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Mako!
Vous êtes Mako, n'est-ce pas? La fille de Noe Itô,
massacrée en compagnie de son époux, l'anarchiste Sakae Ôsugi,
dans la confusion qui a suivi le grand tremblement de terre de 1923.
Le jour où votre mère a été tuée, vous aviez sept ans.
Dites-moi ce dont vous vous souvenez.
Vous aviez sept ans, vous devez vous souvenir de beaucoup de choses.
Le jour de son assassinat,
au moment de partir, que vous a dit votre mère?
La trouviez-vous belle?
Aimiez-vous votre mère?
Aimiez-vous votre mère?
Je rêvais de vous rencontrer depuis longtemps,
pour vous poser toutes ces questions.
Au moment de quitter Tokyo, je me les répétais à voix haute.
N'étiez-vous pas jalouse de Noe?
Vous-même, en tant que femme.
Un jour soudain, ce jour où vos parents
ont subitement disparu devant vous,
vous êtes devenue jalouse.
Jalouse.
Au cours des 28 années de sa courte vie,
elle a été mariée trois fois.
La troisième fois, elle a quitté le poète Jun Tsuji,
dont elle avait pourtant 2 enfants, pour rejoindre Sakae Ôsugi.
C'est elle qui fut donc à l'origine
de l'Affaire de Hikage-no-chaya,
où Itsuko Masaoka, l'amante d'Ôsugi, le poignarda en 1916.
Elle encore qui fut la plus jeune des adeptes
du mouvement Seitô, dirigé par Aichô Hiraga,
et qui, après en être devenue l'unique membre, y mit un terme.
Elle enfin qui, au cours des 10 dernières années de sa vie,
donna naissance à sept enfants.
Qui vécut en quelques années
la vie de combien de femmes ordinaires.
Noe Itô.
Cette femme était bien votre mère, n'est-ce pas?
Merci. Je n'ai plus de questions.
Redites-moi votre nom, Mako.
- Je m'appelle A-ko. - Eiko, c'est moi.
Eiko Sokutai, 20 ans, étudiante.
- Alors, je m'appelle B-ko. - Bien, B-ko.
Un dernier mot, pour finir.
Je n'ai rien à voir avec tout cela.
Vous parlez de ma mère?
Je n'ai pas de mère.
La mère de ma mère?
Ma mère n'a pas de mère.
La mère de la mère de ma mère?
Cela...
c'est vous...
"Au printemps de mars, Rescapés du massacre
"Nous dansons parmi les fleurs. Ivre du bonheur de la décadence,
"un dialogue dont nous, vous ou moi, sommes les ambigus complices,
"sur les révoltes et l'érotologie de Sakae Ôsugi,
"et de Noe Itô, dont la vie fut dédiée à la beauté du chaos."
EROS + MASSACRE
Un film GENDAI EIGASHA.
Avec la collaboration de BUNGAZUKA.
Production: Kijû YOSHIDA, Shinji SOSHIZAKI
Scénario: Masahiro YAMADA, Kijû YOSHIDA
Image: Genkichi HASEGAWA Musique: Toshi ICHIYANAGI
Lumière: Yoshio UNNO Décors: Tsuyoshi ISHII
Son: Yukio KUBOTA Montage: Hiroshi YASUOKA
Mariko OKADA
Toshiyuki HOSOKAWA
Yûko KUSUNOKI Etsushi TAKAHASHI
Masako YAGI, Taeko SHINBASHI, Kazuko INANO
Kinji MATSUEDA Kazunori MIYAZAKI
Takehiko TAKAGI Yoshisada SAKAGUCHI
Toshiko II, Midori TAMAI Daijirô HARADA
Kyûzô KAWABE Kikuo KANEUCHI
Un film de Kijû YOSHIDA
"Aéroport de Genève: Suite à l'explosion d'un avion israélien,
"des combats opposent la police à la Guérilla secrète arabe.
"Conférence de Paris: Toujours aucune avancée.
"Échec de la mission d'un mois d'Apollo 9."
Non: "Succès".
Je ne pourrai jamais oublier cet instant.
- Quel instant? - Cet instant.
Cet instant?
Une araignée descend du plafond le long de son fil.
Elle se balance dans le vide.
Je l'ai brûlée.
