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Les Studios MOSFILM de Moscou
Deuxième Groupement
ALISSA FREUNDLICH
ALEXANDRE KAIDANOVSKI
ANATOLI SOLONITSYNE
NIKOLAI GRIGNKO
dans
STALKER
Scénario: Arkadi STROUGATSKI et Boris STROUGATSKI
d'après leur roman "Un pique-nique au bord de la route"
Réalisateur Andreï TARKOVSKI
Directeur de la photographie Alexandre KNIAJINSKI
Décors Andreï TARKOVSKI
Musique de Edouard ARTEMIEV
Régisseur: L. TARKOVSKAIA
Poèmes de Fiodor TIOUTTCHEV et Arsène TARKOVSKI
Son: V. CHAROUNE Direction musicale: E. KHATCHATOURIAN
Sous-titres français Alexandre KARVOVSKI
STALKER
"Qu'était-ce exactement ? La chute d'une météorite ?
"Des visiteurs venus du fin fond du Cosmos ?
"Quoi qu'il en soit, notre pays qui n'est pas bien grand
"vit apparaître une chose inouïe - ce qui a été appelé la Zone.
"Nous avons commencé par y envoyer des troupes.
"Nul n'en est revenu.
"Alors nous l'avons bouclée à l'aide d'importantes forces de police...
"Et sans doute avons-nous bien fait. Au reste, je n'en sais rien..."
C'était un fragment d'une interview du Prix Nobel professeur Walles.
Pourquoi prends-tu ma montre ?
Où es-tu parti, je te le demande ?
Tu m'avais juré tes grands dieux, je t'ai cru.
Bon, tu ne penses pas à toi. Mais nous ?
Ta fille, tu y as pensé ?
Elle qui s'habituait seulement à toi, non, tu recommences ?
Regarde, je suis déjà une vieillarde. Et c'est à cause de toi...
Moins fort, tu vas la réveiller.
Je ne peux pas t'attendre toute la vie, je vais finir par craquer !
Tu voulais te remettre au travail !
Ils te promettent un poste tout à fait satisfaisant !
Je serai très vite de retour.
C'est ça, de retour en prison !
Sauf que cette fois tu écoperas de 10 ans, oui, du double !
Tu pourras lui dire adieu à ta Zone, et à tout le reste !
Et moi je crèverai dans l'intervalle !
Moi, tu sais, je me sens partout en prison.
- Laisse-moi passer ! - Jamais !
Laisse-moi passer, je te dis !
Fous le camp ! Et laisses-y tes os, oui !
Maudit soit le jour où je t'ai rencontré, salopard !
Le Seigneur t'as déjà puni avec ce malheureux enfant !
Et moi par la même occasion, ordure !
Ma chère amie, le monde est ennuyeux à mourir.
Aussi il ne peut y avoir ni télépathie ni revenants, ni soucoupes volantes,
tout ceci est impossible.
Le monde est régi par des lois d'airain qui le rendent mortellement ennuyeux.
Des lois qui, malheureusement, ne peuvent pas être transgressées.
Elles ne se prêtent pas à transgression.
Ne comptez donc pas sur les soucoupes volantes, ce serait trop intéressant.
Comment, et le triangle des Bermudes ? Vous n'allez pas contester que...
Si. Pas de triangle des Bermudes. Ça n'existe pas.
Ce qui existe, c'est un triangle ABC qui est égal au triangle A'B'C'.
Vous sentez l'abîme d'ennui que recouvre cette affirmation.
Au Moyen âge, oui, c'était intéressant.
Chaque foyer avait son génie, chaque temple avait son dieu.
Les gens étaient jeunes. Compare avec la société sénile d'aujourd'hui.
Non, mon ange, d'un ennui mortel...
Mais ne disiez-vous pas que la Zone
est l'apport d'une hyper civilisation...
Le même ennui, je suppose, avec des lois, des triangles,
sans génies du foyer et, ce qui est sûr, sans dieu d'aucune sorte.
Parce que quand il y a dieu il y a triangle, c'est du pareil au même...
Non, vraiment, je ne sais pas.
C'est pour moi ! Merveilleux !
Adieu, chère amie.
Cette dame accepte aimablement de partir avec nous dans la Zone.
Une femme courageuse. Elle s'appelle...
Pardon, vous vous appelez...
Quoi, vous êtes vraiment le stalker ?
Un instant... Je vous explique.
Avancez...
Le crétin.
Vous vous êtes quand même soûlé.
Moi ? Qu'entendez-vous par là ?
Je n'ai pas bu plus que le fait la moitié de la population de ce pays.
L'autre moitié, oui, elle se soûle. Femmes et enfants compris.
Moi j'ai simplement bu.
Pas possible, ils ont déjà rempli les verres...
Trop tôt pour boire.
Le coup de l'étrier, non ?
Votre avis ?
Enlevez-moi ça.
Vu. Le régime sec. L'alcoolisme - fléau des peuples.
Très bien, on carburera à la bière.
Celui-là, avec nous ?
Vous en faites pas, il dessoûlera. Lui aussi a des projets pour là-bas.
Et vous êtes professeur, c'est vrai ?
Quelque chose d'approchant.
Permettez alors que je me présente. Je me nomme...
Vous vous nommez l'Ecrivain.
Bien. Et moi, je me nomme comment ?
Le Professeur, vous.
Je vois. J'écris et par conséquent,
tout le monde m'appelle l'Ecrivain, je me demande pourquoi.
- Et vous écrivez sur quoi ? - Sur les lecteurs.
Je crois qu'il n'y a pas d'autre sujet valable.
D'ailleurs, il vaudrait mieux ne pas écrire du tout.
Et vous... chimiste ?
Plutôt physicien.
Pas moins assommant, je suppose. La sempiternelle quête de vérité.
Elle vous fuit sans arrêt et vous êtes sans arrêt sur ses traces.
Vous creusez là - tiens donc, le noyau atomique est constitué de protons.
Vous creusez ailleurs: O.K.,
le triangle ABC est égal au triangle A'B'C'.
Moi c'est autre chose.
Je creuse la vérité, et pendant ce temps il lui arrive quelque chose.
Je creuse donc la vérité,
et je déterre, je m'excuse... je ne vous dirai pas quoi.
De quoi vous plaignez-vous !
Ce musée qui s'enorgueillissait de posséder un vase antique. Vous savez ?
En son temps on y pissait,
et voici qu'il fait l'objet de l'admiration générale.
Voyez la sobriété du dessin, la forme à nulle autre pareille.
Et de s'extasier, et de se pâmer...
Et puis on découvre que le vase n'a rien d'antique:
un archéologue l'a fourgué au musée
histoire de rire un peu.
Et figurez-vous que l'extase retombe. Des connaisseurs...
Vous pensez constamment à ce genre de choses ?
