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CHAPITRE I
L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE
L'attention des archéologues qui ont visité l'Égypte
a été si fortement attirée par les temples et par les
tombeaux que nul d'entre eux ne s'est attaché à relever
avec soin ce qui reste des habitations privées et des
constructions militaires. Peu de pays pourtant ont conservé
autant de débris de leur architecture civile. Sans
parler des villes d'époque romaine ou byzantine, qui
survivent presque intactes à Kouft, à Kom-Ombo, à
El-Agandiyéh, une moitié an moins de la Thèbes antique
subsiste à l'est et an sud de Karnak. L'emplacement
de Memphis est semé de buttes qui atteignent 15
et 20 mètres de hauteur, et dont le noyau est formé par
des maisons en bon état. A Tell-el-Maskhoutah, les
greniers de Pithom sont encore debout; à Sân, à Tell-Basta,
la cité saïte et ptolémaïque renferme des quartiers
dont on pourrait lever le plan. Je ne parle ici que
des plus connues; mais combien de localités échappent
à la curiosité des voyageurs, où l'on rencontre des
ruines d'habitations privées remontant à l'époque des
Ramessides, et plus haut peut-être! Quant aux forteresses,
le seul village d'Abydos n'en a-t-il pas deux,
dont une est au moins contemporaine de la VIe dynastie?
Les remparts d'El-Kab, de Kom-el-Ahmar,
d'El-Hibèh, de Dakkèh, même une partie de ceux de
Thèbes, sont debout et attendent l'architecte qui daignera
les étudier sérieusement.
l.--LES MAISONS.
Le sol de l'Égypte, lavé sans cesse par l'inondation,
est un limon noir, compact, homogène, qui acquiert en
se séchant la dureté de la pierre: les fellahs l'ont employé
de tout temps à construire leur maison. Chez les
plus pauvres, ce n'est guère qu'un amas de terre façonné
grossièrement. On entoure un espace rectangulaire,
de 2 ou 3 mètres de large sur 4 ou 5 de long, d'un
clayonnage en nervures de palmier, qu'on enduit intérieurement
et extérieurement d'une couche de limon;
comme ce pisé se crevasse en perdant son eau, on
bouche les fissures et on étend des couches nouvelles,
jusqu'à ce que l'ensemble ait de 10 à 30 centimètres
d'épaisseur, puis on étend au-dessus de la chambre
d'autres nervures de palmier mêlées de paille, et on
recouvre le tout d'un lit mince de terre battue. La hauteur
est variable: le plus souvent, le plafond est très
bas, et on ne doit pas se lever trop brusquement de peur
de le défoncer d'un coup de tête; ailleurs, il est à 2 mètres
du sol ou même plus. Aucune fenêtre, aucune
lucarne où pénètrent l'air et la lumière; parfois un
trou, pratiqué au milieu du plafond, laisse sortir la fumée
du foyer; mais c'est là un raffinement que tout le
monde ne connaît pas.
Il n'est pas toujours facile de distinguer au premier
coup d'oeil celles de ces cabanes qui sont en pisé et
celles qui sont en briques crues. La brique égyptienne
commune n'est guère que le limon, mêlé avec un peu
de sable et de paille hachée, puis façonné en tablettes
oblongues et durci au soleil. Un premier manoeuvre
piochait vigoureusement à l'endroit où l'on voulait
bâtir; d'autres emportaient les mottes et les accumulaient
en tas, tandis que d'autres les pétrissaient avec les
pieds et les réduisaient en masse homogène. La pâte
suffisamment triturée, le maître ouvrier la coulait dans
des moules en bois dur, qu'un aide emportait et s'en
allait décharger sur l'aire à sécher, où il les rangeait en
damier, à petite distance l'une de l'autre (Fig.1). Les
entrepreneurs soigneux les laissent au soleil une demi-journée
ou même une journée entière, puis les disposent
en monceaux de manière que l'air circule librement, et
ne les emploient qu'au bout d'une semaine ou deux;
les autres se contentent de quelques heures d'exposition
au soleil et s'en servent humides encore. Malgré
cette négligence, le
limon est tellement tenace qu'il ne
perd pas aisément sa forme: la face tournée an dehors
a beau se désagréger sous les influences atmosphériques,
si l'on pénètre dans le mur même, on trouve la
plupart des briques intactes et séparables les unes des
autres. Un bon ouvrier moderne en moule un millier
par jour sans se fatiguer; après une semaine d'entraînement,
il peut monter à 1,200, à 1,500, voire à 1,800.
Les ouvriers anciens, dont l'outillage ne différait pas
de l'outillage actuel, devaient obtenir des résultats aussi
satisfaisants. Le module qu'ils adoptaient généralement
est de 0m,22, × 0m,11, × 0m,14 pour les briques de taille
moyenne, 0m,38, × 0m,18, × 0m,14 pour les briques de
grande taille; mais on rencontre assez souvent dans les
ruines des modules moindres ou plus forts. La brique
des ateliers royaux était frappée quelquefois aux cartouches
du souverain régnant; celle des usines privées
a sur le plat un ou plusieurs signes conventionnels
tracés à l'encre rouge, l'empreinte des doigts du
mouleur, le cachet d'un fabricant. Le plus grand nombre
n'a point de marque qui les distingue. La brique cuite
n'a pas été souvent employée avant l'époque romaine,
non plus que la tuile plate ou arrondie. La brique émaillée
paraît avoir été à la mode dans le Delta. Le plus
beau spécimen que j'en aie vu, celui qui est conservé
au musée de Boulaq, porte à l'encre noire les noms de
Ramsès III; l'émail en est vert, mais d'autres fragments
sont colorés en bleu, en rouge, en jaune ou en blanc.
La nature du sol ne permet pas de descendre beaucoup
les fondations: c'est d'abord une couche de terre
rapportée, qui n'a d'épaisseur que sur l'emplacement des
grandes villes, puis un humus fort
dense, coupé de minces veines de sable, puis, à partir du niveau des
infiltrations, des boues plus ou moins liquides, selon
la saison. Aujourd'hui, les maçons indigènes se contentent
d'écarter les terres rapportées et jettent les fondations
dès qu'ils touchent le sol vierge; si celui-ci est
trop loin, ils s'arrêtent à un mètre environ de la surface.
Les vieux Égyptiens en agissaient de même:
je n'ai rencontré aucune maison antique dont les fondations
fussent à plus de 1m,20, encore une pareille
profondeur est-elle l'exception, et n'a-t-on pas dépassé
0m,60 dans la plupart des cas. Souvent, on ne se fatiguait
pas à creuser des tranchées: on nivelait l'aire
à couvrir, et, probablement après l'avoir arrosée largement
pour augmenter la consistance du terrain, on
posait les premières briques à même. La maison terminée,
les déchets de mortier, les briques cassées, tous les rebuts du travail
accumulés formaient une couche
de 20 à 30 centimètres: la partie du mur enterrée
de la sorte tenait lieu de fondations. Quand la maison
à bâtir devait s'élever sur l'emplacement d'une
maison antérieure, écroulée de vétusté ou détruite par
un accident quelconque, on ne prenait pas la peine
d'abattre les murs jusqu'au ras de terre. On égalisait la
surface des décombres et on construisait à quelques pieds
plus haut que précédemment: aussi chaque ville est-elle
assise sur une ou plusieurs buttes artificielles, dont les
sommets dominent parfois de 20 ou 30 mètres la campagne
environnante. Les historiens grecs attribuaient
ce phénomène d'exhaussement à la sagesse des rois, de
Sésostris en particulier, qui avaient voulu mettre les
cités à l'abri des eaux, et les modernes ont cru reconnaître le procédé employé à cet effet: on construisait
des murs massifs de brique, entre-croisés en damier,
on comblait les intervalles avec des terres de déblayement,
et on élevait les maisons sur ce patin gigantesque.
Partout où j'ai fait des fouilles, à Thèbes spécialement,
je n'ai rien vu qui
répondît à cette description; les murs entrecoupés qu'on rencontre sous les débris des maisons
relativement modernes ne sont que des restes
de maisons antérieures, qui
reposaient elles-mêmes sur
les restes de maisons plus
vieilles encore. Le peu de
profondeur des fondations
n'empêchait pas les maçons
de monter hardiment la bâtisse:
j'ai noté dans les
ruines de Memphis des pans
encore debout de 10 et 12 mètres
de haut. On ne prenait
alors d'autre précaution que
d'élargir la base des murs et de voûter les étages
(Fig.2). L'épaisseur ordinaire était de 0m,40 environ
pour une maison basse, mais pour une maison à plusieurs
étages, on allait jusqu'à 1 mètre ou 1m,25; des
poutres, couchées dans la maçonnerie d'espace en
espace, la liaient et la consolidaient. Souvent aussi on
bâtissait le rez-de-chaussée en
moellons bien appareillés
et on reléguait la brique aux étages supérieurs.
Le calcaire de la montagne voisine est la seule pierre
dont on se soit servi régulièrement en pareil cas. Les fragments de grès, de granit ou d'albâtre qui y sont
mêlés, proviennent généralement d'un temple ruiné:
les Égyptiens d'alors n'avaient pas plus scrupule
que ceux d'aujourd'hui à dépecer leurs monuments
dès qu'on cessait de les surveiller. Les petites gens vivaient dans de
vraies huttes qui, pour être bâties en
briques, ne valaient guère mieux que
les cabanes des fellahs. A Karnak, dans
la ville pharaonique, à Kom-Ombo,
dans la ville romaine, à Médinét-Habou,
dans la ville copte, les maisons
de ce genre ont rarement plus de 4
ou 5 mètres de façade; elles se composent
d'un rez-de-chaussée que surmontent parfois
quelques chambres d'habitation.
Les gens aisés, marchands, employés
secondaires, chefs d'ateliers,
étaient logés plus au large.
Leurs maisons étaient souvent
séparées de la rue par une cour
étroite: un grand couloir s'ouvrait
au fond, le long duquel
les chambres étaient rangées (Fig.3). Plus souvent, la
cour était garnie de chambres sur trois côtés (Fig.4);
plus souvent encore la maison présentait sa façade à
la rue.
C'était alors un haut mur peint ou blanchi à
la chaux, surmonté d'une corniche, et sans ouverture
que la porte, ou percé irrégulièrement de quelques
fenêtres (Fig.5). La porte était souvent de pierre,
même dans les maisons sans prétentions. Les jambages sont en saillie légère sur la paroi, et le linteau
est supporté d'une gorge peinte ou sculptée. L'entrée
franchie, on passait successivement dans deux petites
pièces sombres, dont la dernière
prend jour sur la
cour centrale (Fig.6). Le
rez-de-chaussée servait ordinairement
d'étable pour
les baudets ou pour les
bestiaux, de magasins pour
le blé et pour les provisions,
de cellier et de cuisine.
Partout où les étages
supérieurs subsistent encore,
ils reproduisent
presque sans modifications
la distribution du rez-de-chaussée. On y arrivait par
un escalier extérieur, étroit et
raide, coupé à des intervalles très
rapprochés par de petits paliers
carrés. Les pièces étaient oblongues et ne recevaient de lumière et d'air que par la porte:
lorsqu'on
se décidait à percer des
fenêtres sur la rue, c'étaient des
soupiraux placés presque à la
hauteur du plafond, sans régularité ni symétrie, garnis
d'une sorte de grille en bois à barreaux espacés, et
fermés par un volet plein. Les planchers étaient briquetés
ou dallés, plus souvent formés d'une couche de
terre battue. Les murs étaient blanchis à la chaux, quelquefois peints de couleurs vives. Le toit était plat et
fait probablement comme aujourd'hui de branches de
palmiers serrées l'une contre l'autre, et couvertes d'un
enduit de terre assez épais pour résister à la pluie.
Parfois il n'était surmonté que d'un ou deux de ces
ventilateurs en bois qu'on rencontre encore si fréquemment
en Égypte; d'ordinaire, on y élevait une ou
deux pièces isolées,
servant de buanderie
ou de dortoir pour les
esclaves ou les
gardiens. La terrasse et
la cour jouaient un
grand rôle dans la vie
domestique des anciens
Égyptiens; les
femmes y préparaient
le pain (Fig.7), y cuisinaient,
y causaient
à l'air libre; la famille
entière y dormait l'été, protégée par des filets contre
les attaques des moustiques. Les hôtels des riches et des seigneurs couvraient une
surface considérable: ils étaient situés le plus souvent
au milieu d'un jardin ou d'une cour plantée, et présentaient
à la rue, ainsi que les maisons bourgeoises,
des murs nus, crénelés comme ceux d'une
forteresse (Fig.8). La vie domestique était cachée et
comme repliée sur elle-même: on sacrifiait le plaisir
de voir les passants à l'avantage de n'être pas
aperçu du dehors. La porte seule annonçait quelquefois l'importance de la famille qui se dissimulait
derrière l'enceinte. Elle était précédée d'un perron
de deux ou trois marches, ou d'un portique à colonnes (Fig.9) orné de
statues (Fig.10), qui lui
donnaient l'aspect
monumental; parfois
c'était un pylône
analogue à
celui qui annonçait
l'entrée des temples.
L'intérieur
formait comme une
petite ville, divisée en quartiers par des murs irréguliers:
la maison d'habitation au fond, les greniers,
les étables, les communs, répartis aux différents endroits
de l'enclos, selon des règles qui nous échappent
encore. Les détails de l'agencement devaient
varier à l'infini; pour donner une idée de ce qu'était
l'hôtel d'un grand seigneur égyptien,
moitié palais,
moitié villa, je ne puis mieux faire que de reproduire
deux des plans nombreux que nous ont conservés les
tombeaux de la XVIIIe dynastie.
Le premier représente
une maison thébaine (Fig.11-12). Le clos est carré entouré d'un mur crénelé. La porte principale s'ouvre
sur une route bordée d'arbres, qui longe un canal ou
un bras du Nil.
Le jardin est divisé en compartiments
symétriques par des murs bas en pierres sèches,
analogues à ceux qu'on voit encore dans les grands
jardins d'Akhmîm ou de Girgéh; au centre, une vaste
treille disposée disposée sur quatre rangs de colonnettes; à droite et à gauche, quatre pièces d'eau peuplées de canards et
d'oies, deux pépinières, deux kiosques à jour, et des
allées de sycomores, de dattiers et de palmiers-doums;
dans le fond, en face de la porte, une maison à deux
étages de petites dimensions, surmontée d'une corniche peinte. Le second plan est emprunté aux hypogées
de
Tell-el-Amarna (Fig.13-14). Il nous montre une maison,
située an fond des jardins d'un grand seigneur, Aï,
gendre du pharaon Khouniaton et, plus ***, lui-même
roi d'Égypte. Un bassin oblong s'étend devant la
porte: il est bordé d'un quai en pente douce muni de
deux escaliers. Le corps de bâtiment est un rectangle
plus large sur la façade que sur les parois latérales.
Une grande porte s'ouvre au milieu et donne accès
dans une cour plantée d'arbres et bordée de magasins
remplis de provisions: deux petites cours placées
symétriquement dans les angles les plus éloignés
servent de cage aux escaliers qui mènent sur la terrasse.
Ce premier
édifice sert
comme d'enveloppe
au logis du
maître. Les deux
façades sont ornées
d'un portique
de huit colonnes,
interrompu
au milieu
par la baie du
pylône. La porte
franchie, on débouchait
dans
une sorte de long
couloir central, coupé par deux murs percés de portes,
de manière à former trois cours d'enfilade. Celle du
centre était bordée de chambres; les deux autres communiquaient
à droite et à gauche avec deux cours plus
petites, d'où partaient les escaliers qui montent à la terrasse.
Ce bâtiment central était
ce que les textes appellent
l'âkhonouti, la demeure intime du roi et des
grands seigneurs, où la famille et les amis les plus
proches avaient seuls le droit de pénétrer. Le nombre
des étages, la disposition de la façade différaient selon le
caprice du propriétaire. Le plus souvent la façade était
unie; parfois elle était divisée en trois corps, et le corps
du milieu était en saillie. Les deux ailes sont alors
ornées d'un portique à chaque étage (Fig.15), ou surmontées
d'une galerie à jour (Fig.16); le pavillon central
a quelquefois l'aspect d'une tour qui domine le reste
de la construction (Fig.17). Les façades sont décorées
assez souvent de ces longues colonnettes en bois peint
qui ne portent rien et servent seulement à égayer l'aspect
un peu sévère de l'édifice. La distribution intérieure est
peu connue; comme dans les maisons bourgeoises,
les chambres à coucher étaient probablement
petites et mal éclairées; mais, en revanche, les salles
de réception devaient avoir à peu près les dimensions
adoptées aujourd'hui encore en Égypte, dans les
maisons arabes. L'ornementation des parois ne comportait
pas des scènes ou des compositions analogues à celles qu'on rencontre dans
les tombeaux. Les panneaux
étaient passés à la chaux ou revêtus d'une teinte uniforme et bordés d'une bande multicolore. Les plafonds étaient d'ordinaire laissés en blanc; parfois, cependant, ils
de documents.
Les lampes en forme de maisons, qu'on trouve en si grand nombre au Fayoum, montrent qu'au temps des
Césars romains, on continuait à bâtir selon les mêmes
règles qui avaient eu cours sous les Thoutmos et les
Ramsès. Pour l'ancien empire, les renseignements sont peu
nombreux et peu clairs. Cependant, on rencontre souvent sur les stèles, dans les hypogées ou dans les cercueils,
des dessins qui nous montrent quel aspect avaient les
portes (Fig.21), et un sarcophage de la IVe dynastie,
celui de Khoutou-Poskhou, est taillé en forme de maison
(Fig.22).
étaient décorés d'ornements géométriques dont les principaux motifs étaient répétés dans
les tombeaux et nous ont été conservés de la sorte, des méandres entremêlés de rosaces (Fig.18), des carrés
multicolores (Fig.19), des têtes de boeuf vues de face,
des enroulements, des vols d'oies (Fig.20).Je n'ai parlé que du second empire thébain; c'est en effet
l'époque pour laquelle nous avons le plus
2.--LES FORTERESSES.
La plupart des villes et même des bourgs importants
étaient murés. C'était une conséquence presque nécessaire
de la configuration géographique et de la constitution
politique du pays. Contre les Bédouins, il avait fallu
barrer le débouché des gorges qui mènent au désert; les grands seigneurs féodaux avaient fortifié, contre leurs
voisins et contre le roi, la ville où ils résidaient,
et les villages de leur domaine qui commandaient les
défilés des montagnes ou les passes resserrées du fleuve.
Abydos, El-Kab, Semnéh possèdent les forteresses
les plus anciennes. Abydos avait un sanctuaire d'Osiris
et s'élevait à l'entrée d'une des routes qui conduisent
aux Oasis. La renommée du temple y attirait les pèlerins,
la situation de la ville y amenait les marchands,
la prospérité que lui valait l'affluence des uns et des
autres l'exposait aux incursions des Libyens:
elle a,
aujourd'hui encore, deux forts presque intacts. Le plus
vieux est comme le noyau du monticule que les Arabes
appellent le Kom-es-soultân, mais l'intérieur seul en a été déblayé jusqu'à 3 ou 4 mètres au-dessus du sol antique;
le tracé extérieur des murs n'a pas été dégagé des décombres
et du sable qui l'entourent. Dans l'état actuel, c'est un parallélogramme en briques
crues de 125 mètres de long sur 68 mètres de large. Le
plus grand axe en est tendu du sud au nord. La porte
principale s'ouvre dans le mur ouest, non loin de l'angle
nord-ouest; mais deux portes de moindre importance paraissent
avoir été ménagées dans le front sud et dans celui de l'est.
Les murailles ont perdu quelque peu de leur élévation; elles
mesurent pourtant de 7 à 11 mètres de haut et sont larges
d'environ 2 mètres au sommet. Elles ne sont pas bâties
d'une seule venue, mais se partagent en grands panneaux
verticaux, facilement reconnaissables à la disposition des matériaux. Dans le premier, tous
les lits de briques sont rigoureusement horizontaux;
dans le second, ils sont légèrement concaves et forment
un arc renversé, très ouvert, dont l'extrados s'appuie
sur le sol; l'alternance des deux procédés se reproduit
régulièrement. La raison de cette disposition est
obscure: on dit que les édifices ainsi construits résistent mieux aux tremblements de terre. Quoi qu'il
en soit, elle est fort ancienne, car, dès la Ve dynastie,
les familles nobles d'Abydos envahirent l'enceinte et
l'emplirent de leurs tombeaux an point de lui enlever
toute valeur stratégique. Une seconde forteresse, édifiée
à quelque cent mètres au sud-est, remplaça celle du
Kom-es-soultân vers la XVIIIe dynastie, mais faillit
avoir le même sort sous les
Ramessides; la décadence subite
de la ville l'a seule protégée contre l'encombrement.
Les Égyptiens des premiers temps ne possédaient aucun engin capable de faire impression sur des murs
massifs. Ils n'avaient que trois moyens pour enlever de
vive force une place fermée: l'escalade, la sape, le
bris des portes. Le tracé imposé par leurs ingénieurs au
second fort est des mieux calculés pour résister efficacement
à ces trois attaques (Fig.23). Il se compose de
longs côtés en ligne droite, sans tours ni saillants d'aucune
sorte, mesurant 131m,30 sur les fronts est et ouest,
78 mètres sur les fronts nord et sud. Les fondations
portent directement sur le sable et ne descendent nulle
part plus has que 0m,30. Le mur (Fig.24) est en briques
crues, disposées par assises horizontales; il est
légèrement incliné en arrière, plein, sans archères ni
meurtrières, décoré à l'extérieur de longues rainures
prismatiques, semblables à celles qu'on voit sur les
stèles de l'ancien Empire. Dans l'état actuel, il domine
la plaine de 11 mètres; complet, il ne devait guère
monter à plus de 12 mètres, ce qui suffisait amplement
pour mettre la garnison à l'abri d'une escalade par
échelle portative à dos d'homme. L'épaisseur est d'environ
6 mètres à la base, d'environ 5 mètres au sommet. La crête est
partout détruite, mais les représentations
figurées (Fig.25) nous montrent qu'elle était couronnée
d'une corniche continue, très saillante, garnie extérieurement
d'un parapet mince, assez bas, crénelé
à merlons
arrondis, rarement quadrangulaires.
Le chemin de ronde,
même diminué de l'épaisseur
du parapet, devait atteindre
encore 4 mètres ou 4 m,50.
Il courait sans interruption
le long des quatre fronts; on
y montait par des escaliers
étroits, pratiqués dans la maçonnerie
et détruits aujourd'hui.
Point de fossé: pour défendre le pied du mur
contre la pioche des sapeurs, on a tracé, à 3 mètres en
avant, une chemise crénelée haute de
5 mètres ou environ.
Toutes ces précautions
étaient suffisantes
contre la sape
et l'escalade, mais
les portes restaient
comme autant de brèches
béantes dans l'enceinte; c'était le point faible sur
lequel l'attaque et la défense concentraient leurs efforts.
Le fort d'Abydos avait deux portes, dont la principale
était située dans un massif épais, à l'extrémité orientale
du front est (Fig.26). Une coupure étroite A, barrée par de solides battants de bois, en marquait la place dans
l'avant-mur. Par derrière, s'étendait une petite place
d'armes B, à demi creusée dans l'épaisseur du mur, au
fond de laquelle était pratiquée une
seconde porte C,
aussi resserrée que la première. Quand l'assaillant l'avait forcée
sous la pluie de projectiles que
les défenseurs, postés au haut
des murailles, faisaient pleuvoir
sur lui de face et des deux côtés,
il n'était pas encore au coeur de
la place; il traversait une cour
oblongue D, resserrée entre les murs extérieurs et
entre deux contreforts qui s'en détachaient à angle
droit, et s'en allait briser à découvert
une dernière poterne E, placée
à dessein dans le recoin le plus incommode.
Le principe qui présidait
à la construction des portes était
partout le même, mais les dispositions
variaient au gré de l'ingénieur. A la porte
sud-est d'Abydos (Fig.27), la place d'armes
située entre les deux enceintes a été supprimée, et la
cour est tout entière dans l'épaisseur du mur; à Kom-el-Ahmar,
en face d'El-Kab (Fig.28), le massif de
briques, an milieu duquel la porte est percée, fait saillie
sur le front de défense. Des poternes, réservées en différents
endroits, facilitaient les mouvements de la garnison
et lui permettaient de multiplier les sorties.
Le même tracé qu'on employait pour les forts isolés
prévalait également pour les villes. Partout, à Héliopolis, à Sân, à Saïs, à Thèbes, ce sont des murs droits, sans
tours ni bastions, formant des
carrés ou des parallélogrammes
allongés, sans fossés ni
avancées; l'épaisseur des murs, qui
varie entre 10 et 20 mètres, rendait ces précautions inutiles. Les portes,
au moins les principales, avaient des
jambages et un linteau en pierre, décorés
de tableaux et de légendes; témoin celle d'Ombos,
que Champollion vit encore en place et qui date du
règne de Thoutmos III. La plus
vieille et la mieux
conservée des villes
fortes d'Égypte,
celle d'El-Kab, remonte
probablement
jusqu'à l'ancien
Empire
(Fig.29). Le Nil en
a détruit une partie
depuis quelques années;
au commencement du siècle, elle formait un quadrilatère irrégulier, dont les grands
côtés mesuraient 640 mètres et les petits
environ un quart en moins. Le front sud présente la même disposition
qu'au Kom-es-soultân, des panneaux où les lits de briques sont horizontaux, alternant avec d'autres
panneaux où ils sont concaves. Sur les fronts nord et
ouest, les lits sont ondulés régulièrement et sans interruption d'un bout à l'autre. L'épaisseur est de 11m,50,
la hauteur moyenne de 9 mètres; des rampes larges et
commodes mènent an chemin de ronde. Les portes sont
placées irrégulièrement, une sur chacune des faces
nord, est et ouest; la face méridionale n'en avait point.
Elles sont trop mal conservées pour qu'on en reconnaisse
le plan. L'enceinte renfermait une population
considérable, mais inégalement
répartie; le
gros était concentré au
nord et à l'ouest, où
les fouilles ont découvert
les restes d'un
grand nombre de maisons.
Les temples
étaient rassemblés
dans une enceinte carrée, qui avait le même centre que
la première; c'était comme un réduit, où la garnison
pouvait résister, longtemps après que le reste de la
ville était aux mains des ennemis.
Le tracé à angle droit, excellent en plaine, n'était
pas souvent applicable en pays accidenté; lorsque le
point à fortifier était sur une colline, les ingénieurs
égyptiens savaient adapter la ligne de défense au relief
du terrain. A Kom-Ombo (Fig.30), les murs suivent
exactement le contour de la butte isolée sur laquelle
la ville était perchée, et présentaient à l'Orient un
front hérissé de saillies irrégulières, dont le dessin rappelle
grossièrement celui de nos bastions. A Koumméh
et à Semnéh, en Nubie, à l'endroit où le Nil s'échappe
des rochers de la seconde cataracte, les dispositions sont plus ingénieuses et témoignent d'une
véritable
habileté. Le roi Ousirtasen III avait fixé en cet endroit
la frontière de l'Égypte; les forteresses qu'il y
construisit devaient barrer la voie d'eau aux flottes des
Nègres voisins. A Koumméh, sur la rive droite, la position
était naturellement très forte (Fig.31). Sur une
éminence bordée de rochers
abrupts, on dessina
un carré irrégulier
de 60 mètres environ de
côté; deux contreforts allongés
dominent, l'un,
an nord, les sentiers qui
conduisent à la porte,
l'autre, au sud, le cours
du fleuve. L'avant-mur
s'élève à 4 mètres en
avant et suit fidèlement le mur principal, sauf en deux
points, aux angles nord-ouest et sud-est, où il présente
deux saillies en forme de bastion. Sur l'autre rive, à
Semnéh, la position était moins bonne; le côté oriental
était protégé par une ceinture de rochers qui
descend à pic jusqu'au fleuve, mais les trois
autres
faces étaient à peu près nues (Fig.32). Un mur droit,
haut de 15 mètres environ, fut établi le long du Nil;
an contraire, les murs tournés vers la plaine montèrent
jusqu'à la hauteur de 25 mètres et se hérissèrent
de contreforts, longs de 15 mètres, épais de
9 mètres à la base et de 4 mètres au sommet et disposés
à intervalles irréguliers selon les besoins de la
défense. Ces éperons, non garnis de parapets, tenaient lieu de tours: ils augmentaient la force du tracé, défendaient
l'accès du chemin de ronde et battaient en
flanc les soldats qui auraient voulu tenter une attaque
de haute main contre
l'enceinte continue.
L'intervalle qui les sépare
est calculé de manière
que les archers
puissent balayer de
leurs flèches tout le
terrain compris entre
eux. Courtines et
saillants sont en briques
crues entremêlées
de poutres couchées
horizontalement dans
la maçonnerie; la surface extérieure en est formée de
deux parties, l'une à peu près verticale,
l'autre inclinée de 160 degrés environ
sur la première,
ce qui rendait l'escalade
sinon impossible,
au moins fort
difficile. Intérieurement
tout l'espace
compris dans l'enceinte
avait été
haussé presque jusqu'au niveau du chemin de ronde,
en manière de terre-plein (Fig.33). Au dehors, l'avant-mur
en pierres sèches était séparé du corps de la place
par un fossé de 30 à 40 mètres de large; il épousait assez exactement le contour général et dominait la plaine
de 2 ou 3 mètres, selon les endroits; vers le nord, il
était coupé par le chemin
tournant qui descend en
plaine. Ces dispositions, si
habiles qu'elles fussent,
n'empêchèrent point la place
de succomber; une large
brèche pratiquée an sud,
entre les deux saillants
les plus rapprochés du
fleuve, marque le point d'attaque choisi par l'ennemi. Les grandes guerres entreprises en Asie sous la
XVIIIe dynastie révélèrent
aux Égyptiens
des formes nouvelles
de fortifications.
Les nomades
de la Syrie méridionale
avaient des fortins
où ils se réfugiaient
sous la menace
de l'invasion
(Fig.34). Les villes
cananéennes et hittites,
Ascalon, Dapour,
Mérom, étaient entourées de murailles puissantes,
le plus souvent en pierre et flanquées de tours
(Fig.35); celles d'entre elles qui s'élevaient en plaine,
comme Qodshou, étaient enveloppées d'un double fossé
rempli d'eau (Fig.36). Les Pharaons
transportèrent dans la vallée du Nil les types nouveaux, dont ils
avaient éprouvé l'efficacité dans leurs campagnes. Dès
les commencements de la XIXe dynastie, la frontière
orientale du Delta,
la plus faible de
toutes, était couverte
d'une ligne de forts
analogues aux forts
cananéens; non contents
de prendre la
chose, les Égyptiens
avaient pris le mot
et donnaient à ces tours de garde le nom sémitique de magadîlou. La
brique ne parut plus dès lors assez solide, au moins
pour les villes exposées aux incursions
des peuplades asiatiques, et
les murs d'Héliopolis, ceux de
Memphis même, se revêtirent de
pierre. Rien ne nous est resté jusqu'à
présent de ces forteresses nouvelles,
et nous en serions réduits à
nous figurer, d'après les peintures,
l'aspect qu'elles pouvaient avoir,
si un caprice royal ne nous en
avait laissé un modèle dans un des endroits où on
s'attendait le moins à le rencontrer, dans la nécropole
de Thèbes. Quand Ramsès III établit son temple funéraire
(Fig.37 et 38), il voulut l'envelopper d'une
enceinte à l'apparence militaire, en souvenir de ses
victoires syriennes. Un avant-mur en pierre, crénelé, haut de 4 mètres en moyenne, court le long du flanc
est; la porte est pratiquée an milieu, sous la protection
d'un gros bastion quadrangulaire. Elle était large
de 1 mètre, et flanquée de deux petits corps de garde
oblongs, dont les terrasses s'élèvent d'environ 1m,50 au-dessus
du rempart. Dès qu'on l'a franchie, on se trouve
devant un véritable
Migdol: deux corps de logis,
embrassant une cour qui va se rétrécissant par ressauts,
et réunis par un bâtiment à deux étages, percé
d'une porte longue. Les faces orientales des tours sont
assises sur un soubassement incliné en talus, haut de
5 mètres environ. Il était à deux fins: d'abord il augmentait
la force de résistance du mur à l'endroit où on
pouvait le saper, ensuite les projectiles qu'on jetait
d'en haut, ricochant avec force sur l'inclinaison du
plan, tenaient l'assaillant à distance. La hauteur totale
est de 22 mètres, et la largeur de 25 mètres sur le devant;
les portions situées sur le derrière, à droite et à
gauche de la porte, out été détruites dès l'antiquité. Les
détails de l'ornementation sont adaptés au caractère moitié religieux, moitié triomphal de l'édifice; il n'est
pas probable que les forteresses réelles fussent décorées
de consoles et de bas-reliefs analogues à ceux qu'on voit
sur les côtés de la place d'armes. Tel qu'il est, le pavillon
de Médinét-Habou est un exemple unique des perfectionnements
que les Pharaons conquérants avaient
apportés à l'architecture militaire.
Passé le règne de Ramsès III, les documents nous
font presque entièrement défaut. Vers la fin du XIe siècle
avant notre ère, les grands prêtres d'Ammon réparèrent
les murs de Thèbes, de Gébéléïn et d'El-Hibéh
en face de Feshn. Le morcellement du pays sous les
successeurs de Sheshonq obligea les princes des nomes
à augmenter le nombre des places fortes; la campagne
de Piónkhi, sur les bords du Nil, est une suite de sièges
heureux. Rien, toutefois, ne nous autorise à penser que
l'art de la fortification ait fait alors des progrès sensibles:
quand les Pharaons grecs se substituèrent aux
indigènes, ils le trouvèrent probablement tel que
l'avaient constitué les ingénieurs de la XIXe et de la
XXe dynastie.
3.--LES TRAVAUX D'UTILITÉ PUBLIQUE.
Un réseau permanent de routes est inutile dans un
pays comme l'Égypte; le Nil y est le chemin naturel
du commerce, et des sentiers courant entre les champs suffisent à la circulation des hommes, à la menée des
bestiaux, au transport des denrées de village à village.
Des bacs payants pour passer d'une rive à l'autre du
fleuve, des gués partout où le peu de profondeur des eaux le
permettait, des levées de terre jetées à demeure
en travers des canaux, complétaient le système.
Les ponts étaient rares; on n'en connaît jusqu'à présent
qu'un seul sur le territoire égyptien, encore ne
sait-on s'il était long ou court, en pierre ou en bois,
supporté d'arches ou lancé d'une volée. Il franchissait,
sous les murs mêmes de Zarou, le canal qui séparait le
front oriental du Delta des régions
désertes de l'Arabie Pétrée;
une enceinte fortifiée en
couvrait le débouché du côté de
l'Asie (Fig.39). L'entretien des
voies de communication, qui
coûte si cher aux peuples modernes,
entrait donc pour une
très petite part dans la dépense
des Pharaons; trois grands services
restaient seuls à leur
charge, celui des entrepôts,
celui des irrigations, celui des mines et carrières.
Les impôts étaient perçus et les traitements des
fonctionnaires payés en nature. On distribuait chaque
mois aux ouvriers du blé, de l'huile et du vin, de quoi
nourrir leur famille, et, du haut en has de l'échelle hiérarchique,
chacun recevait en échange de son travail
des bestiaux, des étoffes, des objets manufacturés, certaines
quantités de cuivre ou de métaux précieux. Les employés du fisc
devaient donc avoir à leur disposition
de vastes magasins où serrer les parties rentrées de
l'impôt. Chaque catégorie avait son quartier distinct,
clos de murs et fourni de gardiens vigilants, larges étables pour les bêtes, celliers où les amphores étaient
empilées en couches régulières ou pendues en ligne le
long des murs, avec la date de la récolte écrite sur
la panse (Fig.40), greniers en forme de four, où le grain
était versé par une lucarne
pratiquée dans le
haut et sortait par une
trappe ménagée près du
sol (Fig.41). A Toukou,
la Pithom de M. Naville,
ce sont des chambres rectangulaires (Fig.42), de taille différente, jadis parquetées
et sans communication l'une avec l'autre:
le blé, introduit par le toit, suivait, pour ressortir, le
chemin qu'il
avait pris pour entrer. Au Ramesséum de
Thèbes, des milliers d'ostraca
et de tampons de
jarres ramassés sur les
lieux prouvent que les
ruines en briques situées
immédiatement derrière le
temple renfermaient les
celliers du dieu; les chambres
sont de longs couloirs
voûtés, accolés l'un à l'autre et surmontés autrefois
d'une plate-forme unie (Fig.43). Philae, Ombos, Daphnae,
la plupart des villes frontières du Delta possèdent
des entrepôts de ce genre, et l'on en découvrira bien
d'autres le jour où l'on s'avisera de les chercher sérieusement. Le régime des eaux ne s'est pas modifié sensiblement
depuis l'antiquité. Quelques canaux ont été
creusés, un plus grand
nombre se sont bouchés
par la négligence des maîtres
du pays; mais les tracés
et les méthodes de percement
sont demeurés les
mêmes. Elles n'exigent
point de travaux d'art considérables. Partout où j'ai
pu étudier les vestiges de
canaux anciens, je n'ai relevé
aucune trace de maçonnerie
aux prises d'eau ou sur les points faibles du
parcours. Ce sont de simples fossés à pic, larges de
6 à 20 mètres; les terres extraites pendant l'opération
étaient rejetées à droite et à gauche, et formaient, au-dessus
de la berge, des talus irréguliers de 2 à 4 mètres
de haut. Ils marchent en ligne droite, mais sans obstination;
le moindre mouvement de terrain les décide à
dévier et à décrire des courbes immenses. Des digues, tirées capricieusement de la montagne au Nil, les coupent d'espace en espace et divisent la vallée en bassins,
ou l'eau séjourne pendant les mois d'inondation.
Elles sont d'ordinaire en terre, quelquefois en briques
cuites, comme dans la province de Girgéh, très rarement
en pierre de taille,
comme cette digue de Koshéish
que Mini construisit au début des temps, afin de
détourner à l'orient la branche principale du Nil, et
d'assainir l'emplacement où il fonda Memphis.
Le réseau
avait son origine près du Gebel-Silsiléh, et courait
jusqu'à la mer sans s'écarter du fleuve, si ce n'est
une fois près de Béni-Souef, pour jeter un de ses bras
dans la direction du Fayoum. Il franchissait la montagne
près d'Illahoun, par une gorge étroite et sinueuse,
approfondie peut-être à main d'homme, et se ramifiant
en patte d'oie; les eaux, après avoir arrosé le canton,
s'écoulaient, les plus proches dans le Nil, par la route
même qui les avait amenées; les autres, dans plusieurs
lacs sans issue, dont le plus grand s'appelle aujourd'hui
Birkét-Qéroun. S'il fallait en croire Hérodote, les
choses ne se seraient point passées aussi simplement.
Le roi Moeris aurait voulu établir au Fayoum un réservoir
destiné à corriger les irrégularités de l'inondation;
on l'appelait, d'après lui, le lac Moeris. La crue était-elle
insuffisante? L'eau, emmagasinée dans ce bassin,
puis relâchée au fur et à mesure que le besoin s'en faisait
sentir, maintenait le niveau à hauteur convenable
sur toute la moyenne Egypte et sur les régions occidentales
du Delta. L'année d'après, si la crue s'annonçait
trop forte, le Moeris en recevait le surplus et le gardait
jusqu'au moment où le fleuve commençait à baisser.
Deux pyramides, couronnées chacune d'un colosse assis, représentant le roi fondateur et sa femme, se
dressaient au milieu du lac. Voilà le récit d'Hérodote:
il a singulièrement embarrassé les ingénieurs et les
géographes. Comment en effet trouver dans le Fayoum
un emplacement convenable pour un bassin qui
n'avait pas moins de quatre-vingt-dix milles de pourtour?
La théorie la plus accréditée de nos jours est
celle de Linant, d'après laquelle le Moeris aurait occupé
une dépression de terrain le long de la chaîne
libyque, entre Illahoun et Médinéh; mais les explorations
les plus récentes ont montré que les digues
assignées pour limites à ce prétendu réservoir sont
modernes et n'ont peut-être pas deux siècles de durée.
Je ne crois plus à l'existence du Moeris. Si Hérodote
a jamais visité le Fayoum, cela a dû être pendant
l'été, au temps du haut Nil, quand le pays entier
offre l'aspect d'une véritable mer. Il a pris pour la
berge d'un lac permanent les levées qui divisent les
bassins et font communiquer les villes entre elles. Son
récit, répété par les écrivains anciens, a été accepté
par nos contemporains, et l'Egypte, qui n'en pouvait
mais, a été gratifiée après coup d'une oeuvre gigantesque,
dont l'exécution aurait été le vrai titre de gloire
de ses ingénieurs, si elle avait jamais existé. Les seuls
travaux qu'ils aient entrepris en ce genre ont de moindres
prétentions; ce sont des barrages en pierre élevés à
l'entrée de plusieurs des Ouadys qui descendent des
montagnes jusque dans la vallée. L'un des plus importants
a été signalé en 1885 par le docteur Schweinfurth,
à sept kilomètres au sud-est des bains d'Hélouan,
au débouché de l'Ouady
Guerraouî (Fig.44). Il servait à deux fins, d'abord à emmagasiner de l'eau
pour les ouvriers qui exploitaient les carrières d'albâtre
cristallin d'où sont sortis les blocs les plus grands des
pyramides de Gizéh, puis à retenir les torrents qui se
forment parfois dans le désert à la suite des pluies de
l'hiver et du printemps. Le ravin qu'il fermait a
soixante-six mètres de
large et douze ou quinze,
mètres de hauteur
moyenne. Trois couches
successives d'une épaisseur
totale de quarante-cinq
mètres avaient été jugées
suffisantes: en aval,
une masse d'argile et de
débris tirés des berges (A),
puis un amas de gros blocs
calcaires, enfin un mur de
pierre de taille, dont les
assises, disposées en retraite
l'une sur l'autre, simulaient
une sorte d'escalier monumental (B). Trente-deux
degrés subsistent encore, sur trente-cinq qu'il y
avait primitivement, et un quart environ du barrage s'est
maintenu dans le voisinage de chacune des berges; le
torrent a balayé la partie du milieu (Fig.45). Une digue
analogue avait transformé le fond de l'Ouady Gennéh
en un petit lac ou les mineurs du Sinaï venaient s'approvisionner
d'eau. La plupart des localités d'où
l'Égypte tirait ses métaux et ses pierres de choix étaient
d'accès malaisé et n'auraient été d'aucun profit, si on n'avait eu soin d'en faciliter les avenues et d'en rendre
le séjour moins
insupportable par des travaux de ce
genre. Pour aller chercher le diorite et le granit gris
de l'Ouady Hammamât, les Pharaons avaient jalonné
la route de citernes taillées dans le roc. Quelques
maigres sources, captées habilement et recueillies dans
des réservoirs, avaient permis d'établir des villages
entiers d'ouvriers aux carrières et aux mines d'or ou
d'émeraude des bords de la mer Rouge; des centaines
d'engagés volontaires, d'esclaves ou de criminels condamnés
par les tribunaux
y vivaient misérablement,
sous le bâton d'une
dizaine de chefs de corvée,
et sous la surveillance
brutale d'une
compagnie de soldats mercenaires,
libyens ou nègres. La moindre révolution en Egypte,
une guerre malheureuse, un changement de règne
troublé, compromettait l'existence factice de ces établissements:
les ouvriers désertaient, les Bédouins harcelaient
la colonie, les garde-chiourme s'impatientaient
et rentraient dans la vallée du Nil, et l'exploitation
cessait de se faire régulièrement.
Aussi, les pierres
de choix qu'on ne trouvait qu'au désert, le diorite, le
basalte, le granit noir, le porphyre, les brèches vertes
ou jaunes, n'étaient-elles pas d'usage fréquent en architecture;
comme il fallait mettre sur pied, pour les
avoir, de véritables expéditions de soldats et d'ouvriers,
on les réservait aux sarcophages et aux statues de prix.
Les carrières de calcaire, de grès, d'albâtre, de granit
rose, qui ont fourni les matériaux des temples et des monuments funéraires, étaient toutes dans la vallée et
d'abord facile. Quand la veine qu'on avait résolu d'attaquer
courait dans une des couches basses de la montagne,
on y creusait des couloirs et des chambres qui
s'enfoncent parfois assez loin. Des piliers carrés, ménagés
d'espace en espace, soutenaient le plafond, et
des stèles, gravées aux endroits les plus apparents, apprenaient
à la postérité le nom du roi et des ingénieurs
qui avaient commencé ou repris les travaux.
Plusieurs de ces carrières épuisées ou abandonnées ont
été transformées en chapelles; ainsi le Spéos-Artemidos,
que Thoutmos III et Séti Ier consacrèrent à la
déesse locale Pakhit.
Les plus importantes de celles qui
donnaient le calcaire sont à Tourah et à Massarah,
presque en face de Memphis. La pierre en était très recherchée
des sculpteurs et des architectes; elle se prête merveilleusement
à toutes les délicatesses du ciseau, durcit à
l'air et se revêt d'une patine dont les tons crémeux reposent
l'oeil. Les gisements de grès les plus vastes étaient
à Silsilis (Fig.46), et on les exploitait à ciel ouvert. Ils
offrent des escarpements de quinze à seize mètres, quelquefois
dressés à pic dans toute leur hauteur, quelquefois
divisés en étages où l'on arrive au moyen d'escaliers
à peine assez larges pour un seul homme. Les
parois en sont couvertes de stries parallèles, tantôt
horizontales, tantôt inclinées alternativement de gauche
à droite ou de droite à gauche, de manière à former
des lignes de chevrons très obtus, et serrées, comme en
un cadre rectangulaire, entre des rainures larges de
trois ou quatre
centimètres, longues de deux ou même
de trois mètres; ce sont les cicatrices de l'outil antique, et elles nous montrent comment les Égyptiens s'y prenaient
pour détacher les blocs. On les dessinait
sur
place à l'encre rouge,
quelquefois en la forme
qu'ils devaient avoir
dans l'édifice projeté;
les membres de la commission
d'Égypte copièrent
dans les carrières du Gebel Abou-Fôdah
les épures et la
mise au carreau de plusieurs
chapiteaux, un
lotiforme, les autres à
tête d'Hathor (Fig.47). Ce premier travail achevé, on
séparait les faces verticales à l'aide d'un long ciseau en fer qu'on enfonçait perpendiculairement ou obliquement
à grands coups de maillet; pour détacher les faces
horizontales, on se servait uniquement de coins en
bois ou en bronze, disposés
dans le sens des
couches de la montagne.
Les blocs recevaient souvent
une première façon
sur le lit; on voit à Syène
un obélisque de granit, à
Tehnéh des fûts de colonne
à demi dégagés. Le
transport s'opérait de diverses
manières. A Syène,
à Silsilis, au Gebel Sheikh
Haridi, au Gebel Abou-Fôdah,
les carrières sont
baignées littéralement par
les flots du Nil et la pierre
descend presque directement de sa place aux chalands.
A Kasr-es-Sayad, à Tourah, dans les localités éloignées
de la rive, des canaux creusés exprès amenaient les barques
jusqu'au pied de la montagne. Où l'on devait renoncer
au transport par eau, la pierre était chargée sur
des traîneaux tirés par des boeufs (Fig.48), ou cheminait
jusqu'à destination à bras d'homme et sur des rouleaux.
CHAPITRE II
L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE
La brique fait presque tous les frais de l'architecture
civile et militaire; elle ne joue qu'un rôle secondaire
dans l'architecture religieuse. Les Pharaons
avaient l'ambition d'élever aux dieux des demeures
éternelles, et la pierre seule leur paraissait assez durable
pour résister aux attaques des hommes et du
temps.
I.--MATÉRIAUX ET ÉLÉMENTS DE LA CONSTRUCTION.
C'est un préjugé de croire que les Egyptiens ne
mettaient en oeuvre que des blocs de dimensions considérables.
La grosseur de leurs matériaux variait beaucoup selon l'usage auquel ils les destinaient. Les architraves,
les fûts de colonnes, les linteaux et les montants
de porte atteignaient quelquefois des dimensions
considérables. Les architraves les plus longues que l'on
connaisse, celles qui recouvrent l'allée centrale de la
salle hypostyle à Karnak, ont en moyenne 9m, 20;
elles représentent chacune une masse de 31 mètres cubes et un poids de 65,000 kilogrammes environ.
D'ordinaire, les blocs ne sont pas beaucoup plus forts
que ceux dont on se sert aujourd'hui en France; la
hauteur en est de 0m,80 à 1m,20, la longueur de 1 mètre
à 2m,50, l'épaisseur de 0m,50 à 1m,80.
Quelques temples sont en une seule sorte de
pierre; le plus souvent, les matériaux d'espèce différente
sont juxtaposés à proportions inégales. Ainsi, le
gros oeuvre des temples d'Abydos est un calcaire très
fin; les colonnes, les architraves, les montants et les
linteaux des portes, toutes les parties où l'on craignait
que le calcaire n'eût pas une force de résistance suffisante,
sont en grès dans l'édifice de Séti Ier, en grès, en
granit ou en albâtre dans celui de Ramsès II. A Karnak,
à Louxor, à Tanis, à Memphis, on remarque des
mélanges analogues; au Ramesséum et dans quelques
temples de Nubie, les colonnes reposent sur des massifs
de briques crues. La pierre à pied d'oeuvre, les ouvriers
la taillaient avec plus ou moins de soin, selon
qu'elle devait occuper telle ou telle position. Quand les
murs étaient de médiocre épaisseur, comme c'est généralement
le cas des murs de refend, on la parait exactement
sur toutes les faces. Lorsqu'ils étaient épais, les
blocs du noyau étaient dégrossis de manière à rappeler
le plus possible la forme cubique et à s'empiler les uns
sur les autres sans trop de difficulté, sauf à combler les
vides avec des éclats plus petits, du caillou, du ciment;
on coupait ceux du parement avec soin sur la face destinée
à être vue, on dressait les joints aux deux tiers
ou aux trois quarts de la longueur, et on piquait simplement
le reste de la queue. Les pièces les plus fortes étaient réservées aux parties basses des édifices, et cette
précaution était d'autant plus nécessaire que les architectes
d'époque pharaonique ne descendaient pas les
fondations des temples beaucoup plus qu'ils ne faisaient
celles des maisons. A Karnak, elles ne s'enfoncent
guère qu'à 2 ou 3 mètres; à Louxor, dans la
partie qui borde le fleuve, trois assises d'environ 0m,80
de haut chacune forment un patin gigantesque sur lequel
reposent les murs; au Ramesséum, la couche de
briques sèches sur laquelle pose la colonnade ne paraît
pas avoir plus de 2 mètres; ce sont là des profondeurs
insignifiantes, mais l'expérience des siècles a prouvé
qu'elles suffisaient. L'humus compact et dur qui compose
partout le sol de la vallée subit chaque année, au
moment du retrait des eaux, une contraction qui le
rend à peu près incompressible; le poids des maçonneries,
augmentant graduellement au cours de la construction,
lui fait bientôt atteindre le maximum de tassement
et achève d'assurer à l'édifice une assiette solide.
