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Alors quand vous êtes arrivé à la Scala, l'enjeu était différent quand on est à
Aix, on est dans un festival , un lieu où on peut inventer, vous avez beacoup inventé,
quand vou étiez au Châtelet, vous aviez cette liberté, mais quand vous êtes arrivé à
la Scala de Milan, vous étiez dans un théâtre de répertoire, qui a une image, qui a un
passé, vous arriviez de surcroit sans parler italien, même en sept ou huit mois, ça s'est
arrangé. Donc, quel a été votre enjeu ? Qu'est ce que vous vous êtes dit ? Que faut-il que
je fasse ici pour le public milanais et international qui vient à la Scala ?
Pour répondre brutalement, je pense que quand vous dirigez un opéra, il y a deux attitudes
possibles, qui sont tout à fait contradictoires. Ou bien, vous avez une idée définitive de
la façon dont on faire le répertoire. Et que vous soyez nommé au Châtelet, que vous
soyez nommé à Aix-en-Provence, à la Scala de Milan ou à l'Opéra de Paris, vous appliquez
absolument votre idée d'un point de vue musical et de l'interprétation d'une part et théâtral
de l'autre. C'est-à-dire comment je fais les trois Da Ponte, est-ce que je cherche
un metteur en scène de cette trempe là, de cette pensée là, de cette image là.
On pourrait dire que c'est la méthode de Gérard Mortier ?
Non, je ne dis rien. Ou bien vous réfléchissez, en acceptant des postes dans des pays différents,
dans des villes différentes, dans des cultures différentes, vous acceptez de réfléchir
et de travailler en fonction de ces théâtre là. Et donc la programmation du Châtelet,
puis la programmation d'Aix, puis la programmation de la Scala - et je me rends compte en ce
moment à la programmation de l'Opéra de Paris -, je me rends bien compte que ma réflexion
est complétement différente. Je travaille donc essentiellement sur la culture et le
lieu dans lequel je suis. Et j'essaie de comprendre, à partir de plus de 200 ans d'histoire de
la Scala de Milan (en plus il n'y avait jamais eu d'étranger avant moi), ce que ça voulait
dire pour ce théâtre et cette ville d'avoir quelqu'un qui vienne de l'extérieur et qui
va programmer et décider des spectacles et de tous les concerts. Et donc j'ai travaillé
sur l'histoire de ce pays et les tonalités, même si on me reproche et on me reprochera
toujours de ne pas être italien, mais j'ai travaillé la-dessus et j'ai réfléchi sur
un programme qui soit lié, encore une fois, au passé de cette maison. Je pense que ce
sont vraiment deux méthodes qui sont à l'opposé l'une de l'autre, et d'ailleurs, je ne pense
pas qu'il y en ait une meilleure de que l'autre. C'est une attitude différente, peut-être
une plus consensuelle, qu'elle est un peu plus faible et démagogique, mais l'autre
on pourrait dire qu'elle est très péremptoire, qu'elle est très agressive et au fond, on
fait passer son propre goût avant celui de la culture du pays. Ca s'oppose.
Alors, précisément, à la Scala, cette année, vous étiez confronté comme tous les directeurs
de théâtre, au double bicentenaire de Verdi et Wagner. Vous avez ouvert votre saison (ça
a fait un début de polémique avant que le spectacle ne s'impose) par Wagner avec un
Lohengrin mis en scène par Claus Guth et dirigé par Daniel Barenboim, avec le chéri
de ses dames, Jonas Kaufmann dans le rôle de Lohengrin. D'abord, est ce que c'était
pas provocateur d'ouvrir à la Scala de Milan la saison Verdi / Wagner, par Wagner ?
Franchement, la polémique je l'ai trouvée pathétique et ridicule. Il a fallu que le
président de la République en personne, fasse une déclaration en disant que c'était
pathétique et ridicule.
D'ailleurs, je trouve que c'est très bien, parce que imaginez le président de la République
française, je ne suis pas sûr qu'il s'intéresserait à une polémique sur Verdi et Wagner. Ca
montre qu'on est justement en Italie et pas en France.
Il faut savoir d'abord que le bicentenaire, c'est en 2013, et que là on parle du 7 décembre
2012 et que le 7 décembre, c'est l'ouverture de la saison et c'est pour beaucoup pratiquement
la seule représentation qui compte à la Scala dans l'année, et après un 7 décembre
2012, il y a un 7 décembre 2013. J'ai décidé de faire un opéra avec Wagner, un opéra
avec Verdi. En vérité, j'ai absolument pas choisi d'ouvrir avec Wagner ou avec Verdi,
je suis parti tout simplement comme tout directeur de théâtre sur une distribution. Quand M.
Kaufmann et Mme Harteros, M. René Pape sont disponibles pour faire un Lohengrin, vous
ne vous posez pas la question de savoir si c'est d'abord Verdi ou Wagner, et quand ensuite,
le 7 décembre suivant, vous avez décidé de faire avec Mme Damrau une nouvelle Traviata
à la Scala, vous ne vous posez pas non plus la question si c'est avant ou après. Vous
cherchez à réunir le meilleur chef, les meilleurs chanteurs, etc. Donc toute cette
polémique montre bien à quel point les gens parlent pour ne rien dire.
Très bien. On va continuer à parler pour dire des choses. Parce que, je voudrai maintenant,
c'est que vous nous expliquiez comment vous avez conçu cet hommage à Verdi, qui va réunir
huit opéras dans la saison et qui commence ce soir.
