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Juan Romero : "Le jour où j'ai soutenu la tête ensanglantée de Bobby Kennedy"
Ce 5 juin 1968, je suis aux anges : en campagne pour l’élection présidentielle, le sénateur est là, à l’hôtel Ambassador, à Los Angeles, où je travaille comme serveur.
Pour moi, immigré mexicain, cet homme est un héros.
Cinq ans après le meurtre de son frère John, il représente les minorités.
Je vais pouvoir lui parler en vrai !.
Je le rencontre une première fois dans la journée pour lui servir son plateau-repas.
Puis il tient un meeting et, pour éviter la foule, s’éclipse par la cuisine.
Le sénateur serre des mains, dont la mienne, car je suis à nouveau là.
Subitement j’entends un bruit de pé***.
Quelque chose de chaud frôle ma joue gauche.
D’autres détonations suivent.
Les gens paniquent.
Je tourne la tête et je vois « mon » sénateur à terre.
Je crois alors qu’il a simplement glissé.
Il a une jambe qui tremble et un œil qui cligne.
Agenouillé, j’approche mon oreille de sa bouche, car ses lèvres bougent.
Il me demande : « Tout le monde est OK ? » Je lui réponds que oui.
« Alors, tout va bien », murmure-t-il dans un soupir.
Je passe ma main sous sa tête pour éviter qu’elle ne touche le sol mouillé.
Du sang me coule entre les doigts.
Je demande un docteur mais personne n’ose s’approcher.
Je mets dans sa main le chapelet que ma mère m’a donné et tente de la refermer, sans succès ; alors, je l’enroule autour de son poignet.
Ethel, l’épouse de Bobby, vient d’arriver, muette.
Je suis écarté.
A 6 heures du matin, je fais ma déposition devant les policiers, avant de retourner, comme tous les jours, à l’école d’hôtellerie.Pendant des années, je n’arriverai pas à regarder cette photo de lui gisant à côté de moi.
Aujourd’hui, je vais mieux.
Pour le cinquantième anniversaire de sa mort, après la commémoration organisée par Netflix, qui diffuse le documentaire « Bobby Kennedy for President », où je figure, j’irai m’incliner sur sa tombe à Arlington.
Dans l’Amérique d’aujourd’hui qui maltraite ses immigrés, ses idées sont plus que jamais nécessaires.
Défendre sa mémoire est devenu le sens de ma vie.