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La Chine vue de loin...
..belle, exotique et mystérieuse...
Chine paisible, religieuse et priante,
..honorant ses ancêtres...
..raffinée et subtile,
..éprise d'esthétique,
..respect des formes dans l'art et dans la vie courante...
Chine profonde et paysanne,
..un milliard d’hommes et de femmes
refaisant les mêmes gestes depuis 5.000 ans.
Chine laborieuse,
..coulant dans le temps, restée elle-même à travers sa longue histoire
et qui prépare son avenir.
Chine moderne qui s’active...
..en honorant son passé,
..comme ici à Taiwan au Mausolée des Martyrs.
Dans ce temple sont honorés les héros de la guerre sino-japonaise.
Véritable panthéon,
..il abrite un immense autel couvert de tablettes en bois au nom de ces héros.
Quotidiennement,
quelques centaines d'entre eux reçoivent l’hommage de la nation.
Un seul blanc parmi eux, un Belge, Vincent Lebbe,
..connu ici par son nom chinois de LEI MING YUAN.
Les trois premiers caractères à partir du haut sont ceux de LEI MING YUAN,
le tonnerre qui chante au loin.
Le quatrième et le cinquième rappellent son héroïsme.
Les trois derniers caractères signifient : la place de son âme.
L'ensemble des caractères, lu de bas en haut, veut dire :
« Ceci est pour rendre présent l'esprit du héros que fut LEI MING YUAN ».
Le Pr Chiang Fu Tsung fut directeur de la Bibliothèque Nationale de Chine
..et conservateur du Musée national depuis 1937.
Il est vénéré par tous comme une grande figure du monde culturel chinois.
Pour comprendre la destinée de Vincent Lebbe, il faut remonter au siècle dernier.
La Chine se dénomme « l’Empire du Milieu »
..et elle se voit comme le centre du monde.
Un monde auquel elle se veut supérieure
par la richesse et l'ancienneté de sa culture.
Un exemple parmi d'autres :
en 1844, le chef de la diplomatie chinoise fait rapport à l'empereur dans ces termes :
« Les Barbares anglais ayant été amadoués,
les Barbares français et américains sont aussi venus cette année.
Je les ai traités de façon à les mettre de belle humeur.
Elevés dans des pays étrangers,
..ces Barbares sont incapables de comprendre l'Empire du Milieu ».
Difficile à comprendre, mais bonne à prendre en tout cas.
En effet, le Japon voisin s'empare de la Corée et de Formose.
L’Angleterre impose, par les armes, le commerce de l'***.
Suivent les autres nations d'Occident
..qui s’octroient des concessions dans les grandes villes et les ports.
A genoux devant les canons,
..la Chine impériale et superbe est devenue
un marché que se disputent les Puissances.
Le chemin de fer des blancs consacre cette colonisation.
1900 : c'est la révolte.
Son symbole : un poing fermé, le poing de la Justice.
D'où le nom de révolte des Boxeurs.
Les blancs sont pourchassés
..et les chrétiens chinois sont spécialement visés :
..30.000 d'entre eux sont massacrés.
Réfugiés à Pékin dans les ambassades,
..chrétiens, missionnaires et soldats soutiennent un siège de 40 jours.
Ils sont libérés par un corps expéditionnaire
..envoyé par 7 puissances occidentales.
La position des chrétiens est en effet très équivoque.
En plus des concessions territoriales, commerciales et autres,
..que les nations occidentales ont arrachées à la Chine depuis 50 ans,
..la France
..s'est octroyé le droit de protéger les missionnaires de toutes nationalités.
Dès leur arrivée,
..les missionnaires relèvent du Protectorat français.
Dépendance de l'Eglise par rapport à la France,
..pourtant bien anticléricale à l'intérieur de ses frontières.
Et donc, en cas de litige pour des questions de terrains,
..pour des questions de personnes,
..pour toutes les questions relevant de la sécurité,
..les missionnaires
..pouvaient introduire leur plainte auprès de l’Ambassadeur de France.
Il les protégeait et intervenait auprès des ministères chinois.
Cela ne s'appliquait pas uniquement aux missionnaires français
..mais à ceux de toutes les autres nationalités,
..même si l'Allemagne et l'Italie ont essayé à un moment donné
..de se soustraire à ce protectorat pour l'exercer eux-mêmes.
Par conséquent,
..on peut comprendre, dans le contexte politique de l'époque,
..que ce Protectorat français ait été pratiquement indispensable.
Mais je crois qu'il a entraîné alors des abus...
..une conception abusive da la part de beaucoup de missionnaires
..qui n'ont pas compris qu'ils ne devaient pas coloniser la Chine
et y introduire des éléments de la culture française,
..mais qu'ils devaient au contraire essayer de comprendre la culture chinoise,
..de l'estimer
..et de créer une Eglise Catholique de Chine
..qui soit aussi chinoise que possible.
Et c'est cela l'intuition du Père Lebbe.
« J’accompagnais des missionnaires en promenade au Mei Chang,
..cette colline qui fait partie des jardins impériaux.
Du joli kiosque impérial qui est sur la pointe,
..on voit tout Pékin : c'est ravissant.
Des tours, des pagodes, des toits au nez retroussé dans tous les coins,
..mais, au milieu de cette petite féerie orientale,
..une large plaque blanche détonne, pas joli, franchement pas joli :
..c'est le Petang, le quartier occidental.
Le style et la couleur des maisons,
..la cathédrale surtout, tout cela est volontairement étranger à la Chine. »
Ces mots sont de Vincent Lebbe.
Arrivé en Chine au début de 1901, il souffre que son Eglise soit étrangère.
Très vite, il prend parti pour les Chinois.
Vincent Lebbe est l'aîné de 7 enfants.
