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D'après le roman de A. Döblin
Un film en 13 épisodes et un épilogue
C'est normal qu'elle veuille gagner de l'argent, je fais pareil.
Pour pas que tu l'entretiennes.
Avec ton bras, c'est difficile.
C'est une fille épatante.
Tu peux compter sur elle, Franz.
Qu'est-ce que tu as, Franz ?
A Berlin, juin est arrivé, malgré tout.
Le temps est chaud et pluvieux.
Les événements sont nombreux.
Le dirigeable ltalia s'est écrasé
au Nord-Est du Spitzberg,
lieu difficile d'accès.
Un avion eut plus de chance.
D'une traite et en 77 heures,
il a volé de San Francisco à l'Australie.
Le roi d'Espagne se querelle
avec son dictateur, Primo.
Espérons que ça s'arrangera.
Des fiançailles émouvantes
entre le Bade et la Suède.
Une princesse suédoise
s'est enflammée pour un prince du Bade.
Vu la distance entre ces deux pays,
on s'étonnera que les choses aboutissent aussi vite.
Oui, les femmes sont mon point faible.
J'embrasse la première,
en pensant à la seconde, en convoitant la troisième.
Ah, les femmes !
Que faire ? Je n'y peux rien.
Si elles me ruinent,
j'affiche ''complet'' sur mon coeur.
Et Charlie Amberg poursuit :
Je m'arrache un cil pour te transpercer,
puis, avec un rouge à lèvres,
je te peinturlure.
Si tu es toujours fâchée, je n'ai qu'une solution :
Je commande un oeuf sur le plat et t'asperge d'épinards.
Toi, toi, toi...
Je commande un oeuf au plat,
et je t'asperge d'épinards.
Lundi prochain, on inaugure le métro.
La direction de la Reichsbahn avertit des dangers :
Attention ! Fermeture des portes ! Ne montez plus !
Vous risquez l'amende !
Franz, dis quelque chose, ça ne va pas ?
Ça va... j'ai eu un malaise.
Tu vois, c'est ce que Mieze dit toujours.
ll faut que tu te ménages.
L'année a été très dure pour toi.
Et avant, Franz,
ça n'allait pas mieux,
à la prison de Tegel.
Elle aurait honte que tu trimes pour elle.
Elle préfère travailler pour toi.
Elle n'a simplement pas osé te le dire.
Oui...
Tu n'imagines pas
combien cette môme tient à toi.
Moi, tu ne me veux pas...
ou tu me veux, Franz ?
Tu es une femme bien, Eva,
mais Herbert a besoin de toi.
C'est un type correct, Herbert.
Maintenant, va voir Mieze.
Elle ne rentrera pas, si tu ne l'aimes plus.
Laisse-moi, ça va.
Ça va.
Elle est devant le chantier de la Mosesstrasse,
tu ne peux pas la rater.
La Mosesstrasse... devant la clôture du chantier.
Très doucement,
très tendrement, Franz prend congé d'Eva.
Laisse, ça va.
Ne pleure pas, Mieze, ne pleure pas !
Tu sais ce que je vais faire ?
Ce que j'aurais dû faire plus tôt.
Mais aujourd'hui, je me sens assez fort.
Je rentre à huit heures.
Alors, collègue ?
Tu ne racontes rien ?
Ça sert à quoi ?
Tu ne m'écoutes pas de toute façon.
Et jamais tu n'entres
pour profiter de nos offres.
Sois gentil, raconte-moi encore ton histoire.
Bon, d'accord.
La Grande Babylone,
mère de la prostitution,
est assise sur la bête écarlate.
Elle a sept têtes et dix cornes. Tu devrais voir ça.
Tes pas la réjouissent.
Elle est ivre du sang des saints,
et frappe de ses cornes.
Fille de l'abîme, elle mène à la damnation.
Regarde les perles,
le pourpre,
les bijoux,
regarde ses dents et ses lèvres charnues,
sur lesquelles a coulé
le sang qu'elle a bu.
Babylone, la putain !
Aux yeux jaune poison.
Comme elle te regarde en riant !
Alors, t'es content ?
C'est une belle histoire, j'en connais une aussi.
Une mouche s'agite,
elle s'agite,
et s'agite...
elle est dans un pot de fleurs.
Le sable dégouline de son corps,
mais ça ne lui fait rien,
elle le secoue,
puis elle pointe sa tête noire...
et sort en rampant.
