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A TRAVERS LE MIROIR
A KÄBI, MA FEMME
Vous poserez les filets, nous irons chercher le lait.
Non, je voudrais faire un tour
avec ma femme.
Et si Karin posait les filets avec moi?
Je reste.
C'est moi qui décide ce que je fais.
Je ne t'ai pas vu de la journée. Partons.
Faisons comme dit Karin et nous garderons notre dignité...
c'est ce qui importe.
Si papa avait dit ça avant, quel temps gagné...
On s'habille ou on met d'abord les filets?
Comme tu voudras.
Il fait plutôt frais. Mon peignoir est léger.
Si tu as froid...
Pas du tout. Mais toi?
Non, mais ça souffle.
La virilité avant la santé.
A la manière de Hemingway. En avant.
Y aura-t-il de l'orage?
Non, pas ce soir.
Mais, regarde ces nuages.
Tu as peur de l'orage?
Horriblement.
En Suisse, c'était terrible.
- Et autrement? - J'avais hâte de rentrer.
Mais je voulais d'abord terminer mon roman.
- ll l'est? - Plus ou moins.
Et ton ulcère?
Tu peux prescrire quelque chose?
On ira en ville demain.
As-tu reçu ma dernière lettre?
Je l'ai envoyée lundi.
J'étais à Bâle.
Alors, tu ne l'as pas eue.
- Ensuite je suis venu ici. - Tu as dû la rater.
- C'était important? - Au sujet de Karin.
Je pensais bien faire.
Même si je te dérangeais.
Tu entends le coucou?
Mais si, écoute!
Tu laves tes oreilles?
Tu entends trop de choses.
Oui, j'ai l'ouïe fine.
Peut-être les électrochocs.
Comment as-tu trouvé papa quand il est rentré hier?
- Que veux-tu dire? - Je lui ai trouvé mauvaise mine.
Fatigue du voyage.
Il avait l'air triste.
Marianne viendra?
Je crois que c'est fini.
Pauvre papa, encore seul!
Je n'ai jamais aimé Marianne.
Elle prenait de ces airs... et papa devenait tout petit.
Ses livres ne la touchaient pas.
Papa doit réussir avec celui-ci.
Tout le monde le lit.
Cela ne compte pas pour lui,
il veut être un grand auteur.
Pourquoi ris-tu?
Tu es si grand et si sérieux.
"ll veut être un grand auteur".
Ne joue pas à l'offensé.
Je t'aime, petit Mino.
- Que tu es grand! - Arrête!
Dix-sept ans, un vrai poteau.
Tu as une amie?
Qui veut de moi?
Ne fais pas la moue parce que je ris.
Il est le seul psychiatre en qui j'ai confiance.
Quand Karin a quitté l'hôpital, il y a un mois,
nous avons discuté de tout.
Il n'a pu promettre une guérison durable.
Et maintenant?
Elle va très bien.
Un peu nerveuse la nuit.
Son ouïe est devenue très fine.
Que sait-elle?
De sa maladie, tout. Sauf qu'elle est...
- relativement incurable. - Tu dis, relativement.
Edgar a eu des cas de guérison complète, on peut donc espérer.
Ça va entre vous?
Ça va...
J'ai eu mes conférences d'hôpital
et écouté un tas de candidats.
Je réalise que je l'aime
et que je lui suis uni,
quoiqu'il arrive.
Je suis devenu son point fixe dans la vie,
peut-être son seul soutien.
Je comprends.
On pose les filets?
Allons-y.
Attention!
Ne m'approche pas.
Arrête de m'embrasser.
Je deviens malade...
Avec tes bains de soleil...
Tu sais très bien que les femmes me dégoûtent.
Leur odeur, leur façon de remuer le ventre
cela me retourne le coeur.
Mon pauvre...
Merci.
Pour la pitié, je me suffis.
Qu'y a-t-il, Mino? Je ne t'ai jamais vu ainsi!
Ne dis rien à Martin ou à papa, veux-tu?
Ce que tu es bête!
Si seulement je pouvais parler à papa!
Mais il est si renfermé...
Iui aussi.
Rentrons!
J'ai renversé du lait.
