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-Vous avez des expériences un peu cocasses avec nos amis policiers ?
-Moi, heureusement, non. -Ouais, mais toi, ça se voit que non.
Salut. Ça va, déjà ?
-Ça va. Et toi ?
-Bah écoute, tranquille.
On va parler de rap. -Allez.
-Donc, déjà, est-ce que vous en écoutez à l'heure actuelle ?
Maintenant, tout de suite.
-Moi j'écoute de la bossa nova...
Non, je rigole, j'écoute du rap.
Non, de tout, vraiment de tout, mais surtout du rap, ouais.
Plus rap américain, ces derniers temps.
-Je dirais que j'écoute un peu...
Tout ce qui est dansant.
J'écoute pas du rap pour dire : "Ah, il a dit ça, ça veut dire ça."
Non, moi j'écoute, je...
J'écoute et je bouge en même temps.
On va dire que quand j'écoute du Lacrim, je suis en position...
-Il est énervant, Lacrim. -Il me ramène loin.
Il est très très bon mais il me ramène très très loin, aussi.
Et là, on a une personne qui écoute tout le rap.
-Malgré son apparence. -J'écoute tout.
-Malgré son apparence, il écoute vraiment tout.
-J'écoute de tout. Après, je me fais mon avis.
Y a des rappeurs que j'aime plus que d'autres.
Fianso, c'est un rappeur que j'aime par-dessus les autres.
Après, y a Médine, y a Kery James.
Tu vois, du vrai rap qui dénonce des vrais trucs.
-Toi, par contre, que rap français ? -Ouais, que rap français.
-Y a une raison ? -Ouais, je comprends pas, donc...
J'écoute, mais...
Après, vu que je comprends pas, je réécoute pas forcément.
-T'aimes bien Michael Jackson ?
-Ouais, vite fait. -Tu comprends pas.
-Je comprends pas, mais...
C'est pas pareil, c'est pas du rap, c'est dansant.
-Est-ce que tu dirais que t'es un peu nostalgique ?
Parce que tu disais qu'à l'ancienne, t'écoutais un peu plus de rap français.
-On va dire que j'écoutais par rapport à mon frère,
mon frère qui écoutait beaucoup la FF.
La Fonky Family. -Ah, la FF. Là, ça me parle.
-Et ouais, j'accrochais.
-Et vous qui êtes moins vieux et donc plus jeunes,
est-ce que vous vous rappelez
de comment vous avez découvert le rap ?
-J'assume pas trop.
Moi, j'ai découvert le rap avec le Hit Machine.
C'est la vérité.
En fait, c'est Alliance Ethnik.
-J'ai cru que t'allais dire Manau. Là, on aurait été obligés de couper.
-Y avait Solaar, aussi.
Et puis après, voilà, y avait...
IAM, NTM.
Mais j'étais trop petit, j'avais 5-6 ans,
donc je comprenais pas les paroles,
mais on va dire que j'aimais ça.
-Et toi, du coup ?
-Moi, comme ça, t'es avec tes potes, ils écoutent du rap, tu te branches dessus.
À l'époque, c'était du Booba, des trucs comme ça.
-Est-ce que vous avez des trucs qui vous manquent, dans le rap actuel ?
-Tu vois, des rappeurs comme Médine, qui disait qu'aujourd'hui,
le rap, c'est plus ce que c'était avant.
Avant, le rap, c'était plus fait pour laisser des messages,
pour réveiller un petit peu la population.
Aujourd'hui, c'est festif et tout, mais y a plus de message derrière tout ça.
C'est regrettable.
-Du coup, tu dirais que ça te manque, ce côté-là ?
-Ça manque. Bien sûr que ça manque.
Quand on parle avec les anciens,
ils nous disent qu'à l'époque, le rap, c'était un vrai truc de bonhommes.
Les personnes, elles chantaient pour réveiller les consciences.
Mais aujourd'hui, y a rien du tout.
Aujourd'hui on va... Moi le premier, hein.
Moi, aujourd'hui, quand j'écoute de la musique,
j'écoute vraiment de la musique pour écouter de la musique, pour m'amuser.
-La musique, c'est fait pour s'ambiancer, à la base,
même si c'est bien qu'il y ait un message, aussi.
Tu penses pas aussi que c'est une question d'époque ?
Par exemple, avant, on se renseignait plus
que maintenant.
Par exemple, maintenant,
on préfère se divertir ou s'amuser avec les potes,
regarder des matchs.
-Aujourd'hui, c'est même plus qu'on s'amuse, c'est qu'on...
Pour moi, hein, je mens pas. Même moi le premier.
On est endormis. On est vraiment, mais vraiment endormis.
La bâtisse où on est, elle s'appelle le Galion.
La dernière personnalité qui est venue à Aulnay
et qui a fait un clip,
c'est Fianso.
-C'est le clip de "Pégase", c'est ça ?