Dieu merci, non !
D'une façon générale, je pense rarement. Ça m'est contre-indiqué.
On ne peut écrire en pensant tout le temps au succès ou au bide.
Natürlich. Mais si on ne me lit pas dans les cent ans qui viennent,
bon sang, à quoi bon écrire ?
Dites, Professeur, pourquoi vous êtes-vous embarqué dans cette galère ?
Qu'en avez-vous à faire de la Zone ?
En un certain sens, je serais un chercheur.
Et vous ?
Un écrivain dans le vent.
Je parie que les femmes se pendent à votre cou par régiments entiers.
J'ai perdu l'inspiration, Professeur. Je pars me ressourcer.
Dois-je comprendre que vous n'avez plus rien à dire ?
Hein ? En somme oui, dans un certain sens.
Vous entendez ? Notre train.
- Vous avez décapoté la voiture ? - Décapoté.
Lüguer, si je ne rentre pas, va voir ma femme.
Merde, pas pensé aux cigarettes.
N'y allez pas.
- Quoi donc ? - Interdit.
- Tous les mêmes. - C'est-à-dire ?
Vous croyez à toutes ces stupidités.
Va falloir mettre ça de côté, pour les mauvais jours.
Vraiment, vous êtes un chercheur ?
Tous au sol !
Ne bougez pas !
Allez voir ce que c'est.
Et remuez-vous un peu !
Pas un chat en vue.
Allez voir à cette issue.
Eh bien quoi, l'Ecrivain...
- Vous avez pris le jerrycan ? - Je l'ai. Il est plein.
Ce que je vous disais tout à l'heure...
Des histoires, tout ça. L'inspiration, je m'en balance.
Sais-je seulement comment appeler ce que je désire ?
Sais-je si en réalité je ne désire pas du tout ce que je désire ?
Ou encore, qu'effectivement je ne désire pas ce que je désire ?
Ce sont des choses trop subtiles:
à peine les avez-vous nommées que leur sens s'échappe,
disparaît, qu'il se dissout comme une méduse au soleil.
Mon conscient milite pour le végétarisme universel.
Mon inconscient rêve d'un bon bifteck saignant.
Mais moi, qu'est-ce que je veux ?
Etre le numéro un mondial.
Silence !
Une locomotive dans la Zone ?
Elle dessert le block-point. Elle n'ira pas plus loin.
Ils n'aiment pas fourrer leur nez par là.
A vos places ! On y est ?
Le personnel est arrivé. Qu'ils éteignent le téléviseur.
Vite !
Allez voir si la draisine est là.
Une draisine ?
Arrêtez, j'y vais moi-même.
Le jerrycan !
Passez-le-moi !
Fichez-moi ce sac en l'air, il vous gêne.
Evidemment, vous vous êtes mis comme à la promenade.
Si quelqu'un est blessé, on serre les dents et on bouge plus.
S'ils nous repèrent, nous sommes morts.
Dès que le calme revient, vous retournez en rampant au block-point.
Vous serez récupérés demain matin.
Ils ne vont pas nous donner la chasse ?
Ils la craignent comme le feu.
Qui, la ?
Et voilà... nous sommes chez nous.
Quel silence...
L'endroit le plus silencieux du monde. Vous verrez vous-mêmes.
Et comme c'est beau... Parce qu'il n'y a pas âme qui vive.
Et nous ?
Trois types ne peuvent pas gâcher tout ça en un jour.
C'est à voir. Tout à fait faisable.
Curieux que ces fleurs ne sentent pas. Où est-ce moi qui...
Vous ne sentez pas ?
Ce que je sens, c'est que ça pue le marécage.
Non, c'est la rivière. Elle passe tout près.
Il y avait un champ de fleurs dans le coin, Porc-épic l'a rasé.
Les senteurs ont persisté durant des années.
Pourquoi avoir fait ça ?
Je l'ignore.
Moi aussi je lui ai posé la question.
Il a dit que je comprendrai plus ***.
Je pense qu'il avait pris en haine tout ce qui touchait à la Zone.
C'est son nom de famille, Porc-épic ?
Son pseudonyme, comme pour vous.
Il a longtemps servi de passeur et nul n'a rien pu faire contre lui.
Mon maître, quoi. Celui qui m'a ouvert les yeux.
C'est d'ailleurs ainsi qu'on l'appelait à l'époque: le Maître.
Je ne sais ce qui est arrivé, mais un jour quelque chose en lui s'est brisé.
Au vrai, moi je crois que ce fut une punition, tout simplement.
Donnez-moi un coup de main. Il faut attacher ces bandes aux boulons.
Moi... je fais un tour.
Il me faut voir une chose...
Vous ne vous montrez pas trop, hein ?
Où va-t-il ?
Il a besoin de rester seul un moment, est-ce que je sais ?
Seul ? A trois, on se sent déjà bien assez perdus dans ce bled.
Son rendez-vous avec la Zone. C'est un stalker, un passeur, n'est-ce pas ?
Et alors ?
Celui qui est stalker obéit en quelque sorte à une vocation.
- Je l'imaginais tout à fait autre. - Comment ?
Le genre Chausses de Cuir ou Grand Serpent Chingachgook...
Son histoire serait beaucoup plus dramatique.
Plusieurs séjours en prison, blessures nombreuses dans la Zone.
Sa fille est une mutante, une victime de la Zone, dit-on.
Elle serait née sans jambes.
Et le nommé Porc-épic ? Qui est-il ?
Ça veut dire quoi, qu'il a été puni ?
Une métaphore ?
Un jour Porc-épic, après un nouveau séjour dans la Zone,
est devenu immensément riche.
Une fortune fabuleuse.
Vous appelez ça une punition ?
Une semaine après, il s'est pendu.
Pendu ?
Pas si fort...
Qu'est-ce que c'est que ça encore ?
On dit qu'un bolide est tombé ici, ça serait arrivé il y a quelques 20 ans.
Il n'est rien resté de la bourgade.
On a cherché la météorite et naturellement on n'a rien trouvé.
Pourquoi, naturellement ?
Après ça, les disparitions se sont multipliées.
Les gens venaient voir et ne reparaissaient plus.
Finalement il fut décidé...
que ladite météorite n'en était pas forcément une.
Et pour commencer...
on a posé des barbelés, pour que les curieux ne risquent plus leur vie.
La rumeur s'est alors répandue qu'il y aurait dans la Zone un endroit
où tous vos voeux se réalisent.
Dès lors, elle fut déclarée territoire interdit et bouclée à quatre tours.
Sait-on jamais quel genre de voeux les gens aimeraient voir se réaliser...
Mais qu'est-ce que c'était si ce n'était pas une météorite ?
Puisque je vous dis qu'on ne sait pas.
Vous-même, qu'en pensez-vous ?
