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[la musique joue]
[NARRATEUR:] Après quatre dures années de collecte des animaux
dans la jungle amazonienne,
Alfred Russel Wallace est enfin prêt à retourner en Angleterre.
[l’océan fait du bruit]
[un oiseau crie]
Il est accompagné des récompenses d’un long voyage :
des milliers de spécimens à vendre aux musées et collectionneurs.
Épuisé par ses voyages, Wallace espère retrouver
le confort du foyer.
[des oiseaux crient]
[le feu crépite]
[CAPITAINE:] J’ai bien peur qu’il y ait un incendie à bord.
[la musique joue]
[NARRATEUR:] Chacun des spécimens de Wallace est détruit.
Ses archives précieuses des animaux qui vivent en
Amérique du Sud sont aussi perdues.
Ces notes contiennent des indications de la réponse
à la question sur laquelle Wallace avait tout misé.
C’était le plus grand mystère scientifique de l’époque:
d’où viennent les espèces?
Mais Wallace a maintenant une inquiétude plus urgente.
Survivre.
Ses mains saignent après avoir glissé d’une corde.
Son canot de sauvetage a des fuites.
Les naufragés ont peu d’eau ou de nourriture à 1100 km
du plus proche rivage.
Wallace jure que, s’il survit,
il n’ira plus jamais en mer.
C’est le récit de la recherche de l’origine des espèces
et des aventures épiques
des deux explorateurs qui ont trouvé la réponse.
[CARROLL:] Alfred Wallace aurait pu éviter ce problème si
quelqu’un d’autre n’avait pas gardé de secret.
Un autre naturaliste anglais avait déjà répondu à
la question de l’origine des espèces plusieurs années avant.
Mais il avait osé partager ses idées seulement
avec quelques amis fidèles.
[NARRATEUR:] Charles Darwin était parti
pour son voyage vingt années avant le naufrage de Wallace.
C’était un révolutionnaire improbable.
À l’époque la plupart des scientifiques pensaient que
chaque espèce avait été spécialement créée par Dieu
dans sa forme présente et immuable,
sans être le résultat de lois naturelles ni pouvoir changer.
À 22 ans, Darwin croyait aussi dans la Création spéciale.
Il prévoyait même de devenir pasteur.
Mais il reçut une offre surprenante.
Darwin saisit l’opportunité de faire le tour du monde
sur un vaisseau de la marine anglaise, le Beagle.
[CARROLL:] L’offre était due
à son pedigree plutôt qu’à son CV.
Darwin fournissait au capitaine l’allègre compagnie des élites,
chose appréciée puisque le capitaine précédent
du Beagle avait été démoralisé
et s’était suicidé.
Que pouvait gagner Darwin ?
Il était un naturaliste amateur passionné.
Et il pouvait avoir la chance de recueillir animaux, plantes
et roches du monde entier.
Au début du voyage, il avait examiné du plancton
avec son microscope de pointe, instrument que seul le fils
d’une riche famille pouvait acheter.
Darwin en fut perplexe.
Pourquoi tant de beauté au milieu de l’océan
où personne ne pouvait l’apprécier ?
Pourquoi ces formes avaient été créées sans but apparent ?
Mais pour chaque minute de joie ou de découverte,
Darwin éprouvait beaucoup de souffrance.
Il avait souvent le mal de mer.
Pas seulement mal à l’aise, mais malade comme un chien.
Il payait le prix fort pour son aventure.
La curiosité de Darwin n’était pas limitée à la science.
Sur la côte d’Argentine, il avait goûté un délice :
du tatou rôti.
Il pensait qu’il avait le goût du canard.
Peu après ce barbecue,
Darwin trouva un fossile intéressant.
C’était une petite partie
d’un animal appelé glyptodon qui avait disparu.
C’était une partie de sa carapace de protection.
Darwin avait vu une carapace osseuse similaire sur
le tatou qu’il avait mangé.
Mais ce fossile provenait d’un géant.
L’animal qu’il avait découvert aurait pu nourrir mille hommes.
[CARROLL:] Darwin découvrit plusieurs autres fossiles aux alentours,
y compris des paresseux terrestres comme celui-ci.
Ils étaient tous énormes comparés aux espèces vivantes.
Darwin voulait examiner la relation géologique
entre les espèces éteintes et les vivantes.
[NARRATEUR:] Darwin ne savait pas pourquoi les fossiles d’animaux éteints
se trouvent là où des animaux semblables vivent aujourd’hui.
Après presque 4 années en mer--
deux fois plus que prévu-- le Beagle arriva dans une
lointaine colonie espagnole : les Galápagos.
La plupart des naturalistes auraient été enchantés
d’explorer ces îles.
Quand Darwin est arrivé, il était surtout épuisé.
Il pensa que, si l’enfer avait un jardin,
cela y ressemblerait.
