge, d’ailleurs,
il ressemble exactement à une feuille. Voilà, il s’est envolé.
Cette chose ressemble exactement à une plante; en vérité, c’est un serpent vert.
Et ça, vous diriez que c’est une plante, avec à son extrémité, une longue branche verte,
et d’autres bourgeons…
C’est seulement en arrivant à l’autre extrémité que l’on distingue un œil,
des antennes et des pattes. En fait, c’est un phasme.
Regardez ces feuilles - des feuilles d’automne.
Regardez les veinules de ces feuilles.
Regardez les veinules de chaque côté.
Regardez les petites éclaboussures de mousse sombre qui la constellent.
Mais ce ne sont pas des feuilles. Ce sont des papillons.
Regardez, on peut tout juste distinguer le corps, ici, ici, ici, et ici.
Ces papillons ressemblent à cela quand ils déploient leurs ailes.
Le dessous de leurs ailes ressemble à cela.
Et ils gardent normalement leurs ailes repliées, pour que l’on n’en voie que le dessous.
Il faudrait être vraiment fort pour s’apercevoir que ce ne sont pas des feuilles mortes.
C’est seulement quand ils déploient leurs ailes que l’on voit cette explosion de couleurs vives.
Les animaux camouflés ressemblent à des objets non comestibles.
Certains êtres pseudo-conçus ressemblent à d’autres êtres pseudo-conçus,
pour d’autres raisons. Parce qu’ils font le même travail. Ca s’appelle « l’évolution convergente ».
Voici un hérisson ordinaire.
Et ça, c’est un animal qui n’a rien à voir avec un hérisson, mais qui lui ressemble vaguement.
C’est un fourmilier à pointes. C’est un mammifère, mais pas seulement un mammifère, en fait.
C’est un mammifère qui pond des œufs, un mammifère très primitif, d’Australie et de Nouvelle-Guinée.
De fait, sa vie n’est pas si proche de celle du hérisson.
Il mange des fourmis, alors que les hérissons ont une nourriture plus diversifiée, et mangent des insectes, des vers et d’autres choses.
Mais tous les deux sont protégés par leur peau épineuse. Et donc,
superficiellement, ils se ressemblent. C’est un exemple d’évolution convergente.
Un autre exemple, encore meilleur, d’évolution convergente, est représenté par l’animal appelé tigre de Tasmanie.
Si vous aperceviez cet animal attaché en laisse dans la rue, vous penseriez qu’il s’agit d’un chien.
Un chien un peu bizarre, certes.
Il n’y a pas beaucoup de chiens présentant cette structure particulière de la queue.
Mais vous penseriez qu’il ne serait pas étrange de le voir dans une animalerie.
Mais ce n’est pas un chien. Cet animal n’a rien à voir avec un chien, c’est un marsupial.
Il est bien plus proche des kangourous, des wombats et des koalas.
Malheureusement, l’espèce est désormais éteinte. Elle s’est éteinte relativement récemment,
au siècle dernier, en Tasmanie.
Elle avait déjà disparu du territoire australien depuis des millénaires.
Et la raison pour laquelle le tigre de Tasmanie ressemble tellement à un chien, c’est qu’il fait,
ou du moins faisait, le même travail qu’un chien.
Il courait après du gibier, comme un chien.
Et il a donc acquis la même forme. Bon, à toi, maintenant, Bryson. Merci.
La structure interne est également proche de celle d’un chien. Voici un crâne de chien.
Et voici le crâne d’un tigre de Tasmanie.
Il est un peu plus gros, mais évidemment, la taille d’un crâne dépend de la grosseur du chien, de toute façon;
il serait facile de trouver un crâne de chien plus imposant que celui-ci.
Le seul moyen d’affirmer que c’est un marsupial, et non pas un vrai chien, c’est de le regarder par en-dessous.
Ces deux trous, dans le palais, ici, vendent la mèche.
Ce sont les preuves criantes que c’est un marsupial et non un chien.
Un vrai chien ne possède pas ces trous.
Eh bien, ça, c’est de l’évolution convergente entre objets pseudo-conçus.
Des objets véritablement conçus, eux aussi, se ressemblent parfois parce qu’ils font le même travail.
Deux avions se ressemblent énormément, pas seulement à cause de l’espionnage industriel,
pas non plus par imitation,
mais parce que les courants aériens obligent à réduire les différences.
Deux avions différents ont été créés dans le même but,
celui de voler très vite dans le ciel
avec à leur bord plus d’une centaine de passagers,
et ces deux avions vont donc se ressembler beaucoup en fin de compte.
C’est la même chose avec le chien et le tigre de Tasmanie.