Je n'en pense rien. Ça pouvait être tout ce qu'on voudra.
Un message au genre humain, comme dit un collègue.
Ou un cadeau.
Pas mal, le petit cadeau.
Quel but poursuivraient-ils donc ?
Ils voudraient nous rendre heureux.
Les fleurs ont repoussé, mais bizarrement elles ne sentent pas.
Je m'excuse de vous avoir laissés ici, de toute façon on devait attendre.
Vous avez entendu ?
Et si quelqu'un vivait ici ?
Qui ?
Ceux dont vous avez parlé.
Les gens qui venaient faire du camping au début.
Dans la Zone il n'y a personne. Et il est impossible qu'il y ait quelqu'un.
Et maintenant, en route.
Et pour le retour, comment fait-on ?
- Ici on ne retourne pas. - Que voulez-vous dire ?
Marchons, comme convenu.
Je vous donne les directions.
S'en écarter est périlleux.
Premier repère, le poteau là-bas.
Vous ouvrez la marche, Professeur.
A vous.
Tâchez de marcher dans ses traces.
Juste ciel... Et où sont les... ?
Ils sont là, quelque part ? Les gens ?
Qui peut le dire.
Je me souviens des grands départs à la gare, tout le monde voulait en être.
Je n'étais qu'un gamin à l'époque.
L'opinion prévalait qu'il s'agissait d'une invasion.
A vous, Professeur.
A vous, l'Ecrivain.
Elle est là-bas, votre Chambre. Nous autres, c'est par ici.
Vous parliez d'expédition éprouvante ? Il n'y a qu'à tendre la main.
Oui, mais la main doit être longuette.
Pas la nôtre.
Laissez ça ! Ne touchez pas !
Non, n'y touchez pas !
Je vous dis de ne pas y toucher !
Vous n'êtes pas fou ? Qu'est-ce qui vous prend ?
On ne vient pas ici pour se promener.
La Zone veut qu'on la respecte, sinon elle sévit.
Tâchez seulement de recommencer... Vous avez perdu votre langue ?
Je vous avais pourtant prévenus !
C'est par là ?
Oui. Il faut monter et tout de suite à gauche.
Sauf que nous prenons un autre chemin. Nous allons faire le tour.
Pourquoi cette fantaisie ?
Personne ne passe par ici.
Plus on s'avance dans la Zone, moins il y a de risque.
Et tout droit, c'est mortel ?
Je vous l'ai dit, c'est dangereux.
- Ça l'est moins si on fait le tour ? - Le danger reste. Mais nul ne va ici.
Les chemins que nul n'emprunte, moi... Tenez, que j'essaye tout de même...
Ça ne va pas, vous ?
Un détour pareil ! Alors qu'on est pratiquement rendu.
Risqué ici, risqué là-bas. La différence, nom d'une pipe ?
Vous faites preuve d'une légèreté regrettable.
J'en ai par-dessus la tête de vos boulons et de vos bandes.
Comme vous voulez, mais moi j'y vais.
- C'est de la démence. - Dites, vous vous êtes regardé ?
Je peux ?
Le vent se lève...
Vous sentez ça ? Les herbes...
Et alors ? D'autant plus.
D'autant plus quoi ?
Attendez !
Mais retirez vos mains !
Le Professeur témoignera que je ne vous y ai pas envoyé.
Vous y allez de votre plein gré.
De mon plein gré. Quoi encore ?
Rien. Vous pouvez aller.
Nous prierons Dieu pour que la chance vous sourisse.
Dites donc !
Si des fois vous remarquez quelque chose,
ou même si vous croyez sentir quelque chose d'anormal,
vous retournez immédiatement sur vos pas... sinon...
J'espère que vous n'allez pas me lancer vos ferrailles dans le dos ?
Arrêtez ! Ne bougez plus !
- Qu'est-ce que vous faites ? - Je fais quoi ?
- Pourquoi l'arrêtez-vous ? - Je croyais que c'est vous...
Quoi encore ? Pourquoi m'avez-vous arrêté ?
Ce n'est pas moi.
Qui alors ? Vous ?
Je n'en sais fichtre rien...
Je dois dire que vous êtes un as, citoyen Shakespeare.
Aller de l'avant fait peur, rebrousser chemin fait honte.
Me suis donc commandé à moi-même. J'en ai même dessoûlé d'émotion.
- Vous dites ? - Cessez immédiatement.
- Pourquoi avoir vidé la bouteille ? - Cessez ! C'est un ordre !
La Zone est un savant système de...
de pièges, disons, et ils sont tous mortels.
J'ignore ce qui se passe ici en l'absence des hommes,
mais il suffit qu'un seul paraisse pour que tout se mette en branle.
Les anciens pièges cèdent la place à de nouveaux pièges.
Les endroits qu'on croyait sûrs deviennent impraticables.
Le chemin est tantôt aisé, tantôt labyrinthe inextricable.
Voilà ce que c'est la Zone.
On finirait par croire qu'elle a ses caprices.
En réalité, elle est ce que notre état psychologique en fait.
Il y a eu des marcheurs qui ont renoncé à mi-parcours.
D'autres ont péri sur le pas de la Chambre.
Mais tout ce qui a lieu ici ne dépend que de nous. La Zone n'y est pour rien.
Elle ne touche pas les gentils et arrache la tête aux vilains ?
Je n'en sais rien.
J'ai l'impression qu'elle laisse passer ceux
qui n'espèrent plus rien.
Des gens ni vilains ni gentils, simplement malheureux.
Mais aussi malheureux que vous soyez, faites un impair et vous êtes fichu.
Vous êtes chanceux, elle s'est contentée de vous prévenir.
Réflexion faite, je vous attendrai ici,
le temps que vous reveniez avec une pleine malle de bonheur.
C'est exclu !
J'ai des sandwiches, ma bouteille thermos...
Sans moi, vous ne tiendrez pas une heure.
Et puis le retour ne se fait jamais par le même chemin.
J'insiste tout de même...
Dans ce cas, nous rentrons chez nous tous les trois.
Je vous rends votre argent moins un petit quelque chose...
Pour le dérangement, en somme...
Vous avez retrouvé vos esprits, Professeur ?
Bien. Vous lâchez votre boulon.
Deuxième partie
STALKER
Où êtes-vous passé ? Venez ici !
Vous êtes fatigué, déjà ?
Seigneur...
Ecoutez-le, je crois qu'il recommence avec ses sermons.
Que le projet s'accomplisse.
Qu'ils se fient à ce qu'ils voient.
Et qu'ils s'amusent à découvrir leurs passions.
Ce qu'ils nomment ainsi en réalité n'a rien à voir avec l'énergie de l'âme,
ce n'est que le produit de son frottement contre le monde matériel.
L'essentiel, c'est qu'ils en viennent enfin à croire en eux-mêmes.