Elle te plaît pas, mon histoire ?
Elle n'est pas trop mauvaise,
il faut l'étoffer un peu.
Raconter des histoires, ça s'apprend.
Bien, j'essaierai.
Droite, gauche, droite, gauche...
Bonne chance.
Ne prétexte aucune fatigue, Franz !
Passe devant les bars sans picoler,
on verra bien...
Droite, gauche...
Une balle vient â siffler,
oui, on verra bien.
Droite, gauche, droite, gauche.
Quand les soldats défiilent dans la ville,
les fiilles ouvrent leurs fenêtres...
DE L'ESPACE lNFlNl QUl SÉPARE
LA MASSE DES ÉLUS
Qu'est-ce que tu viens faire chez moi ?
Qu'est-ce qu'on a à faire ensemble ?
Je ne sais pas, au juste.
Nous allons bientôt le savoir.
Tu sais, j'ai eu le bras sectionné.
Avant, j'étais un homme honnête.
Je peux le jurer, à présent je suis mac.
On pourrait soulever la question
de la responsabilité.
Range ton flingue,
tu n'as pas à avoir peur de moi.
Tu me laisses entrer ?
Bon, si tu y tiens.
Entre,
Je t'ai dit de le ranger, ton flingue !
Tu ferais une bêtise, Reinhold.
Ça t'attirerait des ennuis.
Assieds-toi, Franz.
lls étaient trois rois,
arrivant de l'Orient avec de l'encens
qu'ils agitaient.
Pourquoi tu me regardes ainsi, Franz !
T'es saoul ?
Je suis pas saoul, j'avais envie de te voir.
Qu'est-ce que tu me veux ?
Me menacer ?
Me faire chanter ?
Soit,
combien veux-tu ?
Et sache qu'on se défendra.
On sait aussi que t'es mac.
Oui, je le suis.
Que faire d'autre, avec mon bras.
Alors, qu'est-ce que tu veux ?
Rien, Reinhold,
rien du tout.
A propos, Cilly est venue... me voir.
A nouveau. Elle était de passage.
Quand j'en ai pas vu une pendant quelques mois,
je peux la reprendre.
Du réchauffé, c'est bizarre, non ?
Santé !
Tu as deux mains, Reinhold,
et deux bras, moi j'en ai qu'un.
Avec tes deux mains, tu m'as poussé sous une voiture.
Reinhold.
Pourquoi ? Parce que !
Je devrais te tuer.
Ne serait-ce qu'à cause du boum tralalala.
Les autres sont de cet avis.
Mais moi, je ne veux pas, ce sont les autres.
Ça ne me vient pas à l'esprit.
Au fond, je pense quoi ?
Je ne sais rien,
je suis un incapable.
Et pourtant,
je voulais faire quelque chose.
Tout ça à cause du boum tralalala...
je ne suis pas un homme.
Je suis un pantin.
Franz !
Ecoute, Franz !
Excuse-moi,
j'étais perdu dans mes pensées.
C'est pas grave, ça ne fait rien.
C'est juste...
je voudrais...
je voudrais voir ta blessure.
C'est dégoûtant !
C'est déjà bien mieux qu'avant.
Tu mets toujours la manche dans la poche ?
C'est toi qui l'enfiles, ou elle est cousue ?
Non, c'est moi qui l'enfile.
Avec l'autre main ?
Ça dépend.
Quand je porte une veste, c'est pas pratique.
Surtout ne mets rien
dans la poche droite,
tu risquerais de te le faire piquer.
Moi, sûrement pas.
Achète-toi une prothèse.
Les unijambistes en ont aussi.
Ça serait plus élégant.
Non, c'est gênant.
Moi, je m'en achèterais une.
Ou alors bourre la manche.
Laisse-moi faire.
Pour quoi faire ?
T'aurais pas toujours cette manche molle.
Ça se remarquerait moins.
Ça me sert à quoi ?
Tu vas voir,
des caleçons, un maillot, et ça fera l'affaire.
Bon sang, ça ressemble à quoi ?
Ça n'a pas d'allure, on dirait une saucisse !
Non,
c'est pas vraiment ça.
Fais-le faire par un tailleur.
Ça vaudra mieux,
comme ça, tu ne t'afficheras pas comme un estropié.
C'est comme si t'avais la main dans la poche.
Je ne supporte pas les estropiés.
