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Traducteur: Gilles Damianthe Relecteur: eric vautier
Ces 10 dernières années,
j'ai travaillé sur la façon dont les gens organisent et visualisent l'information.
Et j'ai noté un changement intéressant.
Pendant une longue période,
nous avons cru en un classement naturel du monde qui nous entoure,
« Scala naturae » en latin, ou « grande chaîne de la vie »,
une structure pyramidale qui commence avec Dieu au sommet,
suivi par les anges, les nobles,
les gens ordinaires, les animaux etc...
Cette idée était basée sur l'ontologie d'Aristote,
qui classait toutes les choses connues de l'Homme
dans un ensemble de catégories opposées,
comme celles que vous pouvez voir derrière moi.
Toutefois, au fil du temps, et assez curieusement,
cette représentation a adopté la forme d'un arbre
pour ce qui allait devenir l'« arbre Porphyrien »,
considéré comme le plus vieil arbre de la connaissance.
Le système arborescent était une métaphore si puissante
dans la transmission de l'information,
qu'il était devenu, au fil du temps, un important outil de communication
pour cartographier divers champs de connaissance.
Nous pouvons voir des arbres utilisés pour modéliser la moralité,
avec le populaire arbre des Vertus et des Vices,
comme ici ces magnifiques illustrations datant de l'Europe médiévale.
Nous pouvons voir des arbres utilisés pour visualiser la consanguinité,
reflétant les liens du sang entre individus.
Ici, il s'agit d'arbres utilisés en généalogie.
C'est peut-être le plus connu des diagrammes en arborescence.
Je pense que bon nombre d'entre vous ont déjà vu un arbre généalogique.
Beaucoup possèdent leur propre arbre généalogique dessiné ainsi.
Nous pouvons voir des arbres illustrant des systèmes de loi,
les nombreux décrets, les décisions des rois et des dirigeants.
Et, pour finir, bien sûr, une autre métaphore scientifique très populaire,
nous pouvons voir des arbres utilisés
pour inventorier les espèces connues par l'Homme.
Ces arbres sont devenus une métaphore visuelle vraiment puissante
parce qu'ils traduisent largement le goût de l'homme
pour le classement, pour l'équilibre, pour l'unité, et la symétrie.
Cependant, de nos jours, nous faisons face à de nouveaux défis, aux enjeux complexes,
qui ne peuvent pas être compris avec un simple schéma en arborescence.
C'est pourquoi une nouvelle métaphore est en train d'émerger,
et elle est en train de remplacer l'arbre
dans la visualisation de champs de connaissance variés.
Cela nous procure un nouveau filtre pour comprendre le monde qui nous entoure.
Cette nouvelle métaphore est la métaphore du réseau.
Et nous pouvons voir ce passage des arbres aux réseaux
dans de nombreux domaines du savoir.
Nous pouvons voir ce changement dans la façon de comprendre le cerveau.
Auparavant, nous imaginions le cerveau
comme un organe modulaire et centralisé
où une zone donnée était responsable d'une variété d'actions et de comportements ;
plus nous avançons dans nos recherches
et plus nous imaginons le cerveau comme une large symphonie musicale
interprétée par des centaines, des milliers d'instruments.
C'est un magnifique cliché créé par the Blue Brain Project,
où nous pouvons voir 10 000 neurones et 30 millions de connexions.
Et c'est une représentation de 10% seulement du néocortex d'un mammifère.
Nous pouvons aussi voir ce changement dans notre façon de concevoir la connaissance.
Ces magnifiques arbres de la connaissance, ou de la science,
sont du savant espagnol Ramon Llull.
Llull était un précurseur,
celui qui a créé la métaphore de la science comme arbre,
une métaphore que nous utilisons chaque jour, quand nous disons :
« la biologie est une branche de la science »
ou
« la génétique est une branche de la science ».
Mais le plus bel arbre de la connaissance, de mon point de vue,
a été créé pour l'Encyclopédie écrite par Diderot et d'Alembert en 1751.
C'était vraiment le point d'orgue de l'ère des Lumières,
et cette superbe illustration était présentée comme la table des matières
de l'encyclopédie.
Elle indique tous les domaines de la connaissance
comme les branches séparées d'un arbre.
Or, la connaissance est beaucoup plus imbriquée que cela.