Les roches volcaniques noires semblaient cuites au four.
Les plantes puaient.
Il ne vit aucune jolie fleur.
[CARROLL:] Le Darwin qui était venu n’était pas le grand théoricien
bien connu d’aujourd’hui.
C’était un collecteur de 26 ans qui recueillait
vraiment au hasard.
Tous les types de plantes, d’animaux, de roches.
Il apprit beaucoup plus *** la
signification de ce qu’il collectait.
[NARRATEUR:] Il pensait que les iguanes de mer de l’île semblaient
« stupides » et « hideuses ».
Mais il a bien aimé un autre reptile des Galápagos --
les tortues.
Il est même monté sur l’une d’elles.
[CARROLL:] Quel animal magnifique.
[CARROLL:] Lorsque Darwin était aux Galápagos, il reçut
une information importante.
Les Espagnols lui dirent qu’ils pouvaient savoir
de quelle île venait la tortue,
simplement par la forme de sa carapace.
[NARRATEUR:] Pourquoi les tortues des îles
voisines sont si différentes les unes des autres ?
Les moqueurs des îles ont aussi saisi l’attention de Darwin.
Il s’est concentré sur leurs différences subtiles.
Un type de moqueur avait des taches sur son torse.
Un autre avait une large marque sombre sous chaque œil.
Un troisième avait un torse entièrement blanc.
Darwin fut stupéfait de réaliser que,
comme pour les tortues, chaque type de moqueur
vivait sur une île différente.
[CARROLL:] Et bien qu’il n’y soit resté que cinq semaines
d’un voyage de cinq ans, c’est ce qu’il vit là
au cours de ces cinq semaines qui a le plus impressionné
Darwin et qui l’a conduit à ses plus importantes idées.
[NARRATEUR:] Après des étapes en Australie
et en Afrique--et lorsque le
Beagle rentrait en Angleterre--
Darwin eut le temps de penser à ce qu’il avait vu.
Dans sa cabine, il s’interrogea sur les animaux des Galápagos.
It était remarquable que des êtres similaires mais distincts
vivent sur des îles si proches.
Comment expliquer cela ?
Selon la Création spéciale,
Dieu avait créé une espèce différente sur chaque île.
Mais Darwin pensa à une autre possibilité.
Peut-être une espèce avait pu venir du continent, mais
avait changé différemment sur des îles différentes.
Les animaux des Galápagos suscitèrent une idée radicale :
Les espèces pourraient changer.
[NARRATEUR:] Après le retour de Darwin en Angleterre,
il commença à penser à tout ce qu’il avait vu
pendant le voyage de cinq ans.
[CARROLL:] Et il pensa à la géologie,
aux fossiles, aux animaux qu’il avait vus.
Il appela ce processus une émeute mentale,
en laissant toutes les pensées lui venir à l’esprit,
jusqu’à ce que finalement il ait sa grande idée.
[NARRATEUR:] Émeute est le mot juste :
ses idées violaient l’ordre établi.
La meilleure explication de ce que Darwin vit aux Galápagos
était : les espèces changent en de nouvelles espèces.
Au cours du temps, un type
de moqueur s’est transformé en trois types.
Les formes différentes des tortues se sont multipliées.
[CARROLL:] Et que signifiait le fait que les tatous et les
paresseux vivaient aujourd’hui
là où des versions géantes éteintes vivaient avant ?
[NARRATOR:] Peut-être, pensa Darwin, les espèces
d’aujourd’hui descendent des types éteints plus anciens.
Dans ce cas, toutes les espèces sont connectées l’une à l’autre
dans un arbre généalogique.
L’esquisse de Darwin, simple et
grossière, montre une nouvelle image radicale de la vie.
Les espèces naissent d’autres espèces légèrement différentes.
Après des générations, les espèces qui sont nées
donnent à leur tour naissance.
L’idée radicale de Darwin est que les espèces descendent
d’autres espèces, comme les enfants descendent
naturellement des parents.
Il y a un mot pour décrire cette façon de penser...
Hérésie.
[CARROLL:] L’origine des espèces est donc naturelle, et non pas divine.
Une idée révolutionnaire qui renversa la Création spéciale.
Elle était contraire à l’enseignement de l’église
et à ce que croyaient la plupart des Européens,
y compris la plupart des scientifiques.
Darwin, encore jeune, ne peut pas révéler sa grande idée.
Il serait attaqué et ruiné.
[NARRATEUR:] De nombreuses années plus ***, le récit populaire du voyage
de Darwin est un grand succès.
Il a publié six livres,
il est devenu le plus célèbre naturaliste d’Angleterre.
Mais il ne divulgue toujours pas sa plus grande idée.
Darwin recueillait toujours des preuves pour sa théorie
lorsqu’il rencontra dans un musée un jeune homme sérieux.
