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Chers Hermanos, notre adage “Restons Humains” devient un livre.
Et dans ce livre le récit de trois semaines de massacre,
écrit au mieux de mes possibilités,
dans des situations de précarité absolue,
la plupart du temps en transcrivant sur un carnet froissé l’enfer autour de moi...
...plié sur une ambulance en marche toutes sirènes hurlantes,
ou en tapant, hébété, sur le clavier d’un ordinateur de fortune...
...dans des édifices secoués comme des pendules rendus fous par les explosions.
Je vous préviens, le seul fait de feuilleter ce livre pourrait s’avérer dangereux
parce que ce sont des pages nocives, barbouillées de sang
imprégnées de phosphore blanc, incrustées d’éclats d’explosif tranchants.
Si vous les lisez dans la quiétude de vos chambres à coucher les murs retentiront de nos cris de terreur,
et je m’inquiète pour les parois de votre cœur
parce que je sais que la douleur ne les a pas encore insonorisées.
Mettez cet ouvrage en lieu sûr, à la portée des enfants,
afin qu’ils puissent connaître dès maintenant un monde qui n’est pas loin d’eux,
où l’indifférence et le racisme déchirent les enfants de leur âge comme des poupées de chiffons.
Afin qu’à leur âge précoce ils puissent être vaccinés contre cette épidémie de violence envers l’autre,
contre cette indolence envers l’injustice. Afin qu’ils puissent, à l’avenir, rester humains.
Je compte sur vous, qui comptez sur moi,
non pas pour les morts mais pour les blessés à mort de cet horrible massacre.
Je vous embrasse en suivant les contours de la Méditerranée qui tout en nous séparant, nous unit.
Restons humains.
A vous, à jamais insoumis, Vik.
27 décembre 2008
Guernica à Gaza
Mon logement à Gaza donne sur la mer.
La vue panoramique m’a souvent remonté le moral;
chaque fois quand je me sentais complètement épuisé par les conditions misérables d’une vie vécue sous le blocus.
Jusqu’à ce matin. Ce fut là que le feu de l’enfer se déclencha devant ma fenêtre.
Aujourd’hui nous avons été réveillés tôt par les bombes...
...et un grand nombre est tombé à une centaine de mètres de mon domicile.
Beaucoup de mes amis sont enterrés sous les décombres.
Actuellement, nous comptons 210 tués, mais ce chiffre va encore grimper. Un bain de sang sans précédent.
Ils ont rasé le port et ramené le commissariat central de police au niveau du sol.
On m’annonce que les médias occidentaux ont avalé la pilule,
rabâchant à l’unisson les communiqués de l’armée israélienne, largement propagés,
selon lesquels les attaques étaient ciblées de manière "chirurgicale" sur les bases du Hamas.
En réalité, nous avons vu à l’hôpital Al-Shifa, le plus grand de la ville de Gaza, les corps allongés dans la cour
− certains dans l’attente de soins, toutefois la plupart sans aucun doute morts − et parmi eux des dizaines de civils.
Pouvez-vous imaginer ce qu’est Gaza?
Chaque maison est imbriquée dans l’autre, chaque construction appuyée sur une autre.
Gaza est l’endroit au monde avec la plus forte densité humaine,
ce qui rend inévitable le fait, qu’en lâchant des bombes depuis 10000 mètres d’altitude,
tu vas provoquer un massacre au sein de la population civile.
Tu sais cela et tu en prends la responsabilité; il ne s’agit pas d’une "erreur", de "dommages collatéraux".
Et au moment où le commissariat central de police saute en l’air en plein centre du quartier d’Al-Abbas,
l’école primaire juste à côté est endommagée par les explosions.
C’était la fin des cours et les enfants venaient de sortir dans la rue,
lorsque des dizaines de sacs d’écoliers bleus tachés de sang volèrent à travers les airs.
Lors de l’attaque contre l’école de police Daïr Al-Balah,
des personnes présentes au souk tout proche, le marché central de Gaza, furent également tuées et blessées.
Nous vîmes s’écouler en ruisseaux sur l’asphalte le sang d’animaux et d’êtres humains se mélangeant.
Un Guernica sorti de son cadre pour se transformer en réalité.
J’ai vu de nombreux cadavres difformes dans les différents hôpitaux que j’ai visités.
Je connaissais un grand nombre de jeunes gens.
Nous échangions nos saluts tous les jours sur le chemin menant au port, ou le soir,
lorsque je me rendais dans les cafés du centre.
J’en connaissais certains par leur nom. Un nom, une histoire, une famille déchirée.
La grande majorité étaient des jeunes gens, âgés de 18 à 20 ans,
la plupart d’entre eux n’appartenaient ni au Fatah ni au Hamas:
après leurs études, ils avaient présenté leur candindature auprès de la police,
à la recherche d’un emploi stable dans un Gaza
qui connaissait un taux de chômage de 60% dû au blocus criminel des Israéliens.
Je ne m’occupe pas de propagande,
je laisse s’exprimer mon regard, mon ouïe résonnant des hurlements des sirènes et du grondement des explosions.
Je n’ai pas vu de terroristes parmi les victimes, uniquement des civils et des policiers.
Le jour d’avant, j’avais plaisanté avec eux parce qu’ils s’étaient emmitouflés contre le froid.
Je souhaite que justice puisse au moins être rendue à ces morts par la restitution de la vérité.
Au grand jamais ils n’ont tiré le moindre coup de feu en direction d’Israël, ni même essayé de le faire,
parce que ce n’était pas leur tâche. Ils étaient occupés à régler la circulation et à assurer la sécurité intérieure,
d’autant plus que le port se trouvait à l’opposé de toute frontière israélienne.
Je dispose d’une petite caméra vidéo et me rends compte aujourd’hui que je suis un bien mauvais caméraman;
je suis incapable de filmer les corps broyés et les visages noyés sous les larmes. Je n’y arrive pas, tout simplement.
Je n’y arrive pas, parce qu’à ce moment précis, moi aussi je fonds en lar-mes.
Je suis parti en compagnie d’autres membres d’ISM (International Solidarity Movement)
à l’hôpital Al-Shifa pour donner notre sang.
Sur place, nous reçûmes un appel téléphonique: Sara, notre chère amie,
avait été mortellement blessée par les éclats d’une bombe dans son logis du camp de réfugiés de Jabalia.
Personne chaleureuse au tempérament enjoué, elle était partie peu avant chercher du pain pour sa famille.
Partie en laissant treize enfants.
Il y a peu, Tofiq m’a appelé de Chypre.
Tofiq est l’un des étudiants palestiniens qui ont eu de la chance. Grâce à nos bateaux du Free Gaza Movement,
il a pu quitter l’immense prison à ciel ouvert de la Bande de Gaza et commencer une nouvelle vie ailleurs.
Il m’a demandé si j’étais allé rendre visite à son oncle et si, comme promis, je lui avais transmis son bonjour.
J’ai hésité, puis je me suis excusé parce que je n’avais pas encore eu le temps de le faire.
Trop ***. Avec beaucoup d’autres, il est resté sous les décombres du port.
Une terrible menace nous arrive d’Israël:
ce n’est que le premier jour d’une campagne de bombardements qui pourrait s’étendre sur deux semaines.
Ils feront le vide et ils l’appelleront paix.
Le silence du "monde civilisé" est beaucoup plus assourdissant que les explosions qui couvrent la ville...
...comme un linceul de terreur et de mort.
Restons Humains.
29 décembre 2008
Mort lente devant temoin inoperants
Une odeur suffocante de soufre est suspendue dans l’air,
des éclairs déchirent le ciel, interrompus par les grondements de coups de tonnerre.
Entre-temps, le bruit des explosions m’a rendu sourd...
...et mes yeux sont ***échés d’avoir trop pleuré à la vue des cadavres
Je suis devant l’hôpital Al-Shifa, le plus important de Gaza,
et à l’instant nous est parvenue une menace terrible:
les Israéliens veulent bombarder la nouvelle annexe encore en construction au premier étage.
Cela ne serait pas une grande nouvelle en soi, car, hier déjà, la clinique Wea’m fut bombardée.
En même temps qu’un entrepôt de médicaments à Rafah, l’université islamique détruite et différentes mosquées
réparties sur l’ensemble de la bande de Gaza. À côté d’un grand nombre d’installations publiques.
C’est comme si, ne trouvant plus d’objectifs "sensibles",
l’armée de l’air et la marine s’étaient un peu entraînées en prenant comme cibles dans leurs viseurs
des villes saintes, des écoles et des hôpitaux.
Ici, chaque heure est un 11 septembre, chaque minute;
et leur lendemain n’est qu’un aujourd’hui répété de deuil, avec toujours le même désespoir.
Hélicoptères et avions traversent continuellement le ciel;
si tu aperçois leur lumière, c’est que tu es déjà mort.
Il n’y a pas d’abris sűrs pour se protéger des bombes dans la bande de Gaza, aucun endroit n’est sűr.
Je n’ai plus aucun contact avec mes amis à Rafah;
je n’arrive pas à joindre ceux qui se trouvent au nord de Gaza-ville.
J’espère que cela est uniquement dű à des lignes saturées. Je l’espère...
Voilà soixante heures que je n’arrive plus à fermer l’oeil, aussi peu que les Gazaouis.
Hier j’ai passé la nuit avec trois de mes camarades d’ISM à l’hôpital Al-Awda, dans le camp de réfugiés de Jabalia.
Nous y sommes allés car je m’attendais à l’offensive terrestre planifiée de longue date et qui n’était toujours pas déclenchée.
Tout le long de la frontière de la bande de Gaza, les chars israéliens sont en position;
leurs chenilles vont sans doute se mettre en mouvement cette nuit dans un rythme mortel.
Vers 23 h 30, une bombe éclata à environ 800 mètres de l’hôpital,
l’onde de choc fit voler des vitres en éclats, aggravant encore l’état des patients déjà meurtris.
Une ambulance passa, ils venaient de bombarder une mosquée, heureusement vide de visiteurs à ce moment-là.
Malheureusement, même s’il ne s’agit pas de malheur
mais plutôt d’une volonté criminelle et terroriste de la part d’Israël de provoquer des massacres au milieu de la population civile,
malheureusement donc, l’explosion avait démoli et complètement détruit l’immeuble voisin.
Des décombres, on retira les restes de six soeurs, toutes étaient encore des fillettes
cinq d’entre elles étaient mortes, une blessée très grièvement. On avait étendu les corps des enfants sur l’asphalte carbonisé;
ils ressemblaient à de petites poupées disloquées, jetées là parce qu’elles ne servaient plus à rien.
Il ne peut pas s’agir là d’une "erreur", mais bien d’un acte atroce volontaire et cynique.
Maintenant on parle de 320 tués en plus d’environ 1 000 blessés dont,
d’après les informations données par un médecin de l’hôpital Al-Shifa,
60 % n’allaient pas survivre au-delà des prochaines heures
ou mourir après une longue et atroce agonie dans les prochains jours.
Des dizaines de corps ont été déchiquetés;
dans les hôpitaux, depuis deux jours, de nombreuses femmes errent à la recherche de leurs époux
ou enfants, souvent en vain.
Les morgues offrent de bien macabres spectacles.
Une infirmière me raconta qu’une femme palestinienne, partie à la recherche de son mari
et faisant le tour des chambres froides oů étaient entreposés les restes de cadavres
reconnut, après des heures, dans une main détachée celle de son mari.
C’était tout ce qui restait de son mari,
avec au doigt l’anneau nuptial par lequel ils s’étaient promis un amour éternel.
D’une maison, occupée par deux familles, et qui avait été rasée jusqu’aux fondations,
il ne subsistait que peu de choses: uniquement les corps d’êtres humains enterrés sous les gravats.
On présenta aux voisins la moitié d’un torse et trois jambes.
En ce moment, un des bateaux de notre mouvement Free Gaza sort du port de Larnaca à Chypre.
J’ai pu parler à mes amis à bord. Des héros: ils ont bourré le bateau de médicaments.
Il devrait arriver demain vers huit heures dans le port de Gaza.
Si le port résiste à une autre nuit de bombardements continus, bien sûr.
Je vais rester constamment en contact avec eux.
Il faut que quelqu’un arrête ce cauchemar.
Rester muet sans bouger équivaudrait à soutenir le génocide en cours.
Puisse notre indignation trouver un écho dans chaque capitale du "monde civilisé",
que nos cris de douleur et de terreur atteignent chaque ville et chaque lieu.
Une partie de l’humanité agonise dans une pieuse attente.
Restons humains.
30 Décembre 2008
LES USINES À FABRIQUER DES ANGES
Jabalia, Beit Hanoun, Rafah, Gaza-ville sont les étapes de mon parcours sur la carte de l’enfer.
Malgré tout ce que pourront répéter dans leurs communiqués les porte-parole de l’armée israélienne,
et que diffusent à travers tous leurs canaux les mass media européens,
je fus chaque jour le témoin oculaire des bombardements sur des mosquées, des écoles,
des universités, des hôpitaux, des marchés et des dizaines d’habitations privées.
Le médecin-chef de l’hôpital Al-Shifa me confirma
avoir reçu des appels téléphoniques de l’armée israélienne,
lui enjoignant de faire évacuer l’hôpital sans délai, faute de quoi il allait se mettre à pleuvoir des bombes.
Il ne se laissa pas intimider.
Le port, là où j’ai été obligé de dormir, bien que l’on n’arrive plus à fermer l’oeil à Gaza depuis quatre jours,
se trouve constamment pris sous des tirs nocturnes.
En face, plus aucune sirène d’ambulances se croisant mutuellement n’est audible,
tout simplement parce que, dans le port et autour, personne n’a survécu, tout le monde est mort,
C’est comme si l’on pénétrait dans un cimetière après un tremblement de terre.
La situation est bien celle d’une catastrophe "non naturelle", d’un raz de marée de haine et de cynisme
submergeant le peuple palestinien et dont l’opération "Plomb durci" qui détruit des vies humaines,
à l’inverse de ce qui était prévu, ne fait que souder encore plus les Palestiniens entre eux:
des gens qui ne se seraient même pas salués avant, du fait de leur appartenance à des factions différentes,
se retrouvent à présent unis en tant que victimes d’une tragédie épouvantable.
Lors que les bombes s’écrasent au sol depuis une hauteur de dix mille mètres,
pas de problème, elles ne font aucune différence entre les drapeaux du Hamas et ceux du Fatah...
...placés sur les appuis des fenêtres.
Il n’existe pas d’opérations militaires de précision "chirurgicale":
quand l’armée de l’air et les avions de la marine entrent en action, les uniques opérations chirurgicales
sont celles des médecins qui vont amputer les membres déchiquetés des victimes sans le temps de la réflexion,
même si bras et jambes pourraient souvent être sauvés.
Par manque de temps, tout étant fait dans l’urgence, le traitement nécessaire à un membre gravement touché
pourrait signifier la condamnation à mort pour le prochain blessé attendant une transfusion.
600 blessés graves sont allongés à l’hôpital Al-Shifa, mais on n’y dispose que de 29 appareils respiratoires.
Il manque de tout, avant tout de personnel qualifié.
Pour cette raison, découragés
par l’inaction et l’omerta des gouvernements occidentaux se rendant ainsi complices de fait des crimes d’Israël,
nous avions décidé de faire partir de Larnaca (Cipro) un petit bateau de Free Gaza Movement
avec à son bord du personnel médical et trois tonnes de médicaments.
J’avais attendu en vain dans le port, ils auraient dû arriver à huit heures ce matin.
Ils ont été interceptés à 90 milles marins au large de Gaza par onze navires de guerre israéliens,
lesquels tentèrent à plusieurs reprises de les heurter et les couler en pleine mer.
Ils heurtèrent le bateau à trois reprises,
provoquant une avarie du moteur ainsi qu’une voie d’eau dans la coque.
L’équipe et les passagers survécurent par un pur hasard
et réussirent à rejoindre la terre ferme dans le port de Tyr, au sud Liban.