J'ai horreur d'être blessé au doigt.
Mets un pansement.
Martin s'est coupé.
Fais voir.
Je mets le lait au frais.
C'est profond, je vais le panser.
Quelle comédie pour un doigt!
Souper aux lanternes sous la lune!
Papa, tu es un chef.
Et quel parfum!
Papa écrirait mieux un livre de cuisine!
Karin se met là...
Mino, toi là et moi ici.
Comme j'ai attendu ce moment!
Je languissais.
- Après nous? - Même après toi.
Tu restes?
Ce mois-ci, en tout cas.
Tu vas repartir?
Je dois guider un groupe en Yougoslavie.
Pourquoi?
Une de ces délégations culturelles.
Je connais le pays, alors...
Alors à la tienne! Et bon retour.
Merci.
Et ton livre?
Il sera prêt.
J'envoie le manuscrit dans huit jours.
Tu seras absent longtemps?
Je ne sais pas.
Je resterai peut-être à Dubrovnik.
Je me sens un peu comme un criminel.
Tu avais promis de rester. Pas vrai?
On en parlait vaguement...
Tu avais promis.
Je suis navré.
Et moi, alors!
Pour une soirée agréable
nous voici bientôt au bord des larmes.
J'ai quelques cadeaux de Suisse.
Merci. Mais vraiment...
Nous les ouvrons?
Je vais chercher mon tabac.
Beaucoup trop petits.
J'ai exactement le même.
Je parie qu'il n'y a pas pensé avant Stockholm.
C'est gentil quand même.
Merci beaucoup papa.
Nous avons aussi une surprise.
Ne regarde pas avant qu'on te le dise!
On dirait du Shakespeare.
Etes-vous prêts?
Notre pièce s'intitule
"L'Art-fantôme"
ou "Le Tombeau des illusions".
Le jeu commence!
Minuit sonna à la chapelle Ste Thérèse.
Ici, je revois ma bien-aimée...
Ici, près du tombeau qui exhale la mort.
Quelqu'un a bougé.
C'est peut-être elle.
Je me cache pour ne pas l'effrayer.
Qui es-tu?
La Princesse de Castille
morte en couches à treize ans.
Mon époux et seigneur adoré
s'est tourné vers d'autres femmes.
Princesse, je t'aime!
Qui es-tu?
Je ne parle pas à n'importe qui, même morte.
N'aie pas peur.
Je suis roi d'un royaume qui est petit
mais très pauvre. Je suis artiste!
Artiste?
Oui. Princesse. Artiste pur sang.
Poète, sans poèmes, peintre, sans tableaux...
musicien, sans musique.
Je méprise l'art fabriqué...
résultat banal d'efforts vulgaires.
Ma vie est mon oeuvre, vouée à mon amour pour toi.
C'est beau, mais incroyable...
Mets-moi à l'épreuve.
Ecoute bien! Bientôt, je te quitterai.
Lorsque deux heures sonneront
entre dans la tombe
et souffle les trois bougies.
Alors, les grilles se fermeront
et tu me suivras dans la mort.
Sacrifice facile, Princesse.
Qu'est la vie pour un vrai artiste?
Ainsi tu accomplis ton oeuvre
et couronnes ton amour.
Tu ennoblis ta vie et montres aux sceptiques
ce que peut un vrai artiste.
Adieu mon ami! Ne m'abandonne pas.
Me voici face au moment suprême!
Je frémis d'émotion.
L'oubli me possédera.
La mort seule m'aimera.
J'y vais, rien ne m'arrêtera.
J'attends!
Malédiction, que fais-je?
Sacrifier ma vie? Pour quoi?
Pour l'oeuvre d'art parfaite?
Pour l'éternité?
Pour l'amour?
Suis-je fou?
J'attends!
Qui verra ce sacrifice? La mort.
Qui estime mon amour? Un fantôme.
Qui me remercie?
- L'éternité. - Jattends!
Mes jambes sont molles
et je ne peux pénétrer l'éternité avec...
Je n'attends plus.
C'est la vie.
Je pourrais mettre mon rendez-vous en vers,
peindre un tableau, faire un opéra
mais avec une fin un peu plus héroïque.