[WALLACE:] J’ai lu votre livre,
Voyage du Beagle.
Il est excellent, inspirant.
Merci beaucoup.
[NARRATEUR:] Wallace avait survécu à son épreuve en mer.
Après 10 jours misérables dans le canot de sauvetage,
il fut secouru par un navire qui passait.
[WALLACE:] ...à mes notes avant de partir.
[DARWIN:] Très bien, excellent !
[NARRATEUR:] Wallace et Darwin se voient pour la première fois.
Les deux explorateurs partagent la passion de la nature mais
leur situation est différente.
[WALLACE:] Je vais visiter
l’archipel malais pour faire de la recherche.
[DARWIN:] Oh, excellent!
[NARRATEUR:] Wallace est célibataire.
La collecte est son travail.
Et il n’est pas encore connu.
[DARWIN:] Je n’y suis jamais allé.
Vous êtes collecteur ?
Que...
[NARRATEUR:] Darwin est marié et a des enfants.
Une bonne situation financière
et une réputation scientifique à protéger.
Wallace est aussi ouvert que Darwin est opaque sur son intérêt
dans l’origine des espèces.
Darwin ne sait pas que
ce jeune homme va bientôt lui forcer la main.
[WALLACE:] Je pourrais vous envoyer des spécimens si vous voulez.
[DARWIN:] Oh, oui, merci beaucoup.
Mais pas de cloportes SVP.
Je viens de finir un livre sur les cloportes qui...
[NARRATEUR:] Et Wallace ne sait pas
que Darwin l’a déjà percé à jour.
[DARWIN:] Avez-vous écrit quelque chose ?
Pensant que la question de l’origine des espèces
attend toujours une réponse,
et bien qu’il ait presque perdu sa vie en mer,
Wallace part pour un nouveau voyage.
Dans la région entre le Pacifique et l’océan Indien
se trouve l’archipel malais.
Pendant huit ans, il recueille et étudie les animaux
en sautant d’île en île dans un périple de 22 000 km.
[bruits d’animaux]
Wallace est fasciné par les papillons.
Son groupe favori est le genre « Troides »
avec des ailes en forme d’oiseau et une grande taille.
Ils coûtent cher à cause de leurs couleurs vives.
[la musique joue]
Il trouve ces papillons dans tout l’archipel.
Il identifie de nouvelles espèces, un peu différentes
de celles des îles voisines.
Les papillons malais suggèrent à
Wallace ce que les animaux des Galápagos ont révélé
à Darwin : les espèces changent.
Mais Wallace lui aussi veut comprendre le tableau général.
Ayant exploré les jungles de part et d’autre du globe,
il peut comparer où vivent des groupes d’animaux différents
et se demander pourquoi ils s’y trouvent.
De collecteur, Wallace devient théoricien.
On trouve le Troides près d’autres espèces de Troides
dans l’archipel malais.
De l’autre côté du globe en Amazonie vivent des familles
différentes de papillons.
Les familles d’oiseaux aussi se groupent géographiquement.
Les cacatoès vivent seulement dans l’archipel malais et en Australie.
Mais les aras et colibris habitent en Amérique.
Dans le monde, plus les espèces sont semblables, plus elles ont
tendance à vivre dans des zones voisines.
Pourquoi ?
Wallace formule une nouvelle loi de la nature,
sur le lieu où naissent les nouvelles espèces.
Elles n’apparaissent pas au hasard.
Elles naissent près des espèces similaires.
Il réalise la profonde implication selon laquelle
les espèces sont connectées les unes aux autres...
comme les branches d’un arbre.
Tout seul, Wallace découvre
l’arbre de la vie de Darwin, toujours secret.
Wallace découvre d’autres preuves que toutes les espèces
sont apparentées en étudiant des créatures intrigantes.
Les lamantins sont des mammifères de la mer,
mais ils ont des os de doigts à l’intérieur de leurs nageoires.
Les nageoires des baleines ont des os similaires, inutiles.
Si Dieu avait créé ces animaux tels quels,
n’aurait-il pas omis les doigts ?
Des imperfections comme ces structures ancestrales prouvent
que chaque espèce est une forme modifiée d’une
espèce plus ancienne.
En faisant des va-et-vient dans l’archipel malais,
Wallace recueille des preuves cruciales pour sa loi.
À Bornéo, il voit des singes et des orangs outans.
Mais ailleurs dans l’archipel --en Nouvelle-Guinée--
les mammifères sont tout à fait différents.
Pas de singe ici.
Mais dans les arbres il y a des « kangourous arboricoles » :
marsupiaux dont les jeunes grandissent dans des poches.
D’île en île, Wallace note lequel des deux groupes de
mammifères y vit : avec poches ou sans poche.
À l’Est les animaux ressemblent à ceux d’Australie.