Donc nous avons étudié la convergence entre deux objets pseudo-conçus
et la convergence entre deux objets conçus.
Qu’en est-il de la convergence entre des objets conçus et des objets pseudo-conçus?
Voici un appareil photo, par exemple, qui est un objet inventé par l’homme,
et voici un œil, un objet pseudo-conçu.
Ils fonctionnent tous les deux de manière très similaire.
Ils ont tous deux une lentille d’un côté, qui concentre une image sur une paroi photosensible à l’arrière.
Celle de l’œil s’appelle la rétine, celle de l’appareil photo, la pellicule.
Il y a d’autres ressemblances. Tous deux ont un iris, un diaphragme,
qui s’ouvre et se referme pour contrôler la quantité de lumière autorisée à pénétrer.
Dans un appareil photo automatique, la quantité de lumière qui entre et sort est contrôlé automatiquement
par un photomètre qui dit « quand la lumière est vive, on réduit la fente;
quand il fait sombre, on l’ouvre à nouveau ».
L’œil humain est lui aussi pourvu d’un photomètre automatique.
Voyons, je me demande si l’on aurait un volontaire pour…
Voilà, au premier rang, là. Oui. Très bien.
Comment t’appelles-tu?
[Enfant] Gillian. [Richard Dawkins] Gillian.
Pourrais-tu retirer tes lunettes, Gillian?
Merci. Viens t’asseoir ici, s’il te plaît.
Bon, maintenant, j’aimerais que tu regardes la caméra, ici,
et on va filmer ton œil, ton iris.
Ce que je vais faire, c’est éclairer ton autre œil avec cette petite lampe.
Et - j’espère que la lumière n’est pas trop vive - on va voir, sans doute, que ton iris va se contracter quand j’allumerai la lumière.
Alors, regarde la caméra, et je vais envoyer la lumière.
Ca y est, tu as vu ton iris se contracter?
Regarde l’appareil. Voilà, il se contracte. Tu l’as vu?
Je pense que c’est peut-être mieux de regarder l’œil que j’éclaire.
Sauf toi, Gillian, (Rires)
regarde la caméra. La lumière est trop vive? Non? OK, regarde la caméra.
Et voilà. Vous avez vu?
Merci beaucoup, Gillian. (Applaudissements)
Et il y a beaucoup d’autres exemples de choses vivantes
qui présentent exactement les même caractéristiques que des objets conçus par des ingénieurs.
Bon, j’espère vous avoir convaincus que les êtres vivants ont quelque chose de spécial.
Ils ont l’air d’avoir été conçus, on dirait vraiment qu’ils ont été inventé.
Je les ai appelés des pseudo-conceptions, et je vous demande d’accepter ce terme.
Mais c’est terriblement, terriblement tentant d’utiliser le mot « inventé ».
je dois me mordre la langue tout le temps pour ne pas dire, par exemple,
que ce martinet est conçu pour un vol rapide, contrôlé et agile.
Et d’ailleurs, quand on discute avec d’autres biologistes,
aucun d’entre nous ne se mord la langue - on utilise simplement le mot « conçu ».
Mais je vous ai bien dit que ces objets n’ont pas vraiment été conçus, et j’ai créé le mot « pseudo-conçus »,
et j’ai dit qu’il y avait un processus spécial, qui développe ces objets
et leur donne une apparence d’êtres conçus. Quel est ce processus spécial?
La réponse à cette question a été découverte, de manière étonnante, récemment,
au milieu du dix-neuvième siècle.
C’est l’une des découvertes les plus importantes de tous les temps,
faite par l’un des scientifiques les plus importants de tous les temps - Charles Robert Darwin.
longtemps après avoir découvert le principe de l’évolution par sélection naturelle,
Darwin a écrit son célèbre livre, De l’Origine des Espèces.
Voici une première édition originale, paraphée par l’auteur. Une édition très précieuse.
Darwin commence son argument sur la sélection naturelle, il l’introduit,
en parlant d’un autre procédé, la sélection artificielle, ou l’élevage sélectif.
Tous ces légumes ont été cultivés par des jardiniers humains dans des objectifs culinaires différents.
Voici un chou ordinaire, un chou-fleur, un chou rouge, des brocolis, des choux de Bruxelles, du chou-rave.
Toutes ces différentes sortes de légumes sont
des variations d’un même ancêtre sauvage - le chou sauvage.
Le chou-rave, par exemple, a une tige très boursouflée.
Le chou-fleur a une fleur très développée. Le brocoli aussi, mais elle est différente.
Et tous descendent, depuis un ou deux millénaires,
du même ancêtre: le chou sauvage.