Et deviennent impuissants comme les enfants,
car la faiblesse est grande et la force n'est rien.
A sa naissance, l'homme est faible et malléable,
quand il meurt il est dur de chair et dur de coeur.
Le bois de l'arbre qui pousse est tendre et souple,
quand il sèche et perd sa souplesse, l'arbre meurt.
Coeur sec et force sont les compagnons de la mort.
Malléabilité et faiblesse expriment la fraîcheur de l'existant.
C'est pourquoi ce qui a durci ne peut vaincre.
Arrivez ici ! Nous progressons normalement.
On est bientôt dans le tunnel sec, après c'est plus facile.
Touchons du bois.
- Quoi, nous repartons ? - Oui. Ça vous surprend ?
Je pensais que vous vouliez seulement nous montrer quelque chose.
- Et mon sac à dos ? - Que lui est-il arrivé à votre sac ?
Resté là-bas. Est-ce que je savais que nous repartons pour de bon ?
- Tant pis pour le sac. Trop ***. - Ah non, je vais le chercher.
- C'est impossible. - Mais j'ai besoin de mon sac !
Puisque je vous le dis: ici on ne retourne jamais par le même chemin !
Laissez-le où il est et n'y pensez plus. Vous avez des diamants dedans ?
La Chambre vous donnera tout ce que vous désirez.
Mais si. Une montagne de sacs à dos.
Et c'est encore loin, cette chambre ?
200 mètres en ligne droite, mais ici les droites n'ont pas cours.
Allons-y.
Laissez votre empirisme, Professeur. Le miracle l'ignore.
Souvenez-vous de saint Pierre, comment il a manqué de se noyer.
Avancez, l'Ecrivain.
Où dois-je aller ?
Prenez par l'escalier.
Professeur, où êtes-vous passé ?
Et voici le tunnel.
Vous appelez ça un tunnel sec ?
Une plaisanterie du cru. D'ordinaire nous le franchissons à la nage.
Minute, où est le Professeur ?
- Hein ? - Le Professeur a disparu !
Où aviez-vous les yeux ? Il fermait la marche derrière vous.
Il a dû s'attarder et se sera égaré.
Lui, égaré ? Je suis sûr qu'il est allé récupérer son sac à dos.
Cette fois il a gagné...
Nous n'allons pas l'attendre ?
Impossible. A chaque instant, tout change. Nous continuons sans lui.
Regardez. Qu'est-ce que c'est ? D'où ça peut sortir ?
- Je vous ai expliqué. - Qu'est-ce que vous m'avez expliqué ?
La Zone, vous comprenez ?
Et voilà le disparu !
Certes, je vous sais gré d'avoir... enfin...
Comment avez-vous fait pour nous retrouver ?
A vrai dire à quatre pattes dans le cloaque, tout le chemin.
Incroyable. Et comment avez-vous réussi à nous devancer ?
Vous devancer ? Je me suis contenté d'aller récupérer mon sac.
Et notre boulon, comment s'est-il retrouvé ici ?
Grand Dieu... c'est un piège !
Porc-épic, c'est lui le boulon.
Comment la Zone a-t-elle pu nous laisser passer...
Seigneur, je ne fais plus un pas tant que...
Il ne manquerait plus que ça.
Allez, on se repose !
Et tenez-vous à distance, on sait jamais.
J'avoue à ma honte que je ne donnais pas cher du Professeur après ça.
C'est que...
Je ne sais jamais d'avance à qui j'ai affaire.
La situation s'éclaircit sur place, le plus souvent quand il est trop ***.
Nous, quoi ? Les caleçons du Professeur sont saufs, voilà l'important.
Fourrez pas le nez dans les caleçons des autres, si vous ne comprenez pas.
Qu'y a-t-il à comprendre ? Le binôme de Newton, tu parles.
Des abîmes de psychologie.
A l'institut, nous avons mauvaise presse.
Ils refusent de financer nos expéditions.
Je dois faire quoi ? Mon plein sac de manomètres, de merdomètres,
petite escapade illégale dans la Zone...
et hop, tous les prodiges du lieu au test de l'algèbre !
Pas un type au monde n'a la moindre idée de ce que peut être la Zone.
Et là, enfin ! Un scoop sensationnel.
La télé, les groupies qui mouillent d'extase, des tonnes de lauriers.
Notre Professeur paraît en habit blanc
et déclare: "Méné-méné teccel üparsin."
Toutes les bouches s'arrondissent,
on crie sur l'air des lampions: "Prix Nobel, Prix Nobel !"
Vous, l'Ecrivailleur miteux, le psychologue du dimanche...
Votre place est dans les urinoirs, avec vos graffiti et votre baratin...
Faiblard. C'est pas votre tasse de thé.
Vous ne savez pas comment on doit le faire.
Très bien. Je vais chercher le Nobel.
Et vous, qu'est-ce qui vous démange ? Le désir d'honorer l'humanité
de deux-trois perles de votre inspiration à tant de l'heure ?
Vous savez où je l'ai, votre humanité ? De tout le genre humain,
le seul type qui m'intéresse c'est moi.
Je vaux quelque chose, ou je suis une merde comme certains à qui je pense ?
Et si vous constatez qu'en effet, vous...
C'en est trop, monsieur Einstein: j'arrête là cette discussion.
C'est pourtant de la discussion que naît cette garce de vérité.
Dites voir, Chingachgook...
Vous qui avez guidé un tas de gens comme nous.
Pas tant que j'aurais voulu.
S'agit pas de ça. Qu'est-ce qui les poussait à venir ? Que cherchaient-ils ?
Leur bonheur, je pense.
Leur bonheur ? Quel sorte de bonheur ?
Les gens n'aiment pas déballer leur monde intime.
D'autant que ça ne regarde personne, ni vous ni moi.
De toute manière, vous avez de la chance.
Moi, de toute ma vie, je n'ai pas vu un seul homme heureux.
Moi non plus.
Ils ont visité la Chambre, je les ramène chez eux
et nous nous perdons de vue pour toujours.
Un voeu, ça ne peut pas s'accomplir instantanément.
Et vous, vous n'avez jamais été tenté de profiter de cette fameuse chambre ?
Je suis très bien comme cela.
Professeur, un instant.
Je voudrais revenir sur l'inspiration rémunérée.
Supposons que j'entre dans la chambre
et que je regagne notre ville oubliée du bon Dieu dans la peau d'un génie.
Quoi alors ? Celui qui écrit ne le fait que parce qu'il souffre, qu'il doute.
Il ressent le besoin permanent de prouver, à soi et à l'entourage,
qu'il n'est pas un zéro, qu'il vaut quelque chose.
Mais si je sais, preuve par neuf, que je suis un génie ?
Qu'est-ce qui m'inciterait à écrire dans ce cas ?