-Ouais, le clip "Pégase", qui a été tourné juste devant le Galion.
-Ça veut dire qu'aujourd'hui, par rapport au Galion,
y a des personnes qui viennent de très loin
pour pouvoir faire des clips ici.
Quand on voit qu'aujourd'hui, ils veulent détruire ce lieu de vie,
les Aulnaysiens, ils comprennent pas pourquoi.
Parce que cette bâtisse, elle a quand même une histoire.
Elle a quand même un vécu.
-Tous les mercredis, tu tapais ton grec au bout, là-bas.
-C'est vraiment...
-C'est le lieu de vie du quartier.
-C'est un lieu de vie, et c'est vraiment ici où les personnes,
quand y a un clip à faire à Aulnay,
on va pas plus loin, on vient au Galion
ou on reste sur la rue Edgar-Degas.
-Même des gens qui sont pas d'Aulnay.
Par exemple, Kery James, il est venu tourner un clip sur ces marches,
il y a trois ans, il me semble,
et il est venu au Galion parce que c'est un symbole.
C'est le symbole de la ville d'Aulnay-sous-Bois.
-Je pense que le rap, c'est vraiment la chose la plus importante pour...
La manière la plus importante pour dénoncer.
-Pour sauver une bâtisse comme le Galion, ça reste une branche.
-Après, faut que le maire soit fan de rap pour que ça marche, comme stratégie.
-Il doit écouter du Manau, lui.
-Et toi, du coup, vu que tu disais que tes rappeurs préférés,
c'était plus Médine, Kery James, cette branche-là,
t'es de son avis sur le côté absence de mise en avant du rap à message ?
-Le problème, c'est que l'époque évolue. Les maisons de disques sont obligées
de vivre avec leur époque,
c'est-à-dire envoyer des musiques vocodées, c'est ce qui vend.
Par exemple, du Jul, il peut pas lancer des vrais messages
comme Kery ou autre pourrait le faire.
-Après, il a réussi à faire faire ça à toute la France.
C'est quand même un beau message.
-Il fait ça. -C'est un bon, Jul.
-À Aulnay, il y a eu malheureusement
une affaire plus... de violence policière, on va dire, récemment.
Est-ce que vous vous rappelez de votre réaction quand vous apprenez
ce qu'on a appelé plus *** "l'affaire Théo" ?
-Franchement, j'étais choqué. J'étais choqué.
-T'as eu ce truc de pas y croire, dans un premier temps ?
-Non.
-Moi, je me suis dit : "C'est impossible.
Ils ont pas pu faire ça ici,
en plein milieu du quartier,
à Aulnay.
Non, c'est pas possible."
Avoir le courage d'en parler,
c'est grand, quand même.
Si ça se trouve, ils m'auraient fait la même chose.
Si ça se trouve, j'aurais pas eu le courage d'en parler.
L'affaire, elle a été médiatisée. L'affaire, tout le monde en parle.
L'affaire, tout le monde l'a sue.
Sur les réseaux sociaux,
on n'a pas que des personnes qui vont lui dire :
"Théo, franchement, je suis avec toi."
Y a des personnes, ils sont là, ils l'enfoncent encore plus.
Tu vois ce que je veux dire ?
Tandis qu'il a été courageux.
Le fait qu'il ait pu en parler, deux jours après, on en a entendu parler
aussi sur l'histoire qu'il y avait eu à Drancy, pareil.
À l'époque, quand on était plus jeunes,
y avait du répondant, direct.
Ça veut dire des grosses émeutes, des grosses prises de tête, oui, bien sûr.
On avait aussi en face de nous des policiers, c'était des hommes.
Ça veut dire que j'ai déjà vu
des policiers faire des tête-à-tête avec des grands du quartier.
-Ah ouais, ça, c'est fini.
-Avec l'uniforme ? -Ouais.
Il déposait son arme, son insigne,
et ils faisaient leur tête-à-tête.
Mais c'est des vrais policiers, c'est des vrais bonhommes.
Aujourd'hui, t'as des policiers, ils vont tourner à 4-5,
ils vont courir, ils vont s'arrêter,
ils vont t'arrêter un petit jeune de 13, 14, 15 ans.
Et je te parle de choses
qui se sont passées y a même pas 2-3 mois, et je l'ai vu de mes yeux.
-Les mauvais rapports jeunes de quartier/police,
vous voyez ça comment ?
Déjà, est-ce que vous voyez une sorte d'amélioration ?
-Le problème, c'est qu'il y a trop de tensions.
Le soir même de l'affaire Théo,
on s'est retrouvés à la cité avec tous les policiers autour de la cité,
armés et qui tiraient en l'air pour dissuader les gens.
Le soir même.
Donc, c'est sûr qu'après,
ils créent quand même un sentiment d'insécurité.
Quand ils arrivent...
Par exemple, la dernière fois, on faisait un barbecue dehors.
Ça se passait très bien.