Voici un plant de chou sauvage, que Bryson a fait pousser.
Bryson a beaucoup de qualité, mais il n’a pas la main verte.
Quoi qu’il en soit, si vous rapportiez ceci chez vous et le laissiez pousser pendant quelque temps,
en l’arrosant, en s’occupant de lui, il deviendrait un vrai chou sauvage.
Il ne ressemblerait pas beaucoup à ces choux-là.
C’est ça, l’idée.
Ils viennent tous du chou sauvage mais ils en sont tous très différents.
Toutes les races de chiens domestiques ont été élevées en partant du même ancêtre commun, le loup.
Ces chiens sont incroyablement différents.
On ne dirait pas qu’ils appartiennent à la même espèce,
mais en réalité, ils proviennent tous du loup.
Alors, comment est-on arrivé à cette diversité? Quelle est cette sélection artificielle, cet élevage sélectif,
qui nous permet de passer du loup à quelque chose d’autre?
Je vais vous l’expliquer très brièvement. On commence avec l’ancêtre, le loup
On va imaginer, pour faire simple, que tout le monde de ce côté-ci de la pièce
essaie d’élever des races de loups de plus en plus petites,
et que tout le monde de l’autre côté voudrait obtenir des loups de plus en plus grands.
En fait, à chaque portée de louveteaux que l’on obtient, si vous voulez des loups plus petits,
il faut sélectionner les louveteaux un peu plus petits que la moyenne,
et les faire se reproduire ensemble.
En revanche, si vous voulez des loups plus grands, vous faites l’inverse.
Evidemment, cela va prendre du temps; génération après génération,
on va faire accoupler des loups relativement petits,
ou, de ce côté-là de la pièce, des loups relativement grands.
Et après bien des générations - des centaines,
peut-être même des milliers - de cet élevage sélectif,
les gènes impliqués dans le contrôle des différences entre les chiots vont faire
que vous allez vous retrouver avec ce que
je vais vous montrer maintenant.
Ca, ce serait le produit final d’un élevage orienté vers la production de loups de plus en plus grands.
Et ça, c’est le produit final d’un élevage orienté vers la production de loups de plus en plus petits.
Comment s’appellent-ils? [Eleveur] Jemima et Wilf.
[Richard Dawkins] Jemima et Wilf sont des chihuahuas.
Jemima est un chihuahua à poil doux et Wilf est un chihuahua à poil dur.
Tous deux sont des descendants plus ou moins récents d’un loup sauvage.
Et lui, comment s’appelle-t-il? Sequin? C’est un mâle ou une femelle? Une femelle?
Voici donc Sequin, un berger allemand,
et je pense que l’on peut dire que c’est Sequin qui ressemble le plus à son ancêtre, le loup.
Et lui, qui est-ce? [Eleveur] Archie. [Richard Dawkins] Archie, un joli nom. Archie est un danois,
obtenu en essayant d’élever des loups de plus en plus grands.
Tous descendent du loup. Ils sont tous cousins,
et Sequin a l’air très intéressé par ce que je raconte.
Merci beaucoup. Merci. (Applaudissements)
Charles Darwin était très intéressé par les chiens, et aussi par les pigeons.
Merci. Dis donc, pigeon, tu marches sur mes papiers. (Rires)
Ceci est un Marchenero huppé.
C’est un pigeon, élevé par sélection artificielle, qui descend de la colombe des roches sauvage.
En l’occurence, il a été élevé pour l’épaisseur de ses plumes et la taille de sa huppe.
Regardez sa huppe sur sa tête, elle se dresse comme ça,
et les plumes sont très grandes.
Ici, dans cette cage (on ne leur faisait pas assez confiance pour les laisser en liberté, pas comme celui-là).
C’est un pigeon voyageur domestique, qui comme vous pouvez le voir a été croisé pour obtenir ce
curieux petit épi autour de son cou, et ce cercle rouge autour de ses yeux.
L’autre est un pigeon anglais à tête courte.
Vous voyez à quel point sa tête est petite, et son bec minuscule.
Encore une fois, c’est le produit d’une sélection artificielle, exactement comme les chiens et les choux.
Son bec est si court, d’ailleurs,
que cette race est désormais incapable de nourrir ses propres petits.
Le seul moyen de faire perdurer la race, donc,
c’est de faire élever les oisillons par des pigeons d’une autre race.
Ce genre de choses arrive fréquemment, en fait, avec la sélection artificielle. C’est le cas des bulldogs.