Elle dit alors: "Je tombe en brûlant, et meurs".
Qu'est-ce qui brûle, tu dis?
Moi...
Espèce de malade! Espèce de malade!
Kandata le brigand a épargné l'araignée.
Moi, je l'ai brûlée.
Pour occuper un temps saturé de vacuité...
Non, ça, ce n'est qu'une excuse!
Vide? Bien...
Regarde bien alors à quoi ressemble ta vie sentimentale!
Son image est pratique pour cacher l'état de désolation de ton cœur.
Encore récemment, c'était notre slogan!
Mais aujourd'hui...
Depuis cet instant, ces mots sont inscrits dans mon dos:
"Sakyamuni! Jette-moi en enfer!
"Je n'ai pas épargné cette araignée!"
Arrête un peu avec tes histoires débiles.
Mes histoires sont débiles, mais c'est parce que je ne dis rien.
- Qu'est-ce que tu regardes? - Tes jambes...
Les poils de tes jambes.
Qu'est-ce qu'ils ont, mes poils?
Est-ce qu'ils continueront de pousser après ta mort?
Et tu vas faire quoi maintenant...
Rentrer chez moi et dormir. Je veux dormir profondément.
Quand je dis "maintenant", je veux dire "plus ***".
Quels sont tes projets...
Je vais me marier.
Tu t'es engagé?
Et elle a dit oui?
Je viens de prendre ma décision.
Tu es étudiant, hein?
Tu finis quand?
Et tu as l'intention de faire quoi, après?
Dans un an et neuf mois peut-être...
Vraiment? L'avenir doit te faire peur.
Je ne comprends pas très bien de quoi tu parles.
Je te dis que tu as peur de l'avenir!
Pas spécialement: Je ne m'intéresse à rien.
Nous sommes venus prendre les cendres de Sakae Ôsugi!
Cet anarchiste a été exécuté.
- On vous interdit de l'enterrer! - Leur donnez pas!
Faut pas les laisser à la police!
Il aura les funérailles qu'il mérite!
- Les laissez pas les prendre! - Bande de hors-la-loi!
Il faut supprimer tout ce qui reste d'Ôsugi!
"J'ai fermement décidé de mourir d'ici 24 heures.
"Megumi."
"Megumi": Bienfait... bénédiction...
bénir... si on ne bénit pas...
bénir... bénir...
miséricorde... grâce...
qu'est-ce que...?
Pourquoi ne m'avez-vous pas répondu?
Je ne vous ai pas écrit par curiosité.
La pollution au cuivre de la rivière Watase
a entraîné l'abandon des villages de la vallée
il y a déjà 30 longues années. Je n'étais même pas née.
Et il y a plus de dix ans que le discours de Shôzô Tanaka
a fait grand bruit devant la Diète.
Je pensais naturellement que tout était rentré dans l'ordre.
Certains villageois ont tenu bon
et sont restés dans ce marécage désolé.
Aujourd'hui l'État les expulse pour construire un barrage.
Comme si, passé le scandale, il noyait ses enfants illégitimes.
C'est exactement la même chose! Mais personne ne s'en émeut...
Pas même une ligne dans les journaux!
Quand j'ai su cela,
j'ai cru recevoir une gifle en plein visage.
J'ai eu honte. Honte de mon ignorance.
Honte de moi, si ignorante des choses de ce monde.
C'est pourquoi je voulais vous parler:
Qu'auriez-vous fait s'il s'était agi de vous?
C'est dans ce but que je vous ai envoyé cette lettre.
Les cerisiers sont en fleur.
Ils l'étaient également ce jour-là.
Pour vous,
l'exigence de justice, toute puérile,
d'une petite provinciale comme moi,
n'est sûrement qu'un excès passager de sensiblerie.
C'est ce que vous a dit Tsuji?
Je le vois bien dire cela:
"Au lieu de penser à tout cela, pense davantage à qui tu es."
"Parce qu'une des femmes nouvelles du mouvement Seitô,
"ce groupe de jeunes bourgeoises en mal d'occupation,
"s'est émue par hasard de la tragédie du village de Yanaka,
"elle m'abreuve d'inepties, comme frappée de fièvre..."
C'est ce que vous pensez, n'est-ce pas?