Ce sont deux schémas de wikipédia montrant les liens entre articles
relatifs à l'Histoire à gauche, et aux Mathématiques à droite.
Et je pense, en regardant ces schémas
et d'autres créés également par Wikipédia,
sans doute l'une des plus importantes structures rhizomiques jamais créée,
que nous pouvons comprendre que la connaissance est beaucoup plus imbriquée
et interdépendante, comme un réseau, finalement.
Nous pouvons observer ce même changement
dans la façon dont nous schématisons les liens sociaux.
C'est un organigramme typique.
Je suppose que vous avez déjà vu ce type d'organigramme
dans vos entreprises ou ailleurs.
C'est une structure pyramidale
qui commence habituellement avec le PDG au sommet,
et que vous pouvez descendre, d'un étage à l'autre, jusqu'aux ouvriers à la base.
Or les humains parfois sont... en réalité, tous les humains sont uniques,
et parfois cette structure vraiment rigide ne peut pas fonctionner.
Internet est pour beaucoup dans ce changement de paradigme.
Ceci est une fantastique visualisation de la collaboration en ligne
entre les développeurs de Perl.
Perl est un célèbre langage de programmation,
et vous pouvez observer ici comment différents programmeurs
échangent des fichiers et travaillent collectivement sur un projet donné.
Vous pouvez remarquer que le processus est complètement décentralisé.
Il n'y a aucun chef dans l'organisation,
c'est un réseau.
Nous pouvons également voir un intéressant changement dans le domaine du terrorisme.
Un des plus gros défis pour comprendre le terrorisme de nos jours
est que nous faisons face à des cellules décentralisées et indépendantes,
où il n'y a aucun chef qui dirige l'ensemble du processus.
Et ici, vous pouvez voir comment la visualisation peut être utilisée.
Le schéma derrière moi
montre tous les terroristes impliqués dans l'attentat de Madrid en 2004.
Et ce qu'ils ont fait ici, c'est de segmenter leur réseau
sur trois années différentes,
représentées par les couches verticales que vous voyez derrière moi.
Et les lignes bleues relient ensemble
les personnes qui étaient présentes, année après année.
Donc bien qu'il n'y ait pas de chef en soi,
ces personnes sont probablement les plus influentes dans l'organisation,
celles qui en savent le plus sur le passé,
et sur les plans et objectifs futurs de cette cellule.
Nous observons également ce changement, des arbres vers les réseaux,
dans la façon que nous classons et organisons les espèces.
L'image à droite est l'unique illustration
inclue par Darwin dans « L'Origine des espèces »
que Darwin appelle « L'Arbre de la Vie ».
Voici une lettre écrite par Darwin à son éditeur,
expliquant l'importance particulière de ce schéma.
C'était crucial pour la théorie de l'évolution de Darwin.
Or, des scientifiques ont découvert que cet Arbre de la Vie était recouvert
par un dense réseau de bactéries,
et que, en fait, ces bactéries lient des espèces
qui étaient complètement séparées auparavant,
à ce que les scientifiques n'appellent plus l'Arbre de la Vie,
mais plutôt la Toile de la vie, le Réseau de la vie.
Et enfin, nous voyons encore ce changement à l’œuvre
en observant les écosystèmes sur notre planète.
Le chaîne alimentaire simplifiée proie-prédateur
apprise à l'école primaire est tombée aux oubliettes.
Ceci est une représentation bien plus exacte d'un écosystème.
Ce diagramme a été créé par le professeur David Lavigne.
Il cartographie près de 100 espèces qui interagissent avec la morue
au large des côtes de Terre-Neuve, au Canada.
Ici, nous pouvons vraiment appréhender la nature complexe et interdépendante
de la plupart des écosystèmes qui abondent sur notre planète.
Bien que récente, cette métaphore du réseau
adopte déjà des formes diverses,
pour devenir une taxonomie visuelle en expansion.
Elle est presque devenue le syntaxe d'une nouvelle langue.
Et c'est un aspect qui me fascine.
Voici 15 typologies différentes
que j'ai collectées au fil du temps,
et cela montre la grande diversité visuelle de cette métaphore.
Voici un exemple.
Sur la première ligne, tout en haut, vous avez la convergence radiale,
un modèle qui est devenu vraiment populaire ces cinq dernières années.