Partout où j'ai mis au jour le pied des murs, j'ai
constaté qu'ils n'avaient pas bougé.
Le système de construction des anciens Égyptiens
ressemble par bien des points à celui des Grecs. Les
pierres y sont souvent posées à joint vif, sans lien d'aucune
sorte, et le maçon se fie au poids propre des matériaux
pour les tenir en place. Parfois elles sont attachées
par des crampons en métal, ou, comme dans le
temple de Séti Ier à Abydos, par des queues d'aronde
en bois de sycomore au cartouche du roi fondateur.
D'ordinaire, elles sont comme soudées les unes aux
autres par des couches de mortier plus ou moins épaisses. Tous les mortiers dont j'ai recueilli les échantillons
sont jusqu'à présent de trois sortes: les uns, blancs et
réduits aisément en poudre impalpable, ne contiennent
que de la chaux; les autres, gris et rudes au toucher,
sont mêlés de chaux et de sable; les autres doivent
leur aspect rougeâtre à la poudre de brique pilée dont
ils sont pénétrés. Grâce à l'emploi judicieux de ces procédés
divers, les Égyptiens ont su, quand ils le voulaient,
appareiller aussi bien que les Grecs des assises
régulières, à blocs égaux, à joints verticaux symétriquement
alternés; s'ils ne l'ont pas toujours fait, cela tient
surtout à l'imperfection des moyens mécaniques dont
ils disposaient. Les murs d'enceinte, les murs de refend,
ceux des façades secondaires étaient perpendiculaires
au sol; on se servait pour élever les matériaux d'une
chèvre grossière plantée sur la crête. Les murs des pylônes,
ceux des façades principales, parfois même ceux
des façades secondaires étaient en talus, selon des
pentes variables au gré de l'architecte; on établissait
pour les construire des plans inclinés, dont les rampes
s'allongeaient à mesure que montait le monument. Les
deux méthodes étaient également dangereuses; si soigneusement
qu'on enveloppât les blocs, ils couraient le
risque de perdre en chemin leurs arêtes et leurs angles,
ou même de se briser en éclats. Il fallait presque toujours
les retoucher, et le désir d'avoir le moins de déchet
possible portait l'ouvrier à leur prêter des coupes
anormales (Fig.49). On retaillait en biseau une des
faces latérales, et le joint, au lieu d'être vertical, s'inclinait
sur le lit. Si la pierre n'avait plus la hauteur ou
la largeur voulue, on rachetait la différence au moyen soigneusement
qu'on enveloppât les blocs, ils couraient le
risque de perdre en chemin leurs arêtes et leurs angles,
ou même de se briser en éclats. Il fallait presque toujours
les retoucher, et le désir d'avoir le moins de déchet
possible portait l'ouvrier à leur prêter des coupes
anormales (Fig.49). On retaillait en biseau une des
faces latérales, et le joint, au lieu d'être vertical, s'inclinait
sur le lit. Si la pierre n'avait plus la hauteur ou
la largeur voulue, on rachetait la différence au moyen d'une dalle complémentaire. Parfois même, on laissait
subsister une saillie, qui s'emboîtait, pour ainsi dire,
dans un creux correspondant, ménagé à l'assise supérieure
ou inférieure. Ce qui n'était d'abord qu'accident
devenait bientôt négligence. Les maçons, qui avaient
hissé par inadvertance un bloc trop gros, ne se souciaient pas
de le redescendre, et se tiraient
d'affaire avec l'un des expédients
dont je viens
de parler. L'architecte ne surveillait pas
assez attentivement la taille et
la pose des pierres. Il souffrait que les assises n'eussent
pas toutes la même hauteur, et que les joints verticaux
de deux ou trois d'entre elles fussent
dans un même prolongement.
Le gros oeuvre achevé, on
ravalait la pierre, on reprenait
les joints, on les noyait sous une
couche de ciment ou de stuc, coloré à la teinte de
l'ensemble, et qui dissimulait les fautes du premier
travail. Les murs ne se terminent presque
jamais en arête vive. Ils sont comme cernés d'un tore
autour duquel court un ruban sculpté, et couronnés
soit de la gorge évasée que surmonte une bande plate
(Fig.50), soit, comme à Semnéh, d'une corniche carrée,
soit, comme à Médinét-Habou, d'une ligne de
créneaux. Ainsi encadrés, on dirait autant de panneaux unis, levés chacun sur un
seul bloc, sans saillies
et presque sans ouvertures. Les fenêtres, toujours très
rares, ne sont que de simples soupiraux, destinés à éclairer des escaliers comme au second pylône d'Harmhabi,
à Karnak, ou à recevoir des pièces de charpente
décorative les jours de fête.
Les portes ne présentent
que peu de relief sur le corps
de l'édifice (Fig.51), sauf
le cas où le linteau est surhaussé
de la gorge et de la
plate-bande. Seul, le pavillon
de Médinét-Habou possède
des fenêtres réelles;
mais il était construit sur le
plan d'une forteresse et ne
doit être rangé qu'à titre
d'exception parmi les monuments
religieux.
Le sol des cours et des
salles était revêtu de dalles rectangulaires assez régulièrement
ajustées, sauf dans
l'intervalle des colonnes où,
désespérant de raccorder à
l'ensemble les lignes courbes
de la base, les architectes ont
accumulé des fragments de
petite dimension sans ordre ni
méthode (Fig.52). Au contraire
de ce qu'ils pratiquaient pour
les maisons, ils n'ont presque
jamais employé la voûte dans les temples. On ne la
rencontre guère qu'à Déir-el-Baharî et dans les sept
sanctuaires parallèles d'Abydos, encore est-elle obtenue par encorbellement. La courbe en est dessinée dans trois
ou quatre assises horizontales, placées en porte à faux
l'une au-dessus de l'autre, puis évidées au ciseau, suivant
une ligne continue (Fig.53). La couverture ordinaire
consiste en dalles plates juxtaposées. Quand les
vides entre les murs ne sont pas trop considérables,
elle les franchit
d'une seule volée;
sinon, on l'étayait
de supports d'autant
plus multipliés que
l'espace à couvrir est
plus étendu. Ils
étaient alors reliés
par d'immenses
poutres en pierre,
les architraves, sur
lesquelles s'appuient les dalles dont le toit se compose.
Les supports sont de deux types différents: le pilier
et la colonne. On en connaît d'un seul bloc. Les piliers
du temple du Sphinx, les plus anciens qui aient été découverts
jusqu'à présent, ont 5 mètres de hauteur sur
1m,40 de côté. Des colonnes en granit rose, éparses au
milieu des ruines d'Alexandrie, de Bubaste, de Memphis,
et qui
remontent aux règnes d'Harmhabi et de
Ramsès II, mesurent 6 et 8 mètres d'une même venue.
Ce n'est là qu'une exception. Colonnes et piliers sont
bâtis en assises souvent inégales et irrégulières, comme
celles des murailles environnantes. Les grandes colonnes
de Louxor ne sont pleines qu'au tiers du diamètre:
elles ont un noyau de ciment jaunâtre, qui n'a plus de consistance et tombe en poudre sous les doigts.
Le chapiteau de la colonne de Taharqou, à Karnak,
contient trois assises hautes chacune d'environ 0m,123.
La dernière, la plus saillante, se compose de vingt-six
pierres, dont les joints verticaux tendent au centre, et
qui ne sont maintenues en place que par le poids du dé
superposé. Les mêmes négligences que nous avons
signalées
dans l'appareil des murs, on les retrouve toutes
dans celui des colonnes. Le pilier quadrangulaire, à côtés parallèles ou légèrement
inclinés, le plus souvent sans base ni chapiteau,
est fréquent dans les tombes de l'ancien
Empire. Il apparaît encore à Médinét-Habou,
dans le temple de Thoutmos III,
ou à Karnak, dans ce qu'on appelle le
promenoir. Les faces en sont souvent
habillées de tableaux peints ou de légendes,
et la face extérieure reçoit un
motif spécial de décoration: des tiges
de lotus ou de papyrus en saillie, sur
les piliers-stèles de Karnak, une tête
d'Hathor coiffée du sistre, au petit
spéos d'Ibsamboul (Fig.54), une figure
debout, Osiris dans la première cour de Médinét-Habou,
Bîsou à Dendérah et au Gebel-Barkal. A Karnak,
dans l'édifice construit probablement par Harmhabi
avec les débris d'un sanctuaire d'Amenhotpou II,
le pilier est surmonté d'une gorge qu'un mince abaque
séparé de l'architrave (Fig.55). Abattant les quatre angles,
on le transforme en un prisme octogonal; puis,
abattant les huit angles nouveaux, en un prisme à seize pans. C'est le type de certains piliers des tombeaux
d'Assouân et de Beni-Hassan;
du promenoir
de Thoutmos III, à
Karnak (Fig.56), et des
chapelles de Déir-el-Baharî.
A côté de ces
formes régulièrement
déduites on en remarque
dont la dérivation
est irrégulière, à six
pans, à douze, à quinze,
à vingt, ou qui aboutissent
presque au cercle
parfait. Les piliers du
portique d'Osiris à Abydos
sont au terme de la
série; le corps en offre
une section curviligne
à peine interrompue par
une bande lisse aux
deux extrémités
d'un même diamètre. Le
plus souvent les pans
se creusent légèrement
en cannelures; parfois,
comme à Kalabshéh,
les cannelures sont divisées
en quatre groupes
de cinq par autant de bandes (Fig.57). Le pilier
polygonal a toujours un socle large et bas, arrondi en disque. A El-Kab, il porte une tête d'Hathor appliquée
à la face antérieure (Fig.58). Presque partout ailleurs,
il est surmonté d'un simple tailloir carré qui
le réunit à l'architrave. Ainsi constitué, il présente un
air de famille avec la colonne dorique, et l'on comprend
que Jomard et Champollion ont pu lui donner,
dans l'enthousiasme de la découverte, le nom peu
justifié de dorique primitif.
La colonne ne repose pas immédiatement sur le
sol. Elle est toujours pourvue d'un socle analogue à
celui du pilier polygonal, au profil tantôt droit, tantôt
légèrement arrondi, nu ou sans autre ornement qu'une
ligne d'hiéroglyphes. Les formes principales se ramènent à trois types: 1° la colonne à chapiteau en
campane; 2° la colonne à chapiteau en bouton de
lotus; 3° la colonne hathorique. 1° Colonne à chapiteau campaniforme.--D'ordinaire,
le fût est lisse ou simplement gravé
d'écriture et de bas-reliefs. Quelquefois
pourtant, ainsi à Médamout,
il est composé de six
grandes et de six petites colonnettes
alternées. Aux temps pharaoniques,
il s'arrondit, par le
bas, en bulbe décoré de triangles
curvilignes enchevêtrés,
simulant de larges feuilles; la
courbe est alors calculée de telle
sorte que le diamètre inférieur soit sensiblement égal
au diamètre supérieur. A l'époque ptolémaïque, le
bulbe disparaît souvent, probablement
sous l'influence des
idées grecques: les colonnes
qui bordent la première cour du
temple d'Edfou s'enlèvent d'aplomb
sur leur socle. Le fût
subit toujours une diminution
de la base au sommet. Il se
termine par trois ou cinq plates-bandes
superposées. A Médamout, où il est fasciculé,
l'architecte a pensé sans doute qu'une seule attache au
sommet paraîtrait insuffisante à maintenir les douze
colonnettes, et il a indiqué deux autres anneaux de plates-bandes à intervalles réguliers. Le chapiteau,
évasé en forme de cloche, est garni
à la naissance d'une rangée de
feuilles,
semblables à celles de la
base, et sur lesquelles s'implantent
des tiges de lotus et de papyrus
en fleurs et en boutons. La hauteur
et la saillie sur le nu de la colonne
varient au gré de l'architecte.
A Louxor, les campanes ont 3m,50
de diamètre à la gorge, 5m,50 à la
partie supérieure, et une hauteur
de 3m,50; à Karnak, dans la salle
hypostyle, la hauteur est de 3m,75
et le plus grand diamètre de
21 pieds. Un de cubique surmonte
le tout. Il est assez peu
élevé et presque entièrement masqué
par la courbure du chapiteau;
rarement, comme au petit
temple de Dendérah, il s'élève et
reçoit sur chaque face une figure
du dieu Bîsou (Fig.59).
La colonne à chapiteau campaniforme
(Fig.60) se rencontre de
préférence dans la travée centrale
des salles hypostyles, à Karnak,
au Ramesséum, à Louxor;
mais elle n'est pas restreinte à cet
emploi, et on la voit dans les
portiques, à Médinét-Habou, à Edfou, à Philae. Le promenoir de Thoutmos III, à Karnak, en renferme
une variété des plus curieuses (Fig.61):
la campane est retournée, et la partie
amincie du fût s'enfonce dans le socle,
tandis que la partie la plus large se soude
à l'évasement du chapiteau. Cet arrangement
disgracieux n'eut pas de succès; on
n'en trouve aucune trace hors du promenoir.
D'autres innovations furent plus heureuses,
celles surtout qui permirent aux
artistes de grouper autour de la campane
des éléments empruntés à la flore du pays.
C'est d'abord, à Soleb, à Sesébî, à Bubaste,
à Memphis, une bordure de palmes plantées
droites sur les bandes plates et dont
la tête se courbe sous le poids de l'abaque (Fig.62).
Plus ***, aux approches de l'époque
ptolémaïque, des régimes
de dattes (Fig.63) et des lotus
entr'ouverts vinrent s'ajouter aux
branches de palmier.
Sous les Ptolémées et
sous les Césars, le
chapiteau finit par devenir
une véritable
corbeille de fleurs et
de feuilles étalées régulièrement
et peintes des couleurs les plus
vives (Fig.64). A Edfou, à Ombos,
à Philae, on dirait que le constructeur
s'est juré de ne pas répéter deux fois une même coupe de chapiteau d'un même côté du portique. 2° Colonne à chapiteau lotiforme.--Elle
représentait peut-être
à l'origine un
faisceau de tiges de
lotus dont les boutons,
serrés au cou par
un lien, se réunissent en bouquet pour former le chapiteau.
La colonne
de Beni-Hassan
comporte quatre
tiges arrondies
(Fig.65). Celles
du labyrinthe,
celles du promenoir
de Thoutmos III,
celles
de Médamout en
ont huit qui présentent
à la surface
une arête
saillante (Fig.66).
Le pied est bulbeux et paré
de feuilles triangulaires. La
gorge est entourée de trois
ou de cinq anneaux. Une
moulure, composée de trois
bandes verticales accolées,
descend du dernier de ces
anneaux dans l'intervalle de deux tiges; c'est
comme une frange qui garnit le haut de la colonne. Une surface
aussi accidentée ne prêtait guère à la décoration
hiéroglyphique; aussi en arriva-t-on progressivement
à supprimer toutes les saillies et à lisser le pourtour
du fût. Dans la salle hypostyle
de Gournah, il est divisé
en trois segments: celui du
milieu est uni et chargé de
sculptures, celui du haut et
celui du bas sont encore fasciculés.
Au temple de Khonsou,
dans les bas côtés de la
salle hypostyle de Karnak,
sous le portique de Médinét-Habou,
le fût est entièrement
lisse; seulement la frange subsiste
sous les anneaux, et une
arête légère ménagée de trois
en trois bandes rappelle l'existence
des tiges (Fig.67). Le
chapiteau se dégrade de la
même manière. A Beni-Hassan,
il est fasciculé nettement
dans toute sa hauteur. Au
promenoir de Thoutmos III, à Louxor, à Médamout,
un cercle de petites feuilles pointues et de cannelures
règne autour de la base et amoindrit l'effet: ce n'est plus
guère qu'un cône tronqué et côtelé. Dans la salle hypostyle
de Karnak, à Abydos, au Ramesséum, à Médinét-Habou,
des ornements de nature diverse, feuilles
triangulaires, légendes hiéroglyphiques, bandes de cartouches flanqués d'uraeus, remplacent les côtes et se
partagent l'espace conquis. L'abaque ne se dissimule
pas comme dans la colonne campaniforme: il déborde
hardiment et reçoit la légende du roi fondateur.
3º La colonne hathorique.--On en a des exemples
aux temps anciens, dans le temple
de Déir-el-Baharî; mais c'est par
les monuments d'époque ptolémaïque,
par Contra-Latopolis, par
Philae, par Dendérah surtout, qu'on
la connaît le mieux. Le fût et la
base ne présentent aucun caractère
spécial: c'est le fût et la base de la
colonne campaniforme. Le chapiteau
a deux étages. Au plus bas, un
bloc carré, sur chaque face duquel
une tête de femme, à oreilles pointues
de génisse, se détache, en haut
relief; la coiffure, maintenue sur le
front par trois bandelettes verticales, passe derrière les
oreilles et tombe le long du cou. Chaque tête porte une
corniche cannelée, sur laquelle s'élève un naos encadré
entre deux volutes; un mince dé carré couronne le tout
(Fig.68). La colonne a donc pour chapiteau quatre têtes
d'Hathor. Aperçue de loin, elle rappelle immédiatement
à l'esprit un des sistres que les bas-reliefs nous montrent
entre les mains des reines et des déesses. C'est un
sistre en effet, mais où les proportions normales des
diverses parties ne sont pas observées: le manche est
gigantesque, tandis que la moitié supérieure de l'instrument
est réduite outre mesure. Ce motif plut tellement qu'on n'hésita pas à le combiner
avec des éléments empruntés
à d'autres ordres. Les quatre têtes d'Hathor,
mises par-dessus un chapiteau campaniforme, fournirent
le type composite que Nectanébo employa au
pavillon de Philae (Fig.69). Je ne saurais dire que le
mélange soit très satisfaisant: vue en
place, la colonne est moins disgracieuse
qu'on ne serait tenté de le croire
d'après les gravures.
Les supports ne sont pas soumis à
des règles fixes de proportions et d'agencement.
L'architecte pouvait attribuer,
si cela lui plaisait, une hauteur
égale à des supports de diamètre très
différent, et en dessiner chacun des éléments
à l'échelle qui lui convenait le
mieux, sans autre souci que d'une certaine
harmonie générale: les dimensions
du chapiteau n'étaient pas en rapport
immuable avec celles du fût, et la hauteur du fût
ne dépendait nullement du diamètre de la colonne.
A Karnak, les colonnes campaniformes de la salle hypostyle
ont 3 mètres de haut pour le chapiteau, un peu
moins de 17 pour le fût, 3 m 57 de diamètre inférieur;
à Louxor, 3 m 50 pour le chapiteau, 15 pour le fût, 3 m 45
au bulbe; au Ramesséum, 11 mètres pour le chapiteau
et pour le fût et 2 mètres au bulbe. L'étude des
colonnes lotiformes nous amène à des résultats semblables.
A Karnak, sur les bas côtés de la salle hypostyle,
elles ont 3 mètres de haut pour le chapiteau,
10 pour le fût, 2 m 08 de diamètre sur le socle; au Ramesséum, 1m,70 pour le chapiteau, 7m,50 pour le fût,
1m,78 de diamètre sur le socle.
Même irrégularité dans
la disposition des architraves: rien n'en détermine
l'élévation que le caprice du maître ou les nécessités
de la construction. Même irrégularité dans les entre-colonnements:
non seulement la largeur en diffère
beaucoup de temple à temple et de chambre à chambre,
mais parfois, comme dans la première cour de Médinét-Habou,
ils sont inégaux pour un même portique. Voilà
pour les types employés séparément. Quand on les associait
dans un seul édifice, on ne s'astreignait pas à leur
donner des proportions fixes par rapport l'un à l'autre. Dans la salle
hypostyle de Karnak les colonnes à campanes
soutiennent la travée la plus haute, et les colonnes
en bouton de lotus sont reléguées aux bas côtés (Fig.70).
Il y a des salles du temple de Khonsou, où c'est la
colonne lotiforme qui est la plus élevée, d'autres où
c'est la colonne campaniforme. A Médamout, lotiformes
et campaniformes ont partout la même hauteur dans
ce qui subsiste de l'édifice. L'Égypte n'a jamais eu
d'ordres définis comme en a possédé la Grèce. Elle a
essayé toutes les combinaisons auxquelles se prêtaient
les éléments de la colonne, sans jamais en chiffrer aucune
avec assez de précision pour qu'étant donné un
des membres, on puisse en déduire, même approximativement,
les dimensions de tous les autres.
2.--LE TEMPLE.
La plupart des sanctuaires célèbres, Dendérah,
Edfou, Abydos, avaient été fondés avant Minì par
les serviteurs d'Hor; mais, vieillis ou ruinés au cours
des âges, ils avaient été restaurés, remaniés, reconstruits
l'un après l'autre sur des devis nouveaux. Nul
débris ne nous est resté de l'appareil primitif pour
nous montrer ce que l'architecture égyptienne était à
ses commencements. Les temples funéraires bâtis par
les rois de la IVe dynastie ont laissé plus de traces. Celui de la seconde pyramide, à Gizéh, était assez
bien conservé encore dans les premières années du
XVIIIe siècle, pour que de Maillet y ait vu quatre gros
piliers debout. La destruction est à peu près complète
aujourd'hui; mais cette perte a été compensée, vers 1853, par la découverte d'un temple situé à
quarante mètres
environ au sud du Sphinx (Fig.71). La façade ne paraît
pas, cachée qu'elle est sous le sable; l'extérieur seul a
été déblayé en partie. Le noyau de la maçonnerie est
en calcaire fin de Tourah. Le revêtement, les piliers,
les architraves, la couverture, étaient en blocs d'albâtre
ou de granit gigantesques.
Le plan est des
plus simples. Au centre (A),
une grande
salle en forme de T,
ornée de seize piliers
carrés, hauts de cinq
mètres; à l'angle nord-ouest,
un couloir
étroit, en plan incliné
(B) par lequel
on pénètre aujourd'hui
dans l'édifice; à
l'angle sud-ouest, un
retrait qui contient six
niches superposées deux à deux (C). Une galerie oblongue
(D), ouverte à chaque extrémité sur un cabinet rectangulaire
enseveli sous les décombres (E, E), complète
cet ensemble. Point de porte monumentale, point de fenêtre,
et le corridor d'entrée était trop long pour amener
la lumière; elle ne pénétrait que par des fentes
obliques ménagées dans la couverture, et dont les
traces sont visibles encore à la crête des
murs (e, e), de
chaque côté de la pièce principale. Inscriptions, bas-reliefs,
peintures, ce qu'on est habitué à rencontrer partout en Egypte manque là, et pourtant ces murailles
nues produisent sur le spectateur un effet aussi puissant
que les temples les mieux décorés de Thèbes. L'architecte
est arrivé à la grandeur et presque au sublime rien
qu'avec des blocs de granit et d'albâtre ajustés, par la
pureté des lignes et par l'exactitude des proportions.
Quelques ruines éparses en Nubie, au Fayoum, au
Sinaï, ne nous permettent pas de décider si les temples
de la XIIe dynastie méritaient les éloges que leur
prodiguent les inscriptions contemporaines. Ceux des
rois thébains, des Ptolémées, des Césars, subsistent encore,
plusieurs intacts, presque tous faciles à rétablir,
le jour où on les aura étudiés consciencieusement sur le
terrain. Rien de plus varié, au premier abord, que les
dispositions qu'ils présentent: quand on les regarde
de près, ils se ramènent aisément au même type. D'abord,
le sanctuaire. C'est une pièce rectangulaire, petite,
basse, obscure, inaccessible à d'autres qu'aux Pharaons
ou aux prêtres de service. On n'y trouvait ni statue ni
emblème établis à demeure; mais une barque sainte ou
un tabernacle en bois peint posé sur un piédestal, une
niche réservée dans l'épaisseur du mur ou dans un bloc
de pierre isolé, recevaient à certains jours la figure ou
le symbole inanimé du dieu, un animal vivant ou
l'image de l'animal qui lui était consacré. Un temple
pouvait ne renfermer que cette seule pièce et n'en être
pas moins un temple, au même titre que les édifices les
plus compliqués; cependant il était rare, au moins
dans les grandes villes, qu'on se contentât d'attribuer
aux dieux ce strict nécessaire. Des chambres destinées
au matériel de l'offrande ou du sacrifice, aux fleurs, aux parfums, aux étoffes, aux vases précieux, se groupaient
autour de la maison divine; puis on bâtissait, en avant
du massif compact qu'elles formaient, une ou plusieurs
salles à colonnes où les prêtres et les dévots s'assemblaient,
une cour entourée de portiques, où la foule
pénétrait en tout temps, une porte flanquée de deux
tours et précédée de statues ou d'obélisques, une enceinte
de briques, une avenue bordée de sphinx, où les
processions manoeuvraient à l'aise les jours de fête.
Rien n'empêchait un Pharaon d'élever une salle plus
somptueuse en avant de celles que ses prédécesseurs
avaient édifiées, et ce qu'il faisait là, d'autres pouvaient
le faire après lui. Des zones successives de chambres et
de cours, de pylônes et de portiques, s'ajoutaient de
règne en règne au noyau primitif. La vanité ou la piété
aidant, le temple se développait en tous sens, jusqu'à
ce que l'espace ou la richesse manquât pour l'agrandir
encore.
Les temples les plus simples étaient parfois les
plus élégants. C'était le cas pour ceux qu'Amenhotpou
III consacra dans l'île d'Éléphantine, que les
membres de l'expédition française dessinèrent à la fin
du siècle dernier, et que le gouverneur turc d'Assouân
détruisit en 1822. Le mieux conservé, celui du sud
(Fig.72), n'avait qu'une seule chambre en grès, haute
de 4m,25, large de 9m,50, longue de 12 mètres. Les murs,
droits et couronnés de la corniche ordinaire, reposaient
sur un soubassement creux en maçonnerie, élevé de
2m,25 au-dessus du sol, et entouré d'un parapet à hauteur
d'appui. Un portique régnait tout autour. Il était composé,
sur chacun des côtés,
de sept piliers carrés, sans chapiteau ni base, sur chacune des façades, de deux colonnes
à chapiteau lotiforme. Piliers et colonnes s'appuyaient
directement sur le parapet, sauf à l'est, où un
perron de dix ou douze marches, resserré entre deux murs
de même hauteur que le soubassement, donnait accès à
la cella. Les deux colonnes qui encadraient le haut de
l'escalier étaient plus espacées que celles de la face
opposée, et la large baie qu'elles formaient laissait apercevoir
une porte richement décorée. Une seconde porte
ouvrait à l'autre extrémité, sous le portique. Plus ***,
à l'époque romaine, on tira parti de cette ordonnance
pour modifier l'aspect du monument. On remplit les
entre-colonnements du fond et on obtint une salle nouvelle,
grossière et sans ornements, mais suffisante aux
besoins du culte. Les temples d'Eléphantine rappellent
assez exactement le temple périptère des Grecs, et cette
ressemblance avec une des formes de l'architecture
classique à laquelle nous sommes le plus habitués, explique
peut-être l'admiration sans bornes que les savants
français ressentirent à les voir. Ceux de Méshéïkh, d'El-Kab, de Sharonnah, présentaient une disposition
plus compliquée. Il y a trois pièces à El-Kab (Fig.73),
une salle à quatre colonnes (A), une chambre (B), soutenue
par quatre piliers hathoriques, et dans la muraille
du fond, en face de
la porte, une niche (C) à
laquelle on montait par
quatre marches. Le modèle
le plus complet qui
nous soit parvenu de ces
oratoires de petite ville
appartient à l'époque ptolémaïque:
c'est le temple
d'Hathor, à Déir-el-Médinét
(Fig.74). Il est deux
fois plus long qu'il n'est
large. Les faces en sont
inclinées et nues à l'extérieur,
la porte exceptée,
dont le cadre en saillie est
chargé de tableaux finement
sculptés. L'intérieur
est divisé en trois parties:
un portique (B) de deux colonnes campaniformes, un
pronaos (C), auquel on arrive par un escalier de quatre
marches, et qui est séparé du portique par un mur à
hauteur d'homme, tracé entre deux colonnes campaniformes
et deux piliers d'antes à chapiteaux hathoriques;
enfin, le sanctuaire (D), flanqué de deux cellules (E, E)
éclairées par des lucarnes carrées, pratiquées dans le
toit. On monte à la terrasse par un escalier (F) fort ingénieusement relégué dans l'angle sud du portique,
et muni d'une jolie fenêtre à claire-voie. Ce n'est qu'un
temple en miniature, mais les membres en sont si bien
proportionnés dans leur petitesse qu'on ne saurait rien
concevoir de plus fin et de plus gracieux.
On n'est point tenté d'en dire autant du temple que
les Pharaons de la XXe dynastie
construisirent au
sud de Karnak, en l'honneur
du dieu Khonsou
(Fig.75); mais si le style
n'en est pas irréprochable,
le plan en est si clair qu'on
est porté à le prendre pour
type du temple égyptien,
de préférence à d'autres
monuments plus élégants
ou plus majestueux. Il se
résout, à l'analyse, en deux
parties séparées par un
mur épais (A, A). Au centre de la plus petite, le Saint
des Saints (B), ouvert aux deux extrémités et entièrement
isolé du reste de l'édifice par un couloir (C)
large de 3 mètres; à droite et à gauche, des cabinets
obscurs (D, D); par derrière, une halle à quatre colonnes
(E), où débouchent sept autres pièces (F, F).
C'était la maison du dieu. Elle ne communiquait avec
le dehors que par deux portes (G, G), percées dans le
mur méridional (A, A), et qui donnaient sur une
salle hypostyle (H) plus large que longue, divisée
en trois nefs. La nef centrale repose sur quatre colonnes campaniformes de 7 mètres
de haut; les latérales
ne renferment chacune que deux colonnes lotiformes
de 5m,50; le plafond de la travée médiale est
donc plus élevé de 1m,50 que celui des bas côtés.
On en profita pour régler l'éclairage:
l'intervalle entre la terrasse
inférieure et la supérieure fut
garni de claires-voies en pierre
qui laissaient filtrer la lumière.
La cour (I) était carrée, bordée
d'un portique à deux rangs de
colonnes. On y avait accès par
quatre poternes latérales (J, J) et
par un portail monumental, pris
entre deux tours quadrangulaires
à pans inclinés. Ce pylône (K)
mesure 32 mètres de long, 10 de
large, 18 de haut. Il ne contient
aucune chambre, mais un escalier
étroit, qui monte droit au
couronnement de la porte, et de
là, au sommet des tours. Quatre longues cavités prismatiques
rayent la façade jusqu'au tiers de la hauteur,
correspondant à autant de trous carrés qui traversent
l'épaisseur de la construction. On y plantait de grands
mâts en bois, formés de poutres entrées l'une sur l'autre,
consolidées d'espace en espace par des espèces d'agrafes
et saisies par des charpentes engagées dans les trous
carrés: de longues banderoles de diverses couleurs
flottaient au sommet (Fig.76). Tel était le temple de
Khonsou; telles sont, dans leurs lignes principales, la plupart des grands monuments d'époque thébaine ou
ptolémaïque, Louxor, le Ramesséum, Médinét-Habou,
Philae, Edfou, Dendérah.
Même ruinés à demi, l'aspect
en a quelque chose d'étouffé et d'inquiétant. Comme
les dieux égyptiens aimaient à s'envelopper de mystère,
le plan est conçu de manière
à ménager insensiblement
la transition entre
le plein soleil du monde
extérieur et l'obscurité de
leur retraite. A l'entrée,
ce sont encore de vastes
espaces où l'air et la lumière
descendent librement.
La salle hypostyle
est déjà noyée dans un
demi-jour discret, le sanctuaire
est plus qu'à moitié perdu sous un vague crépuscule,
et au fond, dans les dernières salles, la nuit
règne presque complète. L'effet de lointain que produit
à l'oeil cette dégradation successive de la lumière
était augmenté par divers artifices de construction.
Toutes les parties ne sont pas de plain-pied. Le sol se
relève à mesure qu'on s'éloigne de l'entrée (Fig.77), et il
faut toujours enjamber quelques marches pour
passer d'un plan à l'autre. La différence de niveau ne dépasse
pas 1m,60 au temple de Khonsou, mais elle se combine
avec un mouvement de descente de la toiture, qui est
d'ordinaire accentué vigoureusement. Du pylône au
mur de fond, la hauteur décroît progressivement: le
péristyle est plus élevé que l'hypostyle, celui-ci domine
le sanctuaire, la salle à colonnes et la dernière chambre sont
de moins en moins hautes. Les architectes
de l'époque ptolémaïque ont changé certains détails
d'arrangement. Ils ont creusé dans les murs des
couloirs secrets et des cryptes où cacher les trésors
du Dieu (Fig.78). Ils ont placé des chapelles et
des reposoirs sur les terrasses. Ils n'ont introduit au
plan primitif que deux modifications importantes. Le
sanctuaire avait jadis deux portes opposées, ils ne lui
en ont laissé qu'une. La colonnade qui garnissait le
fond de la cour ou la façade
du temple, quand la cour n'existait pas, est devenue une chambre nouvelle, le
pronaos. Les colonnes de la rangée extérieure subsistent,
mais reliées, jusqu'à mi-hauteur environ, par
un mur couronné d'une corniche, qui forme écran et
empêchait la foule d'apercevoir
ce qui se passait au
delà (Fig.79). La salle est soutenue
par deux, trois ou même
quatre rangs de colonnes, selon
la grandeur de l'édifice
qui s'étend derrière elle.
Pour le reste, comparez le
plan du temple d'Edfou
(Fig.80) à celui du temple
de Khonsou, et vous verrez
combien peu ils diffèrent l'un
de l'autre.
Ainsi conçu, l'édifice suffisait
à tous les besoins du
culte. Lorsqu'on voulait l'accroître,
on ne s'attaquait
pas d'ordinaire au sanctuaire
ni aux chambres qui l'entouraient, mais bien aux
parties d'apparat, hypostyles, cours ou pylônes. Rien
n'est plus propre que l'histoire du grand temple de
Karnak à illustrer le procédé des Égyptiens en pareille
circonstance. Osirtasen Ier l'avait fondé, probablement
sur le site d'un temple plus ancien (Fig.81). C'était un
édifice de petites dimensions, construit en calcaire et
en grès avec portes en granit: des piliers à seize
pans unis en décoraient l'intérieur. Amenemhat II et III y travaillèrent, les princes de la XIIIe et de la
XIVe dynastie y consacrèrent des statues et des tables
d'offrandes; il était encore intact au XVIIIe siècle avant
notre ère, lorsque Thoutmos Ier, enrichi par la
guerre,
résolut de l'agrandir. Il éleva
en avant de ce qui existait
déjà deux chambres, précédées
d'une cour et flanquées de chapelles
isolées, puis trois pylônes
échelonnés l'un derrière
l'autre.
Le tout présentait l'aspect
d'un vaste rectangle posé
debout sur un autre rectangle
allongé en travers. Thoutmos
II et Hatshopsitou couvrirent
de bas-reliefs les murs que leur père avait
bâtis, mais n'ajoutèrent rien; seulement, la régente,
pour amener ses obélisques entre deux des pylônes,
pratiqua une brèche dans le mur méridional et abattit
seize des colonnes qui se trouvaient en cet endroit.
Thoutmos III reprit d'abord certaines parties qui lui
paraissaient sans doute indignes de son
dieu, le double sanctuaire qu'il relit en granit de Syène, le premier
pylône. Il réédifia, à l'est, d'anciennes chambres,
dont la plus importante, celle qui porte le nom
de Promenoir, servait de station et de reposoir lors
des processions, enveloppa l'ensemble d'un mur de
pierre, creusa le lac sur lequel on lançait les barques
sacrées les jours de fête; puis, changeant brusquement
de direction, il érigea deux pylônes tournés vers le sud.
Il rompit de la sorte la juste proportion qui avait
existé jusqu'alors entre le corps et la façade: l'enceinte
extérieure devint trop large pour les premiers pylônes
et ne se raccorda plus exactement au dernier. Amenhotpou
III corrigea ce défaut: il éleva un sixième
pylône plus massif, partant, plus propre à servir de
façade. Le temple en fût resté là, qu'il surpassait déjà
tout ce qu'on avait entrepris jusqu'alors de plus audacieux;
les Pharaons de la XIXe dynastie réussirent à
faire mieux encore.
Ils ne construisirent qu'une salle
hypostyle (Fig.82) et qu'un pylône, mais l'hypostyle
a 50 mètres de long sur 100 de large. Au milieu, une
avenue de douze colonnes à chapiteau campaniforme,
les plus hautes qu'on ait jamais employées à l'intérieur
d'un édifice; dans les bas côtés, 122 colonnes à chapiteau
lotiforme, rangées en quinconce sur neuf files.
Le plafond de la travée centrale était à 23 mètres
au-dessus du sol, et le pylône le dominait d'environ
15 mètres. Trois rois peinèrent pendant un siècle
avant d'amener l'hypostyle à perfection. Ramsès Ier
conçut l'idée, Séti Ier termina le gros oeuvre, Ramsès II
acheva presque entièrement la décoration. Les Pharaons
des dynasties suivantes se disputèrent quelques places vides le long des colonnes, pour y graver leur
nom et participer à la gloire des trois fondateurs, mais
ils n'allèrent pas plus loin. Pourtant le monument,
arrêté à ce point, demeurait incomplet: il lui manquait
un dernier pylône et une cour à portiques. Près de
trois siècles s'écoulèrent
avant qu'on songeât à
reprendre les travaux.
Enfin, les Bubastites se
décidèrent à commencer
les portiques, mais faiblement,
comme il convenait
à leurs faibles ressources.
Un moment,
l'Éthiopien Taharqou
imagina qu'il était de
taille à rivaliser avec
les Pharaons thébains et
devisa une salle hypostyle
plus large que l'ancienne, mais ses mesures étaient
mal prises. Les colonnes de la travée centrale, les
seules qu'il eut le temps d'ériger, étaient trop éloignées
pour qu'on pût y établir la couverture: elles ne portèrent
jamais rien et ne subsistèrent que pour marquer
son impuissance. Enfin les Ptolémées, se conformant à
la tradition des rois indigènes, se mirent à l'ouvrage;
mais les révoltes de Thèbes interrompirent leurs projets,
le tremblement de terre de l'an 27 détruisit une partie
du temple, et le pylône resta à jamais inachevé. L'histoire
de Karnak est celle de tous les grands temples
égyptiens. A l'étudier de près, on comprend la raison des irrégularités qu'ils présentent pour la plupart. Le
plan est partout sensiblement le même, et la croissance
se produit de la même
manière, mais les architectes ne
prévoyaient pas toujours l'importance
que leur oeuvre acquerrait,
et le terrain qu'ils lui
avaient choisi ne se
prêtait pas
jusqu'au bout au développement
normal. A Louxor (Fig.83), le
progrès marcha méthodiquement
sous Amenhotpou III et sous
Séti Ier; mais, quand Ramsès II
voulut ajouter à ce qu'avaient fait
ses prédécesseurs, un coude secondaire
de la rivière l'obligea
à se rejeter vers l'est. Son pylône
n'est point parallèle à celui
d'Amenhotpou III, et ses portiques
forment un angle marqué
avec l'axe général des constructions
antérieures. A Philae
(Fig.84), la déviation est plus
forte encore. Non seulement
le pylône le plus grand n'est
pas dans l'alignement du plus
petit, mais les deux colonnades
ne sont point parallèles
entre elles et ne se raccordent pas naturellement au
pylône. Ce n'est point là, comme on l'a dit souvent,
négligence ou parti pris. Le plan premier était aussi juste que peut l'exiger le dessinateur le plus entiché
de symétrie; mais il fallait le plier aux exigences du
site, et les architectes n'eurent plus souci dès lors que
de tirer le meilleur
parti des irrégularités
auxquelles la
configuration du
sol les condamnait.
Cette contrainte les
a souvent inspirés:
Philae nous montre
jusqu'à quel point
ils savaient faire de
ce désordre obligé
un élément de
grâce et de pittoresque.
L'idée du temple-caverne
dut venir
de bonne heure
aux Égyptiens; ils
taillaient la maison
des morts dans
la montagne, pourquoi
n'y auraient-ils
pas taillé la
maison des dieux? Pourtant, les spéos les plus anciens
que nous possédions ne remontent qu'aux premiers
règnes de la XVIIIe dynastie. On les rencontre de préférence
dans les endroits où la bande de terre cultivable
était le moins large, près de Beni-Hassan, au Gebel Silsiléh, en Nubie. Toutes les variantes du temple isolé
se retrouvent dans le souterrain, plus ou moins modifiées
par la nature du milieu.
Le Spéos Artémidos
s'annonce par un portique
à piliers, mais ne renferme
qu'un naos carré avec une
niche de fond pour la statue
de la déesse Pakhit.
Kalaat-Addah présente au
fleuve (Fig.85) une façade
(A) plane, étroite, où l'on
accède par un escalier assez
raide; vient ensuite
une salle hypostyle flanquée de deux réduits (C),
puis un sanctuaire à deux étages superposés (D).
La chapelle d'Harmhabi (Fig.86), au Gebel Silsiléh,
se compose d'une galerie parallèle au Nil, étayée
de quatre piliers massifs réservés dans la roche vive,
et sur laquelle la chambre débouche à angle droit.
A Ibsamboul, les deux temples sont entièrement
dans la falaise. La face du plus grand (Fig.87) simule
un pylône en talus, couronné d'une corniche, et gardé,
selon l'usage, par quatre colosses assis, accompagnés
de statues plus petites; seulement les colosses ont ici près de 20 mètres.
Au delà de la porte
s'étend une salle de
40 mètres de long sur
18 de large, qui tient
lieu du péristyle ordinaire.
Huit Osiris, le
dos à autant de piliers,
semblent porter la montagne
sur leur tête. Au
delà, un hypostyle, une
galerie transversale qui
isole le sanctuaire, enfin
le sanctuaire lui-même
entre deux pièces plus petites. Huit cryptes, établies
à un niveau plus bas que celui de l'excavation
principale, se répartissent inégalement à droite et à
gauche du péristyle. Le souterrain entier mesure
55 mètres du seuil au fond du sanctuaire. Le petit
spéos d'Hathor, situé à quelque cent pas vers le nord,
n'offre pas des dimensions aussi considérables; mais
la façade est ornée de colosses debout, dont quatre
représentent Ramsès, et deux sa femme Nofritari. Le
péristyle manque (Fig.88) ainsi que les cryptes, et les
chapelles sont placées aux deux extrémités du couloir
transversal, au lieu d'être parallèles au sanctuaire; en revanche, l'hypostyle a six piliers avec tête d'Hathor.
Où l'espace le
permettait, on n'a fait entrer qu'une
partie du temple dans le
rocher; les avancées ont
été construites en plein air, de blocs rapportés, et le
spéos devient une moitié
de caverne, un hémi-spéos.
Le péristyle seul à Derr, le
pylône et la cour à Beit-el-Oualli,
le pylône, la cour
rectangulaire, l'hypostyle à
Gerf Hosseïn et à Ouady-es-Seboua, sont au dehors
de la montagne. Le plus célèbre et le plus original des
hémi-spéos est à Déir-el-Bahari. dans la nécropole thébaine,
et fut bâti par la reine Hatshopsitou (Fig.89). Le sanctuaire et les deux chapelles qui l'accompagnent,
selon la coutume, étaient creusés à 30 mètres environ
au-dessus du niveau de la vallée. Pour y atteindre,
on traça des rampes et on étagea des terrasses, dont
l'insuffisance des fouilles entreprises jusqu'à présent
ne permet pas de saisir l'agencement.
et le temple
isolé, les Égyptiens
avaient encore quelque
chose d'intermédiaire,
le temple
adossé à la montagne,
mais qui n'y
pénètre point. Le
temple du Sphinx à
Gizéh, celui de Séti Ier à Abydos
sont deux bons exemples
du genre. J'ai déjà parlé du
premier; l'aire du second
(Fig.90) a été découpée dans
une bande de sable étroite et
basse qui sépare la plaine du
désert. Il était enterré jusqu'au
toit, la crête des murs sortait à
peine du sol, et l'escalier qui montait aux terrasses
conduisait également au sommet de la colline. L'avant-corps,
qui se détachait en plein relief, n'annonçait rien
d'extraordinaire: deux pylônes, deux cours, un portique
droit à piliers carrés, les bizarreries ne commençaient
qu'au delà. C'étaient d'abord deux hypostyles
au lieu d'un seul. Ils sont séparés par un mur percé de sept portes, n'ont point de nef centrale, et le
sanctuaire donne directement sur le second. C'est,
comme d'ordinaire, une chambre oblongue percée aux
deux extrémités; mais les pièces qui, ailleurs, l'enveloppaient
sans le toucher, sont ici placées côte à côte
sur une même ligne, deux à droite, quatre à gauche;
de plus, elles sont surmontées de voûtes en encorbellement
et ne reçoivent de
jour que par la porte.
Derrière le sanctuaire, même changement; la salle hypostyle
s'appuie au mur du fond, et ses dépendances
sont distribuées inégalement à droite et à gauche. Et,
comme si ce n'était pas assez, on a construit, sur le
flanc gauche, une cour, des chambres à colonnes, des
couloirs, des réduits obscurs, une aile entière, qui se
détache en équerre du bâtiment principal et n'a pas
de contrepoids sur la droite. L'examen des lieux
explique ces irrégularités. La colline n'est pas large en
cet endroit, et le petit hypostyle en touche presque le
revers. Si on avait suivi le plan normal sans rien y
changer, on l'aurait percée de part en part, et le
temple n'aurait plus eu ce caractère de temple adossé,
que le fondateur avait voulu lui donner. L'architecte
répartit donc en largeur les membres qu'on disposait
d'ordinaire en longueur, et même en rejeta une partie
sur le côté. Quelques années plus ***, quand Ramsès II éleva, à une centaine de mètres vers le nord-ouest,
un monument consacré à sa propre mémoire, il
se garda bien d'agir comme son père. Son temple, assis
au sommet de la colline, eut l'espace nécessaire à
s'étendre librement, et le plan ordinaire s'y déploie
dans toute sa rigueur.
La plupart des temples, même les plus petits, sont
enveloppés d'une enceinte quadrangulaire. A Médinét-Habou,
elle est en grès, basse et crénelée; c'est une
fantaisie de Ramsès III qui, en prêtant à son monument
l'aspect extérieur d'une forteresse, a voulu perpétuer
le souvenir de ses victoires syriennes. Partout
ailleurs, les pertes sont en pierre, les murailles en briques
sèches, à assises tordues. L'enceinte n'était pas
destinée, comme on l'a dit souvent, à isoler le temple
et à dérober aux yeux des profanes les cérémonies qui
s'y accomplissaient. Elle marquait la limite où s'arrêtait
la maison du dieu, et servait au besoin à repousser
les attaques d'un ennemi dont les richesses accumulées
dans le sanctuaire auraient allumé la cupidité. Des
allées de sphinx, ou, comme à Karnak, une suite
de pylônes échelonnés, menaient des portes aux différentes
entrées, et formaient autant de larges voies
triomphales. Le reste du terrain était occupé, en partie
par les étables, les celliers, les greniers des prêtres, en
partie par des habitations privées. De même qu'en Europe,
au moyen âge, la population s'amassait plus
dense autour des églises et des abbayes, en Égypte, elle
se pressait autour des temples, pour profiter de la tranquillité
qu'assuraient au dieu la terreur de son nom et
la solidité de ses remparts. Au début, on avait réservé
un espace vide le long des pylônes et des murs, puis
les maisons envahirent ce chemin de ronde et s'appuyèrent
à la paroi même. Détruites et rebâties sur
place pendant des siècles, le sol s'exhaussa si bien de
leurs débris, que la plupart des temples finirent par
s'enterrer peu à peu et se trouvèrent en contrebas des quartiers environnants. Hérodote le raconte de Bubaste,
et l'examen des lieux montre qu'il en était de même
dans beaucoup d'endroits. A Ombos, à Edfou, à Dendérah,
la cité entière tenait dans la même enceinte que
la maison divine. A El-Kab, l'enceinte du temple
était distincte de celle de la ville; elle
formait une sorte de donjon où la garnison pouvait chercher un dernier
abri. A Memphis, à Thèbes, il y avait autant de donjons
que de temples principaux, et ces forteresses divines,
d'abord isolées au milieu des maisons, furent, à partir
de la XVIIIe dynastie, réunies entre elles par des avenues
bordées de sphinx. C'était le plus souvent des
androsphinx à tête d'homme et au corps de lion, mais
on trouve aussi des criosphinx à corps de lion et à tête
de bélier (Fig.91), ou même, dans les endroits où le
culte local comportait une pareille substitution, des
béliers agenouillés qui tiennent une figure du souverain
dédicateur entre leurs pattes de devant (Fig.92).
L'avenue qui va de Louxor à Karnak était composée
de ces éléments divers. Elle a 2 kilomètres de long et s'infléchit à diverses reprises, mais n'y reconnaissez
pas une preuve nouvelle de l'horreur des Égyptiens
pour la symétrie. Les enceintes des deux temples
n'étaient pas orientées de la même manière, et les avenues
tracées perpendiculairement sur le front de chacune
d'elles ne se seraient jamais raccordées, si on ne
les avait fait dévier de leur direction première. En résumé,
les habitants de Thèbes voyaient de leurs temples
presque tout ce que nous en voyons. Le sanctuaire et
ses dépendances immédiates leur étaient fermés; mais
ils avaient accès à la façade, aux cours, même à la salle
hypostyle, et ils pouvaient admirer les chefs-d'oeuvre
de leurs architectes presque aussi librement que nous
faisons aujourd'hui.