Les policiers sont arrivés, et ils ont commencé à lever le ton,
ça a dégénéré.
Certains policiers, ils se pensent un petit peu au-dessus des lois.
Et ils donnent une mauvaise image de la police.
-J'ai mon petit frère,
il était au terrain de foot, il jouait au foot,
et t'as quatre policiers qui sont rentrés sur le terrain,
et ces policiers
ont récupéré le ballon et leur ont demandé de dégager.
Il a tenu tête au policier, il lui a dit :
"C'est pas ton ballon, tu me donnes le ballon."
En gros, ils se sont pris la tête.
À la fin, le policier lui a dit, mot pour mot :
"Toi et moi, on va se revoir."
Moins d'une semaine après,
il l'a chopé ici.
Ils sont sortis à cinq.
Ils l'ont chopé ici.
Je te dis, ils l'ont dégommé.
J'ai rien contre les policiers.
Juste pour te dire, j'ai mon petit frère qui est policier.
Y a des mecs dans ce quartier, c'est des flics !
Y en a même qui sont très bien.
Y en a qui sont gradés, y en a qui sont baqueux,
y en a qui sont gardiens de la paix.
On a de tout, dans notre quartier.
C'est eux qui veulent nous faire croire qu'on est antiflics.
Non, on n'est pas antiflics.
Quand je vais à Saint-Denis, dans son commissariat,
je suis bien accueilli,
y a pas de soucis ! -En même temps,
ils vont pas te tabasser si...
-Non, c'est parce que nous, on a vraiment essayé
de faire un travail entre la police et les jeunes.
On a même fait venir un policier
en plein milieu des 3000,
qui est venu pour répondre aux questions de tous les jeunes.
Et y avait pas mal de jeunes
qui se sont déplacés.
Y avait pas mal de parents, parce que tout le monde était en panique
après l'affaire Théo.
Ça veut dire qu'il y avait des parents qui avaient besoin de poser des questions.
Pourquoi autant d'arrestations ?
Pourquoi autant de contrôles ?
Tout ça, c'est une histoire de chiffre. À chaque fois, on revient sur des chiffres.
-Et le fait d'avoir certains habitants du quartier
qui sont eux-mêmes policiers,
ça peut pas un peu aider à décoincer ce genre de blocages ?
-Je pense que, après,
tu discutes avec la personne, elle peut t'expliquer mieux son métier,
comme la dernière fois qu'on a fait venir le policier là-bas.
Elle t'explique plus son métier,
elle répond à tes questions, et tu vois un peu plus son point de vue.
-Au moins, y a des policiers qui dénoncent. -Bien sûr.
L'affaire Théo, y a bien eu un policier qui a dénoncé ce qui s'était passé.
-Alors que quand t'as des affaires qui sont aussi graves que ce dont t'as parlé,
à part des rappeurs qui sont limite les voisins,
t'en as très peu qui s'en préoccupent.
Ou alors, va y avoir un post sur Instagram et puis sans plus, tu vois.
Vous, en tant qu'auditeurs,
vous aimeriez qu'il y ait plus d'implication de leur part ?
-Ça reste des artistes.
Leur boulot, c'est de nous donner de la bonne musique.
Mais après,
je pense que, quand on a une certaine influence...
Enfin, du moins, un nombre d'abonnés, de gens qui écoutent.
Ça fait pas de mal de soit glisser des messages,
soit participer à des marches ou des manifestations.
-Pour vous, est-ce que c'est possible
d'avoir l'équivalent d'un "Black Lives Matter" en France ?
Quand je dis "l'équivalent", c'est pas que pour les Noirs,
c'est global, tu vois.
-Bien sûr que c'est possible, mais est-ce que les gens vont écouter ça ?
-On va dire qu'ici, chacun est dans son petit coin.
Pour moi, y a pas assez d'unité. Y a pas assez d'unité.
On a été à Notre-Dame-des Landes, où y a les zadistes.
Les zadistes, je regardais sur YouTube, je les voyais : "Mais c'est qui, ces fous ?"
On a été, un week-end. -J'y ai été trois fois.
-C'était magnifique.
-Ils font des barbecues ? -Ils font de tout, ils sont autonomes.
-Y a pas d'argent. -Y a pas d'argent du tout, tu dis ?
-Y a pas d'argent du tout.
-J'y ai été trois fois.
Vraiment là-bas, c'est un système horizontal.
Tout le monde est l'égal de tout le monde,
y a pas de chef.
Vraiment, tout le monde fait ce qu'il veut.
Lui, il fabrique du pain, l'autre, il fabrique autre chose,
ils échangent.
-Y en a partout en France ?
-En fait, y a plein de petites sections,
mais y a pas beaucoup de grosses bases. Mais ils sont organisés.
-Y a une ZAD à Aulnay ? -À Aulnay ?
À Aulnay, c'est nous, la ZAD. La révolution est en marche.
Et la zone à défendre, c'est ici, le Galion.