Les estropiés ne sont bons à rien.
Quand j'en vois un, je me dis...
qu'il vaudrait mieux le supprimer.
Oui, c'est aussi mon avis,
c'est vrai, Reinhold, tu as raison.
Un estropié ne fait plus ce qu'il veut.
C'est peut-être mieux pour lui
d'en finir.
Moi, je trouve.
Oui, tu l'as dit, et tu as raison.
...trois lis, trois lis,
que je plante sur ma tombe...
Un fiier cavalier est passé,
qui l'a cassé.
Ecoute-moi bien, Mieze,
quoi que tu fasses,
je ne te laisserai jamais partir.
Jamais.
Faut pas dire ça, Franz.
Je ne te quitterai jamais.
Jamais.
A ce soir.
Attends !
Je fais un bout de chemin avec toi.
Mme Bast !
Oui, Mlle Mieze ?
Nous sortons.
Vous fermeriez les fenêtres, plus *** ?
Entendu.
Merci.
Au revoir, Mme Bast.
T'as de la chance, Willy, je sortais.
Salut, Franz.
Je te présente Mieze, ma Mieze.
Et voilà Willy.
On a un peu travaillé ensemble.
J'y vais... A ce soir, chéri.
Qu'est-ce que tu en dis ? Aide-moi.
Pas mal, la petite.
Pas mal ! C'est un ange, je te dis !
Tu as remarqué son air tendre et innocent ?
Bien sûr !
Etonnant qu'une fille pareille tapine pour toi.
C'est par amour.
Salut, Max !
Sacré beau temps !
Une bière et un kummel.
Et toi, un panaché.
Reine des bois ou framboise ?
Framboise.
Donne-moi le schnaps maintenant.
Franz, qu'est-ce qu'ils ont fait de toi ?
Alors, Max,
tu veux me faire la morale ?
C'est pas de la morale, c'est la vérité.
Tu n'avais pas juré de rester honnête ?
Viens avec moi, dit l'homme à son fils.
Et le fils le suit dans la montagne.
C'est encore loin, Père ?
Je ne sais pas, suis-moi.
Par monts et par vaux,
la route est longue. ll est midi.
Nous y sommes. Regarde, mon fils,
il y a un autel.
J'ai peur, Père.
Pourquoi, mon enfant ?
Tu m'as réveillé tôt, on est partis
sans l'agneau qu'on voulait saigner.
Oui, nous l'avons oublié.
J'ai peur, Père. Moi aussi, fils.
Approche-toi, n'aie pas peur.
Nous devons le faire.
Faire quoi ?
N'aie pas peur, fais-le de bon coeur.
Approche-toi, j'ai déjà enlevé mon manteau,
pour ne pas tacher ma manche.
J'ai peur de ton couteau.
Oui, j'ai un couteau.
Je dois t'abattre, te sacrifier.
Dieu l'ordonne.
Fais-le de bon coeur, fils.
Je ne veux pas être tué.
Ne crie pas, mon fils.
Si tu refuses, je ne peux pas le faire.
Sois consentant, pourquoi rentrer à la maison ?
Dieu compte plus que la maison.
Je ne peux pas. Si, je peux. Non, je ne peux pas.
Approche-toi, regarde.
Le couteau est prêt.
Regarde-le, il est aiguisé.
ll va te trancher le cou.
Va-t-il traverser ma gorge ?
Oui, et le sang jaillira.
Le Seigneur en donne l'ordre.
Le veux-tu ?
Pas encore, Père.
Je n'ai pas le droit de t'assassiner.
Si je te sacrifie,
il faut que ça soit comme si tu le faisais toi.
Moi ?
Oui, et tu ne dois pas avoir peur.
Tu ne dois pas aimer la vie, ta vie.
Tu dois l'offrir au Seigneur.
Approche-toi,
le Seigneur, notre Dieu, le veut ainsi.
Tu ne vas pas être lâche.
Pose le couteau sur moi.
Attends... je rabats mon col,
pour dégager le cou.
Tu dois le vouloir, et moi aussi.
Nous le ferons ensemble. Puis le Seigneur appellera.
Nous entendrons son appel :
''Arrêtez !''
Viens, tends ton cou.
Tiens, je n'ai pas peur, je le fais de bon coeur.
Tranche, je ne crierai pas.
Et le fils présente son cou.
Le père se met derrière lui,
lui tient le front, approche le couteau.