L'oubli me possédera...
La mort seule m'aimera.
Pas mal du tout!
Le coq annonce l'aube.
Je rentre me coucher.
C'est tout.
L'auteur! L'auteur!
Formidable!
Formidable, tous les deux!
Toi, surtout.
- Mais j'ai séché. - Je n'ai pas remarqué.
Faisons la vaisselle ensemble.
Laissez, je ne dors pas.
Mais non, papa.
Mais si, j'insiste!
- L'orage est passé. - Je l'avais dit.
La fenêtre, il va y avoir des moustiques.
Ça ne fait rien.
- Bonne nuit, papa. - Bonne nuit, dors bien.
C'est dur?
Non, non, ça va.
Peux-tu m'aider?
Qu'ils sont sales après le jardinage.
Ça ne part pas.
Tu as des doigts gentils.
Mais le pouce a l'air têtu.
- Qu'y a-t-il? - Rien de particulier.
A quoi penses-tu?
On est si exposé parfois.
Non, ce n'est pas ça.
Comme des bébés dans la forêt
Ies hiboux vous fixent de leurs yeux jaunes.
Ça remue, ça murmure et mugit.
Des museaux humides vous hument.
Les loups montrent leurs dents.
Mais nous sommes tous les deux.
Tu es si anxieux.
Anxieux? Pas du tout.
Tu me dis : je ne vois rien.
Il n'y a pas eu de loups.
Pas un bruit. Pas de hibou, non plus.
Aie confiance en moi, petite Kajsa.
Toujours petite Kajsa.
Suis-je si petite ou est-ce ma maladie?
Ai-je l'air étrange?
- Me crois-tu? - Je ne sais pas.
- Mais je t'aime. - Je te crois.
- Cela ne suffit pas? - Si, si.
Ne le fais pas saigner encore.
J'ai la lessive demain.
Viens te coucher.
Papa s'est senti insulté par la pièce de Mino.
Il était blessé, mais ne laissa rien voir.
Mino en était navré.
On éteint?
Pardon si je t'ai fait mal.
Petite chérie.
Pardonne-moi.
Chérie adorable.
Petite fille chérie.
Mon coeur. Je t'aime.
Tu ne peux me faire mal.
Tu es si bon et moi si méchante.
Bonne nuit.
Elle vint vers lui haletante d'ardeur...
Ies joues rougies par le vent.
Petite Kajsa...
Ils se...
se rencontrèrent...
sur...
Ia plage.
Petite Kajsa?
Déjà réveillée?
Il est à peine quatre heures.
Que veux-tu?
Tu as des soucis?
Je fignole mon livre...
ce n'est jamais amusant.
Lis pour moi!
Lorsque j'aurai les épreuves.
Tu ne dors donc pas?
Un cri d'oiseau lugubre m'a réveillée...
juste au lever du soleil
et je n'ai pas osé me rendormir.
Comme quand j'étais petite.
Tu vas voir que tu vas dormir.
Ils se rencontrèrent sur la plage.
Le jour était d'une...
clarté automnale.
Karin dort.
Tu viens relever les filets?
J'arrive.
L'été dernier je marchais sur les mains.
Maintenant je suis trop long.
Comme moi.
Tu parles au figuré.
- Tu écris? - Des pièces.
- Peut-on lire? - Non.
Excuse-moi, mais c'est encore trop mauvais.
Beaucoup écrit?
Cet été, treize pièces et un opéra.
Rien que ça!
Ça coule tout seul.
Pas chez toi?
Non.
Comment était notre pièce, franchement.
Très bonne.
De la merde, oui.
"Sa maladie est fatale
"avec des périodes sereines.
"Je le soupçonnais,
"mais cette certitude m'est presque insupportable.
"Et je m'effraie de ma curiosité.
"Le besoin d'enregistrer
"sa désintégration progressive...
"de l'exploiter..."
Martin! Réveille-toi!
Tu dois prendre un bain. Debout!
- Quelle heure? - Presque dix heures.
Ai-je tant dormi?
Le chameau! Il est cinq heures!
J'ai déjà eu tant d'expériences étranges,
et toi tu dors.