Toujours plus frustrés par le silence assourdissant du monde "civilisé",
mes amis ne vont pas tarder à démarrer une nouvelle tentative;
ils ont réussi à planquer le chargement de médicaments du “Dignity”,
et à le transborder sur un autre bateau, fin prêt à partir en direction de Gaza.
De nombreux journalistes me demandent dans les interviews...
...de rendre compte de la situation humanitaire des Palestiniens à Gaza,
comme s’il s’agissait d’un problème de rationnement alimentaire, de manque d’eau, de coupures d’électricité ou de pénurie de carburant
et non pas de la question de savoir qui provoquait ces problèmes par la fermeture des passages de frontière...
...ainsi que le bombardement des transformateurs électriques et autres centres de distribution d’eau.
À l’hôpital Al-Awda de Jabalia, j’ai vu comment les blessés et les tués
arrivaient non pas en ambulance, mais sur de petites charrettes en bois tirées par des animaux.
C’est à l’aide de chars d’assaut, d’avions de chasse, de drones et d’hélicoptères de combat Apache...
...qu’une des plus importantes et puissantes forces armées du monde
déchaîne ses attaques sur une population qui se déplace encore à dos d’âne, comme au temps de Jésus.
Le Centre pour les Droits humains Al-Mizan informe, qu’au moment de l’annonce, 55 enfants ont été impliqués dans les bombardements,
20 d’entre eux ont été tués et les 35 autres gravement blessés.
Selon "Al Mizan", un centre pour les droits humains,
Israël a transformé les hôpitaux palestiniens en autant de fabriques d’anges
et ne voit pas la haine qui est ainsi attisée en Palestine et dans le monde entier.
Les fabricants d’anges sont en action permanente, ce soir également,
je le ressens à travers le vacarme incessant des bombes devant ma fenêtre.
Ces petits corps déchiquetés et amputés, récoltés avant la première floraison,
seront présents dans mes cauchemars pour le restant de mes jours
et s’il me reste la force pour rendre compte de leur fin,
alors ce sera uniquement pour demander justice aussi bien pour ceux qui désormais ne peuvent plus parler,
qu’à ceux qui n’ont jamais voulu entendre.
Restons Humains.
1er janvier 2009
Une Catastrophe "Non Naturelle"
La nouvelle année a remplacé l’ancienne, les perspectives vers la mort et la désolation sont restées.
Depuis le début, jamais je n’ai vu tomber autant de bombes près de mon appartement.
À moins de cent mètres de distance, une explosion a secoué l’ensemble des sept étages de l’immeuble
qui s’est mis à osciller dans tous les sens comme un balancier hors de contrôle.
Un moment, j’ai pensé qu’il allait s’écrouler; les vitres des armoires volèrent en éclats.
Dans la panique, j’implorai le bon Dieu
d’avoir fait en sorte que les connaissances des normes antisismiques avaient été appliquées lors de la construction du bâtiment,
bien que dans mon espoir trompeur,
je savais bien que Gaza se trouvait sur une bande qui n’a jamais connu de séisme.
Ici, le séisme s’appelle Israël.
Je suis à la recherche désespérée de mes amis qui ne répondent plus au téléphone.
J’ai trouvé Ahmed chez lui,
dans l’une des rares maisons restée debout dans le centre du quartier Tal Al-Hawa de Gaza-ville.
Tout autour,
un décor d’apocalypse règne, faisant penser au quartier chiite de Beyrouth
après le déluge de bombes en 2006;
des bombes de même fabrication et de même origine tombent aussi sur nous ces jours-ci.
Ahmed va bien
ainsi que sa famille,
seule sa mère s’était trouvée en grand danger samedi.
Elle est professeur à l’école Balqees de l’Onu
et ce jour-là, elle s’attarda plus longtemps que d’habitude dans la salle de cours,
ce qui lui sauva la vie.
Alors qu’ils attendaient à l’arrêt de bus,
un grand nombre parmi ses étudiants furent enterrés sous les décombres des explosions.
Une bombe est tombée sur l’auto d’Ahmed,
une petite voiture vert pistache,
avec laquelle nous étions partis dans cette ville le soir d’avant à la recherche de pain
dont la farine est au prix de l’or.
J’ai enfin réussi à joindre également Rafiq au téléphone:
sa voix profonde semblait sortir d’un tonneau sans fond,
d’un tunnel de solitude et de désespoir
car il venait d’apprendre que trois de ses meilleurs amis avaient perdu la vie dans l’offensive contre le port.
Dans l’un des derniers cafés encore ouverts dans la bande de Gaza
et bénéficiant d’un accès internet, que j’utilise tant que les bombes et le réseau électrique le permettent,
j’ai montré autour de moi, avec un sourire en coin, affichée sur l’écran de mon ordinateur portable
l’information qu’il y avait eu un mort et 382 blessés.
Pour l’occasion, il ne s’agit pas des chiffres des victimes des tirs de roquettes Qassam hier sur Israël,
qui n’avaient heureusement fait aucune victime,
mais des chiffres du "massacre" causé par les pétards et feux d’artifice, annoncés chaque fin d’année en Italie.
J’expliquai à mes amis que les gens du Hamas étaient des blancs-becs
de s’imaginer mener la guerre contre Israël avec leurs jouets de fabrication artisanale.
Ils devraient plutôt aller suivre un stage de formation à Naples pour apprendre comment on construit...
...des roquettes réellement meurtrières.
En tant que pacifiste, partisan de la non-violence, j’ai en horreur toute attaque des Palestiniens contre les Israéliens,
mais il y en a assez d’entendre toujours le même refrain
selon lequel le massacre perpétré au sein de la population
n’est que la réponse d’Israël aux modestes tirs de "missiles" palestiniens.
Il est à noter au passage que les tirs de Qassam
ont provoqué 18 morts depuis 2002 jusqu’à ce jour,
alors qu’ici en quelques heures de la journée de samedi
nous avons décompté dans les hôpitaux plus de 250 tués.
Je demande un avis aux clients du café, sur le cessez-le-feu proposée par l'Union européenne et rejetée par Israël,
puisqu’il possède dans ses entrepôts militaires de nombreuses réserves de matériel de guerre prêt pour un prochain usage.
Tout le monde secoue la tête.
Y a-t-il eu une seule fois un cessez-le-feu
avant le début de cette attaque sauvage contre une population sans défense?
Rien qu’en novembre, l’armée israélienne a tué 17 Palestiniens
(43 au total depuis le début du "cessez-le-feu").
Auparavant déjà, le blocus illégal de la Palestine
avait causé plus de 200 décès parmi les malades qui,
bien que munis de toutes les autorisations, étaient à la recherche d’une assistance médicale à l’étranger
et n’avaient ainsi plus pu quitter le pays.
L’économie, de toute manière déjà fragile, se retrouve à genoux du fait du blocus criminel;
le taux de chômage a dépassé les 60 %,
faisant que 80 % des familles vivent grâce aux aides humanitaires et en sont dépendantes.
Des aides qui ne traversent plus qu’avec difficulté le rideau de fer qu’Israël a déployé
autour de la plus vaste prison à ciel ouvert de la planète: la bande de Gaza.
Dès la énième annonce téléphonique, il nous fallut alors fuir ce café à toutes enjambées:
dans les minutes à venir, le local allait être bombardé.
Hier, dans le camp de Jabalia,
un chasseur bombardier F-16 a tiré un missile sur une ambulance:
le médecin, Ihab El Madhoun
et son collaborateur dévoué et aide-soignant, Mohamed Abou Hasira périrent.
Suite à quoi, nous, les représentants internationaux d’ISM,
décidâmes d’annoncer une conférence de presse
qui se tiendrait en même temps face aux caméras d’une chaîne TV palestinienne très populaire:
pour informer Israël, qu’à partir de cette nuit,
nous accompagnerions les ambulances afin de soutenir les secouristes de première urgence.
Espérant que notre façon de réagir aurait au moins un effet dissuasif sur Israël,
lui faisant porter la responsabilité des crimes commis contre l’humanité.
Lorsque nous nous retrouvons parfois ensemble, la conversation prend une tournure lugubre
car nous sommes conscients que l’un ou l’autre d’entre nous
augmentera probablement le nombre des tués ou disparus de cette horrible attaque.
Mais nous refusons d’y penser, nous continuons.
Restons Humains.
3 janvier 2009
Des fantômes réclament justice
Au moment où j’écris, les blindés israéliens ont envahi la bande de Gaza.
La journée commença comme la précédente s’était achevée,
avec la terre qui tremblait continuellement sous nos pieds;
ciel et mer tissent sans répit
e destin de plus de 1,5 million d’êtres humains,
passant de la tragédie du blocus jusqu’à la catastrophe des bombardements
qui font de la population civile une cible prédestinée.
L’horizon est cerné de flammes:
des coups de canonnières sont tirés du côté de la mer et des bombes tombent du ciel pendant toute la matinée.
Les bateaux de pêcheurs que nous avons escortés jusqu’en pleine mer il y a tout juste quelques jours,
bien au-delà de la frontière maritime de 6 milles marins fixée en toute illégalité par les occupants criminels d’Israël,
ont été réduits à l’état de petits tas incandescents de charbon de bois.
En cas d’intervention des pompiers pour une tentative d’extinction,
ces derniers se transforment en cibles pour les mitrailleuses des chasseurs F-16:
cela est déjà arrivé hier.
Lorsque cette offensive massive sera terminée
et que l’on aura fait le décompte des tués, si tant est que cela soit possible un jour,
alors il faudra reconstruire cette ville sur un désert de gravats.
La ministre des affaires étrangères israélienne Livni
déclarera à l’opinion mondiale qu’ "il n’y a en aucun cas état d’urgence humanitaire à Gaza".
Visiblement, la négation de la Shoah n’est pas seulement à la mode
dans l’entourage du président iranien Ahmadinedjad.
Il y a une chose sur laquelle les Palestiniens sont bien d’accord avec Livni,
traitée par Joseph, le chauffeur d’ambulance, d’"ex-tueuse en série du Mossad",
les denrées alimentaires entrées ce mois dans la bande de Gaza
sont en augmentation, certes, mais c’est parce que le mois dernier
la clôture de barbelés des Israéliens était tellement resserrée que pratiquement rien ne pouvait passer de ce côté-ci de la bande.
Mais quel intérêt à aller servir du pain frais dans un cimetière?
La nécessité de l’instant serait l’arrêt immédiat des bombardements,
bien avant la reprise en main de l’approvisionnement en denrées alimentaires.
Les cadavres ne mangent rien,
ils servent encore simplement d’engrais pour la terre qui,
ici à Gaza, est devenue fertile comme jamais elle ne le fut auparavant, du fait de la décomposition des chairs humaines.
Les images des cadavres d’enfants déchiquetés
devraient en revanche développer le sentiment de culpabilité de tous ceux qui sont restés indifférents,
bien qu’ils auraient pu entreprendre quelque chose contre cela.
Les images d’un Obama souriant, jouant au golf à Hawaï,
étaient visibles sur toutes les chaînes satellitaires arabes
et furent ressenties comme un affront face au deuil qui s’est répandu dans les pays de la contrée.
En tout cas, ici, personne ne s'est jamais laissé bercer par l’illusion de croire qu’une certaine pigmentation de peau...
...à elle seule pourrait suffire à infléchir la politique étrangère américaine de manière radicale.
Hier, Israël a ouvert le passage près d’Eretz,
afin d’évacuer les quelques étrangers restés dans la bande de Gaza.
Nous, les membres du groupe d’ISM,
sommes les seuls à rester sur place.
Pour apporter une réponse à Tel-Aviv, nous avons tenu aujourd’hui une conférence de presse,
au cours de laquelle nous avons expliqué notre motivation qui nous a décidé de ne pas quitter les lieux.
Cela nous écoeure de voir s’ouvrir tout grand les points de passage pour évacuer les ressortissants étrangers,
seuls témoins éventuels de ce massacre,
mais dans le sens inverse, les passages restent fermés
aux nombreux médecins et personnels soignants européens,
prêts à venir épauler leurs héroïques collègues palestiniens.
Nous ne partirons pas,
car nous considérons d’une importance capitale le fait, qu’en restant,
nous devenons les témoins oculaires des crimes commis ici, d’heure en heure, de minute en minute,
contre une population civile sans défense.
Nous en sommes à 445 tués,
plus de 2 300 blessés, des dizaines de disparus;
avec 73 mineurs déchiquetés par des bombes à l’instant où j’écris ces lignes.
Jusqu’à présent, Israël compte 3 victimes au total.
Si nous ne sommes pas partis,
comme nos consulats nous l’ont ordonné,
c’est aussi parce que nous sommes parfaitement conscients de notre rôle de boucliers humains pour les ambulances
et leurs personnels de premiers secours; cela pourrait servir à sauver des vies.
Hier déjà, une ambulance a essuyé des tirs à Gaza-ville
et le jour précédent, deux médecins ont été tués dans le camp de réfugiés de Jabalia,
touchés par un missile tiré à partir d’un hélicoptère de combat Apache.
Mes motivations personnelles de ne pas m’en aller,
ce sont mes amis, en me demandant de ne pas les abandonner, qui me les ont fournies.
Ceux, toujours en vie, mais aussi ceux, déjà morts,
qui peuplent à présent comme des fantômes mes nuits sans sommeil.
Leurs visages évanescents continuent à m’adresser leurs sourires.
19 h 33:
hôpital du Croissant-Rouge de Jabalia.
Pendant que j’étais au téléphone avec les manifestants venus en masse à Milan,
deux bombes tombèrent devant l’hôpital.
Les vitres de la façade avant furent brisées,
mais comme par miracle les ambulances s’en tirèrent sans dommage.
Durant les dernières heures, le rythme et la puissance des bombardements se sont intensifiés.
Près d’ici, la mosquée Ibrahim Al-Maqadmé
vient de s’écrouler sous les bombes;
c’est la dizième mosquée en une semaine à subir ce sort.
Bilan: onze tués, une cinquantaine de blessés.
Une femme palestinienne âgée, croisée cet après-midi dans la rue,
me demanda si les Israéliens se croyaient revenus au Moyen Âge,
car maintenant que leurs frappes "chirurgicales" s’abattaient sur des mosquées,
tout semblait indiquer qu’ils menaient une guerre de religion personnelle...
...contre les villes saintes de l’islam à Gaza.
Encore une pluie de bombes sur Jabalia, puis pour finir, ce fut l’invasion.
Les chenilles des chars blindés en position depuis des jours le long de la frontière
se sont mis en mouvement vers une zone au nord-est de Gaza, aplatissant au passage les maisons, mètre par mètre.
Ils ensevelissent le passé et le futur, des familles entières, une population qui,
en 1948 de sa propre terre,
n’avait trouvé d’autre abri qu’un baraquement parmi d’autres dans un camp de réfugiés.
Suite à une menace terrible tombée vendredi soir sous forme de pluie déversée du ciel,
nous nous sommes immédiatement rendus à Jabalia.
Des centaines de tracts avaient été balancés des avions de chasse israéliens;
ils exigeaient l’évacuation des camps de réfugiés.
Cette fois, il ne s’agissait malheureusement pas d’une menace en l’air.
Les plus chanceux furent ceux qui s’en furent sans délai, rassemblant à la hâte
un téléviseur, un lecteur DVD
et les quelques babioles leur rappelant la vie dans une Palestine
occupée et perdue il y a maintenant soixante ans.
La plupart d’entre eux n’avait aucun endroit pour fuir et se mettre à l’abri.
Ils allaient devoir affronter les chenilles avides de vies humaines
avec l’unique arme qui leur restait:
la dignité de mourir la tête haute.
Mes camarades et moi-même sommes bien conscients des grands risques auxquels nous nous exposons
durant cette nuit et les autres;
incontestablement, nous nous sentons plus à l’aise au beau milieu de l’enfer ici à Gaza
plutôt que dans les métropoles paradisiaques européennes ou américaines
où les gens fêtent le Nouvel An
et ne comprennent pas qu’ils se rendent en fait quelque part complices
de cet homicide contre des civils innocents.