3.--LA DÉCORATION.
La tradition antique affirmait que les premiers temples
égyptiens ne renfermaient aucune image sculptée, aucune inscription, aucun symbole, et de fait le temple
du Sphinx est nu. C'est là toutefois un exemple unique.
Les fragments d'architrave et de parois employés comme
matériaux dans la pyramide septentrionale de Lisht, et
qui portent le nom de Khâfrî, montrent qu'il n'en était
déjà plus ainsi dès le temps de la IVe dynastie. A l'époque
thébaine, toutes les surfaces lisses, pylônes, parements
des murs, fûts des colonnes, étaient couvertes de tableaux
et de légendes. Sous les Ptolémées et sous les
Césars, lettres et figures étaient tellement pressées,
qu'il semble que la pierre disparaisse sous la masse des
ornements dont elle est chargée. Un coup d'oeil rapide
suffit à montrer que les scènes ne sont pas jetées au hasard.
Elles s'enchaînent, se déduisent les unes des autres
et forment comme un grand livre mystique, où les
relations officielles des dieux avec l'homme et de
l'homme avec les dieux sont clairement expliquées à
qui sait le comprendre. Le temple était bâti à l'image
du monde, tel que les Egyptiens le connaissaient. La
terre était pour eux une sorte de table plate et mince,
plus longue que large. Le ciel s'étendait au-dessus,
semblable, selon les uns, à un immense plafond de fer,
selon les autres, à une voûte surbaissée. Comme il ne
pouvait rester suspendu sans être appuyé de quelque
support qui l'empêchât de tomber, on avait imaginé de
le maintenir en place au moyen de quatre étais ou de
quatre piliers gigantesques. Le dallage du temple représentait
naturellement la terre. Les colonnes et, au
besoin, les quatre angles des chambres figuraient les
piliers. Le toit, voûté à Abydos, plat partout ailleurs,
répondait exactement à l'opinion qu'on se faisait du ciel. Chaque partie recevait une décoration appropriée
à sa signification. Ce qui touchait au sol se revêtait
de végétation. La base des colonnes était entourée
de feuilles, le pied des murs se garnissait de longues
tiges de lotus ou de papyrus (Fig.98), au milieu desquelles
passaient quelquefois des animaux. Des bouquets
de plantes fluviales, émergeant de l'eau (Fig.94),
égayaient les soubassements de certaines chambres.
Ailleurs, c'étaient
des fleurs épanouies, entremêlées de boutons isolés (Fig.95) ou reliées par des cordes
(Fig.96), des emblèmes indiquant la réunion des
deux Égyptes entre les mains d'un seul Pharaon
(Fig.97), des oiseaux à bras d'hommes assis en adoration
sur le signe des fêtes solennelles, ou des prisonniers
accroupis et liés au poteau deux à deux, un
nègre avec un Asiatique
(Fig.98). Des Nils mâles
et femelles s'agenouillaient
(Fig.99), ou s'avançaient
majestueusement
en procession, au ras de
terre, les mains chargées
de fleurs et de fruits. Ce
sont les nomes de l'Égypte,
les lacs, les districts qui apportent leurs produits
au dieu. Une fois même, à Karnak, Thoutmos III
a gravé sur le soubassement les fleurs, les plantes et
les
animaux des pays étrangers qu'il avait vaincus
(Fig.100). Le plafond, peint en bleu, était semé d'étoiles
jaunes à cinq branches, auxquelles se mêlent par endroits les cartouches du roi fondateur. De longues
bandes d'hiéroglyphes rompaient d'espace en espace la
monotonie de ce ciel d'Égypte.
Les vautours de Nekhab
et d'Ouazit, les déesses du midi et du nord, couronnés
et armés d'emblèmes divins (Fig.101), planent
dans la travée centrale des salles hypostyles, dans les
soffites des portes, par-dessus la route que le roi suivait
pour se rendre au sanctuaire.
Au Ramesséum, à
Edfou, à Philae, à Dendérah, à Ombos, à Esnéh, les
profondeurs du firmament semblent s'ouvrir et révéler leurs habitants aux yeux des fidèles. L'Océan céleste
déroule ses eaux, où le soleil et la lune naviguent, escortés
des planètes, des constellations et des décans, où
les génies des mois et des jours marchent en longues
files. A l'époque ptolémaïque, des zodiaques, composés
à l'imitation des zodiaques grecs, se placent à côté des
tableaux astronomiques d'origine purement égyptienne
(Fig.102). La décoration des architraves qui portaient
les dalles de la couverture était complètement indépendante
de celle de la couverture proprement dite.
On n'y voyait que des légendes hiéroglyphiques en
gros caractères, où les beautés du temple, le nom des
rois qui y avaient travaillé, la gloire des dieux auxquels
il était consacré, sont célébrés avec emphase. En
résumé, l'ornementation du soubassement et celle du
plafond étaient restreintes à un petit nombre de sujets
toujours les mêmes; les tableaux les plus importants et
les plus variés étaient comme suspendus entre ciel et
terre, à la paroi des chambres et des pylônes.
Ils illustrent les rapports officiels de l'Égypte avec
les dieux. Les gens du commun n'avaient pas le droit
de commercer directement avec la divinité. Il leur fallait
un médiateur qui, tenant à la fois de la nature humaine
et de la nature divine, fût en état de les percevoir
également l'une et l'autre. Seul, le roi, fils du soleil,
était d'assez haute extraction pour contempler le dieu
du temple, le servir et lui parler face à face. Les sacrifices
ne se faisaient que par lui ou par délégation de
lui; même l'offrande aux morts était censée passer par
ses mains, et la famille se prévalait de son nom (souten
di hotpou) pour l'envoyer dans l'autre monde. Le roi est donc partout dans le temple, debout, assis, agenouillé,
occupé à égorger la victime, à en présenter les
morceaux, à verser le vin, le lait, l'huile, à brûler l'encens:
c'est l'humanité entière qui agit en lui et accomplit
ses devoirs envers la divinité. Lorsque la cérémonie
qu'il exécute exige le concours de plusieurs personnes,
alors seulement des aides mortels, autant que possible
des membres de sa famille, paraissent à ses côtés. La
reine,
debout derrière lui, comme Isis derrière Osiris, lève la main pour le protéger, agite le sistre ou bat le
tambourin pour éloigner de lui les mauvais esprits,
tient le bouquet ou le vase à libation. Le fils aîné tend
le filet ou lasse le taureau, et récite la prière pour lui,
tandis qu'il lève vers le dieu chaque objet prescrit par
le rituel. Un prêtre remplace parfois le prince, mais
les autres hommes n'ont jamais que des rôles infimes:
ils sont bouchers ou servants, ils portent la barque ou
le palanquin du dieu. Le dieu, de son côté, n'est pas
toujours seul; il a sa femme et son fils à côté de lui,
puis les dieux des nomes voisins et, d'une manière générale,
les dieux de l'Égypte entière. Du moment que le
temple est l'image du monde, il doit comme le monde
même renfermer tous les dieux grands et petits. Ils
sont le plus souvent rangés derrière le dieu principal,
assis ou debout, et partagent avec lui l'hommage du
souverain. Quelquefois cependant, ils prennent une
part active aux cérémonies. Les esprits d'On et de
Khonou s'agenouillent devant le soleil et l'acclament.
Hor et Sit ou Thot amènent Pharaon à son père
Amon-Râ, ou remplissent à côté de lui les fonctions
réservées ailleurs au prince ou au prêtre: ils l'aident à
renverser la victime, à prendre dans le filet les oiseaux
destinés au sacrifice, ils versent sur sa tête l'eau de
jeunesse et de vie qui doit le laver de ses souillures. La
place et la fonction de ces dieux synèdres était définie
strictement par la théologie. Le soleil, allant d'Orient
en Occident, coupait, disent les textes, l'univers en deux
mondes, celui du midi et celui du nord. Le temple
était double comme l'univers, et une ligne idéale, passant
par l'axe du sanctuaire, le divisait en deux temples, le temple du midi à droite, le temple du nord à gauche.
Les dieux et leurs différentes formes étaient répartis
entre ces deux temples, selon qu'ils appartenaient au
midi ou au nord. Et cette fiction de dualité était poussée
plus loin encore: chaque chambre se divisait, à l'imitation
du temple, en deux moitiés dont l'une, celle de
droite, était du midi et l'autre était du nord. L'hommage
du roi, pour être complet, devait se faire dans
le temple du midi et dans celui du nord, aux dieux du
midi et à ceux du nord, avec les produits du midi et
avec ceux du nord. Chaque tableau devait donc se répéter
au moins deux fois dans le temple, sur une paroi
de droite et sur une paroi de gauche. Amon, à droite,
recevait le blé, le vin, les liqueurs du midi; à gauche,
le blé, le vin, les liqueurs du nord, et ce qui est vrai
d'Amon l'est de Mout, de Khonsou, de Montou, de
bien d'autres. Dans la pratique, le manque d'espace
empêchait qu'il en fût toujours ainsi, et on ne rencontre
souvent qu'un seul tableau où produits du nord et produits
du midi étaient confondus, devant un Amon qui
représentait à lui seul l'Amon du midi et l'Amon du
nord. Cette dérogation à l'usage n'est jamais que momentanée:
la symétrie se rétablissait dès que le permettaient
les circonstances.
Aux temps pharaoniques, les tableaux ne sont pas
très serrés l'un contre l'autre. La surface à couvrir,
arrêtée en bas par une ligne tracée au-dessus de la décoration
du soubassement, est limitée vers le haut, soit
par la corniche normale, soit par une frise composée
d'uraeus, de faisceaux de lotus alignés côte à côte,
de cartouches royaux (Fig.103), entourés de symboles divins, d'emblèmes
empruntés au culte local, des têtes
d'Hathor, par exemple, dans un temple d'Hathor, ou
d'une dédicace horizontale en belles lettres gravées
profondément. Le panneau ainsi encadré ne formait
souvent qu'un seul registre, souvent aussi se divisait
en deux registres superposés; il fallait une muraille
bien haute pour que ce
nombre fût dépassé. Figures
et légendes étaient espacées
largement et les scènes
se succédaient à la file presque
sans séparation
matérielle;
c'était affaire au spectateur d'en discerner le
commencement et la fin. Les têtes du roi étalent de véritables
portraits dessinés d'après nature, et la figure des
dieux en reproduisait les traits aussi exactement que
possible. Puisque Pharaon était fils des dieux, la façon
la plus sûre d'obtenir la ressemblance était de modeler
leur visage sur le visage de Pharaon. Les acteurs secondaires
n'étaient pas moins soignés que les autres, mais
quand il y en avait trop, on les distribuait sur deux ou
trois registres, dont la hauteur totale ne dépasse jamais
celle des personnages principaux. Les offrandes, les
sceptres, les bijoux, les vêtements, les coiffures, les meubles,
tous les accessoires étaient traités avec un souci très
réel de l'élégance et de la vérité. Les couleurs, enfin,
étaient combinées de telle façon qu'une tonalité générale
dominât dans une même localité. Il y avait dans les
temples des pièces qu'on pouvait appeler à juste titre:
la salle bleue, la salle rouge, la salle d'or.
Voilà pour
l'époque classique. A mesure qu'on descend vers les bas temps, les scènes se multiplient. Sous les Grecs et
sous les Romains, elles sont si nombreuses que la plus petite muraille ne peut les contenir à moins de quatre
(Fig.104), cinq, six, huit registres. Les figures principales
semblent se contracter sur elles-mêmes pour occuper
moins de place, et des milliers de menus hiéroglyphes
envahissent tout l'espace qu'elles ne remplissent pas.
Les dieux et les rois ne sont plus des portraits du souverain
régnant, mais des types de convention sans
vigueur et sans vie. Quant aux figures secondaires et
aux accessoires, on n'a plus qu'un souci, c'est de
les entasser aussi serré que possible. Ce n'est pas là
faute de goût; une idée religieuse a décidé et précipité
ces changements. La décoration n'avait pas seulement
pour objet le plaisir des yeux. Qu'on l'appliquât
à un meuble, à un cercueil, à une maison, à un
temple, elle possédait une vertu magique, dont chaque
être ou chaque action représentée, chaque parole
inscrite ou prononcée au moment de la consécration,
déterminait la puissance et le caractère. Chaque tableau
était donc une amulette en même temps qu'un ornement.
Tant qu'il durait, il assurait au dieu le bénéfice
de l'hommage rendu ou du sacrifice accompli par le
roi; il confirmait au roi, vivant ou mort, les grâces que
le dieu lui avait accordées en récompense, il préservait
contre la destruction le pan de mur sur lequel il était
tracé. A la XVIIIe dynastie, on pensait qu'une ou deux
amulettes de ce genre suffisaient à obtenir l'effet qu'on
en attendait. Plus ***, on crut qu'on ne saurait trop
en augmenter la quantité, et on en mit autant que la
muraille pouvait en recevoir. Une chambre moyenne
d'Edfou et de Dendérah fournit à l'étude plus de matériaux
que la salle hypostyle de Karnak, et la chapelle
d'Antonin à Philae, si elle avait été terminée, renfermerait
autant de scènes que le sanctuaire de Louxor et
le couloir qui l'enveloppe.
En voyant la variété des sujets traités sur les murs
d'un même temple, on est d'abord tenté de croire que la
décoration ne forme pas un ensemble suivi d'un bout
à l'autre, et que, si plusieurs séries sont, à n'en pas
douter, le développement d'une seule idée historique
ou dogmatique, d'autres sont jetées simplement à la
file, sans aucun lien qui les rattache entre elles.
A Louxor et au Ramesséum, chaque face de pylône est
un champ de bataille, sur lequel on peut étudier presque
jour à jour la lutte de Ramsès II contre les Khiti, en
l'an V de son règne, le camp des Égyptiens attaqué de
nuit, la maison du roi surprise pendant la marche, la
défaite des barbares, leur fuite, la garnison de Qodshou
sortie au secours des vaincus, les mésaventures du
prince de Khiti et de ses généraux. Ailleurs la guerre
n'est point représentée, mais le sacrifice humain qui
marquait jadis la fin de chaque campagne: le roi saisit
aux cheveux les prisonniers prosternés à ses pieds, et
lève la massue comme pour écraser leurs têtes d'un
seul coup. A Karnak, le long du mur extérieur, Séti Ier
fait la chasse aux Bédouins du Sinaï. Ramsès III, à
Médinét-Habou, détruit la flotte des peuples de la mer,
ou reçoit les mains coupées des Libyens que ses soldats
lui apportent en guise de trophées. Puis, sans transition,
on aperçoit un tableau pacifique, où Pharaon
verse à son père Amon une libation d'eau parfumée.
Il semble qu'on ne puisse établir aucun lien entre ces
scènes, et pourtant l'une est la conséquence nécessaire des autres. Si le dieu n'avait pas donné la victoire au
roi, le roi à son tour n'aurait pas institué les cérémonies
qui s'accomplissaient dans le temple. Le sculpteur
a transporté les événements sur la muraille, dans l'ordre
où ils s'étaient passés, la victoire, puis le sacrifice, le
bienfait du dieu d'abord et les actions de grâces du roi.
A y regarder de près, tout se suit, tout s'enchaîne de la
même manière dans cette multitude d'épisodes. Tous
les tableaux, et ceux-là dont la présence s'explique le
moins au premier coup d'oeil, représentent les moments
d'une action unique, qui commence à la porte et se déroule,
à travers les salles, jusqu'au fond du sanctuaire.
Le roi entre au temple. Dans les cours, le souvenir de
ses victoires frappe partout ses regards; mais voici que
le dieu sort à sa rencontre, caché dans une châsse et
environné de prêtres. Les rites prescrits en pareil cas
sont retracés sur les murs de l'hypostyle où ils s'exécutaient,
puis roi et dieu prennent ensemble le chemin
du sanctuaire. Arrivés à la porte qui donne accès de
la partie publique dans la partie mystérieuse du
temple, le cortège humain s'arrête, et le roi, franchissant
le seuil, est accueilli par les dieux. Il fait l'un
après l'autre tous les exercices religieux auxquels
l'oblige la coutume; ses mérites s'accroissent par la
vertu des prières, ses sens s'affinent, il prend place
parmi les types divins, et pénètre enfin dans le sanctuaire,
ou le dieu se révèle à lui sans témoin et lui parle
face à face. La décoration reproduit fidèlement le progrès
de cette présentation mystique: accueil bienveillant
des divinités, gestes et offrandes du roi, les vêtements
qu'il dépouille ou revêt successivement, les couronnes dont il se coiffe, les prières qu'il récite et les
grâces qui lui sont conférées, tout est gravé sur les murs
en ses lieu et place. Le roi et les rares personnes qui
l'accompagnent ont le dos tourné à la porte d'entrée, la
face tournée à la porte du fond. Les dieux au contraire,
ceux du moins qui ne font point partie pour le moment
de l'escorte royale, ont la face à la porte, le dos au
sanctuaire. Si, au cours d'une cérémonie, le roi officiant
venait à manquer de mémoire, il n'avait qu'à lever les
yeux vers la muraille pour y trouver ce qu'il devait
faire.
Et ce n'est pas tout: chaque partie du temple avait
son décor accessoire et son mobilier. La face extérieure
des pylônes était garnie, non seulement des mâts à banderoles
dont j'ai déjà parlé, mais de statues et d'obélisques.
Les statues, au nombre de quatre ou de six, étaient
en calcaire, en granit ou en grès. Elles représentaient toujours
le roi fondateur et atteignaient parfois une taille
prodigieuse. Les deux Memnon qui siégeaient à l'entrée
de la chapelle d'Amenhotpou III, à Thèbes, mesurent
environ seize mètres de haut. Le Ramsès II du Ramesséum
a dix-sept mètres et demi, celui de Tanis vingt
mètres au moins. Le plus grand nombre ne dépassait
pas six mètres. Elles montaient la garde en avant du
temple, la face au dehors, comme pour faire front à
l'ennemi. Les obélisques de Karnak sont presque tous
perdus au milieu des cours intérieures; même ceux de
la reine Hatshopsitou ont été encastrés, jusqu'à cinq
mètres au-dessus du sol, dans des massifs de maçonnerie
qui en cachaient la base. Ce sont là des accidents faciles
à expliquer. Chacun des pylônes qu'ils précèdent a été tour à tour la façade du temple, et ne
s'est trouvé relégué aux derniers
plans
que par les travaux successifs des Pharaons.
La place réelle des obélisques
est en avant des colosses, de chaque
côté de la porte; ils ne vont jamais
que par paire, de hauteur souvent
inégale. On a prétendu reconnaître en
eux l'emblème d'Amon-Générateur, un
doigt de dieu, l'image d'un rayon de
soleil. A dire le vrai, ils ne sont que la
forme régularisée de ces pierres levées,
qu'on plantait en commémoration des
dieux et des morts chez les peuples
à demi sauvages. Les tombes de la
IVe dynastie en renferment déjà, qui
n'ont guère plus d'un mètre, et sont
placés à droite et à gauche de la stèle,
c'est-à-dire de la porte qui conduit au
logis du défunt; ils sont en calcaire
et ne nous apprennent qu'un nom et
des titres. A la porte des temples, ils
sont en granit et prennent des dimensions
considérables, 20m,75 à Héliopolis
(Fig.105), 23m,59 et 23m,03 à
Louxor. Le plus élevé de ceux que l'on
possède aujourd'hui, celui de la reine
Hatshopsitou à Karnak, monte jusqu'à
33m,20. Faire voyager des masses pareilles
et les calibrer exactement était
déjà chose difficile, et l'on a peine à comprendre comment les Égyptiens réussissaient à les dresser rien
qu'avec des cordes et des caissons de sable. La reine
Hatshopsitou se vante d'avoir taillé, transporté, érigé les
siens en sept mois, et nous n'avons aucune raison de
douter de sa parole. Les obélisques étaient presque
tous établis sur plan carré, avec les faces légèrement
convexes et une pente insensible de haut en bas. La
base était d'un seul bloc carré, orné de légendes ou
de cynocéphales en ronde bosse, adorant le soleil. La
pointe était coupée en pyramidion et revêtue, par exception,
de bronze ou de cuivre doré. Des scènes d'offrandes
à Râ-Harmakhis, Hor, Atoum, Amon, sont gravées sur
les pans du pyramidion et s'étagent à la partie supérieure
du prisme; le plus souvent, les quatre faces verticales
n'ont d'autre ornement que des inscriptions en
lignes parallèles consacrées exclusivement à l'éloge du
roi. Voilà l'obélisque ordinaire: on en rencontre çà
et là d'un type différent. Celui de Bégig, au Fayoum
(Fig.106), est sur plan rectangulaire et s'arrondit en pointe
mousse. Une entaille, pratiquée au sommet, prouve qu'il
se terminait par quelque emblème en métal, un épervier
peut-être, comme l'obélisque représenté sur une stèle
votive du Musée de Boulaq. Cette forme, qui dérive ainsi
que la première de la pierre levée, dura jusqu'aux derniers
jours de l'art égyptien: on la signale encore à
Axoum, en pleine Éthiopie, vers le IVe siècle de notre ère,
à une époque où l'on se contentait en Égypte de transporter
les anciens obélisques, sans plus songer à en élever
de nouveaux. Telle était la décoration accessoire du
pylône. Les cours intérieures et les salles hypostyles renfermaient
encore des colosses. Les uns, adossés à la face externe des piliers ou des murs, étaient à demi engagés
dans la maçonnerie et bâtis par
assise; ils présentaient
le roi, debout, muni des insignes d'Osiris. Les autres,
placés à Louxor sous le péristyle, à Karnak des deux
côtés de la travée centrale, entre chaque colonne, étaient aussi à
l'image du Pharaon, mais du
Pharaon triomphant et revêtu de son
costume d'apparat. Le droit de consacrer
une statue dans le temple était
avant tout un droit régalien; cependant
le roi permettait quelquefois à
des particuliers d'y dédier leurs statues
à côté des siennes. C'était alors
une grande faveur, et l'inscription de
ces monuments mentionne toujours
qu'ils ont été déposés par la grâce
du roi à la place qu'ils occupent. Si
rarement que ce privilège fût accordé
par le souverain, les statues votives
avaient fini par s'accumuler avec les
siècles, et les cours de certains temples
en étaient remplies. A Karnak, l'enceinte
du sanctuaire était garnie extérieurement
d'une sorte de banc épais,
construit à hauteur d'appui en façon
de socle allongé. C'est là que les statues étaient placées,
le dos au mur. Elles étaient accompagnées chacune
d'un bloc de pierre rectangulaire, muni sur l'un
des côtés d'une saillie creusée en gouttière: c'est ce
que l'on appelle la table d'offrandes (Fig.107). La face
supérieure en est évidée plus ou moins profondément et porte souvent en relief des pains, des cuisses de boeuf,
des vases à libations couchés à plat, et les autres objets
qu'on avait accoutumé de présenter aux morts ou aux
dieux. Celles du roi Amoni-Entouf-Amenemhâït, à
Boulaq, sont des blocs
de plus d'un mètre de
long, en grès rouge, dont
la face supérieure est
chargée de godets creusés
régulièrement; une
offrande particulière répondait
à chaque godet. Un culte était en effet attaché
aux statues, et les tables étaient de véritables autels, sur
lesquels on déposait, pendant le sacrifice, les portions
de la victime, les gâteaux, les fruits, les légumes.
Le sanctuaire et les pièces qui l'environnent contenaient
le matériel du culte. Les
bases d'autel sont, les unes carrées
et un peu massives, les autres polygonales
ou cylindriques; plusieurs
de ces dernières ressemblent assez
à un petit canon pour que les Arabes
leur en donnent le nom. Les plus
anciennes sont de la Ve dynastie; la
plus belle, déposée aujourd'hui à
Boulaq, a été dédiée par Séti Ier. Le seul autel complet
que je connaisse a été découvert à Menshiéh en 1884
(Fig.108). Il est en calcaire blanc, compact, poli comme
le marbre, et a pour pied un cône très allongé, sans
ornement qu'un tore d'environ dix centimètres
au-dessous
du sommet. Un vaste bassin hémisphérique s'emboîte dans une entaille carrée, qui sert comme de
gueule au canon. Les naos sont de petites chapelles
de pierre ou de bois (Fig.109) où logeait en tout temps
l'esprit, à certaines fêtes, le corps même du dieu. Les
barques sacrées étaient bâties sur le modèle de la bari
dans laquelle le soleil accomplissait sa course journalière.
Un naos s'élevait au milieu, recouvert d'un voile
qui ne permettait pas aux spectateurs de voir ce qu'il
renfermait;
l'équipage était figuré, chaque dieu à son
poste de manoeuvre, les pilotes d'arrière au gouvernail,
la vigie à l'avant, le roi à genoux, devant la porte du
naos. Nous n'avons trouvé jusqu'à présent aucune des
statues qui servaient aux cérémonies du culte, mais
nous savons l'aspect qu'elles avaient, le rôle qu'elles
jouaient, les matières dont elles étaient composées.
Elles étaient animées et avaient, outre leur corps de
pierre, de métal, ou de bois, une âme enlevée par
magie à l'âme de la divinité qu'elles représentaient.
Elles parlaient, remuaient, agissaient, réellement et
non par métaphore. Les derniers Ramessides n'entreprenaient
rien sans les consulter; ils s'adressaient
à elles, leur exposaient l'affaire, et, après chaque question,
elles approuvaient en secouant la tête. Dans la stèle
de Bakhtan, une statue de Khonsou impose quatre fois
les mains sur la
nuque d'une autre statue, pour lui
transmettre le pouvoir de chasser les démons. La reine
Hatshopsitou envoya une escadre à la recherche des Pays
de l'Encens, après avoir conversé avec la statue d'Amon
dans l'ombre du sanctuaire.
En théorie, l'âme divine
était censée produire seule des miracles: dans la pratique,
la parole et le mouvement étaient le résultat d'une
fraude pieuse. Avenues interminables de sphinx, obélisques
gigantesques, pylônes massifs, salles aux cent
colonnes, chambres mystérieuses ou le jour ne pénétrait
jamais, le temple égyptien tout entier était bâti pour
servir de cachette à une poupée articulée, dont un prêtre
agitait les fils.
CHAPITRE III
LES TOMBEAUX
Les Égyptiens composaient l'homme de plusieurs
êtres différents, dont chacun avait ses fonctions et sa vie
propre. C'était d'abord le corps, puis le double (ka), qui
est le second exemplaire du corps en une matière moins
dense que la matière corporelle, une projection colorée,
mais aérienne de l'individu, le reproduisant trait pour
trait, enfant, s'il s'agissait d'un enfant, femme s'il s'agissait
d'une femme, homme s'il s'agissait d'un homme. Après le double venait l'âme (bi, baï), que l'imagination
populaire se représentait sous la figure d'un oiseau, et
après l'âme, le lumineux (khou), parcelle de flamme
détachée du feu divin. Aucun de ces éléments n'était impérissable
par nature; mais, livrés à eux-mêmes, ils n'auraient
pas ***é à se dissoudre et l'homme à mourir une
seconde fois, c'est-à-dire à tomber dans le néant. La
piété des survivants avait trouvé le moyen d'empêcher
qu'il en fût ainsi. Par l'embaumement, elle suspendait
pour les siècles la décomposition des corps; par la
prière et par l'offrande, elle sauvait le double, l'âme et
le lumineux de la seconde mort, et elle leur procurait ce
qui leur était nécessaire à prolonger leur existence. Le
double ne quittait jamais le lieu où reposait la momie.L'âme et le lumineux s'en éloignaient pour suivre les
dieux, mais y revenaient sans cesse, comme un voyageur
qui rentre au logis après une absence. Le tombeau était
donc une maison, la maison éternelle du mort, au prix
de laquelle les maisons de cette terre sont des hôtelleries,
et le plan sur lequel il était établi répondait fidèlement
à la conception que l'on se faisait de l'autre
vie. Il devait renfermer les appartements privés de
l'âme, où nul vivant ne pouvait pénétrer sans sacrilège,
passé le jour de l'enterrement, les salles d'audience du
double, où les prêtres et les amis venaient apporter
leurs souhaits et leurs offrandes, et, entre les deux, des
couloirs plus ou moins longs. La manière dont ces
trois parties étaient disposées variait beaucoup selon les
époques, les localités, la nature du terrain, la condition
et le caprice de chaque individu. Souvent les pièces
accessibles au public étaient bâties au-dessus du sol et
formaient un édifice isolé. Souvent encore, elles étaient
creusées entièrement dans le flanc d'une montagne
avec le reste du tombeau. Souvent enfin, le réduit où
la momie reposait et le couloir étaient dans un endroit,
tandis qu'elles s'élevaient au loin dans la plaine.
Mais, si l'on remarque des variantes nombreuses dans
les détails et dans le groupement des parties, le principe
est toujours le même: la tombe est un logis, dont l'agencement
doit favoriser le bien-être et assurer la perpétuité du mort.
1.--LES MASTABAS.
Les tombes monumentales les plus anciennes sont
toutes réunies dans la nécropole de Memphis, d'Abou-Roâsh à Dahshour, et appartiennent au type des mastabas.
Le mastaba (Fig.110) est une construction quadrangulaire
qu'on prendrait de loin pour une pyramide
tronquée. Plusieurs ont 10 ou 12 mètres de haut, 50 mètres
de façade, 25 mètres de profondeur; d'autres n'atteignent
pas 3 mètres de hauteur et 5 mètres de largeur.
Les faces sont inclinées symétriquement et le plus souvent
unies; parfois
cependant les assises
sont en retraite et
forment presque
gradins. Les matériaux
employés sont
la pierre ou la brique. La pierre est toujours le
calcaire, débité en blocs, longs d'environ 0m,80 sur
0m,50 de hauteur et sur 0m,60 de profondeur. On rencontre
trois sortes
de calcaire: pour les tombes soignées, le beau calcaire blanc de Tourah ou le calcaire
siliceux compact de Saqqarah; pour les tombes ordinaires,
le calcaire marneux de la montagne Libyque. Ce
dernier, mêlé à des couches minces de sel marin et
traversé par des filons de gypse cristallisé, est friable
à l'excès et prête peu à l'ornementation. La brique est
de deux espèces, et simplement séchée au soleil. La
plus ancienne, dont l'usage cesse vers la VIe dynastie,
est de petites dimensions (0m,22 x 0m,11 x 0m,14), d'aspect
jaunâtre, et ne renferme que du sable mêlé d'un peu
d'argile et de gravier; l'autre est de la terre mêlée de
paille, noire, compacte, moulée avec soin et d'assez
grand module (0m,38 x 0m,18 x 0m,14). La façon de la
maçonnerie interne n'est pas la même selon la nature des matériaux que l'architecte a employés. Neuf fois sur
dix, les mastabas en pierre n'ont d'appareil régulier
qu'à l'extérieur. Le noyau est en moellons grossièrement
équarris, en gravats, en fragments de calcaire,
rangés sommairement par couches horizontales, et
noyés dans de la terre délayée, ou même entassés au
hasard, sans mortier d'aucune sorte. Les mastabas en
briques sont presque toujours de construction homogène;
les parements extérieurs sont cimentés avec soin,
et les lits reliés à l'intérieur par du sable fin coulé
dans les interstices. La masse devait être orientée canoniquement,
les quatre faces aux quatre points cardinaux,
le plus grand axe dirigé du nord au sud; mais les maçons
ne se sont point préoccupés de trouver le nord
juste, et l'orientation est rarement exacte. A Gizéh, les
mastabas sont distribués selon un plan symétrique et rangés
le long de véritables rues; à Saqqarah, à Abousîr, à
Dahshour, ils s'élèvent en désordre à la surface du plateau,
espacés ou pressés par endroits. Le cimetière musulman
de Siout présente encore aujourd'hui une disposition
analogue à celle qu'on observe à Saqqarah, et
nous permet d'imaginer ce que pouvait être la nécropole
memphite dans les derniers temps de l'ancien Empire.
Une plate-forme unie, non dallée, formée par la dernière
couche du noyau, s'étend au sommet du cube en
maçonnerie. Elle est semée de vases en terre cuite,
enterrés presque à fleur de sol, nombreux au-dessus des
vides intérieurs, rares partout ailleurs. Les murs sont
nus. Les portes sont tournées vers l'est, quelquefois
vers le nord ou vers le sud, jamais vers l'ouest. On
en comptait
deux, l'une réservée aux morts, l'autre accessible aux vivants; mais celle du mort n'était
qu'une niche étroite et haute, ménagée dans la face
est, à côté de l'angle nord-est, et au fond de laquelle
étaient tracées des raies verticales, encadrant
une baie fermée. Souvent même on supprimait ce simulacre
d'entrée, et l'âme se tirait d'affaire comme elle
pouvait. La porte des vivants avait plus ou moins d'importance,
selon le plus
ou moins de développement
de la chambre à
laquelle elle conduisait.
Chambre et porte se confondent
plus d'une fois en un réduit sans profondeur,
décoré d'une stèle et d'une table d'offrandes (Fig.111),
et protégé à l'occasion par un mur qui fait saillie sur
la façade. On a alors une sorte d'avancée, ouvrant
vers le nord, carrée au tombeau de Kaâpîr (Fig.112),
irrégulière dans celui de Nofirhotpou à Saqqarah. (Fig.113). Quand le plan comporte l'existence d'une ou
de plusieurs chambres, la porte est pratiquée au milieu
d'une petite façade architecturale (Fig.114), ou
sous un petit portique soutenu
par deux piliers carrés, sans base et sans abaque (Fig.115). Elle est d'une simplicité
extrême: deux jambages, ornés de bas-reliefs
représentant le défunt
et surmontés
d'un tambour cylindrique
gravé
aux titre et au nom
du propriétaire.
Dans le tombeau
de Pohounika, à
Saqqarah, les montants figurent deux pilastres, couronnés
chacun de deux
fleurs de lotus en relief:
c'est là un fait unique
jusqu'à ce jour. La chapelle était généralement
petite et se
perdait dans la masse de
l'édifice (Fig.116); mais aucune règle précise n'en déterminait
l'étendue. Dans
le tombeau de Ti, on
rencontre d'abord un
portique (A), puis une
antichambre carrée
avec piliers (B), puis un
couloir (C), flanqué d'un cabinet sur la
droite (D) et débouchant dans une dernière chambre (E)
(Fig.117). Il y a là de l'espace pour plusieurs personnes,
et, en effet, la femme de Ti repose à côté de
son mari. Quand le monument appartenait à un seul personnage, pareille complication n'était pas nécessaire.
Un boyau étranglé et court mène dans une pièce
oblongue, où il tombe à angle droit, par le milieu.
Souvent la muraille du fond est lisse, et l'ensemble offre l'aspect d'une sorte de marteau à têtes égales
(Fig.118); souvent aussi, elle se
creuse en face de
l'entrée, et l'on dirait une croix dont le chevet serait
plus ou moins découpé (Fig.119). C'était la distribution la plus fréquente, mais l'architecte était libre de la rejeter,
si bon lui semblait. Telle chapelle consiste de deux couloirs parallèles, soudés par un passage transversal
(Fig.120). Dans telle autre, la chambre s'emmanche
sur le couloir par un des angles (Fig.121). Ailleurs,
dans le tombeau de Phtahhotpou, le terrain concédé était resserré entre des
constructions antérieures et
ne suffisait pas: on a rattaché
le mastaba nouveau
au mastaba ancien, de manière
à leur donner une entrée
commune, et la chapelle
de l'un s'est agrandie de tout l'espace
que couvrait
celle de l'autre (Fig.122). La chapelle était la salle de réception du double.
C'est là que les parents, les amis, les prêtres célébraient
le sacrifice funéraire aux jours prescrits par la loi,
«aux fêtes du commencement des saisons, à la fête de
Thot, au premier jour de l'an, à la fête d'Ouaga, à la
grande fête de la canicule, à la procession du dieu
Mînou, à la fête des pains, aux fêtes du mois et de
la quinzaine et chaque jour». Ils déposaient l'offrande
dans la pièce principale, au pied de la paroi ouest, au point précis où se trouvait l'entrée de la maison
éternelle du mort. Ce point n'était pas, comme la
kiblah des mosquées ou des oratoires musulmans,
orienté toujours vers la même région du compas. On
le trouve assez souvent à l'ouest, mais cette position
n'était pas réglementaire. Il était marqué au début par
une véritable porte, étroite et basse, encadrée et décorée comme la porte
la porte d'une maison ordinaire, mais dont
la baie n'était point percée. Une inscription, tracée sur
le linteau en gros caractères bien lisibles, commémorait
le nom et le rang du maître. Des figures en pied
ou assises étaient gravées sur les côtés et rappelaient
son portrait aux visiteurs. Un tableau, sculpté ou peint
sur les blocs qui fermaient la baie de la porte, le montrait
assis devant un guéridon
et allongeant la main
vers le repas qu'on lui apportait. Une table d'offrandes plate encastrée dans le sol, entre les deux montants,
recevait les mets et les boissons. Les vivants partis, le
double sortait
de chez lui et mangeait. En principe, la
cérémonie devait se renouveler d'année en année, jusqu'à
la consommation des siècles; mais il n'avait pas fallu longtemps aux Égyptiens pour s'apercevoir qu'il
n'en pouvait être ainsi. Au bout de deux ou trois générations,
les morts d'autrefois étaient délaissés au profit
des morts plus récents. Lors même qu'on établissait des
fondations pieuses, dont le revenu payait le repas funèbre
et les prêtres chargés de le préparer, on ne faisait
que reculer l'heure de l'oubli. Le moment arrivait
tôt ou ***, où le double en était réduit à chercher
pâture parmi les rebuts des villes, parmi les excréments,
parmi les choses ignobles et corrompues qui
gisaient abandonnées sur le sol. Pour obtenir que l'offrande
consacrée le jour des funérailles conservât ses
effets à travers les âges, on imagina de la dessiner et de
l'écrire sur les murs de la chapelle (Fig.123). La reproduction
en peinture ou en sculpture des personnes et
des choses assurait à celui au bénéfice de qui on l'exécutait
la réalité des personnes et des choses reproduites:
le double se voyait sur la muraille mangeant et buvant,
et il mangeait et buvait. L'idée une fois admise,
les théologiens et les artistes en tirèrent rigoureusement
les conséquences. On ne se borna pas à donner des provisions
simulées, on y joignit l'image des domaines
qui les produisaient, des troupeaux, des ouvriers, des
esclaves. S'agissait-il de fournir la viande pour l'éternité?
On pouvait se contenter de dessiner les membres
d'un boeuf ou d'une gazelle déjà parés pour la cuisine,
l'épaule, la cuisse, les côtes, la poitrine, le coeur et le
foie, la tête; mais on pouvait aussi reprendre de très
haut l'histoire de l'animal, sa naissance, sa vie au pâturage,
puis la boucherie, le dépeçage, la présentation
des
morceaux. De même, à propos des gâteaux et des pains, rien n'empêchait qu'on retraçât le labourage, les
semailles, la moisson, le battage des grains, la rentrée
au grenier, le pétrissage de la pâte. Les vêtements, les
parures, le mobilier servaient de prétexte à introduire
les fileuses, les tisserands, les orfèvres, les menuisiers.
Le maître domine bêtes et gens de sa taille surhumaine.
Quelques tableaux discrets le montrent courant à toutes voiles vers l'autre monde, sur le bateau des funérailles,
le jour où il avait pris possession de son logis nouveau
(Fig.124). Dans les autres, il est en pleine activité et
surveille ses vassaux fictifs comme il surveillait jadis
ses vassaux réels (Fig.125). Les scènes, si variées et si
désordonnées qu'elles semblent être, ne sont pas rangées
au hasard. Elles convergent toutes vers le semblant de
porte qui était censé communiquer avec
l'intérieur. plus rapprochées représentent
les péripéties du sacrifice et de
l'offrande. Au fur et à mesure que
l'on s'éloigne, les opérations et
les travaux préliminaires s'accomplissent
chacun à son tour.
A la porte, la figure du maître
semble attendre les visiteurs et
leur souhaiter la bienvenue. Les
détails changent à l'infini, les
inscriptions s'allongent ou s'abrègent
au caprice de l'écrivain, la fausse porte perd son caractère architectonique et n'est plus souvent qu'une
pierre de taille médiocre, une stèle, sur laquelle on consigne
le nom du maître et son état civil: grande ou petite,
nue ou décorée richement, la chapelle reste toujours
comme la salle à manger, ou plutôt comme le garde-manger,
où le mort puise à son gré quand il a
faim. De l'autre côté du mur se cachait une cellule étroite
et haute, ou mieux un couloir, d'où le nom de serdab,
que les archéologues lui prêtent à l'exemple des Arabes.
La plupart des mastabas n'en ont qu'un; d'autres en
contiennent trois ou quatre (Fig.126). Ils ne communiquent pas entre eux ni avec la chapelle, et sont
comme noyés dans la maçonnerie (Fig.127). S'ils sont
reliés au monde
extérieur, c'est par un conduit ménagé
à hauteur d'homme (Fig.128) et tellement resserré
qu'on a peine à y glisser la main. Les prêtres venaient
murmurer des prières et brûler des parfums à l'orifice:
le double était au delà et profitait de l'aubaine ou du
moins ses statues l'accueillaient en son nom. Comme sur
la terre, l'homme avait besoin d'un corps pour subsister;
mais le cadavre défiguré par l'embaumement ne rappelait
plus que de loin la forme du vivant. La momie était
unique, facile à détruire; on pouvait la brûler, la démembrer,
en disperser les morceaux. Elle disparue,
qu'adviendrait-il du double? Les statues qu'on enfermait
dans le serdab devenaient, par la consécration,
les corps de pierre ou de bois du défunt. La piété des
parents les multipliait, et, par suite, multipliait aussi
les supports du double; un seul corps était une seule
chance de durée pour lui, vingt représentaient vingt
chances. C'est dans une intention analogue qu'on joignait
aux statues du mort celles de sa femme, de ses
enfants, de ses serviteurs, saisis dans les différents actes de la domesticité, broyant le grain, pétrissant la
pâte, poissant les jarres destinées à contenir le vin. Les
figures plaquées à la muraille de la chapelle s'en détachaient
et prenaient dans le serdab un corps solide.
Ces précautions n'empêchaient pas d'ailleurs qu'on
n'employât tous les moyens pour mettre ce qui restait
du corps de chair à l'abri des causes naturelles de destruction
et des attaques de l'homme. Au tombeau de Ti,
un couloir rapide, qui affleure le sol au milieu de la
première salle, conduit du dehors au caveau; mais c'est
là une exception presque unique; on y descend par
un puits perpendiculaire, creusé rarement dans un coin
de la chapelle, d'ordinaire au centre de la plate-forme
(Fig.129). La profondeur en varie entre 3 et 30 mètres.
Il traverse la maçonnerie, pénètre dans le rocher; au
fond, vers le sud, un couloir, trop bas pour qu'on y
chemine debout, donne accès à une chambre. C'est là
que la momie repose, dans un grand sarcophage en
calcaire blanc, en granit rose ou en basalte. Il porte
rarement une inscription, le nom et les titres du mort,
plus rarement des ornements; on en connaît pourtant
qui simulent la décoration d'une maison égyptienne avec
ses portes et ses fenêtres. Le mobilier est des plus simples:
des vases en albâtre pour les parfums, des godets où
le prêtre avait versé quelques gouttes des liqueurs offertes
au mort, de grandes jarres en terre cuite rouge
pour l'eau, un chevet en albâtre ou en bois, une palette
votive de scribe. Après avoir scellé la momie dans la
cuve qui l'attendait, les ouvriers dispersaient sur le sol
les quartiers du boeuf ou de la gazelle qu'on venait de
sacrifier; puis ils muraient avec soin l'entrée
du couloir et remplissaient
le puits jusqu'à la bouche d'éclats
de pierre mêlés de sable et de terre. Le tout, largement
arrosé, finissait par s'agglutiner en un béton presque
impénétrable, dont la dureté défiait tout essai de
profanation. Le corps, livré à lui-même, ne recevait
plus d'autre visite que celle
de son âme. L'âme quittait de
temps en temps la région céleste
où elle voyageait en
compagnie des dieux, et descendait
se réunir à la momie. Le caveau
était sa maison, comme la chapelle était la
maison du double.
Jusqu'à la VIe dynastie, le caveau est
nu; une seule fois Mariette y a trouvé des
lambeaux d'inscriptions appartenant
au Livre des morts. J'ai
découvert à Saqqarah, en 1881,
des tombes où il est orné de
préférence à la chapelle. Elles
sont en grosses briques et n'ont pour le sacrifice
qu'une niche renfermant la stèle. A l'intérieur, le
puits est remplacé par une petite cour rectangulaire,
dans la partie occidentale de laquelle on ajustait le
sarcophage. Au-dessus du sarcophage, on bâtissait en
calcaire une chambre aussi large et aussi longue que
lui, haute d'environ 1 mètre et recouverte de dalles
posées à plat. Au fond ou sur la droite, on réservait
une niche qui tenait lieu de serdab.
On ménageait
au-dessus du toit plat une voûte de décharge d'environ
0 m 50 de rayon, et, par-dessus la voûte, on plaçait des lits horizontaux de briques jusqu'au niveau de la
plate-forme. La chambre occupe les deux tiers environ
de la cavité et a l'aspect d'un four, dont la gueule serait
restée béante. Quelquefois, les murs de pierre reposent
sur le couvercle même du sarcophage, et la chambre
n'était achevée qu'après l'enterrement
(Fig.130). Le plus souvent,
ils s'appuient sur deux
montants de briques, et le sarcophage
pouvait être ouvert ou
fermé à volonté. La décoration,
tantôt peinte, tantôt sculptée,
est la même partout. Chaque
paroi était comme une maison
où étaient déposés les objets
dessinés ou énumérés à la surface;
aussi avait-on soin d'y
figurer une porte monumentale,
par laquelle le mort avait accès
à son bien. Il trouvait sur la
paroi de gauche un monceau de
provisions (Fig.131) et la table d'offrandes; sur celle du
fond, des ustensiles de ménage, du linge, des parfums,
avec le nom et l'indication des quantités. Ces tableaux
sont un résumé de ceux qu'on voit dans la chapelle
des mastabas communs. Si on les a distraits de leur
place primitive, c'est qu'en les transportant au caveau,
on les garantissait contre les dangers de destruction, qui
les menaçaient dans des salles accessibles au premier
venu, et que leur conservation assurait plus longtemps
au mort la possession des biens qu'ils représentaient.
2.--LES PYRAMIDES.
Les tombes royales ont la forme de pyramides à
base rectangulaire et sont l'équivalent, en pierre ou en
brique, du tumulus en terre meuble qu'on amoncelait
sur le corps des chefs de guerre, aux époques antéhistoriques.
Les mêmes idées prévalaient sur les âmes des
rois qui avaient cours sur celles des particuliers. Le
plan de la pyramide comporte donc les trois parties de
celui des mastabas: la chapelle, les couloirs, les chambres
funéraires.
La chapelle est toujours isolée. A Saqqarah, on
n'en a découvert aucune trace. Elle était probablement, comme plus *** à Thèbes, située dans le faubourg de la
ville le plus proche de la montagne. A Gizèh, à Abousîr,
à Dahshour, les débris en sont encore visibles sur le front
de la façade orientale ou septentrionale. C'était alors un
véritable temple avec chambres, cours et passages. Les
fragments de bas-reliefs qui sont parvenus jusqu'à nous
montrent les scènes du sacrifice et prouvent que la décoration
était identique à celle des salles publiques du
mastaba. La pyramide proprement dite ne renferme que
les couloirs et le caveau funèbre. La plus ancienne dont
les textes nous certifient l'existence, au nord d'Abydos,
est celle de Snofrou; les plus modernes appartiennent
aux princes de la XIIe dynastie. La construction de ces
monuments a donc été, pendant treize ou quatorze siècles,
une opération courante, prévue par l'administration.
Le granit, l'albâtre, le basalte destinés au sarcophage
et à certains détails, étaient les seuls matériaux
dont l'emploi et la quantité ne fussent pas réglés à
l'avance et qu'il fallût aller chercher au loin. Pour se
les procurer, chaque roi envoyait un des principaux
personnages de la cour en mission aux carrières de la
haute Égypte, et la célérité avec laquelle on rapportait
les blocs était un titre puissant à la faveur du souverain.
Le reste n'exigeait pas tant de frais. Si le gros
oeuvre était en brique, on moulait la brique sur place,
avec la terre prise dans la plaine au pied de la colline.
S'il était en pierre, les parties du plateau les plus voisines
fournissaient le calcaire marneux à profusion. On
réservait d'ordinaire à la construction des chambres et
au revêtement le calcaire de Tourah, qu'on n'avait
même pas la peine de faire venir spécialement de l'autre côté du Nil. Memphis avait des entrepôts toujours
pleins, où l'on puisait sans cesse pour les édifices publics,
et par conséquent pour la tombe royale. Les
blocs, pris dans ces réserves et apportés en barque jusque
sous la montagne, montaient à l'emplacement choisi par
l'architecte, le long de chaussées inclinées doucement.
La disposition intérieure, la longueur des couloirs, la
hauteur sont très variables; la pyramide de Khéops
culminait à 145 mètres environ au-dessus du sol, la plus
petite n'atteignait pas 10 mètres. Comme il est malaisé
de concevoir aujourd'hui quels motifs ont déterminé
les Pharaons à choisir des proportions aussi différentes,
on a pensé que la masse bâtie était en proportion directe
du temps consacré à la bâtir, c'est-à-dire de la durée
de chaque règne. Dès qu'un prince montait sur le
trône, on aurait commencé par lui ériger à la hâte une
pyramide assez vaste pour contenir les parties essentielles
du tombeau; puis, d'année en année, on aurait
ajouté des couches nouvelles autour du noyau primitif,
jusqu'au moment où la mort arrêtait à jamais la croissance
du monument. Les faits ne justifient pas cette hypothèse.
La moindre des pyramides de Saqqarah appartient
à Ounas, qui régna trente ans; mais les deux imposantes
pyramides de Gizèh ont été édifiées par Khéops
et par Khéphrên, qui gouvernèrent l'Égypte l'un vingt-quatre,
l'autre vingt-trois ans. Mirinrì, qui mourut fort
jeune, a une pyramide aussi grande que Pepi II, qui
prolongea sa vie au delà de quatre-vingt-dix ans. Le
plan de chaque pyramide était tracé une fois pour toutes
par l'architecte, selon les instructions qu'il avait reçues
et les ressources qu'on plaçait à sa disposition. Une fois mis en train, l'exécution s'en poursuivait jusqu'à complet
achèvement des travaux, sans se développer ni se restreindre.