Vous savez peut-être que la race des bulldogs a une tête si imposante
qu’ils ne peuvent pas naître par les voies naturelles. La seule manière de faire naître un bulldog, c’est de pratiquer une césarienne sur la mère.
La race entière dépend donc des hommes pour perdurer.
Si l’humanité venait à s’éteindre, les bulldogs s’éteindraient également.
Bon, la sélection artificielle, le procédé qui produit ces chiens, ces pigeons et ces choux,
est trop lente pour être observée pendant ce cours.
Mais on peut la simuler par ordinateur,
et je vais le faire avec le programme « Arthromorphes ».
Voici des arthromorphes.
L’arthromorphe parent est ici, et autour de lui on voit huit enfants arthromorphes.
Ils ressemblent beaucoup au parent, mais il peut y avoir une modification génétique,
une mutation, un changement génétique aléatoire, comme cela arrive lorsqu’un parent donne naissance à un enfant.
Celui-ci, par exemple, a des pattes plus longues. Celui-là a des pattes de ce côté-là au lieu de l’autre.
Alors, on élève des arthromorphes… Je pourrais avoir un volontaire?
Oui. Merci, très bien.
Tu as déjà utilisé un ordinateur avec une souris? [Enfant] Oui.
[Richard Dawkins] Très bien. Alors, tu vas choisir celui que tu veux élever, et cliquer dessus une fois.
Aha, tu veux celui avec des grandes pattes. Clique.
Il va au centre et devient le parent de la génération suivante.
Maintenant, vous voyez, la génération suivante a de plus grandes jambes.
Comment tu t’appelles au fait? [Enfant] Lawrence.
[Richard Dawkins] Lawrence. Lawrence élève des créatures pour leur donner des pattes plus longues. Je me demande s’il va continuer à le faire.
Oui, oui. Continue. Ne m’attends pas, continue à les élever.
Très bien, Lawrence aime les pattes longues, elles sont de plus en plus longues.
OK. Alors, j’ai dit que ces créatures possédaient des gènes qui se transmettent de parents à enfants.
Qu’est-ce que ça signifie en termes informatiques?
Dans un ordinateur, évidemment, les gènes sont simplement des nombres.
Ce ne sont pas de vrais gènes, ils ne sont pas composés d’ADN, mais quoi qu’il en soit
ce sont des gènes, dans le sens qu’ils se transmettent de génération en génération.
Ces créatures ne se reproduisent pas sexuellement,
au passage, ils se reproduisent asexuellement, comme les phasmes ou les aphides.
Continue.
Elève aussi vite que possible, pour qu’on voie beaucoup de générations.
Donc, ce qu’on voit maintenant, ce que Lawrence est en train de faire, c’est de la sélection artificielle,
comme nos ancêtres l’ont fait avec les chiens et les pigeons.
Mais il fait en quelques minutes,
ce qui aurait pris quelques siècles en réalité
Qu’est-ce que tu sélectionnes, Lawrence?
Les pattes en zigzag, c’est ça?
Très bien. On va continuer, maintenant. Merci beaucoup, Lawrence.
Bon, j’espère que vous êtes convaincus à présent que la sélection artificielle fonctionne bien.
On en a vu le résultat chez les chiens, les choux, les pigeons,
et on l’a vue se manifester sur les arthromorphes de l’ordinateur.
Mais ça, c’est juste la sélection artificielle.
On a commencé par la sélection artificielle pour arriver à parler de la sélection naturelle.
La sélection naturelle, c’est le même principe que la sélection artificielle, mais à la place des humains,
c’est la nature qui opère un choix.
Dans une portée de chiots,
ou de louveteaux,
la nature choisit lesquels vont se reproduire.
Ceux qui ont des caractéristiques qui vont les aider à survivre
sont ceux qui vont se reproduire. Ils sont choisis automatiquement.
Ceux qui arrivent à courir vite,
qui ont des pattes ni trop longues ni trop courtes.
Ou ceux qui ont des dents ni trop plates, ni trop aiguisées -
parce si elles étaient trop aiguisés elles pourraient se casser facilement.
Par le processus de sélection naturelle, la nature choisit constamment quels individus survivent
et quels individus vont se reproduire.
Le résultat, après bien des générations de sélection naturelle,
ressemble à celui de plusieurs générations de sélection artificielle.
Alors, qu’est-ce que ça changerait si on programmait Arthromorph
pour simuler la sélection naturelle au lieu de la sélection artificielle?
Parce qu’à présent, les arthromorphes sont choisis seulement par les humains.
Pourrait-on demander à l’ordinateur de faire cette sélection?
Il va choisir en fonction de la qualité des arthromorphes.