Qu'en aurais-je à fiche ?
D'une manière générale, je vous dirai,
nous existons ici-bas pour...
Soyez aimable, fichez-moi la paix...
Laissez-moi faire un somme, je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit.
Vos complexes, gardez-les pour vous.
Quoi qu'il en soit, toutes vos technologies...
Vos hauts-fourneaux, vos engrenages...
et tout le saint-frusquin,
c'est pour travailler moins et bâfrer davantage.
Des béquilles, des prothèses.
Le genre humain n'est pas là pour ça, il est là pour créer...
des oeuvres d'art.
Action désintéressée, à la différence de toutes les autres actions humaines.
Les grandes illusions ! Le mythe de la vérité absolue !
Vous m'écoutez, Professeur ?
De quel désintéressement parlez-vous ?
Des hommes crèvent encore de faim. Vous tombez de la lune ?
Et ce sont là nos aristocrates de l'intellect !
Vous êtes incapable de penser dans l'abstrait.
Tel que je vous vois, vous voulez m'enseigner le sens de la vie ?
Et même le bien penser ?
Echec garanti. Vous avez beau être Professeur, vous n'êtes qu'un ignare.
Et ce fut le Grand séisme,
et le Soleil s'obscurcit comme cilice,
et se fit la Lune sang...
Et les étoiles churent sur la Terre,
ainsi le figuier secoué par le vent de tempête
perd ses fruits encore verts.
Et le ciel se roula comme un parchemin et disparut,
et les montagnes, les îles se mirent en mouvement.
Et les rois de la terre, les seigneurs,
les riches, les capitaines,
les puissants et les hommes francs,
tous coururent se réfugier dans les cavernes, dans les gorges,
disant aux rochers et aux pierres: "Roulez, ensevelissez-nous,
"dissimulez-nous à la face de celui qui siège sur le trône,
"et à l'ire de l'agneau,
"car voici venu le grand jour de sa colère,
"qui peut en réchapper ?"
En ce même jour, deux hommes,
deux d'entre eux...
regagnaient un village distant d'une soixantaine de stades...
qui avait nom...
et ils s'entretenaient de tous ces événements.
Et pendant qu'ils causaient ainsi et discutaient...
il s'approcha d'eux, il marcha en leur compagnie,
mais leurs yeux étaient bridés et ils ne le reconnurent pas.
Alors il demanda: "A quel propos...
"disputez-vous si vivement, pourquoi êtes-vous si tristes ?"
L'un deux nommé...
Réveillé ?
Vous parliez du sens...
de notre... existence...
du désintéressement de l'art...
Disons, la musique.
Elle qui procède le moins du réel,
et si il y a un lien, il n'est pas idéel, il est mécanique.
Un son sans signifiant, sans... sans associations mentales.
Et ça ne l'empêche pas d'aller toucher miraculeusement au fin fond de l'âme.
Qu'est-ce donc qui résonne en nous à ce qui n'est jamais qu'un bruit harmonisé,
qu'est-ce qui le transforme en une source de plaisir élevé,
et nous fait communier dans ce plaisir, et nous bouleverse ?
A quelle fin tout ceci ? Et surtout, qui en a besoin ?
Vous me répondrez: "Personne, voilà, c'est comme ça.
"C'est désintéressé."
Eh bien non.
J'en doute.
En dernier ressort et à bien y regarder, tout a un sens.
Un sens et une cause.
Enfin, pas par là tout de même ?
Je regrette, si. Il n'y a pas d'autre voie.
Ça manquerait d'éclairage, non, Professeur ?
Ici je souhaiterais ne pas ouvrir la marche.
Grand Serpent ne prend pas de risques inutiles.
Je crois qu'il faut tirer au sort. Vous n'y voyez pas d'inconvénient ?
Moi j'aurais préféré que l'un de vous soit volontaire.
Vous avez des allumettes ?
Merci.
La longue est perdante.
Tirez.
La longue. Pas de chance cette fois.
Lancez au moins votre boulon pour voir.
Bien sûr, voilà.
Un autre ?
Bon... j'y vais.
Dépêchez, Professeur !
Une porte... il y a une porte...
Voilà ! Vous ouvrez et vous entrez !
C'est moi qui dois le faire ? Ouvrir et entrer ?
Le sort vous a désigné ? Faites vite. On ne s'attarde pas dans ce passage.
Qu'est-ce que vous fabriquez là-bas ? Pas d'arme, en aucun cas !
Vous allez à votre perte, et nous avec vous !
Rappelez-vous les tanks !
Jetez ça, je vous en conjure !
Enfin, vous ne comprenez pas ?
Si vous êtes en difficulté, j'accours à la rescousse. Mais pas d'arme...
Je vous en conjure ! A la fin, sur qui voulez-vous tirer dans ce boyau ?
Avancez, nous prenons du retard !
C'est plein d'eau !
Tenez-vous à la rampe et descendez.
Vous ne bougez pas d'ici ! Attendez là-haut, devant la porte !
Vous, j'espère, vous n'avez pas de ça ?
- De ça ? - De pistolet, ou dans le genre.
J'ai une ampoule, pour le cas où ça tournerait mal.
- Une ampoule ? - Du cyanure, je l'ai là.
Sainte Vierge, vous comptez laisser vos os dans la Zone ?
Est-ce qu'on sait ? A tout hasard.
L'Ecrivain ! Arrière !
Revenez immédiatement, suicidaire !
Je vous ai dit d'attendre à la porte ! Restez-y ! Et ne bougez plus !
Tout ça, c'est votre tuyau.
- Quoi, mon tuyau ? - Ce serait à vous d'y voir le premier.
Vous voyez bien ce que la frousse lui fait faire.
Un test de plus.
Des tests, des faits, la vérité en dernière instance.
Les faits, ça n'existe pas, la chose est établie. Et surtout pas ici.
Tout ceci n'est qu'une fumisterie montée par je ne sais quel idiot.
Comment ne le voyez-vous pas ?
Certes, et vous tenez absolument à savoir qui en est l'auteur.
Non, pourquoi ?
Vos savoirs, qu'est-ce qu'ils nous procurent de bon ?
Quelle conscience vont-ils remuer ? La mienne ?
Je n'en ai pas. Je n'ai qu'un paquet de nerfs.
Une crapule m'injurie, je souffre.
Une autre me félicite, je souffre encore.
Tu y vas coeur et âme ? Ils te boufferont l'un et l'autre.
Tu te sors les tripes avec la merde dedans ? Les boufferont tout pareil.
Ils sont analphabètes, du premier au dernier.
Ils sont atteints du syndrome de jouissance.
Et tu ne vois qu'eux, des journalistes,
des rédacteurs, des critiques, des nanas qui tournent autour de toi.
Comme la mouche du coche: le topo, le topo par ici !
