Tip:
Highlight text to annotate it
X
Il y avait une stratégie dans le fait de refuser ces hormones à Linda.
L'institution carcérale considère le détenu comme un manipulateur,
qui essaie toujours de prendre le dessus. Il ne faut surtout pas lui donner le contrôle.
Un tel raisonnement peut se comprendre jusqu'au jour où le détenu se traite lui-même.
Mais ce jour-là, on se rend à l'évidence !
Ce n'est pas si simple !
Je me suis assise avec ma lame de rasoir, sans anesthésie, sans désinfectant, rien.
Et j'ai tout coupé.
J'étais là, avec ma lame de rasoir, je coupais dans le tas.
Le gardien m'entend crier, il s'approche : "Linda, qu'est-ce que tu veux ?"
J'ai agité le paquet. Le temps qu'il ouvre, j'avais tiré la chasse dessus.
Cinq jours à l'hôpital, retour en prison.
Ils me refusent toujours les hormones.
J'ai coupé aussi court que possible.
Voilà le résultat. C'est tout ce qui reste.
Les médecins m'ont dit qu'à un centimètre près j'étais bonne pour la poche urinaire à vie.
Tout ce que je regrette, c'est de ne pas l'avoir fait trente ans plus tôt !
Quand j'ai coupé cette chose, j'ai senti cent mille tonnes de haine et de dégoût
que j'avais envers moi-même, et qu'on retirait de mes épaules.
J'aurais pu m'envoler tellement je me sentais légère, heureuse.
Pour la première fois de ma vie, je m'aimais.
Le matin, en me voyant dans le miroir, je me disais : Linda, je t'aime !
C'était un sentiment merveilleux.
Linda s'était fait du mal autant que possible.
Elle a trouvé la volonté de porter plainte contre ceux qui l'y avaient contrainte.
C'est ainsi que l'affaire se retrouva devant le tribunal pour la première fois.
Linda remporta son procès contre l'institution carcérale de l'Idaho.
Elle fut transférée dans un centre médical où elle bénéficia d'un suivi psychologique
et d'une thérapie d'hormones féminines.
Et finalement, son exigence principale fut la mise en place d'un protocole officiel.
Et qu'il soit rendu public.
Il existe un protocole médical officiel pour les transsexuelles d'Idaho, maintenant.
Toute fille incarcérée là-bas en est aujourd'hui informée.
Ce qui compte pour le contribuable, ce qu'il devrait garder à l'esprit,
c'est que pour peut-être 20 dollars par mois,
il aurait pu financer une thérapie hormonale classique pour Linda.
Au lieu de cela, nous, les contribuables, lui avons payé deux visites hors de prix
aux urgences.
Je crois que les responsables de la prison avaient peur de créer un précédent.
"Si on cède au caprice d'un prisonnier, on perd le contrôle."
"Aucun caprice toléré."
Ils se justifient ainsi : "Donnez-lui ses hormones, et elle réclamera d'être opérée."
"Donc pas d'hormones."
Ce n'est pas le problème.
Le problème, c'est que le système carcéral puisse nier l'existence d'un groupe social
pour lui refuser un traitement.
Plusieurs détenues ont porté devant la Cour leur demande d'opération de changement de sexe.
En 1999, une Canadienne a créé un précédent international en faisant valoir ce droit.
Elle a dû financer elle-même l'opération.
Des gens de loi m'ont dit que c'était une cause perdue, que je n'avais aucune chance
parce que la Virginie est un Etat conservateur.
Ophelia gagna son procès, et se vit prescrire des hormones féminines, en tant que traitement
pour un trouble de l'identité de genre.
Ce jugement impose à l'institution carcérale l'obligation de réviser sa politique médicale.
"La prise en charge des détenus souffrant de trouble de l'identité de genre sera assurée
par des médecins habilités au diagnostic et au traitement du trouble d'identité de genre."
Pour elle, ça comptait beaucoup et ce fut salvateur.
Cette fois, ma peine de prison avait un sens, je pouvais me dire qu'elle avait eu un but.
Car désormais, toutes les transsexuelles ont le droit de recevoir leur traitement.
Elles n'auront pas à en passer par les souffrances que j'ai connues.
C'est ce qui m'a motivée à m'accrocher, et mes efforts ont porté leurs fruits.
Je suis sortie le 21 septembre 2004.
J'avais rêvé de retrouver les grands espaces pendant mes sept années d'incarcération.
Expérimentée dans le forage pétrolier, Linda est venue chercher du travail dans le Wyoming.
Ils m'ont prise à l'essai une semaine, pour me remplacer par un gamin sans expérience.
Et j'ai appelé les chantiers des environs, il y en a des centaines dans le coin.
Dès que je donne mon prénom, ils raccrochent.
Linda a passé l'hiver 2004 à la rue, à Rock Springs, dans le Wyoming.
Il gelait, les températures sont descendures jusqu'à - 25 degrés.
Alors je venais ici, je me faisais un café dans ce coin, je grignotais un donut...
Je faisais les poubelles. Et je passais la nuit ici, dans ma petite cabane.
Comment ça va aujourd'hui ? - Pas trop mal, et vous ?
Je vous ai acheté un petit collier hier, vous voyez, et le clip ne fonctionne pas.
Je vais regarder.
Je vous en ai trouvé un autre.
Victoire !
Je quitte le secteur. Demain, je serai à Los Angeles.
J'espère y être avant demain soir.