Sa famille est très croyante et l'idéal d’honnêteté est poussé très loin.
Durant ses études, passionné par les mouvements de son époque, il écrira :
« Je suis pour les critiques et pour les démocrates.
Notre siècle a deux passions : la justice et la vérité. »
En premier lieu,
..il faut souligner quand même le caractère international de son origine.
Il est né à Gand en 1877
..parce que ses parents, jeunes mariés, étaient à Gand à ce moment-là.
Mais c'était tout à fait accidentel.
En fait la famille s'est établie à Ypres.
Le papa était originaire de Poperinge,
donc une famille flamande d'origine par son père,
..encore que la grand-mère paternelle était française.
D'autre part, la maman, Louise Barrier,
..était de nationalité anglaise, mais d'origine française.
Donc il a une origine très internationale dès le début.
Et il est vrai qu'il va se passionner,
..il va s’ouvrir à la culture française qu'il aimera toujours profondément.
Il dit partir en Chine pour faire aimer Dieu et faire aimer la France,
mais, à peine arrivé, il écrit sur la guerre des Boxeurs :
« 99 % des torts sont du côté des étrangers.
On écrase un peuple parce que sa couleur diffère de la nôtre.
Nos armées laissent après elles
une longue traînée de sang et de fanges immondes. »
Quant à l’Eglise catholique,
..elle compte, en 1900, 750.000 baptisés, 900 missionnaires,
..40 évêques blancs et 470 prêtres chinois.
Ces derniers y exercent peu ou pas de responsabilités.
Lebbe se veut chinois.
Il s'habille à la chinoise et se confectionne une tresse
..avec les cheveux que sa petite soeur lui a envoyés.
« Nous sommes ici, de fait et d'esprit, un corps étranger.
Nos chrétientés sont des demi-colonies.
Nous sommes en dehors du peuple et nous ne pouvons y entrer.
Comme une applique sur un meuble et non comme un levain dans la pâte. »
Et voici Lebbe en pleine campagne.
Les paroisses sont étendues et il est toujours en route,
..heureux de faire connaissance avec le petit peuple.
Heureux surtout de voir les païens se convertir.
L'eau du baptême coule à flot, pourrait-on dire.
Ses progrès rapides dans l'étude de la langue facilitent les contacts.
Il enseigne.
Il est déjà l'orateur qui plus *** va remuer les foules.
Antoine Cotta, son ami de toujours, vient le rejoindre en 1906.
Ils se sont connus durant leur séminaire.
Cotta est d’une grande intelligence.
De père égyptien et de mère autrichienne,
il est de quelques années, l'aîné de Lebbe.
Le Père Lebbe, il se fait ami avec tous :
les paysans, les pauvres, les ouvriers, les étudiants, les intellectuels…
Avec son amitié, son comportement, il gagne le coeur des Chinois.
Le Chinois, quand il se sent respecté, il respecte les autres.
Et, pour exprimer sa reconnaissance,
..il va recevoir ce que les autres peuvent lui donner.
Le Père Lebbe, ce qu'il a,
..c’est l'Evangile, la Bonne Nouvelle, Jésus-Christ.
1906 : Lebbe est nommé doyen du district de Tientsin.
Ville universitaire, riche de son port et de son commerce,
..Tientsin compte plus d'un million d'habitants,
..mais seulement 6.000 catholiques.
Lebbe pourtant est tout de suite très occupé.
Il a donc, dès son arrivée à Tientsin,
..pris contact avec les autorités chinoises de la ville,
..ce qui est tout à fait nouveau.
Il a déjà commencé à étudier les classiques chinois.
Là aussi, ce sont les circonstances qui vont l’amener à prendre des initiatives,
..notamment dans le domaine de la presse....
..et plus largement le contact, et c'est cela ce qu'il y a de plus original
..dans ce que l'on appellera « la méthode de Tientsin » :
le souci de collaborer à des actions humanitaires
..avec les Chinois qui ne pensent pas à devenir chrétiens.
Avec tout simplement l'élite locale.
Une collaboration désintéressée,
..notamment dans le cadre de la Croix-Rouge,
..dans le cadre de l’aide aux sinistrés lors d’inondations, etc ...
C'est cela la conversion du Père Lebbe :
c'est que aux attitudes conventionnelles
des missionnaires par rapport aux Chinois,
..il substitue la fidélité à l'accueil du Chinois tel qu'il est.
Maintenant, il y a dans sa vie un paradoxe :
il y a d'une part ce souci des pauvres et, d'autre part, le souci de l'élite.
La conversion de l'élite est une condition de la conversion de l'ensemble du peuple.
1911 : Sun Yat Sen renverse la dynastie Mandchoue et proclame la République.
La Chine se réveille.
Le Père Lebbe entre dans le mouvement.
Il ouvre une salle de conférence, puis deux, puis huit.
On y parle de l'avenir du pays et de la religion.
Quel avenir pour la Chine ?
Les foules célèbrent la République.
Sun Yat Sen est proclamé président.
Mais il ne dispose pas d’appuis suffisants.
Il préfère céder la place à l'homme fort qui règne à Pékin,
le général Yuan *** Kai.
Le pays est divisé.
Alors le Père Lebbe fait campagne.
Aux chrétiens, il dit :
« Aimer votre pays, c'est cela être chrétien. »
Il dit aux païens :
« Dieu aime la Chine. »
Autrement dit : la religion sauvera le pays.
Ceci est un langage nouveau qui touche les Chinois.
On publie donc ces conférences : plus de 30,000 exemplaires.
Des collaborateurs se joignent à Lebbe pour parler aux foules.
Tout un mouvement se met en marche que les laïcs prennent en main.
Parallèlement, il développe aussi l'Action Catholique,
..la prise en charge de l'Eglise par les laïcs. Et c’est très nouveau.