Crénom de Dieu, comment puis-je me dire écrivain si je hais l'écriture ?
Si elle m'est souffrance, occupation morbide, honteuse ?
Du genre hémorroïde qu'on presse entre les doigts.
J'ai longtemps cru que mes livres aidaient à vivre quelques lecteurs.
Ouiche ! Qui a besoin de moi !
48 heures après ma mort, ils vont se mettre à bouffer quelqu'un d'autre.
Moi qui pensais pouvoir les changer, ce sont eux qui m'ont changé !
A leur image et ressemblance.
Autrefois le futur était le simple prolongement du présent.
Et tous les changements miroitaient au loin, quelque part derrière l'horizon.
Maintenant le futur s'est confondu avec le présent.
Vous croyez qu'ils s'y sont préparés ?
Eux qui ne veulent rien savoir ! Qui ne pensent qu'à bâfrer !
Dites, vous avez un sacré pot !
Mon Dieu, après ça... après ça, vous allez vivre centenaire.
Eternellement, tant que vous y êtes ?
Comme le Juif errant.
Je dois croire que vous êtes un homme d'exception...
Je n'en doutais guère d'ailleurs.
Quand je pense à l'épreuve que vous venez d'endurer...
Ce tuyau est un endroit infernal ! Le plus terrifiant de la Zone !
Nous l'appelons "la moulinette", mais c'est infiniment pire !
Si vous saviez combien d'audacieux y ont laissé leur vie...
Le frère de Porc-épic y est resté.
Un garçon d'une finesse, bourré de talent...
Ecoutez plutôt.
Voici que l'été est passé, Autant dire un mirage.
Au soleil il fait bon, Mais on en voudrait davantage.
Tout ce qui devait arriver,
Comme une feuille échancrée, Est tombé sur ma page,
Mais j'en voudrais davantage.
Ni le mal, ni le bien, Rien ne s'est perdu en vain,
Tout a fait flamme claire et sage, Mais j'en voudrais davantage.
La vie m'a accueilli sous son aile, Pour me garder et me sauver.
Et c'est vrai que j'ai évité le naufrage, Mais j'en voudrais davantage.
Pas de feuilles brûlées, Pas de branches brisées,
Un jour propre comme le vitrage, Mais j'en voudrais davantage.
Pas mal, hein ? Le poème est de lui.
Mais tu as fini de t'agiter ? De tourner en rond ?
- Mais non, je... - La danse de saint Guy, ma parole !
C'est la joie... C'est si rare qu'on amène tout le monde à bon port !
Vous avez été parfaits... Vous êtes des hommes de coeur, des gens honnêtes.
J'en suis fier, mon intuition ne m'a pas trompé.
Vous l'entendez ? Une grande réussite: il n'y a pas eu de mort...
Notre bonne fortune ! La Zone ! Je suis un type merveilleux !
Tu crois que je n'ai pas vu tes deux pailles longues ?
- Non, non, vous ne saisissez pas... - Pour sûr, un demeuré comme moi !
Je vous demande pardon, Professeur, je ne voudrais pas paraître méchant,
mais cet individu vous a à la bonne, c'est manifeste.
Allons, allons...
Et moi, créature de qualité inférieure, il m'a réservé pour le tuyau !
Une moulinette ! Vous appréciez le mot ?
Mais qui t'a donné le droit de décider
qui doit vivre et qui passe à la moulinette ?
Vous avez tiré à la courte paille !
Qu'est-ce que j'ai tiré ? Une des deux longues pailles ?
Les allumettes, c'est rien.
La Zone vous a accepté bien avant, au premier boulon.
Le signal était clair: si quelqu'un pouvait passer indemne, c'était vous.
Les autres n'avaient plus qu'à suivre !
Un peu fort, vous ne trouvez pas ?
Vous ne pouvez pas savoir comme c'est terrible de se tromper.
Il faut pourtant que quelqu'un aille le premier.
Oui ! Non, ce n'est pas la clinique.
C'est ce que je dis, quelqu'un doit aller le premier !
N'y touchez pas !
Le laboratoire n°9, s'il vous plaît.
Une minute.
- Je vous écoute. - J'espère que je ne dérange personne ?
- Au but, je te prie. - Juste deux mots.
Ce que vous avez caché, je l'ai trouvé.
Le vieux bâtiment, bunker n°4. Tu m'entends ?
J'alerte immédiatement la Sûreté.
Alerte qui tu veux, dénonce-moi,
mets-moi à dos tous mes collaborateurs - trop *** !
Je me trouve à deux pas de l'endroit que tu sais.
Saisis-tu que ta carrière scientifique s'achève là si tu fais ça ?
Eh bien ? Réjouis-toi !
Tu comprends ce que tu déclenches, si tu oses le faire ?
Encore des menaces ?
J'ai passé ma vie à avoir peur. De tout, même de toi.
Et là, pas ça de peur. Je t'assure.
Bon Dieu, mais qui es-tu ? Pas même un Hérostrate.
La vie dont tu parles, tu l'as passée à essayer de me faire des crasses.
Pourquoi ? Parce qu'il y a 20 ans j'ai couché avec ta femme.
Alors là tu exultes, tu tiens enfin ta vengeance.
Très bien, va. Va le faire ton... Tu m'écoeures, tiens.
Essaie seulement de raccrocher !
La prison n'est pas le pire de ce que tu te prépares.
Le pire, c'est que tu ne pourras jamais te pardonner cet acte.
Je te vois d'ici, dans le coin de la tinette, étranglé par tes bretelles.
Qu'avez-vous en tête, Professeur ?
Pensez à ce qui va se passer quand tout le monde voudra voir la chambre.
La marée humaine qui va déferler.
Ce n'est qu'une question de temps. Si ce n'est pas
aujourd'hui, ce sera demain. Des centaines, des milliers de fous.
Tous les empereurs, grands inquisiteurs et führers inaccomplis,
ces bienfaiteurs du genre humain !
Et pour quoi ? Ni pour l'argent ni pour l'inspiration - pour changer le monde !
Ceux-là je ne les prends jamais. Est-ce que je ne comprends pas ?
Que pouvez-vous comprendre !
Comme si vous étiez le seul stalker, le seul passeur au monde.
Que savez-vous, tous les stalkers, des gens que vous guidez ?
De ce qu'ils apportent avec eux, de ce qu'ils emportent ?
En attendant le nombre des crimes immotivés atteint des sommets.
Ça ne serait pas votre besogne, des fois ?
Et les putschs militaires, les mafias au gouvernement,
ce ne seraient pas vos clients ?
Et les lasers, les bactéries,
toute cette saleté qui attend son heure au fond des chambres fortes ?
Arrêtez ! Je ne veux plus entendre votre logorrhée sociologique.