Viens ici.
Non, lève-toi, on va se baigner.
Ils ont déjà relevé les filets.
Viens ici!
Tu dors trop, alors tu as toujours raison.
Chérie qu'y a-t-il?
Rien.
Qu'y a-t-il?
J'ai un aveu à te faire.
Alors, fais-le!
Papa vient de sortir...
et j'ai fouillé dans ses tiroirs.
Je ne sais pas, c'était un besoin.
J'ai trouvé ses carnets.
Il y avait des choses.
Sur moi.
Quoi donc?
Je ne peux pas le dire.
Sur ta maladie?
C'est vrai qu'elle est incurable?
Karin, ma chérie...
Ecoute-moi!
Ecoute-moi, Karin.
Regarde-moi!
J'ai dit à David qu'une rechute était possible.
Il a dû mal comprendre.
Nul ne peut prétendre que ton mal soit incurable.
- Parole d'honneur. - Parole d'honneur.
Ce n'était pas du tout...
- Je ne peux pas le dire. - Je t'en supplie.
- C'est impossible! - Karin...
Demande-lui toi-même.
- Ma petite Karin. - Martin...
Sois patient avec moi!
Un jour le désir me reviendra.
- Tu ne crois pas? - Si, bien sûr.
Tu es inquiet pour cela?
Pas du tout.
Je suis très fatiguée
mais allons nous baigner...
Il ne fait pas froid.
Imagine une femme belle et calme
qui te donne des enfants et le café au lit.
Douce, chaude, épanouie.
Ça ne te plairait pas?
C'est toi que j'aime.
Oui, mais quand même.
Je n'en veux pas une autre.
Curieux, tout ce que tu dis et fais est juste.
Et c'est quand même faux.
Je me trompe par amour.
Celui qui aime agit avec équité.
Alors, tu ne m'aimes pas.
Mino!
Surveille un peu Mino, qu'il ne s'endorme pas.
J'ai promis de l'interroger.
N'oublie pas le cognac et achète aussi du vin.
J'y pense.
Nous serons là pour le dîner.
Pourquoi ris-tu, bon Dieu!
Allez, parle!
Regarde, si ça t'amuse.
Laquelle aimes-tu le mieux?
Ne fais pas ta vieille fille. Montre-moi.
Tu aimes mieux celle-là? Pourquoi?
Elle est si douce.
Oui, très mignonne, bien qu'un peu forte.
Et des cheveux jusqu'à...
Oui, elle a l'air facile.
Mais ça ne m'avance pas beaucoup.
Tu veux me battre?
C'était ma faute. Excuse-moi.
Calme-toi, Mino.
Cela n'a pas d'importance.
J'étais bête et curieuse. Excuse-moi.
Je n'y peux rien quand ça arrive.
- Tu as travaillé? - Un peu.
- Veux-tu réciter? - Si tu veux.
Est-ce que tout le monde est prisonnier?
Chacun dans son petit cube?
- Tous sans exception? - En tout cas, pas moi.
- Alors, je me trompe encore. - Reprenons.
Constructio ad sensum.
Cela signifie quoi?
Qu'une construction grammaticalement juste
change pour s'adapter au contexte.
Par exemple?
Nobilitas rem publicam deserue...
Deseruarant.
Qu'il fait chaud.
J'étais debout à cinq heures.
On fume une cigarette? T'en as?
Si on penche longtemps la tête
- ça devient terrible. - Terrible?
Mais c'est fascinant.
Je n'en parle pas à papa ni à Martin.
Ils ne comprennent pas.
Martin est si faible et il a des soucis.
Ils me croiraient malade.
- Tu le crois aussi? - Non.
Je le savais.
Tu es plus fort.
Je voulais si souvent t'en parler...
Tu peux te confier à moi.
C'est dur de taire ce à quoi on pense sans arrêt.
Les autres permettraient que je t'en parle.
Les autres?
Garde tes questions idiotes.
Je dis ce que j'ose ou rien du tout.
- Je suis curieux. - C'est ton problème.
Je vais te montrer quelque chose.
Je traverse les murs, tu sais...
Chaque matin une voix perçante me réveille.