Restons humains.
5 janvier 2009
Soignants transformés en Anges: Arafa Abed Al-Dayem, R.I.P.
"Aux habitants innocents de Gaza: notre guerre n’est pas dirigée contre vous, mais contre le Hamas.
Tant que celuici n’arrête pas de tirer des missiles sur nous, vous serez en danger".
Tel est le message enregistré que l’on entend lorsque l’on reçoit un appel téléphonique en ce moment à Gaza.
L’armée israélienne le diffuse dans l’hypothèse erronée,
selon laquelle les Palestiniens n’auraient ni yeux ni oreilles.
Pas d’yeux pour voir que les bombes touchent presque exclusivement des cibles civiles,
des mosquées...
(quinze, la dernière en date aujourd’hui fut celle d’Omar Bin Abd Al-Azeez à Beit Hanoun),
des écoles, l’université, des marchés, des hôpitaux.
Et pas d’oreilles pour entendre les cris de douleur des enfants,
eux aussi victimes innocentes...
...et néanmoins cibles convenues de chaque bombardement.
Selon les sources hospitalières, au moment où j’écris,
120 mineurs ont déjà perdu la vue sous les bombes...
...sur un total de 548 tués...
...et plus de 2 700 blessés. À cela, il faut ajouter des dizaines et des dizaines de disparus.
Il y a deux jours, à l’hôpital du Croissant-Rouge dans le camp de réfugiés de Jabalia, c’était comme s’il faisait jour en pleine nuit.
Les hélicoptères de combat Apache tiraient sans discontinuer des fusées éclairantes,
au point de nous empêcher de distinguer le lever du coucher du soleil.
Les tirs incessants d’un blindé à moins d’un kilomètre de distance...
...ont lourdement fissuré les murs du bâtiment;
nous avons néanmoins tenu bon à l’intérieur jusqu’au matin.
Vers 10 heures, des bombes au phosphore blanc ont frappé le bâtiment mitoyen...
...et les tirs de mitrailleuses ont commencé à retentir tout autour.
Les médecins du Croissant-Rouge comprirent qu’il s’agissait d’un avertissement à notre encontre:
évacuation immédiate
ou condamnation à mort.
Nous avons aussitôt transféré les blessés vers d’autres unités de l’hôpital...
...et placé l’ambulance d’urgence sur la route Al-Nady:
le personnel, assis sur le trottoir, attend les prochaines interventions...
...qui vont se succéder à une allure frénétique.
Pour la première fois depuis l’attaque israélienne,
j’ai vu les cadavres de combattants de la résistance palestinienne.
En proportion modeste par rapport aux victimes civiles,
dont le nombre s’est mis à croître rapidement suite à l’offensive terrestre.
Après l’attaque contre la mosquée de Jabalia...
(en même temps que l’entrée des blindés) qui fit onze morts et une cinquantaines de blessés,
pendant que nous escortions les ambulances durant toute la nuit de vendredi à samedi,
il nous apparut clairement quelle était l’incroyable puissance destructrice
des lance-grenades dont étaient équipés les chars israéliens.
À Beit Hanoun,
une famille, en train de se réchauffer chez elle devant le poêle à bois,
fut frappée par un de ces tirs mortels.
Nous avons rassemblé quinze blessés...
...dont quatre dans un état désespéré.
Ensuite,
vers trois heures du matin,
arriva un autre appel d’urgence:
trop ***,
trois femmes effondrées en larmes...
...déposent entre nos bras un enfant de quatre ans, enveloppé dans son drap.
Son linceul, déjà froid.
Encore une famille touchée à vif, à Jabalia cette fois,
deux adultes avec des éclats d’obus dans le corps.
Les deux fils n’avaient que des blessures légères,
mais à entendre leurs cris d’horreur, on se rendait compte de la portée du traumatisme psychique vécu...
...qui allait les marquer pour la vie...
...bien plus qu’une égratignure sur la joue.
Même si personne ne pourra s’en faire le porte-parole,
il s’agit de milliers d’enfants atteints de graves troubles mentaux...
...suite aux bombardements incessants,
et plus grave encore, à la vision de leurs parents, frères et soeurs déchiquetés par les obus.
Les crimes pour lesquels Israël est en train de se salir...
...dépassent toute possibilité de représentation.
Les soldats ne permettent pas que l’on apporte de l’aide...
...aux survivants de cette catastrophe "non naturelle".
Lorsque les blessés se trouvent à proximité des blindés israéliens à partir desquels on a leur a tiré dessus,
il nous est impossible de nous approcher d’eux avec les ambulances du Croissant-Rouge
car les militaires font immédiatement feu sur nous.
Pour cela, il nous faut maintenant une ambulance de la Croix-Rouge,
en accord avec le commandement militaire israélien,
afin d’essayer rapidement de sauver des vies.
Essayez de vous imaginer le temps que cela va prendre pour mettre en pratique cette procédure,
équivalant à une condamnation à mort certaine...
...pour les blessés nécessitant rapidement transfusions de sang ou soins d’urgence.
C’est d’autant plus difficile que la Croix-Rouge s’occupe inlassablement d’autres blessés graves
et ne pourra en aucun cas répondre à toutes nos demandes.
Il ne nous reste plus grand-chose à faire, sinon d’attendre dans l’ambulance
que les familles nous amènent leurs proches, blessés ou mourants, qu’ils transportent sur leurs épaules.
Ce fut aussi le même tableau ce matin, vers 5 h 30,
lorsque nous avons garé notre ambulance en plein croisement, moteur en marche,
pour signaler notre position par téléphone portable à un parent.
Au bout de dix minutes d’attente nerveusement éreintantes,
au moment oů le chauffeur allait passer la première...
...pour se rendre à toute vitesse vers le prochain lieu d’appel d’urgence,
nous vîmes une carriole, chargée de personnes et tirée par un âne, tourner le coin et venir lentement dans notre direction.
Un couple et ses deux garçonnets.
La meilleure image pour décrire cet état de "non guerre". En fait, il ne s’agit pas là d’une guerre,
parce qu’il n’y a pas deux forces face-à-face sur une ligne de front.
Il s’agit plutôt d’une occupation unilatérale par une force militaire (aviation, marine et infanterie)
parmi les plus puissantes et disposant sűrement de l’équipement techniquement le plus avancé au monde
qui s’attaque à une bande de terre...
...de 360 km2
dont la population se déplace encore à dos de mulets...
...ne disposant que d’une résistance armée médiocre et qui a pour unique force d’être préparée à toutes les formes de martyre.
Lorsque la charrette fut suffisamment proche,
nous allâmes à sa rencontre pour découvrir avec effroi son funeste chargement.
Un des enfants y gisait, le crâne écrasé,
les yeux littéralement sortis de leurs orbites
et pendouillant au milieu du visage tels ceux d’un crabe; il respirait encore au moment oů nous le prîmes en charge.
Son frère, lui, avait la cage thoracique entrebaîllée et,
à travers les lambeaux de chair déchirée, on voyait distinctement la blancheur de chaque côte.
La mère recouvrait de ses mains la cage thoracique
comme si elle voulait réparer ce qui représentait le fruit de son amour
et que la haine d’un soldat anonyme, obéissant aux ordres,
avait détruit à tout jamais.
Un crime de plus...
...et le énième parmi les cas de décès dont nous nous sommes occupés.
L’armée israélienne continue de prendre les ambulances pour cibles.
Après la mort du médecin et de l’aide-soignant il y a quatre jours à Jabalia,
ce fut le tour hier de notre ami Arafa Abed Al-Dayem,
qui s’en va, laissant quatre orphelins.
Hier, vers 8 h 30 du matin, nous reçűmes un appel de Gaza-ville:
deux civils avaient été abattus par des tirs de mitrailleuses provenant d’un blindé.
Une de nos ambulances du Croissant-Rouge se mit immédiatement en route.
Arafa et un aide-soignant portèrent les deux blessés jusqu’à la voiture
et fermèrent les portières pour repartir aussi vite que possible vers l’hôpital,
lorsqu’un obus tiré par un char les atteignit de plein fouet.
L’un des deux blessés fut décapité et notre ami tué sur le coup;
l’aide-soignant avait eu beaucoup de chance...
...et se retrouve à présent allongé à l’hôpital oů il travaille habituellement.
Arafa, qui était instituteur, s’était proposé comme aide médical bénévole dès que le besoin s’en était fait sentir.
Sous les obus qui pleuvaient et dans une situation aussi risquée, personne n’avait oser le rappeler.
Arafa était venu de lui-même et travaillait en étant pleinement conscient des risques encourus,
persuadé, qu’en dehors de sa famille
il existait d’autres personnes à défendre et à aider.
Il nous manque par ses plaisanteries,
son sens de l’humour irrésistible et communicatif
qui lui permettait d’affronter le côté dramatique des situations les plus déprimantes.
Il faut absolument que quelqu’un stoppe ce bain de sang.
Ces jours-ci j’ai assisté à des scènes,
respiré des odeurs et des puanteurs pestilentielles qu’il me sera très difficile à raconter...
...à mes futurs enfants.
Se sentir abandonné et esseulé...
...ne peut être plus désolant que la vision d’un quartier de Gaza après une attaque aérienne.
Samedi soir,
j’ai reçu un appel des participants à une manif à Milan:
j’ai passé mon portable aux médecins et aides-soignants avec qui nous travaillons
et les ai vus retrouver tout leur courage pour un moment.
Les manifestations qui s’organisent partout dans le monde prouvent qu’il y a encore des personnes en qui croire,
même si elles n’ont pas encore la force de persuasion nécessaire pour convaincre leurs gouvernements...
...d’empêcher les crimes d’Israël,
de le rendre responsable des crimes de guerre et contre l’humanité.
Ces jours-ci, à cause du stress dű à la terreur ambiante, un nombre étonnant de femmes donnent naissance à des prématurés.
J’en ai accompagnées trois à la maternité.
L’une d’elles, Samira, enceinte au septième mois,
a mis au monde un tout petit et adorable fils prénommé Ahmed.
Pendant le trajet en sa compagnie vers l’hôpital à Auda,
voyant dans le rétroviseur les scènes de destruction et de mort
au cours desquelles nous venions de rassembler les cadavres,
j’ai pensé un moment que cette nouvelle vie pouvait être un heureux présage
vers un avenir rempli de paix et d’espoir.
Cette illusion se dissipa avec la chute des premières bombes tout près,
sur le chemin de retour d’Auda à Jabalia.
Ces "Mères Courage" mettent au monde des enfants...
...dont les premières impressions se résument au vert kaki des tenues militaires, des tanks,
jeeps ainsi que des éclairs et du vacarme des bombes.
Quel genre d’adultes deviendront un jour ces enfants?
Restons Humains
7 janvier 2009
Lance-pierres contre bombes au phospore
"Prends des jeunes chats, de doux chatons et fourre-les dans une boîte"
me dit Jamal, chirurgien au sein du plus important hôpital de Gaza, Al-Shifa,
pendant que juste au même instant, un aide-soignant dépose effectivement plusieurs cartons entachés de sang...
...sur le sol devant nous.
"Ficelle bien le carton et ensuite tu sautes dessus à pieds joints en y mettant tout ton poids et ta force...
...jusqu’à entendre le craquement des osselets et le dernier miaulement".
Je fixai les cartons d’un air désemparé tandis que le toubib poursuivait:
"Essaie maintenant d’imaginer ce qui se passerait – à juste titre d’ailleurs, après l’émission, si une telle scène
était montrée à la télé, les réactions de colère légitimes de l’opinion publique internationale,
les plaintes des sociétés protectrices des animaux etc.";
le médecin continue de parler...
...tandis que je n’arrive pas à détacher les yeux des cartons posés à mes pieds.
"Israël a enfermé des centaines de civils dans une école, comme s’il s’agissait d’une caisse,
des dizaines d’enfants, puis ils ont écrasé la caisse de toute la force de leurs bombes.
Et quelle fut la réaction de l’opinion publique internationale?
Pratiquement aucune.
Il eût mieux valu être né plutôt en tant qu’animal que comme Palestinien;
nous aurions été mieux protégés".
À ce moment précis, le médecin se baisse et ouvre une des boîtes devant moi.
À l’intérieur se trouvent des membres déchirés, bras et jambes du genou vers le bas...
...ou d’autres avec les cuisses dont les blessés de l’école des Nations unies Al-Fakhoura à Jabalia ont dû être amputés;
pour l’instant, il y a plus de 50 victimes.
Je simule un coup de fil important et prends congé de Jamal;
en réalité, je pars en courant jusqu’aux toilettes pour dégueuler.
Peu de temps auparavant, j’avais eu une discussion avec l’ophtalmologiste, le Dr.Abdel,
au sujet des rumeurs circulant depuis un moment dans toute la bande de Gaza et d’après lesquelles...
...Israël veut nous recouvrir sous un déluge d’armes non- conventionnelles, justement interdites par la Convention de Genève.
Des bombes “Cluster” et des obus au phosphore blanc.
Exactement les mêmes que Tsahal, pendant la récente guerre contre le Liban,
et les USA, à Falloudjah en Irak en 2004, ont utilisé en violation des conventions et règles internationales.
Devant l’hôpital Al-Awda, nous fûmes témoins, et l’avons également filmé, de l’utilisation d’obus au phosphore blanc...
...tombés à environ 500 mètres de distance;
trop loin pour juger si des civils se trouvent sous les hélicoptères de combat Apache,
mais terriblement proches de nous.
Les conventions de Genève de 1980...
...prévoient que le phosphore blanc ne doit pas être utilisé en tant qu’arme dans les zones de guerre habitées,
mais uniquement comme écrans de fumée ou fusées éclairantes.
Sans le moindre doute et de toute façon, au départ c’est un crime...
...que d’utiliser de telles armes à Gaza,
une bande de terre où se trouve la plus forte densité de population au monde.
Le docteur Abdel me relate que l’hôpital Al-Shifa
ne dispose pas de compétences militaires et médicales suffisantes...
...pour établir que les blessures de certains cadavres autopsiés ont été occasionnées par des armes illégales.
A detta sua però, in venti anni di mestiere...
...non ha mai visto casi di decessi come quelli portati all'ospedale nelle ultime ore.
Il m’explique que les traumatismes crâniens,
fractures du vomer, des maxillaires, du zygoma, du nez et du pharynx indiquent clairement...
...qu’un choc d’une grande violence a frappé les victimes en plein visage.
Ce qui, d’après lui, semble néanmoins inexplicable est l’absence totale des globes oculaires...
qui auraient dû rester en place lors d’un traumatisme comparable ou du moins laisser des traces au niveau crânien.
Eh bien, à la place, on voyait débarquer dans les hôpitaux palestiniens des cadavres sans yeux,
comme si quelqu’un les avait prélevés chirurgicalement chez le médecin légiste avant leur arrivée.
Israël nous a fait savoir qu’on nous accordait la faveur d’un cessez-le-feu de trois heures "pleines",
soit de "13 à 16 heures".
Ce communiqué du commandement israélien est accueilli par la population palestinienne
avec la même confiance que ceux des leaders du Hamas lorsqu’ils annoncent les frappes destructrices...
...contre les soldats israéliens qu’ils affirment avoir effectuées.
Une simple explication: les pires ennemis des soldats de Tel-Aviv se trouvent être les combattants à l’étoile de David eux-mêmes.
Hier, devant le port de Gaza, un navire de guerre
avait repéré un "groupe de combattants palestiniens"...
...lourdement armés qui se déplaçaient en formation serrée autour de Jabalia...
...et ouvert le feu sur eux.
Il s’agissait en fait de leurs propres troupes, après quoi le bilan était de trois soldats israéliens tués...
...et quelque vingt autres blessés.