Est-il possible que vous prêtiez foi à ces contes de la mère-grand ?
Aux contes roses, non. Aux contes à faire peur - et comment !
Allons donc !
Un homme ne peut pas concevoir une haine, un amour pareils...
adressés à tout le genre humain...
L'argent, oui, les femmes, la vengeance,
le chef qu'on verrait avec plaisir se casser la pipe, ça se comprend encore...
Mais le pouvoir sur le monde ! Mais la société équitable !
Le Règne des Cieux sur la terre !
Ce n'est plus un voeu, c'est une idéologie, une action, une conception.
La compassion qui n'est qu'instinctive est incapable de se réaliser.
Idem de tout voeu instinctif ordinaire.
Peut-on être heureux au prix du malheur des autres ?
Je vois fort bien
que votre projet consiste à détruire l'humanité à gros coups de bienfaits.
Mais je n'ai aucune inquiétude, ni à votre sujet, ni à mon sujet,
et moins encore au sujet de l'humanité.
Parce que votre projet est mort-né.
Au mieux vous décrocherez votre Nobel.
Plus probablement, vous récolterez quelque chose de très désagréable,
ce qui semble vous avoir complètement échappé. Comme au téléphone...
On rêve d'une chose, on en obtient une autre, très différente.
Où êtes-vous parti ?
Le téléphone... Le courant...
Oh-oh, un excellent somnifère.
Je sais qu'on ne le fait plus. D'où peut bien provenir pareille quantité ?
Si on allait par là ?
La nuit n'est pas loin, on n'y verra plus pour revenir.
Soit dit en passant, je ne suis pas dupe
de vos récitations, de vos marches en rond. Simple stratagème
que vous croyez avoir trouvé pour mieux vous excuser.
Je vous comprends. Une enfance difficile, le milieu...
Mais ne vous faites pas d'illusions, je ne vous pardonnerai pas.
Ah non, ne remettez pas ça.
Professeur, voulez-vous approcher.
Une petite minute. Surtout pas de presse.
Mais je ne me dépêche nullement.
Je sais que vous allez vous fâcher.
Je dois pourtant vous le dire...
Nous sommes, vous et moi... sur le seuil...
Voici venu l'instant le plus important de votre vie.
Vous devez savoir que...
qu'ici même va s'accomplir votre voeu le plus cher.
Le plus sincère ! Celui qui vous a coûté le plus !
Vous n'avez pas besoin de parler.
Vous devez seulement...
vous concentrer et tâcher de vous remémorer votre chemin de vie.
Quand on pense à son passé, on devient meilleur.
Mais le principal...
Le principal...
Y croire !
Alors on y va.
Qui veut commencer ?
Vous, non ?
Moi ? Mais pas du tout.
Je vous comprends, ce n'est pas aussi simple qu'il paraît. Ça va passer.
Voilà qui m'étonnerait...
Ça va passer.
Si je me mets à me remémorer ma vie,
il y a peu de chances que je devienne meilleur.
Et puis, tu ne sens pas comme tout ceci est infamant ?
S'humilier, battre sa coulpe, prier ?
Qu'y a-t-il de mal dans la prière ?
C'est votre orgueil qui parle ainsi.
Ne vous irritez pas. Vous n'êtes pas prêt, rien de plus. Ça arrive souvent.
Peut-être vous alors ?
Moi.
Nous avons sous les yeux la dernière invention du professeur Professeur.
L'appareil à sonder les âmes ! L'animomètre !
En réalité une simple bombe.
Quoi ?
Il plaisante.
Non. Une bombe. Vingt kilotonnes.
Pour quoi faire ?
Nous l'avons bricolée avec des amis.
D'anciens collègues.
Ce lieu n'apportera jamais le bonheur à personne.
Et s'il tombe entre de vilaines mains...
A vrai dire, je ne sais plus qu'en penser.
A l'époque, nous avions fini par convenir...
que tout compte fait, il ne fallait pas détruire la Zone.
Même dans l'hypothèse du miracle, elle reste partie de la nature,
et par conséquent, porteuse d'espoir, en un certain sens.
Ils avaient caché cette mine, moi je l'ai trouvée.
Le vieux bâtiment, bunker n°4.
Je crois qu'il y a nécessairement un grand principe à respecter...
ne jamais rien accomplir d'irréversible.
Je comprends tout, je ne suis pas un maniaque.
Mais tant que ce chancre est là, accessible à la première crapule,
je ne pourrai pas dormir, je n'aurai pas la paix.
A moins que, sait-on jamais, un dernier réflexe sacré ne s'interpose ?
Mon pauvre, voilà bien un problème.
Donnez-moi ça !
Rendez-le-moi !
Vous, un intellectuel !
- Que faites-vous ? Non ! - Toi, la petite gouape hypocrite...
Pourquoi ? Pourquoi... me frappez-vous ?
Vous ne voyez pas qu'il veut tuer votre espérance ?
Que reste-t-il encore aux hommes ici-bas ?
L'unique endroit... où on peut venir
quand on n'espère plus rien.
Vous êtes bien venu, vous !
Qui vous autorise à tuer l'espérance ?
Mais tu la fermes ?
Je te perce à jour !
Les hommes ? Voilà bien ton dernier souci !
L'argent, oui. Tu fais ton beurre sur notre... notre grande pitié.
Et puis non, il ne s'agit même pas d'argent.
Il s'agit que tu jouis de ta puissance, toi, le tsar, le dieu.
Petite gouape hypocrite, tu décides qui doit vivre, qui doit mourir.
Et par-dessus le marché il s'offre le luxe du choix !
Maintenant, je comprends pourquoi le stalker n'entre pas dans la chambre.
Pardi, l'ivresse du pouvoir, du mystère, de l'autorité à bon compte !
De quels voeux parlez-vous !
C'est faux ! Vous... vous êtes dans l'erreur.
Un stalker ne peut pas pénétrer dans la Chambre.
Plus encore, il ne peut pas entrer dans la Zone dans un but mercantile.
Rappelez-vous Porc-épic !
Oui, une gouape, vous avez raison...
Je n'ai rien fait d'utile dans ce monde et je suis incapable de rien faire.
Même ma femme, qu'est-ce que j'ai pu lui donner ?
Et je ne peux pas avoir d'amis. Mais laissez-moi ce qui m'appartient !
On m'a déjà tout pris, là-bas, de l'autre côté des barbelés.
Tout ce qui me reste est ici. Vous comprenez ? Ici ! Dans la Zone !
Mon bonheur, ma liberté, ma dignité - ici !
Qui est-ce que je guide ? Des comme moi, des malheureux qui souffrent.
Qui n'ont plus rien à espérer.
Moi je peux les soulager !
Personne ne le peut, moi, la petite gouape, je peux.
J'en pleurerais de bonheur, de savoir que je peux les aider.