En Chine, cela l'est tout à fait.
En Europe, cela ne fait à peine que commencer, par les cercles d'études.
En Belgique, cela deviendra l'ACJB, l'Action Catholique de la Jeunesse Belge,
..mais cela existait déjà en France, l'ACJF, depuis la fin du 19ème siècle.
1914 : 1er Congrès d'Action Catholique tenu à Tientsin.
On y vient de partout.
Vincent Lebbe écrit même aux journaux européens.
Il aime la Chine et veut la faire aimer.
Lui qui parle déjà tellement aux foules veut leur parler plus encore.
Fin 1915, il fonde un journal quotidien, l’I CHI PAO, c'est à dire le Bien Public.
Très vite, il tire à 20.000 exemplaires.
Il y a même un hebdo pour les femmes.
Le génie de Vincent Lebbe,
..c'et de confier la propriété du journal à des Chinois et non à l'Eglise.
Des laïcs, des chrétiens et beaucoup d'autres en sont les rédacteurs.
La réputation d’indépendance du journal est immédiate.
Il se bat pour la Chine et pour la justice.
Aux yeux de tous, grâce au journal,
..la religion étrangère peu à peu devient chinoise.
Le Père Lebbe a encouragé un chrétien, un certain Mr Lou,
..à prendre en main l'édition d’un journal, l’I Chi Pao,
..un journal catholique de l'Eglise,
..toujours grâce à l'initiative du Père Lebbe.
Ce journal est devenu le plus grand journal du Nord de la Chine.
Il y avait aussi un grand journal dans le Sud nommé Ching Pao.
Plus ***, il y a eu une édition de l'I Chi Pao pour le Sud également.
La culture chinoise est très ancienne.
Vous savez que, depuis 5.000 ans,
..nous avons toujours la même langue écrite, mais qui se parle différemment.
Pour connaître l’écriture chinoise, la culture chinoise,
..il faut un grand effort.
Le Père Lebbe, une fois arrivé, a étudié les livres classiques chinois.
II sait écrire le chinois avec le pinceau.
Sa calligraphie est très connue.
Avec tout cela, le Père Lebbe a gagné le coeur des Chinois.
Il est vraiment devenu chinois.
Toujours en mouvement,
..où l'homme d'action qu'il était trouvait-il la patience d'un écrivain chinois ?
Son écriture française est sans fioritures.
Toujours pressé,
Lebbe prenait pourtant le temps d'écrire une correspondance abondante.
Par contre, son écriture chinoise est parfaite, classique, soignée...
Vincent Lebbe fait honneur à la culture de son pays.
1916 : voilà 10 ans que Vincent Lebbe est à Tientsin.
La jeune république est en difficulté.
La Chine ne trouve pas son unité
..et les puissances occidentales vont profiter du désordre.
Vincent Lebbe poursuit son combat dans une Chine qui se désagrège.
L’Angleterre met la main sur le Tibet, la Russie sur la Mongolie.
Pire encore, le Japon prend pied dans la province du Shantung.
Non loin de là, Tientsin vit dans un calme relatif.
La ville chinoise s'étend sur 14 km2.
14 km2 c'est également la superficie de la ville occidentale,
..c'est-à-dire les terrains concédés à la Russie, la Grande-Bretagne,
..l'Allemagne, le Japon, la Belgique, l'Autriche, les Etats-Unis... et la France.
Au Sud, le quartier chinois de Lao Si Kai.
L'évêque de Tientsin y achète un terrain et construit sa cathédrale...
..en bordure de la concession française.
Ces concessions mettent la Chine sous tutelle.
Parce que non seulement, depuis l'ouverture des ports, à l'Angleterre d'abord,
..puis à la France et aux Etats-Unis à partir de la guerre de l'*** en 1840,
..non seulement les douanes chinoises sont prises par les étrangers,
..le commerce est entièrement entre leurs mains,
..mais à partir de 1895, c'est aussi l’industrie européenne
..qui a le droit de s’établir en Chine
..dans toutes ces concessions qui sont alors accordées en série.
Il y a toute une industrialisation qui s'établit et qui concurrence
..et qui finit par tuer l'artisanat chinois traditionnel.
A Lao Si Kai,
..les commerçants chinois commencent à s'établir autour de la cathédrale.
Le Consul de France cherche à agrandir la concession française.
Il prend prétexte de son droit de protéger la mission
..et ouvre une route allant vers la cathédrale.
Il fait poser de petit piquets...
..que les Chinois enlèvent.
Escalade des incidents jusqu'au jour
..où la gendarmerie française vient arrêter le corps de police chinois
..et l’enferme dans la prison de la concession.
Réaction immédiate : un tract des Chinois,
..rédigé en français, est distribué dans toute la ville.
Exprimant leur indignation, les Chinois comparent l'action de la France
.. à l'invasion de la Belgique par l'Allemagne deux ans plus tôt, en 1914.
Suivent des manifestations dans la rue,
..puis une grève générale des employés chinois de la concession
..et même, dit-on, des nourrices.
L'I Chi Pao, bien sûr, prend parti pour les chinois.
Le consulat fait pression sur l'évêché pour faire taire le Père Lebbe.
Le Quai d'Orsay à Paris fait de même avec les supérieurs du Père Lebbe.
L'évêque de Tientsin ordonne alors à celui-ci de rester neutre.
Le Père Lebbe répond par une lettre :
« Du fait de notre nationalité,
..l'opinion chinoise n'est déjà que trop portée à nous considérer
..comme faisant cause commune avec nos compatriotes.
Or les Français ont tort...
Que l'Eglise, au lieu de se taire,
..soit comme ailleurs le dernier refuge du droit
..où la parole de justice n'a jamais peur de se faire entendre.