Les pyramides devaient avoir les faces aux quatre
points cardinaux, comme les mastabas; mais, soit maladresse,
soit négligence, la plupart ne sont pas orientées
exactement, et plusieurs s'écartent sensiblement du
nord vrai. Sans parler des ruines d'Abou-Roâsh et de
Zaouiét-el-Aryân, qui n'ont pas encore été étudiées
d'assez près, elles se partagent naturellement en six
groupes, distribués du nord au sud sur la lisière du
plateau de Libye, de Gizèh au Fayoum, par Abousîr,
Saqqarah, Dahshour et Lisht. Le groupe de Gizèh en
compte neuf, et, dans le nombre, celles de Khéops, de
Khéphrên et de Mykérinos, que l'antiquité classait
parmi les merveilles du monde. Le terrain sur lequel
le Khéops repose était assez irrégulier, au moment de
la construction. Un petit tertre qui le dominait fut
taillé rudement (Fig.132) et englobé dans la maçonnerie,
le reste fut aplani et garni de grosses dalles dont
quelques-unes subsistent encore. La pyramide même
avait une hauteur de cent quarante-cinq mètres et
une base de deux cent trente-trois, que l'injure du
temps a réduites respectivement à cent trente-sept et
deux cent vingt-sept. Elle garda, jusqu'à la conquête
arabe, un parement en pierres de couleurs diverses, si
habilement assemblées qu'on aurait dit un seul bloc du
pied au sommet. Le travail de revêtement avait commencé
par le haut: la pointe avait été placée la première,
puis les assises s'étaient recouvertes de proche en proche
jusqu'à ce qu'on eût gagné le
bas. A l'intérieur, tout avait été calculé de manière à cacher le site exact du sarcophage
et à décourager les fouilleurs que le hasard ou
leur persévérance auraient mis sur la bonne voie. Le
premier point était, pour eux, de découvrir l'entrée sous
le revêtement qui le masquait. Elle était à peu près au
milieu de la face nord (Fig.132), mais au niveau de la dix-huitième
assise, à quarante-cinq
pieds environ
au-dessus du sol.
Les dalles qui l'obstruaient
une fois déplacées,
on pénétrait
dans un couloir incliné,
haut de 1 m 06,
large de 1 m 22, pratiqué
en partie dans la roche vive.
Il descend l'espace de
quatre-vingt-dix-sept mètres, traverse une chambre inachevée
(C) et se termine dix-huit mètres plus loin en cul-de-sac.
C'était un premier désappointement. Si pourtant
on ne se laissait pas rebuter, et qu'on examinât le passage
avec soin, on distinguait dans le plafond, à dix-neuf
mètres de la porte, un bloc de granit qui tranchait sur le
calcaire environnant (D). Il était si dur que les chercheurs,
après avoir travaillé vainement à le briser ou à le
déchausser, prirent le parti de se frayer un chemin à
travers les parties de la maçonnerie construites en une
pierre plus tendre. L'obstacle tourné, ils débouchèrent
dans un couloir ascendant, qui se raccorde au premier
sous un angle de 120 degrés et se divise en deux branches (E).
L'une s'enfonce horizontalement vers le centre de la pyramide et se perd dans une chambre en granit à toit pointu, qu'on appelle, sans raison valable, Chambre
de la Reine (F). L'autre, tout en continuant à monter,
change de forme et d'aspect. C'est maintenant une galerie
longue de 45 mètres, haute de 8 m 50, bâtie en belle
pierre du Mokatam, si polie et si finement appareillée
qu'on a peine à glisser entre les joints «une aiguille
ou même un cheveu». Les assises les plus basses
portent d'aplomb l'une sur l'autre, les sept suivantes
s'avancent en encorbellement, de manière que les dernières
ne soient plus séparées au plafond que par un
intervalle de 0 m 60. Un obstacle nouveau se dressait
à l'extrémité (G). Le couloir qui mène à la chambre
du sarcophage était clos d'une seule plaque de granit;
venait ensuite un petit vestibule (H), coupé à espaces
égaux par quatre herses, également en granit, qu'il fallait
briser. Le caveau royal (I) est une chambre en granit,
à toit plat, haute de 5 m 81, longue de 10 m 43, large
de 5 m 20; on n'y voit ni figure ni inscription, rien
qu'un sarcophage en granit mutilé et sans couvercle.
Telles étaient les précautions prises contre les hommes:
l'événement a prouvé qu'elles étaient efficaces, car la
pyramide garda son dépôt plus de quatre mille ans.
Mais le poids même des matériaux était un danger plus
sérieux pour elle. On empêcha le caveau d'être écrasé
par les cent mètres de pierre qui le protégeaient, en
ménageant au-dessus de lui cinq pièces de décharge,
basses et superposées (J). La dernière est abritée par un
toit pointu, formé de deux énormes dalles appuyées
par le haut l'une à l'autre. Grâce à cet artifice, la pression
centrale fut rejetée presque entière sur les faces
latérales, et le caveau fut respecté. Aucune des pierres qui le revêtent n'a été écrasée, aucune n'a cédé d'une
ligne depuis le jour où les ouvriers l'ont scellée en sa
place.
Les pyramides de Khéphrên et de Mykérinos ont été
bâties à l'intérieur sur un plan différent de celle de
Khéops. Khéphrên a deux issues, toutes deux tournées
vers le nord, l'une sur l'esplanade, l'autre à 15 mètres
au-dessus du sol. Mykérinos possède encore les débris
de son revêtement de granit rose. Le couloir d'entrée
descend à un angle de 26°,2' et pénètre rapidement
dans le roc. La première salle qu'il traverse est décorée
de panneaux sculptés dans la pierre et fermée à la sortie
par trois herses en granit. La seconde pièce paraissait
être inachevée, mais ce n'était là qu'une ruse destinée
à tromper les fouilleurs: un couloir ménagé dans
le sol et soigneusement dissimulé donnait accès au caveau.
Là reposait la momie dans un sarcophage de basalte
sculpté, encore intact au commencement du siècle:
enlevé par Vyse, il a sombré sur la côte d'Espagne
avec le navire qui le transportait en Angleterre. La
même variété de disposition prévaut dans le groupe
d'Abousîr et dans une partie de celui de Saqqarah. La
grande pyramide de Saqqarah n'est pas orientée exactement:
la face nord s'écarte de 4°,35 du nord vrai.
Elle n'a point pour base un carré parfait, mais un rectangle
allongé de l'est à l'ouest, de 120 m 60 sur 107 m 30
de côté. Elle est haute de 59 m 68 et se compose de six
cubes à pans inclinés, en retraite l'un sur l'autre de
2 mètres environ: le plus rapproché du sol a 11 m 48
d'élévation, le plus éloigné 8 m 89 (Fig.133). Elle est construite
entièrement avec le calcaire de la montagne environnante. Les matériaux sont petits et mal taillés, les
lits d'assise concaves, selon la méthode qu'on appliquait
également à la construction des quais et des forteresses.
Quand on explore les brèches de la maçonnerie,
on reconnaît que la face externe de chaque gradin
est comme habillée de deux enveloppes, dont chacune
a son parement régulier. La masse est pleine, les
chambres sont creusées dans le roc au-dessous de la
pyramide. La principale des quatre entrées donne au
nord, et les couloirs forment un véritable dédale au milieu
duquel il est périlleux de s'aventurer: portique à
colonnes, galeries, chambres, tout aboutit à une sorte
de puits, au fond duquel était pratiquée une cachette,
destinée sans doute à contenir les objets les plus précieux
du mobilier funéraire. Les pyramides qui entourent
ce monument extraordinaire ont été presque toutes
édifiées sur un modèle unique (Fig.134) et ne se distinguent
que par les proportions. La porte s'ouvre juste
au-dessous de la première assise, vers le milieu de la
face septentrionale, et le couloir (B) descend, par une pente assez douce, entre des murs en calcaire. Il est
bouché sur toute son étendue de gros blocs qu'on doit
briser avant de parvenir à la salle d'attente (C). Au sortir
de cette salle, il marche
quelque temps encore dans le
calcaire, puis il passe entre quatre
murs de granit de Syène poli, après
quoi le calcaire reparaît, et on débouche dans le vestibule
(E). La partie bâtie en granit est interrompue
trois fois, à 60 ou 80 centimètres
d'intervalle, par
trois énormes herses de
granit (D). Au-dessus de
chacune d'elles se trouve
un vide, dans lequel elle
était maintenue par des
supports qui laissaient le
passage libre (Fig.135). La
momie une fois introduite,
les ouvriers en se retirant
enlevaient les étais, et les trois herses, tombant en
place, interceptaient toute communication avec le dehors.
Le vestibule était flanqué, à l'est, d'un serdab à
toit plat, divisé en trois niches et encombré d'éclats de
pierre, balayés à la hâte par les esclaves, au moment où l'on nettoyait les chambres pour y recevoir la momie.
La pyramide d'Ounas les a conservées toutes trois.
Dans Teti et dans Mirinrì, les murs de séparation ont
été fort proprement enlevés, dès l'antiquité, et n'ont
laissé d'autre trace qu'une ligne d'attache et une teinte
plus blanche de la paroi, aux endroits qu'ils recouvraient
primitivement. Le
caveau (G) s'étendait à l'ouest du
vestibule: le sarcophage y était déposé
le long de la muraille occidentale, Les pyramides de Gizéh appartenaient à des Pharaons
de la IVe dynastie, et celles d'Abousîr à des Pharaons
de la Ve. Les cinq pyramides de Saqqarah, dont le
plan est uniforme, appartiennent à Ounas et aux quatre
premiers rois de la VIe dynastie, Teti, Pepi Ier, Mirinrì,
Pepi II,
et sont contemporaines des mastabas à caveaux peints que j'ai signalés plus haut. On ne s'étonnera
donc point d'y rencontrer des inscriptions et des ornements.
Partout, les plafonds sont chargés d'étoiles
pour figurer le ciel de la nuit. Le reste de la décoration
est fort simple. Dans la pyramide d'Ounas, où elle
joue le plus grand rôle, elle n'occupe que le fond de la
chambre funéraire; la partie voisine du sarcophage
avait été revêtue d'albâtre et ornée à la pointe des
grandes portes monumentales, par lesquelles le mort
était censé entrer dans ses magasins de provisions. Les
figures d'hommes et d'animaux, les scènes de la vie
courante, le détail du sacrifice n'y sont point représentés
et n'auraient pas d'ailleurs été à leur place en
cet endroit. On les retraçait dans les lieux où le double
menait sa vie publique, et où les visiteurs exécutaient
réellement les rites de l'offrande; les couloirs et le caveau
où l'âme était seule à circuler ne pouvaient recevoir
d'autre ornementation que celle qui a rapport à la vie
de l'âme. Les textes sont de deux sortes. Les moins
nombreux ont trait à la nourriture du double et sont
la transcription littérale des formules par lesquelles le
prêtre lui assurait la transmission de chaque objet au
delà de ce monde: c'était pour lui une ressource suprême,
au cas où les sacrifices réels auraient été suspendus,
et où les tableaux magiques de la chapelle auraient
été détruits. La plus grande partie des inscriptions
se rapportaient à l'âme et la préservaient des
dangers qu'elle courait au ciel et sur la terre. Elles lui
révélaient les incantations souveraines contre la morsure
des serpents et des animaux venimeux, les mots
de passe qui lui
permettaient de s'introduire dans la compagnie des dieux bons, les exorcismes qui annulaient
l'influence des dieux mauvais. De même que la
destinée du double était de continuer à mener l'ombre
de la vie terrestre et s'accomplissait dans la chapelle,
la destinée de l'âme était de suivre le soleil à travers le
ciel et dépendait des instructions qu'elle lisait sur les
murailles du caveau. C'était par leur vertu que l'absorption
du mort en Osiris devenait complète et qu'il
jouissait désormais de toutes les immunités naturelles à
la condition divine. Là-haut, dans la chapelle, il était
homme et se comportait à la façon des hommes; ici, il
était dieu et se comportait à la façon d'un dieu. L'énorme massif rectangulaire que les Arabes appellent
Mastabat-el-Faraoun, le siège de Pharaon (Fig.137),
se dresse à côté de Pepi II. On a voulu y voir, tantôt
une pyramide inachevée, tantôt une tombe surmontée
d'un obélisque; c'est un mastaba royal dont l'intérieur
présente l'ordonnance d'une pyramide. Mariette croyait
qu'Ounas y était enterré, mais les fouilles de ces temps
derniers ont rendu cette attribution impossible. En revanche,
elles semblent montrer que la pyramide méridionale
de Dahshour appartient à Snofrou. Si le fait est confirmé par des recherches postérieures, il y a des
chances pour que le groupe entier soit le plus ancien
de tous et remonte à la IIIe dynastie. Il fournit une variante
curieuse du type ordinaire. L'une des pyramides
en pierre a la moitié inférieure inclinée de 54º,41' sur
l'horizon, tandis qu'à partir de mi-hauteur l'inclinaison
change brusquement et est de 42º,59'; on dirait un
mastaba couronné d'une mansarde gigantesque. A Lisht,
on quitte l'ancien empire pour les dynasties thébaines,
et la structure se modifie encore: le couloir en pente
aboutit à un puits perpendiculaire, au fond duquel débouchaient
des chambres envahies aujourd'hui par les
infiltrations du Nil. Le groupe du Fayoum est tout
entier de la XIIe dynastie, mais les pyramides de Biahmou
sont presque entièrement détruites; celle d'Illahoun
n'a jamais été explorée, et celle de Méïdoum,
violée avant le siècle des Ramessides, est vide. Elle
consiste en trois tours carrées, à pans légèrement inclinés
et qui s'étagent en retraite l'une sur l'autre (Fig.138).
L'entrée est au nord, à seize mètres environ au-dessus du sable. Au delà de vingt mètres, le couloir descend
dans le roc; à cinquante-trois, il se redresse, s'arrête
douze mètres plus loin, remonte perpendiculairement
vers la surface, et affleure dans le sol du caveau, six mètres
et demi plus haut (Fig.139). Un appareil de
poutres et de cordes, encore en place au-dessus de l'orifice,
montre que les voleurs ont tiré le
sarcophage hors de la chambre, dès l'antiquité. L'usage
des pyramides ne cessa pas avec la XIIe dynastie:
on en connaît à Manfalout, à Hékalli, au sud
d'Abydos, à Mohammériah, au sud d'Esnéh. Jusqu'à
l'époque romaine, les souverains à demi barbares de
l'Éthiopie tinrent à honneur de donner à leurs tombes
la forme pyramidale. Les plus anciennes, celle de Nouri,
où dorment les Pharaons de Napata, rappellent par
la facture les pyramides de Saqqarah; les plus modernes,
celles de Méraouy, présentent des caractères
nouveaux. Elles sont plus hautes que larges, de petit
appareil et garnies parfois aux angles de bordures
carrées ou arrondies. La face orientale est munie d'une
fausse lucarne, surmontée d'une corniche et flanquée
d'une chapelle que précède un pylône. Toutes ne sont pas
muettes: comme sur les murs des tombeaux ordinaires,
on y a retracé des scènes empruntées au Rituel des Funérailles
ou aux vicissitudes de la vie d'outre-tombe.
3.--LES TOMBES DE L'EMPIRE THÉBAIN; LES HYPOGÉES.
Les derniers mastabas connus appartiennent à la XIIe
dynastie, encore sont-ils concentrés dans la plaine
sablonneuse de Méïdoum et n'ont-ils jamais été achevés.
Deux systèmes les remplacèrent par
toute l'Égypte. Le premier conserve la chapelle
construite au-dessus
du sol et combine
la pyramide avec le
mastaba. Le second
creuse le tombeau entier
dans le roc, la chapelle
comme le reste.
Le quartier de la nécropole
d'Abydos, où
furent enterrées les générations
du vieil empire
thébain, nous offre
les exemples les plus anciens
du premier système. Les tombes sont en grosses
briques crues, noires, sans mélange de paille ni de gravier.
L'étage inférieur est un mastaba à base carrée
ou rectangulaire, dont le plus long côté atteint quelquefois
douze ou quinze mètres; les murs sont perpendiculaires
et rarement assez élevés pour qu'un homme
puisse se tenir debout à l'intérieur. Sur cette façon de
socle se dresse une pyramide pointue, dont la hauteur
varie entre quatre et dix mètres, et dont les faces étaient revêtues d'une couche de pisé unie, peinte en blanc.
La mauvaise qualité du sol a empêché qu'on y creusât
la salle funéraire; on s'est donc
résigné à la cacher
dans la maçonnerie. Une sorte de chambre ou plutôt de
four, voûté en encorbellement, a été ménagé au centre
et abrite souvent la momie (Fig.140); plus souvent encore,
le caveau a été pratiqué moitié dans le mastaba,
moitié dans les fondations, et le vide supérieur n'est
là que pour servir de dégagement (Fig.141). Dans
bien des cas, il n'y avait aucune chapelle
extérieure; la
stèle, posée sur le soubassement ou encadrée extérieurement sur la face, marque l'endroit du sacrifice. Ailleurs,
on a construit en avancée un vestibule carré où
les parents s'assemblaient (Fig.142). Assez rarement un
mur d'enceinte construit à hauteur d'appui enveloppe
le monument et délimite le terrain qui lui appartenait.
Cette forme mixte demeura fort en usage dans les cimetières
de Thèbes, à partir des premières années du
moyen empire. Plusieurs rois de
la XIe dynastie et les grands personnages
de leur cour se firent
édifier à Drah aboûl Neggah des
tombes semblables à celles
d'Abydos (Fig.143). Pendant les
siècles suivants, les proportions
relatives du mastaba et de la pyramide
se modifièrent; le mastaba,
qui n'était souvent qu'un
soubassement insignifiant, reprit
peu à peu sa hauteur primitive,
tandis que la pyramide
s'abaissa et finit par n'être plus qu'un pyramidion sans
importance (Fig.144). Tous ceux de ces tombeaux qui
ornaient les nécropoles thébaines
à l'époque des Ramessides ont
péri, mais les peintures contemporaines
nous en font connaître
les nombreuses variétés, et la chapelle
d'un des Apis morts sous
Amenhotpou III est encore là
pour prouver que la mode s'en
était étendue à Memphis. Du pyramidion, quelques
traces subsistent à peine; mais le mastaba est intact.
C'est un massif en calcaire, carré, monté sur
un soubassement, étayé de quatre colonnes aux angles
et bordé d'une corniche évasée; un escalier de cinq marches mène à la chambre intérieure (Fig.145). Les modèles les plus anciens du second genre, ceux
qu'on voit à Gizèh parmi les mastabas de la IVe dynastie,
ne sont ni grands ni très ornés. On
commença à en soigner l'exécution vers
la VIe dynastie, et dans les localités lointaines,
à Bershéh, à Shéikh-Sâid, à Kasr-es-Sayad,
à Neggadéh. L'hypogée n'atteignit
son plein développement qu'un
peu plus ***, pendant les siècles qui séparent
les derniers rois memphites des
premiers rois thébains.
Les parties diverses du mastaba s'y
retrouvent. L'architecte choisissait de préférence
des veines de calcaire bien en
vue, sises assez haut dans la montagne pour ne pas être
menacées par l'exhaussement progressif du sol, assez
bas pour que le cortège funèbre
pût y monter aisément,
et y creusait les
tombes. Les plus belles appartiennent
aux principales
familles féodales qui
se partageaient l'Égypte:
les princes de Minièh reposent
à Béni-Hassan,
ceux de Khmounou à
Bershèh, ceux de Siout et d'Éléphantine à Siout même
et en face d'Assouân. Tantôt, comme à Siout, à Bershèh,
à Thèbes, elles sont dispersées aux divers étages de
la montagne; tantôt, comme à Syène (Fig.146) et à Béni-Hassan, elles suivent les ondulations du filon et sont
rangées sur une ligne à peu près droite. Un escalier,
construit sommairement en pierres à moitié brutes,
menait de la plaine à l'entrée du tombeau: il est détruit
ou enseveli sous les sables à Béni-Hassan et à
Thèbes, mais les fouilles récentes ont mis au jour celui d'une des tombes d'Assouân. Le cortège funèbre, après
l'avoir escaladé lentement, s'arrêtait un moment à l'entrée
de la chapelle. Le plan n'était pas nécessairement
uniforme dans un
même groupe. Plusieurs
des tombeaux
de Béni-Hassan
ont un portique
dont toutes les parties,
piliers, bases,
entablement, ont
été prises dans la
roche; pour Amoni
et pour Khnoumhotpou
(Fig.147),
il se compose de
deux colonnes polygonales.
A Syène
(Fig.148), la baie
étroite qui s'ouvre
dans la muraille de
rocher est coupée,
vers le tiers de sa
hauteur, par un linteau rectangulaire qui réserve une
porte dans la porte même. A Siout, l'hypogée d'Hapizoufi
était précédé d'un véritable porche d'environ 7 mètres
de haut, arrondi en voûte, peint et sculpté avec amour.
Le plus souvent on se contentait d'aplanir et de dresser
un pan de montagne sur un espace plus ou moins
considérable, selon les dimensions qu'on prétendait
donner au tombeau. Cette opération avait le double avantage de créer sur le devant une petite plate-forme
fermée de trois côtés, et de développer en façade une
surface à peu près verticale, qu'on décorait, ou non, à la
fantaisie
du maître. La porte pratiquée au milieu, quelquefois
n'avait point de
cadre, quelquefois
était encadrée de
deux montants et
d'un linteau légèrement
saillants. Les
inscriptions, quand
elle en avait,
étaient
fort simples. Dans
le haut, une ou
plusieurs lignes horizontales. A droite
et à gauche, une ou
deux lignes verticales,
accompagnées
d'une figure humaine
assise ou debout:
c'était, avec une
prière, le nom, les
titres et la filiation du défunt. La chapelle n'a, en général,
qu'une seule chambre carrée ou oblongue, au
plafond plat ou légèrement voûté, sans autre jour que
de la porte. Quelquefois des piliers, taillés en pleine
pierre au moment de l'excavation, lui donnent l'aspect
d'une
petite salle hypostyle. Amoni et Khnoumhotpou, à Béni-Hassan, avaient chacun quatre de ces piliers
(Fig.149); d'autres en ont six ou huit et sont
d'ordonnance irrégulière.
L'hypogée n° 7 était d'abord
une simple salle à plafond arrondi, de six colonnes sur
trois rangs. Plus ***, il fut agrandi vers la droite,
et la partie nouvelle forma une sorte de portique à
plafond plat supporté par
quatre colonnes (Fig.150). Ménager un serdab dans
la roche vive était presque
impossible, et, d'autre part,
c'était exposer les statues
mobiles au vol ou à la mutilation
que les laisser dans
une pièce accessible à tout
venant. Le serdab fut transformé
et se combina avec la
stèle des mastabas antiques.
La fausse porte d'autrefois
devint une niche pratiquée
dans la muraille du fond, presque toujours en face de
la porte réelle. Les statues du mort et de sa femme y
trônent, sculptées dans la pierre vive. Les parois sont
ornées des scènes de l'offrande, et la décoration entière
de l'hypogée converge vers elle, comme celle du
mastaba convergeait vers la stèle. C'est toujours, dans
l'ensemble, la même série de tableaux, mais avec des
additions notables. La marche du cortège funéraire,
la prise de possession du tombeau par le double, qui
sont à peine indiquées autrefois, s'étalent avec ostentation
sur les murs de l'hypogée thébain.
Le convoi se déroule avec ses pleureuses, ses troupes d'amis,
ses porteurs d'offrandes, ses barques, son catafalque
traîné par des boeufs. Il arrive à la porte; la momie,
dressée sur ses pieds, reçoit l'adieu de la famille et subit
les dernières cérémonies qui doivent l'initier à la
vie d'au delà (Fig.151). Le sacrifice et les préliminaires
qu'il évoque, le labourage, les semailles, la moisson,
l'élève des bestiaux, les métiers manuels, sont
sculptés ou peints, comme jadis, à profusion de couleurs.
Sans doute, bien des détails y figurent qu'on
ne rencontre pas sous les premières dynasties, ou sont
absents qui ne manquent jamais dans le voisinage des
pyramides; les siècles avaient marché, et vingt siècles changent beaucoup aux usages de la vie journalière,
même dans l'indestructible Égypte. On y chercherait
presque en vain les troupeaux de gazelles privées, car,
sous les Ramsès, on n'entretenait plus ces animaux
que par exception à l'état domestique. En revanche, le
cheval avait envahi la vallée du Nil, et piaffe sur les
murs, à l'endroit où paissaient les gazelles. Les métiers
sont plus nombreux et plus compliqués, les outils plus
perfectionnés, les actions du mort plus variées et plus
personnelles. L'idée d'une rétribution future n'existait
pas, ou existait peu, au temps où l'on avait réglé la décoration
des tombeaux. Ce que l'homme avait fait ici-bas
n'avait aucune influence sur le sort qui l'attendait
dans la mort; bon ou mauvais, du moment que les rites
avaient été célébrés sur lui et
les prières récitées, il
était riche et heureux. C'en était donc assez pour établir
son identité d'énoncer son nom, ses titres, sa filiation;
on n'avait que faire de décrire son passé par le
menu. Mais, quand la croyance à des récompenses
ou à des châtiments prédomina dans les esprits, on
s'avisa qu'il était utile de garantir à chacun le mérite de
ses actions particulières, et l'on joignit à l'espèce
d'extrait de l'état civil, qui avait suffi jusqu'alors, des
renseignements biographiques précis. Quelques mots
d'abord, puis, vers la VIe dynastie, de vraies pages
d'histoire où un ministre, Ouni, raconte les services qu'il
a rendus sous quatre rois; puis, vers le commencement
du nouvel empire, des dessins et des tableaux, qui
conspirent avec l'écriture à immortaliser les faits et
gestes du maître. Khnoumhotpou de Béni-Hassan
expose en détail les origines et la grandeur de ses ancêtres.
Khiti étale sur ses murailles les péripéties
de la vie militaire: exercices des soldats, danses de
guerre, sièges de forteresses, batailles sanglantes. La
XVIIIe dynastie continue, en cela comme en tout, la tradition des âges précédents. Aï retrace, dans son bel hypogée
de
Tell-el-Amarna, les épisodes de son mariage
avec la fille de Khouniaton. Nofirhotpou de Thèbes
avait reçu d'Harmhabi la décoration du Collier d'or;il
reproduit avec complaisance les moindres circonstances
de l'investiture, le discours du roi, l'année, le jour où
lui fut conférée la récompense suprême. Tel autre, qui
avait travaillé au cadastre, se montre accompagné d'arpenteurs
traînant la chaîne et préside à l'enregistrement
de la population humaine, comme Ti présidait jadis au
dénombrement de ses boeufs. La stèle elle-même participe
au caractère nouveau que revêt la décoration murale.
Elle proclame, outre les prières ordinaires, le panégyrique
du mort, le résumé de sa vie, trop rarement
son cursus honorum avec dates à l'appui.
Quand l'espace le permettait, le caveau tombait directement
sous la chapelle. Le puits, tantôt était pratiqué
au coin d'une des chambres, tantôt s'amorçait au
dehors en avant de la porte. Dans les grandes nécropoles,
à Thèbes par exemple ou à Memphis, la superposition
des trois parties n'était pas toujours possible;
à vouloir donner au puits la profondeur normale, on
risquait d'effondrer les tombeaux situés à l'étage inférieur
de la montagne. On remédia à ce danger, soit en
poussant fort loin un couloir, à l'extrémité duquel on
forait le puits, soit en disposant, sur un même plan horizontal
ou modérément incliné, les pièces que le mastaba plaçait sur un même plan vertical. Le couloir est
alors percé au milieu de la paroi du fond; la longueur
moyenne en varie entre 6 et 40 mètres. Le caveau est
presque toujours petit et sans ornement, ainsi que le
couloir. L'âme, sous les dynasties thébaines, se passait
aussi bien de décoration que sous les dynasties memphites;
mais quand on se décidait à garnir les murailles,
les figures et les inscriptions avaient trait à sa vie et fort
peu à la vie du double. Au tombeau de Harhotpou, qui
est du temps des Ousirtasen, et dans les hypogées du
même genre, les murs, celui de la porte excepté, sont
partagés en deux registres. Le supérieur appartient au
double et porte, avec la table d'offrandes, l'image des
mêmes objets de ménage qu'on voit dans certains mastabas
de la VIe dynastie: étoffes, bijoux, armes, parfums,
dont Harhotpou avait besoin pour assurer à ses membres
une éternelle jeunesse. L'inférieur était au double
et à l'âme, et on lit les fragments de plusieurs livres
liturgiques, Livre des morts, Rituel de l'embaumement,
Rituel des funérailles, dont les vertus magiques protégeaient
l'âme et soutenaient le double. Le sarcophage
en pierre et le cercueil lui-même sont noirs d'écriture.
De même que la stèle était comme le sommaire de la
chapelle entière, le sarcophage et le cercueil étaient le
sommaire du caveau et formaient comme une chambre
sépulcrale dans la chambre sépulcrale. Textes, tableaux,
tout ce qu'on y voit a trait à la vie de l'âme et à sa
sécurité dans l'autre monde.
A Thèbes comme à Memphis, ce sont les tombes des
rois qu'il convient de consulter, si l'on veut juger du
degré de perfection auquel pouvait atteindre la décoration des couloirs et du caveau. Des plus anciennes, qui
étaient situées dans la plaine ou sur le versant méridional
de la montagne, rien ne subsiste aujourd'hui.
Les momies d'Amenhotpou Ier et de Thoutmos III, de
Soqnounrî et d'Harhotpou ont survécu à l'enveloppe de
pierre qui était censée les défendre. Mais, vers le milieu
de la XVIIIe dynastie, toutes les bonnes places
étaient prises, et l'on dut chercher ailleurs un terrain
libre où établir un nouveau cimetière royal. On alla
d'abord assez loin, au fond de la vallée qui débouche
vers Drah abou'l Neggah; Amenhotpou III, Aï, d'autres
peut-être, y furent enterrés; puis on songea à se
rapprocher de la ville des vivants. Derrière la colline
qui borne au nord la plaine thébaine, se creusait jadis
une sorte de bassin, fermé de tous les côtés, et sans
autre communication avec le reste du monde que des
sentiers périlleux. Il se divise en deux branches, croisées
presque en équerre: l'une regarde le sud-est,
tandis que l'autre s'allonge vers le sud-ouest et se divise
en rameaux secondaires. A l'est, une montagne se
dresse, dont la croupe rappelle, avec des proportions
gigantesques, le profil de la pyramide à degrés de Saqqarah.
Les ingénieurs remarquèrent que ce vallon
était séparé du ravin d'Amenhotpou III par un simple
seuil d'environ 500 coudées d'épaisseur. Ce n'était
pas de quoi effrayer des mineurs aussi exercés que
l'étaient les Égyptiens. Ils taillèrent dans la roche vive
une tranchée, profonde de 50 à 60 coudées, au bout
de laquelle un passage étranglé, semblable à une porte,
donne accès dans le vallon. Est-ce sous Harmhabi,
est-ce sous Ramsès Ier que fut entrepris ce travail gigantesque? Ramsès Ier est le plus ancien roi dont on
ait retrouvé la tombe en cet endroit. Son fils Séti Ier,
puis son petit-fils Ramsès II vinrent s'y loger à ses
côtés, puis les Ramsès l'un après l'autre; Hrihor fut
peut-être le dernier et ferma la série. Ces tombeaux
réunis ont valu à la vallée le nom de Vallée des Rois,
qu'elle a gardé jusqu'à nos jours.
Le tombeau n'est pas là tout entier. La chapelle est
au loin dans la plaine, à Gournah, au Ramesséum, à
Médinét-Habou, et nous l'avons déjà décrite. Comme
la pyramide memphite, la montagne thébaine ne renferme
que les couloirs et le caveau. Pendant le jour,
l'âme pure ne courait aucun danger sérieux; mais le
soir, au moment où les eaux éternelles, qui roulent sur
la voûte des cieux, tombaient vers l'Occident en larges
cascades et s'engouffraient dans les entrailles de la
terre, elle pénétrait, avec la barque du soleil et son cortège
de dieux lumineux, dans un monde semé d'embûches
et de périls. Douze heures durant, l'escadre divine
parcourait de longs corridors sombres, où des
génies, les uns hostiles, les autres bienveillants, tantôt
s'efforçaient de l'arrêter, tantôt l'aidaient à surmonter
les difficultés du voyage. D'espace en espace, une porte,
défendue par un serpent gigantesque, s'ouvrait devant
elle et lui livrait l'accès d'une salle immense, remplie
de flamme et de fumée, de monstres aux figures hideuses
et de bourreaux qui torturaient les damnés;
puis les couloirs recommençaient étroits et obscurs, et
la course à l'aveugle au sein des ténèbres, et les luttes
contre les génies malfaisants, et l'accueil joyeux des
dieux propices. A partir du milieu de
la nuit, on remontait vers la surface de la terre.Au matin, le soleil
avait atteint l'extrême limite de la contrée ténébreuse
et sortait à l'orient pour éclairer un nouveau jour. Les
tombeaux des rois étaient construits sur le modèle du
monde infernal. Ils avaient leurs couloirs, leurs portes,
leurs salles voûtées, qui pénétraient profondément au
sein de la montagne. La distribution dans la vallée n'en
était déterminée par aucune considération de dynastie
ou de succession au trône. Chaque
souverain attaquait
le rocher à l'endroit où il espérait rencontrer une veine
de pierre convenable, et avec si peu de souci des prédécesseurs,
que les ouvriers durent parfois changer de direction
pour éviter d'envahir un hypogée voisin. Les
devis de l'architecte n'étaient qu'un simple projet, qu'on
modifiait à volonté et qu'on ne se piquait pas d'exécuter
fidèlement; ainsi les mesures et la distribution
réelles du tombeau de Ramsès IV (Fig.152) sont en
désaccord avec les cotes et l'agencement du plan qu'un
papyrus du musée de Turin nous a conservé (Fig.153).
Rien pourtant n'était plus simple que la disposition
générale: une porte carrée, très sobre d'ornements, un
couloir qui aboutit à une chambre plus ou moins étendue,
au fond de laquelle s'ouvre un second corridor
qui conduit à une seconde chambre, et de là parfois à
d'autres salles, dont la dernière renfermait le cercueil.
Dans quelques tombeaux, le tout est de plain-pied et
une pente douce, à peine coupée par deux ou trois
marches basses, conduit de l'entrée à la paroi du fond.
Dans d'autres, les parties sont disposées en étage l'une
derrière l'autre. Un escalier long et raide, et un corridor
en pente (A) mènent, chez Séti Ier (Fig.154), à un premier
appartement (B), composé d'une petite antichambre
et de deux salles à piliers. Un second escalier (C), ouvert
dans le sol de l'antichambre, mène à un second appartement
(D) plus vaste que le premier, et qui abritait le sarcophage.
Le tombeau n'était pas destiné à s'arrêter là.
Un troisième escalier (E) avait été pratiqué au fond de la
salle principale, qui devait sans doute mener à un nouvel
ensemble de pièces: la mort du roi a seule arrêté
les ouvriers. Les variantes de plan ne sont pas très
considérables, si on passe d'un hypogée à l'autre. Chez
Ramsès III, la galerie d'entrée est flanquée de huit petites cellules latérales. Presque partout ailleurs, on
ne remarque de différences que celles qui proviennent
du degré d'achèvement des peintures et du plus ou
moins d'étendue des couloirs. Le plus petit des hypogées
s'arrête à 16 mètres, celui de Séti Ier, qui est le plus
long, descend jusqu'à plus de 150 mètres et n'est pas
achevé. Les mêmes ruses qui avaient servi aux ingénieurs
des pyramides servaient à ceux des syringes
thébaines pour dépister les recherches des malfaiteurs,
faux puits destinés à dérouter les indiscrets, murailles
peintes et sculptées bâties en travers des couloirs;
l'enterrement terminé, on obstruait l'entrée avec des
quartiers de roche, et on rétablissait du mieux qu'on
pouvait la pente naturelle de la montagne.
Séti Ier nous a légué le type le plus complet que
nous possédions de ce genre de sépulture; figures et
hiéroglyphes y sont de véritables modèles de dessin et
de sculpture gracieuse. L'hypogée de Ramsès III est
déjà inférieur. La plus grande partie en est peinte assez
sommairement: les jaunes y abondent, les bleus et les
rouges rappellent les tons que les enfants choisissent
pour leurs premiers barbouillages. Plus ***, la médiocrité
règne en souveraine, le dessin s'amollit, les
couleurs deviennent de plus en plus criardes, et les derniers
tombeaux ne sont plus que la caricature lamentable
de ceux de Séti Ier et de Ramsès III. La décoration
est la même partout, et partout procède du même principe
qui a présidé à la décoration des pyramides.
A Thèbes comme à Memphis, il s'agissait d'assurer au
double la libre jouissance de sa maison nouvelle,
d'introduire
l'âme au milieu des divinités du cycle solaire et du cycle osirien, de la guider à travers le dédale
des régions infernales; mais les prêtres thébains
s'ingéniaient à rendre sensible aux yeux par le dessin ce
que les Memphites confiaient par l'écriture à la mémoire
du mort, et lui accordaient de voir ce qu'il était
jadis obligé de lire sur les parois de sa tombe. Où les
textes d'Ounas racontent qu'Ounas, identifié au soleil,
navigue sur les
eaux d'en haut ou
s'introduit dans les
Champs Élysées,
les scènes de Séti Ier
montrent Séti dans
la barque solaire,
et celles de Ramsès
III, Ramsès III
dans les
Champs
Élysées (Fig.155). Où les murs d'Ounas ne donnent que
les prières récitées sur la momie pour lui ouvrir la
bouche, lui rendre l'usage des membres, l'habiller, la
parfumer, la nourrir, ceux de Séti Ier représentent la
momie elle-même et les statues supports du double
entre les mains des prêtres qui leur ouvrent la bouche,
les habillent, les parfument, leur tendent les plats divers
du repas funèbre. Les plafonds étoilés des pyramides
reproduisent la figure du ciel, mais sans indiquer
à l'âme le nom des étoiles; sur les plafonds de quelques
syringes, les constellations sont tracées chacune avec
son image, des tables astronomiques donnent l'état du
ciel de quinze jours en quinze jours pendant les mois
de l'année égyptienne, et l'âme n'avait qu'à lever les yeux pour savoir dans quelle partie du firmament sa
course la menait chaque nuit. L'ensemble est comme
un récit illustré des voyages du soleil, et par suite de
l'âme, à travers les vingt-quatre heures du jour.
Chaque heure est représentée, et son domaine, qui était
divisé en circonscriptions plus petites dont la porte
était gardée par un serpent gigantesque, Face de feu,
oeil de flamme, Mauvais oeil. La troisième heure du
jour était celle où se décidait le sort des âmes: le dieu
Toumou les pesait et leur assignait un séjour selon les
indications de la balance. L'âme coupable était livrée
aux cynocéphales assesseurs du tribunal, qui la chassaient
à coups de verge, après l'avoir changée en truie ou en
quelque animal impur; innocente, elle passait dans la
cinquième heure, où ses pareilles cultivaient les champs,
fauchaient les épis de la moisson céleste, et, le travail
accompli, se divertissaient sous la garde des génies bienveillants.
Au delà de la cinquième heure, les mers du
ciel n'étaient plus qu'un vaste champ de bataille: les
dieux de lumière pourchassaient, entraînaient, enchaînaient
le serpent Apopi et finissaient par l'étrangler à
la douzième heure. Leur triomphe n'était pas de longue
durée. Le soleil, à peine victorieux, était emporté par le
courant dans le royaume des heures de la nuit, et dès
l'entrée, il était assailli, comme Virgile et Dante aux
portes de l'enfer, par des bruits et par des clameurs épouvantables.
Chaque cercle avait sa voix qu'on ne pouvait
confondre avec la voix des autres: l'un s'annonçait
comme par un immense bourdonnement de guêpes, l'autre
comme par les lamentations des femmes et des femelles
quand elles pleurent les maris et les mâles, l'autre comme par un grondement de tonnerre. Le sarcophage lui-même
était chargé de ces tableaux joyeux ou sinistres.
Il était d'ordinaire en granit rose ou noir, et si large,
que souvent il ne pouvait entrer dans la vallée par la
porte des rois. On devait le hisser à grand'peine au
sommet de la colline de Déir-el-Baharî, puis, de là, le
descendre à destination. Comme il était la dernière pièce
du mobilier funéraire dont on s'occupât, on n'avait pas
toujours le loisir de l'achever. Quand il était terminé,
les scènes et les textes qui le couvrent en faisaient le
résumé de l'hypogée entier. Le mort y retrouvait une
fois de plus l'image de ses destinées surhumaines et y
apprenait à connaître le bonheur des dieux. Les tombes
privées recevaient rarement une décoration aussi complète;
cependant deux hypogées de la XXVIe dynastie,
celui de Pétaménophis à Thèbes et celui de Bokenranf
à Memphis, peuvent rivaliser sous ce rapport avec les
syringes royales. Le premier renferme une édition complète
du Livre des morts, le second de longs extraits du
même livre et des formules qui remplissent les pyramides.
Chaque partie de la tombe, comme elle avait sa
décoration, avait son mobilier particulier. Il ne reste
que peu de traces de celui de la chapelle: la table
d'offrandes qui était en pierre est d'ordinaire tout ce qui
en subsiste. Les objets déposés dans le serdab, dans les
couloirs, dans le caveau, ont mieux résisté aux ravages
du temps et des hommes. Sous l'ancien empire, les
statues étaient toujours confinées dans le serdab. La
chambre ne renfermait guère, en dehors du sarcophage,
que des chevets en calcaire et en albâtre, des oies en pierre, rarement des palettes de scribe, très souvent des
vases de formes diverses en terre cuite, en diorite, en
granit, en albâtre, en calcaire compact, enfin des provisions
de graines alimentaires, et les ossements des
victimes sacrifiées le jour de l'enterrement. Sous les
dynasties thébaines, le ménage du mort devint plus
complet et plus riche. Les statues des domestiques et de
la famille, qui jadis accompagnaient dans le serdab les
statues du mort, sont reléguées au caveau et diminuent
de taille. En revanche, bien des objets qui jadis étaient
simplement représentés sur la muraille s'en sont détachés:
ainsi les barques funéraires avec leur équipage,
la momie, les pleureuses, les prêtres, les amis éplorés,
les offrandes, pains en terre cuite estampés au nom du
maître, et qu'on appelle improprement cônes funéraires,
grappes de raisin et moules en calcaire avec lesquelles
le mort était censé se fabriquer à lui-même des boeufs,
des oiseaux, des poissons en pâte qui lui tenaient lieu
des animaux en chair. Le mobilier, les ustensiles de
toilette et de cuisine, les armes, les instruments de
musique abondent, la plupart brisés au moment de la
mise au tombeau; on les tuait de la sorte afin que leur
âme allât servir l'âme de l'homme dans l'autre monde.
Les petites statuettes en pierre, en bois, en émail bleu,
blanc ou vert, sont jetées par centaines et même par
milliers au milieu de l'amas des meubles et des provisions.
Ce sont d'abord à proprement parler des réductions
des statues du serdab, destinées comme elles à servir
de corps au double, puis à l'âme; on les habille alors
comme l'individu dont elles portent le nom s'habillait
pendant la vie. Plus ***, leur rôle s'amoindrit, et leurs fonctions se bornèrent à répondre pour le maître, et
à exécuter, en son lieu et place, les travaux et la corvée
dans les champs célestes, quand il y était convoqué par
les dieux. On les appelle alors répondants (Oushbîti),
on leur met au poing les instruments de labourage, et
on leur donne presque toujours la semblance d'un
corps momifié, dont les mains et le visage seraient dégagés
des bandelettes. Les canopes, avec leurs têtes d'épervier,
de cynocéphale, de chacal et d'homme, étaient réservés,
dès la XIe dynastie, aux viscères qu'on était
obligé d'extraire de la poitrine et du ventre pendant
l'embaumement. La momie elle-même se charge de
plus en plus de cartonnages, de papyrus, d'amulettes
qui lui font comme une armure magique, dont chaque
pièce préserve les membres et l'âme qui les anime de
la destruction.
En théorie, chaque Égyptien avait droit à une maison
éternelle, édifiée sur le plan dont je viens d'indiquer les
transformations; mais les petites gens se passaient fort
bien de tout ce qui était nécessaire aux morts de condition.
On les enfouissait où la place coûtait le moins,
dans de vieilles tombes violées et abandonnées, dans des
fissures naturelles de la montagne, dans des puits ou
dans des fosses communes. A Thèbes, au temps des
Ramessides, de grandes tranchées creusées dans le
sable attendaient les cadavres. Les rites accomplis, les
fossoyeurs recouvraient légèrement les momies de la
journée, parfois isolées, parfois associées par deux ou
trois, parfois empilées, sans qu'on eût cherché à les disposer
par couches régulières. Quelques-unes n'avaient
de protection que leurs bandages, d'autres étaient enveloppées de branches de palmier liées en façon de bourriche.
Les plus soignées ont une boîte en bois mal dégrossie,
sans inscription ni peinture. Beaucoup sont
affublées de vieux cercueils d'occasion, qu'on ne s'était
pas donné la peine d'ajuster à la taille du nouveau propriétaire,
ou sont jetées dans une caisse fabriquée avec
les débris de deux ou trois caisses brisées. De mobilier
funéraire, il n'en était point question pour des marauds
pareils; tout au plus ont-ils avec eux une paire
de souliers en cuir, des sandales en carton peint ou en
osier tressé, un bâton de voyage pour les chemins
célestes, des bagues en terre émaillée, des bracelets ou
des colliers d'un seul fil de petites perles bleues, des
figurines de Phtah, d'Osiris, d'Anubis, d'Hathor, de
Bastit, des yeux mystiques, des scarabées, surtout des
cordes roulées autour du bras, du cou, de la jambe,
de la taille, et destinées à préserver le cadavre des influences
magiques.
CHAPITRE IV
LA PEINTURE ET LA SCULPTURE
Les bas-reliefs et les statues qui décoraient les temples
ou les tombeaux étaient peints pour la plupart. Le
granit, le basalte, le diorite, la serpentine, l'albâtre, les
pierres colorées naturellement, échappaient parfois à
cette loi de polychromie: le grès, le calcaire, le bois y
étaient soumis rigoureusement, et, si on rencontre quelques
monuments de ces matières qui ne sont pas enluminés,
la couleur a disparu par accident, ou la pièce
est inachevée. Le peintre et le sculpteur étaient donc
presque inséparables l'un de l'autre. Le premier avait à
peine achevé son oeuvre que le second s'en emparait, et
souvent le même artisan s'entendait à manier le pinceau
aussi bien que la pointe.
I.--LE DESSIN ET LA COMPOSITION.
Nous ne connaissons pas les méthodes que les Égyptiens
employaient à l'enseignement du dessin. La pratique
leur avait appris à déterminer les proportions
générales du corps et à établir des relations constantes
entre les parties dont il est constitué, mais ils ne s'étaient jamais inquiétés de chiffrer ces proportions et de les
ramener toutes à une commune mesure. Rien, dans ce
qui nous reste de leurs oeuvres, ne nous autorise à croire
qu'ils aient jamais possédé un canon, réglé sur la longueur
du doigt ou du pied humain. Leur enseignement
était de routine et non de théorie. Ils avaient des modèles
que le maître composait lui-même, et que les
élèves copiaient sans relâche, jusqu'à ce qu'ils fussent
parvenus à les reproduire exactement. Ils étudiaient
aussi d'après nature, comme le prouve la facilité avec
laquelle ils saisissaient la ressemblance des personnages,
et le caractère ou le mouvement propre à chaque espèce
d'animaux. Ils jetaient leurs premiers essais sur des
éclats de calcaire planés rudement, sur une planchette
enduite de stuc rouge ou blanc, au revers de vieux manuscrits
sans valeur: le papyrus neuf coûtait trop cher
pour qu'on le gaspillât à recevoir des barbouillages
d'écolier. Ils n'avaient ni crayons ni stylet, mais des
joncs, dont le bout, trempé dans l'eau, se divisait en
fibres ténues et formait un pinceau plus ou moins fin,
selon la grosseur de la tige. La palette en bois mince,
oblongue, rectangulaire, était pourvue à la partie
inférieure d'une rainure verticale à serrer la calame,
et creusée à la partie supérieure de deux ou plusieurs
cavités renfermant chacune une pastille d'encre sèche:
la noire et la rouge étaient le plus usités. Un petit mortier
et un pilon (Fig.156) pour broyer les couleurs, un
godet plein d'eau pour humecter et laver les pinceaux,
complétaient le trousseau de l'apprenti. Accroupi devant
son modèle, palette au poing, il s'exerçait à le reproduire
en noir, à main levée et sans appui. Le maître revoyait son oeuvre et en corrigeait les défauts à l'encre
rouge.
Les rares dessins qui nous restent sont tracés sur
des morceaux de calcaire, en assez mauvais état pour la
plupart. Le British Museum en a deux ou trois au trait
rouge, qui ont peut-être servi
comme de cartons au décorateur
d'un tombeau thébain de
la XXe dynastie. Un fragment
du musée de Boulaq porte des
études d'oies ou de canards à
l'encre noire. On montre à Turin l'esquisse d'une
figure de femme, nue au caleçon près, et qui se renverse
en arrière pour faire la culbute: le trait est
souple, le mouvement gracieux, le modelé délicat. L'artiste n'était pas gêné,
comme il l'est chez nous par la rigidité de l'instrument qu'il maniait. Le pinceau
attaquait perpendiculairement la surface, écrasait
la ligne ou l'atténuait à volonté, la prolongeait,
l'arrêtait, la détournait en toute liberté. Un outil aussi
souple se prêtait merveilleusement à rendre les côtés
humoristiques ou risibles de la vie journalière. Les
Égyptiens, qui avaient l'esprit *** et caustique par nature,
pratiquèrent de bonne heure l'art de la caricature.