C'est tout ! Je ne demande rien d'autre.
Je ne sais pas. Il se peut.
N'empêche que... tu m'excuses, mais...
L'innocent du village, voilà qui tu es !
Tu n'as pas la moindre idée de ce qui se passe ici en réalité.
A ton avis, pourquoi ton Porc-épic s'est pendu ?
Il est entré dans la Zone avec un projet mercantile.
Il a laissé périr son frère dans la moulinette pour se faire de l'argent.
Je vois. Mais pourquoi se pendre ?
Son frère, pourquoi n'est-il pas retourné le chercher après coup ?
Quoi, pas le moindre remords ?
Il voulait... Non, je ne sais pas. Sept jours après, il s'est pendu.
Evidemment, quand il a compris que ce n'étaient pas de simples désirs
qu'il fallait souhaiter voir s'accomplir, mais son voeu secret le plus cher.
Quant à ce que tu vas clamer sur tous les toits...
Ne s'accomplira ici que ce qui correspond à ta nature profonde,
un aspect de ton moi dont tu n'as aucune idée.
Mais qui es en toi et qui te gouverne toute ta vie durant.
Oui, Chausses de Cuir, tu n'as rien compris.
Ce n'est pas à la cupidité que Porc-épic a cédé.
Je suis sûr qu'il est revenu dans le cloaque implorer la grâce de son frère
au lieu de quoi, il a reçu un compte en banque, et c'est logique.
Parce que, lorsqu'on est Porc-épic, on a le salaire correspondant.
Ses remords, ses souffrances morales - de la foutaise tout ça.
Il l'a compris et il s'est pendu.
Je n'irai pas dans ta chambre.
Je ne veux pas déverser mes ordures sur le pas de ma porte.
Ni même sur le pas de la tienne.
Et faire ensuite comme Porc-épic, me passer la corde au cou.
Je préfère sombrer paisiblement dans l'alcool, chez moi, sans esclandre.
Oui, Grand Serpent, tu connais bien mal les hommes
si tu prends des gens comme moi dans la Zone.
Et puis...
D'où sais-tu que le prodige en question n'est pas un bobard ?
Qui vous a dit qu'en ce lieu vos désirs s'accomplissent ?
Avez-vous vu un seul type dont les désirs se sont réalisés ?
Porc-épic, peut-être ?
Et d'une façon générale, qui vous a parlé de la Zone,
de Porc-épic, de la chambre ?
Lui.
Dans ce cas, je renonce à comprendre.
A quoi bon venir ici ?
Quelle paix...
Vous entendez ?
Non, c'est vrai, tout envoyer balader...
prendre ma femme, mon Ouistiti, et s'installer ici.
Pour toujours.
Il n'y a personne. Personne pour leur faire des misères.
De retour.
Et ça, c'est quoi ?
Il s'est collé à moi. Je n'allais pas le chasser ?
Eh bien, on rentre ? Ouistiti m'attend.
On y va ?
Si quelqu'un veut de ce chien...
J'en ai cinq comme lui chez moi.
Dois-je comprendre que vous aimez les chiens ?
Oui, pourquoi ?
C'est bien.
Bon, il faut y aller.
Si vous saviez comme je suis fatigué !
Il n'y a que le bon Dieu pour le savoir...
Et ils se disent intellectuels, tous ces écrivains, tous ces savants...
Calme-toi, allons.
Ils ne croient à rien de rien...
Leur organe de la foi s'est atrophié, la fonction n'est plus sollicitée.
Cesse. Viens ici. Allonge-toi. Il ne faut pas...
C'est trop humide ici... Tu ne peux pas rester ici...
Ote ça.
Mon Dieu, d'où viennent-ils...
Calme-toi, ce n'est pas de leur faute.
Au lieu de les plaindre, tu te fâches.
Tu les as vus ? Ils ont les yeux vides.
Ils ne pensent qu'à une chose, se faire valoir,
se vendre au meilleur prix !
Se faire payer le moindre mouvement de l'âme, si seulement ils en ont une !
Ils savent qu'ils ne sont pas nés pour des prunes, qu'ils sont "élus".
Parce que, n'est-ce pas, la vie n'est donnée qu'une fois.
Des comme ça peuvent-ils croire à quelque chose ?
Tu t'énerves, arrête.
Essaie de trouver le sommeil, oui ? Dors.
Et personne n'y croit. Pas rien que ces deux-là. Personne !
Qui vais-je pouvoir conduire maintenant ?
Seigneur...
Le plus effrayant...
c'est que personne n'en a besoin.
Personne n'a besoin de la Chambre. Tous mes efforts ne servent à rien !
Pourquoi te mettre dans cet état ? Il ne faut pas.
Je n'y mets plus le pied, avec personne.
Tu veux, j'y vais avec toi ?
Toi ?
Tu crois que je n'ai rien à demander, moi ?
Non...
Ce n'est pas possible.
Pourquoi ?
Non, non.
Imagine un instant que, toi aussi, ça ne réussisse pas ?
Vous savez bien que maman était très montée contre lui.
Car je pense que vous avez déjà compris que c'est une âme innocente.
Comme on se moquait de lui...
Il était si gauche, si pitoyable.
Elle disait, maman: "Voyons, un stalker, un passeur.
"Autant dire un condamné à mort, un abonné de l'incarcération !
"Pense aux enfants qu'ils ont, les stalkers."
Et moi... je ne tentais même pas de discuter.
Je le savais très bien, oui, un condamné,
un abonné des prisons, et les enfants...
Mais qu'est-ce que je pouvais faire ?
J'étais sûre qu'avec lui je serais bien.
Je savais aussi que ma vie ne serait pas toujours rose.
Mais je préférais un bonheur au goût amer à...
à une existence grise et ennuyeuse.
Il se peut que je me sois inventé tout ceci après coup.
Lui, il est venu me trouver et il a dit: "Viens avec moi."
Je suis allée avec lui et je ne l'ai jamais regretté.
Jamais.
Du malheur, j'en ai eu.
Une angoisse, un sentiment de honte aussi.
Mais je n'ai jamais regretté ni jamais envié personne.
C'est ma destinée, voilà tout. C'est ma vie et nous sommes ainsi.
Et je ne crois pas que sans toutes nos misères, la vie aurait était moins dure.
Elle aurait été plus dure.
Parce qu'il n'y aurait pas eu de bonheur non plus.
Ni d'espérance.
Comme j'aime tes yeux, ami,
Le feu merveilleux qui y joue
Quand ils se lèvent, et ton regard
Plus vif qu'éclair au ciel
Décrit un grand cercle alentour.
Mais plus encore tes yeux
Me captivent quand ils s'abaissent
Et tu m'embrasses passionnément,
Et filtre entre la claie des paupières
La flamme sombre, mate du désir...
FIN