Je trouverai un chauffeur le long de la route, je paierai le trajet en couchant avec lui.
Je vais à Los Angeles pour me prostituer.
Le Wyoming m'a mise sur la liste noire des sites de forage.
A 47 ans, me voilà contrainte à la prostitution.
Six semaines plus ***
Je suis trop féminine pour les chantiers, et trop masculine pour faire le trottoir.
Linda quitte Los Angeles.
Elle est arrêtée à Washington pour avoir volé du fil de cuivre.
Je suis une femme enfermée parmi les hommes.
J'ai des seins, je prends des hormones, je n'ai pas d'organes mâles, mon nom légal est féminin.
Je ne suis d'aucun danger pour les femmes, je devrais être dans une prison de femmes.
Les documents seront rédigés et transmis dès que possible,
afin que les autorités compétentes appliquent la décision de la Cour.
Cinq mois après l'audience, Yolanda n'a toujours pas été libérée.
Si ce message vous parvient, si vous pouvez alerter les services sociaux par quelque moyen
ou demander aux autorités à quelle date je serai relâchée,
je vous en prie, faites-le, car je suis très impatiente de pouvoir rentrer chez moi.
J'espère que c'est pour bientôt. Merci, au revoir.
Quand j'ai pu quitter la prison du comté,
j'étais euphorique d'emprunter le trajet qui menait vers la liberté.
Oh mon Dieu ! C'était presque irréel. J'y ai vécu tellement longtemps !
Les barres, les portes, les cellules... Dans la rue, vous sentez que vous êtes libre.
Je rêve d'une belle maison comme celle-là.
Vous voyez toutes ces belles maisons ?
C'est agréable, cette paix. C'est ce que je veux à l'avenir.
On savait qu'elle n'avait nulle part où aller, et on vient d'avoir un appartement plus grand.
On n'avait qu'une chambre, mais juste avant sa sortie, on a pris ce studio avec deux chambres.
Mes amis m'ont accueillie chez eux quand je suis sortie de prison.
Ils m'ont permis d'habiter chez eux pour avoir une vie plus constructive.
On a pris cette décision, mais croyez-moi, ce n'était pas facile. Je veux être là pour elle,
mais ce n'est pas facile.
Elle a des rêves : elle veut devenir mannequin et s'installer dans son propre appartement.
Etre acceptée, et considérée comme une femme.
Pour ça, il faut qu'elle s'organise, qu'elle travaille, qu'elle subvienne à ses besoins !
Il faut commencer par le début, ça ne se fera pas tout seul.
Voilà le coin de trottoir que j'occupais.
Tout ce quartier, toute cette zone, c'est là que j'ai travaillé à partir de 13 ou 14 ans.
C'est là que j'ai travaillé, vous comprenez.
J'ai des flashbacks du temps que j'ai passé dehors, dans ce quartier.
Je risquais ma vie. J'allais sur ces parkings,
et je menais cette vie que je ne méritais pas.
Certains hommes ne se doutaient pas... Certains le savaient, certains l'ignoraient.
Certains s'en moquaient, et certains préféraient ne pas le savoir.
Monte dans la voiture, prends tes 50 dollars, tes 60 dollars, taille-moi une pipe et va-t-en.
J'ai essayé de toutes mes forces d'échapper à la prostitution.
C'est difficile, car on a toujours besoin d'argent, de jolies choses pour se faire belle.
Quelle belle journée, j'adore ma vie maintenant !
Passe une bonne journée ! Très jolie, ta jupe !
Je veux devenir mannequin, et faire des choses qui ne me gênent pas, vous comprenez ?
Je veux essayer d'écrire un livre.
Ce n'est pas un bon mode de vie, la prostitution.
Je dois me trouver un type bien, vous voyez ?
Ces gars-là ne sont pas assez bien pour moi.
Quelques mois plus ***, ses amis demandent à Yolanda de quitter leur appartement.
Je ne suis plus consignée à domicile, et je suis partie de chez Patti.
J'ai emménagé dans mon nouveau chez-moi.
J'ai retrouvé un bon travail,
et je sors pour renouer le lien social.
En octobre 2004, Anna a reparlé à son fils Jacob.
Je roulais sur l'autoroute, mon portable a sonné et j'ai vu son numéro s'afficher.
Je l'ai rappelé, je suis allée me garer sur le parking d'un grand magasin...
Et je suis restée là à lui parler pendant deux heures, jusqu'à ce que la batterie lâche.
C'était génial, vraiment génial.
Puis on a commencé à échanger des e-mails.
Et il va venir ici pour me voir.
Mon Dieu, comment décrire ce sentiment ? Une grande partie de moi-même était manquante.
Et c'est comme si je retrouvais cette partie de moi que j'avais perdue.
Linda ressort de prison.
Je suis retournée en prison, j'avais volé du fil de cuivre.
Je ne pouvais plus acheter mon traitement, alors je retombais dans les idées suicidaires.
Je me suis fait prendre volontairement, pour pouvoir retourner en prison.
Comme ça, j'ai pu reprendre mon traitement.
J'ai fait neuf mois, et me voilà.
Je traîne ce corps d'un mètre 90 pour cent kilos : j'ai l'air d'un mec.
Même en me tartinant de maquillage, j'ai toujours l'air d'un mec, et cette grosse voix.
On peut la changer ? Désolée, j'ai beau avoir essayé, j'ai beau en rêver, ça n'arrivera pas.