Un papyrus de Turin raconte, en vignettes d'un dessin
sûr et libertin, les exploits amoureux d'un prêtre chauve
et d'une chanteuse d'Amon. Au revers, des animaux
jouent, avec un sérieux comique, les scènes de la vie
humaine. Un âne, un lion, un crocodile, un singe se
donnent un concert de musique instrumentale et vocale.
Un lion et une
gazelle jouent aux échecs. Le Pharaon de tous les rats, monté sur un char traîné par des
chiens, court à l'assaut d'un fort défendu par des
chats. Une chatte du monde, coiffée d'une fleur, s'est
prise de querelle avec une oie: on en est venu aux
coups, et la volatile malheureuse, qui ne se sent pas de
force à lutter, culbute d'effroi. Les chats étaient d'ailleurs
les animaux favoris des caricaturistes égyptiens.
Un ostracon du musée
de New-York
nous en montre
deux, une chatte de
race assise sur un
fauteuil, en grande
toilette, et un misérable
matou qui lui
sert à manger, d'un
air
piteux, la queue entre les jambes (Fig.157). L'énumération
des dessins connus est courte, comme on le
voit: l'abondance de vignettes dont on avait coutume
d'orner certains ouvrages compense notre pauvreté en
ce genre. Ce sont presque toujours des exemplaires
du Livre des morts et du Livre de savoir ce qu'il y
a dans l'enfer. On les copiait par centaines, d'après
des manuscrits-types, conservés dans les temples
ou dans les familles consacrées héréditairement au
culte des morts. Le dessinateur n'avait donc aucun
effort d'imagination à faire. Sa tâche consistait uniquement
à imiter le modèle qu'on lui donnait, avec toute
l'habileté dont il était capable. Les rouleaux du Livre
de savoir ce qu'il y a dans l'enfer, qui sont parvenus
jusqu'à nous, ne sont pas antérieurs à la XXe dynastie.
Le faire en est toujours assez mauvais, et les figures ne
sont le plus souvent que des bonshommes tracés rapidement
et mal proportionnés. Le nombre des exemplaires
du Livre des morts est tellement considérable
qu'on pourrait, rien qu'avec eux, entreprendre une histoire
de la miniature en Égypte: d'aucuns remontent en
effet à la XVIIIe dynastie, d'autres sont contemporains
des premiers Césars. Les plus anciens sont généralement
d'une exécution remarquable. Chaque chapitre
est
accompagné d'une vignette qui représente un dieu,
homme ou bête, un emblème divin, le mort en adoration
devant la divinité. Ces petits motifs sont rangés
quelquefois en une seule ligne au-dessus du texte courant
(Fig.158), quelquefois dispersés à travers les pages,
comme les majuscules ornées de nos manuscrits. D'espace
en espace, de grands tableaux occupent toute la
hauteur du feuillet, l'enterrement au début, le jugement
de l'âme vers le milieu, l'arrivée du mort aux
champs d'Ialou vers la fin de l'ouvrage. L'artiste avait
là beau jeu à déployer son talent et à nous donner la mesure de ses forces. La momie d'Hounofir est debout
devant la stèle et le tombeau (Fig.159); les femmes de
la famille pleurent sur elle, tandis que les hommes
et le prêtre lui présentent l'offrande.
Les papyrus des
princes et princesses de la famille de Pinotmou, qui
sont au musée de Boulaq, montrent que les bonnes
traditions de l'école se maintinrent, chez les Thébains,
jusqu'à la XXIe dynastie. La décadence vint rapidement
sous les règnes suivants, et, pendant des siècles, nous ne trouvons plus que des dessins grossiers et sans valeur.
La chute de la domination persane produisit une
renaissance. Les tombeaux de l'époque grecque nous ont
rendu des papyrus à vignettes soignées, d'un style sec et
minutieux, qui contraste singulièrement avec la manière
large et hardie des temps antérieurs. Le pinceau à pointe
large avait été remplacé par le pinceau à pointe fine.
Les scribes rivalisèrent à qui mènerait les lignes les plus
déliées, et les traits dont ils se complurent à surcharger
les accessoires de leurs figures, barbe, cheveux, plis
du vêtement, sont quelquefois si ténus qu'on a peine
à les distinguer sans loupe. Si précieux que soient ces
documents, ils ne suffiraient pas à nous faire apprécier
la valeur et les procédés de travail des artistes égyptiens;
c'est aux murailles des temples ou des tombeaux
que nous devons nous adresser si nous désirons connaître
leurs habitudes de composition.
Les conventions de leur dessin diffèrent sensiblement
de celles du nôtre. Homme ou bête, le sujet n'était
jamais qu'une silhouette à découper sur le fond environnant.
On cherchait donc à démêler, parmi les formes,
celles-là seules qui offrent un profil accentué, et que
le simple trait pouvait saisir et amener sur une surface
plane. Pour les animaux, le problème n'offrait rien de
compliqué: l'échine et le ventre, la tête et le cou, allongés
parallèlement au sol, se profilent d'une seule venue,
les pattes sont bien détachées du corps. Aussi les animaux
sont-ils pris sur le vif, avec l'allure, le geste,
la flexion des membres, particulière à chaque espèce.
La marche lente et mesurée du boeuf, le pas court,
l'oreille méditative, la bouche ironique de l'âne, le trot menu et saccadé des chèvres, le coup de rein du
lévrier en chasse, sont rendus avec un bonheur constant
de ligne et d'expression. Et si des animaux domestiques
on passe aux sauvages, la perfection n'est pas
moindre. Jamais on n'a mieux exprimé qu'en Égypte
la force calme du lion au repos, la démarche sournoise
et endormie du léopard, la grimace des singes, la
grâce un peu grêle de la gazelle et de l'antilope. Il
n'était pas aussi facile de projeter l'homme entier sur
un même plan, sans s'écarter de la nature. L'homme
ne se laisse pas reproduire aisément par la ligne
seule, et la silhouette supprime une part trop grande
de sa personne. La chute du front et du nez, la coupe
des lèvres, le galbe de l'oreille, disparaissent quand la
tête est dessinée de face. Il faut, au contraire, que le
buste soit posé de face pour que la ligne des épaules se
développe en son entier, et pour que les deux bras
soient visibles à droite et à gauche du corps. Les contours
du ventre se modèlent mieux lorsqu'on les aperçoit
de trois quarts et ceux des jambes lorsqu'on les
prend de côté. Les Égyptiens ne se firent point scrupule
de combiner, dans la même figure, les perspectives contradictoires
que produisent l'aspect de face et l'aspect
de profil. La tête, presque toujours munie d'un oeil
de face, est presque toujours plantée de profil sur un
buste de face, le buste surmonte un tronc de trois
quarts, et le tronc s'étaye sur des jambes de profil.
Ce n'est pas qu'on ne rencontre assez souvent des
figures établies, ou peu s'en faut, selon les règles de
notre perspective. La plupart des personnages secondaires
que renferme le tombeau
de Khnoumhotpou ont essayé de se soustraire à la loi de malformation;
ils ont le buste de profil, comme la tête et les jambes,
mais ils portent en avant tantôt l'une, tantôt l'autre
des épaules, afin de bien montrer leurs deux bras
(Fig.160). L'effet n'est pas des plus heureux, mais examinez
le paysan
qui gave une oie, et surtout celui qui pèse sur le cou d'une gazelle pour l'obliger à s'accroupir
(Fig.161): l'action des bras et des reins est
rendue exactement, la fuite du dos est régulière, les
épaules, entraînées en arrière par le déplacement des
bras, font saillir la poitrine sans en exagérer l'ampleur,
le haut du corps tourne bien sur les hanches. Les lutteurs
de Béni-Hassan s'attaquent et s'enlacent, les danseuses
et les servantes des hypogées thébains se meuvent
avec une liberté parfaite (Fig.162). Ce sont là des exceptions;
ailleurs, la tradition a été plus forte que la
nature, et les maîtres égyptiens continuèrent jusqu'à
la fin à déformer la figure humaine. Leurs hommes et
leurs femmes sont donc de véritables monstres pour
l'anatomiste, et cependant ils ne sont ni aussi laids ni
aussi risibles qu'on est porté à le croire, en étudiant les
copies malencontreuses que nos artistes en ont faites
souvent. Les membres défectueux sont alliés aux corrects
avec tant d'adresse, qu'ils paraissent être soudés comme naturellement. Les lignes exactes et les fictives
se suivent et se complètent si ingénieusement qu'elles
semblent se déduire nécessairement les unes des autres.
La convention une fois reconnue et admise, on ne saurait
trop admirer l'habileté technique dont témoignent
beaucoup de monuments. Le trait est net, ferme, lancé
résolument et longuement mené. Dix ou douze coups
de pinceau suffisent à établir une figure de grandeur
naturelle. Un seul trait enveloppait la tête de la
nuque à la naissance du cou, un seul marquait le ressaut
des épaules et la tombée des bras. Deux traits
ondulés à propos cernaient le contour extérieur, du
creux de l'aisselle à la pointe des pieds, deux arrêtaient
les jambes, deux les bras. Les détails du costume et de
la parure, d'abord indiqués sommairement, étaient repris
un à un et achevés minutieusement: on peut
compter presque les tresses de la chevelure, les plis du
vêtement, les émaux de la ceinture ou des bracelets.
Ce mélange de science naïve et de gaucherie voulue,
d'exécution rapide et de retouche patiente, n'exclut ni l'élégance des formes, ni la grâce et la vérité des attitudes,
ni la justesse des mouvements. Les personnages
sont étranges, mais ils vivent, et, qui veut se donner la
peine de les regarder sans préjugé, leur étrangeté même
leur prête un charme, que n'ont pas des oeuvres plus
récentes et plus conformes à la vérité.
Les Égyptiens ont donc su dessiner. Ont-ils, comme
on le dit souvent, ignoré l'art de composer un ensemble?
Prenez une scène au hasard dans un des hypogées thébains,
celle qui représente le repas funéraire offert au
prince Harmhabi par les gens de sa famille (Fig.163).
C'est un sujet moitié idéal, moitié réel. Le défunt et
ceux des siens qui sont déjà de son monde y figurent
à côté des vivants, visibles, mais non mêlés; ils assistent
plus qu'ils ne prennent part au banquet. Harmhabi
siège donc sur un pliant, à la gauche du spectateur. Il
a sur les genoux une petite princesse, une fille d'Amenhotpou
III, dont il était le père nourricier et qui était
morte avant lui. Sa mère, Sonit, trône à sa droite, en
retraite, sur un grand fauteuil, et de la main gauche
lui serre le bras, de l'autre lui tend
une fleur de lotus; une gazelle mignonne, peut-être enterrée auprès d'elle,
comme la gazelle découverte à côté de la reine Isimkheb
dans le puits de Déir-el-Baharî, est attachée à l'un des
pieds du fauteuil. Ce groupe surnaturel est de taille
héroïque. Assis, Harmhabi et sa mère ont le front de
niveau avec celui des femmes qui se tiennent debout
devant eux; il fallait en effet que les dieux fussent toujours
plus grands que les hommes, les rois plus grands
que leurs sujets, les maîtres du tombeau plus grands
que les vivants. Les parents et les amis sont rangés sur
une seule ligne, la face aux ancêtres, et semblent causer
entre eux. Le service est commencé. Les jarres de vin et
de bière, posées à la file sur leurs selles en bois, sont
déjà ouvertes. Deux jeunes esclaves, puisant à merci dans
un vase d'albâtre, frottent les vivants d'essences odorantes.
Deux femmes en toilette d'apparat présentent
aux morts des coupes en métal remplies de fleurs, de
grains et de parfums, qu'elles déposent au fur et à mesure
sur une table carrée; trois autres accompagnent de
leur musique et de leur danse l'hommage des premières.
Comme ici le tombeau est la salle du festin, il n'y a
d'autre fond au tableau que la paroi couverte d'hiéroglyphes,
à laquelle les invités étaient adossés pendant la
cérémonie. Ailleurs, le théâtre de l'action est indiqué
clairement par des touffes d'herbe ou par des arbres, si
elle se passe en rase campagne, par du sable rouge, si
elle se passe au désert, par des fourrés de joncs et de
lotus, si elle se passe dans les marais. Une femme de
qualité rentre chez elle (Fig.164). Une de ses filles,
pressée par la soif, boit un long trait d'eau à même
une goullèh; deux petits enfants nus, un garçon et une fillette à tète rase, sont accourus vers la mère jusqu'à
la porte de la rue, et reçoivent, des mains d'une servante,
des joujoux qu'on leur a rapportés du dehors.
Une treille, habillée de vignes, des arbres chargés de
fruits poussent au second plan: nous sommes dans un
jardin, mais la maîtresse et ses deux filles aînées l'ont
traversé sans s'y arrêter et sont entrées dans la maison.
La façade, levée à moitié, laisse voir ce qu'elles font:
trois servantes leur servent des rafraîchissements. Le tableau
n'est pas mal composé et pourrait être transcrit sur
la toile par un moderne sans exiger trop de changements;
seulement la même maladresse, ou le même parti pris,
qui obligeait l'Égyptien à emmancher une tête de profil
sur un buste de face, l'a empêché de disposer ses
plans en fuite l'un derrière l'autre, et l'a réduit à inventer
des procédés plus ou moins ingénieux pour remédier
à l'absence presque complète de perspective.
Et d'abord, la plupart des personnages qui concourent
à une même action étaient rabattus sur un même
plan, isolés autant que possible, pour éviter que la silhouette
de l'un recouvrît celle de l'autre;
sinon, on les
superposait à plat, comme s'ils n'avaient eu que deux mais tous les pieds s'appuient sur une seule
raie de sol, et la ligne qu'ils tracent ne suit pas, comme
elle devrait, le mouvement des
autres lignes (Fig.167). Ce mode de représentation n'est pas rare à l'époque
thébaine. On l'adoptait de préférence lorsqu'on voulait
figurer des troupes d'hommes ou d'animaux placées
sur un rang et entraînées au même acte d'une même
impulsion; mais il avait l'inconvénient,
grave aux yeux
des Égyptiens, de supprimer
presque entièrement le corps
des personnages, le premier
excepté, et de n'en laisser
subsister qu'un contour insuffisant.
Lors donc qu'on
ne pouvait ramener toutes les
figures sur le devant du tableau,
sans risquer d'en cacher
une partie, on décomposait
l'ensemble en plusieurs groupes, dont chacun
représentait un épisode, et qu'on distribuait l'un
au-dessus de l'autre dans le même plan vertical. La
hauteur de chacun d'eux ne dépend en rien de la place
qu'ils occupaient dans la perspective normale, mais
du nombre d'étages superposés dont l'artiste pensait
avoir besoin pour rendre complètement sa pensée. Elle
équivaut d'ordinaire à la moitié du registre principal,
s'il se contentait de deux étages, au tiers s'il en voulait
trois, et ainsi de suite. Cependant, lorsqu'il s'agit de
simples
accessoires, le registre qui les contient peut être
plus bas que les autres; ainsi, au festin funèbre d'Harmhabi, les amphores sont entassées dans un moindre
espace que celui où siègent les convives. Les scènes
secondaires étaient séparées le
plus souvent par une barre
horizontale, mais le trait de
division n'était pas indispensable,
et, surtout quand on
avait à figurer des masses profondes
d'individus rangées régulièrement,
les plans verticaux
s'imbriquaient, pour ainsi
dire, l'un sur l'autre, dans des
proportions variables au caprice
du dessinateur. A la bataille
de Qodshou, les files de
la phalange égyptienne se dominent
successivement de toute la hauteur du buste
(Fig.168), et celles des
bataillons hittites se dépassent
à peine de la tête
(Fig.169). Et les déformations
que subissent les
groupes d'hommes et d'animaux ne sont point
parmi les plus fortes
qu'on se soit permises en
Égypte: les maisons, les
terrains, les arbres, les
eaux, ont été défigurés comme à plaisir. Un rectangle,
posé de champ sur un des côtés longs et rayé de rubans
ondulés, représente un canal; si vous en doutez, des poissons et des crocodiles sont là comme enseigne,
pour bien montrer que vous devez voir de l'eau
et non autre chose. Des bateaux sont en équilibre
sur le bord supérieur, des troupeaux
plongés jusqu'au ventre passent à gué, un pêcheur à la ligne
marque l'endroit où le Nil cesse et où la berge commence.
Ailleurs, le rectangle est comme suspendu
à mi-tronc de cinq ou six palmiers (Fig.170); on comprend
aussitôt que l'eau coule entre deux rangs d'arbres.
Ailleurs encore, au
tombeau de Rekhmirî, les
arbres sont couchés proprement
le long des quatre
rives, et le profil d'une barque
et d'un mort, hâlés par
des profils d'esclaves, se
promènent naïvement sur
l'étang vu de face (Fig.171).
Les hypogées thébains de
l'époque des Ramessides fournissent aisément chacun
plusieurs exemples d'artifices nouveaux et, quand on
les a relevés, on finit par ne plus savoir ce qu'on doit
admirer le plus, l'obstination des Égyptiens à ne pas
trouver les lois naturelles de la perspective, ou la fécondité
d'esprit dont ils ont fait preuve pour inventer tant
de relations fausses entre les objets.
Appliqués à de vastes étendues, leurs procédés de
composition choquent moins qu'ils ne font à des sujets
de petites dimensions. On sent d'instinct que l'artiste le
plus habile n'aurait pu se garder de tricher quelquefois
avec la perspective, s'il avait eu à couvrir les surfaces immenses des pylônes, et cela rend l'oeil plus indulgent.
Aussi bien les motifs qu'on donnait à traiter dans d'aussi
grands cadres n'offrent jamais une unité rigoureuse.
Assujettis que les gens étaient à perpétuer le souvenir
victorieux d'un Pharaon, Pharaon joue nécessairement
chez eux le premier rôle; mais, au lieu de choisir parmi
ses hauts faits
un épisode dominant, le plus propre à
mettre sa grandeur en lumière, ils prenaient plaisir à
juxtaposer tous les moments successifs de ses campagnes.
Attaque de nuit du camp égyptien par une
bande d'Asiatiques, envoi par le prince de Khiti d'espions
destinés à donner le change sur ses intentions,
la maison militaire du roi surprise et enfoncée par les
chariots hittites, la bataille de
Qodshou et ses péripéties,
les pylônes de Louxor et du Ramesséum portent comme un bulletin illustré de la campagne de Ramsès
II contre les Syriens en l'an V de son règne: ainsi
les peintres des premières écoles italiennes déroulaient,
dans le même milieu, d'une suite non interrompue, les
épisodes d'une même histoire. Les scènes sont répandues irrégulièrement sur la muraille, sans séparation
matérielle, et l'on est exposé parfois, comme pour les
bas-reliefs de la colonne Trajane, à mal couper les
groupes et à brouiller les personnages. Cette manière
de procéder est réservée presque exclusivement à l'art
officiel. A l'intérieur des temples et dans les tombeaux,
les parties diverses d'un même tableau sont distribuées
en registres, qui montent et s'étagent du soubassement à la corniche. C'est une difficulté de plus ajoutée à
celles qui nous empêchent de comprendre les intentions
et la manière des dessinateurs égyptiens; nous
nous imaginons souvent voir des sujets isolés, quand
nous avons devant les yeux les membres disjoints de
ce qui n'était pour eux qu'une même composition.
Prenez une des parois du tombeau de Phtahhotpou à
Saqqarah (Fig.172). Si vous désirez saisir le lien qui
en rattache les parties, comparez-la à un monument
d'époque gréco-romaine, la mosaïque de Palestrine,
qui représente à peu près les mêmes scènes, mais
groupées d'une façon plus conforme à nos habitudes
d'oeil et d'esprit (Fig.173). Le Nil baigne le bas du
tableau et s'étale jusqu'au pied des montagnes. Des
villes sortent de l'eau, des obélisques, des fermes, des
tours de style gréco-italien, plus semblables aux fabriques
des paysages pompéiens qu'aux monuments des
Pharaons; seul, le grand temple situé au second plan,
sur la droite, et vers lequel se dirigent deux voyageurs,
est précédé d'un pylône, auquel sont adossés quatre
colosses osiriens, et rappelle l'ordonnance générale de
l'architecture égyptienne. A gauche, des chasseurs, portés
sur une grosse barque, poursuivent l'hippopotame et le crocodile à coups de harpon. A droite, une compagnie
de légionnaires, massée devant un temple et précédée
d'un prêtre, paraît saluer au passage une galère
qui file à toutes rames le long du rivage. Au centre, des hommes et
des femmes à moitié nues chantent et boivent,
à l'abri d'un berceau sous lequel coule un bras du Nil.
Des canots en papyrus montés d'un seul homme, des
bateaux de formes diverses comblent les vides de la composition.
Le désert commence derrière la ligne des édifices,
et l'eau forme de larges flaques que surplombent
des collines abruptes. Des animaux réels ou fantastiques,
poursuivis par des bandes d'archers à tête rase, occupent
la partie supérieure du tableau. De même que le mosaïste
romain, le vieil artiste égyptien s'est placé sur le
Nil et a reproduit tout ce qui se passait entre lui et
l'extrême horizon. Au bas de la paroi, le fleuve coule
à pleins bords, les bateaux vont et viennent, les matelots
échangent des coups de gaffe. Au-dessus, la berge
et les terrains qui avoisinent le fleuve: une bande
d'esclaves, cachés dans les herbes, chassent à l'oiseau.
Au-dessus encore, on fabrique des canots, on tresse la
corde, on ouvre et on sale des poissons. Enfin, sous la
corniche, les collines nues et les plaines ondulées du
désert, où des lévriers forcent la gazelle, où des chasseurs
court-vêtus lassent le gibier. Chaque registre
répond à un des plans du paysage; seulement l'artiste,
au lieu de mettre les plans en perspective, les a séparés
et superposés. Partout dans les tombeaux on retrouve
la même disposition: des scènes d'inondation et de
vie civile au bas des murailles, dans le haut, la montagne
et la chasse. Parfois le dessinateur a intercalé entre
deux des pâtres, des laboureurs, des gens de métier;
parfois il fait succéder brusquement la région des
sables à la région des eaux et supprime l'intermédiaire.
La mosaïque de Palestrine et les parois des tombeaux pharaoniques reproduisent donc un même ensemble de
sujets, traités d'après les conventions et les procédés de
deux arts différents. Comme la mosaïque, les parois
des tombeaux forment, non pas une suite de scènes indépendantes,
mais une composition réglée, dont ceux qui
savent lire la langue artistique de l'époque démêlent
aisément l'unité.
2.--LES PROCÉDÉS TECHNIQUES.
La préparation des surfaces à couvrir exigeait beaucoup
de temps et beaucoup de soin. Comme l'imperfection
des procédés de construction ne permettait pas
à l'architecte de planer avec exactitude les parements
extérieurs des murs du temple ou des pylônes, il fallait
bien que le décorateur s'accommodât d'une surface légèrement
bombée ou déprimée par endroits. Du moins
était-elle formée de blocs à peu près homogènes: les
filons de calcaire où l'on creusait les hypogées contenaient
presque toujours des rognons de silex, des fossiles,
des chapelets de coquilles pétrifiées. On remédiait
à ces défauts de façons différentes, selon que la décoration
devait être peinte ou sculptée. Dans le premier
cas, après avoir dégrossi la paroi, on appliquait sur la
surface encore rugueuse un crépi d'argile noire et de
paille hachée menu, semblable au mélange avec lequel
on fabriquait la brique. Dans le second, on s'arrangeait
autant que possible de manière à éviter les inégalités
de la pierre. Quand elles tombaient dans le champ des
figures, mais n'offraient point trop de résistance au
ciseau, on les laissait subsister, sinon on les enlevait et on bouchait le trou avec du ciment blanchâtre ou des
morceaux de calcaire ajustés. Ce n'était point petite
affaire, et l'on cite telle salle de tombeau où chaque
paroi est incrustée au quart de dalles rapportées. Ce
travail préliminaire achevé, on répandait sur l'ensemble
une couche mince de plâtre fin, gâché avec du blanc
d'oeuf, qui masquait l'enduit ou le rapiéçage, et formait
un champ lisse et poli, sur lequel le pinceau du dessinateur
pouvait glisser librement.
On rencontre un peu partout, et jusque dans les
carrières, des chambres ou parties de chambres inachevées,
qui gardent encore l'esquisse à l'encre rouge ou
noire des bas-reliefs dont elles devaient être revêtues.
Le modèle, exécuté en petit, était mis au carreau et
transporté sur la muraille à grande échelle par les aides
et par les élèves. En quelques endroits, le sujet est
indiqué sommairement par deux ou trois coups de
calame hâtifs: tel est le cas pour certaines scènes des
tombeaux thébains
que Prisse a relevées avec soin (Fig.174), Ailleurs, le trait est entièrement terminé et
les figures n'attendent plus sur le treillis que l'arrivée
du sculpteur. Quelques praticiens se contentaient de
déterminer la position des épaules et l'aplomb des corps
par des lignes horizontales et verticales, sur lesquelles
ils notaient la hauteur du genou, des hanches et des
membres (Fig.175). D'autres, plus confiants dans leurs
propres forces, abordaient
le tableau à même et plaçaient
leurs personnages
sans secours d'aucune
sorte; ainsi, les artistes
qui ont décoré la syringe
de Séti Ier et les salles
méridionales du temple
d'Abydos. Leur trait est si net et leur facilité d'exécution si
surprenante qu'on les a soupçonnés d'avoir
employé des poncifs découpés à l'avance. C'est une
opinion dont on revient bien vite, quand on examine
de près leurs figures et qu'on se donne la peine de
les mesurer au compas. La taille est plus mince chez
les unes, les contours de la poitrine sont plus accentués
chez les autres ou les jambes moins écartées.
Le maître n'avait pas grand'chose à corriger dans
l'oeuvre de ces gens-là. Il redressait ça et là une tête,
accentuait ou atténuait la saillie d'un genou, modifiait
un détail d'ajustement. Une fois pourtant, à
Kom-Ombo, dans un portique d'époque gréco-romaine,
plusieurs des divinités du plafond avaient été mal
orientées et posaient les pieds où elles auraient dû avoir
le bras: il les a remises en position sur le même carreau, sans effacer
l'esquisse primitive. Là, du moins,
il avait aperçu l'erreur à temps: à Karnak, sur la paroi
septentrionale de la salle hypostyle, et à Médinét-Habou,
il ne l'a reconnue qu'après que le sculpteur avait
achevé son travail. Les figures de Séti Ier et de Ramsès
III penchaient trop en arrière et
paraissaient prêtes à perdre l'équilibre:
il les empâta de ciment ou
de stuc, puis les fit tailler à nouveau.
Aujourd'hui, le ciment est
tombé, et les traces du premier
ciseau sont redevenues visibles.
Séti Ier et Ramsès III ont deux
profils, l'un à peine marqué,
l'autre levé franchement sur la
surface de la pierre (Fig.176). Les sculpteurs égyptiens n'étaient pas aussi bien
équipés que les nôtres. Un des
scribes agenouillés en calcaire
du musée de Boulaq a été taillé
au ciseau; les sillons lisses
qu'avait laissés l'instrument
sont visibles sur son épiderme.
Une statue en serpentine grisâtre
du même musée a gardé la
trace de deux outils différents:
le corps est tout moucheté des coups de pointe, la tête
est encore informe, mais
le bloc qui les renferme a été
dégrossi à petits éclats par la marteline. D'autres constatations
du même genre et l'étude des monuments nous
ont appris qu'on employait aussi le violon (fig.177), la gradine, la gouge; mais de longues discussions se sont
élevées sur la question de savoir si ceux de leurs instruments
qui étaient en métal étaient en fer ou en
bronze. Le fer, a-t-on dit, était considéré comme impur.
Personne n'aurait pu l'employer, même aux usages les
plus vils de la vie, sans contracter une souillure préjudiciable
à l'âme en ce monde et dans l'autre. Mais
l'impureté d'un objet n'a jamais suffi à en empêcher
l'emploi. Les porcs, eux aussi, étaient impurs. On les
élevait pourtant et en nombre assez considérable, au
moins dans certains cantons, pour permettre au bon
Hérodote de raconter qu'on les lâchait sur les champs,
après les semailles, afin
d'enterrer le grain. D'ailleurs
le fer, comme bien des choses en Égypte, était pur ou
impur selon les circonstances. Si certaines traditions
l'appelaient l'os de Typhon et le tenaient pour funeste,
d'autres aussi anciennes prétendaient qu'il était la matière
même du firmament, et elles avaient assez d'autorité
pour qu'on l'appelât couramment Banipit, le métal
céleste. Les quelques outils, dont on a trouvé les
fragments dans la maçonnerie des pyramides, sont en
fer, non en bronze, et si les objets antiques en fer sont
si rares aujourd'hui, par comparaison aux objets en
bronze, cela tient à ce que le fer n'est pas protégé contre
la destruction par son oxyde, comme le bronze l'est par
le sien. La rouille le dévore en peu de temps, et c'est
seulement par un concours de circonstances assez difficiles
à réunir qu'il se conserve intact. Toutefois, s'il
est bien certain que les Égyptiens ont connu et employé
le fer, il est non moins certain qu'ils n'ont jamais possédé
l'acier, et alors on se demande comment ils s'y prenaient pour façonner à leur gré les roches les plus
dures, celles mêmes qu'on redoute presque d'attaquer
aujourd'hui, le diorite, le basalte, le granit de Syène.
Les quelques fabricants d'antiquités qui sculptent encore
le granit à l'intention des voyageurs ont résolu le
problème très simplement. Ils ont toujours à côté d'eux
une vingtaine de ciseaux ou de pointes en mauvais fer,
qu'un petit nombre de coups met hors de service. La
première émoussée; ils passent à une autre, et ainsi de
suite jusqu'à ce que la provision soit épuisée, après
quoi ils vont à la forge et font tout remettre en état. Le
procédé n'est ni aussi long ni aussi pénible qu'on pourrait
croire. Un des meilleurs faussaires de Louxor a
tiré, en moins de quinze jours, d'un fragment de granit
noir rayé de rouge, une tête humaine de grandeur naturelle
qui est au musée de Boulaq. Je ne doute pas
que les anciens n'aient opéré de même: ils triomphaient
des pierres dures à force d'user du fer sur elles. Le
moyen une fois découvert, l'habitude leur avait enseigné
les tours de main les plus favorables à rendre la
besogne aisée et à obtenir de leurs outils une exécution
aussi fine et aussi régulière que celle que nous tirons
des nôtres. Dès que l'apprenti savait manier la pointe
et le maillet, le maître le plaçait devant des modèles gradués
qui représentaient les états successifs d'un animal,
d'une portion de corps humain, du corps humain entier,
depuis l'ébauche jusqu'au parfait achèvement
(Fig.178). On les recueille chaque année en assez grand
nombre pour établir des séries progressives: quinze
de ceux qui sont à Boulaq viennent de Saqqarah, quarante
et un de Tanis, une douzaine de Thèbes et de Médinét-el-Fayoum, sans parler des pièces isolées
qu'on ramasse un peu partout. Ils étaient destinés partie
à l'étude du bas-relief, partie à celle de la statuaire proprement
dite, et nous en font connaître les procédés.
Les Égyptiens traitaient le bas-relief de trois façons
principales: ou bien c'était une simple gravure à la
pointe, ou bien ils abattaient le fond autour de la figure
et la modelaient en saillie sur la muraille, ou bien
ils réservaient le champ et levaient le motif en relief
dans le creux. Le premier procédé a l'avantage d'aller
vite et l'inconvénient d'être peu décoratif. Ramsès III
s'en est servi dans quelques endroits, à Médinét-Habou;
mais on l'appliquait de préférence aux stèles et aux petits
monuments. Le dernier diminuait les chances de
destruction de l'oeuvre et la peine de l'ouvrier: il supprimait
en effet le dressage des fonds, ce qui était une
réelle économie de temps, et ne laissait subsister aucune
saillie à la face du parement, ce qui mettait l'image à
l'abri des chocs accidentels. Le procédé intermédiaire
était le plus usité, et on paraît l'avoir enseigné dans les
écoles de préférence aux autres. Les modèles étaient de
petites dalles carrées ou rectangulaires, quadrillées pour
permettre à l'élève d'augmenter ou de réduire son sujet
sans rien changer aux proportions traditionnelles.
Quelques-unes sont ouvrées sur les deux plats; la plupart
n'ont de sculpture que d'un côté. C'est alors un
boeuf, une tête de cynocéphale, un bélier, un lion, une
divinité; de temps en temps, le même motif y est répété
deux fois, à peine dégrossi sur la gauche, fini à droite
jusque dans ses moindres détails. Dans aucun cas, la
figure n'est très élevée au-dessus du fond: elle ne dépasse
jamais les cinq millimètres et se maintient ordinairement
plus bas. Ce n'est pas que les Égyptiens n'aient su fouiller profondément la pierre à l'occasion.
La décoration atteint jusqu'à seize centimètres de saillie,
à Médinét-Habou et à Karnak, sur le granit et sur
le grès, dans les parties hautes du temple, et dans celles
qui sont exposées directement au plein jour; si elle
était moindre, les tableaux seraient comme absorbés
par la lumière répandue sur eux et offriraient une masse
de lignes confuses au spectateur. Les modèles consacrés
à l'étude de la ronde bosse sont plus instructifs
encore que les précédents. Plusieurs de ceux que nous
possédons sont des moulages en plâtre d'oeuvres connues
dans l'école. La tête, les bras, les jambes, le tronc,
chaque partie du corps était coulée séparément. Voulait-on
une figure complète? on assemblait les morceaux
et on avait, selon le cas, une statue d'homme ou
de femme, agenouillée ou debout, assise sur un siège
ou accroupie sur les talons, le bras tendu en avant ou
au repos le long du buste. Cette collection curieuse a
été découverte à Tanis et date probablement du temps
des Ptolémées. Les modèles d'époque pharaonique sont
en calcaire tendre et représentent presque tous le portrait
du souverain régnant. Ce sont de vrais dés à base
rectangulaire, hauts de vingt-cinq centimètres en
moyenne. On commençait par établir sur une des faces
un réseau de lignes croisées à angle droit, et qui réglaient
la position relative des traits du visage, puis on
attaquait la face opposée, en se guidant d'après l'échelle
inscrite au revers. L'ovale seul est dessiné nettement
sur le premier bloc: un saillant au milieu, deux rentrants
à droite et à gauche indiquent vaguement la position
du nez et des yeux. La forme s'accuse à mesure qu'on passe d'un bloc à l'autre, et le visage sort peu à
peu de la masse où il était enfermé. L'artiste en limite
les contours, au moyen de tailles menées parallèlement
de haut en bas, puis abat les angles des tailles et les
tond de manière à préciser le modelé: les linéaments
se dégagent, l'oeil se creuse, le nez s'affine, la bouche
s'épanouit. Au dernier bloc, il ne reste plus rien d'inachevé
que l'uraeus et le détail de la coiffure. Nous
n'avons aucun morceau d'école en granit ou en basalte;
mais les Égyptiens, comme nos marbriers de cimetière,
gardaient toujours en magasin des statues de pierre
dure, à moitié prêtes, et qu'ils pouvaient terminer aisément
en quelques heures. Les mains, les pieds, le buste
n'attendent plus que la touche finale, mais la tête est à
peine dégrossie et l'habit n'est qu'ébauché; une demi-journée
aurait suffi pour transformer le masque en un
portrait de l'acheteur et pour mettre le jupon à la mode
nouvelle. Deux ou trois statues de ce genre nous révèlent
le procédé aussi clairement que les modèles théoriques
auraient pu le faire. La taille régulière et continue
du calcaire ne convenait pas aux roches volcaniques,
la pointe seule parvenait à les assouplir et à triompher
de leur résistance. Lorsqu'à force de patience et de
temps, elle avait amené l'oeuvre au point voulu, s'il y
avait encore çà et là quelques aspérités, quelques
noyaux de substances hétérogènes, qu'on n'osait attaquer
résolument de peur d'enlever avec elles les parties
environnantes, on avait recours à un instrument nouveau.
L'artiste appuyait sur la parcelle superflue le
tranchant d'un galet en forme de hache, et d'un second
galet arrondi, qui remplaçait le maillet, frappait à coups mesurés sur cet engin grossier: le point ainsi traité
s'écrasait sous le choc et s'en allait en poussière. Les
menus défauts corrigés, le monument avait encore
l'aspect fruste et terne. Il fallait le polir pour faire
disparaître les cicatrices de la pointe et du marteau.
L'opération était des plus délicates, un tour de main
malheureux, une distraction d'un moment, et l'oeuvre
de longues semaines était gâtée sans retour. La
dextérité des praticiens rendait un accident assez rare.
Examinez le Sovkoumsaouf de Boulaq, examinez le
Ramsès II colossal de Louxor. Les jeux de lumière
empêchent d'abord l'oeil d'en bien saisir les délicatesses;
mais si vous vous placez dans un jour favorable, le détail
du genou et de la poitrine, de l'épaule et du visage,
n'est pas moins finement exprimé sur le granit qu'il
ne l'est sur le calcaire. Le poli à outrance n'a pas plus
gâté les statues égyptiennes qu'il n'a fait celles des
sculpteurs italiens de la Renaissance.
Au sortir des mains du sculpteur, l'oeuvre tombait
entre celles du peintre. Elle aurait été jugé imparfaite
si on lui avait laissé la teinte de la pierre dans laquelle
elle était taillée. Les statues étaient peintes des pieds à
la tête. Dans les bas-reliefs, le fond restait nu, les
figures étaient enluminées. Les Égyptiens avaient à leur
disposition plus de couleurs qu'on n'est disposé à leur
en prêter d'ordinaire. Les plus anciennes de leurs palettes--et
on en connaît qui sont de la Ve dynastie--ont
des compartiments séparés pour le jaune, le rouge,
le bleu, le brun, le blanc, le noir et le vert. D'autres, à la
XVIIIe dynastie, comptent trois variétés de jaune, trois
de brun, deux de rouge et de bleu, deux de vert, en tout quatorze ou seize tons différents. On obtenait le
noir en calcinant les os d'animaux. Les autres matières
employées à la peinture existent naturellement dans le
pays. Le blanc est du plâtre mêlé d'albumine ou de
miel, les jaunes sont de l'ocre ou du sulfure d'arsenic,
l'orpiment de nos peintres, les rouges de l'ocre, du cinabre
ou du vermillon, les bleus du lapis-lazuli ou du
sulfate de cuivre broyés. Si la substance était rare ou
coûteuse, on lui substituait des produits de l'industrie
locale. On remplaçait le lapis-lazuli par du verre coloré
en bleu au sulfate de cuivre et qu'on réduisait en poussière
impalpable. La couleur, conservée dans des sachets,
était délayée, au fur et à mesure des besoins, avec
de l'eau additionnée légèrement de gomme adragante.
On l'étalait au moyen d'un calame ou d'une brosse en
crin plus ou moins grosse. Bien préparée, elle était
d'une solidité remarquable et s'est à peine modifiée au
cours des siècles. Les rouges ont foncé, le vert s'est
terni, les bleus ont verdi ou grisé, mais ce n'est qu'à la
surface; dès qu'on enlève la couche extérieure, les dessous
apparaissent brillants et inaltérés. Jusqu'à l'époque
thébaine, on ne prit aucune précaution pour défendre
la peinture contre l'action de l'air et de la lumière.
Vers la XXe dynastie, l'usage se répandit de la recouvrir
d'un vernis transparent, soluble dans l'eau, probablement
la gomme d'une sorte d'acacia. L'emploi n'en était
point le même partout: certains peintres l'étendaient
également sur le tableau entier, d'autres se contentaient
d'en glacer les ornements et les accessoires, sans toucher
aux nus ni aux vêtements. Il s'est craquelé sous l'influence
du temps, ou a noirci au point de gâter ce qu'il aurait dû protéger. Les Égyptiens reconnurent sans
doute les mauvais effets qu'il produisait, car on ne le
rencontre plus à partir de la XXe dynastie.
De grandes teintes plates, uniformes, juxtaposées,
mais non fondues: on enluminait, on ne peignait
pas au sens où nous prenons le mot. De même qu'en
dessinant, on résumait les lignes et on supprimait
presque le modelé interne, en mettant la couleur, on
la simplifiait et on ramenait à une seule teinte, non
rompue, toutes les variétés de tons qui existent naturellement
sur un objet ou qu'y produisent les jeux
de l'ombre et de la lumière. Elle n'est jamais ni
entièrement vraie ni entièrement fausse. Elle se rapproche
de la nature autant que possible, mais sans prétendre
à l'imiter fidèlement, l'atténue tantôt, tantôt
l'exagère et substitue un idéal, une convention à la réalité
visible. L'eau est toujours d'un bleu uni ou rayé
de zigzags noirs. Les reflets fauves et bleuâtres du vautour
sont rendus par du rouge vif et du bleu franc.
Tous les hommes ont le nu brun, toutes les femmes
l'ont jaune clair. On enseignait dans les ateliers la couleur
qui convenait à chaque être ou à chaque objet, et
la recette, une fois composée, se transmettait sans changement
de génération en génération. De temps à autre
quelques peintres plus hardis que le commun se risquaient
à rompre avec la tradition. Vous trouverez des
hommes au teint jaune comme celui des femmes, à
Saqqarah sous la Ve dynastie, à Ibsamboul sous la XIXe,
et des personnages aux chairs roses, dans les tombeaux
de Thèbes et d'Abydos, vers l'époque de Thoutmos IV
et d'Harmhabi. Ces nouveautés ne duraient guère, un siècle au plus, et l'école retombait dans ses anciens
errements. N'allez pas imaginer cependant que l'ensemble
produit par ce coloris factice soit criard ou discordant.
Même dans des ouvrages de petite dimension,
manuscrits du Livre des Morts, ornements des cercueils
ou des coffrets funéraires, il a de l'agrément etde la douceur.
Les tons les plus vifs y sont juxtaposés avec une
hardiesse extrême, mais avec la pleine connaissance
des relations qui s'établissent entre eux et des phénomènes
qui résultent nécessairement de ces relations.
Ils ne se heurtent, ne s'exaspèrent, ni ne s'éteignent; ils
se font valoir naturellement et donnent naissance, par
le rapprochement, à des demi-tons qui les accordent.
Passez du petit au grand, du feuillet de papyrus ou du
panneau en bois de sycomore à la paroi des tombeaux
et des temples, l'emploi habile des teintes plates, loin
d'y blesser l'oeil, le flatte et le caresse. Chaque mur
est traité comme un tout, et l'harmonie des couleurs
s'y poursuit à travers les registres superposés: tantôt
elles sont réparties avec rythme ou symétrie, d'étage
en étage, et s'équilibrent l'une par l'autre, tantôt
l'une d'elles prédomine et détermine une tonalité générale,
à laquelle le reste est subordonné. L'intensité de
l'ensemble est toujours proportionnée à la qualité et à la
quantité de lumière que le tableau devait recevoir. Dans
les salles entièrement sombres, le coloris est poussé
aussi loin que possible; moins fort, on l'aurait à peine
aperçu à la lueur vacillante des lampes et des torches.
Aux murs d'enceinte et sur la face des pylônes, il
atteignait la même puissance qu'au fond des hypogées;
si brutal qu'on le fît, le soleil en atténuait l'éclat. Il est doux et discret dans les pièces où ne pénètre
qu'un demi-jour voilé, sous le portique des
temples et dans l'antichambre des tombeaux. La peinture
en Egypte n'était que l'humble servante de l'architecture
et de la sculpture. La comparer à la nôtre ou
même à celle des Grecs, il n'y faut point songer; mais
si on la prend pour ce qu'elle est dans le rôle secondaire
qui lui était assigné, on ne pourra s'empêcher de
lui reconnaître des mérites peu communs. Elle a excellé
au décor monumental, et si jamais on en revient
à colorer les façades de nos maisons et de nos édifices
publics, on ne perdra rien à étudier ses formules ou
à rechercher ses procédés.
3.--LES OEUVRES.
La statue la plus ancienne qu'on ait trouvée jusqu'à
ce jour est un colosse, le Sphinx de Gizèh. Il existait
déjà du temps de Khéops, et peut-être ne se trompera-t-on
pas beaucoup si l'on se hasarde à reconnaître en
lui l'oeuvre des générations antérieures à Mini, celles
que les chroniques sacerdotales appelaient les Serviteurs
d'Hor. Taillé en plein roc, au rebord extrême du plateau
libyque, il semble hausser la tête pour être le premier
à découvrir par-dessus la vallée le lever de son père le
soleil (Fig.179). Les sables l'ont tenu enterré jusqu'au
menton pendant des siècles, sans le sauver de la ruine.
Son corps effrité n'a plus du lion que la forme générale.
Les pattes et la poitrine, réparées sous les Ptolémées et
sous les Césars, ne retiennent qu'une partie du dallage
dont elles avaient été revêtues à cette époque pour dissimuler les ravages du temps. Le bas de la coiffure est
tombé, et le cou aminci semble trop faible pour soutenir
le poids de la tête. Le nez et la barbe ont été brisés
par des fanatiques, la teinte rouge qui avivait les traits
est effacée presque partout. Et pourtant l'ensemble garde
jusque dans sa détresse une expression souveraine de
force et de grandeur. Les yeux regardent au loin devant
eux, avec une intensité de pensée profonde, la bouche
sourit encore, la face entière respire le calme et la puissance.
L'art qui a conçu et taillé cette statue prodigieuse
en pleine montagne était un art complet, maître de lui-même,
sûr de ses effets. Combien de siècles ne lui avait-il
pas fallu pour arriver à ce degré de maturité et de
perfection? C'est par erreur qu'on a cru voir dans
quelques morceaux appartenant à nos musées, les
statues de Sapi et de sa femme au Louvre, les bas-reliefs
du tombeau de Khâbiousokari à Boulaq, la rudesse et
les tâtonnements d'un peuple qui s'essaye. La raideur
du geste et de la pose, la carrure exagérée des épaules, la
bande de fard vert barbouillée sous les yeux, les caractères
qu'ils offrent et qu'on donne comme des marques
d'antiquité, apparaissent sur des monuments certains
de la Ve et de la VIe dynastie. Les sculpteurs d'un
même siècle n'étant pas tous également habiles, si
beaucoup étaient capables de bien faire, la plupart
n'étaient que des manoeuvres, et l'on doit bien se garder
de prendre pour gaucherie archaïque ce qui est chez
eux maladresse ou insuffisance d'apprentissage. Les
oeuvres des dynasties primitives dorment encore ignorées
sous vingt mètres de sable au pied du Sphinx;
celles des dynasties historiques sortent chaque jour du fond des tombeaux. Elles ne nous ont pas rendu l'art
égyptien entier, mais une de ses écoles, la memphite fond des tombeaux.
Le Delta, Hermopolis, Abydos, les environs de Thèbes,
Assouân, ne commencent à se révéler que vers la
VIe dynastie; encore est-ce par un petit nombre d'hypogées
violés et dépouillés depuis longtemps. Le dommage
n'est peut-être pas très grand. Memphis était
alors la capitale, et la présence des Pharaons devait y
attirer tout ce qui avait du talent dans les principautés
vassales. Rien qu'avec le produit des fouilles pratiquées
dans ses nécropoles, nous pouvons déterminer les caractères
de la sculpture et de la peinture au temps de Snofrou et de ses successeurs, aussi exactement que si
nous avions déjà entre les mains tous les monuments
que la vallée entière tient en réserve pour ceux qui l'exploreront
après nous. Le menu peuple des artistes excellait
au maniement de la brosse et du ciseau, et les
tableaux qu'il a tracés par milliers témoignent d'une
habileté peu commune. Le relief en est léger, la couleur
sobre, la composition bien entendue. Les architectures,
les arbres, la végétation, les accidents de terrain sont
indiqués sommairement, et là seulement où ils sont nécessaires
à l'intelligence de la scène représentée. En revanche,
l'homme et les animaux sont traités avec une
abondance de détail, une vérité d'allures, et parfois une
énergie de rendu, que les écoles postérieures ont rarement
au même degré. Les six panneaux en bois du
tombeau d'Hosi, au musée de Boulaq, sont peut-être ce
que nous avons de mieux en ce genre. Mariette les attribuait
à la IIIe dynastie, et peut-être a-t-il raison de le
faire: je pencherai pourtant à en placer l'exécution sous
la Ve. La donnée du tableau n'est rien: Hosi, debout
(Fig.180) ou assis, et, au-dessus de sa tête, quatre ou cinq colonnes d'hiéroglyphes. Mais, quelle fermeté de trait,
quelle entente du modelé, quelle souplesse d'exécution!
Jamais on n'a taillé le bois d'une main plus ferme et
d'un ciseau plus délicat.
Les statues ne présentent point la variété de gestes
et d'attitudes qu'on admire dans
les tableaux. Un pleureur, une
femme qui écrase le grain du
ménage, le boulanger qui brasse
la pâte sont aussi rares en ronde
bosse qu'ils sont fréquents en
bas-reliefs. La plupart des personnages
sont tantôt debout et
marchant, la jambe en avant,
tantôt debout, mais immobiles
et les deux pieds réunis, tantôt
assis sur un siège ou sur un dé
de pierre, quelquefois agenouillés,
plus souvent accroupis le
buste droit et les jambes à plat
sur le sol, comme les fellahs
d'aujourd'hui. Cette monotonie
voulue s'expliquerait peu si l'on
ne connaissait l'usage auquel
ces images étaient destinées. Elles représentaient le
mort pour qui le tombeau avait été creusé, ses parents,
ses employés, ses esclaves, les gens de sa famille.
Le maître est toujours assis ou debout, et il ne pouvait
guère avoir d'autre position. Le tombeau en effet est la
maison où il repose de la vie, comme il faisait jadis
dans sa maison terrestre, et les scènes tracées sur les parois nous montrent les actes qu'il y accomplissait officiellement.