La neutralité que vous proposez est insoutenable.
Ne m’obligez pas à choisir,
..soit de désobéir,
..soit de vous obéir,
..donc d'agir contre ma conscience ».
Il conclut en demandant d'être éloigné de Tientsin.
Il est immédiatement envoyé à l'autre bout du diocèse, puis au centre du pays.
Les confrères qui le soutiennent sont dispersés.
Antoine Cotta est exilé à l'étranger.
C’était quelqu’un qui savait ce qu'il voulait.
Et quand il voulait,
..il prenait l’initiative et fonçait.
Mais toujours dans le respect de ses supérieurs et de la légalité.
Ce qui était remarquable, c'est que si les supérieurs disaient non, c'était non.
Evidemment, cela ne l'empêchait pas de recommencer sans leur en parler.
Pour le moment,
il souffre d'être exilé dans une région dont il ne connaît pas la langue.
Lui qui était connu de tous à Tientsin est devenu un parfait étranger.
Il faut tout recommencer à zéro.
Peu à peu, il reprend courage et écrit à Rome,
..à l'ami de toujours, Mgr Vanneufville,
..un prélat français, correspondant du journal La Croix,
..qui a quelques entrées au Vatican.
Ce qui reste d'autre part une énigme,
..c'est son obéissance.
Quelqu’un a dit, dans une formule heureuse,
..qu'il n’avait jamais désobéi
..et qu'il n'avait jamais été obéissant.
Il a au fond continuellement fait ce qu’il voulait
..en en appelant aux supérieurs qui étaient selon ses vues.
Donc,...
..il n’a pas été obéissant dans le sens d'une passivité.
Il a été un homme d’initiative
..et il a été évidemment une croix pour ses supérieurs immédiats.
C'est vraiment une continuelle docilité aux événements qui le caractérise.
Au fond, sa véritable obéissance,
..c'est une obéissance aux événements plus qu'aux règlements.
Revoici Cotta.
Oui, il est toujours là.
Cotta a désobéi et refusé de partir.
Et pendant que Lebbe s'active en paroisse,
..Cotta envoie rapport sur rapport à Rome,
..sur leur drame personnel et sur les problèmes des missions.
C’est intellectuellement qu'il a perçu le problème.
Le Père Lebbe, c'est plus affectivement
..et intuitivement.
Donc Cotta était plus capable d'une synthèse objectivée, bien présentée.
Il faut dire également qu'il était plus un battant d'une certaine manière.
Il était plus fonceur.
Le Père Lebbe agissait plus avec le souci du respect des personnes que Cotta.
Ainsi donc, le Père Lebbe a été désapprouvé par ses supérieurs.
Il s’en est ouvert aussitôt aux autorités romaines.
Mais..que fait Rome ? Que dit Rome ?
A Rome, il y a Guillaume Van Rossum, un cardinal chargé des missions.
Et il y a le Pape Benoît XV.
Dans l'univers colonialiste de 1919, ils rêvent d'évêques chinois.
Mais, Rome se tait…
Le Père Cotta a été le premier à étudier, d'une manière un peu plus approfondie,
..la question de l'épiscopat et des raisons de son absence.
Il était frappé par le contraste entre l'attitude romaine qui, depuis le 17ème siècle,
..demandait qu'on crée des évêques locaux et l'attitude des missions sur place.
Rome écoute. Rome se tait. Mais pas longtemps.
Un évêque français des Missions Etrangères de Paris,
Mgr de Guébriant est envoyé en Chine pour enquêter partout sur la situation.
Mais Rome veut aller plus vite.
Et c'est une véritable bombe qui va exploser.
Avant même le retour à Rome de Mgr de Guébriant,
..le Pape Benoît XV publie une lettre universelle, une lettre encyclique,
..Maximum Illud, destinée aux missions.
« Il est regrettable que des contrées d'un haut degré de civilisation
..n'aient pu encore produire d'évêques pour les gouverner. »
Mgr de Guébriant, par souci d'apaisement, demande à Lebbe de quitter la Chine.
Après vingt ans passés en Chine, Vincent Lebbe s'embarque pour l’Europe.
Pour retrouver une autre Chine,
..celle des ouvriers chinois venus travailler dans l’industrie de guerre.
Mais aussi celle des étudiants.
Un monde marqué par la misère,
..le nationalisme, la lutte anticléricale.
Il perçoit très vite qu'il y a là un enjeu formidable.
Il y a eu le mouvement du 4 mai 1919 en Chine, à Pékin,
..dans lequel pour la première fois une opinion patriotique s'exprime
..devant ce que la Chine a dû concéder au Japon à la conférence de Versailles,
à la conférence de la paix.
Et donc c'est le moment où se crée le parti communiste en Chine, en 1921,
..et où déjà un certain nombre d'étudiants chinois sont partis,
..d’abord vers l’Angleterre, les Etats-Unis et puis, depuis 1906, vers la France.
Ils y sont accueillis par les milieux radicaux,
..les milieux socialistes, les milieux anticléricaux.
Et Lebbe voit qu'il y a une véritable course de vitesse qui s'amorce,
..si l'on veut qu'une élite chinoise, une partie au moins, soit chrétienne.
Ces étudiants, c'était absolument tout pour lui, tout, tout, tout pour lui.
De temps en temps, dans les grandes circonstances,
..il passait en coup de vent par Bruxelles où j'habitais, où était mon papa.
Alors, nous savions quelquefois… non, nous ne le savions jamais à l'avance.
Nous savions seulement parce que des étudiants chinois,
par deux, trois, quatre, cinq, rappliquaient...
Alors, on se disait :
« Ah. si les étudiants chinois rappliquent, c'est que l'oncle Freddy est en chemin.
Donc, on va l’attendre ».
