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Bonjour et bienvenue sur la première leçon de ce dernier chapitre
de notre cours
consacré
aux relations entre la littérature et l'ordinateur, et en particulier
à l'internet
dans l'oeuvre d'Annie Abrahams.
L'ordinateur a beaucoup contribué à changer la littérature
depuis les années 60 jusqu'à aujourd'hui.
Pour vous donner un peu de contexte
à la même époque où
Raymond Queneau écrit les "Cent millle milliards de poèmes"
un informaticien
écrit un programme d'ordinateur
qui permet de générer de manière aléatoire
et automatique
des textes,
C'est la naissance de ce qu'on appelle
la littérature électronique
et "le générateur de texte". f 0:00:48.310,0:00:50.620 Cet informaticien qui s'appelle
Jean Baudot, créé en 1964 ce qu'il appelle la "machine à écrire" ce programme
qui produit des textes aléatoires
qui sont faits pour être
imprimés, pour être lus ensuite sur du papier.
Dans le même mouvement, dans les années 1980,
deux informaticiens
et mathématiciens, et auteurs de littérature, très proches de Raymond Queneau
Paul Brafort et Jacques Roubaud
créent L'ALAMO,
l'Atelier
de Littérature Assistée par les Mathématiques et l'Ordinateur,
qui vise à créer des programmes qui génèrent
de façon automatique
et aléatoire
des textes qui respectent les contraintes de la langue française
et des contraintes poétiques.
Tous ces programmes,
les programmes précurseurs de Jean Baudot et les programmes de l'ALAMO
utilisent l'ordinateur comme un outil
pour créer des poèmes
mais pas comme une plate-forme de diffusion, puisque tous ces poèmes
sont censés être imprimés sur du texte.
La situation va changer dans les années 1980 et 90 avec l'apparition des
ordinateurs personnels.
Le fait que le public maintenant peut s'équiper d'un ordinateur va changer le
statut de la littérature créée
avec les ordinateurs,
l'ordinateur va devenir maintenant un instrument de
publication pour la littérature électronique
la cyber-littérature.
Différents genres de littérature électronique se développent. Par exemple
la littérature hypertextuelle
qui utilise les liens hypertextes
les mots cliquables
pour offrir au lecteur la possibilité
de cliquer dans le texte
d'évoluer dans le texte, de choisir des chemins,
dans le texte grâce aux hypertextes, grâce aux mots cliquables.
Un autre genre qui se développe
dans les années 90
c'est la littérature hypermédiatique.
Les ordinateurs personnels deviennent de plus en plus puissants
et permettent de diffuser du son et des images animées.
De plus en plus la littérature électronique
va être un mélange de textes
d'images, de son, et d'images animées,
va devenir de plus en plus multimédia. C'est ce qu'on appelle la littérature hypermédiatique.
Mais ce qui va vraiment changer
la littérature électronique
c'est l'apparition de l'internet.
Avant l'internet les auteurs de littérature électronique diffusaient leurs
textes sous forme
de disquettes
puis de CD-ROM.
Mais à partir de la fin des années 90,
internet permet de diffuser à un plus large public
des oeuvres de cyber-littérature, de littérature électronique.
Vous trouvez par exemple dans le domaine francophone des revues sur internet qui
diffusent des oeuvres de cyber-littérature,
par exemple la revuebleuorange,
ou la rebue canadienne nt2,
ou encore la revue électronique
e-criture.
Toutes ces oeuvres ouvrent
la littérature électronique à un plus grand public, un public international.
Mais aussi Internet
change le statut
de l'auteur et du lecteur de la littérature électronique.
En effet,
sur internet l'auteur devient plus anonyme, parce qu'il est perdu
dans la masse d'internet,
et de même le lecteur devient plus anonyme
parce qu'il perd
son identité géographique
et aussi son identité linguistique comme on va le voir.
C'est dans ce contexte que Annie Abrahams
crée un site internet qui réunit ses pièces hypermédiatiques
appelé "Etre humain",
qu'elle commence en 1997.
Annie Abrahams est d'abord
une plasticienne, une peintre,
qui commence à s'intéresser aux ordinateurs
en utilisant des programmes
de traitement d'image pour créer
des tableaux
avec des programmes informatiques.
Et puis elle s'intéresse aussi
à renouveler, à transformer
le rapport entre l'artiste et son public en utilisant internet et l'email
pour créer un nouvel espace d'intimité
qui contourne, qui évite
le marché traditionnel de l'art.
Avant, la seule relation entre l'artiste et son public c'était les galeries.
Annie Abrahams va utiliser l'internet pour créer un nouvel espace
de contact, d'intimité
entre l'artiste et son public
et par conséquent
pour questionner le statut
du public, du lecteur, de l'internaute
et le statut de l'auteur
sur cette nouvelle plateforme qu'est internet.
Annie Abrahams
crée un site internet
qui est majoritairement composé de mots, mais aussi d'images
et d'images animées et quelquefois de son.
Ce site internet est écrit en anglais et en français à la fois.
C'est un site bilingue.