"Que peuvent ces femmes nouvelles?"
- Mais je... - Moi non plus je ne peux rien faire.
Regardez derrière.
Je suis surveillé 24 h sur 24 grâce à l'argent des impôts.
Un anarchiste sans bras pour agir,
est comme un canard auquel on a arraché les ailes.
Un canard?
Cancaner, c'est tout ce que je peux faire.
Cette façon de parler ne ressemble guère à l'Ôsugi que je connais.
C'est pourtant mon vrai visage.
Un canard!
Le canard a écrit une réponse de canard.
Mais il ne l'a pas envoyée.
Parce que les phrases en étaient si longues
qu'on aurait pu la prendre pour une lettre d'amour.
Les fleurs de cerisiers...
Elles dansent devant mes yeux...
Les fleurs de cerisiers?
Elles sont si belles!
Là où je suis née, à Imajuku,
elles fleurissent une semaine plus tôt qu'à Tokyo.
"Au printemps de mars,
"Rescapés du massacre, nous dansons parmi les fleurs..."
Ce jour-là aussi les cerisiers étaient en fleur.
Lorsque je suis sorti de prison,
Shûsui et les autres n'étaient plus là...
Tous avaient été tués...
Nous dansons parmi les fleurs... Parmi les fleurs.
À cette époque aussi, les cerisiers étaient en pleine floraison.
Mes cerisiers...
Avant même qu'il ne puisse m'approcher,
je me suis enfuie le soir même de mon mariage.
Je ne pouvais supporter d'être prisonnière
ni de vieilles traditions, ni de ce rôle d'épouse.
Et Tsuji, après avoir accueilli cette oiselle,
l'a soignée comme la femme qu'il aime.
Maintenant qu'elle en a épuisé les ressources,
l'oiselle bat à nouveau des ailes.
Je n'apprécie ni qu'on se moque de moi, ni qu'on me surestime.
C'était un avis on ne peut plus sincère...
Cette maison...
J'étais censée m'être enfuie d'une maison percluse de vieilles traditions,
mais quand j'ai recouvré mes esprits,
je me suis vue telle qu'avant, prisonnière de la même maison.
La maison de Tsuji...
Voudriez-vous rejouer la fugue de cette "Nora"
qui a tant de succès ces jours-ci au Théâtre Impérial?
Je vous ai dit que je dé*** qu'on se moque de moi...
S'enfuir n'est pas la question.
Mais de savoir quoi faire ensuite.
S'enfuir est le seul moyen de le savoir.
Comment pourrait-on le savoir avant de partir?
- Noe... - Je suis sérieuse!
J'y pense depuis déjà plus de six mois.
Êtes-vous consciente de ce que vous dites?
M. Ôsugi,
où est passée votre habituelle forfanterie?
Vous n'êtes qu'un pleutre.
Je...
Je suis enceinte!
Vous vous souvenez de la 1re fois que je vous ai rencontré?
J'ai déjà accouché.
Je l'ai prénommé Ryûji. "Ryûji Tsuji".
C'est un beau nom, n'est-ce pas?
Mais je ne vous mens pas quand je dis que je suis enceinte.
De quoi s'agit-il, je ne le sais pas encore.
C'est tellement complexe. Et si nouveau!
C'est l'unique chose, l'unique savoir
qu'une femme puisse acquérir en propre.
C'est son unique moyen d'agir!
Je crois que je vous comprends.
Mais que comptez-vous faire?
Il y a Yasuko Hori, votre femme,
mais aussi Itsuko Masaoka, votre si brillante maîtresse...
Et moi, en plus de cela...
- Pourquoi les brûles-tu? - Détends-toi.
Vas-y! Brûle!
Voilà, ça brûle.
Pas ça. Je te parle d'autre chose.
Je l'ai lu:
Il y a dans ton subconscient des obstacles que tu ne soupçonnes même pas.
Des traumatismes d'enfance... Des obsessions.
C'est ce qui explique ta manie de jouer avec le feu.
Tu refuses d'admettre que tu es un adulte.
La psychanalyse m'ennuie.
On ne sait jamais si le médecin lui-même est normal.
Si le psychiatre est tordu, ça n'a aucune valeur.
Dis! Tu crois que tu pourrais me faire brûler?