De toute façon, personne ici ne croit plus aux sorties de drapeaux pour des cessez-le-feu bidon,
et effectivement, aujourd’hui même, vers "14 heures", Rafah fut prise sous le feu de l’aviation...
...et à Jabalia il y eut un énième bain de sang touchant des enfants:
trois fillettes de la famille Abed Rabouh,
âgées respectivement de 2, 4 et 6 ans.
Une demi-heure avant, également à Jabalia, nos ambulances furent à nouveau placées sous le feu de tirs.
Mes amis d’ISM, Eva et Alberto, qui se trouvaient dans l’ambulance avec nous, ont filmé l’agression
et transmis immédiatement la vidéo et les photos aux plus importants médias.
Les tireurs d’élite israéliens ont touché Hassan à une jambe, lui qui est toujours endeuillé par la mort de son meilleur ami Araf,
aide-soignant abattu il y a deux jours au moment où il portait secours aux blessés à Gaza.
Mes camarades de l’ambulance du Croissant-Rouge avaient insisté pour aller ramasser dans la rue le corps d’un homme...
...mortellement touché, lorsqu’ils furent atteints à leur tour par une dizaine de projectiles.
Une balle blessa Hassan à la jambe, les autres transpercèrent l’ambulance.
Lorsque nous nous trouvions en route vers l’hôpital Al-Qouds,
dans un des derniers taxis zigzagant...
...comme un véritable casse-cou pour éviter les bombes de ce concours de tir,
j’aperçus au bord de la route un groupe d’adolescents crasseux, debout dans leurs frusques rapiécées
me rappelant ceux que portaient les cireurs de chaussures chez nous en Italie après la guerre.
À l’aide de leurs lance-pierres, ils envoyaient des cailloux vers le ciel,
en direction d’un ennemi bien trop lointain et intouchable, mais jouant un drôle de jeu avec leurs vies.
Un symbole dingue, qui restitue en instantané une image de l’absurdité de ces temps et de cette région.
Restons humains.
8 janvier 2009
"Je ne quitterai pas mon pays"
Dentifrice, brosse à dents, lames de rasoir et mousse à raser.
Les vêtements sont ceux que je porte, le sirop pour la toux, cette toux lancinante qui me tenaille depuis des semaines,
les cigarettes pour Ahmed, le tabac pour mon narguilé.
Mon téléphone portable, l’ordi portable sur le clavier duquel je pianote comme un forcené...
...afin d’apporter mon témoignage sur l’enfer qui m’entoure.
À Gaza, tout le nécessaire pour une vie frugale et un tant soit peu digne nous parvient d’Égypte
par les tunnels pour finir sur les rayonnages des magasins.
Ces mêmes tunnels qui ont été bombardés massivement par les chasseurs-bombardiers F-16 pendant les douze dernières heures
et durant lesquelles des milliers de maisons à Rafah, près de la frontière, furent détruites.
Il y a quelques mois, j’ai fait réparer trois de mes dents en piteux état;
je me rappelle, à la fin du traitement, avoir demandé à mon dentiste palestinien d’où il parvenait à obtenir tout son matériel dentaire,
produits anesthésiants, seringues, couronnes céramique et outillage.
Mon dentiste fit un mouvement suggestif de la main: de sous la terre.
Cela ne fait aucun doute, bien sûr, qu’il y a aussi des armes et des munitions,
servant aujourd’hui à ralentir l’avancée tant redoutée des blindés israéliens, qui transitent par les tunnels de Rafah,
mais c’est sans aucun rapport avec les tonnes et les tonnes de denrées alimentaires et autres biens de consommation...
...qui affluent dans une bande de Gaza occupée de manière criminelle et condamnée à la famine.
Il est facile d’aller voir sur Internet des photos qui montrent comment même des animaux arrivent à passer la frontière égyptienne...
...par le biais de ces tunnels. Chèvres et bœufs sont endormis, puis descendus à l’aide de cordes dans les puits égyptiens
avant de refaire surface de ce côté-ci pour ravitailler Gaza en lait, fromage et viande.
Jusqu’aux hôpitaux les plus importants qui s’approvisionnent par cette chaîne.
Les tunnels représentent pour les Palestiniens l’unique moyen de survivre au blocus:
blocus qui avait généré bien avant les bombardements un taux de chômage de 60%
et contraint 80% de la population à faire appel aux aides humanitaires.
Nos camarades d’ISM à Rafah nous décrivent l’énième exode dont ils viennent d’être les témoins.
Des files entières de désespérés abandonnant leurs maisons à la frontière égyptienne,
sur des charrettes tirées par des ânes et toutes sortes de moyens de transport.
La répétition de ce qui s’était déjà passé quand, il y a quelques jours, des tracts sommaient la population à l’évacuation;
Israël met toujours ses menaces à exécution, les bombes se remettent à pleuvoir.
Les "évacués" de la journée vont aller passer la nuit à Gaza, chez la famille, amis ou connaissances.
Après le massacre de Jabalia, plus personne ne se fie aux écoles des Nations unies.
Néanmoins, de nombreuses personnes ne sont pas parties car elles ne disposent d’aucun refuge sûr où se rendre.
Elles vont passer la nuit à prier un Dieu de les laisser en vie,
compte tenu du fait que personne ne semble s’intéresser à leur existence.
Jusqu’à maintenant, 768 Palestiniens sont morts, 3129 ont été blessés et 219 enfants tués.
Le décompte des tués civils en Israël est heureusement resté fixe: quatre seulement.
Al-Zaïtoun, quartier est de Gaza-ville: les ambulances de la Croix-Rouge,
après concertation avec le commandement militaire israélien,
mirent des heures pour atteindre le lieu d’un carnage.
Lorsqu’elles arrivèrent enfin sur place, on découvrit 17 cadavres et dix blessés,
tous appartenant à la même famille, Al-Samouni.
Une exécution en bonne et due forme:
sur les corps des enfants, il était facile de voir qu’ils n’avaient pas été touchés...
...par des éclats perdus d’obus ou de bombes mais bel et bien par des tirs directs.
Les deux dernières nuits à l’hôpital de Gaza-ville furent plus calmes que d’habitude;
il ne nous fallut secourir que plusieurs dizaines de blessés au lieu de centaines.
Avec le massacre de l’école Al-Fakhoura des Nations unies,
l’armée israélienne avait visiblement atteint le contingent hebdomadaire de civils tués,
qu’il devait présenter à son gouvernement en vue des élections imminentes.
Nous avons le fort pressentiment que, dès cette nuit, ils vont à nouveau faire le plein dans les morgues.
Toutes sirènes hurlantes, nous continuons à transporter vers l’hôpital les femmes enceintes pour accoucher d’enfants prématurés.
C’est comme si la nature, dans la façon qu’avaient...
...ces "Mères Courage" à faire avancer la naissance de leurs enfants,
voulait compenser le nombre toujours croissant des morts.
En y réfléchissant, les premiers cris de ces nouveaux-nés couvrent...
...un moment le vacarme des bombes.
Leila, une membre d’ISM, demanda aux enfants de nos voisins...
...dans l’immeuble d’écrire ce qu’ils pensaient de l’épouvantable catastrophe actuelle.
Voici quelques extraits de leurs rédactions: les affres de la guerre vues à travers un regard pur et innocent,
celui des enfants de Gaza.
Suzanne, 15 ans:
"La vie à Gaza est très difficile. On ne peut pas vraiment tout décrire.
Nous n’arrivons pas à dormir, ne pouvons pas aller à l’école ni apprendre.
Nous avons beaucoup de sensations, parfois la peur et nous sommes inquiets...
...parce que les avions et les navires tirent 24 heures sur 24.
Parfois aussi on s’ennuie, quand il n’y a pas de lumière à l’école et que nous avons seulement de l’électricité...
...quatre heures le soir; alors on regarde les nouvelles à la télé.
On y voit beaucoup d’enfants et de femmes qui sont blessés ou morts".
Fatma, 13 ans:
"C’était la semaine la plus difficile de toute ma vie.
Le premier jour, nous étions à l’école pour nos examens du premier trimestre,
puis les explosions ont commencé et beaucoup d’élèves ont été tués ou blessés...
...et parmi les autres chacun a perdu un parent ou un voisin.
Il n’y a plus d’électricité, plus de nourriture ni de pain.
Que pouvons-nous faire? C’est à cause des Israéliens!
Dans le monde entier on fête la nouvelle année, nous aussi on la fête, mais d’une toute autre façon".
Sara, 11 ans:
"Gaza vit sous un blocus, c’est comme une grande prison: pas d’eau, pas d’électricité.
Les gens ont peur et ne dorment pas la nuit et chaque jour de nouvelles personnes sont assassinées.
Jusqu’à maintenant il y a plus de 700 morts et plus de 3 000 blessés.
Et au moment où les élèves passent leur examen trimestriel,
Israël a attaqué les écoles, le ministère de l’Éducation et beaucoup d’autres ministères.
Chaque jour, les gens demandent quand ce sera fini...
...et attendent plus de bateaux avec des militants comme Vittorio et Leila".
Darween, 8 ans:
"Je suis une jeune fille palestinienne et je ne quitterai pas mon pays;
comme ça, j’aurai des avantages parce que je ne quitterai pas mon pays...
...et même si j’entends les missiles je ne quitterai pas mon pays!"
Meriam est âgée de quatre ans
et ses frères l’ont questionnée: "Qu’est-ce que tu ressens quand tu entends les missiles?"
Elle a répondu: "J’ai peur!",
et a vite couru vers son papa pour se cacher derrière ses jambes.
Depuis dix jours, Gaza est enveloppée dans une pénombre de désolation;
il n’y a guère que dans les hôpitaux qu’il nous est autorisé de recharger les batteries de nos ordinateurs et téléphones portables
et de regarder la télévision en compagnie des médecins et aides-soignants, tout en attendant la prochaine intervention.
Nous entendons au loin le tonnerre des bombes, à peine quelques minutes plus ***, les chaînes satellitaires arabes...
...indiquent avec précision les points où les explosions se sont produites.
Nous voyons souvent sur l’écran comment les cadavres sont retirés des décombres, comme si cela ne suffisait pas de le voir en live.
Hier, en zappant sur la télécommande, je suis tombé tout à coup sur une chaîne israélienne.
Ils montraient un festival de musique traditionnelle israélienne avec de nombreuses danseuses court vêtues et des feux d’artifices au final.
Nous retournons vers notre horreur, pas celle sur l’écran, mais celle des ambulances.
Israël a tous les droits de rire et de chanter, même si, pendant ce temps, il massacre son voisin.
Les Palestiniens n’ont plus qu’un souhait à formuler: celui de mourir d’une autre manière,
par exemple de vieillesse.
Restons Humains.
9 janvier 2009
Ils ont assassiné Hippocrate
À Gaza, un peloton d’exécution
a placé Hippocrate contre un mur, visé et fait feu.
Les déclarations monstrueuses d’un porte-parole des services secrets israéliens
selon lesquelles l’armée avait reçu le feu vert pour tirer sur les ambulances,
était qu’il fallait prendre en compte la possibilité qu’elles pouvaient transporter à leur bord des membres de la résistance palestinienne,
ce qui est très révélateur de la valeur accordée par les Israéliens à une vie humaine,
en l’occurence la vie d’un ennemi.
Cela vaut la peine de se rappeler
le serment d’Hippocrate
que chaque médecin se doit de prêter
avant de pouvoir exercer sa profession,
en particulier les passages:
"Au moment d’être admis au nombre des membres de la profession médicale, je prends l’engagement solennel
de consacrer ma vie au service de l'humanité, j’exercerai mon art avec conscience et dignité,
je ne permettrai pas que des considérations de religion, de race,
de parti ou de classe sociale viennent s’imposer entre mon devoir et mon patient,
je garderai le respect absolu de la vie humaine dès sa conception, même sous la menace,
je n’admettrai pas de faire usage de mes connaissances médicales...
...contre les lois de l’humanité. Je fais ces promesses solennellement, librement, sur l’honneur."
Neuf membres de la communauté des "blouses blanches" ont perdu la vie depuis le début des bombardements,
quelque dix ambulances ont essuyé les tirs de l’artillerie israélienne.
Les survivants tremblent de peur,
mais néanmoins ne renoncent pas.
Les gyrophares rouge carmin des ambulances
sont les seuls éclairs lumineux que l’on aperçoit pendant les nuits noires de Gaza,
à l’exception bien sûr des éclairs précédant les explosions.
Pierre Wettach, le directeur de la Coix-Rouge à Gaza déclarait d’un ton accusateur:
à Al-Zaïtoun, à l’est de Gaza-ville, ses ambulances ont obtenu l’autorisation d’accès vers le lieu du massacre
seulement 24 heures après l’attaque israélienne.
Les secouristes expliquèrent
quel fut le spectacle d’horreur qui s’offrit à leurs yeux:
"Dans une des maisons il y avait quatre petits enfants à côté du corps sans vie de leur mère.
Ils étaient trop affaiblis pour se tenir debout.
Un autre homme fut également trouvé encore en vie, lui aussi trop faible pour tenir sur ses jambes.
Nous trouvâmes en tout douze corps allongés sur des matelas".
Les témoins de cette énième scène de boucherie racontent comment les soldats israéliens,
après avoir investi le quartier,
provoquèrent l’entassement d’une dizaine de membres de la famille Al-Samouni dans un bâtiment
qu’ils placèrent ensuite à nouveau sous le feu de leurs armes.
Depuis plusieurs jours, mes camarades d’ISM et moi-même sommes souvent la cible de tirs pendant nos trajets
dans les ambulances du Croissant-Rouge.
C’est pourtant notre devoir que d’aller chercher les malades et les blessés...
...et non pas d’emmener des combattants valides dans nos ambulances.
Et lorsque nous ramassons sur le bord de la route quelqu’un en train de se vider de son sang,
personne n’a le temps de vérifier ses papiers ou de lui demander s’il est sympathisant du Hamas ou du Fatah.
Et, habituellement, les blessés, encore moins les morts, ne répondent pas aux questions...
Lorsque nous chargeâmes,
il y a quelques jours, un blessé grave,
un autre homme qui visiblement n’était que très légèrement blessé ou à peine atteint,
en profita pour tenter de monter à bord de l’ambulance.
Nous refusâmes de l’emmener,
afin de bien montrer aux mouchards présents dans le ciel
que nous ne servions pas de taxi pour le transport des membres de la résistance armée.
À l’hôpital Al-Qouds de Gaza-ville, on vit débarquer la nuit dernière Miriam, une fille de 17 ans,
prise par les premières contractions.
La veille, durant la matinée, on avait amené dans le même hôpital les cadavres de son père et de sa belle-soeur,
victimes à leur tour d’un des nombreux bombardements effectués au hasard sur les civils.
Cette nuit, Miriam a donné vie à un beau bébé,
ignorante du fait que
pendant qu’elle se trouvait en salle d’accouchement,
le corps de son jeune mari venait d’être livré à la morgue, un étage plus bas.
Même l’Onu
finit par remarquer qu’ici à Gaza
chacun était traité sur un même pied d’égalité,
représentant à chaque instant une cible mobile pour les tireurs d’élite israéliens.
Le bilan à ce jour se monte à 789 tués,
3.300 blessés
dont 410 au pronostic réservé,
230 enfants tués et toujours des dizaines et des dizaines de disparus.
Le nombre des victimes de guerre israéliennes
en est toujours à quatre, fort heureusement.
À travers le porte-parole de l’Unrwa (Délégation de l’Onu aux réfugiés palestiniens), John Ging,
les Nations unies ont annoncé l’interruption
de l’aide humanitaire pour la bande de Gaza.
J’ai rencontré Ging dans les bureaux de l’agence de presse Ramattan
au moment où, saisi de colère, montrant les caméras de télévision, il levait un index accusateur contre Israël.
L’Onu met ses activités en veille suite au meurtre de deux de ses collaborateurs durant la journée d’hier:
l’ironie du sort voulut que cela se passa pendant les trois heures de cessez-le-feu...