À l’Ouest ils ressemblent à ceux d’Asie.
Comme si une ligne divisait l’archipel en deux.
On l’appellera la « Ligne de Wallace ».
[CARROLL:] Pourquoi Dieu tracerait-il une division à travers ces îles
en plaçant les singes dans les arbres d’un côté et les
kangourous dans les arbres de l’autre ?
C’est aberrant.
La Création spéciale ne pouvait pas expliquer la ligne
mais la loi de Wallace le pouvait : les espèces
proviennent d’espèces voisines préexistantes.
[NARRATEUR:] Les îles orientales de l’archipel malais,
postula Wallace, étaient jadis connectées par la terre
à la Nouvelle-Guinée et l’Australie.
Aussi les animaux tels que les kangourous ont pu s’y rendre.
Les îles de l’Ouest ne furent jamais connectées à celles de
l’Ouest mais elles furent connectées à l’Asie.
L’Ouest a donc des mammifères différents--
avec des placentas plutôt que des poches.
[CARROLL:] C’est l’histoire de la planète--
et non pas la création spéciale--
qui explique la répartition des espèces.
[NARRATEUR:] À l’époque de Wallace, les géologues comprenaient que
les processus naturels tels que le volcanisme et l’érosion
pouvaient changer la forme des îles et des continents.
Mais les espèces ?
Comment changent-elles ?
Ce fut la question suivante de Wallace.
Un collecteur qui fait très attention aux détails
pour choisir ses spécimens et les vendre à ses clients.
Il sait que parmi les êtres vivants, depuis les papillons
jusqu’aux escargots, les individus d’une espèce donnée
varient en général dans certains petits détails.
Mais quel est le rapport entre cette variation et
la façon dont les espèces changent ?
[la pluie tombe]
Wallace découvre la réponse alors qu’il souffre d’une
grande fièvre. Il a dû penser
à la forte probabilité qu’il allait mourir.
Se souvenant de l’économiste anglais Thomas Malthus,
qui avait noté que les populations humaines sont
contenues par la famine, la maladie et la mort,
Wallace réalisa que c’était bien plus vrai dans la nature.
Sans la mort, toute espèce envahirait vite la Terre.
Mais les populations animales ont tendance à être constantes,
car beaucoup de jeunes meurent à chaque génération.
Deux faits sont alors regroupés :
le grand nombre de morts et les variations.
Wallace comprend alors comment les espèces pourraient changer.
Les individus qui ont des variations leur donnant
un avantage, même minime, survivront, se reproduiront
et à la longue seront plus nombreux que les autres.
C’est une idée tout à fait nouvelle de la nature--
une compétition intense, voire violente.
Wallace pense avoir une nouvelle idée importante
mais il veut une seconde opinion avant de la publier.
Il sait bien à qui adresser la question,
à des milliers de kilomètres de là, en Angleterre.
[SERVANTE:] Excusez-moi, Monsieur, ceci vient d’arriver pour vous.
[DARWIN:] Oui, merci.
[NARRATEUR:] Darwin est choqué.
La lettre de Wallace est un excellent résumé de sa théorie
du changement des espèces
(qu’il appelle « sélection naturelle »).
Comment cela est-il possible ?
[CARROLL:] Les deux hommes avaient observé des espèces légèrement
différentes sur des îles voisines et avaient conclu que
ces espèces pouvaient changer à la longue.
Tous deux avaient recueilli un grand nombre de spécimens et
réalisé que les individus d’une espèce varient.
Et tous deux avaient observé la nature de près
et réalisé que c’était un champ de bataille
avec un très grand nombre de morts.
Même type de faits, même explication.
Les grands esprits se rencontrent.
[NARRATEUR:] Darwin se demande alors s’il va perdre tout le crédit
pour son idée originale.
[CARROLL:] Darwin remit le manuscrit de Wallace
à deux collègues fiables qui connaissaient
les idées de Darwin sur la sélection naturelle.
Ils décidèrent que le manuscrit de Wallace et des
extraits de Darwin devraient être lus ensemble
à Londres le même jour.
L’objet était de partager les crédits,
bien que tout le monde, y compris Wallace,
convienne que Darwin avait été le premier.
[NARRATEUR:] Darwin publia son compte-rendu magistral complet
en 1859.
De l’origine des espèces est devenu l’un
des livres les plus influents jamais publiés.
Il fit sensation immédiate
et signala la naissance de la biologie moderne.
Wallace écrivit finalement un livre sur l’évolution.
Il lui donna le titre de Darwinisme.
Darwin et Wallace, sans se faire concurrence, exposèrent
une nouvelle vision de la vie poussée par la compétition.
Ils devinrent de grands amis, liés par leur idée commune et
durement acquise de la façon dont l’évolution a formé
le monde vivant.