Cela illustre que le lecteur
perd son identité
linguistique sur internet. La langue d'internet c'est majoritairement
l'anglais
et plus particulièrement l'anglais d'internet qui est un anglais simplifié
un anglais presque abstrait, gris,
un anglais qui n'est pas très raffiné,
et où le lecteur
perd son identité linguistique, national et géographique.
Comme l'écrit Annie Abrahams,
le site internet a été conçu, je cite,
"à partir de l'idée qu'internet était un outil artistique"
"qui permet de s'adresser"
"directement à des personnes dans leur propre intimité"
"non-médiatisée par un contexte de l'art (par les galeries)"
"Mon travail, dit-elle,"
"repose sur la question"
"de l'identité"
"et la découverte de soi"
"à travers l'altérité"
(la découverte de soi à travers la rencontre avec l'autre)
"Mes pièces sont conçues"
"pour inviter l'internaute"
"à pouvoir exprimer"
"ses voeux"
"se débarrasser de ses peines"
"recevoir du réconfort"
"s'interroger sur la compréhension, le respect,"
"et sa relation à la machine."
Les pièces d'Annie Abrahams sont conçues comme ce qu'elle appelle
des "mutateurs d'humeur non-immersifs"
des pièces qui jouent avec les protocoles
de communication sur internet, pour influencer et pour commenter
l'humeur des internautes.
Ce sont des pièces qui jouent avec la volonté
des protocoles d'internet
de contrôler et de manager
l'humeur des internautes. Internet à d'abord été
créé comme un instrument de travail, et de management des humeurs
des travailleurs sur internet.
Je continue la citation
d'Annie Abrahams:
"J'explore ainsi les nouveaux"
"territoires identitaires qui s'établissent sur les réseaux"
[sur internet].
"Il s'agit de mettre en scène des situations dialogiques et émotionnelles"
"qui conduisent les internautes à réfléchir sur les différents rites"
"communicationnels [sur les différents protocoles de communication]"
"mais aussi de révéler"
"sa part créative."
"dans cette situation d'échanges et de dévoilements individuels"
"je n'omets pas de prendre en compte la nécessité pour chacun"
"de se protéger"
"car sur le réseau"
"nous sommes tous des nomades"
"confrontés"
"à notre statut"
"d'étrangers."
Les pièces d'Annie Abrahams sont adressées, un peu comme des lettres,
à l'intimité
de l'internaute
mais en même temps l'intimité et l'identité de cet internaute
est questionnée
parce que sur internet, qu'est-ce que c'est qu'un sujet?
C'est la question que pose les pièces d'Annie Abrahams.
Le sujet
est nomade, il est étranger, il ne sait pas dans quelle langue il est, dans quel pays,
il est anonyme, le sujet sur internet,
l'internaute;
mais l'auteur aussi d'internet est anonyme.
Quelques fois vous allez voir qu'il y a des adresses
comme le sujet "tu" ou "vous"
ou le sujet "je"
qui peuvent faire référence à la fois à l'auteur, Annie Abrahams,
à la machine, quelquefois, qui dit "je",
à l'internaute évidemment qui peut être adressé comme "tu" comme "vous"
ou comme "je", quelques fois.
ça crée une confusion une interrogation de ce que c'est que
l'identité
du sujet
sur internet.
C'est une interrogation
de ce que c'est que la communication
parce que ça met en scène
les rites communicationnels, les protocoles de communication sur internet.
C'est en quelque sorte une fiction de communication
qui nous invite à réfléchir
sur ce que c'est que la communication et l'identité sur internet.
Le nom du site internet "Etre humain"
a deux sens possibles.
"being human" or "human being".
Le premier sens
"human being"
c'est quand on comprend "être humain" comme un substantif.
C'est un sens ontologique. L'être humain
par opposition à la machine
ou à l'être animal.
C'est une interrogation sur ce que c'est qu'être humain
et quelle est la différence entre la machine
et l'être humain.
Mais aussi
"être humain" dans le sens
"being human"
dans le sens de l'adjectif "humain"
qui veut dire "bienveillant",
"chaleureux",
"généreux", "noble".
Souvent on pense que les ordinateurs
manquent d'humanité parce qu'ils sont secs, ils sont froids, ils sont
automatiques.
Mais les pièces d'Annie Abrahams montrent que ce n'est pas toujours vrai,
que l'on peut simuler
la qualité humaine
sur l'ordinateur,
qu'on peut créer des programmes qui ont l'air
d'être gentil et bienveillant,
qui ont l'air d'être humain.
En consultant ce site internet
vous devrez vous poser la question,
"quels sont les sujets?"
D'abord quel est l'auteur? Est une machine? Est-ce un sujet
poétique? un sujet lyrique? Est-ce Annie Abrahams?
Et puis qui vous êtes quand vous consultez
ces sites? Vous êtes un lecteur?
Vous êtes un internaute?
Est-ce que vous êtes un internaute anonyme?
etc.
Quel est le rôle de la machine, de l'interface
dans la constitution
de votre identité
de sujet, jusque dans votre intimité même?