Ici, il assiste aux travaux préliminaires de
l'offrande qui le nourrit, la semaille et la récolte, l'élève
des bestiaux, la pêche, la chasse, les manipulations des
métiers, et surveille toutes les oeuvres qu'on accomplit
pour la demeure éternelle: il est alors debout, la tête
haute, les mains pendantes ou armées de bâtons de
commandement. Ailleurs, on lui apporte l'une après
l'autre les diverses parties de l'offrande, et alors il est
assis sur un fauteuil. Ces deux poses qu'il a dans les
tableaux, il les garde dans les statues. Debout, il est
censé
recevoir l'hommage des vassaux; assis, il prend
sa part du repas de famille. Les gens de la maison ont
comme lui l'attitude qui convient à leur rang et à leur
métier. L'épouse est debout, assise sur le même siège
ou sur un siège isolé, accroupie aux pieds de l'époux,
comme pendant la vie. Le fils a le costume de l'enfance,
si la statue a été commandée tandis qu'il était
encore enfant, le geste et l'attribut de sa charge, s'il est
à l'âge d'homme. Les esclaves broient le grain, les celleriers
poissent l'amphore, les pleureurs se lamentent
et s'arrachent les cheveux. La hiérarchie sociale suivait
l'Égyptien dans la tombe et réglait la pose après, comme
elle l'avait réglée avant la mort. Et là ne s'arrêtait
point l'influence que la conception religieuse de l'âme
exerçait sur l'art du sculpteur. Du moment que la statue
est le support du double, la première condition à
remplir pour que celui-ci puisse s'adapter aisément à
son corps de pierre, c'est qu'elle reproduise, au moins
sommairement, les proportions et les particularités du
corps de chair. La tête est donc un portrait fidèle. Le corps, au contraire, est pour ainsi dire un corps moyen,
qui montre le personnage au meilleur de son développement,
et lui permet d'exercer parmi les dieux la plénitude
de ses fonctions physiques: les hommes sont
toujours dans la force de l'âge, les femmes ont toujours
le sein ferme et les hanches minces de la jeune fille.
C'est seulement dans le cas d'une difformité par trop
forte qu'on se départait de cet idéal. On donnait à la
statue d'un nain toutes les laideurs du corps du nain,
et il fallait bien qu'il en fût ainsi. Si l'on avait mis
dans la tombe une statue régulière, le double, habitué
pendant la vie terrestre à la difformité de ses membres,
n'aurait pu s'appuyer sur ce corps redressé et n'aurait
pas été dans les conditions nécessaires pour bien vivre
désormais. L'artiste n'était libre que de varier le détail
et de disposer les accessoires à son gré; il n'aurait pu
rien changer à l'attitude et à la ressemblance générales
sans manquer à la destination de son oeuvre. La répétition
obstinée des mêmes motifs produit sur le spectateur
une véritable monotonie, et l'impression qu'il
ressent est encore augmentée par l'aspect particulier
que les tenons prennent sous la main du sculpteur.
Les statues sont appuyées pour la plupart à une sorte
de dossier rectangulaire qui monte droit derrière elles,
et, tantôt se termine carrément au niveau du cervelet,
tantôt s'achève en un pyramidion dont la pointe se
perd parmi les cheveux, tantôt s'arrondit au sommet et
paraît au-dessus de la tête du personnage. Les bras
sont rarement séparés du corps; dans bien des cas,
ils adhèrent aux côtes et à la hanche. Celle des jambes
qui porte en avant est reliée souvent au dossier, sur toute sa longueur, par une tranche de pierre. La raison
en serait, dit-on, l'imperfection des outils: le
sculpteur n'aurait pas détaché les épaisseurs de matière
superflue, de peur de briser par contre-coup le membre
qu'il modelait. L'explication a dû être valable au début;
elle ne l'était plus dès la IVe dynastie, car nous avons
plus d'un morceau, même en granit, où tous les membres
sont libres, soit qu'on les ait affranchis au ciseau,
soit qu'on les ait dégagés au violon. Si l'usage des tenons
persista jusqu'au bout, ce ne fut pas impuissance,
mais routine ou respect exagéré pour les enseignements
du passé.
La plupart des musées sont pauvres en statues de
l'école memphite. La France et l'Egypte en possèdent,
parmi beaucoup de médiocres, une vingtaine qui suffisent
à lui assurer un rang honorable dans l'histoire
de l'art, le Scribe accroupi, Skhemka, Pahournofrî, au
Louvre, le Sheikh-el-beled et sa femme, Khâfrî, Rânofir,
le Scribe agenouillé, à Boulaq. L'original du scribe
accroupi n'était point beau (Fig.181), mais son portrait
est d'une vérité et d'une vigueur qui compensent largement
ce qui manque en beauté idéale. Les jambes repliées
sous lui et posées à plat, dans une de ces
positions familières aux Orientaux, mais presque impossibles
à garder pour un Européen, le buste droit et
bien d'aplomb sur les hanches, la tête levée, la main
armée du calame et déjà en place sur la feuille de papyrus
étalée, il attend encore, à six mille ans de distance, que le
maître veuille bien reprendre la dictée interrompue. La
figure est presque carrée, les traits fortement accentués
indiquent l'homme dans la force de l'âge. La bouche, longue et garnie de lèvres minces, se relève un peu vers
les coins et disparaît presque dans la saillie des muscles
qui l'encadrent; les joues sont
plutôt osseuses et dures,
les oreilles détachées de la tête sont épaisses et lourdes,
le front bas est couronné d'une chevelure drue et coupée
ras. L'oeil, grand et bien ouvert, doit une vivacité particulière
à une fraude ingénieuse de l'artisan antique.
L'orbite de pierre qui l'enchâsse a été évidé, et le creux
rempli par un assemblage d'émail blanc et noir; une
monture en bronze accuse le rebord des paupières,
tandis qu'un petit clou d'argent, placé au fond de la
prunelle, reçoit la lumière, et, la renvoyant, simule
l'éclair d'un regard véritable.
Les chairs sont un peu molles et
pendantes, comme il convient
à un homme d'un certain âge,
que ses occupations privent
de tout exercice violent. Les
bras et le dos sont d'un bon
relief; les mains, osseuses et
sèches, ont des doigts de longueur
plus qu'ordinaire, le
genou est fouillé avec minutie.
Le corps entier est entraîné,
pour ainsi dire, par le mouvement
de la figure et sous l'influence
du même sentiment
d'attente qui domine dans la
physionomie; les muscles du
bras, du buste et de l'épaule
sont dans un demi-repos seulement, prêts à se remettre
au travail. Le souci de l'attitude professionnelle et du
geste caractéristique se retrouve avec la même évidence
sur toutes les statues que j'ai eu l'occasion d'étudier.
Khâfrî est roi (Fig.182). Il est assis carrément sur le
siège de sa dignité, les mains aux genoux, le buste ferme,
le chef haut, le regard assuré. L'inscription qui nous
apprend son nom aurait été détruite
et les marques de son rang enlevées, que nous aurions deviné le Pharaon
à sa mine: tout en lui trahit l'homme habitué dès l'enfance à se sentir investi de l'autorité souveraine.
Rânofir appartient à une des grandes familles féodales
de l'époque. Il est debout, les
bras collés au corps, la jambe
gauche portée en avant, dans la
pose du prince qui regarde ses
vassaux défiler devant lui. Le masque est hautain,
la démarche hardie; mais on n'y sent déjà plus le
calme et l'assurance surhumaine comme dans les statues
de Khâfrî. Avec le Sheikh-el-beled (Fig.183) on
descend de plusieurs degrés dans
l'échelle sociale. Râmké était surintendant des travaux, probablement un
des chefs de corvée qui bâtirent les grandes pyramides,
et appartenait à la classe moyenne. Il est tout empreint de
communs, à l'humeur acariâtre. Le Scribe agenouillé
de Boulaq (Fig.186) appartenait aux rangs les
moins élevés de la petite
bourgeoisie, telle qu'elle
existe aujourd'hui encore;
s'il n'était pas mort depuis
six mille ans, je jurerais
l'avoir dévisagé, il y a six
mois, dans une des petites
villes du Saïd. Il vient
d'apporter à l'examen de
son chef un rouleau de papyrus
ou une tablette chargée
d'écritures. Agenouillé
selon l'ordonnance, les
mains croisées, le dos arrondi,
la tête infléchie légèrement,
il attend qu'on
ait fini de lire. Pense-t-il?
Les scribes n'étaient pas
sans éprouver des
appréhensions secrètes
lorsqu'ils
comparaissaient devant
leurs supérieurs.
entier à son travail;
rien n'est plus naturel que la demi-flexion de ses jarrets et l'effort avec lequel il se penche sur le pétrin. Le nain
a la tête grosse, allongée, cantonnée de deux vastes
oreilles (Fig.188). La figure est niaise, l'oeil ouvert étroitement
et retroussé
vers les tempes, la
bouche mal fendue.
La poitrine est robuste
et bien développée,
mais le torse
n'est pas en proportion
avec le reste du
corps. L'artiste a eu
beau s'ingénier à en
voiler la partie inférieure
sous une
belle jupe blanche,
on sent qu'il est trop
long pour les bras
et pour les jambes.
Le ventre se projette
en pointe et les hanches
se retirent pour
faire contrepoids au
ventre. Les cuisses
n'existent guère qu'à
l'état rudimentaire,
et l'individu entier,
porté qu'il est sur de
petits pieds contrefaits, semble être hors d'aplomb et
prêt à tomber face contre terre. On trouverait difficilement
ailleurs une oeuvre qui reproduise plus spirituellement, sans les exagérer, les caractères propres au nain.
comparables à ce
que les siècles précédents
avaient
produit de meilleur.
Les peintures
de Siout, de Bershèh, de Béni-Hassan,
de Méïdoum,
d'Assouân, ne valent point celles des Mastabas de Saqqarah
et de Gizèh; les statues les plus soignées sont
inférieures au Sheikh-el-beled et au Scribe accroupi.
Deux pourtant ont très bonne façon, le général Râhotpou
et sa femme Nofrit. Râhotpou (Fig.189), malgré son haut
titre, était de petite extraction; solide et bien découplé,
il a quelque chose d'humble dans la physionomie.
Nofrit, au contraire (Fig.190), était princesse du
sang; je ne sais quoi d'impérieux et de résolu est
répandu sur toute sa personne, que le sculpteur a très habilement rendue. Elle est serrée dans une robe ouverte
en pointe sur la poitrine; les épaules, les seins, le
ventre, les cuisses se modèlent sous l'étoffe avec une
grâce et une chasteté qu'on ne saurait trop louer. La
figure, ronde et grassouillette, est encadrée entre des
masses de tresses fines,
retenues par un
bandeau richement
décoré. Les deux
époux sont en calcaire
et peints, le mari en
rouge brun, la femme
en jaune bistre. Les
autres statues de
contentement et de suffisance bourgeoise. On
le voit surveillant ses manoeuvres, debout et le bâton
d'acacia à la main.
Les pieds étaient pourris,
mais on lui en a
fourni de nouveaux. Le
corps est lourd et charnu,
l'encolure épaisse, la tête
(Fig.184) ne manque pas
d'énergie dans sa vulgarité,
les yeux sont rapportés
comme ceux du
Scribe accroupi. Par un
hasard singulier, il ressemblait
au Sheikh-el-beled
ou maire de Saqqarah
au moment de la
découverte. Les fellahs,
toujours prompts à saisir
le côté plaisant des choses,
l'appelèrent aussitôt
Sheikh-el-beled, et le nom
lui en est demeuré. L'image
de sa femme, qu'il
avait enterrée à côté de la
sienne, est malheureusement
très mutilée: ce
n'est plus qu'un tronc
sans bras ni jambes
(Fig.185). On ne laisse pas que d'y reconnaître un bon
type des dames égyptiennes de condition médiocre, aux traits
Le bâton
jouait un grand
rôle dans les relations
administratives: une erreur d'addition, une faute
d'orthographe, une instruction mal comprise, un
ordre exécuté gauchement, et les coups allaient leur train. Le sculpteur a saisi on ne peut mieux l'expression
d'incertitude résignée et de douceur moutonne, que
l'habitude d'une vie entière passée au service avait
donnée à son modèle. La bouche sourit, car ainsi le
veut l'étiquette, mais le sourire n'a rien de joyeux. Le
nez et les joues grimacent
à l'unisson de la
bouche. Les deux gros
yeux en émail ont le
regard fixe de l'homme
qui attend sans vouloir
arrêter sa vue et concentrer
sa pensée sur un
objet déterminé. La face
manque d'intelligence
et de vivacité; après
tout, le métier n'exigeait
pas une grande
agilité d'esprit. Khâfrî
est en diorite, Râmké
et sa femme sont en
bois, les autres en calcaire;
quelle que soit la matière employée, le jeu
du ciseau a été partout aussi libre, aussi fin, aussi
délicat. La tête de scribe et le bas-relief du Louvre
qui représente le Pharaon Menkoouhor, le nain
Khnoumhotpou et les esclaves préparant l'offrande du
musée de Boulaq ne le cèdent en rien au Scribe
accroupi ou au Sheikh-el-beled. Le boulanger brassant
la pâte (Fig.187) est tout
La sculpture du premier empire thébain se rattache
directement à celle de l'empire memphite. Procédés
matériels, dessin, composition, elle lui a tout emprunté,
sauf les proportions qu'elle donne au corps humain;
à partir de la XIe dynastie, les jambes sont plus longues
et plus grêles, les
hanches plus minces,
la taille et le
cou plus élancés.
La plupart des oeuvres
qu'elle nous a
léguées ne sont pas
particuliers
que j'ai vues,celles surtout qui proviennent
de Thèbes,
sont décidément mauvaises,
rudes de travail
et vulgaires d'expression.
Les royales,
presque toutes en granit
noir ou gris, ont été usurpées en partie par des
rois d'époque postérieure, l'Ousirtasen III, dont la
tête et les pieds sont au Louvre, par Amenhotpou III,
les sphinx du Louvre, les colosses de Boulaq par
Ramsès II, et plus d'un musée possède de prétendues
images des Pharaons Ramessides qu'un examen
attentif nous contraint de restituer à la XIIIe ou à
la XIVe dynastie. Ceux dont l'origine n'est l'objet d'aucun
doute, le Sovkhotpou III du Louvre, le Mermashaou de Tanis, le Sovkoumsaouf de Boulaq, les
colosses de l'île d'Argo sont d'un art très habile, mais
sans vigueur et sans originalité; on dirait que les
sculpteurs se sont efforcés de les ramener tous à un
même type banal et souriant. Le contraste n'en est que
plus grand lorsqu'on passe de ces poupées gigantesques
aux sphinx en granit noir, que Mariette découvrit à
Tanis, en 1861, et dont il attribua l'érection aux Hyksos.
Là, ce n'est plus l'énergie qui fait défaut. Le corps de
lion nerveux, ramassé sur lui-même, est plus court
qu'il n'est dans les sphinx ordinaires. La tête, au lieu
d'être coiffée du linge flottant, est revêtue d'une puissante
crinière qui encadre le visage. Petits yeux, nez
aquilin, écrasé par le bout, pommettes saillantes, lèvre
inférieure avancée légèrement, l'ensemble de la physionomie
est si peu en accord avec ce que nous sommes
accoutumés à rencontrer en Égypte, qu'on y a reconnu
la preuve d'une origine asiatique (Fig.191). Nos sphinx
sont certainement antérieurs à la XVIIIe dynastie, car
un des rois d'Avaris, Apopi, a gravé son nom sur leur
épaule; mais on a conclu trop vite de cette circonstance
qu'ils étaient du temps de ce prince. En les
examinant de plus près, on voit qu'ils ont été dédiés à
un Pharaon d'une des dynasties précédentes, et
qu'Apopi se les est seulement appropriés. Rien ne
prouve que ce Pharaon ait été postérieur à l'invasion
asiatique: ses monuments sont peut-être l'oeuvre d'une
école locale, dont l'origine était indépendante et dont
les traditions différaient de celles des ateliers memphites.
L'art provincial de l'Égypte nous est si peu
connu en dehors d'Abydos, d'El-Kab, d'Assouân et de deux ou trois autres sites, que je n'ose trop insister
sur cette hypothèse. Quelle que soit l'origine de l'école
tanite, elle continua d'exister longtemps encore après
l'expulsion des Pasteurs, car une de ses meilleures
oeuvres, un groupe qui représente les deux Nils, celui
du Nord et celui du Sud, apportant leurs tablettes chargées
de fleurs et de poissons, a été
consacré par Psousennés de la XXIe dynastie. Les trois premières dynasties du nouvel empire
fournissent à elles seules plus de monuments que toutes
les autres réunies: bas-reliefs peints, tableaux, statues
de rois et de particuliers, colosses, sphinx, c'est par centaines
qu'on les compte de la quatrième cataracte aux
bouches du Nil. Les vieilles cités sacerdotales, Memphis,
Thèbes, Abydos, sont naturellement les plus
riches; mais l'activité est si grande que des bourgades
perdues, Ibsamboul, Radésièh, Méshéïkh, ont leurs
chefs-d'oeuvre comme les grandes villes. Les portraits
officiels d'Amenhotpou Ier à Turin, de Thoutmos Ier et
de Thoutmos III au British Museum, à Karnak, à Turin,
à Boulaq, sont encore conçus dans l'esprit de
la XIIe et de la XIIIe dynastie et n'ont point beaucoup
d'originalité; mais les bas-reliefs des tombeaux et des
temples marquent un progrès sensible sur ceux des
siècles antérieurs. La saillie en est plus accentuée, le
modelé mieux ressenti, les personnages sont en plus
grand nombre et mieux groupés, la perspective recherchée
avec plus de soin et de curiosité; les tableaux du
temple de Déir-el-Baharî, ceux du tombeau de Houi,
de Rekhmirî, d'Anna, de Khâmhâ, de vingt autres à
Thèbes, sont d'une richesse, d'un éclat, d'une variété
inattendus. L'instinct du pittoresque s'éveille, et les
dessinateurs introduisent dans la composition les détails
d'architecture, les reliefs du sol, les plantes exotiques,
tous les détails qu'on négligeait autrefois ou
qu'on se contentait d'indiquer sommairement. Le goût
du colossal, un peu émoussé depuis le temps du grand
sphinx, renaît et se développe de nouveau. Amenhotpou
III ne se contente plus des statues de cinq ou six
mètres de haut qui suffisaient à ses ancêtres. Celles
qu'il élève devant sa chapelle funéraire, sur la rive
gauche du Nil, à Thèbes, et dont l'une est le Memnon
des Grecs, ont seize mètres; elles sont en granit, d'un seul bloc et façonnées avec autant de soin que si
elles étaient de taille ordinaire. Les avenues de sphinx
qu'il lance en avant des temples, à Louxor et à Karnak,
ne s'arrêtent pas à quelques toises de la porte, elles se
prolongent à distance; ici c'est le lion à tête humaine,
là c'est le bélier agenouillé. Son successeur, le révolutionnaire
Khouniaton,
loin d'enrayer
ce mouvement, fit
ce qu'il put pour
l'accélérer. Nulle
part, peut-être, les
sculpteurs n'eurent
plus de liberté qu'auprès
de lui, à Tell-Amarna.
Défilés de
troupes, promenades
en char, fêtes populaires,
réceptions solennelles
et distributions
de récompenses
par le souverain,
des palais, des
villas, des jardins, les sujets qu'il leur permettait
d'aborder se distinguaient par tant de points des motifs
traditionnels, qu'ils pouvaient s'abandonner sans
contrainte à leur fantaisie et à leur génie naturel. Ils
ne se privèrent point de le faire avec une verve et un
entrain qu'on ne saurait soupçonner avant d'avoir vu
leurs oeuvres à Tell-Amarna. Certains de leurs bas-reliefs
ont une perspective presque régulière; tous rendent la vie et le mouvement des masses populaires
avec une justesse irréprochable. La réaction politique
et religieuse qui suivit ce règne singulier arrêta l'évolution
et ramena
les artistes à l'observance
des régies antiques;
mais leur
influence personnelle
et leur enseignement
prolongèrent
quelque chose
de leur manière sous
Harmhabi, sous
Séti Ier, sous Ramsès
II. Si l'art égyptien
fut, pendant
plus d'un siècle encore,
doux, libre et
fin, c'est à eux qu'il
le doit. Peut-être n'a-t-il
produit rien de
plus parfait que les
bas-reliefs du temple
d'Abydos ou du tombeau
de Séti Ier: la
tête du conquérant
(Fig.192), toujours
dessinée avec amour, est une merveille de grâce émue
et discrète. Le Ramsès II combattant d'Ibsamboul est
presque aussi beau dans un autre genre que le portrait
de Séti Ier; le mouvement par lequel il lève la lance a quelque chose d'anguleux, mais le sentiment de
triomphe et de force qui anime le corps entier, l'attitude
désespérée à la fois
et résignée du vaincu rachètent
amplement ce défaut. Le groupe d'Harmhabi et du
dieu Amon (Fig.193) qu'on voit au musée de Turin
est un peu sec de facture. La figure du dieu et celle du
roi manquent d'expression,
le corps est lourd et
mal équilibré. Les beaux
colosses en granit rose,
qu'Harmhabi avait adossés
aux jambages de la
porte intérieure de son
premier pylône à Karnak,
les bas-reliefs de son spéos
à Silsilis, son portrait et
celui d'une des femmes de
sa famille que possède le
musée de Boulaq, sont
pour ainsi dire sans tache
et sans reproche. La reine (Fig.194) a une physionomie
spirituelle et animée, de grands yeux presque à fleur de
tête, une bouche large, mais bien proportionnée; elle est
taillée dans un calcaire compact, dont la teinte laiteuse
adoucit la malignité de son regard et de son sourire.
Le roi (Fig.195) est en un granit noir dont le ton lugubre
inquiète et trouble le spectateur au premier
abord. Sa face, jeune, est empreinte d'une mélancolie
assez rare chez les Pharaons de la grande époque. Le
nez est droit, mince, bien attaché au front, l'oeil long.
Les lèvres larges, charnues, un peu contractées aux commissures, se découpent à arêtes vives. Le menton
est à peine alourdi par la barbe postiche. Chaque détail
est traité avec autant
d'adresse que si le sculpteur
avait eu sous la main une
pierre tendre et non pas une
matière rebelle au ciseau;
la sûreté de l'exécution est
poussée si loin qu'on oublie
la difficulté du
travail pour ne
plus songer qu'à
la valeur de l'oeuvre.
Il est fâcheux
que les artistes
égyptiens n'aient
jamais signé leur
nom, car celui
qui a fait le portrait
d'Harmhabi
méritait d'être connu.
De
même que la XVIIIe dynastie,
la XIXe voulut avoir ses
colosses: le Ramsès II de
Louxor mesurait entre cinq
ou six mètres (Fig.196), celui
du Ramesséum seize,
celui de Tanis dix-huit environ;
ceux d'Ibsamboul,
sans atteindre à cette taille formidable, présentent à
la rivière un front de bataille imposant. C'est presque un lieu commun aujourd'hui de dire que la décadence
de l'art égyptien commença sous Ramsès II. Rien
n'est pourtant moins vrai que cette sorte d'axiome.
Sans doute, beaucoup des statues et des bas-reliefs qui
furent exécutés de
son temps sont
d'une laideur et
d'une rudesse qu'on
a peine à concevoir;
mais on les trouve
surtout dans les villes
de province, où les
écoles n'étaient pas
florissantes, et où
les artistes n'avaient
rien qui pût les guider
dans leurs travaux.
A Thèbes, à
Memphis, à Abydos,
à Tanis et dans les
localités du Delta,
où la cour résidait
habituellement, même à Ibsamboul et à Beit-el-Oualli,
les sculpteurs de Ramsès II ne le cèdent en rien à ceux
de Séti Ier et d'Harmhabi. La décadence ne commença
qu'après Mînephtah. Lorsque les guerres civiles et les
invasions étrangères mirent l'Égypte à deux doigts de
sa perte, l'art souffrit comme le reste et
baissa rapidement.
La peinture et la sculpture sur pierre faiblirent
en premier: rien n'est plus triste que de suivre les progrès
de leur décadence sous les Ramessides, dans les tableaux des tombes royales, sur les reliefs du temple
de Khonsou, sur les colonnes de la salle hypostyle à
Karnak. La sculpture sur bois se maintint quelque
temps encore; les admirables statuettes de prêtres et
d'enfants du musée de Turin datent de la XXe dynastie.
L'avènement de Sheshonq et les querelles
des nomes entre eux achevèrent
de ruiner Thèbes, et l'école qui avait
produit tant de chefs-d'oeuvre s'éteignit
misérablement.
La renaissance ne s'annonça que
trois siècles plus ***, vers la fin de la
dynastie éthiopienne. La statue trop
vantée de la reine Ameniritis (Fig.197)
présente déjà des qualités remarquables.
Les formes, un peu longues
et grêles, sont chastes et délicates; mais
la tête, surchargée de la perruque des
déesses, est morne d'apparence. Psamitik
Ier, consolidé sur le trône par
ses victoires, s'occupa activement de
relever les temples. La vallée du Nil
devint, sous sa direction, comme un
vaste atelier de sculpture et de peinture. La gravure
des hiéroglyphes atteignit une finesse admirable, les
belles statues et les bas-reliefs se multiplièrent, une
école nouvelle se forma. Elle est caractérisée par une
élégance un peu sèche, par l'entente du détail, par une
habileté merveilleuse dans la façon d'assouplir la pierre.
Les Memphites avaient préféré le calcaire, les Thébaines
le granit rose ou gris, les Saïtes s'attaquèrent de préférence au basalte, aux brèches, à la serpentine, et tirèrent
un parti merveilleux de ces matières à grain fin et à
pâte presque partout homogène. Le plaisir de triompher
de la difficulté les entraîna souvent à la rechercher, et
l'on vit des artistes de mérite passer des années et des
années à ciseler des couvercles
de sarcophage, et à découper
des statuettes dans les
blocs les plus durs. La Touéris et les quatre monuments
du tombeau de Psamitik, au
musée de
Boulaq, sont jusqu'à
présent les pièces les
plus remarquables que nous
possédions de ce genre de
travail. La Touéris (Fig.198)
avait le privilège de protéger
les femmes enceintes et de
présider aux accouchements.
Son portrait a été découvert
à Thèbes, au milieu de la
ville antique, par des fellahs
en quête d'engrais pour leurs
terres. Elle était debout dans
une petite chapelle en calcaire blanc que le prêtre Pibisi
lui avait dédiée, au nom de la reine Nitocris, fille
de Psamitik Ier. Ce charmant hippopotame, au ventre
arrondi et aux flasques mamelles de femme, est un bel
exemple de difficulté vaincue; mais je ne lui connais
point d'autre mérite. Le groupe de Psamitik a du
moins quelque valeur artistique. Il se compose de quatre pièces en basalte vert, une table d'offrandes, une
statue d'Osiris, une autre de Nephthys et une vache
Hathor, à laquelle le mort est adossé (Fig.199); le
tout un peu flou, un peu artificiel, mais la physionomie
des divinités et du mort ne manque pas de douceur, la
vache est d'un bon mouvement, le petit personnage
qu'elle abrite se groupe bien avec elle. D'autres morceaux
moins connus sont pourtant
très supérieurs à ceux-là. Le style
s'en reconnaît aisément. Ce n'est plus
le faire large et savant
de la première
école memphite, ni
la manière grandiose
et souvent rude
de la grande école
thébaine; les proportions
du corps
s'amincissent et s'élongent,
les membres
perdent en vigueur
ce qu'ils
gagnent en élégance. On remarque en même temps un
changement notable dans le choix des attitudes. Les
Orientaux ont, à se délasser, des postures qui seraient
des plus fatigantes pour nous. Ils passent des
heures entières agenouillés ou assis comme les tailleurs,
les
jambes croisées et à plat contre sol; ou bien
ils se mettent à croupetons, les genoux réunis et pliés, le
gras du mollet appliqué au revers de la cuisse, sans toucher
le sol autrement que de la plante des pieds; ou bien, ils s'assoient à terre, les jambes accolées, les
bras croisés sur les genoux. Ces quatre poses étaient
en usage, dans le peuple, dès l'ancien empire: les bas-reliefs
le prouvent suffisamment. Mais les sculpteurs
memphites avaient
écarté de la statuaire les
deux dernières, qu'ils jugeaient
disgracieuses, et
ne s'en servaient presque
jamais. A voir le scribe
accroupi du Louvre et le
scribe agenouillé, on
comprend le parti qu'ils
savaient tirer des deux
premières. La troisième
fut négligée, pour les
mêmes raisons sans
doute, par les
sculpteurs thébains.
On commença
à pratiquer
la quatrième
d'une
manière courante,
vers la
XVIIIe dynastie. Peut-être n'était-elle pas auparavant
de mode parmi les classes aisées qui, seules, étaient
assez riches pour commander des statues; peut-être
aussi, les
artistes n'aimaient-ils pas une position qui
faisait ressembler leurs modèles à des paquets cubiques
surmontés d'une tête humaine. Les sculpteurs de l'époque saïte n'eurent pas la même répugnance à en
user que leurs prédécesseurs. Du moins ont-ils combiné
l'action des membres de telle façon, qu'elle ne
choque pas trop nos yeux et cesse presque d'être disgracieuse.
Les têtes sont d'ailleurs d'une perfection
qui rachète bien des défauts.
Quelques-unes sont
évidemment idéalisées:
celle de Pedishashi
(Fig.200) a une expression
de jeunesse et de douceur
spirituelle qu'on n'est pas
habitué à rencontrer sous
le ciseau d'un Égyptien.
D'autres, au contraire,
sont d'une sincérité brutale.
Les rides du front,
la patte d'oie, les plis de
la bouche, les bosses du
crâne, sont accusés avec une complaisance scrupuleuse
sur la petite tête de scribe que le Louvre a récemment
achetée (Fig.201), et sur celle que possède le
prince Ibrahim au Caire. L'école saïte était, en effet,
partagée entre deux partis différents. L'un cherchait
ses modèles dans le passé et s'efforçait de renouveler
l'art amolli de son temps par un retour aux procédés
des plus anciennes écoles memphites: elle y réussit,
et si bien, qu'on a confondu
parfois ses oeuvres avec
les oeuvres les plus fines de la IVe et de la Ve dynastie.
L'autre, sans s'écarter trop ouvertement de la
tradition, étudiait de préférence le vif et se rapprochait de la nature plus qu'on ne l'avait fait jusqu'alors.
Peut-être l'aurait-il emporté, si la
conquête macédonienne et le contact
prolongé des Grecs n'avaient
détourné l'art égyptien vers des
voies nouvelles. Le mouvement
fut lent d'abord à se produire.
Les sculpteurs habillèrent les successeurs
d'Alexandre à l'égyptienne
et les transformèrent en
Pharaons, comme ils avaient fait
avant eux les Hyksos et les Perses.
Les pièces qu'on peut attribuer
au règne des premiers Ptolémées
ne diffèrent presque pas de celles
de la bonne époque saïte, et c'est
à peine si on remarque ça et là
des traces d'influence grecque:
ainsi le colosse d'Alexandre II, à
Boulaq (Fig.202), est coiffé d'une
étoffe flottante d'où s'échappent
des boucles frisées. Bientôt pourtant,
la vue des chefs-d'oeuvre de
la Grèce détermina les Égyptiens
d'Alexandrie, de Memphis
et des grandes villes du Delta à
modifier leur manière de procéder.
Une école mixte s'établit,
qui combina certains éléments
de l'art indigène avec d'autres éléments
empruntés à l'art hellénique. L'Isis alexandrine du musée de Boulaq a encore le costume de
l'Isis pharaonique: elle n'en a plus la sveltesse et le
maintien guindé. Une effigie
mutilée d'un prince
de Siout, qui est également
à Boulaq, pourrait
presque passer pour une
mauvaise statue grecque.
Un certain Hor, dont le
portrait a été découvert
en 1881, au pied du Komed-damas,
non loin de
l'emplacement du tombeau
d'Alexandre, nous a
laissé l'oeuvre la plus forte
qu'on ait de ce genre hybride
(Fig.203). La tête
est un bon morceau, d'un
travail un peu sec. Le nez
mince et long, les yeux
rapprochés, la bouche petite
et pincée aux coins, le
menton carré, tous les
traits concourent à prêter
à la figure un caractère de
dureté et d'obstination. La
chevelure est coupée ras,
pas assez cependant pour
qu'elle ne se sépare naturellement en petites mèches
épaisses. Le corps, revêtu de la chlamyde, est assez
gauchement taillé et trop étroit pour la tête. L'un des bras pend, l'autre est ramené sur le ventre; les pieds
manquent. Tous ces monuments sont sortis des fouilles
récentes. Je ne doute pas que le sol d'Alexandrie ne
nous en rendît beaucoup de pareils, si on pouvait
l'explorer méthodiquement. L'école qui les produisit
se rapprocha de plus en plus du
style des écoles grecques, et la
raideur, dont elle ne se dépouilla
jamais entièrement, ne lui fut
pas sans doute comptée comme un
défaut, à une époque où certains
sculpteurs au service de Rome se
piquaient d'archaïsme. Je ne serais
pas étonné si l'on venait à
lui attribuer les statues de prêtres
et de prêtresses revêtues d'insignes
divins, dont Hadrien décora
les parties égyptiennes de sa
villa de Tibur. Hors du Delta,
les écoles indigènes, livrées à
leurs propres ressources, languirent
et dépérirent peu à peu.
Ce n'est pas que les modèles, ni
même les artistes grecs, fissent
entièrement défaut. J'ai découvert
ou acheté dans la Thébaïde, au Fayoum, à Syène,
des statuettes et des statues de style hellénique, d'un
travail correct et soigné. Une d'elles, qui provient de
Coptos, parait être une réplique en petit, d'une Vénus,
analogue à la Vénus de Milo. Mais les sculpteurs du
pays, trop inintelligents ou trop ignorants, ne surent pas tirer de ces modèles le parti que les Alexandrins
avaient tiré des leurs. Quand ils voulurent prêter à leurs
figures la souplesse
et la plénitude des formes grecques,
ils ne réussirent qu'à leur faire perdre la précision
sèche, mais savante que leurs maîtres avaient acquise. Au lieu du relief fin, délicat, peu élevé, ils adoptèrent un
relief très saillant au-dessus du fond, mais d'une rondeur
molle et d'un modelé sans vigueur. Les yeux
sourient niaisement, l'aile du nez se relève; la commissure
des lèvres, le menton, tous les traits du visage
sont tirés et semblent vouloir converger vers un même
point central, qui est placé au milieu de l'oreille. Deux
écoles, indépendantes l'une de l'autre, nous ont légué
leurs oeuvres. La moins connue florissait en Ethiopie,
à la cour des rois à demi civilisés qui résidaient à
Méroé. Un groupe, venu de Naga en 1882 et conservé
à Boulaq, nous montre où elle en était arrivée au
1er siècle de notre ère (Fig.204). Un dieu et une reine,
debout côte à côte, sont ébauchés tant bien que mal
dans un bloc de granit gris. L'oeuvre est fruste, lourde,
mais ne manque pas de fierté et d'énergie. L'école qui
l'avait produite, isolée et comme perdue au milieu de
peuplades sauvages, tomba rapidement dans la barbarie
et succomba probablement vers la fin du siècle
des Antonins. L'Égyptienne se soutint quelque temps
encore à l'abri de la domination romaine. Les Césars,
non moins avisés que les Ptolémées, savaient qu'en
flattant les sentiments religieux de leurs sujets égyptiens,
ils assuraient leur domination sur la vallée du
Nil. Ils firent restaurer ou rebâtir à grands frais les
temples des dieux nationaux, sur les plans et dans l'esprit d'autrefois. Thèbes avait été détruite par le tremblement
de terre de l'an 22 avant J.-C. et n'était
plus pour eux qu'un lieu de pèlerinage où les dévots
venaient écouter la voix de Memnon, au lever de l'aurore.
Mais Tibère et Claude achevèrent la décoration
de Dendérah et d'Ombos, Caligula travailla à Coptos,
les Antonins à Philae et à Esnéh. Les escouades de
manoeuvres qu'on employait en leur nom en savaient
encore assez pour tracer des milliers de
bas-reliefs
selon les règles d'autrefois. Ce qu'ils faisaient est
mou, disgracieux, ridicule; la routine seule guidait
leur ciseau: c'était la tradition antique, affaiblie et
dégénérée si l'on veut, mais vivante encore et capable
de ce renouvellement. Les troubles qui éclatèrent au
milieu du IIIe siècle, les incursions des Barbares, les
progrès et le triomphe du christianisme amenèrent la
suspension des derniers travaux et la dispersion des
derniers ouvriers: ce qui restait de l'art national mourut avec eux.
CHAPITRE V
LES ARTS INDUSTRIELS
J'ai dit brièvement ce que furent les arts nobles; il
me reste à parler des arts industriels. Le goût du beau
et l'amour du luxe avaient pénétré de bonne heure toutes
les classes de la société. Vivant ou mort, l'Égyptien
aimait avoir autour de lui et sur lui des bijoux et des
amulettes de prix, des meubles soignés, des ustensiles
élégants. Il voulait que tous les objets à son usage
eussent, sinon la richesse de la matière, au moins la
pureté de la forme, et la terre, la pierre, les métaux, le
bois, les produits des pays ou des contrées lointaines,
furent mis à contribution pour contenter ses exigences.
1.--LA PIERRE, LA TERRE ET LE VERRE.
On ne saurait parcourir une galerie égyptienne sans
être surpris du nombre prodigieux de menues figures
en pierre fine qui sont parvenues jusqu'à nous. On
n'y voit pas encore le diamant, le rubis ni le saphir;
mais, à cela près, le domaine du lapidaire était aussi
étendu qu'il l'est aujourd'hui et comprenait l'améthyste, l'émeraude, le grenat, l'aigue-marine, le cristal de roche, la prase, les mille
variétés de l'agate et du jaspe, le lapis-lazuli,
le feldspath, l'obsidienne, des roches comme le
granit, la serpentine, le porphyre, des fossiles comme
l'ambre jaune et certaines espèces de turquoises, des
résidus de sécrétions animales comme le corail, la
nacre, la perle, des oxydes métalliques comme
l'hématite, la turquoise orientale et la malachite.
Le plus grand nombre de ces substances
étaient taillées en perles rondes, carrées,
ovales, allongées en fuseau, en poire, en losange.
Enfilées et disposées sur plusieurs
rangs, on en fabriquait des colliers, et c'est par myriades qu'on les ramasse dans le sable des nécropoles,
à Memphis, à Erment, près d'Akhmîm et
d'Abydos. La perfection avec laquelle beaucoup d'entre
elles sont calibrées, la netteté de la perce, la beauté
du poli, font honneur aux ouvriers;
mais là ne s'arrêtait pas leur science. Sans
autre instrument que la pointe, ils les
façonnaient en mille formes diverses,
coeurs, doigts humains, serpents, animaux,
images de divinités. C'étaient autant
d'amulettes, et on les estimait moins peut-être
pour l'agrément du travail que pour les vertus surnaturelles qu'on leur attribuait. La boucle de ceinture en
cornaline était le sang d'Isis et lavait les péchés de son
maître (Fig.205). La grenouille rappelait l'idée de la
renaissance (Fig.206); la colonnette en feldspath vert
(fig.207), celle du rajeunissement divin. L'oeil mystique,
l'ouza (Fig.208), lié au poignet ou au bras par
une cordelette, protégeait contre le mauvais oeil, contre les paroles d'envie ou de colère, contre la morsure
des serpents. Le commerce répandait ces objets dans
les régions du monde antique, et plusieurs d'entre eux,
ceux surtout qui représentaient le scarabée sacré, furent
imités au dehors par les Phéniciens, par les Syriens, en
Grèce, en Asie Mineure, en Etrurie, en Sardaigne. L'insecte
s'appelait en égyptien khopirrou, et son nom dérivait,
croyait-on, de la racine khopiri, devenir. On fit de
lui, par un jeu de mots facile à comprendre, l'emblème de
l'existence terrestre et des devenirs successifs
de l'homme dans l'autre monde. L'amulette
en forme de scarabée (Fig.209) est donc un
symbole de durée présente ou future; le garder
sur soi était une garantie contre la mort.
Mille significations mystiques découlèrent de
ce premier sens. Chacune d'elles fut rattachée subtilement à l'un des actes ou des usages de
la vie journalière, et les scarabées se multiplièrent à
l'infini. Il y en a de toute matière et de toute grandeur,
à tête d'épervier, de bélier, d'homme, de taureau,
les uns fouillés aussi curieusement sur le ventre que
sur le dos, les autres plats et unis par-dessous, d'autres
enfin qui retiennent à peine le vague contour de l'insecte
et qu'on appelle scarabéoïdes. Ils sont percés, dans
le sens de la longueur, d'un trou par lequel on passait
une mince tige de bois, un fil de bronze ou d'argent,
une cordelette pour les suspendre. Les plus gros
étaient comme l'image du coeur. On les collait sur la
poitrine des momies, ailes déployées, et une prière,
tracée sur le plat, adjurait le coeur de ne point porter
témoignage contre le mort au jour du jugement. Pour plus d'efficacité, on joignait à la formule quelques
scènes d'adoration: le disque de la lune acclamé par
deux cynocéphales sur le corselet, deux Ammon accroupis
sur les élytres, sur le plat la barque solaire, et,
sous la barque, Osiris-momie, accroupi entre Isis et
Nephthys qui l'enveloppent de leurs
ailes. Les petits scarabées, après avoir
servi de phylactère, finirent par
n'être plus que des bijoux sans valeur
religieuse, comme les croix que nos
femmes portent au cou en complément
de leur toilette. On en faisait des chatons de
bague, les pendeloques d'un collier ou d'une boucle
d'oreille, les perles d'un bracelet. Le plat est souvent
nu, plus souvent orné de dessins creusés dans la masse,
sans modelé d'aucune sorte; le relief
proprement dit, celui du camée, était
inconnu des lapidaires égyptiens avant
l'époque grecque. Les sujets n'ont pas
été encore classés, ni même recueillis
entièrement. Ce sont de simples combinaisons
de lignes, des enroulements, des entrelacs sans signification précise, des symboles auxquels le
propriétaire attachait un sens mystérieux, et que personne,
sauf lui, ne pouvait comprendre, le nom et les
titres d'un individu, des cartouches royaux ayant un
intérêt historique, des souhaits de bonheur, des éjaculations
pieuses, des conjurations magiques. Plusieurs
scarabées d'obsidienne et de cristal remontent
à la VIe dynastie. D'autres, assez grossiers et sans écriture,
sont en améthyste, en émeraude et même en grenat; ils appartiennent aux commencements du premier
empire thébain. A partir de la XVIIIe dynastie,
on les compte par milliers, et le travail en est d'un fini
proportionné au plus ou moins de dureté de la pierre.
C'est, du reste, le cas pour toutes les sortes d'amulettes.
Les têtes d'hippopotame, les âmes à visage humain, les
coeurs qu'on ramasse à Taoud, au sud de Thèbes, sont
à peine ébauchés; l'améthyste et le
feldspath vert d'où
on les dégageait présentaient à la pointe une résistance,
presque invincible. Au contraire, les boucles de ceinture,
les équerres, les chevets en jaspe rouge, en cornaline
et en hématite, sont ciselés jusque dans les moindres
détails; les pierres étaient de celles qu'un instrument
médiocre attaque sans difficulté. Le lapis-lazuli est
tendre, cassant; il tient mal ses arêtes et semble ne se
plier à aucune finesse. Les Égyptiens y ont façonné
pourtant des portraits de déesses, des Isis, des Nephthys,
des Nit, des Sokhit, qui sont de véritables merveilles
de délicatesse. Les reliefs du corps y sont poussés avec
autant d'assurance que s'ils étaient ménagés dans une
matière moins capricieuse, et les traits du visage, ne
perdent rien à être étudiés à la loupe. La plupart du
temps on a procédé d'une autre méthode. Au lieu de détailler
le relief, on l'a abrégé autant que possible, et on l'a procuré par larges plans contrariés, sacrifiant le rendu
de chaque partie à l'effet de l'ensemble. Les saillants et
les creux du visage sont accentués fortement. L'épaisseur
du cou, la coupe de la gorge et de l'épaule, l'étroitesse
de la taille, l'évasement des hanches, la rondeur du
ventre sont exagérés. Une arête presque tranchante dessine
la ligne de la cuisse et du tibia. Les pieds et les mains sont légèrement agrandis. Tout cela est le produit
d'un calcul à la fois hardi et judicieux. Une
réduction mathématiquement exacte du modèle n'est
pas aussi heureuse qu'on pourrait croire, lorsqu'il
s'agit de sculpter en miniature. La tête perd son caractère,
le cou paraît trop faible, le buste n'est plus
qu'un cylindre inégalement bosselé, les extrémités ne
semblent plus assez solides pour soutenir le poids
du corps, les lignes principales ne se démêlent plus
du chaos des secondaires. En supprimant le plus des
formes accessoires, et en développant celles qui contribuent
à l'expression, les Égyptiens ont échappé au
danger de ne faire que des figurines insignifiantes.
L'oeil rabat de lui-même ce qu'il y a de trop dans ce
qu'il voit et suppose le reste. Grâce à cette tricherie habile,
telle statuette de divinité, qui mesure à peine trois
centimètres, a presque l'ampleur et la gravité d'un
colosse.
Le mobilier des dieux et celui des morts étaient
pour une bonne part en pierre solide et durable. J'ai signalé
ailleurs les petits obélisques funéraires qui proviennent
des tombes de l'ancien empire, les bases
d'autel, les stèles, les tables d'offrandes. La mode était
de fabriquer les tables en albâtre ou en calcaire au
temps des pyramides, en granit ou en grès rouge sous
les rois thébains, en basalte ou en serpentine, à partir
de la XXVIe dynastie; mais la mode n'avait rien d'obligatoire,
et l'on en trouve de toute pierre à toutes les
époques. Quelques-unes ne sont que des disques plats
ou creusés légèrement en cuvette. D'autres sont rectangulaires
et étalent, à la partie supérieure, des pains, des vases, des quartiers de boeuf et de gazelle, des fruits
sculptés en relief. Dans celle de Sitou, la libation, au
lieu de s'écouler au dehors, était recueillie dans un
bassin carré, divisé en étages pour montrer la hauteur
de l'eau du Nil dans les réservoirs de Memphis, aux
différentes saisons, vingt-cinq coudées en été pendant
l'inondation, vingt-trois en automne et au commencement
de l'hiver, vingt-deux à la fin de l'hiver et au printemps.
Ces formes diverses prêtent peu au beau; une
des tables de Saqqarah est pourtant une oeuvre véritable
d'art. Elle est en albâtre. Deux lions debout, accotés,
soutiennent une tablette rectangulaire, inclinée en
pente douce; une rigole conduit la libation dans un
vase placé entre la queue des deux bêtes. Les oies en
albâtre de Lisht ne manquent pas non plus de mérite;
elles sont coupées en long par le milieu et dûment évidées
en manière de boîte. Celles que j'ai vues ailleurs,
et en général toutes les figures d'offrandes, pains, gâteaux,
têtes de boeuf ou de gazelle, grappes de raisin
noir en calcaire peint, sont d'un goût douteux et d'une
main maladroite. Elles ne sont pas d'ailleurs très fréquentes,
et je n'en ai guère rencontré en dehors des
tombes de la Ve et de la XIIe dynastie. Les canopes,
au contraire, étaient toujours d'un travail très soigné.
On n'employait que deux sortes de pierre à les fabriquer,
le calcaire et l'albâtre; mais les têtes qui les surmontent
étaient souvent en bois peint. Les canopes de
Pepi Ier sont en albâtre; en albâtre aussi les têtes humaines
des canopes qui appartenaient au roi enterré
dans la pyramide méridionale de Lisht. L'une d'elles
est même d'une finesse d'exécution qu'on ne saurait comparer
qu'à celle de la statue de Khâfrî. Les statuettes
funéraires les plus vieilles que nous ayons jusqu'à présent,
celles de la XIe dynastie, sont
en albâtre, comme les canopes; mais,
à partir de la XIIIe, on en taillait en
calcaire fin. Le travail en est de valeur
très inégale. Quelques-unes sont de
véritables chefs-d'oeuvre et nous rendent
la physionomie du mort aussi
fidèlement qu'une statue pourrait le
faire. Les vases à parfums complétaient le mobilier
des temples et des tombes. La nomenclature
est loin d'en être fixée, et la plupart des termes
spéciaux, que les textes nous fournissent,
restent encore sans équivalent pour nous.
Le grand nombre était en albâtre, tourné et
poli: les uns, disgracieux et lourds (Fig.210);
les autres d'une élégance et d'une diversité
de galbe, qui fait honneur à l'esprit inventif
des ouvriers. Ils sont fuselés et pointus par
en bas (Fig.211), ou arrondis de la panse, étroits à la
gorge, plats à la base (Fig.212). Ils n'ont
point d'ornements, si ce n'est parfois deux
boutons de lotus, en guise d'anse, deux
mufles de lion, une petite tête de femme,
qui fait saillie à la naissance du goulot
(Fig.213). Les plus petits n'étaient pas destinés
à contenir des liquides, mais des
pommades, des onguents médicinaux, des pâtes miellées.
Une des séries les plus importantes comprend des
flacons au ventre rebondi, garnis au cou d'un léger rebord cylindrique et d'un couvercle plat (Fig.214). Les
Egyptiens y mettaient la poudre d'antimoine avec laquelle
ils se noircissaient les sourcils et les yeux. Cet
étui à kohol était un des objets de toilette le plus répandu, le seul peut-être dont l'usage fût commun à
toutes les classes de la société. La fantaisie
s'en mêlant, on lui donna toute sorte de
formes empruntées à l'homme, aux plantes,
aux animaux. C'est un lotus ouvert, un
hérisson, un épervier, un singe serrant
une colonne contre sa poitrine ou grimpant
le long d'une jarre, une figure grotesque
du dieu Bîsou, une femme agenouillée
dont le corps évidé contenait la
poudre, une jeune fille qui porte une
amphore. L'imagination des artistes une
fois lancée dans cette voie ne connut plus de limites,
et tout leur fut bon, le granit, le diorite, la brèche et
le jade rosé, l'albâtre, puis le calcaire
tendre, dont le grain se prêtait mieux
à rendre leurs caprices, puis une
substance plus complaisante et plus souple
encore, la terre peinte et émaillée. Si l'art de modeler et de cuire la terre ne s'est pas
développé aussi pleinement en Égypte qu'il a fait en
Grèce, ce n'est pas faute de matière première. La vallée
du Nil fournit en abondance une argile fine et ductile,
dont on aurait pu tirer le plus heureux parti si on
s'était donné la peine de la préparer avec soin; mais
on lui préféra toujours les métaux et la pierre dure
pour les objets de luxe, et le potier se contenta de fournir aux besoins les plus communs du ménage ou
de la vie courante. La terre était prise sans choix, à
l'endroit même où l'ouvrier se trouvait pour le moment,
mal lavée, mal pétrie, puis façonnée au doigt, sur un
tour en bois des plus primitifs, qu'on manoeuvrait
avec la main.