Heu, non, il y a eu Falstaff d'abord. Là, c'est la même chose. Etre le directeur de
la Scala l'année du bicentenaire Verdi, c'est évidemment pas la chose la plus aisée, mais
c'est un challenge passionnant. D'une certaine manière, sur le plan théâtral, on va se
rendre compte qu'on est dans un pays où le beau et l'esthétique priment sur le concept
et la pensée. Donc, comment réussir à faire venir une nouvelle génération de metteurs
en scène qui peuvent s'attaquer à l'oeuvre de Verdi (véritablement chasse gardée pour
le grand public traditionnel italien) ? Le spectacle que vous allez voir ce soir, pour
un public italien, est un vrai choc. Parce que, on repart toujours sur le passé, en
1996 ou en 1986 si je ne me trompe pas, avec le dernier Nabucco avec Ricardo Mutti mais
franchement, quand je vois les photos du décor et des costumes... ce n'est plus possible
aujourd'hui. Que peut-on aujourd'hui proposer ? Cette réflexion là, j'ai cherché à répondre
à ces questions, à travers chaque ouvrage. Les choix des ouvrages ont été faits en
fonction des chefs et des chanteurs et des metteurs en scène et aussi de l'histoire
du théâtre. Donc, il y a tellement de paramètres, qu'à l'arrivée, c'est un peu... pourquoi
programmer Oberto, conte di San Bonifacio ?
Parce que c'est le premier opéra que la Scala a commandé à Verdi. Ça m'intéressait beaucoup.
C'est une oeuvre que j'aime bien. Je voulais des metteurs en scène italiens, ce soir,
c'est Daniele Abaddo mais il y a Corsetti. Pendant toute cette année, il y a beaucoup
d'italien. Sur le plan musical, depuis huit ans, à peu
près toutes les premières de Verdi sont sifflées. C'est impossible de passer l'obstacle
de tous les chanteurs, du chef, du choeurs, du metteur en scène. C'est impossible que
vous ne finissiez pas par tomber. Peut-être que ce soir, on ne tombera pas, mais enfin...
j'espère. Le grand opéra italien, musicalement, il est très compliqué à faire pour une
raison qu'on connait tous :
on n'a pas, compte tenu du nombre de théâtres, les chanteurs chantent de plus en plus quantitativement,
on a un grand déficit de voix verdiennes. Un déficit pour les ténors, même pour les
sopranos (ce soir vous allez entendre quelque-chose d'exceptionnel), ça se compte à chaque fois
sur les doigts d'une main. Trois ou quatre ténors possibles, c'est très difficile.
Vous avez Antonenko. Ce soir, je pense, vous aurez une très belle distribution. Ca a été
compliqué à monter, mais en même temps, j'avais décidé de donner que du Wagner et
du Verdi pendant toute l'année. L'ensemble de la saison a été construit avec huit productions
de Verdi. Demain, vous verrez Brin Terfel et Falstaff... vous avez bien fait de venir.
Sur le plan musical, il y a aussi un Macbeth dirigé par Valery Gergieff, qui sera sans
doute aussi un moment important.
Oui, là aussi, aujourd'hui pour trouver et distribuer pour la Scala de Milan, une Lady
Macbeth, c'est la chose la plus difficile. C'est ça le rapport : l'histoire de ce théâtre
est très forte, les grands chanteurs, les grands chefs d'orchestre, qui ont jalonnés
l'histoire du XXe siècle, vous les connaissez... nous sommes dans un pays où l'art en général
repose beaucoup sur le passé et la nostalgie. C'est un sentiment aussi tout à fait respectable,
simplement, ce passage entre le passé et le présent est toujours compliqué quand
on essaie de réfléchir pour le futur. Essayer de porter un théâtre comme la Scala vers
le XXIe siècle, on est très contraint même au niveau de l'interprétation musicale.
Par exemple, ici, on ne joue pas une note de baroque dans ce pays. Moi, quand j'ai fait
venir William Christie ici pour les Indes Galantes en version concert pour une soirée,
alors qu'on est complet toute l'année, il y avait une demi salle. Quand j'ai dit que
voulais faire un cycle Monteverdi, on m'a regardé comme ça.
Pourquoi Monte sans verdi ?
Exactement ! Il faut bien comprendre, on est dans un pays qui a inventé l'opéra.
Pour faire un saut entre cette carrière que vous faites à la Scala et celle que vous
allez faire à Paris, il y a toujours la nécessité de reprendre pour des questions économiques,
des productions qui ne sont pas nécessairement des productions que vous avez voulues. Je
pense par exemple il y a quelques années vous avez repris l'Aida mise en scène par
Franco Zeffirelli, je ne suis pas sûr que ce soit une idée qui vous ait comblé d'aise.
Mais il fallait reprendre cette production.
Non, j'ai fait pire, si vous voulez le dire avec humour. Quand je suis arrivé en 2005,
le théâtre était complétement éclaté. Le surintendant avait été mis à la porte,
dans un conflit énorme, Riccardo Muti avait quitté le théâtre, donc la maison était
dans une situation schizophrénique assez complexe. L'objectif numéro 1, pour moi,
c'était de réunir tout le monde et d'essayer de remettre en mouvement toutes les masses
artistiques, l'administration, les salariés, les remettre ensemble. Il faut que les gens
soient convaincus par ce que vous faites et qu'ils soient prêts à vous suivre. Donc
l'idée que j'ai eue, ça a été de demander à Zeffirelli qui représentait une partie
très importante de l'histoire de l'opéra depuis la guerre... j'ai pensé que c'était
juste de lui demander de m'aider à réunir l'ensemble de la Scala pour faire
une Aïda un 7 décembre. Je sais que mes confrères ont gaussé, mais ça ne me gène
pas beaucoup. Mais je crois que c'était très important pour moi, parce que je voulais essayer
de redonner à cette maison, non pas son identité car elle n'était pas perdue, de lui redonner
du coeur à l'ouvrage.