Le problème, c’est qu’il n’est pas facile de juger ce que la qualité d’un arthromorphe veut dire,
parce que ces créatures vivent dans un environnement très étrange,
un écran d’ordinateur en deux dimensions.
Ils ne vivent pas dans un vrai monde, ils n’ont pas de prédateurs,
ni de proies, ils n’ont pas de nourriture à attraper.
On pourait peut-être faire un modèle informatique d’un objet pseudo-conçu en deux dimensions,
comme une toile d’araignée.
Si on pouvait éteindre les lumières, je pense qu’on verrait mieux.
Voilà, il y a une araignée au milieu de sa toile, on la voit bien, je crois.
Très bien. Alors, on sait pourquoi l’araignée tisse une toile: pour attraper des mouches et autres proies.
C’est un filet, qui fonctionne en deux dimensions.
Donc… on aurait pu vous montrer une araignée en train de tisser sa toile,
mais celle-ci semble plutôt satisfaite de celle qu’elle a déjà.
Donc ce que je vais faire, à la place, c’est vous montrer une reconstitution informatique
de la technique de construction de l’araignée.
Regardez attentivement. C’est en accéléré.
On peut avoir un ralenti, Peter? Bon.
Ce que l’araignée tisse, là, ce sont les rayons de la toile.
C’est comme un échafaudage.
Maintenant elle ajoute la spirale collante,
qui capture les mouches.
On peut le revoir une fois, doucement. Très bien.
Voilà, là ce sont les rayons,
et là l’échafaudage,
et maintenant la spirale collante.
Ce qu’on a vu, ce n’est pas une vidéo de n’importe quelle toile.
C’est une vidéo des mouvements d’une araignée, filmés un jour particulier.
C’est une certaine araignée, un certain jour.
On a entré ses mouvements dans un ordinateur et l’ordinateur nous les rejoue maintenant.
Mais c’est juste un enregistrement d’une araignée en particulier.
Donc, pour faire un programme arthromorphique des toiles d’araignée sur ordinateur,
il faut que l’on demande à l’ordinateur de se comporter comme une araignée.
C’est un programme écrit par Peter Fuchs, qui, heureusement, est dans la pièce à côté, à contrôler l’ordinateur.
Le programme fait construire une toile par l’ordinateur comme s’il était une araignée.
L’ordinateur contient
les informations du tissage d’une toile par une araignée.
Alors,l’ordinateur fait les rayons comme ça, et la spirale comme ça.
Alors, exactement comme dans le cas des arthromorphes, Peter a fait en sorte
que les règles emmagasinées dans l’araignée de l’ordinateur soient sous contrôle génétique.
Il y a des gènes dans l’ordinateur, comme pour les arthromorphes,
et ce sont simplement des nombres.
Ca, c’est la toile parente, ça, ce sont les toiles filles -
plus exactement, le première est celle qui a été tissée par l’araignée-mère,
et les autres par sa progéniture.
Alors, on peut commencer comme si c’était un programme arthromorphe.
Il me faudrait un autre volontaire, une fille, cette fois.
Très bien, oui, monte. Comment tu t’appelles? [Enfant] Ursula.
[Richard Dawkins] Ursula. Viens ici, Ursula, s’il te plaît. Tu as déjà utilisé un ordinateur avec une souris? [Ursula] Oui. [Richard Dawkins] Oui. Très bien.
Bon, cette fois, c’est comme l’autre, mais double-clique au lieu de cliquer une seule fois,
pour choisir celle que tu crois être la meilleure toile.
Voilà. Cette toile est allée se mettre en haut de l’écran. Elle devient une toile parente.
Et voilà les toiles filles qui se constituent.
Maintenant, tu peux choisir une autre, pour fonder une autre génération.
Voilà, vous voyez, on fait la même chose que pour les arthromorphes,
mais on a des toiles d’araignée qui se tissent.
Mais ce qu’on veut faire, ce n’est pas de la sélection artificielle,
c’est de la sélection naturelle.
Et donc on va demander à l’ordinateur d’évaluer
l’efficacité de chaque toile à attraper des mouches.
On peut le faire parce que, contrairement aux arthromorphes,
les toiles sont des structures bidimensionnelles et on sait à quoi elles servent:
à attraper des mouches.
Donc le bénéfice va être proportionnel au nombre de mouches attrapées,
en prenant en compte la quantité de soie utilisée pour fabriquer la toile.
Le « coût » de la toile est la quantité de soie, et le bénéfice, c’est les mouches.
Alors, arrête maintenant, Ursula, merci beaucoup.
(Applaudissements)
Maintenant, on n’a plus de sélectionneur humain, ce sont les mouches qui opèrent la sélection.