La cuisson était fort inégale. Certaines
pièces ont été à peine exposées à la flamme et fondent
au contact de l'eau; d'autres ont la dureté de la tuile.
Les tombes de l'ancien empire renferment chacune
quelques vases d'une pâte jaune ou rouge, mêlée souvent,
comme celle des briques, de paille ou d'herbe
finement hachée. Ce sont des jarres de forte taille, sans
pied, ni anse, à la panse
ovoïde, au col bas, à l'orifice
largement ouvert et bordé d'un bourrelet, des marmites
et des pots de ménage où l'on emmagasinait les provisions
du mort, des coupes plus ou moins profondes, des assiettes à fond plat, semblables à celles que les
fellahs emploient aujourd'hui encore, parfois même
des services de table ou de cuisine en miniature, destinés
à remplacer les services de grandeur naturelle,
trop coûteux pour les pauvres gens. La surface est
rarement vernie, rarement polie et lustrée, le plus souvent
recouverte d'une couche uniforme de peinture
blanchâtre, qui n'a point reçu le coup de feu et se détache
au moindre choc. Aucun dessin à la pointe, aucun
ornement en creux ou en relief, aucune inscription,
mais, autour du col, les traces de quatre ou cinq filets
parallèles noirs, rouges ou jaunes. Les poteries des
premières dynasties thébaines que j'ai recueillies à
El-Khozam et à Gébéléïn sont plus soignées d'exécution
que celles des dynasties memphites. Elles se répartissent en deux classes. La première comprend des vases à
panse lisse et nue, noire par en bas, rouge sombre par
en haut. L'examen des cassures montre que la couleur
était mêlée à la pâte pendant le brassage: les deux zones,
préparées séparément, étaient soudées ensuite de façon
assez irrégulière, puis glacées uniformément. La seconde
classe contient des vases de formes très variées,
souvent bizarres, d'une terre rouge
ou jaune terne, grands cylindres fermés
par un bout, plats, oblongs,
rappelant la coupe d'un bateau,
burettes conjuguées, deux à deux,
mais ne communiquant pas ensemble
(Fig.215). L'ornementation est répandue sur toute la
surface et consiste d'ordinaire en raies droites, tirées
parallèlement l'une à l'autre ou entre-croisées, en lignes
ondées, en rangées de points ou de petites croix combinées
avec les lignes, le tout en blanc quand le fond
est rouge, en rouge brun quand il est jaune ou blanchâtre.
De temps en temps, des figures d'hommes ou
d'animaux s'intercalent au milieu des combinaisons
géométriques. Le dessin en est rude, presque enfantin,
et c'est à peine si l'on y reconnaît des troupeaux d'antilopes
ou des scènes de chasse à la gazelle. Les manoeuvres
qui produisaient ces esquisses grossières étaient
pourtant contemporains des artistes qui décoraient les
grottes de Béni-Hassan. Pour la période des grandes
conquêtes, les tombeaux thébains nous ont fourni de
pleins musées de poteries, malheureusement assez peu
intéressantes. D'abord des figurines funéraires, rapidement
modelées à la main dans des galettes d'argile allongées. Un peu de terre pincé entre les doigts, et le
nez sort de la masse; deux pastilles et deux moignons
ajoutés après coup représentent les yeux et les bras. Les
plus soignées ont été façonnées dans des moules en terre
cuite dont nous possédons de nombreux spécimens.
Elles étaient généralement coulées d'une seule pièce,
puis retouchées légèrement, cuites, peintes, au sortir du
four, en rouge, en jaune et en blanc, chargées enfin
d'hiéroglyphes à la pointe ou au pinceau. Plusieurs
sont d'un style très fin et égalent presque les figurines
en calcaire: celles du scribe Hori, conservées au
musée de Boulaq, ont environ quarante centimètres de
haut et montrent ce que les Égyptiens auraient pu
faire en ce genre s'ils avaient voulu s'y adonner. Les
cônes funéraires étaient des objets de pure dévotion,
que l'art le plus consommé n'aurait pas réussi à rendre
élégants. Figurez-vous une masse de terre conique,
étirée de long, timbrée à la base d'un cachet sur lequel
étaient imprimés le nom, la filiation, les titres du possesseur,
et enduite jusqu'à la pointe d'une couche de couleur
blanchâtre: c'étaient des simulacres de pains
d'offrandes, destinés à nourrir le mort éternellement.
Beaucoup des vases qu'on déposait dans la tombe sont
peints en imitation d'albâtre, de granit, de basalte, de
bronze ou même d'or, et sont la contrefaçon à bon
marché des vases en matières précieuses que les riches
donnaient aux momies. Parmi ceux qui ont servi à
contenir de l'eau et des fleurs, quelques-uns sont revêtus
de dessins au trait rouge et noir (Fig.216), cercles
et rubans concentriques (Fig.217), méandres, emblèmes
religieux (Fig.218), lignes croisées simulant des filets à mailles étroites, cordons de fleurs ou de boutons,
tiges chargées de feuilles qui descendent du goulot sur
la panse ou remontent de la panse au goulot: ceux
du tombeau de Sennotmou avaient, sur
l'une des faces, un large collier, analogue
au collier des momies, et peint des plus
vives couleurs pour imiter les fleurs naturelles
ou les émaux.
Les canopes en terre
cuite, rares à la XVIIe dynastie, deviennent
de plus en plus fréquents à mesure
que Thèbes s'appauvrit. Les têtes qui les recouvrent
sont ordinairement jolies de coupe et d'expression,
surtout la tête humaine. Modelées à la
main, évidées pour diminuer le poids, puis
cuites longuement, on les revêtait chacune des
couleurs particulières au génie qu'elles représentaient.
Vers la XXe dynastie, l'usage s'établit d'y enfermer
le corps des animaux sacrés. Ceux
qu'on trouve près d'Akhmîm contenaient des
chacals et des éperviers; ceux de Saqqarah,
des serpents, des rats embaumés, des oeufs;
ceux d'Abydos, des ibis. Les derniers sont
de beaucoup les plus beaux. La déesse protectrice
Khouit étend ses ailes sur la panse,
tandis qu'Hor et Thot présentent la bandelette
et le vase à onguent: le tout est en bleu
et rouge sur fond blanc. A partir de l'époque grecque,
la pauvreté augmentant toujours, la fabrication s'étendit
des canopes aux cercueils. L'isthme de Suez, Ahnas-el-Médinéh,
le Fayoum, Assouân, la Nubie, possèdent des nécropoles
entières ou l'on ne rencontre que des sarcophages en terre cuite. Plusieurs ont l'apparence
des caisses oblongues, arrondies aux deux
bouts, au couvercle en dos d'âne. Celles qui ont encore
la forme humaine sont de style barbare. La tête est surmontée
d'une sorte de boudin qui simule l'ancienne
coiffure égyptienne, les traits du visage sont indiqués
en deux ou trois coups de pouce ou d'ébauchoir: deux
petites pelotes, appliquées gauchement sur la poitrine,
marquent un cercueil de femme. Même en ces derniers
temps de la
civilisation égyptienne,
les pièces
les plus grossières
sont les seules qui
gardent la teinte
naturelle de la terre. Là, comme ailleurs, on la cachait
presque toujours sous une couche de couleur ou
d'émail richement coloré.
Le verre a été connu en Égypte de toute antiquité.
La fabrication en est représentée dans quelques tombeaux,
plusieurs milliers d'années avant notre ère
(Fig.219). L'ouvrier, assis devant le foyer, recueillait
au bout de sa canne une petite quantité de matière
en fusion, et la soufflait prudemment, en ayant soin de
la maintenir à la flamme pour l'empêcher de durcir
pendant l'opération. L'analyse chimique montre que le
verre égyptien avait à peu près la même composition
que le nôtre; mais il renferme, outre la silice, la chaux,
l'alumine, la soude, des quantités relativement considérables
de substances étrangères, cuivre, oxyde de fer
et de manganèse, dont on ne savait pas le débarrasser. Aussi n'est-il presque jamais d'une teinte très pure; il
a une nuance incertaine qui tire sur le jaune ou sur
le vert. Certaines pièces, de mauvaise fabrication, se
sont décomposées dans toute leur épaisseur, et tombent,
à la moindre pression, en lamelles ou en poussière irisée.
D'autres n'ont pas trop souffert du temps ou de
l'humidité, mais elles sont striées et pleines de bulles.
D'autres enfin, mais peu, sont d'une homogénéité et
d'une limpidité parfaites. La vogue ne s'attachait pas,
comme chez nous, aux verres incolores; elle était aux
verres de couleur, opaques ou transparents. On les
teignait en mêlant des oxydes métalliques aux ingrédients
ordinaires, du cuivre et du cobalt pour les
bleus, du cuivre pour les verts, du manganèse pour les
violets et pour les bruns, du fer pour les jaunes, du
plomb ou de l'étain pour les blancs. Une variété de
rouge haricot renferme trente pour cent de bronze et
s'enveloppe d'une couche de vert-de-gris sous l'influence
de l'humidité. Toute cette chimie était empirique et de
pur instinct. Les ouvriers trouvaient autour d'eux les
éléments nécessaires, ou les recevaient du dehors, et
s'en servaient tels quels, sans être toujours assurés
d'obtenir l'effet qu'ils recherchaient: beaucoup de leurs
combinaisons les plus harmonieuses étaient dues au
hasard, et ils ne pouvaient pas les reproduire à volonté.
Les masses qu'ils obtenaient de la sorte atteignaient
parfois des dimensions considérables: les auteurs
classiques nous parlent de stèles, de cercueils, de
colonnes d'une seule pièce. A l'ordinaire, on n'employait
le verre qu'à la fabrication des petits objets,
surtout à la contrefaçon des pierres fines. Si peu coûteuses qu'elles fussent sur les marchés de l'Égypte,
elles n'étaient pas accessibles à tout le monde. Les
verriers imitèrent l'émeraude, le jaspe, le lapis-lazuli,
la cornaline, et cela avec une telle perfection que
nous sommes souvent embarrassés aujourd'hui pour
distinguer les pierres vraies des fausses. On les coulait
dans des moules en pierre ou en calcaire à la
forme qu'on voulait, perles, disques, anneaux, pendeloques
de colliers, rubans et baguettes étroites, plaques
chargées d'hommes ou d'animaux, images de dieux et
de déesses. On en faisait des yeux et des sourcils pour
le visage des statues en pierre ou en bronze, des bracelets
pour leurs poignets, on les sertissait dans le
creux des hiéroglyphes, on les découpait en hiéroglyphes,
on en composait des inscriptions entières
qu'on encadrait dans le bois, dans la pierre ou dans le
métal. Les deux caisses où reposait la momie de Notemit,
mère du pharaon Hrihor-Siamon, sont décorées
de cette manière. Une feuille d'or les recouvre en
entier, à l'exception de la coiffure et de quelques détails:
les textes et les parties principales de l'ornementation
sont formés d'émaux, dont les teintes vives
se détachent sur le ton mat de l'or. Les momies du
Fayoum étaient enduites de plâtre ou de stuc, où l'on
incrustait les scènes et les légendes qu'on se contentait
de peindre partout ailleurs. Les plus grandes étaient
composées de plusieurs morceaux de verre, rapportés
et retouchés au ciseau à l'imitation d'un bas-relief.
Ainsi, la déesse Mâït a les nus, la face, les mains, les
pieds, en bleu turquoise, la coiffure en bleu très
sombre, la plume en filets alternativement bleus et
jaunes, la robe en rouge haricot. Sur le naos en bols,
récemment découvert dans le voisinage de Daphné, et
sur un fragment de cercueil du musée de Turin, les
hiéroglyphes en verre multicolore ressortent directement
sur le fond sombre du bois. Le tout forme un ensemble
d'un éclat et d'une richesse à peine concevables.
Verres filigranés, verres gravés et taillés, verres soudés,
verres simulant le bois, la paille, la corde, les Égyptiens
n'ont rien ignoré. J'ai eu entre les mains une règle
carrée, formée de baguettes multicolores agglutinées,
et dont la tranche laissait lire le cartouche d'un des
Amenemhât: le motif se prolongeait dans la masse, et,
à quelque endroit de la hauteur qu'on le coupât, le
cartouche reparaissait. Les verres à miniatures remplissent
presque à eux seuls une vitrine entière du musée
de Boulaq. Ici, c'est un singe à quatre pattes, qui flaire
un gros fruit posé à terre. Là, un portrait de femme,
dessiné de face, sur fond blanc ou vert d'eau encadré de
rouge. La plupart des plaques ne représentent que des
rosaces, des étoiles, des fleurs isolées ou mariées en
bouquet. Une des plus petites porte un boeuf Apis, à la
robe blanche et noire, debout, marchant: le travail en
est si délicat qu'il ne perd rien à être examiné à la
loupe. La plupart des objets de ce genre ne sont pas
antérieurs à la première dynastie saïte; mais les fouilles
exécutées à Thèbes ont prouvé que, dès le Xe siècle
avant
notre ère, le goût et, par suite, la fabrication des
verres multicolores étaient chose commune en Égypte.
On a recueilli, à Gournét-Murraï et à Shéikh-Abd-el-Gournah,
non seulement les amulettes à l'usage des
morts, colonnettes, coeurs, yeux mystiques, hippopotames debout sur leurs pattes de derrière, canards
accouplés, en pâtes bleues, rouges, jaunes,
mélangées, mais des vases du type de ceux
qu'on est accoutumé à considérer comme
étant de travail phénicien et cypriote.
Voici, par exemple, une petite oenochoé en
verre bleu clair semi-opaque (Fig.220):
l'inscription au nom de Thoutmos III, les
oves du goulot et les palmes de la panse
sont tracés en jaune. Voici encore une ampoule
lenticulaire, haute de huit centimètres
(Fig.221), à fond bleu marin
d'une intensité et d'une pureté admirables,
sur lequel un semis de
feuilles de fougère s'enlève en jaune,
d'un trait fin et hardi; deux petites
anses vert clair s'attachent au col et
un filet jaune court sur le rebord du
goulot. Une amphore de même
taille est d'un vert olive profond et
demi-
transparent (Fig.222). Une ceinture
de chevrons bleus et jaunes, saisis entre
quatre lignes jaunes, lui serre la panse à
l'endroit le plus large; les anses sont
vert clair et le filet est bleu tendre. La
princesse Nsikhonsou avait à côté d'elle,
dans la cachette de Déir-el-Baharî, des
gobelets de travail analogue, sept en
pâte unie vert clair, jaune, bleue, quatre
en une pâte noire mouchetée de blanc, un seul enveloppé
de feuilles de fougère multicolores, disposées sur deux rangs (Fig.223). Les manufactures étaient donc en
pleine activité dès le temps des grandes dynasties thébaines.
Des monceaux de scories, mêlées à des rebuts
de cuisson, marquent encore, au Ramesséum, à El-Kab,
sur le tell d'Ashmounéïn, la place où leurs fourneaux
s'allumaient.
Les Égyptiens émaillaient la pierre. La moitié au
moins des scarabées,
des cylindres et
des amulettes que
renferment nos musées,
sont en calcaire,
en schiste, en lignite,
revêtus d'une glaçure
colorée. L'argile ordinaire
ne leur paraissait
pas sans
doute appropriée à
ce genre de décoration.
Ils la remplaçaient
par plusieurs sortes de terre, l'une blanche et
sableuse, l'autre bise et fine, produite par la pulvérisation
d'un calcaire spécial, qu'on trouve en abondance aux
environs de Qénéh, de Louxor et d'Assouân, une troisième
rougeâtre et mêlée de grès en poudre et de brique
pilée. Ces substances diverses sont bien connues sous les
noms également inexacts de porcelaines ou faïences
égyptiennes. Les plus anciennes, à peine lustrées, sont
couvertes d'un enduit excessivement mince, sauf dans
le creux des
hiéroglyphes et des figures, où la matière
vitreuse accumulée tranche, par son aspect luisant, sur le ton mat des parties environnantes. Le vert est de beaucoup
la couleur la plus fréquente sous les anciennes
dynasties; mais le jaune, le rouge, le brun, le violet, le
bleu, n'étaient point dédaignés. Le bleu l'emporta dans
les manufactures thébaines, dès les premières années du
moyen empire. C'est, d'ordinaire, un bleu brillant et
doux, imitant la turquoise ou le lapis-lazuli. Le musée
de Boulaq possédait
jadis trois hippopotames
de cette
nuance, découverts à
Drah-aboûl-Neggah,
dans la tombe d'un
Entouf.
Un était couché,
les deux autres
sont debout dans un
marais, et le potier a dessiné sur leur corps, à l'encre
noire, des fourrés de roseaux et de lotus au milieu desquels
volent des oiseaux et des papillons (Fig.224).
C'était une manière de montrer la bête dans son milieu
naturel. Le bleu en est profond, éclatant, et il faut descendre
vingt siècles d'un coup pour en retrouver d'aussi
pur, parmi les statuettes funéraires qui proviennent de
Déir-el-Baharî. Le vert reparaît avec les dynasties saïtes,
plus pâle qu'aux anciennes époques. Il domine dans le
nord de l'Égypte, à Memphis, à Bubaste, à Saïs, mais
sans éliminer entièrement le bleu. Les autres nuances
n'ont été d'usage courant que pendant quatre ou cinq
siècles, d'Ahmos Ier aux Ramessides. C'est alors, mais
alors seulement,
qu'on voit se multiplier les Répondants
à vernis blanc ou rouge, les fleurs de lotus et les rosaces jaunes, rouges et violettes, les boîtes à kohol
bariolées. Les potiers du temps d'Amenhotpou III
avaient un goût particulier pour les tons gris et violets.
Les olives au nom de ce pharaon et des princesses de sa
famille portent des hiéroglyphes en bleu léger sur un
fond mauve des plus délicats. Le
vase de la reine Tiï, au musée de
Boulaq, est d'un gris mêlé de bleu;
il a, autour du goulot, des ornements
et des légendes en deux couleurs.
La fabrication des émaux
multicolores paraît avoir atteint
son plus grand développement
sous Khouniaton: du moins est-ce à Tell-Amarna que
j'en ai trouvé les modèles les plus fins et les plus légers,
des bagues jaunes, vertes, violettes,
des fleurettes blanches ou bleues,
des poissons, des luths, des grenades,
des grappes de raisin. Telle
figurine d'Hor a le corps bleu et
la face rouge; tel chaton
de bague porte, sur une
surface bleu clair, le nom du roi réservé en
violet. Si restreint que soit l'espace, les tons
divers ont été posés avec une telle sûreté de
main qu'ils ne se confondent jamais, mais tranchent vivement
l'un sur l'autre. Un vase à poudre d'antimoine,
ciselé et monté sur un pied à jour, est glacé de rouge brun
(Fig.225). Un autre, qui a la forme d'un épervier mitré,
est bleu, rehaussé de taches noires; il appartenait
jadis au roi Ahmos Ier. Un troisième, creusé dans un hérisson de bonne volonté, est d'un vert chatoyant
(Fig.226). Une tête de pharaon, d'un bleu mat,
porte une coiffure rayée de
bleu sombre. Si belles que
soient ces pièces, le chef-d'oeuvre
de la série est la statuette
du premier prophète
d'Amon Ptahmos, à Boulaq.
Les hiéroglyphes et les détails
du maillot funéraire ont été
gravés en relief, sur un fond
blanc d'une égalité admirable,
puis remplis d'émaux. Le visage et les mains sont bleu
turquoise, la coiffure est jaune à raies violettes, violets
également sont les caractères
de l'inscription et le
vautour qui déploie ses
ailes sur la poitrine. Le tout
est harmonieux, brillant,
léger: aucune bavure n'émousse
la pureté des contours
ou la netteté des traits.
La poterie émaillée fut
commune en tous temps.
Les tasses à pied (Fig.227),
les bols bleus, arrondis du
fond et ornés d'yeux mystiques,
de lotus, de poissons
(Fig.228), de palmes à l'encre noire, sont en général
de la XVIIIe, de la XIXe ou de la XXe dynastie. Les
ampoules lenticulaires, à vernis verdâtre, garnies de rangs de perles ou d'oves sur la tranche, de colliers sur
la panse, et flanquées de deux singes accroupis en guise
d'anses, appartiennent toutes, ou peu s'en faut, au règne
d'Apriès et d'Amasis (Fig.229). Manches de sistre,
coupes, vases à boire en forme de lotus à demi épanoui,
plats, écuelles de table, les Égyptiens aimaient cette
vaisselle fraîche au toucher, agréable à l'oeil et facile à
tenir propre. Poussaient-ils le goût de l'émail jusqu'à
en recouvrir les murs mêmes de leurs maisons? Rien ne
permet de l'affirmer ou de le nier avec certitude, et les
quelques exemples que nous avons de ce mode de décoration
proviennent tous d'édifices royaux. On lit le
prénom et la bannière de Pepi Ier sur une brique jaune,
les noms de Ramsès III sur une verte, ceux de
Séti Ier et de Sheshonq sur des fragments rouges et blancs.
Une des chambres de la pyramide à degrés de Saqqarah
avait gardé jusqu'au commencement du siècle
sa parure de faïence (Fig.230). Elle était revêtue
aux trois quarts de plaques vertes,
oblongues, légèrement convexes au dehors,
mais plates à la face interne (Fig.231); une
saillie carrée, percée d'un trou, servait à les
assembler par derrière, sur une seule ligne horizontale,
au moyen d'une baguette de bois.
Les trois bandes qui encadraient la porte du
fond sont historiées aux titres d'un pharaon
mal classé des premières dynasties memphites. Les
hiéroglyphes s'enlèvent en bleu, en rouge,
en vert, en jaune, sur un ton chamoisé.
Vingt siècles plus ***, Ramsès III essaya
d'un genre nouveau à Tell-el-Yahoudî. Cette
fois ce n'est plus d'une seule chambre,
c'est d'un temple entier qu'il s'agit. Le
noyau de la bâtisse était en calcaire et en albâtre;
mais les tableaux, au lieu d'être sculptés
comme à l'ordinaire, étaient en une sorte
de mosaïque, où la pierre découpée et la
terre vernissée se combinaient à parties
presque égales. L'élément le plus fréquemment
répété est une rondelle en frite sableuse,
revêtue d'un enduit bleu ou gris, sur lequel
se détachent en nuance crème des rosaces simples,
(Fig.232) ou encadrées de dessins géométriques
(Fig.233), des toiles d'araignées, des fleurs ouvertes.
Le bouton central est en relief, les feuilles et les réseaux sont incrustés dans la masse. Ces rondelles, dont
le diamètre varie d'un à dix centimètres, étaient fixées
à la paroi au moyen d'un ciment très fin. On les
employait à dessiner des ornements
très divers, enroulements, rinceaux,
filets parallèles, tels qu'on les voit
sur un pied d'autel et sur une base
de colonne conservés à Boulaq.
Les cartouches étaient en général
d'une seule pièce, ainsi que les
figures: les détails, creusés ou modelés sur la terre
avant la cuisson,
étaient ensuite recouverts
chacun du
ton qui lui appartenait.
Les lotus et
les feuillages qui
couraient sur le
soubassement ou le
long des corniches
étaient au contraire formés de morceaux indépendants:
chaque couleur est une pièce découpée
de manière à s'ajuster exactement
aux pièces voisines (Fig.234).
Le temple avait été exploité au
commencement du siècle, et le
Louvre possédait, depuis Champollion,
des figures de prisonniers
qui en proviennent. Ce qui en restait a été démoli, il
y a quelques années, par les marchands d'antiquités, et
les débris en sont dispersés un peu partout. Mariette en recueillit à grand'peine les fragments les plus importants,
le nom de Ramsès III, qui nous donne la
date de la construction, des bordures de lotus et d'oiseaux
à mains
humaines (Fig.235), des têtes d'esclaves
nègres (Fig.236) ou asiatiques. La destruction de ce
monument est d'autant plus fâcheuse que les Égyptiens
n'ont pas dû en édifier beaucoup du même type.
La brique émaillée, le carreau, la mosaïque d'émail se
gâtent aisément: c'était là un vice rédhibitoire pour
un peuple épris de force et d'éternité.
2.--LE BOIS, L'IVOIRE, LE CUIR ET LES MATIÈRES TEXTILES.
L'ivoire, l'os, la corne sont assez rares dans les musées:
ce n'est pas une raison pour croire que les Égyptiens
n'en aient pas tiré bon parti. La corne ne dure
guère: certains insectes en sont très friands et la détruisent
en fort peu de temps. L'os et l'ivoire perdent
aisément leur consistance et deviennent friables. Les
Égyptiens connaissaient les éléphants de toute antiquité;
peut-être même les ont-ils rencontrés dans la
Thébaïde, au moment où ils s'y installèrent, car le
nom de l'île d'Éléphantine est écrit avec l'image d'un
de ces animaux, dès la Ve dynastie. L'ivoire leur arrivait
des régions du haut Nil par dents et par demi-dents.
Ils le teignaient à volonté en vert ou en rouge,
mais lui laissaient le plus souvent sa teinte naturelle
et l'employaient beaucoup en menuiserie, pour incruster
des chaises, des lits et des coffrets; ils en fabriquaient
aussi des dés à jouer, des peignes, des
épingles à cheveux, des ustensiles de toilette, des cuillers
d'un travail délicat (Fig.237), des étuis à collyre
creusés dans une colonne surmontée d'un chapiteau,
des encensoirs formés d'une main qui supporte un
godet en bronze où brûler des parfums, des boumérangs
couverts au trait de divinités et d'animaux
fantastiques. Quelques-uns de ces objets
sont de véritables oeuvres d'art: ainsi, à
Boulaq, un manche de poignard qui représente
un lion, les reliefs plaqués sur la boîte
à jeu de Touaï, qui vivait à la fin de la
XVIIe dynastie, une figurine de la Ve dynastie
malheureusement mutilée, mais qui garde encore
des traces de couleur rose, et la statue en
miniature d'Abi, qui mourut sous la XIIIe.
Elle est juchée majestueusement sur une colonne
en campane. Le personnage regarde
droit devant lui, d'un air majestueux que ses
oreilles très écartées de la tête rendent tant
soit peu comique. La touche est large et spirituelle. Le
morceau pourrait être comparé sans trop de désavantage
aux bons ivoires italiens de la Renaissance. épingles à cheveux, des ustensiles de toilette, des cuillers
d'un travail délicat (Fig.237), des étuis à collyre
creusés dans une colonne surmontée d'un chapiteau,
des encensoirs formés d'une main qui supporte un
godet en bronze où brûler des parfums, des boumérangs
couverts au trait de divinités et d'animaux
fantastiques. Quelques-uns de ces objets
sont de véritables oeuvres d'art: ainsi, à
Boulaq, un manche de poignard qui représente
un lion, les reliefs plaqués sur la boîte
à jeu de Touaï, qui vivait à la fin de la
XVIIe dynastie, une figurine de la Ve dynastie
malheureusement mutilée, mais qui garde encore
des traces de couleur rose, et la statue en
miniature d'Abi, qui mourut sous la XIIIe.
Elle est juchée majestueusement sur une colonne
en campane. Le personnage regarde
droit devant lui, d'un air majestueux que ses
oreilles très écartées de la tête rendent tant
soit peu comique. La touche est large et spirituelle. Le
morceau pourrait être comparé sans trop de désavantage
aux bons ivoires italiens de la Renaissance.
L'Égypte ne nourrit pas beaucoup d'arbres, encore
la plupart de ceux qu'elle produit sont-ils impropres à
la sculpture. Les deux espèces les plus répandues, le
palmier et le doum, sont d'une fibre grossière et par trop
inégale. Quelques variétés de sycomore et d'acacia ont
seules un corps dont le grain souple et fin se prête au
travail du ciseau. Le bois n'en était pas moins la matière
favorite des sculpteurs qui voulaient faire vite et à bon
marché. Ils le choisissaient parfois pour des oeuvres d'importance, telles que les supports du double, et nous
jugeons par le Shéikh-el-beled de quelle hardiesse et
de quelle ampleur ils savaient le traiter. Mais les billots
ou les poutres dont ils disposaient avaient rarement
la longueur et la largeur suffisante pour qu'on en
tirât une statue d'une seule pièce. Le
Shéikh-el-beled lui-même, qui cependant
n'est pas de grandeur naturelle,
est un assemblage de morceaux tenus
par des chevilles carrées. On s'accoutuma
donc à ramener les sujets qu'on
voulait exécuter en bois à des proportions
telles qu'on pût les tailler tout entiers
dans un même bloc; sous les dynasties
thébaines, les statues d'autrefois
sont devenues des statuettes. L'art ne
perdit rien à cette décroissance, et plus
d'une parmi ces figurines est comparable
aux plus beaux ouvrages de l'ancien
empire. La meilleure peut-être est
au musée de Turin, et appartient à la
XXe dynastie. Elle représente une fillette
sans vêtement qu'une ceinture étroite
passée sur les reins. Elle est encore à cet
âge indécis où le sexe n'est pas développé et où les
formes tiennent à la fois du garçon et de la femme. La
tête est d'une expression douce et mutine: c'est, à trente
siècles de distance, le portrait de ces gracieuses filles
d'Eléphantine qui se promènent nues sous le regard des
étrangers, sans gêne et sans impudeur. Trois petits
hommes du musée de Boulaq sont probablement contemporains de la figurine de Turin. Ceux-là sont revêtus
du costume d'apparat et
ce n'est que justice, car l'un
d'eux était le favori du roi, Hori,
surnommé Râ. Ils marchent droit,
d'un mouvement calme et mesuré,
le buste bien effacé, la tête haute:
l'expression de leur physionomie
est maligne et rusée. Un officier
(Fig.238), qui a pris sa retraite au
Louvre, est en demi-costume militaire
du temps d'Amenhotpou III
et de ses successeurs: perruque
légère, sarrau collant à manches
courtes, pagne bridant sur la hanche,
descendant à peine jusqu'à
mi-cuisse et garni sur le devant
d'une pièce d'étoffe bouffante, gaufrée
dans le sens de la longueur.
Il a pour voisin un prêtre (Fig.239)
coiffé de petites mèches étagées,
vêtu de la jupe longue tombant à
mi-jambe et s'étalant en une sorte
de tablier plissé. Il supporte à deux
mains un insigne divin, consistant
en une tête de bélier surmontée du
disque solaire, le tout emmanché
au bout d'une hampe solide. Officier
et prêtre sont peints en brun
rouge, à l'exception des cheveux qui sont noirs, de la
cornée des yeux qui est blanche et de l'insigne divin
qui est jaune. Chose curieuse, leur camarades de vitrine, la petite dame Nâï, est peinte comme eux en rouge et
non en jaune, qui est la couleur réglementaire des
femmes en Égypte (Fig.240). Elle est prise dans un
peignoir collant, garni de haut en bas d'une broderie
en fil blanc. Elle porte au cou un collier d'or à trois
rangs, et aux poignets des bracelets d'or, sur la tête
une perruque dont les tresses descendent
jusqu'à la naissance de la gorge. Le
bras droit pend le long du corps, et la
main
tenait un objet, probablement un
miroir en métal, qui a disparu: le bras
gauche est replié sur la poitrine, et la
main serre une tige de lotus dont le bouton
pointe entre les seins. Le corps est
souple et bien fait, la gorge jeune, droite
et peu développée, la face large et souriante
avec une expression de douceur et
de vulgarité. L'artiste n'a pas su éviter
la lourdeur dans l'agencement de la coiffure,
mais le buste est modelé avec une
élégance chaste, la robe dessine les formes
sans les exposer trop indiscrètement, le
geste par lequel la jeune femme ramène la fleur sur sa
poitrine est rendu avec finesse et naturel. Ce sont là des
portraits, et, comme les modèles n'étaient pas d'ordre
très relevé, on peut supposer qu'ils ne s'étaient pas
adressés pour les avoir aux faiseurs en renom: ils
avaient eu recours à des ouvriers sans prétention, mais
la science de la forme et la sûreté de l'exécution sont
bien propres à prouver jusqu'à quel point l'influence
de la grande école de sculpture qui florissait alors à Thèbes s'exerçait fortement, même sur les gens de métier.
Elle est plus sensible encore quand on étudie l'attirail
de la toilette et le mobilier proprement dit. Ce ne
serait pas petite affaire que de passer en revue tous les
menus ustensiles de parure féminine, auxquels la fantaisie
des artistes donnait une forme ingénieuse et spirituelle.
Les manches de miroir représentent le plus
souvent une tige de lotus ou de papyrus, surmontée
d'une fleur épanouie d'où sort le disque de métal poli;
quelquefois une jeune fille nue ou vêtue d'une chemise
étroite le tient en équilibre sur sa tête. Les épingles à
cheveux se terminent en serpent lové, en museau de
chacal, de chien, en bec d'épervier. La pelote dans laquelle
elles sont plantées est un hérisson ou une tortue,
dont la carapace est percée de trous selon un
dessin régulier. Les chevets, sur lesquels on appuyait
la tête pour dormir, étaient décorés de reliefs empruntés
aux mythes de Bîsou et de Sokhit: la tête grimaçante du
dieu s'étale sur les bas côtés ou sur la base. Mais c'est
surtout dans l'exécution des cuillers à parfum ou des
étuis à collyre que brille le génie inventif des ouvriers.
On se servait des cuillers pour manier, sans trop se
salir, soit des essences, soit des pommades, soit les fards
de différentes couleurs dont hommes et femmes se teignaient
les joues, les lèvres, le bord et le dessous des
yeux, les ongles, la paume des mains. Les motifs sont
empruntés généralement à la faune ou à la flore du Nil.
Un des étuis de Boulaq a la figure d'un veau couché,
creusé pour servir de boîte: la tête et le dos de l'animal
s'enlèvent et font couvercle. Une cuiller du même
musée représente un chien qui se sauve, emportant un énorme poisson dans sa gueule: le corps du poisson
est le bol de la cuiller (Fig.241). L'autre est un cartouche
qui jaillit d'un lotus épanoui, un fruit
de lotus posé sur un bouquet de fleurs
(Fig.242) ou un simple récipient triangulaire
(Fig.243) flanqué de deux boutons. Les
plus soignées combinent avec ces données la
figure humaine.
Une jeune fille nue, sauf une
ceinture qui lui serre les hanches, nage,
tenant la tête bien hors de l'eau
(Fig.244); ses deux bras allongés
poussent un canard creusé en
boîte, et dont les deux ailes,
s'écartant à volonté, tiennent lieu
de couvercle. Au Louvre, c'est encore une
jeune fille (Fig.245), mais perdue dans les
lotus et qui cueille un bouton.
Une botte de tiges, d'où s'échappent
deux fleurs épanouies,
réunit le manche au bol de la
cuiller, dont l'ovale tourne sa partie
ronde au dehors, sa pointe à
l'intérieur. Ailleurs, la jeune fille (Fig.246)
est encadrée entre deux tiges fleuries et
marche en jouant de la guitare à long manche.
Ailleurs encore, la musicienne est debout
sur une barque
(fig.247) ou est remplacée par une porteuse d'offrandes. Parfois enfin,
c'est un esclave qui s'avance, courbé sous
le poids d'un énorme sac. Tous ces personnages ont
chacun leur physionomie et leur
âge caractérisés nettement. La cueilleuse de lotus est bien née, comme
l'indique sa chevelure nattée avec soin et la jupe
plissée dont elle est habillée. Les dames thébaines
étaient vêtues de long, et celle-là ne s'est troussée
haut qu'afin de pouvoir marcher par les roseaux sans
mouiller ses vêtements.
Au contraire, les deux
musiciennes et la nageuse
sont de condition inférieure ou servile. Deux
d'entre elles n'ont qu'une ceinture, la troisième a un
jupon court lié négligemment. La porteuse d'offrandes
(Fig.248) est coiffée de la longue tresse pendante dont on affublait les enfants. C'est une de ces adolescentes
minces et fluettes, comme on en voit beaucoup
encore chez les fellahs des bords du Nil, et sa nudité
ne l'empêche pas d'être de naissance ingénue; les
enfants nobles ne commençaient à prendre le costume
de leur sexe que vers l'âge de puberté.
Enfin l'esclave (Fig.249), avec
ses lèvres épaisses, son nez plat, sa
mâchoire lourde et bestiale, son front
déprimé, sa tête glabre en pain de
sucre, est évidemment la caricature
d'un prisonnier étranger. La mine
abrutie avec laquelle il s'en va pliant
sous le faix a été fort bien saisie, et
les saillies anguleuses du corps, le
type de la tête, l'agencement des diverses
parties, rappellent l'aspect général des terres
cuites grotesques de
l'Asie Mineure. Tous les détails de
nature groupés autour du sujet principal
et qui l'encadrent, la forme des
fleurs et des feuilles, l'espèce des oiseaux,
sont rendus avec un grand
amour de l'exactitude et avec un certain esprit. Des
trois canards que la porteuse d'offrandes a liés par les
pattes et laisse pendre à son bras, deux se sont résignés
à leur sort et sont là ballants, le cou tendu,
l'oeil ouvert; le troisième relève la tête et bat de l'aile
pour protester. Les deux oiseaux d'eau perchés sur les
lotus écoutent, au repos et le bec sur le jabot, la
joueuse de luth. L'expérience leur a appris qu'il ne faut pas se déranger pour des chansons et qu'une
jeune fille n'est à craindre qu'à la condition
d'être armée.
La vue d'un arc et d'une flèche
les met en fuite dans les bas-reliefs,
comme de nos jours la vue d'un fusil
fait s'envoler une bande de pies.
Les Égyptiens connaissaient à merveille
les habitudes des animaux et se
sont plu à les reproduire exactement.
L'observation de tous les menus faits
était devenue instinctive chez eux,
et donnait aux moindres productions
de leurs mains ce caractère de
réalité dont nous sommes frappés
aujourd'hui.
Les meubles n'étaient pas plus
nombreux dans l'Égypte ancienne
qu'ils ne sont dans l'Égypte actuelle.
Chez les pauvres, quelques nattes et
des huches en terre battue. Chez les
gens de la classe moyenne, des coffrets
à linge et des escabeaux. Chez les
riches seuls, des lits, des fauteuils, des
divans, des tables: armoires, buffets,
dressoirs, commodes, la plupart des
pièces qui composent notre mobilier étaient inconnus.
L'art du menuisier n'en était pas moins porté à un
haut degré de perfection dès les anciennes dynasties.
Les ais, dressés à l'herminette, emmortaisés, collés,
réunis par des chevilles en bois dur ou des épines
d'acacia, jamais par des clous métalliques, étaient polis,
puis revêtus de peintures. Les coffres sont généralement
juchés sur quatre pieds droits, parfois assez
élevés. Le couvercle est plat ou arrondi
selon une courbe spéciale
(Fig.250), que les Égyptiens ont aimée
de tout temps, rarement taillé en
pointe comme le toit de nos maisons
(Fig.25l). Il s'enlève le plus souvent
tout entier, souvent il tourne autour d'une cheville enfoncée
dans l'épaisseur de
l'un des montants, parfois
enfin il roule sur des pivots
en bois, analogues à
ceux de nos armoires
(Fig.252). Les panneaux,
dont la grande surface se
prêtait étonnamment à la
décoration artistique, sont
rehaussés de peintures, incrustés d'ivoire, d'argent, de
plaques d'émail,
de bois précieux. Peut-être sommes-nous
mal placés aujourd'hui
pour juger de l'habileté que
les Égyptiens déployaient à
l'occasion, et de la variété des
formes qu'ils inventaient à
chaque époque. Presque tous
les meubles qui nous restent
proviennent des tombeaux et sont, ou bien des imitations
à bon marché de meubles précieux destinées à
être enfermées dans le caveau avec les morts, ou bien des meubles de nature particulière, dont l'usage était
exclusivement réservé aux momies.
Les momies étaient, en effet, les clients les plus
certains des menuisiers. Partout ailleurs, l'homme
n'emportait au delà de la vie qu'un petit nombre d'objets:
en Égypte, il ne se contentait pas à moins d'un
mobilier complet. Le cercueil était à lui seul un véritable
monument, dont la construction mettait en branle une
escouade d'ouvriers (Fig.253). La mode en variait selon
les époques. Aux temps de l'empire memphite et du
premier empire thébain, on ne rencontre guère que de
grandes caisses rectangulaires, en bois de sycomore, à
couvercle et à fonds plats, composées de plusieurs pièces
assemblées au moyen de chevilles également en bois.
Le modèle n'en est pas élégant, mais la décoration en
est des plus curieuses. Le couvercle n'a pas de corniche.
Une longue bande d'hiéroglyphes en occupe le
milieu à l'extérieur; tantôt simplement tracée à l'encre
ou à la couleur, tantôt sculptée à même le bois, puis
remplie de pâte bleuâtre, elle ne contient que le
nom et le titre du défunt, parfois une courte formule
de prière en sa faveur. La surface intérieure est enduite d'une couche épaisse de stuc, ou blanchie
au lait de chaux: on y inscrivait d'ordinaire le chapitre
XVII du Livre des Morts, aux encres rouge et
noire et en beaux hiéroglyphes cursifs. La cuve consiste
en huit planches verticales, disposées deux à deux, pour
les parois, et en trois planches horizontales pour le
fond. Elle est décorée quelquefois, à l'extérieur, de
grandes rainures prismatiques terminées en feuilles de
lotus entre-croisées, comme celles qu'on rencontre sur
les sarcophages en pierre. Le plus souvent elle est
ornée, sur la gauche, de deux yeux grands ouverts et
de deux portes monumentales, sur la droite, de trois
portes, en tout semblables à celles qu'on voit dans les
hypogées contemporains. Le cercueil est en effet la
maison propre du mort, et, comme tel, il doit présenter
sur ses faces un résumé des prières et des tableaux
qui s'espaçaient sur les murs de la tombe entière. Les
formules et les représentations nécessaires sont écrites
et illustrées à l'intérieur, presque dans le même ordre
où nous les trouvons au fond des mastabas. Chaque
paroi est divisée en trois registres, et chaque registre
contient ou bien une dédicace au nom du mort, ou
bien la figure des objets qui lui appartiennent, ou
bien les textes du Rituel qu'on récitait à son intention.
Le tout agencé habilement, sur un fond imitant
assez exactement le bois précieux, forme un tableau
d'un trait hardi et d'une couleur harmonieuse.
Le menuisier n'avait que la moindre part au travail,
et les longues boîtes où l'on enfermait les morts les
plus anciens n'exigeaient pas de lui une grande habileté.
Il n'en fut pas de même dès qu'on s'avisa de donner au cercueil l'aspect général du corps humain.
Deux types sont alors en présence. Dans le plus ancien,
la momie sert de modèle à son enveloppe. Les pieds
et les jambes sont réunis tout du long. Les saillies du
genou, les rondeurs du mollet, de la cuisse et du ventre,
sont indiquées de façon sommaire et se modèlent vaguement
sous le bois. La tête, seule vivante sur ce
corps inerte, est dégagée entièrement. Le mort est
emprisonné dans une sorte de statue de lui-même,
assez bien équilibrée pour qu'on pût, à l'occasion, la
dresser sur ses pieds comme sur une base. Ailleurs, il
est étendu sur sa tombe, et sa figure, sculptée en ronde
bosse, sert de couvercle à sa momie. La tête est chargée
de la perruque à marteaux, la casaque de batiste
blanche presque transparente voile le buste à demi,
le jupon couvre les jambes de ses plis serrés. Les
pieds sont chaussés de sandales élégantes, les bras
s'allongent ou se replient sur la poitrine, les mains
tiennent des emblèmes divers, la croix ansée, la boucle
de ceinture, le tat, ou, comme la femme de Sennotmou
à Boulaq, une guirlande de lierre. Ce genre de
gaine momiforme est rare sous les dynasties menaphites;
Menkaourî, le Mykérinos des Grecs, nous en
a donné pourtant un exemple mémorable. Très fréquente
à la XIe dynastie, elle n'est souvent, alors,
qu'un tronc d'arbre évidé, où l'on a sculpté grossièrement
une tête et des pieds humains. Le masque est
bariolé de couleurs éclatantes, jaune, rouge, vert; les
cheveux et la coiffure sont rayés de noir ou de bleu.
Un collier s'étale pompeusement sur la poitrine. Le
reste du cercueil est, ou bien enveloppé
des longues ailes dorées d'Isis et de Nephthys, ou bien revêtu d'un
ton uniforme, jaune ou blanc, et illustré parcimonieusement
de figures ou de bandes d'hiéroglyphes
bleues et noires. Les plus soignés parmi les cercueils
des rois de
la XVIIIe dynastie,
que j'ai
déterrés à Déir-el-Baharî,
appartiennent
à
ce type et ne se
signalent que
par le fini du
travail et par
la perfection
vraiment extraordinaire
avec laquelle
l'ouvrier a reproduit
les
traits du souverain.
Le
masque d'Ahmos Ier, celui d'Amenhotpou Ier, celui de
Thoutmos II, sont de véritables chefs-d'oeuvre en leur
genre. Celui de Ramsès II ne porte d'autre trace de
peinture qu'une raie noire, afin d'accentuer la coupe
de l'oeil; modelé sans doute à l'image du Pharaon
Hrihor, qui restaura l'appareil funèbre de son puissant
prédécesseur; il est presque comparable aux meilleures
oeuvres des statuaires contemporains (Fig.254).
Deux des cercueils, ceux de la reine
Nofritari et de sa fille Ahhotpou II, sont de taille gigantesque et mesurent
plus de 3 mètres de haut. On dirait, à les voir
debout (Fig.255), une des cariatides qui ornent la
cour de Médinét-Habou, mais en plus petit. Le corps
est emmailloté et n'a plus que l'apparence indécise
d'un corps humain. Les épaules et le buste sont revêtus
d'un réseau en relief, dont chaque maille se détache
en bleu sur le fond jaune de l'ensemble. Les mains
s'échappent de cette espèce de mantelet et se croisent
sur la poitrine en serrant la croix ansée, symbole de
la vie. La tête est un portrait: face large et ronde,
grands yeux, expression douce et insignifiante, lourde
perruque surmontée de la coiffure et des longues plumes
d'Amon ou de Mout. On se demande quel motif a
poussé les Égyptiens à fabriquer ces pièces extraordinaires.
Les deux reines étaient de petite taille et leur
momie était comme perdue dans la cavité; il fallut les
caler à grand renfort de chiffons pour les empêcher de
ballotter et de se détériorer. Grandeur à part, la simplicité
est le caractère de ces deux cercueils comme elle
l'est des autres cercueils royaux ou privés de cette
époque qui sont parvenus jusqu'à nous. Vers le milieu
de la XIXe dynastie, la mode changea. On ne se contenta
plus d'une seule caisse sobrement ornée: on
voulut en avoir deux, trois, même quatre, emboîtées
l'une dans l'autre et couvertes de peintures ou d'inscriptions.
Souvent alors l'enveloppe extérieure est un
sarcophage à oreillettes carrées, à couvercle en dos
d'âne, dont les fonds, peints en blanc, sont chargés de
figures du mort, en adoration devant les dieux du
groupe Osirien. Lorsqu'elle a la forme humaine, elle garde encore
quelque chose de la nudité primitive: la
face est coloriée, un collier recouvre
la poitrine, une bande d'hiéroglyphes
descend jusqu'aux pieds;
le reste est d'un ton uniforme,
noir, brun ou jaune sombre.
Les caisses intérieures étaient
d'un luxe presque extravagant,
faces et mains rouges, roses,
dorées, bijoux peints et parfois
simulés au moyen de morceaux
d'émail incrustés dans le bois,
scènes et légendes multicolores, le
tout englué de ce vernis jaune dont
j'ai parlé plus haut. Le contraste
est frappant entre l'abondance
d'ornements qu'on remarque à ces
époques et la sobriété des époques
antérieures: il faut se rendre à
Thèbes même, au lieu de la sépulture,
pour en comprendre la raison.
Les particuliers et les rois des
dynasties conquérantes employaient
ce qu'ils avaient de ressources et
d'énergie à se creuser des hypogées.
Les parois en étaient sculptées
ou peintes, le sarcophage était taillé
dans un bloc immense de granit
ou d'albâtre ouvragé finement; peu
importait que le bois où dormait la momie fût
simplement décoré. Les Égyptiens de la décadence et leurs maîtres n'avaient plus, comme les générations
qui les avaient précédés, la faculté de puiser indéfiniment
dans les trésors de l'Égypte et des pays voisins.
Ils étaient pauvres, et la médiocrité de leur budget ne
leur permettait pas d'entreprendre de longs travaux:
ils renoncèrent, ou du moins presque tous, à se préparer
des tombes monumentales, et dépensèrent ce qui
leur restait d'argent à se fabriquer de belles caisses en
bois de sycomores. Le luxe de leurs cercueils n'est,
en résumé, qu'une preuve de plus à joindre aux preuves
déjà nombreuses que nous avons de leur faiblesse et
de leur pauvreté. Lorsque les princes Saïtes eurent
rétabli, pour quelques siècles, les affaires du pays,
les sarcophages en pierre reparurent et l'enveloppe en
bois reprit quelque chose de la simplicité des beaux
temps; mais ce renouveau ne dura pas, et la conquête
macédonienne amena dans les modes funéraires la
même révolution qu'autrefois la chute des Ramessides.
On en revint à l'usage des caisses doubles et triples, aux
excès de peinture, aux dorures criardes; l'habileté des
manoeuvres d'époque gréco-romaine qui ont habillé les
morts d'Akhmîm pour leur dernière demeure est
moindre, leur mauvais goût ne le cède en rien à celui
des fabricants de cercueils thébains qui vivaient sous les
derniers Ramsès.