...annoncées comme d’habitude et qu’Israël ne respecta pas.
"La population civile de Gaza dispose de trois heures par jour pour survivre,
les 21 heures restantes sont à la disposition des soldats israéliens
pour les exterminer!",
furent les paroles que prononça Ging à deux mètres de moi.
Yasmine, la femme d’un des nombreux journalistes, m’écrit de Jérusalem pour me relater qu’au passage à Eretz,
de longues files attendent l’obtention d’un laissez-passer qu’Israël refuse toujours de délivrer.
Il est interdit de rendre compte de ce massacre vers l’extérieur du pays.
Voici ce qu’elle écrit:
"Je suis partie en voiture avant-hier pour observer Gaza de l’extérieur.
Les journalistes venus du monde entier ont été rassemblés sur un monticule de sable,
à quelques kilomètres de la frontière.
Des dizaines de caméras sont braquées dans votre direction.
On entend des avions nous survoler, mais on ne les voit pas,
cela semble être une illusion mentale
jusqu’à l’instant où une fumée noire est visible à l’horizon.
Le monticule est aussi devenu une sorte d’attraction touristique pour les Israéliens des alentours.
Ils débarquent, munis de jumelles puissantes et d’appareils photo
pour suivre et vivre les bombardements comme s’ils assistaient à un show".
Tandis que je recopie cette correspondance,
une bombe s’abat sur le bâtiment voisin.
Les vitres des fenêtres tremblent, les tympans font mal,
je me dirige vers la fenêtre et je vois qu’ils ont touché l’immeuble où se trouvent concentrés les grands médias du monde arabe.
Il s’agit de l’un des immeubles les plus élevés de Gaza-ville,
le Al-Jaawhara Building.
Sur son toit se trouve en permanence une équipe de cameramen,
je les vois se tordre de douleur par terre
et demander de l’aide en agitant les bras, au milieu d’un nuage de fumée noire.
Aide-soignant et journaliste sont les métiers les plus héroïques au coeur de ce bout du monde.
Hier, à l’hôpital Al-Shifa, j’ai rendu visite à Tamim,
un reporter qui a survécu à une attaque aérienne.
Il m’explique que selon lui, Israël utilise les mêmes méthodes
et techniques terroristes qu’Al-Qaida:
d’abord on bombarde un immeuble,
puis on attend l’arrivée des ambulances et des journalistes,
et puis on envoie encore une bombe
qui, à l’instar de la première, va provoquer un nouveau massacre.
D’après son opinion, c’est la raison pour laquelle
il y a de nombreuses victimes parmi le personnel soignant et les journalistes;
les aides-soignants autour de nous opinent du chef.
D’un air rigolard, Tamim me montre ses moignons.
Il a perdu ses deux jambes, c’est vrai, mais pas la vie
comme son collègue Mohammed,
fauché par une seconde bombe alors qu’il prenait des photos.
Entre-temps, je suis allé aux nouvelles: la bombe qui venait de s’écraser sur l’immeuble voisin
a blessé deux journalistes, tous deux Palestiniens,
l’un de la Libian TV, l’autre de Dubaï Television.
Un autre appel du pied à tous ceux qui prétendent qu’il n’y a pas d’information de ce massacre de population civile.
Il ne me reste plus qu’à espérer
que personne au sein du commandement militaire israélien
ne lira Il Manifesto
et que personne là-bas ne se rendra sur mon blog.
Restons humains.
10 Janvier 2009
Déstruction totale: attention travaux!
Des familles palestiniennes nous ont remis des tracts tombés du ciel ces derniers jours,
lancés par l'armée de l'air israélienne à la place des bombes.
Tract n. 1, traduit de l'arabe:
" À toutes les personnes domiciliées dans ce secteur.
En raison des actions terroristes dirigées contre Israel par des terroristes vivant dans votre secteur,
les Forces de Dèfense israéliennes se voient dans l'obligation de réagir immédiatement et d'intervenir aussi dans votre secteur.
Pour votre sécurité, nous vous demandons de quitter le secteur sans délai.
Les Forces de Défence israéliennes."
Sur le terrain, les soldats israèliens se rendent de maison en maison...
...en suspendant des pancartes "attention travaux!" sur les portes d'entrée,
avant de raser des quartiers entiers,
effacant à tout jamais des projets de vie.
Ensevelissant également sous des tonnes de gravats ceux qui n'avaient aucun endroit où aller.
Il y a peu te temps, ils nous ont prévenus du largage de nouveaux tracts
sur lesquels il était annoncé le "Début de la troisième phase de la guerre contre le terrorisme".
Ils sont vraiment polis, ces soldats israéliens;
ils demandent d'abord à la population de Gaza de collaborer avant de les écraser comme des insectes.
Au cas où les tracts ne se montreraient pas assez persuasifs,
l'armée de l'air prendra le relais pour "frapper doucement à la porte"... des toits des maisons de Gaza.
Ces derniers jours, une nouvelle facon d'agir se met en place: les bombes qui tombent semblent un peu moins destructrices,
mais suffisantes pour arracher les toits des maisons et inviter la population à l'évacuation.
Ils reviennent dans un interval de deux à trois minutes, et pui s'il ne reste plus rien d'un bâtiment.
Évacuer, mais pour aller où?
Il ne reste plus le moindre endroit sur dans toute la bande de Gaza,
moi-meme je crains de plus en plus pour ma vie lorsque je suis en route à bord de l'ambulance...
...ou quand je passe à pied à proximité d'une école ou d'une mosquée,
toute comme d'un batiment officiel encore debout.
La nuit dernière, à vinght metrès de mon lieu d'habitation,
les Israéliens ont détruit la caserme de pompiers.
Aujourd'hui j'ai decouvert que la rue parallèle au port était couverte de cratères de trois mètres de profondeur,
comme s'il était mis à tomber une pluie de météorites dans un film de science fiction.
La difference, c'est qu'ici les effets spéciaux font vraiment mal.
En déambulant dans les couloirs de l'hôpital Al-Shifa, surchargé de blessés dans l'attente de soins,
on peut croiser un médecin qui à l'évidence ne présente aucune apparence arabe:
il s'agit de Mads Gilbert, un Norvégien de l'ONG Norwac.
Gilbert est anesthésiste et confirme les soupçons de l'utilisation par Israel d'armes prohibées...
..contre la population civile de la bande de Gaza:
"De nombreux blessées arrivent avec lésions les plus graves, les deux jambes complètement broyées;
je pense que ce genre de blessures ne peuvent être provoqées que par des DIME munitions".
Il s'agit s'un nouveau type de munition innovatrice,
l'utilisation de cette arme a pour but de provoquer le plus de dégats possible en touchant ses cibles.
À la suite de cela, Navy Pillay, le Haut Commissaire aux Droits humains de l'ONU,
dénonce "le plus graves atteintes aux droits humains que peuvent continuer des crimes de guerre".
Le dernier en date de ces crimes fut perpétré il y a quelques heures à l'est de Jabalia.
La famille d'Abed Rabbo était sortie
faire ses courses dans l'un des derniers petits magasins d'alimentation encore ouverts...
lorsque ce dernier fut bombardé: huit morts, dix blessés graves.
L'impression générale est qu'Israel semble prendre son temps;
les bombes tombent à un rythme régulier et les troupes terrestres avancent plutôt lentement.
Les soldats n'ont aucun problèmes à se procurer leurs rations "K", les rations alimentaires militaires,
à l'inverse des gens de Gaza qui ne trouvent meme plus de pain.
Après s'etre retrouvés en pénurie de matières premières,
es boulangers se sont mis à mélanger des céréales fourragéres à la farine pour faconner leurs miches de pain.
le pain rassis des semaines écoulées, recouvert de moisissures vertes.
à déguster réchauffé sur un petit feu de déchets de bois;
sans pour autant représenter, c'est clair, un plat vraiment exquis.
Israel continue à diffuser des photos aériennes, notamment par le biais d'Internet,
prétendant prouver combien précises et ciblées sont les attaques contre
le "terroristes" ou d'Hypothetiques dépots d'armes e d'explosifs.
Le nombre très élevé de victimes civiles suffit, à lui seul, pour réfuter ces images vidéos.
Je me demande comment Israel peut se définir en tant que société "civilisée" et démocratique,
si, pour débusquer et tuer un ennemi qui s'est caché dans une maison habitée,
l'armée israélienne n'hésite pas un instant à abattre l'immeuble entier et ainsi enterrer vivants des dizaines d'innocents.
Supposons un court instant que l'armée italienne
se mette à bombarder lourdement le centre de Palerme pour y neutraliser un dangereux parrain de la mafia...
Actuellement on dénombre 821 Palestiniens tués
dont 93 femmes, 235 enfants,
12 secouristes dans l'exercice de leur fonction, 3 journalistes. En y ajoutant 3 350 blessées
dont plus de la moitié sont des mineurs.
Suivant les données du Centre Al-Mezan pour les Droits humains, connu pour le serieux de son travail,
le taux des victimes civiles palestiniennes tuées sur le nombre total de morts est de 85%.
Quant au nombre de victimes civiles israéliennes, il est heureusement resté stabilisé comme précédemment à quatre.
Si les Nations Unies n'arrivent pas à protéger la population civile
contre les nombreux et graves manquement aux engagements humanitaires internationaux d'Israel,
ce seront mes amis du mouvement Free Gaza,
s'apprêtant à embarquer pour la bande de Gaza d'ici quelques jours, qui tenteront de le faire.
Il s'agit de médecins, aides-soignants et militants des droits humains
dont le devoir moral affiché consiste à mettre humainement tout en oeuvre pour assurer le respect de mesures de protection.
Le 31 Décembre, ils avaient déjà essayé de débarquer ici d'à bord du "Dignity",
mais la marine israélienne avait volontairement heurté notre bateau dans les eaux maritimes internationales
et tenté de le couler, ce qui fut aussitôt après annoncé comme "accident".
Je vais aller attendre mes amis et leur cargaison d'aide humanitaire dans les décombres de ce qu'il reste encore du port
en espérant fortement qu'il ne va pas à nouveau se produire quelque "accident" dans les eaux internationales.
Le second tract tombé du ciel, que nous avons traduit est une véritable perle:
"Aux habitants de Gaza. Prenez la mesure de votre responsabilité dans ce qui vous arrive!
Les terroristes de Gaza et ceux qui tirent des roquettes sur Israel représentent une menace pour vous
et votre famille.
Tout ce que vous devez faire, si vous voulez aider votre famille et vos frères de Gaza,
est d'appeler le numéro de téléphone ci-dessus et de nous indiquer
les endroits où se trouvent les responsables des tirs de roquettes
et les responsables des milices terroristes qui font de vous les premières victimes de leurs actions.
à présent, votre responsabilité consiste à prévenir la mise en oeuvre de ces atrocités. N'hésitez pas!
Une discrétion absolue est garantie.
Vous pouvez nous contacter au numéro suivant: 02-5829749.
Ou bien vous pouvez nous écrire à cette adresse électronique...
où vous pouvez nous donner toute information dont vous disposez sur toute activité terroriste".
De mon coté, j'invite toutes les personnesqui m'écrivent sur mon blog à exprimer leur solidarité, leur indignation
face à la tragédie que nous subissons, d'aller aussi manifester et de montrer au créneau pour défendre les droits humains.
Et s'il leur reste en outre cinq minutes de temps supplémentaire et un jeton de téléphone,
alors les instructions données sur le dernier tract pourraient s'avérer utiles pour faire part de leur opinion
à ceux qui, à partir des airs, de la mer et de la terre décident cyniquement du destin d'un million et demi de personnes.
Jamais un jeton de téléphone ne saurait trouver meilleure utilisation!
Ceux 235 enfants vous demandent ca.
Restons humains
13 janvier 2009
Des vautours et des chasseurs de primes
À partir de la mer, encore et encore, nous cherchons à mettre en place un corridor de secours,
d’ouvrir une brêche vers cette terre martyrisée prise dans un carcan et séquestrée, dont chaque parcelle est violentée,
réduite à un cimetière où les dépouilles ne trouvent pas le repos.
Car en effet, depuis quelques jours
les enterrements sont devenus à leur tour les cibles des attaques aériennes israéliennes,
comme si les Palestiniens méritaient d’être punis même après leur mort.
Du reste, s’il subsiste encore l’espoir d’un couloir humanitaire
pour porter secours à cette population dans un état d’extrême faiblesse,
ce sera par le biais du Spirit of Humanity
un de nos bateaux placé sous les couleurs de Free Gaza Movement.
Après son départ aujourd’hui de Larnaca à Chypre,
il va essayer d’atteindre le port de Gaza pour débarquer, non seulement des tonnes de médicaments,
mais également 40 médecins, des aides-soignants, des journalistes,
des députés du Parlament européen et des militants des droits humains,
soit au total des représentants de quelque dix-sept pays.
Des personnes qui sont de véritables humanistes,
à l’image de celles, très nombreuses en Italie, me faisant part de leur indignation:
préférant se montrer prêtes à risquer leur vie
plutôt que de rester dans leur coin
à recevoir sans arrêt des bribes d’information
ne rendant compte que pour une infime part du carnage dont nous sommes les victimes ici.
En date du 29 décembre,
mes amis avaient déjà fait une tentative à bord du “Dignity”;
ils furent pris d’assaut par la marine israélienne et faillirent couler.
Après avoir envoyé un S.O.S., ils réussirent à accoster sains et saufs au Liban
avec une avarie de moteur et une voie d’eau dans la coque du bateau.
Par pure coïncidence, personne ne fut gravement atteint dans cette tourmente:
nous souhaitons et espérons
que demain leurs vies ainsi que les droits humains soient respectés.
Il se produit sur cette planète d’horribles et inéluctables catastrophes naturelles
— tels que séismes et cyclones.
Actuellement se déroule à Gaza une catastrophe humaine "non naturelle",
perpétrée à l’encontre d’un peuple qu’Israël aimerait
réduire à la misère la plus noire et contraindre à une soumission totale.
Une population désespérée qui ne trouve plus ni lait ni pain pour nourrir ses enfants.
Qui n’a plus de larmes à verser sur son deuil
car même les yeux doivent observer le régime le plus sec.
La terre tout entière ne peut détourner les yeux de cette tragédie,
et même si elle le fait, nous décidons de ne plus en faire partie.
Chaque jour, nous implorons nos gouvernements de mettre un terme à ce génocide en cours.
Pour demain matin,
notre seule demande sera que notre petit navire puisse débarquer
son chargement apportant compréhension, paix, amour et compassion.
Toutes ces choses à propos desquelles l’ensemble des Palestiniens dispose des mêmes droits dont profitent les Israéliens
et tous les autres peuples de cette planète.
La mer comme symbole d’espoir,
la mer comme instrument de destruction.
Après la dépêche de l’agence de presse palestinienne Ma’an, confirmée par Reuters,
les États-Unis s’apprêtent à livrer 300 tonnes d’armes,
chargées sur deux navires porte-conteneurs en provenance de Grèce.
Des armes et un sacré paquet d’explosifs et de détonateurs,
tout ce qu’il faut
pour l’aplanissement de la bande de Gaza et de ses milliers d’habitations.
Entre-temps, 120 000 personnes ont évacué Gaza vers Jabalia,
mais la grande majorité des gens, y compris un grand nombre de mes amis,
n’ont pas bougé de leurs habitations parce qu’ils ne savent pas où aller.
Journalistes, médecins et croquemorts:
voici les métiers les plus sollicités, sans la moindre interruption depuis les seize derniers jours.
En plus des chasseurs bombardiers, des vautours nous procurent les plus grandes inquiétudes tout en provoquant notre écoeurement,
en particulier ceux qui, hier encore, étaient considérés comme les successeurs du très regretté Arafat
(1929-2004), ancien président de l'Organisation de Libération de la Palestine,
et qui attendent de reprendre un pouvoir exclusif pour disposer de l’avenir de Gaza.