Allez, brûle-moi!
O.K., stand-by.
- Ça tourne! - Action!
- J'y vais, moi. - Où ça?
Chez Megumi. Elle dit qu'elle va mourir.
- Qui ça? - Megumi.
- Laisse-la si elle veut mourir. - Tu as raison.
Mais ce n'est pas possible.
Fais ce que tu veux.
À plus ***...
Cut! Once more!
Excusez-moi, êtes-vous bien Eiko Sokutai?
Oui. Si vous avez quelque chose à me dire, dépêchez-vous.
Eiko Sokutai. Étudiante. 20 ans.
Faculté de design de Tokyo.
Spécialité: Esthétique de l'information.
Domicile légal: Préfecture de Gifu. Adresse actuelle...
Dépêchez-vous!
Le 28 février dernier à 19 heures, au snack-bar Le Fairmont,
vous avez rencontré un homme, n'est-ce pas?
Oui, j'ai rencontré un homme, j'en rencontre tous les jours.
À Tokyo, il y en a 5 300000.
That's good, stand by!
Ça tourne!
Action!
Effectivement.
Sans les enfants de moins de 9 ans, cela fait encore 4 200000.
Tous souffrent d'impuissance chronique.
Vous voulez quoi au juste? Vous êtes journaliste?
- Inspecteur d'assurance? - Arrêtez de rire!
Vous êtes des mannequins! Pas des femmes!
Ça tourne. Action!
Je suis inspecteur de police.
Vous êtes soupçonnée de prostitution.
Aucune expression! C'est ça, être comédien!
Tu sors encore?
C'est le jour de bouclage de la revue.
Lorsque j'ai succédé à Aichô,
les gens disaient que je ne tiendrais pas 2 numéros.
Mais le quatrième est sur le point de sortir!
Quatre, déjà?
Tu m'as promis ton aide, mais j'attends toujours.
Cette revue est la tienne, tu en fais ce que tu veux.
Mais parfois, j'aimerais pouvoir me reposer sur toi.
Tout ce que je pouvais faire pour toi,
je l'ai déjà fait.
Tu parles comme si tu voulais t'éloigner très loin de moi.
Oui. Tout ce qui te tombe sous les yeux,
tu le déchiquètes avant de l'absorber.
Je n'ai pas envie de connaître le même sort.
C'est toi pourtant qui m'as incitée
à étudier pour parfaire ma formation.
Oui! Et assurément, tu as fait des progrès!
À seulement 20 ans, rédactrice en chef de Seitô,
militante acharnée de l'émancipation des femmes,
et enfin, épouse du paresseux Jun Tsuji
et mère de Makoto et Ryûji.
Qu'essaies-tu de me dire?
"Émancipation des femmes": Tu n'as que ces mots à la bouche!
Bien sûr, il faut que la condition des femmes s'améliore.
Mais, et cela vaut aussi pour moi, je ne cesse de me demander récemment
si, jusqu'ici, nous sommes parvenus à fabriquer autre chose que des mots.
"Émancipation des femmes". "Modernité".
"Ego".
Mais qu'est-ce que tout cela?
Toi qui cries à la libération des femmes, tu es incapable de t'occuper de Makoto,
comme tu es incapable de tenir une maison.
Pardon, je ne cherche pas à faire de l'ironie.
J'ai beaucoup de respect pour ta faculté d'action,
c'est ce qu'il y a de mieux en toi.
La restauration de Meiji... La civilisation...
Bien sûr aujourd'hui il y a le train, les immeubles de 20 étages à Asakusa...
Nous avons un Parlement.
Cependant, j'ai beau jouer de ce shakuhachi,
je ne parviens pas à me consoler.
"Ne cherchez pas la liberté dans l'abnégation,
"mais cherchez-vous vous-même... Soyez un Moi tout-puissant."
C'est toi qui m'as enseigné ces mots de Max Stirner.
Mais c'est pourquoi j'ai arrêté de travailler!
Lecture, sieste...
Je fais ce que je veux quand je le veux.
Je me consacre entièrement à moi-même.
Mais j'ai l'impression qu'ainsi je peux voir bien plus loin.
Tu regardes toujours trop loin!
Pourquoi n'essaies-tu pas de regarder près de toi?