Alors, il avait un coup de sonnette spécial.
Il sonnait toujours :
« un seul Dieu en trois personnes ».
Ding... ding, ding, ding.
Alors, nous, les enfants,
..on se précipitait à qui serait le premier ou la première pour lui ouvrir la porte.
Il arrivait - il était tout petit, il était très petit et menu -
..avec son grand chapeau de curé français,
..des souliers beaucoup trop grands pour lui et une énorme sacoche sur l’épaule.
Il fallait être deux d'entre nous pour porter sa sacoche avec tous ses papiers.
Alors, on lui enlevait vite son manteau
..et immédiatement, mon premier devoir était sa pipe chinoise.
Les premiers étudiants que Lebbe a pu réunir se constituent en association.
Ils se donnent un drapeau.
Ensuite, et cela, c'est tout à fait Lebbe, un journal, tout entier fait à la main.
Et, c'est encore Lebbe, un journal à la manière de l’I Chi Pao,
..résolument chrétien et politique.
Il se fait l'écho des événements majeurs qui surviennent en Chine.
Suit alors un bulletin mensuel, imprimé à Paris et à Louvain.
La ville de Verviers, aussi, s'intéressera au Père Lebbe.
Le curé Purnal avait invité un missionnaire à venir prendre la parole
..pour la première journée mondiale de prières pour les missions.
C'est le Père Lebbe qui a été désigné pour cette prédication ici à Ste-Julienne.
Elle a eu lieu le 9 juillet 1922.
C'était pour toutes les paroisses de la ville de Verviers.
Et alors une petite anecdote très amusante :
..le Père Lebbe a annoncé qu'il arriverait avec l'express de Paris à 3h du matin,
..mais qu'il ne fallait surtout pas aller le chercher à la gare.
Il prendrait du travail avec lui et il travaillerait à la gare
..en attendant que les portes de l'église soient ouvertes pour la première messe.
Et alors, l'Abbé Boland a fait ce petit commentaire à son curé :
« On nous envoie encore un original.
Il ne sait pas faire comme tout le monde, venir à des heures plus raisonnables ».
Raisonnable, Lebbe ne l’était pas.
Le Vicaire Boland ne l’était pas non plus.
Sa maison d’allure bourgeoise n’avait pas de clé sur la porte
..et accueillait les jeunes, jour et nuit.
On les appelait « les petits enragés »
..car avec le Vicaire Boland, ils osaient tout et pouvaient presque tout.
Plusieurs de ces jeunes iront plus *** en Chine rejoindre Lebbe.
Le Vicaire Boland ouvrira pour eux un séminaire.
Lui aussi était attachant : il était ***, il était...
Il y avait quelque chose de piquant dans tout ce qu'il disait.
Il savait amuser les gens.
C'était un plaisir de l'avoir.
Il ne plaisait pas à tout le monde.
Il y en avait beaucoup qui se méfiaient de lui.
Il n'était pas assez pieux, assez réservé...
Il fumait comme un Turc.
C’était tous ces jeunes vicaires qui faisaient vivre des jeunes gens qui,
..sortant de la guerre dans l'ivresse, il faut bien le dire, de la victoire…
..également au point de vue religieux :
« Nous referons chrétiens nos frères. Par Jésus-Christ, nous le jurons. »
Ce que la JOC chantait, nous le chantions.
C'était en tout cas cette atmosphère-là.
Et alors ce que le Père Lebbe à apporté avant tout, c'est :
« Ecoutez : ne restez pas dans votre petit groupe, mais aidez-nous.
Vous êtes de l'Eglise, vous êtes catholiques, vous êtes universels.
Et surtout n'oubliez pas ce grand continent chinois,
vous qui vivez dans votre petit groupe de Belges ».
N'oubliez pas ce grand continent chinois.
Tel était partout en effet le message de Lebbe
..aux sympathisants qu'il suscita à Paris, Lyon et Lille
..en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas et en Angleterre en faveur des étudiants.
A chacun d'entre eux, Lebbe devait assurer logement, école et subsistance.
Beaucoup d'étudiants allaient, une fois retournés en Chine,
..y devenir des personnages influents.
Nous voici revenus en Belgique, dans l'abbaye norbertine d’Averbode,
..un haut lieu du mouvement de conversion des étudiants chinois au christianisme.
Lebbe y prêche de nombreuses retraites.
Tous ne demandent pas le baptême,
..mais tous découvrent ou redécouvrent en Lebbe leur patrie.
A Averbode ou ailleurs,
..trois cents d'entre eux recevront le baptême au cours des sept années
..où Lebbe se dépense pour eux jusqu'à la limite de ses forces.
Le Cardinal Mercier soutient activement l'oeuvre du Père Lebbe.
Tous deux s'entretiennent aussi de la question des évêques chinois.
Nous y reviendrons dans un instant.
Le Cardinal s'intéresse à la vie de la jeune Action Catholique,
..comme ici au congrès d'Averbode en 1924.
L’abbaye de Lophem, près de Bruges.
Elle aussi soutient l’association.
C'est là que le premier Ambassadeur de Chine auprès du Vatican
..viendra se retirer pour y devenir moine bénédictin.
Claire Lin, une disciple du Père Lebbe, a rencontré pour nous le Père Mao,
..ancien étudiant de Lyon.
Le Père Lebbe est dans le coeur des Chinois.
Personne parmi les Chinois ne l'ignore parce qu'il a vraiment aimé les Chinois.
Il a aimé la Chine plus que beaucoup de Chinois eux-mêmes.
Vincent Lebbe, bien sûr, ne vit que pour ses étudiants.
Mais son esprit aussi est à Rome.
Là seulement peut être décidé son retour en Chine.
Là surtout, sera tranchée la question de l'épiscopat chinois.
Revenons à 1920.