On en est à présent à 923 tués,
4 150 blessés,
255 enfants palestiniens atrocement massacrés.
Le décompte des tués civils israéliens est, comme auparavant, stabilisé à quatre.
La rumeur court qu’Olmert aurait déclaré à son proche entourage
que le chiffre de 1 000 victimes civiles était la limite du supportable atteinte par cette offensive criminelle.
Cela me rappelle le spectacle dans les abattoirs de Palerme
où les quartiers de veau se vidaient de leur sang à l’air libre.
et l’on négocie le prix de la viande au kilo.
Toute la bande de Gaza suit avec impatience les interventions télévisées d’Ismaïl Haniyeh
On ne peut parler de trêve sans décider préalablement de la fin du siège.
La poursuite du siège de Gaza, à présent transformée en véritable champ de ruines,
la prohibition sur l’importation d’aliments et de médicaments,
l’interdiction faite aux malades et blessés de se rendre à l’étranger,
tout cela est synonyme de condamnation à une agonie prolongée.
Voilà en résumé les paroles des chefs de file politiques du Hamas,
bien accueillies à Gaza.
Le discours d’un responsable qui aurait aussi bien pu fuir vers un autre pays
plutôt que rester et s’exposer aux bombes comme tout un chacun.
Pendant que je suis au téléphone,
arrive l’habituel message de menace
appelant à l’évacuation du bâtiment avant son bombardement.
Je me trouve dans l’immeuble abritant les sièges des grands médias,
parmi eux Al-Jazira, Ramattan et Reuters.
Nous nous précipitons dans les escaliers pour atterrir en pleine rue,
scrutant intensément le ciel
d’où la frappe destructrice va tomber.
Cette nuit, aucune caméra de télévision ni aucun reporter ne pourront faire état du massacre à l’encontre de la population civile
et la crainte justifiée d’un bilan encore plus lourd de victimes innocentes apparaît clairement.
Dans la rue, je dévisage mon camarade Alberto et lui adresse un clin d’oeil;
il s’approche et je lui chuchote à l’oreille
s’il tient pour plausible que cet appel d’alerte puisse être exclusivement réservé à nous,
après notre découverte concernant une page internet sur un site d’extrême-droite aux États-Unis
mettant nos têtes à prix:
“Il faut allerter les forces de défense israéliennes pour combattre le mouvement ISM
Lorsque les caches du Hamas et d’ISM sont repérées, voici les numéros à appeler.
À partir de l’Amérique,
composez le 011-972-2-5839749.
À partir des autres pays, le préfixe 011 n’est pas nécessaire.
Aidez-nous à neutraliser l’ISM
qui est devenu un élément fort du Hamas depuis le début de la guerre.
Cible n° 1 d'ISM pour les forces armées aériennes israéliennes et terrestres d'IDF
APPEL À L’ASSASSINAT DE VITTORIO ARRIGONI QUI SOUTIENT ACTUELLEMENT LE HAMAS À GAZA.”
(Source: www.stoptheism.com)”
Ne vous hâtez pas pour vous rendre sur ce site internet
ou pour créer un lien à partir de vos blogs.
Cela ne représente qu’un sujet d’études pour les sociologues du futur.
L’avenir arrivera à la conclusion définitive
— après analyse de cette époque,
que la haine était devenue le plus fort de tous les sentiments
et la rancoeur envers l’AUTRE avait mobilisé des peuples entiers
et soudé ensemble une grande masse de personnes.
Inutile que mes tortionnaires
et ceux qui veulent me voir mort appellent ce numéro,
car l’armée israélienne sait parfaitement où me trouver cette nuit,
à savoir dans l’ambulance de l’hôpital Al-Qouds de Gaza-ville.
Restons humains
Restons humains
14 janvier 2009
Les "enfants d’Allah laissés à l’abandon" continuent de subir l’héritage d’une haine...
...transmise depuis des générations à cause d’une faute dont ils n’ont pas à répondre.
Les soldats israéliens s’avèrent parfaits dans leur rôle d’Hérode des temps modernes:
déjà 253 enfants massacrés grâce à cette offensive.
Une horreur sans fin,
pour laquelle aucun soldat, aucun officier de l’armée
et aucun gouvernement israélien ne sera jamais rendu responsable et inculpé pour crimes de guerre.
Même si, durant quelques heures ces victimes innocentes vont connaître une accalmie,
la même chose ne s’appliquera pas aux lieux où leurs jouets sont restés,
ni à leurs rêves et espérances de futurs adultes,
ni aux parents qui leur ont été arrachés.
Les orphelinats sont devenus le havre privilégié des "oiseaux de malheur mécaniques" israéliens:
les chasseurs larguent leurs bombes sur les orphelinats.
Les camarades de Rafah m’écrivent:
"Dimanche, vers trois heures,
les chasseurs F-16 ont bombardé le Centre d’accueil pour orphelins de l’organisation Dar al-Fadila
qui jouxte également une école, un collège, un centre d’information
ainsi qu’une mosquée de la rue Taha Hussein, dans le quartier Kherbat al-’Adas au nord-est de Rafah.
Une partie des bâtiments a été entièrement détruite et les autres gravement endommagées.
L’école dispensait son enseignement à environ 500 enfants restés sans parents".
Le très personnalisé "djihad israélien" contre les lieux saints de l’islam le long de la bande de Gaza
se poursuit avec l’approbation silencieuse de la communauté internationale:
avec la mosquée de Kherbat al-’Adas,
cela fait maintenant vingt mosquées qui ont été rasées.
Par bonheur, aucune roquette Qassam n’a encore "effleuré" les murs de la moindre synagogue,
sinon des cris d’orfraie poussés jusqu’au ciel auraient fait le tour du monde.
Dieu devrait faire preuve de gratitude envers les prières palestiniennes.
Sur un total de 950 tués il y a 85 % de civils.
La machine infernale de destruction israélienne continue sa lente progression dans tout Gaza,
détruisant maisons, écoles, université, hôpitaux,
sans le moindre signe tangible ou volonté de sanctions de la part des gouvernements occidentaux.
À présent, c’est nous qui sommes sollicités,
nous simples citoyens de tous les pays.
Une seule et unique appartenance nous lie:
la grande famille humaine.
Il devient urgent de mettre des bâtons dans les rouages de ce foutu engrenage infernal.
J’ai rencontré le Dr. Haidar Eid, professeur à l’université Al-Qouds de Gaza-ville.
Il s’agit d’un de ces intellectuels de gauche, aussi coriace qu’enjoué, passionné et généreux,
comme on n’en trouve plus aujourd’hui en Italie,
tout effacés qu’ils sont ou enterrés dans le tombeau de leur mémoire
parce qu’ils ne sont plus capables d’endosser l’uniforme au-dessus des partis,
postfascistes et postcommunistes marchant main dans la main,
unis dans une même litanie contre l’autojustification déclarée d’Israël après chacun de ses massacres.
Haidar se présente à moi comme porte-parole de PACBI
(Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel)
et de BDS (Boycott, Divestment & Sanctions Campaign National Commitee)
et je discute avec lui au sujet du boycott.
L’Histoire nous enseigne, mais elle n’a pas d’élèves...
et Mandela ainsi que le Mahatma Gandhi ne sont actuellement plus en mesure de refaire l’Histoire.
Pourtant, l’histoire si particulière de l’Afrique du Sud nous trace un chemin pour contraindre au compromis
un Israël raciste et colonialiste.
À l’époque, celui qui ne boycottait pas le régime de l’apartheid était déclaré complice,
où est la différence par rapport à aujourd’hui?
Tout comme moi, une majorité de Palestiniens...
...pense que la meilleure réponse à l’occupation israélienne et au massacre actuel
ne se trouve pas dans les attentats, les kamikazes ou les roquettes sur Sdérot.
Le boycott est une réponse pacifique et non-violente,
et par conséquent humainement la meilleure et la plus consensuelle face à la "barbarisation" d’un conflit...
...qui, d’emblée, donne à la moindre action une signification inhumaine.
Et la meilleure arme au sein de l’arsenal de l’attitude non-violente,
ainsi que Naomi Klein nous le mit une fois encore sous les yeux à travers un éditorial du Guardian.
Haidar peut même trouver quelque chose de positif au bain de sang dans lequel nous sombrons actuellement.
Tout comme autrefois à Sharpeville, en Afrique du Sud, lorsque le 21 mars 1960,
78 noirs furent découpés en morceaux par un régime barbare et que le monde entier se mobilisa pour crier STOP!
de la même façon le carnage sans précédent de mille Palestiniens...
...pourrait s’avérer comme le départ d’une vaste campagne de mobilisation
pour le châtiment des crimes israéliens.
Haidar milite aussi pour la réunion d’Israël et de la Palestine en un seul
et unique État qui devra être universel, démocratique et interreligieux;
selon lui, la seule issue pragmatique pour sortir d’un conflit qui ne présente aucune autre solution viable.
Il me parle de manière très personnelle de la Nakbah, qui lui fut épargnée à quelques années près,
même si plus *** il la vécut intensément à travers les récits de sa famille.
En tant qu’enfant de l’après-catastrophe, il trouve les mots justes pour décrire
comment al-Nakbah fut transmise et comment elle s’est installée
dans l’inconscient collectif de milliers de Palestiniens.
Le cauchemar a repris de plus belle le 27 décembre 2008, le voilà qui cogne les toits
et ne s’arrête plus depuis, procurant des nuits sans sommeil.
Haidar m’invite à transmettre son appel à tous les Italiens
de ne plus acheter de produits "Made in Israël" et je m’empresse de le noter dans mon calepin en loques.
Les produits israéliens sont facilement repérables dans les rayonnages grâce aux codes barres qu’ils portent:
729 sont les premiers chiffres.
La liste complète des produits peut être téléchargée sur Internet à l’adresse: boycottisraeligoods.org.
Imprimez cette liste et collez-la sur la porte de votre frigo...
...ou glissez-la dans le cabas de votre mère ou femme lorsqu’elles partent faire les courses.
"Si tu achètes, ne serait-ce qu’un verre d’eau en provenance d’Israël,
tu achètes aussi dans le même temps une balle qui, tôt ou ***, s’enfoncera dans le coeur de nos enfants".
Le mouvement de boycott, né en 2005,
progresse à grands pas et s’élargit à des millions de consommateurs.
Le président vénézuélien Chavez a expulsé le consul israélien de son pays
et rompu toute relation avec l’état qui étrangle la Palestine,
ce qui devrait en faire un modèle pour tous nos hommes politiques.
Les leaders sud-africains du combat contre le régime de l’apartheid, Mandela, Ronnie Kasrils et Desmond Tutu,
confirment que la répression israélienne envers les Palestiniens est de loin pire que celle que connut l’Afrique du Sud.
Un avis certainement plus crédible que celui de Frattini et Fassino.
Un certain nombre de juifs en Israël se sont joints au boycottage,
environ 500 jusqu’ici. Parmi eux Ilan Pappé et Neta Golan,
ainsi que des survivants de la Shoah, au cri de "Plus jamais!".
Le poète israélien Aharon Shabtaï lance un appel à l’action:
"Je compte sur l’appui des Européens,
les descendants de Voltaire et de Rousseau vont aider Israël,
car ce dernier ne mettra pas fin à l’occupation tant que l’Europe ne dira pas “Basta! Ça suffit!”
Seule la pression des états évolués et démocratiques peut provoquer un changement de situation pour ramener la sérénité.
Le contexte actuel, dans lequel l’armée dicte sa loi,
ne pourra pas être modifié de l’intérieur.
Par les valeurs qu’elle représente, l’Europe ne pourra pas continuer à collaborer avec Israël.
Les chiffres 729 des codes barres doivent devenir notre Shoah à nous:
plus jamais!"
Restons Humains
15 janvier 2009
Journéès d’enfer à Jabalia
Dante lui-même n’aurait jamais pu imaginer une descente aux enfers...
...comme celle vécue dans les couloirs de l’hôpital de Jabalia.
La loi du talion se trouve ici cul par-dessus tête.
Plus une victime est innocente au départ et moins le martyre des bombes lui sera épargné.
À Kamal Odwan tout comme à l’hôpital Al-Awda, le carrelage du service d’admission en urgence est toujours bien astiqué,
les agents de nettoyage sont occupés à plein temps à éponger le sang qui pisse des corps...
...littéralement massacrés et arrivant sans cesse.
Iyad Moutawaq marchait dans la rue lorsqu’une bombe tomba sur un bâtiment des environs.
Avec d’autres passants, il se précipita pour porter secours,
lorsqu’un second tir toucha le bâtiment,
tuant un père de neuf enfants, deux frères...
...et l’un des passants qui était venu sur place apporter son aide en compagnie d’Iyad.
Le scénario habituel qui se répète, pour la énième fois.
La technique préconisée par les terroristes est copiée à la perfection par Tsahal, les forces armées israéliennes.
On lance une bombe, on attend que les secours arrivent sur place,
puis on balance encore une bombe sur les personnes présentes.
Selon Iyad, il s’agit de bombes américaines, mais elles portent la signature de Moubarak le président-dictateur d’Égypte,
en concurrence ici à Gaza avec Olmert dans le concours d’attribution de la plus forte dose de haine exprimée.
Derrière le lit d’Iyad se trouve un vieil homme avec les deux bras dans le plâtre, le regard vissé au plafond,
n’émettant pas le moindre son; on me raconta qu’il avait tout perdu, famille et maison.
Khaled fixe les fissures dans les murs dont l’enduit se détache par morceaux,
comme s’il cherchait une réponse à la destruction de son existence.
Il a travaillé pendant 25 années en Israël, jusqu’à la dernière Intifada.
En guise de remerciements, non seulement Tel-Aviv ne lui a pas attribué de retraite,
mais à la place a balancé une série de missiles sol-air sur sa maison;
son corps entier porte les blessures des éclats d’obus.
Je lui demande oů il compte aller à sa sortie de l’hôpital.
Il me répond: là oů vivent désormais toutes les personnes de sa famille, dans la rue...
Le sort de sa famille est partagé par de nombreuses autres qui ne savent plus oů trouver un abri.
Les plus chanceux trouvent refuge chez des parents ou connaissances, ainsi que nous avons pu le constater,
mais peut-on appeler cela vivre lorsqu’une centaine de personnes...
...est obligée de se partager deux appartements comportant chacun trois pièces?
Deux obus sur la maison d’Ahmed Jaber ont provoqué la fuite de sa famille,
mais trop ***: une troisième explosion...
...a enseveli sous les décombres sept membres de la famille
ainsi que deux enfants du voisinage âgés de huit et neuf ans.
Il déclare: "Ils nous ont renvoyés à notre situation d’expulsés de 1948.
C’est notre punition, parce que nous sommes restés fidèles à notre terre.
Ils peuvent bien m’arracher bras et jambes du corps, ils ne réussiront pas à me faire déguerpir de ma terre".
Un médecin me prend à part pour me confier que la fillette de 7 ans d’Ahmed a été déposée en menus morceaux
rassemblés dans un petit carton.
On n’avait pas eu le courage de le lui annoncer afin de ne pas aggraver son état de santé précaire.
Le soir, on enleva également le téléphone près du lit d’Iyad pour lui éviter l’annonce de mauvaises nouvelles.
Un obus tiré par un char avait atteint la maison de sa soeur qui fut décapitée.
En fin de compte, notre bateau du mouvement Free Gaza n’a pas réussi à atteindre le port de Gaza.
À une centaine de milles marins du but, il fut intercepté dans les eaux internationales
par quatre bâtiments de guerre israéliens...
...prêts à ouvrir le feu et à assassiner notre équipage composé de médecins, aides-soignants et militants des droits humains.
Personne ne peut se hasarder à déranger la traque des civils qui se prolonge sans interruption depuis trois semaines.
À l’est de Jabalia, à proximité de la frontière,
des témoins racontent avoir vu des dizaines de cadavres en décomposition dans les rues
dont la chair putréfiée était dévorée par les chiens errants.
