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Entre Quercy et Périgord, les
falaises portent sur leurs flans les traces des forces colossales de la nature, elles
sont les incroyables témoins des intenses activités géologiques des temps passés.
Une épaisse dalle de sédiments calcaires, déposés par la mer voici quelques centaines
de millions d'années, a d'abord constitué le socle de ces nombreux vallons. Puis les
anciennes mers et ensuite les rivières ont lentement érodé la roche, sculptant un paysage
au relief particulier, aux formes anarchiques et déchiquetées par le temps.
Depuis des millénaires, l'eau a accompli son œuvre dans les causses du Quercy.
La Dordogne, vestige des anciens océans, entaille aujourd'hui profondément le paysage,
circulant en fond de vallée, pareille à un gigantesque serpent.
Des gouffres et des grottes baillent monstrueusement au cœur même de ces paysages. Jadis, de
nombreuses cavités de la région ont été habitées par des peuples primitifs et un
rapport mystique, construit autour de symboles et de mystères, s'est souvent instauré entre
ces premiers hommes et les grottes.
En 1902, Armand Viré vint séjourner chez des amis dans le petit village de Lacave.
Il faisait alors parti des grands pionniers de la spéléologie, avec Edouard Alfred Martel
ou encore Louis Armand qui furent ses amis proches.
Dans les nombreux manuscrits retrouvés dans son bureau, Armand Viré relate son intérêt
grandissant pour le causse de Gramat. L'exploration souterraine du plateau était pour Armand
un rêve depuis longtemps caressé.
Il apprend durant son séjour à Lacave qu'il y aurait dans les bois voisins un gouffre,
appelé l'igue Saint Sol.Depuis toujours, le gouffre intrigue la population. Autour
de ce trou du diable circulent d'étranges légendes. Espérant le découvrir, Armand
s'aventure dans les bois.
Il marche longuement, à la recherche du passage tant convoité vers les ténèbres.
Enfin, il tombe sur un trou béant de 6 mètres de diamètre et de 80 mètres de profondeur,
prêt à engloutir le premier qui s'y risquerait. Un étrange pouvoir semble émaner du gouffre.
Armand se sent mystérieusement attiré vers les entrailles du monstre.
Installer des cordes et divers accessoires de sécurité fut l'affaire de quelques heures
et la périlleuse descente put commencer.
Alors ce fut l'éblouissement, le rêve, le vertige. Il découvrit un kilomètre de galeries
souterraines ornées par une profusion de stalagmites et de stalactites d'une éblouissante
blancheur. Après des heures d'exploration et émerveillé
par la découverte qu'il venait de faire, il se résolut, coûte que coûte, à offrir
un jour au public cet époustouflant spectacle.
Durant les semaines qui suivirent, il acheta tous les terrains avoisinants pour permettre
l'exploitation de leur sous-sol et son projet fou commença. Mais Armand ne pensait pas
qu'il était possible de faire visiter les galeries à partir du gouffre, la descente
s'avérant trop dangereuse.
Il entreprit des recherches et reconnut l'existence de plusieurs cavités ayant pu être reliées
à l'igue Saint Sol par le passé. Il eut alors l'idée folle de creuser dans
l'immense rocher un passage en direction du gouffre depuis l'une d'entre elles, la cavité
de Jouclas, située près du bourg de Lacave.
Le lieu était alors mis à disposition du service religieux paroissial pour des messes
le temps de la reconstruction de l'église en 1902 et 1903. Les cérémonies du culte
y prenaient un caractère grandiose, une majesté que le pittoresque du lieu accusait puissamment.
En avril 1904, les habitants du village ne furent pas peu surpris de voir une équipe
de trente mineurs commencer à nettoyer la salle. Armand y trouva des outils datant du
Solutré, environ 20 000 ans avant notre ère, preuves supplémentaires de l'habitat ancestral
qu'avaient pu être les grottes de la région. Après cette découverte, Armand et ses trente
hommes commencèrent depuis la cavité de Jouclas l'incroyable percée d'un tunnel à
travers la montagne en direction des galeries tant fantasmées.
C'est ainsi que pendant de longs mois, jour et nuit, la dynamite ouvrit les entrailles
de l'immense rocher... Jour et nuit, elle fit entendre sa voix puissante. Le causse
vomissait sans relâche ses entrailles d'argile et de pierre.
Enfin, au bout de 400m de parcours et 15 mois de travail acharné, le rocher s'ouvre et
les hommes se trouvent devant une couche de gros graviers surmontés de sable puis d'argile.
Ils sont sur une importante galerie naturelle. Mais pour y entrer, il faut traverser une
épaisseur inconnue d'argile molle et dangereuse, pouvant ensevelir à jamais les imprudents.
Pendant trois semaines, le travail se poursuit, aussi pénible que dangereux. Les hommes,
composant pourtant une équipe d'élite, ne cessent de se décourager. Certains quittent
même le chantier, prétextant que leurs efforts sont vains et que cette entreprise n'est que
pure folie. Et pourtant ils touchent au but. Armand le sait. Armand le sent. « Trois jours
! » disait Christophe Colomb, « trois jours ! Et je vous donne un monde ! »
Les villageois commencèrent alors à s'interroger sur le projet fou de cet homme. Qui est cet
inconnu défiant ainsi l'immuable falaise ? Quel incroyable trésor pourrait-il bien
trouver à l'issue du tunnel ?
Et soudain, le 27 mai 1905, le murmure de quelques gouttes d'eau au loin se fait entendre.
Dernière mèche allumée. La détonation retentit. Et Armand aperçoit un énorme trou
noir d'où émergent des scintillements étranges.