Lebbe a dit sa pensée aux autorités romaines.
« L'hiver, le long hiver de nos missions de Chine est passé.
L'heure est venue de former l'Eglise nationale vivante,
..chair de la chair du peuple ».
Il a écrit également au Cardinal Mercier.
Il lui a demandé de le soutenir à Rome.
Lebbe fait vraiment confiance au Cardinal dont il dira un jour :
« En voila un qui ose se mêler de ce qui ne le regarde pas ».
Et de fait, le Cardinal va trouver un moyen de le faire venir à Rome,
..ainsi que nous le raconte le Cardinal Suenens.
Ce qui m'est revenu de cela,
..c'est l'espèce de ruse de guerre employée pour que le Père Lebbe aille à Rome.
Soi-disant le Cardinal Mercier lui avait demandé de venir pour une consultation.
Comme ça, vis-à-vis de son supérieur, il a pu dire :
« Ecoutez, je dois me rendre à Rome - puisqu'il avait défense d'y aller -
..le Cardinal Mercier me demande en consultation ».
C’est comme ça qu'il à réussi donc finalement à se rendre à Rome.
Et alors, Mercier, je crois, l'a introduit chez Van Rossum et tout le reste a suivi.
Alors là, c'est des petites choses, mais qui font de très grands effets.
Et voici Vincent Lebbe à Rome, à l'insu de ses supérieurs.
Il tient un journal, au jour le jour :
20 décembre 1920 : accueil affectueux du Cardinal Mercier.
Le soir, il se rend chez le Cardinal Van Rossum qui lui dit :
« Je vous remercie du fond du coeur de tout ce que vous avez fait,
..de ce que vous avez souffert, de votre obéissance religieuse.
C'est elle qui a tout sauvé. »
Puis, Lebbe résume la conversation à propos des évêques chinois
..et le Cardinal lui demande :
« Avez-vous un crayon ? Donnez-moi des noms. »
Et Lebbe donne quelques noms de prêtres chinois qu'il juge digne de l'épiscopat.
Huit jours plus ***, c'est le Pape Benoît XV qui reçoit le Père Lebbe.
En sortant, je l’ai rencontré alors par hasard dans la rue.
On s’est arrêté et il m’a lancé cette phrase à la tête - je ne l’oublierai jamais - :
« Le Saint-Esprit, je n'y crois plus ! »
Alors, j'ai eu un petit choc.
Mais connaissant Lebbe, je me suis dit : « Cela doit avoir son explication. »
« Je n'y crois plus, je l'ai vu ! »
Alors, il m'a dit : « Quelque chose de très grand se prépare ».
Je crois que c’était le moment – parce qu’il devait rester encore discret,
..tout cela était, à ce moment-là, sous le secret du St-Office -
..mais on a deviné que le Pape lui avait donné la chance de désigner lui-même
..les 5 premiers évêques chinois.
Mais Rome, d'autre part, est une institution.
Et toute institution est, dans une large mesure, conservatrice.
Une institution est soucieuse de durée.
Tandis que Lebbe faisait beaucoup de provisoire. Il inventait constamment.
Et donc, à Rome,
..il y avait une certaine sensibilité aux exigences d'un renouveau missionnaire,
..venant de ce que Rome était plus dégagée des nationalismes
..que les missionnaires sur le terrain.
Mais d'autre part, il y avait à Rome une grande prudence.
Eh, oui... prudence romaine qui prend son temps.
Les années passent.
Vincent Lebbe voudrait repartir en Chine. Impossible.
Et toujours pas d'évêques chinois en vue.
Un espoir pourtant quand le Pape envoie Mgr Costantini en Chine, en 1922,
..pour préparer le terrain aux grandes décisions,
..attendues impatiemment par Vincent Lebbe.
Discrètement, le délégué du Pape choisit les futurs évêques.
Pie XI a succédé à Benoît XV.
Et en 1926, c'est décidé : le Pape va consacrer 6 évêques.
Et il va les consacrer lui-même, à Rome, le 28 octobre.
Le monde missionnaire acceptera-t-il ?
Le monde diplomatique n'est pas enchanté.
L'Europe est, pour quelques années encore, maître du monde.
Le Père Lebbe était présent.
C'était le jour anniversaire de ses 25 ans d’ordination sacerdotale.
C’était aussi l'anniversaire des 25 ans d’épiscopat du Pape lui-même.
Enfin, c'était beaucoup d’anniversaires,
..mais c’était surtout un grand évènement pour l'Eglise universelle.
Comme on a pu le dire, cet évènement est peut-être aussi important
..que celui de la sortie du monde juif pour l’Eglise chrétienne.
Parce qu'on sortait véritablement,
..au moins pour ce qui est du cadre religieux, du monde méditerranéen.
Il n'y avait pas d’évêque qui ne soit blanc
..dans l'Eglise catholique jusqu'à ce moment-là.
Son rêve se réalise.
Vincent Lebbe retourne en Chine, définitivement,
..adopté par un des 6 évêques, Mgr Suen.
Devenu chinois officiellement,
..Lei Ming Yuan se retrouve en pleine campagne, dans la Chine profonde.
J'étais à son départ. Oh, je n'oublierai jamais ce départ...
Son dernier départ.
Il m'avait d’ailleurs dit que repartir comme missionnaire une seconde fois
..est plus crucifiant, si l'on peut dire,
..est plus poignant que la première fois.
La première fois, on part - naturellement c'est un déchirement, c'est évident,
..surtout avec une famille où on s'aimait tellement -
..mais on part dans l’enthousiasme, la force de la jeunesse.
On a tous ses projets en tête, on ne sait pas encore ce qui va se passer, etc...
La seconde fois, on sait un petit peu ce qui vous attend...