Les paysans de Yanaka
vont peut-être mourir de froid demain,
mais tu ne veux même pas les voir!
Je sais!
Être capable de voir loin peut être douloureux parfois.
"Émancipation des femmes... modernisation"...
Mais quand y parviendra-t-on?
Dans 50 ans, dans 70 ans? Je n'en sais rien.
Nous sommes aujourd'hui en 1916,
les trains vont même jusqu'à Kyûshû.
Pourtant...
D'où vient cet intense aiguillon de lumière
qui, de l'intérieur, change peu à peu l'ego en absence?
Ce vide grandit de jour en jour,
comme en prévision de cette époque
où la liberté des femmes sera enfin acquise.
Voilà ce dont j'ai l'impression.
Moi,
je t'aime.
Beaucoup.
Hélas, tu n'as plus besoin de moi.
Si. J'ai besoin de toi.
Les hommes naissent libres.
Malgré cela,
ou justement à cause de cela, les hommes craignent cette liberté,
et n'aspirent qu'à être enchaînés.
Ainsi se détruisent-ils eux-mêmes.
L'amour...
Même cet amour... a tué toute liberté entre nous.
Tu le sais très bien.
Tu es comme un oiseau qui ne cesse de battre des ailes...
en toute liberté.
J'aurais beau te demander de rester dans cette maison,
tu ne le pourrais pas de toute façon.
Je ne suis pas du genre à aller contre le vent.
Toi, dès que le vent souffle,
tu cherches à aller contre lui.
Je reviens.
Quand je t'ai dit d'oublier les paysans de Yanaka,
tu avais l'air furieuse.
Laissés-pour-compte depuis 30 ans,
abandonnés dans les eaux froides d'un lac de barrage,
ces paysans restent obstinément attachés à cette terre:
Je me suis dit soudain que ce quelque chose, dans leur cœur,
qui soutient leur détermination,
était peut-être plus fort que ma propre vacuité.
Voilà pourquoi je t'ai parlé ainsi.
- Je ne comprends pas. - Tu ne comprends pas.
Moi non plus, je ne comprends pas.
C'est pourquoi j'essaie d'aller plus loin.
Makoto pleure.
Occupe-toi de lui, s'il te plaît.
Tu as pris les escaliers.
Du rez-de-chaussée au 1er étage, du 1er au 2e étage.
Enfin du 2e au 3e étage.
Je suis montée du 2e au 3e étage!
Tu es rentrée dans une chambre à l'écart des autres.
Je suis rentrée dans une chambre secrète!
Tu as enlevé tes vêtements.
J'ai enlevé mes vêtements!
- Pour quoi faire? - Le client aime ça.
Si le client n'est pas content, tu n'as pas d'argent.
Tu es nue maintenant.
Je suis nue maintenant!
- Puis tu as dit... - Puis j'ai dit...
- Allez, dis-le. - Mais quoi?
Qu'est-ce que j'en sais? C'est toi qui l'as dit.
Allez, dépêche-toi.
- Qu'est-ce que tu as dit? - J'en sais rien.
C'est pourtant toi qui l'as dit.
"Bonjour", un bonjour de 1970.
Non, c'est pas ça...
"Bonjour, homme". "Bonjour, amant".
"Bonjour, client."
C'est mieux.
Et ensuite?
Tu lui as montré la marchandise...
Je lui ai montré...
Tel est le crime qui a été commis le 28 février dernier,
à 19 h 20.
Tel est le crime que j'ai commis le vingt... le vingt...
- huit... ...au soir.
Dites, pourquoi faut-il une date?
Cela dit, il en faut plus pour parler de crime.
- L'homme a été tué? - Ne dis pas n'importe quoi,
la cassette tourne toujours.
Cela pourrait servir de pièce à conviction.
Tu as fait l'amour.
J'ai fait l'amour, avec cet homme.
Avec mon amant!
Avant de quitter l'hôtel, tu as touché de l'argent.
Combien?
Qu'est-ce qu'il est chiant, ce jeu!
Si on continue, vous ne voulez pas plutôt que je le tue?
Je lui fracasse la tête avec un vase!
La somme, s'il te plaît. Il reste plus de 6 mètres de bande.
Je lui sectionne la carotide avec des ciseaux.