Armand réalisa alors qu'il s'était trompé dans ses calculs. Il découvrit une grotte
inconnue, un accès vers des galeries complètement vierges. La beauté de cette grotte scellée
depuis des milliers d'années était telle qu'il abandonna l'idée de rejoindre l'igue
St Sol.
Quelle fut alors, à cet instant, la sensation de cet homme, premier d'entre tous à fouler
ce territoire vierge? Qui n'a pas connu la fièvre de la découverte n'a pas encore vécu.
Instants inoubliables où le corps ne compte plus, devenant la machine locomotrice de l'esprit,
de l'imagination et des yeux. La Terra Incognita, éternelle quête du spéléologue,
s'offrait à Armand.
Celles que l'on baptiserait plus *** « les Grottes Merveilleuses de Lacave » étaient
découvertes.
A plus de 100 mètres de profondeur sous la colline, Armand découvre des kilomètres
de merveilles souterraines. D'impressionnantes concrétions, pareilles à des orgues, recouvrent
les parois.
Dans ce lieu propice à l'imaginaire, il rencontre d'étranges animaux tirés des contes et légendes:
un énorme crapaud semblant garder les lieux, un animal fabuleux tout droit sorti de la
mythologie ainsi qu'une effrayante araignée.
D'anciens séismes et divers affaissements ont laissé de nombreuses traces de la colère
de la terre. Dans d'immenses salles, d'incroyables rochers basculés, culbutés les uns contre
les autres, donnent l'impression grandiose d'un sublime chaos.
Dans ces décors lunaires, les parois révèlent par endroit d'étranges formes, sculptées
et modelées par l'érosion avec une patience de plusieurs millions d'années.
Plus loin, une gigantesque cascade pétrifiée impose le respect.
Armand aperçoit ensuite d'étranges concrétions, d'une incroyable finesse, ce sont les célèbres
fistuleuses; puis des myriades de stalactites et de stalagmites tapissant voûtes et parois.
Par endroit, le temps a permis à certaines de se rejoindre pour former de magnifiques
colonnes.
Quelques mètres plus bas, de curieux barrages naturels et d'immenses lacs souterrains procure
à Armand l'impression d'être sur une autre planète....
Des concrétions cristallisées surnommées «excentriques» scintillent de milles feux
dans une totale anarchie, certaines révélant même d'étranges couleurs ou des phosphorescences
magiques.
Dans cet autre monde, la perte des repères spatio-temporels est totale et les sens d'Armand
sont en plein paradoxe avec l'extérieur. L'air extrêmement chargé en humidité, l'odeur
de la caverne, les sons se répercutant dans les profondeurs, tout ce qui lui apparaissait
auparavant mineur et anodin semble prendre alors une toute autre ampleur. Les formes
sont primitives, primaires, il n'y a rien de bâti. A quelle époque pourrions nous
bien être?
A l'extérieur, Armand est prisonnier d'une certaine notion du temps mais dans la grotte,
le temps semble arrêté. Le lieu s'inscrit dans l'épaisseur-même du temps.
Ce passage du primitif au contemporain l'amène au plus profond de sa nature animale et peut-être
est-ce cette sensation indescriptible qu'il voulut faire partager au plus grand nombre
en décidant d'aménager la grotte.
Mais quelle force étrange a poussé cette homme toute sa vie dans cette quête de l'impossible
? Que cherchait-il vraiment dans les entrailles de la terre ?
La grotte est un de ces lieux qui rappelle à l'homme sa vulnérabilité et sa finitude.
Véritable œuvre d'art de la nature, elle lui permet une plongée dans les temps immémoriaux
ou plutôt sommes nous ici complètement hors du Temps ?
On y retrouve nos liens primitifs et oubliés à la terre, à la roche, aux origines du
monde. Loin de la société moderne, plus rien ne
paraît certain, plus rien ne paraît réel.
La grotte incarne la mort patente, béante, redoutée. Mais elle est aussi secrètement
désirée car objet d'interrogation, ailleurs absolu, associé au fantasme du retour matriciel,
au fantasme de la fusion finale de l'individu dans le tout.
Derrière l'apparente rudesse du rocher se cache une vérité originelle, une tendresse
maternelle supposée, le lien mystique à la Terre Mère.
Lieu empli de mystère suscitant à la fois notre attirance et nos peurs les plus ancestrales,
ne serait-ce pas un refuge auquel on aspire en secret ?
Si l'on s'y prête vraiment, la grotte nous permettrait-elle d'oublier notre soi de surface
pour y trouver un soi plus profond, plus primitif et plus authentique ? N'était ce pas là
l'ultime quête d'Armand ?
Cette passion folle aura raison de lui en 1949. Alors qu'il avait plus de 80ans, il
fut victime d'une chute lors de la remontée d'un gouffre en Dordogne. Armand ne se remit
jamais complètement de cet accident et décéda deux ans plus ***, victime de ses obsessions
intérieures.
Tel un sixième continent, le monde souterrain a constamment intrigué les hommes, tantôt
terrifié, tantôt fasciné selon les époques. On trouve en ces lieux d'incroyables peintures,
gravures et autres sculptures, fascinants témoignages d'une vie spirituelle où les
limites de l'art, de la magie et de la religion sont difficiles à discerner. Les grottes
favorisaient-elles les connexions avec les forces occultes ? Ont-elles pu influencer
les premiers hommes dans l'accès à l'expression artistique ?
La grotte ramène l'homme à son état premier, à un état intemporel, au chaos primordial
de la nature et à celui présent en chacun de nous.
Armand l'avait bien compris. Dans son silence même, la Grotte s'adresse
à Nous.