Je me lève et arrive jusqu'ici.
Un jour on m'a appelée de derrière le papier peint.
J'ai regardé dans ce réduit, il était vide...
La voix a continué.
Alors, j'ai appuyé contre le mur
qui a cédé comme une feuille...
et j'étais dedans.
Tu crois que j'invente?
J'entre dans une grande pièce...
calme et claire...
des gens bougent...
certains me parlent et je les comprends.
Je me sens bien...
Certains visages ont comme une lumière.
Tous attendent celui qui doit venir...
mais personne ne s'inquiète.
Ils me disent d'être là quand cela arrivera.
Pourquoi pleures-tu?
Ce n'est rien.
Rien du tout...
Mais parfois j'ai une telle nostalgie...
une telle nostalgie...
une telle hâte de voir les portes s'ouvrir...
et tous les visages se tourner vers lui.
Qui lui?
Personne n'a rien dit...
mais je crois que Dieu va nous apparaître.
Il va pénétrer dans cette chambre...
par cette porte.
J'ai quelque chose de très dur à te dire.
Je vais délaisser Martin...
Il est là et m'appelle, mais je ne peux l'aider.
Ce n'est plus qu'un jeu.
S'en rend-il compte?
Je ne sais pas.
Je dois choisir entre lui et le reste.
Je me suis décidée.
J'ai sacrifié Martin.
C'est vrai tout cela?
Je ne sais pas...
Je suis entre les deux et parfois j'hésite.
J'ai été malade et c'était comme un rêve.
Mais ceci n'est pas un rêve.
Cela doit être vrai.
Pour moi non. Pas un brin.
Ce n'est pas vrai pour moi.
Un dieu descend des montagnes.
Il traverse la forêt sombre...
Partout des fauves dans le silence...
Cela doit être vrai.
Je ne rêve pas. Je dis la vérité.
Mais je suis tantôt ici, tantôt ailleurs.
Et je n'y peux rien.
Tu viens te baigner?
Alors j'y vais seul.
J'ai sommeil.
Je vais dormir un peu.
Ferme la porte derrière toi.
Arrête. Va-t'en!
Va-t'en!
Que vais-je devenir, mon Dieu?
As-tu fais ton latin correctement?
Continuons-le un peu.
Mais prenons le thé d'abord.
Leur diras-tu?
Je dirai quoi?
Ne fais pas le malin.
Ce soir tu diras à Martin
"je dois te parler de Karin" et tout y passera.
Dis-le toi-même.
Promets de ne rien dire.
Je promets.
Toi seul tu comprends.
Mais le moindre mot sera une trahison.
Je promets.
On dirait qu'il va pleuvoir.
Qu'est-ce que tu as?
Tu es presque hostile.
Je me demande si je peux t'en parler.
Je t'en prie.
Ça concerne Karin.
Elle a fouillé ton bureau et trouvé ton journal.
Alors, elle a lu...
Qu'as-tu écrit?
Karin voulait que je te demande.
J'ai écrit que son cas est incurable...
Que j'avais l'envie d'en étudier le cours.
J'avoue.
Je n'ai pas d'excuse.
Toujours toi.
Tu es perverti dans ton insensibilité.
"Etudier le cours". Typique.
Tu ne comprends pas.
Non évidemment.
Mais je sais que tu cours après les sujets.
La folie de ta fille. Une mine d'or.
Je l'aime.
Bah! Tu es dénué de tout sentiment.
Tu n'es même pas décent.
Tu sais exprimer les choses
avec les mots justes.
Mais tu ignores totalement une chose :
Ia vie elle-même.
Tu es lâche et mou
mais génial pour les prétextes et les excuses...
Que dois-je faire?
Ecris ton livre.
Il te donnera ce que tu cherches :
Ia renommée.
Tu n'auras pas sacrifié ta fille en vain.
Dis-le.
Il y a un dieu que tu flattes dans tes écrits.
Mais, tu peux me croire,
Ta foi et tes doutes pèsent peu
face à ton affabulation.
Hélas, je sais...
Et tu persistes!
Fais donc quelque chose d'honnête!
Quoi donc?