Il y avait comme toujours... nous ne pouvions jamais l’approcher
..parce qu'il y avait les chinois
- naturellement ses étudiants étaient là, on avait toujours la 3e place -
..alors, il nous a tous embrassés et puis il s'est mis tout au bout du compartiment,
..tout à fait au fond, loin de tout le monde, et là, il n'a plus dit un mot.
On le sentait très, très ému de partir.
Il lui reste 13 ans à vivre.
Il a 50 ans et naturalisé chinois, il est heureux
..loin de penser qu'un jour, il sera médaillé par un général d’armée et le chef de l'Etat.
Dans le pays, la situation reste dramatique. Sun Yat Sen est mort.
Le général Tchang Kai Chek a pris le pouvoir.
Il veut réunifier et moderniser la Chine.
Mais les communistes avec Mao Tse Toung et le général Chu Teh s'opposent à lui.
Vincent Lebbe, après une absence de sept années, s'intéresse moins à la politique.
La plaine du Nord est immense. Les gens sont pauvres.
Vincent Lebbe se sent appelé à se consacrer totalement aux paysans.
Il invente une manière originale de mettre l’Eglise dans le peuple, le levain dans la pâte.
En 1928, il fonde une congrégation de moines.
Oh, pas n'importe lesquels. Ce seront des moines paysans.
Pauvres comme eux, un temps au monastère, un temps chez les habitants.
Le but est d'annoncer Jésus-Christ dans les villages et d'aider le clergé chinois.
Pareillement, il fonde une congrégation de religieuses, les Thérésiennes.
Soeur St-Luc, française d'origine, rejoint le Père Lebbe en 1931, à l'âge de 22 ans.
Quand les évêques sont arrivés en Chine, on leur a cédé des territoires
..qui n'avaient presque pas de chrétiens et pas de prêtres.
Alors, ils avaient beaucoup de difficultés et pas d'argent.
Si bien que le Père Lebbe a dû aider
l'évêque de Ankwo au point de vue économique
..parce qu'on n'avait rien.
Il y avait quand même quelques prêtres chinois, mais c'était très peu.
En ce temps là, on ne pouvait pas admettre que des étrangers,
..des Européens, soient sous les ordres d'un évêque chinois.
Alors, ils ont tout quitté.
Ils ont emporté évidemment tout ce qu'ils pouvaient, n'est ce pas.
Alors, l'évêque n'a eu que quelques maisons vides.
Nous avons également rencontré à Taiwan le Frère Alexandre Tchao.
A l’âge de 16 ans, il entrait au monastère du Père Lebbe.
Les monastères ont commencé ainsi :
plusieurs catéchistes de village souhaitaient devenir trappistes,
..mais la trappe avait été fermée.
Ils désiraient vraiment être moines.
De son côté, le Père Lebbe voulait qu'ils soient en même temps
..de vrais missionnaires et soient aussi pauvres,
..à la fois moine et âne, que les paysans et les soldats et qu'ils servent le peuple.
Alors, nous devons être comme le peuple, comme tous.
Nous devons vivre une vie très ordinaire comme la masse, la masse pauvre.
Il a créé la congrégation des Petits Frères pour propager la foi.
Par quelle méthode ?
Naturellement, c'est pour aider les prêtres chinois dans tous les travaux.
Le Père Lebbe n’avait pas défini les tâches.
Ce n'est pas une question de savoir quelle formule
..ou quelle méthode utiliser pour servir le peuple,
..c'est la question de savoir dans quel esprit on vivait près du peuple.
Le Père Lebbe nous disait toujours :
« Quel que soit votre travail, faites-le dans l'esprit de l'Evangile
..et vous serez au milieu des paysans comme un levain dans la pâte ».
Comme le levain dans la pâte.
Il espérait que la Chine soit convertie par les Petits Frères et les Petites Soeurs.
C'était un grand idéal.
Alors, nous avons commencé à ouvrir des dispensaires pour les yeux.
Et nous avions beaucoup de malades
..parce qu'il y avait énormément de trachomes et beaucoup de cécité.
Beaucoup de personnes qui ne voyaient presque plus, beaucoup d’aveugles.
Si bien que les dispensaires étaient très, très importants.
Si on va vivre avec les pauvres,
..comme le font par exemple aujourd’hui les théologiens de la libération,
..si on va vivre avec les pauvres, on en découvre des choses
..qu'on ne soupçonnait pas dans le meilleur des ouvrages savants.
La vie a donc une puissance d'éducation
que la documentation, que l'érudition n'ont pas.
Et je crois que Lebbe a été un vivant avec les vivants.
Du coup, il a vu des quantités de choses que d'autres ne voyaient pas.
Nous devions faire tous nos vêtements, les souliers, tout.
Vous savez la vie des Chinois, à ce moment-là, était très dure.
On devait soi-même récolter le coton,
..filer le coton et faire l'étoffe et faire les vêtements soi-même.
Alors, on avait beaucoup de travail.
Plusieurs prêtres belges se joignent au Père Lebbe,
..car il a fondé, en 1930, avec l’Abbé Boland,
..une Société de Missionnaires au service des évêques chinois.
Le Père Lebbe peut se reposer.
Il a bien préparé l'avenir.
Et voilà que tout bascule à nouveau.
1933 : les premières attaques japonaises dans le Nord de la Chine.
1936 : c'est la guerre totale.
Lei Ming Yuan va monter au front et va donner sa vie à son peuple.
1933 : c’est l’invasion d’une province chinoise par le Japon.
C'est aussi l'année où Vincent Lebbe quitte sa congrégation
..et devient frère de St-Jean-Baptiste.
Deux ans plus tôt, le Japon avait envahi la Mandchourie.
La Société des Nations avait reçu une lettre de protestation de 16 évêques chinois,
..rédigée par Vincent Lebbe.