- La somme? - 300 yens.
Réponds sérieusement.
J'ai essayé de proposer 4 000 yens, mais je me suis mise à bégayer,
et quand je bégaie, je n'arrive plus à prononcer les "ke".
Ka. Ki. Ku.
Ké. Ko.
Donc j'ai dit 300 yens. Ça vous va?
3000 yens? Pas cher...
- L'homme a été tué? - Il est vivant.
L'homme n'est pas poursuivi.
Selon la législation de notre pays, ceux qui paient ne sont pas des criminels.
On peut sûrement nous accuser d'injustice...
mais nous devons dénoncer les crimes,
leurs causes et le système dont ils participent,
si nous voulons éradiquer le mal.
Je te remercie pour ta collaboration.
Redis-moi ton nom.
Eiko Sokutai."Ei" comme dans "ABC" en anglais,
"Ei" comme "Éternel", "Éternité",
"À jamais", "Sommeil éternel"... Enfin, comme vous voulez.
Suis-je ou non cette femme? Pour moi, cela n'a aucune importance.
Et ça n'en a pas, parce que pour moi, "je" n'existe pas.
Vous saisissez?
Si cette femme n'était pas moi,
pour moi elle serait une autre, mais pour moi, "je" n'existe pas.
C'est-à-dire que mon "moi" n'existe pas.
Par définition, le moi n'existe pas.
Et si le moi n'existe pas, autrui non plus ne saurait exister.
Les autres existent à partir du moment où j'existe moi-même.
S'il n'y a plus de distinction entre moi et autrui,
personne ne peut savoir si cette femme
est moi ou une autre. La chercher est inutile.
Depuis le début, cette femme n'est nulle part!
Très bien.
Si de l'autre côté de la porte de cet hôtel
quelqu'un a pris ta place,
j'aimerais que tu me donnes le nom de cette personne.
C'est ça, nous avons peut-être échangé nos places,
même si nous deux étions un seul et même "je".
C'est un procédé courant du milieu de la prostitution.
On leur montre une vraie perle pour leur vendre du toc.
Rentre chez toi.
Il s'agit d'attendre notre heure. Exactement.
Il est parfois nécessaire de jouer les agneaux.
Tout mouvement est aujourd'hui voué à l'échec.
Devant nous se dresse un mur bien trop épais.
Face à lui, nous serions obligés de reculer.
Nous ne pouvons nous satisfaire de cela.
C'est pour ça qu'il faut rester immobiles.
Vous dites qu'il faut lancer l'assaut immédiatement.
Mais attendre le moment propice et jouer les agneaux
exige autant de détermination et de courage.
Tu passes ton temps à ne rien faire parce que tu as peur!
Ton discours est celui d'un lâche et d'un feignant!
Une occasion, ça ne s'attend pas, ça se crée!
Si tu sortais maintenant, que trouverais-tu?
Un désert de pierres à perte de vue, une prison,
et au bout, qui t'attend, une potence!
On vous tirera comme des lapins!
J'ai déjà attendu deux ans!
Rien ne s'est passé! Rien n'a changé!
Mourir comme des chiens à force d'attendre?
Pas pour moi, merci!
Je ne veux mourir ni comme un chien ni bêtement.
J'ai entendu la même chose il y a deux ans.
Et je me suis dit alors que le mode d'action adéquat consistait
à investir le terrain neutre qu'offre la littérature,
et à publier La Pensée moderne.
De la *** intellectuelle! Il ne peut rien en sortir!
J'en ai marre!
De la *** intellectuelle? Bravo!
Un brillant trait d'esprit!
Affirmation de l'ego,
perfectionnement de l'individu... Très bien, je suis pour.
Mais il n'y a qu'en rêve que l'individu puisse
gouverner le monde et satisfaire son ego.
Parce qu'en ce monde, les murs qui l'oppressent sont épais.
Renoncer à résister malgré son ressentiment,
se replier dans sa coquille comme un mollusque:
L'éternelle insoumission d'un éternel vaincu...
Fuir loin de la société...
Tout cela n'est qu'une philosophie de prisonnier.
Exactement.
Les prisonniers de la pensée en ont eu assez et ont sabordé La Pensée moderne.