Le fils le veut ainsi.
Dieu les appelle, ils tombent, la face au sol.
Que dit la voix du Seigneur ?
Alléluia !
Vous m'avez obéi !
Vous vivrez !
Arrête, jette ce couteau dans l'abîme ! Alléluia !
Je suis le Seigneur,
à qui vous devez obéissance.
Avant tu menais une vie minable, tu as sombré,
puis t'as tué lda, et t'as été en taule.
Et maintenant ?
Tu vois,
tu n'as pas de réponse.
T'en es au même point.
Mieze a remplacé lda, t'as perdu un bras,
et tu recommences à boire comme avant !
Tu recommences la même histoire,
mais en pire, ça sera la fin, Franz !
Qu'est-ce que j'y peux ?
Tu crois que je tenais à être mac ?
J'ai fait ce que j'ai pu,
tout mon possible.
Tu l'as bien vu, n'est-ce pas ?
Je me suis même fait écraser un bras. J'en ai marre.
Est-ce que je n'ai pas essayé le commerce ?
En me démenant du matin au soir ?
Alors j'ai fini par piger.
D'accord, tu as raison !
Je ne suis pas honnête, je suis mac.
Mais j'en ai pas honte.
D'ailleurs, toi tu es quoi ? Tu vis de quoi ?
Tu ne vis pas sur le dos des autres ?
J'exploite les gens, moi ?
Tu me connais, Franz, et même pas mal.
C'est parce que je t'aime bien que je te parle.
Tu le sais bien.
C'est possible.
C'est comme ça !
Tu vas atterrir en prison,
ou te faire poignarder.
D'accord, je me ferai poignarder.
Mais tu peux être sûr qu'avant,
l'autre y sera passé aussi.
Ce que je ne comprends pas, Franz,
c'est qu'à chaque fois,
tu te farcisses le même sermon.
Je viens ici depuis toujours.
Tu vois... voilà pourquoi,
tu es toujours venu ici.
Justement, il ne faut pas
refaire toujours pareil.
Possible, mais je suis habitué à ce bistrot.
Ça ne doit pas rester ton bistrot à vie.
Ne discute pas, Franz !
Tu sais quoi, il y a un meeting aujourd'hui.
Dans une demi-heure,
ils discutent de ces choses. On y va.
Un meeting ? L'après-midi ?
Pourquoi pas ?
Avec tous ces chômeurs...
ils ont du temps, l'après-midi.
Et les rares... qui travaillent encore,
se font porter malades pour y aller.
Bon, c'est d'accord.
Le Reich allemand est une république.
Qui n'y croit, prend un coup de trique.
Le Reichstag roule le peuple,
les partis sont bien placés pour le savoir.
Les socialistes, par exemple, ne veulent rien,
ne savent rien, ne peuvent rien.
lls ont la majorité au Reichstag,
mais ils ne savent pas quoi en faire...
à part s'asseoir dans des fauteuils,
fumer des cigares et devenir ministres.
Les voix des travailleurs n'ont servi,
ainsi que leurs sous,
qu'à engraisser une centaine d'hommes.
Les socialistes ne conquièrent pas le pouvoir de l'Etat,
c'est le pouvoir de l'Etat qui a conquis les socialistes.
Voilà pourquoi nous ne votons plus.
Un dimanche comme celui-là,
mieux vaut partir à la campagne. Et pourquoi ?
Parce que l'électeur est soumis à la légalité,
et que la légalité, c'est la violence,
la violence brutale du pouvoir.
Personne ne doit savoir...
ce qu'est véritablement l'Etat.
ll n'y a plus aucun moyen pour l'individu
de contrôler ce qui se passe.
N'importe qui comprendrait alors
qu'il n'est que bétail,
du bétail
à voter.
Quel espace infini
sépare cet homme de l'Etat,
dont il pensait faire partie.
Les bourgeois, les socialistes
et les communistes se réjouissent,
et chantent en choeur.
La bénédiction vient d'en haut :
de l'Etat, de la loi, des règlements.
La constitution prévoit la liberté.
C'est vrai, la liberté y est stipulée.
La liberté
y est malmenée.
Vous vous apercevrez rapidement, mesdames et messieurs,
à quel point la liberté est malmenée !
Mais on vote,
on vote encore,
on dit à chaque fois
que tout ira mieux.
Moi je peux vous dire
ce qu'ils entendent par ''aller mieux''.