As-tu jamais écrit un mot de vécu.
Réponds si tu peux.
Je ne sais pas.
Tes demi-mensonges sont si subtils
qu'ils semblent vrais.
J'essaie.
Oui. Mais tu n'y arrives pas.
Je sais.
Tu es vide et habile.
Tu veux remplir ce vide avec le drame de Karin.
Et comment mêleras-tu Dieu à tout cela?
Il sera plus obscur que jamais.
Puis-je poser une question?
Peux-tu contrôler tes pensées intimes?
Je ne suis pas si complexe.
Mon monde est simple.
Clair et humain.
Tu souhaites la mort de Karin.
Absurde!
Cette pensée ne m'a jamais effleuré.
Le jurerais-tu? Ce serait pourtant logique.
Tu sais qu'elle est incurable.
Que votre souffrance n'a pas de sens.
Alors qu'elle meure...
Tu es grotesque.
Question de point de vue.
Je l'aime.
Mais je suis désarmé.
J'assiste, impuissant
à sa transformation en bête tourmentée.
Je vais te dire quelque chose.
En Suisse, je décidai de me suicider.
J'avais loué une auto et choisi un à-pic.
Je partis calmement un après-midi.
Mais il faisait déjà sombre.
Ni peur, ni remords, ni espérance.
Près du précipice, je mets les gaz. Le moteur cale.
Il s'arrête net.
Les roues avant pendent dans le vide.
Je sors péniblement en tremblant.
Je m'assois pour plusieurs heures
cherchant à reprendre haleine.
Pourquoi me dis-tu ça?
Parce que je n'ai plus à sauvegarder la face.
La vérité ne conduit pas nécessairement à la catastrophe.
Aucun rapport avec Karin.
Si.
Comment cela?
Quelque chose est né dans mon vide
que j'ai de la peine à nommer.
Un amour.
Pour Karin. Et Mino.
Et toi.
Je te dirai un jour.
Je n'ose pas à présent.
Mais si c'est comme je l'espère...
Laissons cela pour le moment.
Voilà la pluie.
Si, c'est la pluie.
Ecoute-moi, Karin!
Je suis malade.
Rentrons.
Tu dois m'aider.
Mais comment.
Tu dois m'aider.
J'ai soif.
Je vais chercher de l'eau.
Dieu...
Quelle heure est -il?
Cinq heures.
J'étais si mal
mais je vais mieux.
Pauvre Mino!
Karin, mon amour...
Je veux parler seule à papa.
Rentrons.
Je veux lui parler avant que cela reprenne.
Sois gentil.
Je vais téléphoner pour l'ambulance.
Cours chercher ma trousse.
Je dois lui faire une piqûre.
Je veux rester à l'hôpital.
Je ne veux plus de traitements.
Tu peux le leur demander?
Je ne sais pas.
Je ne veux pas vivre en allant d'un monde à l'autre.
Je dois choisir.
Cela ne peut continuer.
Quoi donc?
La haine.
Quelle haine?
Je n'ai pas agi librement.
Une voix m'a guidée.
Elle t'a dit de lire mes carnets...
Et de dire à Martin ce que tu as lu.
J'ai fait pire que ça.
Bien pire.
J'ai pourtant lutté, mais c'était trop fort.
J'étais forcée.
Quand?
A l'instant.
Pauvre petit Mino...
Je ne comprends pas!
Reste tranquille, Karin.
Et puis la chambre pleine de gens.
Ces bonnes gens attendant que la porte s'ouvre
et que Dieu vienne vers eux.
Mais alors viennent les voix...
et je dois leur obéir.
Je n'y arrive pas.
Est-ce seulement ma maladie?
Quelle horreur de voir sa propre confusion
et de la comprendre.
Je te demande pardon.
J'ai toujours eu mauvaise conscience
et puis je me suis endurci.
Ce que j'ai sacrifié pour mon soi-disant art.
Ma réussite a plus signifié
que la mort de ta mère.
Pourtant, je l'aimais à ma façon.
Et quand j'allais mal tu partais.
Le même mal que ta mère.
Je n'en pouvais plus.
Je devais aussi finir mon roman.
Il est bien?