La Société des Nations, l'ONU de cette époque,
..était impuissante, les nations, indifférentes.
La Chine est seule.
Lebbe va emmener au front 20 de ses moines,
..240 villageois et quelques soeurs qui sont infirmières.
Ils seront brancardiers pour secourir les blessés.
Au début, l’armée était un peu hésitante
et se demandait : « Que veut ce prêtre étranger ? »
Mais quand on l'a vu au travail, quand on l'a vu se dévouer auprès des blessés,
..manger la même nourriture que les soldats,
..alors les gens ont été vraiment impressionnés.
Sur le front, vous savez, quand il n'y avait pas de bataille,
..on se réunissait dans une pagode ou dans une maison vide
..et on continuait à vivre la vie des Petits Frères et des Petites Soeurs.
7 juillet 1937 : cette fois, le Japon attaque partout en Chine.
Sur cette photo,
..Vincent Lebbe avec, à sa gauche, le Frère Alexandre et quelques Frères et des soldats.
Avec ceux-ci, il va passer 3 années au front et ne retournera plus dans son diocèse.
Du front, il envoie aux monastères son testament spirituel.
A ses frères, il écrit :
« C'est le désir le plus profond des Petits Frères
..de réaliser la conjonction du patriotisme et de la religion catholique.
Ce que notre pays recherche avec ardeur n'est pas éloigné de l’Evangile.
La mission des Petits Frères,
..c'est de se porter à la vague la plus avancée de cette marée. »
Et c'est ce qu'il font. Plus de 20.000 blessés sont secourus.
Vincent Lebbe devient un héros pour le 3e corps d’armée
..et le maréchal Tchang Kai Chek l'appelle chez lui.
Il confère au Père Lebbe
..la mission de créer une section spéciale au sein de la 12e division.
Il le nomme lieutenant, puis colonel.
Lebbe a pour mission de susciter la résistance à l'ennemi
..à l’arrière des lignes japonaises.
A cette époque,
..il fait connaissance avec les communistes qui combattent avec lui le Japon.
Sur cette photo, il porte l'insigne de la section patriotique qu'il dirige.
Cependant, il souffre beaucoup du silence de l'Eglise.
En effet, Mgr Zanin, le délégué apostolique, recommande aux missionnaires la neutralité.
De plus, c'est le temps de l'axe Tokyo, Rome, Berlin.
Certains missionnaires italiens sympathisent avec le Japon.
Les missionnaires européens gardaient vraiment une neutralité un peu pénible.
Pourquoi dites-vous que c'était pénible ?
Parce qu'ils auraient presque préféré qu'on laisse les Japonais occuper toute la Chine.
Si bien que certains, vraiment,
..avaient une attitude tout à fait contraire à l’avis des Chinois.
Le délégué apostolique, qui était Mgr Zanin, était italien.
Alors, il a pris une attitude de neutralité lui-même.
Et il a essayé de persuader tous les missionnaires de le suivre.
Evidemment, cela n'a pas plu aux autorités chinoises,
ce qui est normal...
Mais c'est une question très délicate...
Zanin... quand on lui disait : « Prenez position pour la Chine ou pour le Japon ! »
« Oh, moi, je ne suis ni à gauche, ni à droite. L'Eglise est au-dessus de tout cela ».
Alors ça, ça scandalisait les gens.
Vous devez être incarné. Vous devez lutter pour la vérité.
La vérité, c'est que la Chine succombait sous les coups.
La vérité, c'était aussi l'horreur.
On sait maintenant ce qui s'est passé après la prise de Nankin.
100.000 civils, 150.000 civils furent massacrés par les soldats japonais.
Passés à la baïonnette, enterrés vivants, fusillés, violés.
Comment Lebbe pouvait-il être Lebbe et chrétien,
..ou tout simplement Lebbe, avec le coeur de feu que nous lui connaissons,
..sans crier son dégoût, sa révolte et son refus de la neutralité ?
« Seigneur, je préfère mourir, je mourrais bien content plutôt que de vivre veulement, neutre,
..n'osant pas appeler le bien et le mal de leur nom
..et ne jetant pas tout mon sang du côté des opprimés.
Je veux manifester,
..dussai-je être seul au monde, l’indignation chrétienne contre le monde de l’impérialisme.
Non. je ne serai jamais un chien muet, incapable d’aboyer. »
Le délégué apostolique, Mgr Zanin,
..a fini par approuver le Père Lebbe et il aimait les Petits Frères.
C'est lui qui a payé mes études pour que je devienne prêtre.
La guerre continue.
Les Japonais occupent les grands axes de communication.
Entre ceux-ci, des espaces libres dont les communistes veulent prendre le contrôle
..et interdisent l'accès aux nationalistes.
Or c'est précisément là que travaillent Vincent Lebbe et ses collaborateurs.
Deux fois, il a rencontré le général Chu Teh.
Il connaît aussi Chou En Lai.
Et pourtant le voilà emprisonné par les communistes.
40 jours, durant lesquels il tient son journal
..et parle beaucoup de sa santé qui se détériore.
Il a 63 ans. Il est épuisé.
Il a le coeur brisé
..car il a compris que les communistes veulent le pouvoir pour eux seuls.
Il écrit des lettres dont l'une au général de division qui l'a arrêté, l’autre à Chu Teh.
Pas de réponse.
Sur l’intervention du Maréchal Tchang Kai Chek, il est libéré.
Ramené en avion dans la capitale de guerre,
..il meurt le 24 juin 1940, jour de la fête de St-Jean-Baptiste.
Le Père Lebbe pour moi,
..c'est un grand apôtre, un grand missionnaire, un grand Chinois.
Un tout petit bonhomme de rien du tout... Un tout petit bonhomme de rien du tout.