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Translator: Etienne Gagnon Reviewer: Eric Dufour
Les humains détiennent un potentiel extraordinaire pour faire le bien
comme pour faire le mal.
Un outil peut être utilisé pour construire comme pour détruire;
tout dépend de nos motifs.
De ce fait, il est crucial
de valoriser des motifs altruistes et non pas égoïstes.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à de nombreux défis.
Ce peut être des défis personnels;
notre propre esprit peut être notre meilleur ami comme notre pire ennemi.
Mais n'oublions pas les défis de société :
Les écarts entre riches et pauvres, les ingalités, les conflits, l'injustice.
Et puis il y a les nouveaux défis, les défis imprévus.
Il y a 10 000 ans, 5 millions d'êtres humains vivaient sur Terre.
Peu importait l'impact de leurs activités,
car la résilience de la Terre avait tôt fait d'y pallier.
Après les révolutions industrielle et technologique,
tout a changé.
Désormais, nous sommes les êtres ayant le plus d'incidence sur la Terre.
Nous entrons dans l'Anthropocène, l'ère des êtres humains.
Alors, si l'on disait qu'il nous faut poursuivre cette éternelle croissance,
cet éternel usage de ressources matérielles,
cela reviendrait à dire,
comme l'a jadis dit un chef d'État dont je tairai le nom :
« Il y a cinq ans, nous nous tenions au bord du précipice.
Aujourd'hui, nous faisons un grand pas en avant. »
Ce bord du précipice, les scientifiques le désignent
comme étant les frontières planétaires.
Respecter ces frontières nous permettrait de contrôler de nombreux facteurs.
L'humanité pourrait prospérer pendant encore 150 000 ans
si nous pouvions conserver la condition climatique terrestre
de l'Holocène, à savoir des 10 000 dernières années.
Mais il nous faudrait alors choisir la simplicité volontaire,
choisir une évolution qualitative et non pas quantitative.
En 1900, comme vous pouvez le voir, nous étions bien en-deçà des limites.
à partir de 1950, les choses ont commencé à s'accélérer.
Maintenant, retenez votre souffle et essayez de visualiser ce qui suit.
Aujourd'hui, nous avons largement dépassé certaines limites planétaires.
Prenons comme exemple la biodiversité.
D'ici 2050, 30 % de toutes les espèces de la Terre auront disparu.
Et ce sera irréversible, même si on conserve leur ADN dans un frigo.
Je me suis donc retrouvé assis
devant un glacier haut de 7000 mètres au Bhoutan.
Au troisième pôle, ce sont 2000 glaciers qui fondent
plus rapidement encore qu'en Arctique.
Que pouvons-nous bien y faire?
Malgré la complexité de la question environnementale
aux niveaux politique, économique et scientifique,
elle se résume simplement à une opposition entre altruisme et égoïsme.
Je suis un marxiste à tendance grouchiste.
(Rires)
Groucho Marx disait : « Pourquoi me soucier des générations futures?
Se sont-elles déjà souciées de moi? »
(Rires)
Malheureusement, j'ai entendu le milliardaire Steve Forbes,
en ondes sur Fox News, tenir le même discours, mais sérieusement.
On lui a parlé de la montée du niveau des mers,
et il a répondu : « Je trouve absurde de changer aujourd'hui mes habitudes
pour quelque chose qui va arriver dans 100 ans. »
Alors si vous vous fichez des générations futures,
ne vous gênez pas!
L'un des principaux défis de notre temps
est de concilier trois échelles de temps différentes :
l'échelle à court terme de l'économie,
avec les hauts et les bas de son marché boursier et ses comptes de fin d'année;
l'échelle à moyen terme de la qualité de vie
– quelle est-elle à chaque moment de notre vie, depuis 10, 20 ans ? –
et l'échelle à long terme de l'environnement.
Quand les environnementalistes et les économistes discutent,
on croirait entendre un schizophrène; c'est complètement incohérent.
Ils ne parlent pas la même langue.
Durant les dix dernières années, j'ai voyagé à travers le monde.
J'ai rencontré des économistes, des scientifiques,
des neuroscientifiques, des environnementalistes,
des philosophes et des sages de l'Himalaya.
À mes yeux, il n'y a qu'une seule chose
qui puisse réconcilier ces trois échelles de temps :
Le fait de se soucier davantage des autres.
Ce n'est qu'en agissant ainsi que l'on pourra avoir une économie responsable,
où la finance est au service de la société,
et non l'inverse.
Plus personne n'ira jouer au casino
avec l'argent confié par les autres.
En adoptant une attitude altruiste,
on remédie aux inégalités
et on apporte un certain bien-être au sein de la société;
dans les milieux d'éducation comme au travail.
Sinon, pourquoi vivre dans une société puissante et riche,
mais où chacun est malheureux?
Si nous nous soucions davantage des autres,
nous ne mettrons plus notre planète à sac,
d'autant plus que nous n'avons pas trois planètes pour maintenir cette allure.