On parle aussi de centaines d’ "encerclés" avec des blessés parmi eux:
les ambulances ne peuvent pas aller jusqu’à eux car partout des tireurs d’élite sont embusqués.
Les Palestiniens en ont marre d’être ainsi massacrés dans l’indifférence générale
et nombreux sont ceux qui accusent également la Croix-Rouge et l’Onu de ne pas se montrer assez réactifs,
de ne pas remplir totalement leurs obligations, de ne pas risquer leurs vies pour sauver des centaines d’autres vies.
À pied et armés de brancards, nous, les membres d’ISM partons là oů
l’humanité a transgressé ses limites et se trouve en plein naufrage.
Les radoteurs idiots assis sur leurs gros culs se vautrent sur les canapés de la haute politique...
...et développent dans le détail les stratégies de la guerre contre le Hamas,
pendant qu’ici nous nous faisons littéralement éradiquer.
Ils bombardent les hôpitaux...
...et il y a effectivement toujours des voix qui s’élèvent pour oser parler du "droit d’Israël à se défendre".
Dans tout état, même s’il se définit de façon approximative comme civilisé,
l’autodéfense doit être de nature proportionnée avec l’attaque qui a précédé.
Depuis les vingt dernières journées, nous avons décompté 1 075 tués palestiniens,
plus de 5 000 blessés parmi lesquels plus de la moitié sont des mineurs.
303 enfants horriblement massacrés.
Par bonheur, seulement quatre tués civils israéliens.
Comme s’il existait pour Israël un droit au carnage et,
pour chacun de leur civil tué, d’éliminer au moins 250 ennemis.
Vous voudrez bien me dire, si ce rapport sans commune mesure entre défense et attaque ne vous remémore pas les pires
excès criminels utilisés comme mesures de représailles aux moments les plus sombres de l’histoire moderne européenne.
Pour en arriver au point suivant: s’agit-il ici de légitime défense?
À tous ceux qui, tels Marco Travaglio, Piero Ostellino, Pierluigi Battista et Angelo Panbianco
qui nous servent toujours la même rengaine en désignant le Hamas, comme responsable de ce massacre génocidaire,
parce qu’il aurait rompu la trêve
entre Israël et la Palestine, J’aimerais tout de même rappeler la prise de position de l’Onu.
Le professeur Richard Falk, Rapporteur des Nations unies sur les Droits de l’homme
a sur ce point précis formulé une présentation claire:
c’est bien effectivement Israël qui a rompu la trêve,
lorsque dix-sept Palestiniens furent tués en novembre, en pleine accalmie.
Durant le mois de novembre on enregistra zéro victime israélienne,
ainsi que le mois précédant et en septembre.
Cela fut également rappelé par l’ex-président des États-Unis et prix Nobel, Jimmy Carter.
Il est à regretter qu e des journalistes comme Travaglio...
...que nous prenions pour les bastions d’une information libre et digne de foi,
aient revêtu le casque lourd israélien
et divertissent les gens devant leur télé,
s’intéressant ici au sport et là à la mode, avec, en guise d’intermède,
du tir aux pigeons pratiqué sur des enfants.
Je suis devant un ordinateur dans un bureau de l’agence de presse Ramattan.
Les reporters palestiniens autour de moi portent des gilets pare-balles et des casques lourds.
Ils ne sont ni en route pour le front ni devant des blindés,
mais simplement assis devant leurs ordinateurs.
À l’instant, deux étages plus haut, les bureaux de Reuters viennent d’être atteints par un missile:
deux blessés graves.
Actuellement, pratiquement tous les étages sont vides, seuls les plus courageux d’entre les journalistes sont restés sur place.
D’une manière ou d’une autre, il faut bien continuer à assurer l’information à partir de cet enfer.
Peu de temps auparavant, l’armée avait assuré à Reuters que leurs bureaux étaient en sécurité
et que ce n’était pas la peine de les évacuer.
Ce matin, le bâtiment des Nations unies a été bombardé et détruit:
il avait été érigé avec les fonds du gouvernement italien.
Berlusconi, tu m’entends?
Il y eut plusieurs morts et blessés.
John Ging, directeur de l’Unrwa,
parle de bombes au phosphore blanc en tant que témoin oculaire.
Dans le quartier Tal el-Hawa de Gaza-ville, une aile de l’hôpital Al-Qouds est la proie des flammes:
à l’intérieur, enfermée en compagnie de 40 médecins et aides, soignants ainsi qu’une centaine de patients,
se trouve aussi Leila, notre camarade d’ISM.
Elle nous a tenu au courant par téléphone de la tournure dramatique de ces dernières heures.
Un blindé a pris position devant l’hôpital et des tireurs d’élite, disséminés autour, tirent sur tout ce qui bouge.
Tout est détruit dans les alentours.
Pendant la nuit, ils assistèrent de leurs fenêtres à l’incendie d’une maison touchée par un obus
et entendirent les cris effroyables de familles entières et d’enfants...
...appelant à l’aide.
Ils restèrent là sans bouger, impuissants...
...impuissants devant la vision de corps transformés en torches vivantes, se roulant sur la chaussée...
...et réduits à l’état de cendres.
L’enfer est bien cul par-dessus tête et, en son épicentre, en plein coeur affolé de Gaza,
nous les damnés,
sommes devenus la cible d’une haine inhumaine.
Restons Humains
16 janvier 2009
Une topographie chamboulée
On raconte l’histoire de ce vieux Palestinien sortant un jour de sa maison pour aller acheter,
durant une des rares accalmies, de quoi se nourrir.
Une fois sur le chemin du retour, il ne fut plus en mesure de retrouver sa maison.
Les bombardements ont non seulement modifié radicalement la topographie de la ville,
mais également son tissu social.
Contraintes à une fuite dans toutes les directions imaginables et dispersées à travers tout Gaza,
des centaines de familles qui avaient vécu depuis des années en voisinage
perdirent subitement tout contact entre elles.
À présent, pour arriver jusqu’au quartier Tal el-Hawa,
il faut traverser à pied un paysage lunaire.
Au bout de 48 heures d’occupation,
les blindés israéliens se sont retirés hier en cours de matinée, laissant derrière eux cratères et montagnes de décombres.
En arrière-plan de cette dévastation flotte le parfum malsain et âcre de la mort.
Je pars à la recherche de la maison d’Ahmed en trébuchant à travers les débris d’immeubles et de maisons,
entre les carcasses calcinées de voitures et d’ambulances.
Ce ne fut pas une tâche aisée, en raison de la métamorphose de quartiers entiers
"ramenés" au niveau du sol.
Je me rappelai qu’Ahmed habitait au bout d’une rue non asphaltée,
mais il était tout bonnement impossible de voir encore la différence
depuis que les chenilles des blindés avaient littéralement tout labouré dans les environs.
Au cas où l’on prendrait une photographie par satellite de Gaza à la fin de cette offensive massive et génocidaire,
on aura du mal à persuader quelqu’un qu’il s’agit bien de la même ville...
...photographiée il y a tout juste vingt jours.
J’ai serré Ahmed dans mes bras
et pour tous deux ce fut comme des retrouvailles
après de nombreuses années ou un long voyage ou au retour d’un pays lointain.
Hélas, pour notre voyage au bout de la nuit, pour l’instant il n’est pas prévu d’aube
qui ne soit affectée par la haine que les généraux et leurs troupes ont suscitée par cette extermination.
Mon ami me montre l’endroit où les chars israéliens avaient pris position,
en face de son jardin.
Sa famille était restée enfermée tout ce temps dans un réduit sous l’escalier,
terrorisée à l’idée qu’un tir d’artillerie ne les ensevelisse vivants sous les décombres.
Ce ne fut que hier soir, dérogeant aux consignes de son père apeuré,
qu’il rampa sur le sol jusqu’à la fenêtre pour jeter un oeil sur l’enfer environnant.
À trente mètres de distance,
il vit le char enfoncer le rideau d’un supermarché, puis après ouverture d’une brêche,
plusieurs soldats sortir du blindé.
Il assista à leur séance "d’achats" faite dans la bonne humeur.
"Ils avaient bourré le char de marchandises à tel point qu’ils avaient du mal à y entrer à leur tour".
Ensuite, il me décrivit encore leurs éclats de rire et leurs chants railleurs que l’on pouvait entendre en refrain
tout au long de la nuit entre le bruit des explosions:
“Ali, Mohammed, this is a message to your Allah Akbar!”
La résistance, qui avait pu quelques jours durant limiter l’avancée des blindés israéliens,
semblait comme inexistante depuis quelques heures.
Le choc est inégal: le tir des kalachnikov ne fait que "chatouiller" les parois des blindés
pendant que les tirs d’artillerie perforent des maisons entières, d’une paroi à l’autre.
La zone d’habitation d’Abraj Towers,
occupée en majorité par des professeurs de l’université et leurs familles, proches du Fatah,
n’héberge pas de "terroristes du Hamas".
Autant que moi, Tel-Aviv est évidemment au courant de tout cela,
mais cela n’a aucune importance pour eux; le quartier a été transformé en un tas de gravats.
À proximité de ces bâtiments démolis se trouve l’hôpital Al Qouds qui fut hier la proie des flammes.
Mes camarades aidèrent le personnel de l’hôpital
à évacuer les 300 blessés présents vers l’autre hôpital de Gaza-ville, Al-Shifa.
Pour cela, des heures et des heures furent nécessaires,
en particulier parce qu’il fallait, pour le transfert de certains blessés graves,
des ambulances avec équipements spécialisés dont les Palestiniens sont dépourvus.
En compagnie du Dr. Dagfinn Bjorklind de l’Ong NORWAC, nous attendions les derniers évacués
et posâmes quelques questions aux aides-soignants qui avaient échappé aux flammes de l’incendie d’Al-Qouds.
Le bilan est terrible et se trouve confirmé par les témoignages de visu de mes camarades.
À deux cents mètres de distance de l’hôpital, 30 corps étaient allongés en pleine rue,
parmi eux de nombreuses femmes et enfants dont certains encore en vie.
Ils ne sont pas arrivés jusqu’à eux: les tireurs d’élite embusqués sur les toits tiraient sur tout ce qui bougeait.
Les corps ensanglantés couchés sur la chaussée étaient des civils qui avaient fui leurs maisons bombardées et incendiées.
Les tireurs d’élite israéliens n’avaient pas hésité une seconde pour les abattre, les uns après les autres
quand ils les avaient en ligne de mire de leurs armes, y compris les enfants.
Je dois vous avouer que mon "Restons humains"
fut rudement mis à l’épreuve ces jours-ci, mais il tient toujours le coup.
De la même façon que la fierté, le lien à la terre natale,
que l’identité et le droit à l’autodétermination de la population de Gaza,
du professeur d’université à l’homme de la rue, médecins et aides-soignants,
reporters, pêcheurs, paysans,
hommes, femmes et adolescents, ceux qui ont tout perdu et ceux qui n’avaient plus rien à perdre,
jusqu’à leur dernier souffle ils expriment tous le Inch Allah! d’une proche victoire,
la conviction sincère que leurs racines sont si profondes
qu’aucun bulldozer ennemi n’arrivera jamais à les arracher de leur terre.
Pendant que j’écris, je peux en même temps voir sur un écran des images d’Al-Shifa,
où des hommes en larmes se frappent le visage de leurs mains...
...comme s’ils voulaient par là arrêter le flot de leurs larmes de désespoir.
À Al-Shija’ya, à l’est de Gaza-ville, un seul tir d’un char a provoqué la mort de 7 personnes et fait 25 blessés.
Ce fut une grande famille humaine en deuil qui entama la veillée funèbre pour les morts de la veille.
Hier, Ehoud Barak s’est excusé auprès du Secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon,
des tirs qui avaient touché le siège de l’Agence des Nations unies
pour les réfugiés palestiniens à Gaza-ville
(érigé avec entre autres des fonds italiens).
"Il s’agit d’une faute grave", telles furent ses paroles.
Pas la moindre demande de pardon exprimée envers les familles des 375 enfants palestiniens assassinés jusqu’à ce jour.
Ici, apparemment, il ne s’agit sans doute pas d’une FAUTE ...
J’ai suivi le récit d’un aide-soignant de la Croix-Rouge à son arrivée sur le lieu du massacre à Al-Zaïtoun.
Un enfant, visiblement sous-alimenté, était blotti contre le corps de sa maman,
en état de décomposition avancé.
Pendant quatre jours, l’enfant avait soigné sa mère comme si elle était encore en vie;
il avait essuyé le sang sur son front
et, dans les décombres de leur ancienne maison,
avait trouvé de l’eau, du pain et des tomates qu’il avait déposés à côté du visage de sa maman morte.
Il croyait qu’elle s’était simplement endormie.
Les sauveteurs de la Croix-Rouge, empêchés par les tireurs d’élite israéliens embusqués,
ne réussirent à atteindre le lieu du massacre qu’au bout de plusieurs jours.
Restons humains.
17 janvier 2009
Faire l'amour sous les bombes
Faire l’amour sous les bombes. Je me souviens d’un ami de Naplouse qui me raconta...
...combien il était difficile, au moment de l’occupation, de trouver des instants d’intimité pour sa femme et lui.
Un soir, alors qu’ils étaient allongés, enlacés dans leur lit, une balle transperça la tête du montant,
à distance d’une main au-dessus de leurs têtes.
Ces jours-ci, dans Gaza sous les bombes, il n’est pas question de penser aux jeux de l’amour
et un avenir commun pour de jeunes couples n’est pas vraiment à l’ordre du jour,
alors que la plupart des gens ont perdu leurs maisons et se trouvent dans des abris de fortune,
entassés à vingt personnes dans un minuscule appartement.
"Aujourd’hui c’est samedi, ce soir les jeunes couples de Tel-Aviv vont dans les discothèques pour s’amuser ou sur les plages,
pendant que nous ici ne pouvons même pas faire l’amour dans nos lits",
me dit Wissam, jeune marié depuis le mois de novembre.
"Des illuminations stroboscopiques, nous en avons également",
poursuit-il en me désignant en direction du sud les éclairs des bombardements en cours.
Les jeunes gens comme Wissam, 19 ans,
deviennent pères très jeunes et à quarante ans ils ont déjà le plus souvent de nombreux petits-enfants et neveux;
la fécondité se montre l’unique voie pour la survie de la Palestine.
Alors que nous parviennent des rumeurs de l’extérieur pour une trêve imminente,
les bombardements se sont nettement intensifiés dans les derniers jours...
...ainsi que le nombre des victimes civiles.
Plus de soixante hier,
dont une douzaine dans une mosquée, à l’heure de la prière.
Ce qui contrarie le plus les Palestiniens, c’est la perspective d’une trêve
sans ouverture simultanée des points de passage.
Bien avant les matériaux nécessaires à la reconstruction,
il faut des denrées alimentaires...
...et la possibilité de pouvoir faire sortir les blessés graves.
Les hôpitaux sont au bord de l’asphyxie:
pour toute la bande de Gaza il y a une capacité de 1 500 lits,
alors qu’à l’heure actuelle s’y trouvent déjà 5 320 patients.
Par ailleurs, l’opinion publique n’a pas une grande confiance dans le rôle joué par l’Égypte comme négociateur
après les courbettes de soumission de son gouvernement à l’encontre des souhaits d’Israël.
"Pourquoi n’a-t-on pas désigné un pays européen comme négociateur?
Pour le règlement du conflit entre Israël et le Hezbollah,
entre Israël et le Hezbollah, le rôle de l’Allemagne, un pays vraiment neutre, s’est montré déterminant",
me dit Hamsa, maître de conférences à l’université.
Ce matin ce fut au tour d’une autre école des Nations unies à Beit Lahyia...
...d’être la cible des tirs des chars israéliens, dans le nord de la bande de Gaza.
Quatorze blessés et deux jeunes frères de cinq et sept ans tués, Bilal et Mohammed Al-Ashquar;
leur maman a survécu mais a perdu les deux jambes.