Les mouches vont heurter la toile, quand Peter va démarrer le programme.
Voilà, une nouvelle génération de toiles se construit,
et on va voir les mouches heurter la toile.
Les voilà. Des mouches, une fois encore.
Maintenant, l’ordinateur va calculer laquelle de ces toiles capture les mouches mieux que les autres.
C’est celle qui s’est obscurcie.
C’est celle-ci qui va devenir parente d’une nouvelle génération.
Voilà, une fois encore, les toiles se sont construites, les toiles filles se construisent, et encore
une fois les mouches vont arriver, et l’ordinateur va mesurer laquelle est la meilleure.
Voilà, c’est celle-là, et elle devient parente d’une nouvelle génération.
Bon, ça ne prendrait pas très longtemps pour nous de voir l’évolution commencer de nulle part
et aboutir à une très belle toile, qui marche très bien. Mais on n’a pas le temps de faire ça.
Donc à la place, on a laissé l’ordinateur le faire la nuit dernière, toute la nuit,
et on a un enregistrement de toutes les toiles construites pendant ce temps. Ca,
c’est la toute première toile,
et toutes les vingt générations on a une photo de la nouvelle toile choisie.
Voilà, ça commence presque sans spirale,
et les mouches devaient passer au travers dans être attrapées.
Mais le programme de sélection naturelle de l’ordinateur a amélioré, progressivement,
cette toile, en sélectionnant des toiles avec davantage de spirales, qui capturaient plus de mouches,
et donc la toile a évolué pour devenir pleine et belle
avec une jolie spirale régulière, qui attrape plein de mouches.
Tout ça, ça s’est produit la nuit dernière, dans l’ordinateur, très vite - on a turbiné en une seule nuit
ce qui aurait pris des milliers, peut-être même des millions d’années dans la nature.
Dans la nature, les toiles gagnantes ou perdantes
ne seraient pas, bien entendu,
jugées par un calcul d’ordinateur.
Elles seraient jugées automatiquement, et sans aucune pensée, par les mouches elles-mêmes.
Les mouches seraient capturées dans certaines toiles et pas d’autres, provoquant une sélection.
Les mouches ne savent pas qu’elles choisissent les toiles.
Elles ne veulent pas être capturées par les toiles.
Mais quoi qu’il en soit, la conséquence de leur capture inopinée
c’est que l’araignée qui possède la toile la plus efficace
a plus de chances de se renforcer et de se reproduire,
et donc, elle a plus de chances de transmettre à sa descendance les gènes qui programment ce genre de toiles.
Alors que les générations se succèdent, les toiles s’améliorent,
comme dans l’ordinateur.
C’est ça, la sélection naturelle, dans le cas des toiles d’araignée,
et c’est exactement le même principe pour toutes les créatures vivantes,
pour le corps de tous les êtres vivants.
Tous les lions, les tigres, les chameaux, les chiens, les humains, les girafes.
Tous ont évolué en fonction du processus d’évolution par sélection naturelle.
La vision darwinienne, c’est donc que les objets pseudo-conçus ne sont pas conçus du tout.
Ils ont évolué par sélection naturelle.
L’alternative la plus célèbre à la vision darwinienne de la biologie, c’est le créationnisme.
Les créationnistes croient que les pseudo-conceptions sont, en vérité, des objets inventés.
La seule différence avec ces objets conçus par des humains,
c’est que selon eux ces objets ont été conçus par un créateur divin.
L’argument préféré des créationnistes, c’est l’argument du « l’invention »,
exprimé de façon particulière par
l’arch-diacre William Paley en 1802 dans son livre « Théologie Naturelle ».
Paley commence son livre ainsi: « Si, traversant la lande, je bute contre une pierre,
et que l’on me demande comment la pierre est arrivée ici,
je pourrais répondre que, sauf information contradictoire, elle a toujours été là. »
En d’autres termes, la pierre est le genre d’objet qui a toujours été là
et n’a pas besoin d’être expliqué.
« Qu’en est-il, cependant », continue Paley, « si je bute contre une montre?
Je pourrais l’ouvrir, en observer le mécanisme, les rouages,
et les ressorts; tout montre qu’elle a été inventée.
Elle doit avoir un concepteur. Elle doit avoir un horloger ».
Et si la montre doit avoir un horloger, alors, continue Paley,
les autres objets, les êtres vivants, nous compris, nous devons forcément avoir un horloger divin.
Selon Paley, il est clair comme de l’eau de roche que,
tout comme la montre a eu un concepteur, alors nous avons également eu un concepteur.