Le reste du mobilier funèbre ne donnait pas aux
menuisiers moins d'ouvrage que les momies. On voulait
des coffres de différente taille pour le trousseau
du mort, pour ses intestins, pour ses figurines funéraires,
des tables pour ses repas, des chaises, des tabourets,
des lits où étendre le cadavre, des traîneaux pour l'amener au tombeau, même des chars de guerre ou de
promenade. Les coffrets où l'on enfermait les canopes,
les statuettes funéraires, les vases à libations, sont divisés
en plusieurs compartiments: un chacal accroupi
est posé quelquefois par-dessus et sert comme de poignée
pour soulever le couvercle. Ils étaient munis chacun
d'un petit traîneau, pour qu'on pût les traîner sur le
sol pendant les cérémonies de l'enterrement. Les lits
ne sont pas rares. Beaucoup sont identiques aux angarebs
des Nubiens actuels, de simples cadres en bois,
sur lesquels on tendait de grosses étoffes ou des lanières
en cuir entre-croisées. La plupart n'ont guère plus
d'un mètre et demi en longueur; le dormeur ne pouvait
pas s'y étendre, mais y reposait pelotonné sur lui-même.
Les lits ornés étaient de la même longueur
que les nôtres, ou à peu près. Le châssis en était le
plus souvent horizontal, quelquefois incliné légèrement
de la tête aux pieds. Il était souvent assez élevé au-dessus
du sol, et on y montait au moyen d'un banc ou
même d'un petit escalier portatif.
Le détail ne nous en
serait guère connu que par les monuments figurés, si,
en 1884 et 1885, je n'en avais découvert deux complets,
l'un à Thèbes, dans une tombe de la XIIIe dynastie,
l'autre à Akhmîm, dans la nécropole gréco-romaine.
Deux lions de bonne volonté ont étiré leur
corps en guise de châssis, la tête au chevet, la queue
recourbée sur les pieds du dormeur. Au-dessus s'élève
une sorte de baldaquin, qui servait lors de l'exposition
des momies. Rhind en avait déjà rapporté un qui orne
aujourd'hui le musée d'Édimbourg (Fig.256). C'est un
temple, dont le toit arrondi est
soutenu par d'élégantes colonnettes en bois peint. Une porte gardée par deux
serpents familiers était censée donner accès à l'intérieur.
Trois disques ailés, de plus en plus grands,
garnissaient les corniches superposées au-dessus de la
porte, et une rangée d'uraeus lovés se dressait au couronnement
de l'édifice. Le baldaquin du lit de la
XIIIe dynastie est beaucoup plus simple, une sorte de
balustrade en bois découpé et enluminé, à l'imitation
des paquets de roseaux qui décorent le haut des parois
de temple, le tout surmonté de la corniche ordinaire.
Dans le lit de l'époque grecque (Fig.257), les
balustres sont remplacés sur les côtés par des figures
de la déesse Mâït, sculptées et peintes, accroupies et la
plume aux genoux. A la tête et au pied, Isis et Nephthys
se tiennent debout et étendent leurs bras frangés
d'ailes. La voûte est à jour: des vautours y planent
au-dessus de la momie, et deux statuettes d'Isis et de
Nephthys agenouillées pleurent sur elle. Les traîneaux
qui menaient les morts au tombeau étaient, eux aussi,
décorés d'une sorte de baldaquin, mais d'aspect très
différent. C'est encore un naos,
mais à panneaux
pleins, comme
ceux que j'ai découverts, en 1886,
dans la chambre
de Sennotmou à
Gournét-Mourraï.
Quand on y pratiquait
quelques jours, c'étaient des lucarnes carrées
par lesquelles on apercevait la tête de la momie: Wilkinson
en a décrit un de ce genre, d'après les peintures
d'une tombe
thébaine (Fig.258). Dans tous les
cas, les panneaux étaient mobiles. Le mort une fois déposé
sur la planche du traîneau, on les dressait chacun en sa place; le toit recourbé et garni de sa corniche
posait sur le tout et formait couvercle. Plusieurs des
fauteuils du Louvre et du British Museum ont été
fabriqués vers la XIe dynastie.
Ce ne sont pas les
moins beaux, et l'un
d'eux (Fig.259) a conservé
une vivacité de couleurs
extraordinaires. Le cadre,
jadis garni d'un treillis de
cordelettes, repose sur
quatre pieds de lion. Le
dossier est orné de deux
fleurs et d'une ligne de
losanges en marqueterie
d'ébène et d'ivoire, qui
se détache sur un champ rouge. Des tabourets de travail
semblable (Fig.260), et des pliants, dont les pieds
sont formés par des têtes
d'oies aplaties, se trouvent
dans tous les musées.
Les Pharaons et les
hauts fonctionnaires recherchaient
des modèles
plus compliqués. Leurs
sièges étaient parfois fort
hauts. Ils avaient pour
bras deux lions courants,
ou pour supports des prisonniers de guerre liés dos
à dos (fig.261).
Un escabeau, placé sur le devant,
servait de marchepied pour y monter, ou de point d'appui au personnage assis. Nous ne possédons
jusqu'à présent aucun meuble de ce genre. Les peintures nous montrent
qu'on corrigeait la dureté
des fonds cannés ou treillissés
en les recouvrant de matelas et
de coussins richement ouvrés.
Les coussins et les matelas ont
disparu, et l'on a supposé qu'ils
étaient recouverts en tapisserie.
Sans doute la tapisserie était
connue en Égypte, et un bas-relief
de Béni-Hassan (Fig.262)
nous apprend comment on la
fabriquait. Le métier, quoique
très simple, rappelle celui dont
se servent aujourd'hui encore les tisserands d'Akhmîm.
Il est horizontal
et se compose
de deux cylindres
minces, ou
plutôt de deux
bâtons, séparés
par un
espace
d'un mètre cinquante,
et engagés chacun
dans deux
grosses chevilles
plantées dans le sol à quatre-vingts centimètres l'une
de l'autre ou environ. Les lisses de la chaîne étaient attachées solidement, puis roulées autour du cylindre
de tête jusqu'à tension convenable. Des bâtons de
croisure, disposés d'espace en espace, facilitent l'introduction
des broches chargées de fils. Le travail commençait
par en bas, ainsi qu'on fait encore aux Gobelins.
Le tissu était tassé et égalisé au moyen d'un
peigne grossier, puis enroulé au fur et à mesure sur
le cylindre inférieur. On fabriquait ainsi des tentures
et des tapis décorés les uns de figures, les autres de
dessins géométriques, zigzags ou damiers (Fig.263);
toutefois, un examen attentif des monuments m'a démontré
que la plupart des sujets où l'on a cru reconnaître
des exemples de tapisserie sont en cuir peint et
découpé. L'industrie du cuir était très florissante. Il y
a peu de musées qui ne possèdent une paire au moins
de sandales ou de ces bretelles de momie, dont les
bouts sont en peau estampée, et portent une figure
de dieu ou de Pharaon, une légende hiéroglyphique,
une rosace, parfois le tout réuni. Ces petits monuments ne remontent guère plus haut que le temps
des grands-prêtres d'Ammon ou des premiers Bubastites.
C'est à la même époque qu'on doit attribuer
l'immense dais du musée de Boulaq. Le catafalque
sur lequel la momie reposait, pendant le
transport de
la maison mortuaire au tombeau, était garni souvent
d'une couverture d'étoffe ou de cuir souple. Parfois
les côtés retombaient droit, parfois ils étaient relevés
en guise de rideaux par des embrasses et laissaient apercevoir le cercueil. Le dais de Déir-el-Baharî
fut préparé pour la princesse Isimkheb, fille du
grand-prêtre Masahirti, femme du grand-prêtre Menkhopirrî,
mère du grand-prêtre Pinotmou III. La
pièce centrale, plus longue que large, se divise en trois
bandes d'un cuir bleu céleste qui a passé au gris perle. Les deux latérales sont semées
d'étoiles jaunes:
sur celle du milieu s'étagent des vautours, dont les
ailes étendues protègent le mort. Quatre pièces, formées
de carrés verts et rouges, disposés en damier, se
rattachent aux quatre côtés. Celles qui pendent sur
les côtés longs sont reliées à la centrale par une bordure
d'ornements. A droite, des scarabées aux ailes
déployées alternent avec les cartouches du roi Pinotmou II,
sous une frise de fers de lance. A gauche,
(Fig.264), le motif est plus compliqué. Une touffe
de lotus, flanquée des cartouches royaux, occupe
le centre; viennent ensuite deux antilopes agenouillées
chacune sur une corbeille, puis deux bouquets
de papyrus, enfin deux scarabées, semblables à
ceux de l'autre bordure. La frise en fers de lance
court au-dessus. La technique de cet objet est
très curieuse. Les hiéroglyphes et les figures étaient
découpés dans de larges feuilles de
cuir, comme nous faisons nos chiffres
et nos lettres dans des plaques en
cuivre. On cousait ensuite, sous les
vides ainsi ménagés, des lanières de
cuir de la couleur qu'on voulait donner
aux ornements ou aux caractères,
et, pour dissimuler le rapiéçage, on
étalait par derrière de longs morceaux
de cuir blanc ou jaune clair.
Malgré les difficultés d'agencement
que présente ce travail, le résultat
obtenu est des plus remarquables.
La silhouette des gazelles, des scarabées
et des fleurs est aussi nette et
aussi élégante que si elle était tracée
au pinceau sur une muraille ou sur
une feuille de papyrus. Le choix des
motifs est heureux, la couleur harmonieuse
et vive à la fois. Les ouvriers
qui ont conçu et exécuté le dais
d'Isimkheb avaient une longue pratique
de ce système de décoration
et du genre de dessin qu'il comportait.
Je ne doute pas, quant à moi,
que les coussins des fauteuils et des
divans royaux, les voiles des barques
funéraires ou divines sur lesquelles
on embarquait les momies et les statues
des dieux, ne fussent le plus souvent en cuir. La voile en damier d'une des barques peintes au tombeau
de Ramsès III (Fig.265) rappelle à s'y méprendre
les pans en damier du dais. Les vautours et les
oiseaux fantastiques d'une autre barque (Fig.266)
ne sont ni plus étranges ni plus difficiles à obtenir
en cuir que les vautours et les gazelles d'Isimkheb. Les témoignages anciens nous permettent d'affirmer
que les Égyptiens d'autrefois brodaient aussi bien que
ceux du moyen âge. Les deux cuirasses qu'Amasis
donna, l'une aux Lacédémoniens, l'autre au temple
d'Athéna à Lindos, étaient en lin, mais ornées de figures
d'animaux en fil d'or et de pourpre: chaque fil se composait
de trois cent soixante-cinq brins tous distincts.
Si nous remontons plus haut, nous voyons, par les monuments figurés, que les Pharaons avaient des vêtements
chargés de bordures en tapisserie ou en broderie,
appliquées ou exécutées à même l'étoffe. Les plus simples
consistent en une ou plusieurs bandes de nuance
foncée courant parallèlement au liséré. Ailleurs, on
aperçoit des palmettes ou des séries de disques et
de points, des feuillages, des méandres, et même, ça et
là, des figures d'hommes, de divinités ou d'animaux,
dessinées probablement à l'aiguille. Aucune des étoffes
qu'on a trouvées jusqu'à présent sur les momies royales
n'est décorée de la sorte et ne nous permet de juger la qualité
et la technique de ce travail. Une fois, seulement,
j'ai découvert, sur le corps d'une des princesses de Déir-el-Bahari,
un cartouche brodé en fil rosé pâle. Les Égyptiens de la bonne époque paraissent avoir estimé particulièrement
les étoffes unies, surtout les blanches. Ils
les fabriquaient avec une habileté merveilleuse, sur un
métier identique de tous points à celui qu'ils avaient
inventé pour la tapisserie. Les portions de linceul qui
enveloppent les mains et les bras de Thoutmos III sont
aussi ténues que la plus fine mousseline de l'Inde, et
mériteraient le nom d'air tissé, aussi bien au moins
que les gazes de Cos. C'est là toutefois pure question
de métier où l'art n'a rien à réclamer. L'usage de la
broderie et de la tapisserie ne se répandit communément
en Égypte que vers la fin de la domination persane
et le commencement de
la domination grecque, sous l'influence des premiers Lagides. Alexandrie fut
peuplée en partie de colons phéniciens, syriens, juifs
qui y apportèrent avec eux les procédés de fabrication
usités dans leur pays et y fondèrent des manufactures
bientôt florissantes. Pline attribue aux Alexandrins
l'invention de tisser à plusieurs lisses les étoffes qu'on
appelle brocarts (polymita); et, au temps des premiers
Césars, c'était un fait reconnu que «l'aiguille de Babylone
était désormais vaincue par le peigne du Nil».
Les tapisseries alexandrines n'étaient pas décorées
presque exclusivement de dessins géométriques, comme
les vieilles tapisseries égyptiennes: on y voyait, au
témoignage des anciens, des figures d'animaux et même
d'hommes. Rien ne nous est resté des chefs-d'oeuvre
qui remplissaient le palais des Ptolémées, mais des
fragments ont été découverts en Égypte, qu'on peut
attribuer à la basse époque impériale, l'enfant à l'oie,
décrit par Wilkinson, les divinités marines d'une pièce que j'ai achetée à Coptos. Les nombreux linceuls brodés
et garnis de bandes en tapisserie, qu'on a découverts
récemment au Fayoum et près d'Akhmîm, proviennent
presque tous de tombes coptes et relèvent, par conséquent,
de l'art byzantin plus que de l'art égyptien.
3.--LES MÉTAUX.
On partageait les métaux en deux groupes, séparés
par la mention de quelques espèces de pierres précieuses,
comme le lapis-lazuli et la malachite: celui
des métaux nobles, l'or, l'électrum, l'argent; celui des
métaux vils, le cuivre, le fer, le plomb, auquel on joignit
plus *** l'étain.
Le fer était réservé aux armes et aux outils de fatigue,
ciseaux de sculpteur et de maçon, tranchants de
hache ou d'herminette, lames de couteaux ou de scies.
Le plomb ne servait guère. On en incrustait parfois
les battants de portes des temples, des coffrets, des
meubles, et on en fabriquait de petites statues de divinités,
surtout des Osiris ou des Anubis. Le cuivre pur
était trop mou pour résister à l'usage courant: le
bronze était le métal favori des Égyptiens. Il n'est
pas vrai qu'ils aient réussi, comme on l'a dit souvent,
à lui procurer par la trempe la dureté du fer ou
de l'acier, mais ils ont su en obtenir des qualités très
différentes, en variant les éléments et les proportions de
l'alliage. La plupart des objets examinés jusqu'à présent
ont donné les quantités de cuivre et d'étain employées
aujourd'hui encore à la fabrication du bronze commun. Ceux que Vauquelin étudia, en 1825, renfermaient
84 pour 100 de cuivre, 14 d'étain, 1 de fer et d'autres
matières. Un ciseau, rapporté d'Égypte par Wilkinson,
ne contenait que 5,9 pour 100 d'étain, 0,1 de fer
et 94 de cuivre. Des débris de statuettes et de miroirs,
analysés plus récemment, ont rendu une quantité notable
d'or ou d'argent, et correspondent aux airains
de Corinthe. D'autres ont la teinte et la composition
du laiton. Beaucoup des plus soignés résistent d'une
manière étonnante à l'humidité, et s'oxydent très difficilement;
on les frottait encore chauds d'un vernis
résineux, qui en remplissait les pores et laissait à la surface
une patine inaltérable. Chaque espèce avait son
emploi: le bronze ordinaire pour les armes et pour
les amulettes communs, les alliages analogues au laiton
pour les ustensiles de ménage, les bronzes d'or et
d'argent pour les miroirs, les armes de prix, les statuettes
de luxe. Aucun des tableaux que j'ai vus dans
les tombes ne représente la fonte et le travail du bronze,
mais l'examen des objets eux-mêmes supplée à ce défaut
des monuments figurés. Les outils, les armes, les
anneaux, les vases à bon marché étaient partie forgés,
partie coulés d'un seul coup dans des moules en terre
réfractaire ou en pierre. Tout ce qui était oeuvre d'art
était coulé en un ou plusieurs morceaux, selon les cas,
puis les pièces ajustées, soudées et retouchées au burin.
Le procédé le plus fréquemment employé était celui
de la fonte au carton: un noyau de sable ou de terre
mêlée de charbon pilé était introduit dans le moule, et
le modelé du dehors se répétait grossièrement au dedans.
La couche de métal était souvent si mince qu'elle
aurait cédé à une pression un peu forte si on n'avait pris
la précaution de la consolider en laissant le noyau en
place pour lui servir de soutien.
La plupart des ustensiles domestiques et des petits
instruments du ménage étaient en bronze. On les rencontre
par milliers en original dans
nos musées, en figure sur les peintures
et les bas-reliefs. L'art et le métier n'étaient
pas incompatibles en Égypte, et
le chaudronnier lui-même s'efforçait de
prêter à ses oeuvres les plus humbles
une forme élégante et des ornements
de bon goût. La marmite où le cuisinier de Ramsès III
composait ses chefs-d'oeuvre est supportée par des pieds
de lion. Telle bouilloire semble ne différer en rien de
la
bouilloire moderne (Fig.267), mais examinez-la de
près: l'anse est une fleur de papyrus épanouie, dont les pétales, inclinés sur
la tige, s'appuient au rebord du goulot
(Fig.268). Le manche des couteaux ou
des cuillers est presque toujours un
cou de canard ou d'oie recourbé; le
bol est parfois un animal, une gazelle
liée comme les bêtes offertes en sacrifice (Fig.269). Un
petit chacal est accroupi sur la poignée d'un sabre.
Une paire de ciseaux du musée de Boulaq a, pour
branche principale, un captif asiatique, les bras liés derrière
le dos. Tel miroir est une feuille de lotus découpée:
la queue sert de manche. Telle boîte à parfums est
un poisson, telle autre un oiseau, telle autre un dieu
grotesque. Les vases à eau lustrale, que les prêtres et les prêtresses portaient à la main pour asperger les
fidèles ou le terrain sur lequel défilaient les processions, méritent une place
particulière dans l'estime des connaisseurs. Ils sont pointus ou ovoïdes par le bout,
et décorés de tableaux au trait ou en relief.
Tantôt ce sont des images de dieux, chacune
dans un cadre; tantôt c'est une scène d'adoration.
Le travail en est ordinairement très fin.
La statuaire s'était de bonne heure emparée
du bronze: malheureusement, aucune ne
nous a été conservée de ces idoles qui remplissaient
les temples de l'ancien empire.
Quoi qu'on en ait dit, nous ne possédons
point de statuettes en bronze qui soient antérieures
à l'expulsion des Hyksos. Quelques-unes
des figures qui proviennent de Thèbes
sont bien certainement de la XVIIIe et de la
XIXe dynastie: la tête de lion
ciselée qui était avec les bijoux
de la reine Ahhotpou, l'Harpocrate
de Boulaq, qui porte le
prénom de Kamos et le nom
d'Ahmos Ier, plusieurs Ammon
du même musée, qu'on dit avoir
été découverts à Médinét-Habou
et à Shéikh Abd-el-Gournah.
Les pièces les plus importantes appartiennent à
la XXIIe dynastie, ou lui sont postérieures et contemporaines
des Pharaons saïtes; beaucoup ne remontent
pas plus haut que les premiers Ptolémées. Un fragment
qui est en la possession du comte Stroganoff, et qui a été recueilli dans les ruines de Tanis, faisait partie
d'une statue votive du roi Pétoukhânou. Elle était exécutée
aux deux tiers au
moins de la grandeur naturelle,
et c'est le morceau le
plus considérable que nous
ayons jusqu'à présent. Le
portrait de la dame Takoushit,
donné par M. Démétrio
au musée d'Athènes,
les quatre figures de la collection
Posno, aujourd'hui
au Louvre, le génie agenouillé
de Boulaq, sont originaires
de Bubastis et datent
probablement des années
qui précédèrent l'avènement
de Psamitik Ier. La dame
Takoushit est debout, le
pied en avant, le bras droit
pendant, le bras gauche replié
et ramené contre la
poitrine (Fig.270).
Elle est vêtue d'une
robe courte, brodée de
scènes religieuses, et
a des bracelets aux
bras et aux mains.
La
perruque à mèches carrées, régulièrement étagées, lui
emboîte la tête. Le détail des étoffes et des bijoux est
dessiné en creux, au trait, à la surface du bronze, et relevé d'un fil d'argent. La face est un portrait et
semble indiquer une femme d'âge mûr. Le corps est,
selon la tradition des écoles égyptiennes, un corps de
jeune fille, élancé,
ferme et souple. Le
cuivre est mêlé fortement
d'or et a des
reflets doux, qui se
marient de la manière
la plus heureuse
avec le riche
décor de la broderie.
Autant l'aspect en est
fin et harmonieux,
autant celui du génie
agenouillé de
Boulaq est rude et
heurté. Il a la tête
d'épervier et adore le
soleil levant, comme
c'est le devoir des
génies d'Héliopolis;
son bras droit est
levé en l'air, son
bras gauche se serre
contre la poitrine.
Le style de l'ensemble est sec, et le grenu de l'épiderme
augmente encore l'impression de dureté; mais
le mouvement est juste, énergique, et le masque d'oiseau
s'ajuste au buste d'homme avec une sûreté surprenante.
Les mêmes qualités et les mêmes défauts se retrouvent sur l'Hor de la collection Posno (Fig.271).
Debout, les bras lancés en avant, à hauteur de la tête,
il soulève le vase à libations et en verse le contenu
sur un roi jadis placé devant lui. La rudesse est moins
sensible dans les trois autres figures,
surtout dans celle qui porte le
nom de Mosou gravé à la pointe sur
la poitrine, à l'endroit du coeur
(Fig.272). Elle est debout, comme
Hor, le pied gauche en avant, le
bras gauche tombant près de la
cuisse. La main droite, relevée à la
hauteur du sein, tenait le bâton de
commandement. Le torse est nu,
les reins sont ceints du pagne rayé,
dont la pointe retombe carrément
entre les deux cuisses. La tête est
coiffée de la perruque courte, à
petites mèches fines, imbriquées
l'une sur l'autre. L'oreille est ronde
et grande. Les yeux, bien ouverts,
étaient sertis d'argent et ont été volés
par quelque fellah.
Les traits
ont une expression remarquable
de hauteur et de fermeté. Que
dire, après cela, des milliers d'Osiris, d'Isis, de Nephthys,
d'Hor, de Nofirtoum, qu'on a retirés du sable
et des décombres à Saqqarah, à Bubaste et dans toutes
les villes du Delta? Beaucoup, sans doute, sont de charmants
morceaux de vitrine et se recommandent par la
perfection de la fonte ou par la délicatesse du travail; mais la plupart sont des objets de commerce, fabriqués
pendant des siècles sur les mêmes modèles, et peut-être
dans les mêmes moules, pour l'édification des dévots et
des pèlerins. Ils sont mous, vulgaires, sans originalité,
et ne se distinguent non plus les uns des autres que
les milliers de figurines coloriées, dont nos marchands
d'objets de sainteté encombrent leurs étalages.
Seules, les images d'animaux, les béliers, les
sphinx, les lions surtout, gardèrent jusqu'à la fin un
cachet d'individualité des plus prononcés. Les Égyptiens
avaient pour les félins une prédilection particulière:
ils ont représenté le lion dans toutes les attitudes,
chassant l'antilope, se ruant sur les chasseurs,
blessé et se retournant pour mordre sa blessure, au repos
et couché d'un calme dédaigneux, et nul peuple
ne l'a rendu avec pareille connaissance de ses habitudes
ni avec pareille intensité de vie. Plusieurs dieux
et plusieurs déesses, Shou, Anhouri, Bastît, Sokhit,
Tafnout, avaient forme de lion ou de chat, et comme le culte en était plus populaire dans le Delta
que partout ailleurs, il ne se passe guère d'années où
l'on ne déterre, au milieu des ruines de Bubastis, de Tanis,
de Mendès ou de quelque ville moins célèbre, de
véritables dépôts où les figurines de lion ou de lionne,
de femmes ou d'hommes à têtes de lion et de chat, se
comptent par milliers. Les chats de Bubaste et les lions
de Tell-es-sebâ remplissent nos musées. Les lions
d'Horbaït peuvent compter parmi les chefs-d'oeuvre de
la statuaire égyptienne. Le nom d'Apriès est inscrit sur
le plus grand d'entre eux (Fig.273), mais ce témoignage
précis nous manquerait, que les caractères du morceau
nous ramèneraient invinciblement à l'époque saïte. Il
faisait partie des pièces qui composaient l'ornementation
d'une porte de temple ou de naos, et la face postérieure
en était engagée dans un mur ou dans une
pièce de bois. Il est pris au piège, ou couché dans une
cage oblongue, d'où ne sortent que la tête et les pattes
de devant. Les lignes du corps sont simples et puissantes,
l'expression de la face calme et forte. Il égale
presque par l'ampleur et la majesté les beaux lions
en calcaire d'Amenhotpou III.
L'idée d'appliquer l'or et les métaux nobles sur le
bronze, sur la pierre ou sur le bois, était déjà ancienne
en Égypte, au temps de Khéops. L'or est très souvent
mêlé d'argent à l'état naturel; quand il en renfermait
20 pour 100, il changeait de nom et s'appelait électrum
(asimou). L'électrum a une belle teinte jaune clair. Il
pâlit à mesure que la proportion augmente: à 60 pour
100, il est presque blanc. L'argent venait surtout d'Asie
en anneaux, en plaques ou en briquettes d'un poids déterminé. L'or et l'électrum arrivaient partie de Syrie,
en briques et en anneaux, partie du Soudan, en pépites
ou en poudre. L'affinage et la fonte sont figurés sur les
monuments des anciennes dynasties. Un bas-relief de
Saqqarah nous montre la pesée de l'or confié à l'ouvrier
qui doit le travailler; un autre, de Béni-Hassan, le
lavage et la mise au feu du minerai; un autre, de
Thèbes, l'orfèvre assis devant
son creuset, le chalumeau à la
bouche pour attiser la flamme,
et la pince à la main droite, prêt
à saisir le lingot (fig.274). Les
Égyptiens ne frappaient ni monnaies
ni médailles.
A cela près,
ils tiraient le même parti que
nous des métaux précieux. Comme nous dorons les
croix et les coupoles des églises, ils recouvraient d'or
les portes des temples, le soubassement des murs, les
bas-reliefs, les pyramidions d'obélisque, les obélisques
entiers. Ceux de la reine Hatshepsitou à Karnak étaient
bardés d'électrum. «On les apercevait des deux rives
du Nil, et ils inondaient les deux Égyptes de leurs
reflets éblouissants, quand le soleil se levait entre
eux, comme il se lève à l'horizon du ciel.» C'étaient
des lames forgées à grands coups de marteau sur
l'enclume. Pour les objets de petite dimension, on se
servait de pellicules, battues entre deux morceaux de
parchemin. Le musée du Louvre possède un véritable
livret de doreur, et les feuilles qu'il renferme sont
aussi fines que celles des orfèvres allemands au siècle
passé. On les fixait sur le bronze au moyen d'un
mordant ammoniacal. S'il s'agissait de quelque statuette
en bois, on commençait par coller une toile fine ou par
déposer une mince couche de plâtre, et l'on appliquait
l'or ou l'argent par-dessus ce premier enduit. Il est
question de statues en bois doré de Thot, d'Hor, de
Nofirtoum, dès le temps de Khéops. Le seul temple
d'Isis, dame de la pyramide, en renfermait une douzaine,
et ce n'était pas l'un des plus grands dans la
nécropole memphite. Les temples de Thèbes paraissent
en avoir possédé des centaines, au moins sous les dynasties
conquérantes du nouvel empire, et les sanctuaires
ptolémaïques ne le cédaient pas en cela aux thébains.
Le bronze et le bois doré ne suffisaient pas toujours
aux dieux: c'était de l'or massif qu'il leur fallait et on
leur en donnait le plus possible. Les rois de l'ancien et
du moyen empire leur dédiaient déjà des statues taillées
en plein dans les métaux précieux. Les pharaons de la
XVIIIe et de la XIXe dynastie, qui puisaient presque à
volonté dans les trésors de l'Asie, renchérirent sur ce
qu'avaient fait leurs prédécesseurs. Même quand la
décadence fut venue, on vit de simples seigneurs féodaux
continuer la tradition des grands règnes, et, comme
Montoumhît, prince de Thèbes, remplacer les images
en or et en argent, que les généraux d'Ashshourbanipal
avaient enlevées à Karnak, pendant les invasions assyriennes.
La quantité de métal ainsi consacrée au service
de la divinité était
considérable. Si on y trouvait beaucoup
de figures hautes de quelques centimètres à peine,
on en trouvait beaucoup aussi qui mesuraient trois
coudées et plus. Il y en avait d'un seul métal, or ou
argent;
il y en avait qui étaient partie en or, partie en argent; il y en avait enfin qui se rapprochaient de la statuaire
chryséléphantine des Grecs, et où l'or se combinait
avec l'ivoire sculpté, avec l'ébène, avec les pierres
précieuses. Ce qu'elles étaient, on le sait très exactement,
et par les représentations qui en existent un peu partout,
à Karnak, à Médinét-Habou, à Dendérah, dans
les tombes, et par les statues de calcaire et de bois: la
matière avait beau changer, le style ne variait pas.
Rien n'est plus périssable que de pareilles oeuvres; la
valeur même des matériaux qui les composent les condamne
sûrement à la destruction. Ce que les guerres
civiles, les invasions étrangères, la rapacité des pharaons
et des gouverneurs romains avait épargné, devint la proie des
chrétiens. Quelques statuettes mignonnes,
placées sur les momies en guise d'amulettes, quelques
figures, adorées comme divinités domestiques et égarées
dans les ruines des maisons, quelques ex-voto,
oubliés dans le coin obscur d'un temple, sont parvenus
jusqu'à nous. Le Phtah et l'Ammon de la reine
Ahhotpou, un autre Ammon en or de Boulaq et le vautour
en argent découvert à
Médinét-Habou vers 1885, sont les seules pièces de ce genre attribuées certainement
à la grande époque. Le reste est saïte ou ptolémaïque
et ne se recommande point par la perfection du
travail. La vaisselle que renfermaient les temples et
les maisons n'a pas eu meilleure chance que les statues.
Le Louvre a acquis, au commencement du siècle,
des coupes à fond plat que Thoutmos III donna
à l'un de ses généraux, Thoutii, en récompense
de sa bravoure. La coupe d'argent est très mutilée,
la coupe d'or est intacte et d'un fort joli dessin (fig.275). Les parois latérales sont ornées d'une légende
hiéroglyphique. On a gravé au fond une rosace,
autour de laquelle circulent six poissons. Une
bordure de
fleurs de lotus,
reliées par une
ligne courbe,
tourne autour
du sujet principal.
Les
cinq vases de
Thmouïs, conservés
à Boulaq,
sont en argent.
Ils faisaient partie
du mobilier
sacré, et avaient été enfouis dans une cachette, où ils
sont demeurés jusqu'à nos jours. Rien n'indique leur
âge; mais, qu'ils soient de
l'époque grecque ou de l'époque
thébaine, la facture est
purement égyptienne. Il ne
reste plus de l'un d'eux que
le couvercle avec une poignée
formée de deux fleurs réunies
par la tige. Les autres sont
intacts et décorés au repoussé
de boutons de lotus et de lotus
épanouis (Fig.276). Le galbe en est élégant et simple,
l'ornementation sobre et légère, le relief très fin; l'un
d'eux est pourtant entouré d'une ceinture d'oves assez fortes (Fig.277), dont la saillie altère un peu les contours
de la panse. Ce sont là des pièces intéressantes;
mais le nombre en est si restreint, que nous aurions
une idée très incomplète de l'orfèvrerie égyptienne
si les représentations figurées ne venaient à notre
aide. Les pharaons n'avaient pas
comme nous la ressource de jeter
dans la circulation, sous forme
de monnaie, l'or et l'argent qu'ils
recevaient des peuples vaincus.
La part des dieux prélevée, ils
n'avaient d'autre alternative que
de fondre en lingots, ou de changer
en vaisselle et en bijoux ce qui leur revenait du
butin. Ce qui était vrai des rois l'était encore plus des
particuliers, et, pendant six ou huit siècles au moins,
à partir d'Ahmos Ier, le goût de l'argenterie fut poussé
jusqu'à l'extravagance.
Toutes les maisons possédaient
non seulement ce qu'il
fallait pour le service de la
table, plats, aiguières à pied,
coupes, gobelets, paniers sur
lesquels on gravait au trait
des figures d'animaux fantastiques
(fig.278), mais de grands vases décoratifs
qu'on remplissait de fleurs,
ou qu'on étalait sous les yeux
des convives les jours de gala. Certains d'entre eux
étaient d'une richesse extraordinaire. Ici, c'est une
coupe dont les anses sont deux boutons de papyrus,
et le pied un papyrus épanoui; deux esclaves asiatiques ou qu'on étalait sous les yeux
des convives les jours de gala. Certains d'entre eux
étaient d'une richesse extraordinaire. Ici, c'est une
coupe dont les anses sont deux boutons de papyrus,
et le pied un papyrus épanoui; deux esclaves asiatiques allongé, se dresse au milieu des arbres. Évidemment
les ouvriers qui ont exécuté ce travail tenaient
moins à l'élégance et à la beauté qu'à
la richesse et à l'effet. Ils se souciaient peu
que l'ensemble fût lourd et de mauvais
goût, pourvu qu'on admirât leur habileté, et
la quantité de métal qu'ils avaient réussi à
employer. D'autres surtout du même genre,
présentées à Ramsès II, dans le temple
d'Ipsamboul, remplacent les girafes par des
buffles courant à travers les palmiers.
C'étaient de vrais joujous d'orfèvrerie
analogues à ceux que les empereurs
byzantins du IXe siècle avaient dans
leur palais de la Magnaure, et qu'ils
étalaient les jours de réception pour
donner aux étrangers une haute idée
de leur puissance et de leur richesse.
On les voyait défiler avec les prisonniers,
dans le cortège triomphal de
Pharaon, lorsqu'il revenait victorieux
de ses guerres lointaines. Les vases
d'usage journalier
étaient plus légers
et moins chargés
d'ornements incommodes.
Les deux léopards
qui servent
d'anse à un cratère
du temps de Thoutmos
III (Fig.284) ne sont pas bien proportionnés et se combinent mal avec les rondeurs de la panse, mais
les coupes (Fig.285) et l'aiguière (Fig.286) sont d'une
ordonnance heureuse et d'un contour
assez pur. Ces vases d'or et d'argent
ciselé, travaillés au repoussé, et dont
quelques-uns offrent des scènes de
chasse ou de guerre disposées par
zones, furent imités en Phénicie, et
les contrefaçons, expédiées en Asie
Mineure, en Grèce, en Italie,
y transportèrent
plusieurs des formes et des
motifs de l'orfèvrerie égyptienne. La passion des métaux
précieux était poussée si
loin sous les Ramessides, qu'on
ne se contenta plus de les employer
au service de la table.
Ramsès II et Ramsès III avaient
des trônes en or, non point plaqués
sur bois, comme en avaient
eu leurs prédécesseurs, mais massifs et garnis de pierreries.
Tout cela avait trop de prix
pour durer et disparut à la première
occasion; la valeur artistique ne
répondait pas d'ailleurs à la valeur
vénale, et la perte n'est pas de celles
dont on ne saurait se consoler.
Les Orientaux, hommes et
femmes, sont grands amateurs de bijoux. Les Égyptiens
ne faisaient pas exception à la règle. Non contents
de s'en parer à profusion pendant la vie, ils en
chargeaient les bras, les doigts, le cou, les oreilles, le front, les chevilles de leurs morts. La
quantité qu'ils enfouissaient ainsi dans les tombeaux était si considérable,
qu'après trente siècles de fouilles actives, on
découvre encore, de temps en temps, des momies qui
sont, pour ainsi dire, cuirassées d'or. Beaucoup de ces
bijoux funéraires n'étaient que des ornements de parade,
fabriqués pour le jour des funérailles, et dont
l'exécution se ressent de l'usage auquel ils étaient
destinés.
On ne se privait pas pourtant d'enterrer avec les morts les bijoux qu'ils
avaient préférés de leur vivant, et ceux-là
sont traités avec un soin qui ne laisse
rien à désirer. Les bagues et les chaînes
nous sont arrivées en très grand nombre,
et cela n'a rien que de naturel. En effet, la bague n'était
pas comme chez nous un simple ornement, mais un
objet de première nécessité; on scellait les pièces officielles
au lieu de les signer, et le cachet faisait foi en
justice. Chaque Égyptien avait donc le sien, qu'il portait
constamment sur lui afin d'en user en cas de besoin.
C'était, pour les pauvres, un simple anneau en cuivre
ou en argent, pour les riches, un bijou de modèle
plus ou moins compliqué, chargé de ciselures et d'ornements
en relief. Le chaton mobile tournait sur un
pivot. Il était souvent incrusté d'une pierre avec la
devise ou l'emblème choisi par le propriétaire, un
scorpion (Fig.287), un lion, un épervier, un cynocéphale.
Les chaînes étaient pour l'Égyptienne ce que
la bague était pour son mari, l'ornement par excellence.
J'en ai vu une en argent qui mesurait plus d'un mètre
cinquante de long. D'autres, au contraire, ont à peine cinq ou six centimètres. Il y en a de tous les modules,
à tresse double ou triple, à gros anneaux, à petits anneaux,
les unes massives et pesantes, les autres aussi
légères et aussi flexibles que le plus mince jaseron de
Venise. La moindre paysanne pouvait avoir la sienne,
comme les dames du plus haut rang; mais il fallait que
la femme fût bien pauvre dont l'écrin ne contenait rien
d'autre. Bracelets, diadèmes, colliers,
cornes, insignes de commandement,
aucune énumération n'est assez complète
pour donner une idée du nombre
et de la variété des bijoux qu'on connaît,
soit par la représentation figurée,
soit
en original. Berlin a la parure
d'une Candace éthiopienne, le Louvre,
celle du prince Psar, Boulaq celle de
la reine Ahhotpou, la plus complète
de toutes. Ahhotpou était femme de
Kamos, roi de la XVIIe dynastie et
peut-être mère d'Ahmos Ier. Sa momie
avait été enlevée par une des
bandes de
voleurs qui exploitaient la nécropole thébaine,
vers la fin de la XXe dynastie. Enfouie par
eux, en attendant qu'ils eussent le loisir de la dépouiller
en sûreté, il est probable qu'ils furent pris
et mis à mort, avant d'avoir pu exécuter ce beau dessein.
Le secret de leur cachette périt avec eux et ne fut
découvert qu'en 1860, par les fouilleurs arabes. La plupart
des objets que la reine avait emportés dans l'autre
monde sont des bijoux de femme, un manche d'éventail
lamé d'or, un miroir de bronze
doré, à poignée en ébène, garnie d'un lotus d'or ciselé (Fig.288). Les bracelets
appartiennent à plusieurs types divers. Les uns étaient
destinés à garnir la cheville et le haut du bras, et sont
de simples anneaux en or, massifs ou creux, ourlés
de chaînettes en fils d'or tressés, imitant le filigrane.
Les autres se portent au
poignet, comme les bracelets
de nos femmes, et
sont formés de perles en
or, en lapis-lazuli, en cornaline,
en feldspath vert,
montées sur des fils d'or
et disposées en carré, dont
chaque moitié est d'une
couleur différente. La fermeture
consiste en deux
lames d'or, réunies par une aiguillette également en
or: les cartouches d'Ahmos Ier y sont gravés légèrement
à la pointe. C'est également au Pharaon Ahmos Ier
qu'appartenait un beau bracelet d'arc (fig.289), dont la facture rappelle un peu les procédés usités
dans la fabrication des émaux cloisonnés. Ahmos est
agenouillé devant
le dieu Sibou et ses acolytes, les génies
de Sop et de Khonou. Les figures et les hiéroglyphes
sont levés en plein sur une plaque d'or; et
ciselés délicatement au burin. Le champ est rempli de
pièces de pâte bleue et de lapis-lazuli taillées artistement.
Un bracelet de travail
plus compliqué, mais
moins fin, était passé
au poignet de la reine
(Fig.290). Il est en or
massif et formé de trois
bandes parallèles, garnies
de turquoises. Sur le devant,
un vautour déploie
ses ailes, dont les plumes
sont composées d'émaux verts, de lapis-lazuli et de
cornaline, enchâssés dans des cloisons d'or. Les cheveux
étaient engagés dans un diadème d'or massif, à peine
aussi large qu'un bracelet. Le nom d'Ahmos
est incrusté
en pâte bleue sur une plaque oblongue, adhérente
au cercle: deux petits sphinx en relief, posés de
chaque côté, ont l'air de veiller sur lui (fig.291). Une
grosse chaîne d'or flexible était
enroulée autour du
cou: elle est terminée par deux têtes d'oie recourbées, qu'on liait au moyen d'une ficelle, quand on
voulait fermer le collier. Le scarabée qui lui sert
de pendeloque a le corselet et les élytres en pâte de
verre bleue, rayée d'or, les pâtes et le corps en or
massif. La parure de la poitrine était complétée par un large collier du genre de ceux qu'on appelait
Ouoskh (fig.292). Il a pour agrafes-deux têtes
d'épervier
en or, dont les détails étaient relevés d'émail
bleu. Les rangs sont composés de cordes, enroulées, de fleurs à quatre
pétales en croix,
d'antilopes poursuivies
par des
tigres, de chacals
accroupis, d'éperviers,
de vautours
et d'uraeus ailées,
le tout en or repoussé,
et cousu
sur le linceul au
moyen d'un petit
anneau soudé
derrière chaque figure. Au-dessous, pendait sur la poitrine
une de ces pièces carrées qu'on appelle un pectoral (Fig.293).
La forme générale est d'un naos. Ahmos, debout dans une barque entre Ammon et Râ,
reçoit, sur la tête et sur le corps, l'eau qui doit le purifier.
Deux éperviers planent, à droite et à
gauche du roi, au-dessus des dieux. La
silhouette des figures est dessinée par des
cloisons d'or; le corps était rendu par
des plaquettes de pierre et d'émail, dont
beaucoup sont tombées. Le morceau est
un peu lourd, et l'usage ne s'en comprend
guère si on l'isole du reste de la parure.
Pour juger sainement l'effet qu'il
produisait, on doit se rappeler ce qu'était
le vêtement des femmes égyptiennes: une
sorte de fourreau d'étoffe semi-transparente,
qui s'arrêtait au-dessous des seins
et les laissait saillir librement. Le haut de
la poitrine et du dos, les épaules, le cou
étaient à découvert, sauf une paire de bretelles
étroites qui maintenaient le fourreau
et l'empêchaient de glisser. Les femmes
riches habillaient cette nudité de bijoux. Le
collier voilait à moitié les épaules et le
haut de la poitrine. Le pectoral masquait
le sillon qui se creuse entre les seins. Les
seins eux-mêmes étaient parfois emboîtés
chacun dans une sorte de coupe d'or
émaillé ou peint, qui en épousait exactement
les contours. A côté de ces bijoux,
des armes et des amulettes étaient entassés
pêle-mêle: trois grosses
mouches d'or massif suspendues
à une chaînette mince, neuf petites haches, trois en or, six en argent, une tête de lion en or d'un
travail minutieux, un sceptre en bois noir enroulé
d'or, des anneaux de jambes, des poignards. L'un d'eux
(Fig.294), enfermé dans une gaine d'or, avait un manche
en bois, décoré de triangles en cornaline, en lapis-lazuli,
en feldspath et en or. Pour pommeau,
quatre têtes de femme en or
repoussé; une tête de taureau renversée,
en or, dissimule la soudure de
la lame au manche. Le pourtour de
la lame est en or massif, le corps en
bronze noir, damasquiné. Sur la
face supérieure, au-dessous du prénom
d'Ahmos, un lion poursuit un
taureau, en présence de quatre grosses
sauterelles alignées; sur la face inférieure,
le nom d'Ahmos et quinze
fleurs épanouies, qui sortent l'une
de l'autre et vont se perdant vers la
pointe. Un poignard, découvert à
Mycènes par M. Schliemann, présente
un système de décoration analogue;
les Phéniciens, qui copiaient assidûment
les modèles égyptiens, ont
probablement transporté celui-là en Grèce. Le second
poignard de la reine (Fig.295) a une forme qu'il n'est
pas rare de rencontrer aujourd'hui encore dans la
Perse et dans l'Inde. C'est une lame en bronze jaunâtre
très lourd, emmanchée d'un disque en argent. Pour s'en
servir, on appuyait le pommeau lenticulaire dans le
creux de la main, et l'on passait la lame entre l'index et le médius. On se demandera quel besoin une femme,
et une femme morte, avait de tant d'armes. L'autre monde
était peuplé d'ennemis
contre lesquels on
devait lutter sans relâche,
génies typhoniens,
serpents, scorpions
gigantesques,
tortues, monstres de toute sorte. Les
poignards qu'on enfermait au cercueil
avec la momie aidaient l'âme à se
protéger, et comme ils n'étaient
utiles
que pour la lutte corps à corps, on avait
ajouté quelques armes de jet, des arcs,
des boumerangs en bois dur et une
hache de guerre. Le manche est en
bois de cèdre revêtu d'une feuille d'or
(fig.296). La légende d'Ahmos y est
écrite en caractères de lapis-lazuli, de
cornaline, de
turquoise et de feldspath
vert. Le tranchant est saisi dans une
entaille du bois et maintenu en place
par un treillis de fils d'or. Il est en
bronze noir et a été doré. L'une des
deux faces montre des lotus sur fond
d'or, l'autre Ahmos frappant un barbare
à moitié renversé, qu'il tient aux
cheveux. Au-dessous, le dieu de la
guerre, Montou Thébain, est représenté
par un griffon à tête d'aigle. Deux barques
en argent et en or simulaient la barque sur laquelle la momie traversait le fleuve, pour se rendre à sa dernière
demeure et naviguer à la suite des dieux sur la mer d'Occident.
La barque en argent était posée sur un chariot de
bois à quatre roues en bronze; comme elle était en
assez mauvais état, on l'a démontée et remplacée par
la barque en or (fig.297). La coque est légère et
allongée: les façons de l'avant et de l'arrière sont relevées
et se terminent par des bouquets de
papyrus gracieusement recourbés. Deux estrades, entourées de
balustrades à panneaux pleins, se dressent
à la proue et à la poupe, en guise de châteaux
gaillards. Le pilote d'avant est debout
dans la première, le timonier se tient
devant la seconde et manie la rame à large
palette qui remplissait l'office de notre
gouvernail. Douze rameurs d'argent massif
voguent sous les ordres de ces deux officiers. Au
centre, Kamos est assis, la hache et le sceptre à la
main. Voilà ce qu'il y avait sur une seule momie;
encore n'ai-je énuméré que les objets les plus remarquables.
La technique en est irréprochable, et la sûreté
du goût n'est pas moindre chez l'ouvrier que la dextérité de la main. L'art de l'orfèvre, parvenu au degré
de perfection dont témoigne l'écrin d'Ahhotpou, ne s'y
maintint pas longtemps. Les modes changèrent, la forme
des bijoux s'alourdit. La bague de Ramsès II au Louvre,
avec ses chevaux posés debout sur le chaton (Fig.298),
le bracelet du prince
Psar (fig.299), avec ses griffons et
ses lotus en émail cloisonné, sont d'un dessin moins
heureux que les bracelets d'Ahmos. Celui qui les a
exécutés était, sans contredit, aussi habile que les
orfèvres de la reine Ahhotpou; mais il avait le goût
moins fin et l'esprit moins inventif. Ramsès II était
condamné, ou bien à ne jamais porter sa bague, ou bien
à voir les petits chevaux qui l'ornaient, s'écraser et
tomber au moindre choc. La décadence, déjà sensible
sous la XIXe dynastie, s'accentue à mesure que nous
nous rapprochons de l'ère chrétienne. Les boucles
d'oreilles de Ramsès IX, au musée de Boulaq, sont un
composé disgracieux de disques chargés de filigrane,
de chaînettes, d'uraeus pendants; comme aucune
oreille humaine n'aurait pu en porter le poids sans
s'allonger outre mesure ou sans se déchirer, on les
accrochait à la perruque de chaque côté de la tête. Les
bracelets du grand-prêtre Pinotmou III, recueillis sur sa
momie, sont de simples anneaux en or, ronds, incrustés
de verre coloré et de cornaline, semblables à ceux qu'on
fabrique encore aujourd'hui chez les noirs du Soudan.
L'invasion des Grecs modifia d'abord les procédés
de l'orfèvrerie égyptienne, puis substitua peu à peu
ses types aux types indigènes. L'écrin de la reine
éthiopienne que Ferlini vendit au musée de Berlin
contenait, à côté de bijoux qu'on aurait pu
attribuer sans peine à l'époque pharaonique, des bijoux de style
mixte où l'influence hellénique est nettement reconnaissable.
Les trésors découverts, en 1878, à Zagazig,
en 1881, à Qénèh, en 1882, à Damanhour, étaient composés
entièrement d'objets dont la facture n'a plus rien
d'égyptien, épingles à cheveux surmontées d'une statuette
de Vénus, boucles de ceinture, agrafes pour
péplum, bagues et bracelets ornés de camées, coffrets
flanqués aux quatre coins de colonnettes ioniques.
Les vieux modèles étaient encore recherchés dans les
campagnes, et les orfèvres de village conservaient tant
bien que mal la tradition antique: les orfèvres de ville
ne savaient plus que copier lourdement les modèles
grecs et romains.
Cette revue rapide de ce qu'ont produit les arts
industriels présente bien des lacunes. J'ai dû me borner
à citer ce que renferment les collections les plus connues;
que ne trouverait-on pas si l'on pouvait visiter à loisir nos musées de province et recueillir ce que le
hasard des ventes a dispersé dans les collections particulières!
La diversité des petits monuments de l'industrie
égyptienne est infinie et l'étude méthodique en
reste encore à faire: elle promet plus d'une surprise à
qui voudra la tenter.
FIN
TABLE
CHAPITRE I.
L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE
1. Les maisons
2. Les forteresses
3. Les travaux d'utilité publique
CHAPITRE II.
L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE
1. Matériaux et éléments de la construction
2. Le temple
3. La décoration
CHAPITRE III.
LES TOMBEAUX
1. Les mastabas
2. Les pyramides
3. Les tombes de l'Empire thébain; les hypogées
CHAPITRE IV
LA PEINTURE ET LA SCULPTURE
1. Le dessin et la composition
2. Les procédés techniques
3. Les oeuvres
CHAPITRE V.
LES ARTS INDUSTRIELS
1. La pierre, la terre et le verre
2. Le bois, l'ivoire, le cuir et les matières textiles
3. Les métaux