Une question se pose alors :
d'accord, l'altruisme est la réponse, pas juste une idéal original.
Mais peut-il vraiment être une solution pragmatique?
Et plus important encore, l'altruisme existe-t-il vraiment,
ou sommes-nous tous foncièrement égoïstes?
Certains philosophes ont affirmé que nous l'étions, irrémédiablement.
Mais ne sommes-nous vraiment que des vauriens?
Ce sont de bonnes nouvelles, non?
Beaucoup de philosophes, comme Hobbes, pensaient ainsi.
Mais le monde entier ne semble pas composé de vauriens.
À moins que l'homme ne soit un loup pour l'homme?
Pourtant, cet homme n'a pas l'air si méchant.
C'est un de mes amis au Tibet.
Il est très gentil.
Nous aimons travailler de concert.
Y-a-t-il un plus grand bonheur que celui retiré de la coopération?
Et ça ne s'applique pas qu'aux humains.
Bien sûr, il y a la lutte pour la survie,
la sélection naturelle, le darwinisme social.
Mais à travers l'évolution – malgré l’existence certaine de la compétition –,
la coopération doit être plus créative que jamais et se complexifier davantage.
Nous sommes déjà des super-coopérateurs, mais il nous faut aller encore plus loin.
Parlons maintenant de relations humaines.
L'OCDE a mené une enquête sur l'importance de 10 facteurs, incluant l'argent.
Selon celle-ci, le premier en importance – et c'est ce qui me rend si heureux –
est la qualité des relations sociales.
Et pas seulement pour les humains.
Regardez ces arrière-grand-mères.
Penser qu'au fond de nous,
nous sommes fondamentalement égoïstes,
c'est de la science de bureau.
Aucune étude sociologique
ou psychologique n'abonde dans ce sens.
Au contraire.
mon ami Daniel Batson a passé le temps d'une vie
à observer les gens réagir à des situations complexes.
Bien sûr, nous sommes parfois égoïstes - certains le sont plus que d'autres -
mais il a été établi que, peu importe le contexte,
bon nombre de personnes
agissent de manière altruiste, sans se poser de questions.
Devant une personne blessée et souffrante,
on lui vient spontanément en aide, par empathie.
On ne peut le supporter, il nous faut aider cette personne.
À la lumière des tests, mon ami affirme que l'Homme peut faire preuve d'altruisme.
Voilà de bonnes nouvelles.
Nous devrions également prêter attention à la banalité de la bonté.
Ici, par exemple.
En sortant d'ici, personne ne dira : « c'était bien,
il n'y a pas eu de bagarres durant cette conférence sur l'altruisme ».
On s'y attendait, non?
Si ça avait été le cas, on en aurait parlé pendant des mois.
La banalité de la bonté n'attire pas vraiment notre attention,
mais elle existe.
Regardez cela.
Certains psychologues,
après leur avoir parlé de mes 140 projets humanitaires dans l'Himalaya
et d'à quel point ils me rendent heureux,
m'ont dit : « Oh, je vois, tu le fais pour te sentir mieux.
Tu le fais pour toi, pas pour les autres ».
Pensez-vous que cet homme, en se précipitant devant le train,
s'est dit : « après, je me sentirai si bien? »
(Rires)
Mais ce n'est pas tout.
L'homme en question, en entrevue, a déclaré :
« Je n'avais pas le choix, je devais y aller ».
Ils le prennent au mot : comportement automatique, ni altruiste, ni égoïste.
Il n'avait pas le choix?
Bien sûr, le gars ne va pas se demander pendant une demie-heure :
« Je donne ou je donne pas ma main? »
Il agit. Le choix est là, mais il se fait tout seul, immédiatement.
Lui aussi avait le choix.
(Rires)
Certaines personnes avaient le choix
comme le pasteur André Trocmé, sa femme
le village entier de Chambon-sur-Lignon, en France.
Tout au long de la Deuxième Guerre mondiale, ils sauvèrent 3500 juifs
en leur offrant un abri et en les faisant passer en Suisse,
malgré le danger, malgré le risque pour eux et leurs proches.
Alors oui, l'altruisme existe.
Mais qu'est-ce que l'altruisme?
C'est faire le souhait de rendre son prochain heureux;
c'est trouver l'essence du bonheur.
L'empathie, c'est la résonance affective qui nous permet de discerner
une personne heureuse d'une personne triste.
Mais l'empathie elle-même ne suffit pas.
Une personne continuellement confrontée à la souffrance
est davantage encline à la détresse et au burnout.
Nous avons grandement besoin d'amour bienveillant.
Avec l'aide de Tania Singer,
de l'Institut Max Planck de Leipzig,
il a été démontré que les réseaux cérébraux de l'empathie,
et de l'amour bienveillant sont différents.
Tout est lié :
nous en avons hérité de par l'évolution, les soins maternels, l'amour parental,
et nous devons maintenant faire progresser cette qualité.
même à l'égard d'autres espèces.