En haut à gauche, le tout premier projet, est un réseau de gènes,
suivi d'un réseau d'adresses IP - machines, serveurs -
suivi par un réseau d'amis sur Facebook.
Difficile de trouver des sujets plus disparates,
et pourtant, ils utilisent la même métaphore, le même modèle visuel,
pour cartographier les complexités sans fin de leur propre sujet.
Et voici d'autres exemples, parmi les nombreux que j'ai collectés,
de cette taxonomie visuelle croissante des réseaux.
Mais les réseaux ne sont pas seulement une métaphore scientifique.
Tandis que les scientifiques tentent de représenter des systèmes complexes,
la notion de réseau influence le champ artistique traditionnel,
comme la peinture ou la sculpture,
en influençant de nombreux artistes.
Et peut-être parce que les réseaux ont cette force énorme puissance esthétique
- ils sont magnifiques ! -
ils sont devenus un mème culturel,
et induisent un nouveau mouvement artistique
que j'ai appelé le « Networkisme ».
Et nous pouvons voir son influence de multiples façons.
Voici quelques exemples parmi d'autres,
où vous pouvez voir l'influence de la science dans l'art.
L'exemple à gauche est « Ip-Mapping »,
une carte d'adresses IP générée automatiquement (serveurs, machines).
Et, à droite,
vous avez « Structures transitoires et Réseaux instables » par Sharon Molloy,
peinture et émail sur toile.
Et voici quelques autres toiles de Sharon Molloy,
certaines magnifiques, des peintures complexes.
Et voici un autre exemple de cette intéressante pollinisation croisée
entre la science et l'art.
Sur votre gauche, vous avez « Operation Smile ».
C'est la carte générée par ordinateur d'un réseau social.
Et sur votre droite, vous avez « Field 4 », par Emma McNally,
utilisant seulement du crayon sur papier.
Emma McNally est l'un des principaux leaders de ce mouvement,
et elle crée ces paysages imaginaires qui attirent l’œil,
où vous pouvez vraiment remarquer l'influence de la cartographie par réseau.
Mais le Networkisme ne se limite pas à deux dimensions.
Voici, peut-être, un de mes projets favoris
dans ce nouveau mouvement.
Je crois que tout est dit dans le titre. Ça s'appelle :
« Galaxies en formation le long des filaments
comme des gouttelettes le long d'une toile d'araignée »
Et je trouve ce projet particulier immensément puissant.
Il a été créé par Tomás Saraceno,
et il occupe ces grands espaces,
élaborant ces installations massives qui utilisent seulement des cordes élastiques.
Vous pouvez naviguer dans cet espace et rebondir le long de ces cordes élastiques,
le réseau entier se déforme, presque comme un réseau réel le ferait.
Et voici un nouvel exemple
de Networkisme amené à un autre niveau.
Cela a été créé par l'artiste japonaise Chiharu Shiota.
Cette œuvre s'appelle « En silence ».
Et Chiharu, comme Tomás Saraceno, remplit l'espace avec un réseau dense,
ce réseau dense de cordes élastiques, de laine noire et de fils,
inclut parfois des objets, comme ici,
et inclut parfois des personnes dans de nombreuses installations.
Mais les réseaux ne sont pas une simple mode,
et il serait trop facile de les rejeter comme tel.
Réseaux incarnent vraiment les notions de décentralisation,
d’interconnexion, d'interdépendance.
Et cette nouvelle façon de penser est essentielle pour nous aider à résoudre
les problèmes complexes auxquels nous sommes confrontés
comme décoder le cerveau humain,
ou comprendre le vaste univers qui nous entoure.
Sur votre gauche, vous avez un aperçu du réseau neuronal d'une souris,
très similaire au nôtre à cette échelle.
Et sur votre droite, vous avez Simulation du Millénaire.
Ce fut la simulation la plus importante et la plus réaliste
de la croissance de la structure cosmique.
On a été capable de recréer l'histoire de 20 millions de galaxies
en environ 25 téraoctets.
Et coïncidence ou pas,
je trouve ce rapprochement ,
avec d'un coté de l'échelle de la connaissance - le cerveau -
et de l'autre coté, l'Univers lui-même
assez frappante et fascinante.
Parce que comme l'a dit Bruce Mau,
« Quand tout est connecté à tout le reste,
pour le meilleur ou pour le pire, tout est important. »
Merci beaucoup.
(Applaudissements)