Ils voulaient agir véritablement, redonner vie au Journal du peuple,
mais aux tabous s'ajoutant les interdictions de publier,
ils se retrouvent pieds et poings liés.
On est bientôt en mars! C'est le printemps!
Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir foutre maintenant?
Ça, je te dis, ça!
Gourdins ou explosifs?
Prendre cette voie-là revient à mourir comme un chien.
Vous êtes impatients d'arriver en haut de la montagne.
Bien sûr, les hommes sont capables d'atteindre le sommet,
mais n'oubliez pas qu'ils ne peuvent y vivre bien longtemps.
Sakai! Au début tu parlais d'agneaux et de chiens.
Serions-nous maintenant des singes qui escaladent une montagne?
Des singes qui ne cessent de glisser et de retomber?
Oui, c'est à peu près ça.
Des singes qui ignorent qu'ils ne pourront pas vivre au sommet!
Atteindre le sommet suffit amplement.
Qu'est-ce que tu dis?
Cette liberté qui permet d'atteindre les sommets...
voilà ce que je veux saisir!
Grimper sans relâche jusqu'aux plus hauts sommets de l'existence.
Et quand nous y serons parvenus,
nous connaîtrons l'extase de la liberté.
Quand surviendra la grève, une grève sans motifs économiques,
mais une grève générale
portée par le courage et l'ardeur d'un individu
avide de connaître cette extase,
les travailleurs seront libérés de leur éternel asservissement.
Ils écriront eux-mêmes l'histoire et dicteront les valeurs.
Ôsugi, tes théories sont ou trop personnelles,
ou trop littéraires, pour qu'on te suive.
Elles ont tout l'air d'une philosophie vitale, mais...
Qui a dit que tu ne parlais pas
de la Vie universelle, mais de vie sexuelle?
Pas moi en tout cas!
Peu importe... En réalité,
cette "grève pour la vie" est impossible.
On ne peut même pas publier une revue: Voilà la réalité.
Il est difficile de faire bouger la réalité.
Rester pour autant les bras croisés serait une mort stupide.
Demain, nous sommes en mars.
Qu'est-ce qu'on va faire?
L'amour? La révolution?
Les deux! Si ça ne marche pas avec Le Journal du peuple,
on reconstruira La Pensée moderne.
Il faut aussi concentrer nos efforts sur les travailleurs,
et ouvrir un groupe de recherche sur le syndicalisme.
Je vois...
Refaire encore les mêmes erreurs!
Ça vaut toujours mieux que de rester là à bâiller!
L'échec vaut mieux que l'inaction!
Tiens, quand on parle d'amour, Ôsugi,
ta femme chérie, ou plutôt...
ta compagne d'infortune depuis huit ans vient t'apporter ton colis.
Dehors, c'est déjà le printemps. Il fait chaud.
Je vous ai apporté des vêtements légers.
Ah? Je te remercie.
À vous voir, vous formez un couple parfait.
On ne dirait vraiment pas que tu es fou
d'Itsuko Masaoka, brillante et fameuse angliciste,
devenue depuis journaliste au journal Tônichi!
Ce qu'on raconte est-il vrai?
Oui, c'est vrai.
Et tant que j'y suis, autant vous dire que j'aime également Noe Itô.
Voilà où nous en sommes! Le mouvement est dans l'impasse,
nous sommes pieds et poings liés: L'échec complet!
Du coup, monsieur se passionne pour les femmes! Tu parles!
Le mouvement, l'amour, pour moi c'est la même chose!
Je n'établis aucune distinction.
Aujourd'hui encore,
j'aime Yasuko du plus profond de mon cœur.
Mais mon esprit ne peut se consacrer à elle seule.
S'il n'est pas libre, l'amour meurt.
C'est mon intime conviction. Yasuko le sait déjà.
Je n'ai rien entendu.
Je suis la femme de Sakae Ôsugi.
Sa seule et unique femme.
Exactement!
Tu as beau brandir tes grandes théories sur l'amour libre,
on dit que tu as même mis le feu à ton kimono pour séduire Yasuko.
Tu es allé jusque-là pour bâtir ce couple.
En voilà une bonne!
C'est pourtant vrai.
À cette époque déjà, je parlais sérieusement.
Je cherchais l'amour et la liberté.