On trace un cercle magique
et exclut tout ce qui ne convient pas
à nos jeux secrets.
Mais si la vie brise ce cercle,
Ies jeux deviennent ternes et ridicules.
Alors on trace un autre cercle protecteur.
Pauvre petit papa.
Pauvre papa, obligé de vivre dans la réalité.
Rentrons.
Je dois faire les valises.
Et l'ambulance?
Dans une heure.
Je vais me changer.
Merci, ça va.
La lumière est forte.
Occupe-toi de son latin.
J'y pensais.
N'oublions pas les clés.
Tu ne repars pas?
Non, je reste...
ce sera mieux.
Nous ne pourrons pas aller aux champignons.
Aide-moi. Je suis si fatiguée.
Oui, bien sûr.
Je voudrais te parler.
Les chemises ne sont pas repassées.
J'ai celle-ci.
Et il y en a en ville.
Aide-moi avec la valise.
Les souliers. Je peux les laisser ici.
Laisse plutôt ceux-là.
Je dois les donner au cordonnier.
As-tu un cachet?
Où est la valise marron?
A la cuisine.
Oui, c'est vrai.
Tu as vu Karin?
Oui, très bien.
Oui, je comprends.
Je sais que ça ne sera plus long.
C'est si rassurant.
Mais notre attente a été belle.
Va doucement!
Ils disent qu'il sera bientôt là.
Soyons prêts.
Nous partons pour la ville.
Je ne peux pas partir.
Tu te trompes.
Rien ne se passe là-dedans.
Aucun dieu ne passera cette porte.
Il viendra d'un moment à l'autre.
Je dois rester.
Mais ce n'est pas ça.
Pas si haut! Si tu ne peux pas te taire, pars.
Viens avec moi.
Pourquoi détruire? Laisse-moi seule!
Pardonne-moi, j'ai été méchante.
Tu ne veux pas venir t'agenouiller?
Et joindre tes mains près de moi?
Tu as l'air de manifester, là, sur ta chaise.
Je sais que tu ne crois pas...
Mais fais-le pour moi.
Mon amour.
Tiens-lui les jambes.
J'ai eu peur.
La porte s'ouvrit.
Mais le dieu qui apparut était une araignée.
Il vient vers moi
et je vis sa face.
Elle était rigide, horrible.
Il grimpa sur moi et voulut me pénétrer.
Mais je me défendis.
Je vis ses yeux.
Calmes et froids.
Comme il ne put entrer en moi,
il monta sur ma poitrine,
sur mon visage, puis continua sur le mur.
J'ai vu Dieu.
Ils attendent en bas.
Papa, j'ai peur.
Quand je tenais Karin dans l'épave,
Ia réalité a éclaté.
Tu sais ce que je veux dire?
Je sais.
La réalité a éclaté
et j'échappai.
C'est comme en rêve.
Tout peut arriver, papa, tout.
Je sais.
Je ne peux pas vivre comme ça.
Tu peux.
Mais avec quelque chose à quoi te tenir.
Ce serait quoi?
Un dieu?
Donne-m'en une preuve.
- Tu ne peux pas. - Si, je peux.
Mais il faut que tu m'écoutes.
J'ai besoin d'écouter.
Je ne peux que t'indiquer mes propres espérances.
C'est la certitude que l'amour est une réalité.
Une certaine sorte d'amour?
Toutes sortes! Le plus élévé et le plus bas,
Ie beau et l'absurde.
Toutes les sortes.
Le désir de l'amour.
Le désir et la négation.
La foi et le doute.
C'est l'amour qui est la preuve?
Je ne sais pas si l'amour démontre Dieu
ou si c'est Dieu Lui-même.
Pour toi, Dieu et amour sont la même chose.
Cette pensée occupe le vide de mon âme.
Parle encore!
Alors le vide devient richesse
et le désespoir devient vie.
C'est comme être gracié
de la peine de mort.
Si tu dis vrai, alors Karin est entourée de Dieu
puisque nous l'aimons.
Oui.
Cela peut l'aider?
Je le crois.
Je peux faire un tour?
Cours. Je fais le dîner. A bientôt.
Papa m'a parlé!