Pour créer une société altruiste, il nous faut réunir deux éléments :
le changement individuel et le changement sociétal.
Le changement individuel est-il possible?
Après 2000 ans d'études contemplatives, nous sommes en mesure de dire oui.
Après 15 ans de collaboration
avec les milieux de la neuroscience et de l'épigénétique
prouvent que le cerveau change
en étant altruiste.
J'ai donc passé 120 heures dans une machine IRM.
Me voici après ma première séance de deux heures et demie.
Les résultats, qui ont été publiés dans de nombreux journaux scientifiques,
prouvent hors de tout doute que des changements structurels et fonctionnels
surviennent dans le cerveau lorsqu'on pratique l'altruisme.
Juste pour vous donner un aperçu :
à gauche, vous pouvez voir le cerveau d'un méditant entraîné au repos.
Observez toute l'activité.
Dans le groupe de contrôle, rien ne se passe.
Durant la méditation non plus.
Ils n'ont pas été entraînés.
Mais 50 000 heures de méditation sont-elles nécessaires? Non.
20 minutes de méditation sérieuse pendant 4 semaines suffisent
pour observer une différence avec le cerveau du groupe de contrôle.
Seulement 20 minutes par jour pendant 4 semaines.
Même pour les jeunes enfants – comme l'a prouvé Richard Davidson
dans ses études à l'université Wisconsin Madison;
Un programme de huit semaines de gratitude, de d'amour bienveillant,
de coopération et de respiration consciente.
Ce ne sont que des enfants, vous vous dites.
Mais voyez, après huit semaines,
la courbe du comportement prosocial, la ligne bleue.
Puis vient le test scientifique ultime : le test des autocollants.
D'abord, vous demandez à l'enfant d'indiquer son meilleur ami,
l'enfant qu'il aime le moins, un enfant inconnu et un enfant malade,
puis ils doivent leur donner des autocollants.
Avant le programme, ils en donnent la plupart à leur meilleur ami.
Après 20 minutes de méditation, trois fois par semaine, pendant huit semaines,
ces enfants de quatre, cinq ans ne discriminent plus personne :
ils donnent le même nombre d'autocollants à tout le monde.
Voilà quelque chose que toutes les écoles du monde devraient faire.
Qu'allons-nous faire maintenant?
(Applaudissements)
Lorsque le Dalaï-lama l'a appris, il a dit :
D'abord, ce sera 10 écoles, puis 100, puis les Nations Unies et le monde entier.
Alors, que faire?
Le changement individuel est possible.
Devons-nous attendre l'apparition d'un gène de l'altruisme chez l'Homme?
Cela prendrait 50 000 ans. plus que peut en prendre l'environnement,
Heureusement, nous pouvons compter sur l'évolution de la culture.
Les experts l'on démontré : la culture change plus vite que les gènes.
Voilà de bonnes nouvelles.
Observez à quel point l'attitude face à la guerre a changé dernièrement.
Aujourd'hui, changements culturels et individuels se façonnent mutuellement.
Oui, nous pouvons créer une société plus altruiste.
Mais comment faire?
Pour ma part, je vais repartir en Orient.
nous traitons maintenant 100 000 patients par année grâce à nos projets.
Nous envoyons 25 000 enfants à l'école, et prévoyons augmenter ce chiffre de 4 %.
Certains disent : « Ça marche en pratique,
mais est-ce que ça marche en théorie? »
C'est ce qu'on appelle de la déviance positive.
Alors je vais repartir dans mon ermitage
afin de trouver en moi le moyen de mieux servir les autres.
Mais sur un niveau mondial, que faire?
Il nous faut faire trois choses.
Il faut nous accroître la coopération :
miser sur un apprentissage plus coopératif que compétitif à l'école;
Il faut une coopération inconditionnelle au sein des entreprises,
car il peut y avoir compétition entre entreprises, mais pas en leur sein.
Nous avons besoin d'une harmonie durable. J'adore ce mot.
Plus de croissance responsable.
Une harmonie durable débute par la réduction des inégalités, maintenant.
À l'avenir, nous ferons plus avec moins,
nous appliquerons à progresser de manière qualitative, non pas quantitative.
Nous avons besoin d'une économie responsable.
L'*** economicus ne peut se permettre de tels écarts entre riches et pauvres,
ne peut ignorer les problèmes qui nous concernent tous,
pas plus que ceux de l'atmosphère et des océans.
Nous avons besoin d'une économie responsable.
Lorsqu'on demande une telle économie,
on nous dit que ce n'est son rôle.
car en disant qu'elle s'en fiche, ça envoie une mauvaise image.
Nous avons besoin d'un engagement local et d'une responsabilité mondiale;
nous devons étendre notre altruisme à plus d'un million d'autres espèces,
d'êtres sensibles avec qui nous partageons ce monde.
Bref, nous devons oser l'altruisme.
Alors, vive la révolution de l'altruisme.
Viva la revolución de altruismo.
(Applaudissements)
Merci.
(Applaudissements)