En même temps que 42 000 personnes,
ils avaient fui vers les écoles, après la sommation édictée par Israël d’évacuer leurs maisons.
Ils se figuraient être en sécurité, tout comme les 43 réfugiés...
...qui trouvèrent la mort le 6 janvier dans l’école des Nations unies de Jabalia.
"Ces deux enfants étaient innocents, sans l’ombre d’un doute,
de la même manière qu’ils sont maintenant, sans l’ombre d’un doute morts"
a déclaré le représentant de l’Onu à Gaza, John Ging,
qui depuis des jours tente inlassablement de dénoncer, mais en vain, les crimes de guerre des soldats israéliens.
Les généraux israéliens se préparent à claironner "Mission accomplie!" à la face du monde.
Je suis retourné jusqu’aux décombres de l’hôpital de Tal el-Hawa:
dans la partie du bâtiment restée debout...
...se trouve à présent un service d’urgence et un centre logistique abritant les ambulances.
On continue toujours de retirer des blessés ensevelis sous les décombres des maisons gravement endommagées.
À l’hôpital Al-Shifa, on a amené un enfant répondant au nom de Souhaďb Souliman,
unique rescapé d’une famille de 25 personnes.
Une fillette, Hadil Samony, a perdu onze membres de sa famille.
Lorsqu’elle quittera l’hôpital, il n’y aura personne pour s’occuper d’elle.
Excusez-moi, mais quelqu’un peut-il m’expliquer une fois encore quelle sorte de mission se déroule ici?
Réponse: un châtiment collectif avec massacre génocidaire.
Un Arabe aigri du nom de Raja Chemayel définit cela de la manière suivante sur son blog:
"Prenez une bande de territoire de 40 km de long et environ 5 de large.
Appelez-la Gaza.
Remplissez-la de 1,4 million d’habitants.
Puis, entourez-la par la mer à l’ouest, l’Égypte de Moubarak au sud, Israël au nord...
...et à l’est et nommez-la à présent le pays des terroristes.
Là-dessus, vous lui déclarez la guerre et pénétrez dans ce territoire avec 232 chars,
687 engins blindés,
43 points d’appui pour avions de chasse,
105 hélicoptères armés pour le combat,
221 unités soutenues par l’artillerie,
346 mortiers, 3 satellites espions,
64 éclaireurs, 12 espions infiltrés et 8 000 fantassins.
Maintenant vous appelez tout cela "Israël qui se défend".
Arrêtez-vous un moment pour déclarer que vous allez
"éviter de frapper la population civile"
et désignez-vous comme seule démocratie parmi les acteurs.
De toute façon, ce serait un pur miracle que l’on puisse éviter de toucher les civils,
ou alors il s’agit dès le départ d’un fieffé mensonge. Continuez d’appeler tout cela "Israël qui se défend".
Et maintenant, voici ma question:
"Que se passe-t-il quand l’envahisseur s’avère être un menteur?
Que va-t-il arriver aux civils sans défense?
Comment dans une telle situation, devant un tel déploiement de puissance armée, même une Mère Thérèsa
ou pourquoi pas Mickey Mouse pourraient-ils éviter que la population civile ne soit pas touchée?
Appelez cela comme vous voulez.
Israël était parfaitement conscient de la présence de cette population civile sans défense,
car c’est Israël qui les a regroupés là-bas.
Appelez plutôt cela génocide. C’est bien plus crédible".
Mis à part quelques leaders tués,
le Hamas n’a pas vraiment souffert de cette offensive;
non seulement il n’a rien perdu du soutien de la population,
mais en sort plutôt renforcé.
Il faudrait de temps en temps se remémorer que le Hamas n’est pas un groupuscule de terroristes ni un parti politique,
mais un mouvement et,
en tant que tel, on ne réussira certainement pas à l’éliminer en faisant pleuvoir des bombes à fragmentation.
Quand je demande aux Palestiniens leur avis sur les objectifs réels de ce massacre brutal,
nombreux sont ceux qui me répondent qu’ils y voient une relation avec les élections à venir en février prochain.
"Leur propagande se fait à nos dépens,
il en a toujours été ainsi à la veille d’élections".
Netanyahou, donné comme vainqueur certain il y a encore un mois,
semble, d’après les prévisions actuelles, accuser le coup sous le regard sanguinaire d’Olmert et de Livni.
Avigdor Lieberman est le leader de Yisraël Beytenou, en ce moment cinquième force politique du pays,
mais les sondages le donnent en forte progression à la suite de déclarations aberrantes comme celle-ci:
Gaza doit être rayée de la carte par une bombe atomique,
exactement comme les Américains ont procédé à Hiroshima puis à Nagasaki.
Hier, l’auteur israélien Abraham B. Yehoshua a déclaré au journal Haaretz:
"Aujourd’hui, nous tuons leurs enfants afin d’en sauver beaucoup demain".
Je crains fort que son Voyage au bout du millénaire
à bord d’un blindé jusqu’à un hôpital en flammes ne soit déjà achevé.
Dans le passé, Voltaire nous invitait à respecter toute opinion;
j’en appelle solennellement à ne plus semer de graines de haine,
arrosées ici de sang et prêtes à faire germer un ressentiment irrémédiable.
Restons Humains
19 janvier 2009
Les morts et les vivants
À Gaza seuls les morts ont vu la fin de la guerre.
Pour les vivants, il n’y a aucun répit dans le combat quotidien pour survivre.
Sans eau courante, ni gaz, ni électricité,
sans pain ni lait pour nourrir les enfants.
Des milliers ont perdu leurs maisons.
Les aides humanitaires entrent goutte après goutte à travers les points de passage
et on a l’impression...
...que la bienveillance des complices des tueurs ne sera que de courte durée.
Le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, arrive demain pour une visite dans la bande de Gaza
et nous sommes persuadés que le responsable de la Délégation aux réfugiés palestiniens aura des choses à lui raconter.
Surtout après le bombardement par Israël de deux écoles de l’Onu,
suivi du massacre de quatre collaborateurs de l’Onu,
de la destruction totale du bâtiment de l’Unrwa à Gaza-ville
et par la même occasion celle de tonnes de médicaments et de denrées alimentaires...
...destinées à la population civile.
Les décombres de Gaza continuent de cracher des cadavres vers la surface.
Rien que durant la journée d’hier, les aides-soignants du Croissant-Rouge,
avec l’aide de quelques bénévoles d’ISM,
ont retiré des ruines, entre Jabalia, Tal Al-Hawa et Zaďtoun, 95 cadavres
dont un grand nombre se trouvaient dans un état de décomposition avancé.
Même si à présent je traverse les rues de Gaza-ville...
...sans paniquer à l’idée qu’un bombardement de type "frappe de précision chirurgicale" va me décapiter,
je ne puis m’empêcher de sursauter à chaque fois que je vois un des nombreux chiens errants dans les alentours,
de peur d’apercevoir ce qu’il est en train d’emporter...
...dans sa gueule pour s’en repaître.
Les gens respirent et retournent à la mosquée et dans les cafés,
mais le retour à une vraie normalité semble plutôt décalé,
du fait que nombreux sont ceux qui ont perdu leur toit et encore plus nombreux ceux à avoir perdu un proche.
Le retour à la normalité est un simulacre, afin de redonner du courage aux femmes et aux enfants:
il faudra bel et bien quelque part surmonter cette catastrophe.
Munis d’un questionnaire, nous sommes partis tôt ce matin vers quelques-uns des quartiers les plus touchés
(Tal Al-Hawa et Zaďtoun),
allant de porte en porte pour enregistrer toute l’ampleur des dommages causés aux constructions
ainsi que les besoins les plus urgents des familles:
des médicaments pour les vieillards et les malades, et du riz, de l’huile, de la farine
le minimum pour s’alimenter.
Tout ce que nous avions pour l’instant à distribuer, c’étaient de longues bandes de nylon
destinées à obturer les fenêtres béantes, dont les vitres manquaient, afin de protéger du froid.
Des camarades d’ISM à Rafah me rapportent...
...que les autorités de la ville ont distribué quelques milliers de dollars,
une goutte d’eau dans l’océan, aux familles ayant perdu leurs maisons sous les bombardements israéliens,
ceux qui devaient soi-disant détruire les tunnels.
À la fin du conflit au Liban,
le Hezbollah remit des chèques à hauteur de millions pour indemniser les civils libanais restés sans abri.
Dans Gaza occupée et sous embargo,
ce que le Hamas va pouvoir apporter comme contribution au dédommagement de la population
"suffira tout juste à construire un petit abri pour les bêtes"
nous lance Khaled, un paysan de Rafah.
Comme la trêve est unilatérale, Israël décide tout aussi unilatéralement du moment oů elle sera rompue.
Hier, à Khan Younès, un jeune Palestinien a été tué et un autre blessé.
À l’est de Gaza-ville,
des hélicoptères ont lancé des obus au phosphore blanc sur une zone habitée.
La même chose à Jabalia.
Aujourd’hui, toujours à Khan Younès, des navires de guerre ont tiré sur une zone non habitée,
heureusement sans faire de victime humaine;
et au moment oů j’écris ces lignes, arrive la nouvelle d’une attaque surprise par des blindés.
Pourtant, on n’a pas entendu parler de tirs de roquettes palestiniennes pendant ces dernières 24 heures.
Avides d’informations, les journalistes internationaux se déploient dans tout Gaza:
ce n’est qu’aujourd’hui qu’ils ont réussi à entrer dans la bande;
après le hallali annonçant la fin de la chasse, Israël les a laissés passer.
Devant le squelette noir calciné de l’hôpital Al-Qouds à Gaza-ville,
un reporter de la BBC me demande comment les militaires...
...ont pu confondre le bâtiment avec un repaire de terroristes.
J'ai dit:
"Pour la même raison qui a fait fuir les enfants des maisons en flammes à proximité de l’hôpital,
se faire prendre pour cibles par les tireurs d’élite,
être abattus froidement sans hésitation...
...et voir leurs cervelles éclatées se disperser sur l’asphalte."
La mine du journaliste anglais s’assombrit encore davantage après ma réponse.
Le fossé est évident entre nous, témoins physiques de ce massacre,
et ceux qui prennent connaissance des événements à travers le récit des survivants.
On m’informe de Rome que l’Union européenne...
...va geler les avoirs pour la reconstruction...
...tant que le Hamas sera au pouvoir dans la bande de Gaza.
Voici ce qu’a laissé entendre...
...la Commissaire pour la Reconstruction, Benita Ferrero-Waldner:
"Les aides pour la reconstruction dans la bande de Gaza", déclara la diplomate européenne,
"ne pourront aboutir que dans le cas de la réussite d’une reprise en main du Président palestinien Abou Mazen
de l’administration de la bande de Gaza".
Pour les Palestiniens, voilà, venant de l’extérieur, une franche invitation à la guerre civile
ou au coup d’État.
Comme s’il était possible de légitimer le massacre de 410 enfants
dont les parents avaient tout de même voté librement pour la démocratie,
puis pour le Hamas.
"L’Union européenne adopte sans commentaires la politique criminelle préméditée d’Israël pour une punition collective.
Pourquoi ne transmet-elle pas les aides à l’ONU?
Ou à une ONG?
Parce que les États-Unis ont toute liberté pour élire un va-t-en-guerre tel Bush,
les Israéliens peuvent se choisir des dirigeants, tels Sharon et Nethanyahou, aux mains couvertes de sang,
et nous, la population de Gaza,
sommes libres de voter pour le Hamas... "
me répond Mohammed, militant pour les droits humains...
...qui n’a pas donné sa voix au mouvement islamique.
Je n’ai aucun argument à lui opposer.
Ce que les Palestiniens apprennent de leurs morts,
c’est de vivre à l’état de moribonds, et cela dès l’âge le plus tendre.
Une trêve fait suite à une autre trêve, avec la prise en charge pendant ces parenthèses
du décompte des cadavres entre deux attaques.
Quant à la paix, elle n’a jamais semblé aussi éloignée.
Nous effectuons des rondes dans Gaza-ville à bord d’une ambulance. Le girophare, cette fois, est éteint:
la guerre reste présente...
...dans les ruines d’une ville vide de tout visage souriant mais pleine de gens aux regards apeurés
dont les yeux scrutent continuellement le ciel en direction des avions qui nous survolent sans arrêt.
À l’intérieur d’une maison,
j’ai trouvé par terre des dessins d’enfant réalisés avec des craies à l’huile,
visiblement abandonnés là par un enfant qui avait dű fuir les lieux précipitamment.
J’ai ramassé l’un d’eux:
des chars, des hélicoptères et des silhouettes humaines stylisées, disloquées, en morceaux.
Au milieu du dessin, un enfant qui lance une pierre en direction du soleil dessiné dans le ciel,
touchant et endommageant un avion avec l’étoile de David.
On dit que dans les dessins d’enfants, le soleil représente...
...le symbole du désir d’exister, de la présence au monde.
Ici, le soleil dégouline de couleur rouge vif. Des larmes de sang.
Une simple trêve unilatérale suffira-t-elle à soulager tous ces traumas?
Restons Humains
20 janvier 2009
Les stigmates des morts
"Lorsque les énormes destructions dans la bande de Gaza seront connues,
je ne pourrai plus me rendre en touriste à Amsterdam,
mais uniquement à La Haye me présenter devant le Tribunal international."
Ces mots furent prononcés par un ministre israélien
sous couvert d’anonymat, et rapportés par le quotidien Haaretz.
Des organisations humanitaires et des citoyens choqués de par le monde entier
tentent effectivement en ce moment d’assigner l’armée et le gouvernement israéliens devant les tribunaux,
dans l’espoir que les conclusions des enquêtes sur les crimes de guerre,
dont Israël s’est rendu coupable tout au long de vingt-deux jours de massacres, soient recevables.
Les interventions officielles montrent des militaires et responsables politiques insouciants:
ils déclarent détenir des preuves solides selon lesquelles les maisons bombardées
étaient en réalité des bases logistiques des terroristes du Hamas.
Seulement voilà, pour bien se comprendre:
on parle ici de plus de 20 000 maisons détruites
et plus de 1 300 tués.
Pour m’assurer de la précision chirurgicale
avec laquelle les hypothétiques bases névralgiques de la "terreur islamique" furent touchées,
je me suis rendu à Jabal Al-Dardour, dans le nord de la bande de Gaza,
une des zones parmi les plus ciblées par l’artillerie israélienne.
Des dizaines de bâtiments "aplatis" à hauteur du sol
à l’aide d’immenses bulldozers de la société Caterpillar (à mettre sur la liste du boycott),
qui fabrique les engins spécialement conçus pour l’aplanissement des maisons palestiniennes:
ils servent dans les unités blindées de l’armée comme "ouvreurs de voies" dans le cadre de l’entreprise de destruction.
Au milieu des champs de ruines, hommes et femmes sont à la recherche d’objets utiles, vêtements,
livres scolaires, recouverts de poussière, photos de famille dans leurs cadres brisés...
Je n’ai pas réussi à repérer de quelconques restes de caches d’armes,
mais uniquement des maisons d’habitations dévastées dans les cendres desquelles l’utilisation en tant que salon, chambre à coucher
ou cuisine était encore bien visible.
Abou Omar, microbiologiste,
m’invita à venir voir les restes de son habitat
ainsi que son voisin Osama, pédiatre
dont l’habitation ressemblait à un morceau de gruyère.
La puissance de pénétration des tirs
avait arraché les fruits de l’orangeraie avoisinante et les avait projetés contre la maison.
Leur jus, mélangé au sang coagulé,
donne au sol un air d’image réalisée par un peintre naïf.
Un vieillard, le keffieh enroulé autour de la tête,
s’approcha pour demander l’origine de Nathalie, notre accompagnatrice libanaise d’ISM.
Faisant virevolter sa canne dans les airs
en un vaste mouvement circulaire,
il déclara:
Restons Humains.