On va bientôt nous supprimer le droit de grève.
Sous la guillotine des commissions d'arbitrage,
nous pouvons maintenant agir librement, il est vrai !
Non, Mesdames, Messieurs,
tout cela prolonge le cycle
de l'éternel aveuglement,
et tout restera comme avant !
Le parlementarisme fait durer
la misère des travailleurs.
Des esclaves égyptiens
ont bâti, sans machines,
un tombeau de roi, durant des décennies.
Les ouvriers européens ont édifié, avec des machines,
durant des décennies, une fortune privée.
Est-ce un progrès ? Peut-être, mais pour qui ?
Moi, je vais aller travailler,
pour que Krupp ou Borsing gagnent
1 000 marks de plus par mois.
Faut bien travailler, si on veut vivre.
Attends, arrête-toi.
Explique-moi la différence
entre toi et un membre du parti socialiste.
Tu demandes ça sérieusement ?
Bien sûr... écoute :
t'es à ta machine
pour gagner quatre sous.
Pendant que ton entreprise
répartit les dividendes de ton travail.
Les ouvriers européens ont bâti, avec des machines,
durant des décennies, un capital privé.
C'est vrai, ou non ?
Bon, et que faites-vous ?
Vas-y, Franz... dis-le-lui.
Les discussions politiques ne m'intéressent pas.
Ce n'en est pas une.
On parle simplement de nous.
Alors, c'est quoi ton travail ?
Une faucheuse qui s'appelle la Mort.
Je pleure sur les montagnes,
me lamente dans le désert,
ils sont si désolés que personne ne s'y rend.
Les oiseaux du ciel,
et les troupeaux, tous sont partis.
Allons, dis-moi ce que tu fais.
Je me balade,
je bricole, mais je ne travaille pas.
D'autres travaillent pour moi.
Alors tu es patron, et tu as des employés.
Combien tu en as ?
Pourquoi t'es là, si t'es capitaliste ?
Je veux détruire Jérusalem. Que les chacals y logent !
Je veux anéantir les villes de Judas,
pour que personne n'y habite.
C'est un faux prétexte.
Comment ?
Tu ne vois pas que je n'ai qu'un bras ?
C'est le prix de mon travail.
Qu'on ne me parle plus de travail honnête !
Je ne comprends toujours pas, collègue,
que tu n'aies aucun travail.
Si tu n'as pas de travail honnête,
tu as un travail malhonnête.
Tu vois ! ll a compris.
Viens, Willy, viens.
C'est bien ça, un travail malhonnête.
L'autre, c'est de l'esclavage,
tu viens de le dire toi-même.
C'est ça, le travail honnête, je l'ai bien compris !
Donc, tu ne travailles pas.
Et tu ne vas pas pointer.
Non, je ne pointe pas.
Alors je te demande
- le reste ne me regarde pas -
ce que tu faisais avec nous.
J'attendais cette question-là !
Tu parlais toi-même de l'esclavage du salaire !
Tu disais qu'on était exclus,
qu'on était ligotés.
Oui, mais tu n'as pas bien écouté.
J'ai parlé du refus de travailler,
pour ça, il faut avoir un travail.
Eh bien, je refuse ça.
Alors, ça ne nous sert à rien.
Dans ce cas, autant rester au lit.
J'ai parlé de grève,
de grève de masse,
de grève générale !
Pour toi, une action directe,
c'est de parler, de parler...
Parallèlement, tu renforces les capitalistes ! Crétin !
Enfin...
Tu forges les armes
avec lesquelles ils te tueront.
Et tu me fais la leçon ?
Tu as entendu, Willy, c'est insensé !
Encore une fois, c'est quoi ton travail ?
Encore une fois, je te dis : rien !
Que dalle ! Rien !
Allez vous faire...
Car je n'ai pas le droit de travailler,
selon votre théorie.
Je ne veux pas enrichir les capitalistes !
Je me fous de vos protestations, de vos grèves,
et de vos discours sur l'avenir.
Je m'en moque !
Je me débrouille seul !
Je pourvois à mes besoins !
Je suis un... autopourvoyeur !
Eh bien, essaie d'agir seul.
Seul, tu ne peux rien faire.
Créons des organisations de combat.
ll faut des organisations de combat.
C'est à ça que nous devons travailler.
J'aimerais savoir ce que tu as dans la caboche !
Vraiment !