Bien sûr, le seul fait que les animaux et les plantes
ont l’air d’avoir été conçus suggère cette question.
J’ai passé beaucoup de temps à essayer de vous montrer que les animaux et les plantes,
en effet, ont l’air d’avoir été conçus par un créateur.
Mais j’ai passé l’autre moitié de ce cours à vous démontrer
qu’il y a une très bonne explication
pour cette apparence: la sélection naturelle.
Bon, Paley, évidemment, a vécu avant Darwin,
donc on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il connaisse cette alternative.
Cependant, même sans connaître Darwin,
il était possible, au dix-huitième siècle,
de montrer que l’argument de Paley était très mauvais.
C’est David Hume, l’un des plus grands philosophes de tous les temps, qui l’a démontré.
Hume a fait remarquer que l’argument de « l’inventeur », de Paley,
suggère que des êtres comme les éléphants et les humains sont trop complexes pour être apparus par hasard;
ils sont composites, comme une montre;
trop complexes pour être apparus tels quels.
Un concepteur, un horloger, un ingénieur,
sont certainement capables de créer des objets complexes.
Mais un horloger, un concepteur, un ingénieur,
pour concevoir un objet complexe comme une montre,
doit être plutôt complexe lui aussi.
Cela ne sert à rien de supposer qu’il existe un concepteur,
parce qu’un concepteur lui-même est exactement
ce genre d’objet complexe dont on cherche à déterminer l’origine.
Si un être humain est trop complexe pour être apparu par hasard,
ou si un martinet est trop complexe pour être apparu tel quel,
il s’ensuit qu’un être capable de les créer de toutes pièces
serait lui-même infiniment plus complexe, et donc qu’il serait impossible pour lui d’apparaître par hasard.
L’argument de l’inventeur démontre certainement
que des êtres vivants ne peuvent apparaître par hasard.
Mais par la même occasion, et encore plus fermement,
il implique qu’un créateur divin n’aurait pas pu apparaître par hasard non plus.
Le créateur aurait besoin d’un créateur encore plus complexe, et caetera.
l’argument de l’inventeur semble puissant,
mais il se tire puissamment une balle dans le pied.
L’argument darwinien d’évolution par sélection naturelle, bien entendu,
n’a pas ce problème.
L’argument darwinien ne suppose pas que les êtres se créent par hasard.
Le hasard, sous la forme de mutations génétiques aléatoires, y participe;
mais la partie la plus importante de l’explication darwinienne
est la processus non aléatoire de sélection naturelle.
Il y a une autre petite incongruité, plutôt intéressante, qui est que les objets naturel pseudo-conçus
ont des imperfections, des imperfections que l’on ne s’attendrait pas à trouver
dans des objets conçus par un véritable concepteur.
Voici un poisson plat, un flétan.
Ses ancêtres nageaient normalement dans l’eau, comme des poissons ordinaires.
Mais les ancêtres du flétan se sont progressivement rapprochés des fonds marins, en s’y frottant sur un côté.
Ils s’aplatissent contre le sable, et de nos jours, un flétan se déplace au fond de l’eau, comme cela,
vous en avez probablement déjà vus.
Mais alors que les ancêtres du flétan commençaient à prendre cette habitude, il s’est trouvé que l’un de leurs yeux
était tourné directement contre le sable;
l’autre seulement était tourné vers le haut.
Et donc, progressivement, avec le processus de l’évolution, l’autre œil, celui qui était tourné vers le sable,
a migré le long de la tête et s’est retrouvé du même côté que l’autre, au sommet.
Le résultat, c’est que le crâne du flétan est un objet extrêmement biscornu,
comme un dessin de poisson fait par Picasso. Il a ses deux yeux du même côté.
Si vous vouliez concevoir un poisson plat, vous ne le concevriez pas ainsi.
Vous lui donneriez une forme de soucoupe, comme une raie, qui est une variété de requin tout en étant un poisson plat.
Les ancêtres de la raie se sont progressivement aplatis
en râpant le sol de leur ventre, pas de l’un de leur côtés. C’est pour cela que les deux yeux sont tournés vers la surface de l’eau,
et que la tête de la raie n’est pas tordue.
Mais à cause d’un accident historique, les ancêtres du flétan,
et de la sole, et du carrelet, se sont tous mis à frôler les fonds marins sur l’un de leurs côtés,
et cela a causé cette torsion.
Voici un exemple de conception imparfaite,
qui est en cohérence absolue avec l’argument darwinien de l’évolution par sélection naturelle,
mais ce n’est pas le genre de choses que l’on s’attendrait à voir si ces créatures avaient été créées après avoir été conçues.
L’évolution commence avec des points de départ simples.
