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Alan Borovoy : Nous nous sommes rendu compte à cette époque -- et je parle de la fin
des années 1950 et du tout début des années 1960 -- que l'administration et la mise en
application de nos lois sur les pratiques équitables n'étaient pas vraiment viables.
En fait, les fonctionnaires du ministère du Travail s'en chargeaient à temps partiel.
Même si ces gens étaient consciencieux et travaillaient dur, il manquait une touche
de fougue et de perspicacité.
Je me souviens avoir déclaré qu'appliquer des lois à temps partiel donne l'impression
qu'on ne s'y intéresse qu'à moitié. Nous avons donc tenté de mener des activités
à temps plein, et c'est ainsi qu'a commencé notre campagne pour la création d'une commission
des droits de la personne. Heureusement, à cette époque, il y avait au gouvernement
une personne très sensible à notre cause, Tom Everly, qui était, me semble-t-il, secrétaire
du Cabinet. Il était très écouté du premier ministre de l'époque, Leslie Frost, parce
tous deux venaient de Lindsay. Ils se connaissaient bien.
Les efforts de Tom Everly étaient en train d'aboutir et nous le sentions. Nous, nous
nous occupions des gens qui travaillaient dans les coulisses. Ils se sont finalement
mis d'accord pour créer une commission. Qui allait en être le directeur? Dans notre cercle,
le choix était simple. Ce serait Dan Hill, l'arrière-petit-fils d'un esclave américain
qui était venu s'installer dans ce pays au début ou au milieu des années 1950, accompagné
de sa femme blanche. Je l'avais rencontré quand il travaillait au conseil de planification
sociale de North York et je savais qu'il s'entendait bien avec mon chef de l'époque, Sid Bloom.
Nous étions un groupe très soudé de trois ou quatre personnes. Nous savions que nous
voulions Dan à ce poste. Nous l'avons activement appuyé. Tom Everly s'est montré très réceptif.
Il a rencontré Dan et a été aussi impressionné par Dan que nous l'étions. Dan a obtenu le
poste. Dès le début de son mandat, le nombre de plaintes a augmenté en flèche. L'explication
était évidente. Il a fait largement connaître l'existence de la Commission et du Code des
droits de la personne. Il en a fait une réalité palpable dans la communauté. Il allait à
la rencontre de la population, il prononçait des discours, il publiait des livres sur la
question. Ainsi, les gens étaient au courant, ils s'affirmaient, et les plaignants montaient
au créneau. Nous avions le vent en poupe.
Il a dirigé la Commission avec une perspicacité unique. Très souvent, il venait me dire en
privé qu'il jugeait nécessaire d'analyser la situation dans certains domaines. Notre
organisme était chargé de ces analyses : nous décelions les formes de discrimination et
Dan intervenait comme le grand conciliateur pour régler les litiges.
Évidemment, nous avons connu de nombreux règlements de litiges. Mais si les défendeurs
refusaient de coopérer, Dan réunissait une commission d'enquête pour procéder à une
audience publique de la plainte. Dan gérait ces situations avec une perspicacité unique.
Il se déplaçait dans la communauté où la discrimination avait eu lieu et appelait
les gens à assister à l'audience publique de manière à ce que la salle soit comble.
Pour les auteurs d'actes de discrimination, rien de tel que d'essayer de défendre leurs
politiques devant une salle d'audience remplie des membres du groupe minoritaire justement
victime de cette discrimination. Pour ces auteurs, c'était une expérience salutaire.
Les uns après les autres, ils cédaient immédiatement soit avant une audience, soit immédiatement
après, ou en plein milieu.
Je me souviens d'une affaire à Chatham où le propriétaire d'un hangar à bateaux avait
refusé de louer des bateaux à des Noirs qui voulaient aller pêcher. Je n'ai jamais
compris quel mal un Noir pouvait bien faire à un bateau. Mais en tout cas, le propriétaire
ne voulait pas leur louer de bateaux. Au beau milieu de l'audition, alors que je contre-interrogeais
le propriétaire, il a lancé : « D'accord, je vais les servir ». Imaginez-vous combien
nous étions déçus. Ce type avait flanché plus tôt que prévu.
Quoi qu'il en soit, nous sommes allés dans la chambre du juge et nous avons convenu immédiatement
que plusieurs personnes noires verseraient leur dépôt et réserveraient des bateaux
jusqu'à la fin de l'été. Bien que certains Noirs aient dit qu'ils n'aimaient pas pêcher,
Dan leur a enjoint d'aller pêcher. Et c'est pourquoi de nombreux groupes de Noirs sont
allés pêcher à cet endroit-là pratiquement chaque fin de semaine.