D'un côté, tu fais des sermons,
reniant toute forme de système,
tout ordre,
toute organisation.
Et de l'autre côté,
vous voulez créer des organisations de combat !
Quelque chose ne tourne pas rond dans ta tête !
Tu t'en rends compte ?
Ça ne sert à rien de te parler.
Tu es borné, tu comprends !
Tu connais pas l'essentiel, dans le prolétariat.
La solidarité ! Tu ne connais pas ça !
ll y a quelqu'un ?
Ne m'effraie pas comme ça,
ça peut porter au coeur.
Ah oui, au coeur ?
Oui, ça arrive.
Herbert est là.
Entendu.
Voilà mon ami Willy,
ma très chère amie, Eva.
Bonjour.
Entrez donc.
La société reste favorable à une future collaboration.
Qui c'est, chérie ?
A ce que j'entends, c'est cet horrible Biberkopf.
Exact, Général !
L'oreille reste l'organe le plus performant chez vous !
En tant qu'experte, je le conteste énergiquement.
Comme vous voudrez !
A chacun son point de vue.
Vrai, ou exact ? Salut, Herbert !
Longtemps qu'on s'est pas vus !
Tu ne fais pas signe.
J'étais quelques jours à Breslau.
Je ne te demande pas ce que tu y faisais !
Buvons un coup.
Qu'est-ce qui t'amène ici, en plein après-midi ?
J'étais à un meeting, juste à côté.
La politique... aujourd'hui !
Quel désordre, on n'y comprend rien.
Exact, chère Madame.
''Chère Madame'' !
ll faut donc s'informer !
Willy, même s'il est jeune,
a plein d'opinions et d'idées.
Pas comme nous à son âge.
La jeunesse d'aujourd'hui
pense plus, s'intéresse plus à tout.
Oui, ils ont plus de temps.
C'est normal, ils n'ont pas de travail.
ll faut bien s'occuper.
Penser est une des rares choses
qui ne coûte rien.
Ça t'a appris quoi ?
Ça m'a appris
que l'ordre social établi est fondé
sur l'esclavage économique, politique
et social de la population active.
ll trouve son expression
dans le monopole de la propriété,
et dans l'Etat, monopole du pouvoir.
La production actuelle ne tente pas
de satisfaire aux besoins de l'homme.
Elle est uniquement
basée sur le profit.
Tout progrès technique
engraisse honteusement
les capitalistes, au détriment
d'une large couche de la population.
Santé !
Tu l'as appris par coeur ?
Tu n'as pas appris ça par coeur, dis !
Bien sûr !
Et pourtant... l'idée est très simple :
l'Etat, enfin... la police,
favorise les droits
de ceux qui possèdent.
Et les autres, ceux qui travaillent,
ne pensent même pas
comment dire...
à réagir contre l'Etat.
Ou bien...
à revendiquer leurs droits.
Santé !
C'est-à-dire que l'ordre n'existe plus ?
Exactement.
C'est absurde !
Sans ordre, rien ne marche !
Où irait le monde ?
Je trouve nécessaire qu'il y ait des gens
qui s'occupent...
de notre sécurité dans la rue, par exemple.
Bravo, tu as bien appris ce que tu dois penser !
Mais ne t'en fais pas,
car la plupart sont maintenus dans l'ignorance.
Parce que...
ce n'est pas vraiment naturel
qu'il y ait des frontières,
que la terre...
appartienne aux hommes,
et les forêts, et tout ça.
S'il y a des frontières, c'est artificiel.
Voilà pourquoi t'as appris qu'il faut
un ordre et ses garants.
C'est évident...
parce que le monde...
tu comprends...
parce que tout,
les arbres, les animaux, tout ce qui pousse,
tout ça ne peut fonctionner que pour ceux
qui veulent en tirer profit.
Et si tout fonctionne par catégories,
si tout est compartimenté,
les profiteurs maîtrisent mieux les choses.
Mieux les gens aussi.
Parce qu'alors les hommes...
sont plus lucratifs...
plus lucratifs pour ceux qui dominent.
J'y vais, j'ai rendez-vous avec Mieze.
Dis-lui d'être à 7 heures au Mokka-fix, d'accord ?
Willy, sers-nous à boire. Je trouve ça curieux.
Quoi donc ?
Qu'on puisse être à la fois
pour et contre la même chose. C'est curieux.
Eh oui... mais c'est la vie.