L’origine de l’évolution, c’est ce genre de choses.
Quelque chose comme un cristal, aussi simple qu’un cristal.
Cette simplicité se complexifie progressivement.
On commence avec une fondation simple, des éléments faciles à comprendre.
On n’a pas besoin de commencer avec quelque chose de complexe, comme un créateur.
Sur cette fondation simple s’élaborent des objets pseudo-conçus, par sélection naturelle.
Et quand on a des pseudo-conceptions aussi élaborées que le cerveau humain,
alors la véritable conception peut commencer.
D’ailleurs, pourquoi les hommes seraient-ils les seuls concepteurs?
N’est-il pas injuste de ne pas inclure les pots construits par les guêpes, les abeilles et les araignées dans cette entreprise de conception?
N’est-ce pas injuste à l’encontre des oiseaux qui construisent des murs de boue,
des guêpes vivant en colonie et qui construisent,
elles aussi, des ruches de terre?
Pourquoi ne pas utiliser le mot « conception » pour les constructions animales,
au lieu de le restreindre à l’homme?
La différence, c’est que les conceptions humaines
sont efficaces et fonctionnelles à la suite d’une projection consciente de l’esprit humain.
Les pots des guêpes et les nids des oiseaux sont efficaces et fonctionnels
parce que la sélection naturelle les a choisis rétrospectivement à leur construction.
Certains gènes sont sélectionnés, qui influencent les corps des oiseaux et des guêpes,
particulièrement le système nerveux, et qui actionnent des comportements constructeurs.
Les oiseaux et les guêpes ne savent pas pourquoi ils font ce qu’ils font.
La sélection naturelle favorise simplement ceux qui construisent de bons nids.
Les humains, au contraire, se projettent mentalement dans leurs conceptions - du moins, en général.
Il y a un ingénieur allemand, Ingo Rechenberg, qui conçoit des éoliennes,
et qui affirme qu’il les conçoit en suivant une sorte de sélection naturelle.
Il les place dans un courant d’air puissant et mesure leur efficacité;
et ensuite, comme il le dit, il « élève » ces éoliennes
qui tournent plus vite.
Les éoliennes ont des gènes - encore une fois, pas des vrais gènes,
mais elles possèdent des attributs numériques que l’on utilise pour faire évoluer une éolienne-mère.
A chaque nouvelle génération d’éolienne,
on développe celles qui sont les plus efficaces.
Après les avoir testées et développées à chaque génération,
on obtient une éolienne plus efficace, selon Rechenberg,
que les éoliennes développées par un processus classique de conception en ingénierie.
Mais on pourrait dire que toutes les conceptions humaines, même l’art, ont une composante darwinienne,
et je voudrais illustrer ce phénomène à l’aide d’un autre programme informatique nommé « Biomorphes ».
J’aurais besoin d’un volontaire… Ouh, là là… euh… Très bien. Toi, s’il te plaît.
Comment t’appelles-tu? [Enfant] Rachel.
[Richard Dawkins] Rachel. Rachel, tu as déjà utilisé une souris? [Rachel] Oui.
[Richard Dawkins] Très bien. Tu vois, là, il y a des biomorphes. Essaie de cliquer sur l’un d’entre eux.
Là, ce qu’elle est en train de faire, c’est guider l’évolution des biomorphes.
Les biomorphes sont contrôlés par des gènes,
exactement comme les arthromorphes et les toiles d’araignées,
et ils se développent par des mutations aléatoires,
mais l’évolution est guidée par l’œil humain.
Tout comme l’élevage de chiens ou la culture de choux.
Dans ce cas-ci, on essaie simplement de créer quelque chose de beau,
on choisit seulement les plus jolis.
Je pense qu’on pourrait imaginer un élevage de papier peint ou de carrelage de salles de bains, quelque chose comme ça.
Très bien, merci beaucoup, Rachel. (Applaudissements)
Mais quoi qu’il en soit, de toute façon, toute création, toute conception, toute machine,
toute maison, tout ordinateur, tout avion, tout ce qui est conçu et créé par l’être humain,
tout ce qui est fabriqué par d’autres créatures, est possible simplement
parce qu’il existe des cerveaux développés, pseudo-conçus,
et ces pseudo-conceptions proviennent seulement d’une évolution progressive.
La création, lorsqu’elle arrive dans l’univers, est toujours postérieure.
Quand la création est apparue sur cette planète, elle est apparue ***, et localement.
La création n’existe pas dans la fondation de l’univers.
La création, c’est quelque chose qui est venu, très ***, grandir dans l’univers.
Merci beaucoup. (Applaudissements) �