Elle est encore absente, n'est-ce pas?
Elle va rentrer très bientôt.
Je ne comprends absolument rien à ce que fait Noe ces derniers temps.
Tu trouves qu'elle a changé?
Nous avons grandi ensemble depuis l'âge de 7 ans,
depuis que sa famille a été acculée à la ruine.
Nous portions les mêmes vêtements, mangions les mêmes plats.
On aurait dit des sœurs jumelles!
Avant je savais ce qu'elle pensait à tout moment, mais récemment...
Mais nous avons des caractères tellement opposés!
À 18 ans, elle s'est précipitée pour se marier avec toi.
Moi, à plus de vingt ans, je ne sais toujours pas avec qui me marier!
Oui?
Noe!
Tu t'éloignes de moi...
J'attendais ce jour depuis le début, sans qu'il n'arrive jamais.
Je pense ainsi maintenant...
Jun!
On dirait que le vent s'est levé, n'est-ce pas?
Noe dit que ce jour-là, les cerisiers étaient en fleur.
Moi, je ne me souviens que du vent glacé.
Je suis Haruko Hiraga.
...Aichô Hiraga.
Oui... Pardon!
J'essayais de voir en quoi vous êtes différente
de l'image que je me faisais de vous.
Alors, suis-je très différente?
Non, absolument pas.
Enfin, peut-être s'agit-il d'un mensonge.
Mais votre article dans Seitô m'a vraiment bouleversée!
"Aux temps primitifs, la femme était le soleil.
"Aujourd'hui, elle est la lune.
"Elle vit et brille grâce à un autre.
"Il nous faut aujourd'hui retrouver notre soleil enfoui."
Et quelle image vous faisiez-vous donc de moi?
Je ne peux pas vous le dire.
Vous imaginiez une femme bien plus âgée, n'est-ce pas...
Avez-vous bien reçu l'argent pour le voyage?
Oui, j'ai pu ainsi bondir hors de chez moi pour vous rejoindre.
Oh! J'allais oublier de vous remercier pour cela!
Je vous rendrai cet argent dès que j'aurai du travail.
Quelle drôle de personne! C'est inutile! Gardez-le.
Bien! Je n'insiste pas!
Itsuko Masaoka.
Je m'appelle Noe. Enchantée!
Votre nom m'est connu depuis longtemps,
vous êtes l'étudiante la plus brillante de l'Université d'anglais.
Ma collaboration à Seitô prend fin aujourd'hui.
Quel dommage!
Il y a une limite qu'un groupe de femmes ne peut dépasser.
Nous devons investir cette société masculine.
Un parti de femmes a beau être isolé,
parmi les hommes, vous ne vaincrez jamais les discriminations.
L'égalité se conquiert.
J'ai décidé de devenir journaliste pour le Tokyo Nichinichi.
Bien. Bon courage...
Portez-vous bien, "Aichô"...
La lecture de votre lettre
a suscité de nombreuses discussions parmi nous.
"Cette personne écrit avec une détermination toute masculine.
"Il existe en province une femme qui,
"bien qu'elle ait vécu 18 ans dans une région de misère,
"raisonne avec rigueur et s'exprime avec clarté!
"Cela prouve que notre mouvement
"est enfin devenu réalité."
"Réalité"? Mais...
Vous n'êtes pas sans savoir
que Seitô passe pour n'être
qu'une distraction de jeunes bourgeoises...
Mais en vérité,
il y a au Japon énormément de femmes comme vous, esclaves du système familial,
de traditions anciennes, de la misère.
Les libérer de ce joug,
voilà quel était notre but.
Ce combat est le vôtre,
mais il n'est pas le combat d'une femme seule.
Nous devons unir nos forces, et faire tout notre possible.
Mais je n'ai pas d'autre choix:
J'ai été élevée dans une famille de paysans pauvres du Kyûshû...
Qu'allez-vous faire maintenant?
Pour me loger, j'irai chez Jun Tsuji, mon ancien professeur.
Mais vous devez aussi penser à subvenir à vos besoins...
Je le sais.
J'ai du travail pour vous.
Dans le comité de rédaction de Seitô.
Je cherchais quelqu'un comme vous pour participer à la revue.
C'était mon objectif depuis le départ.
J'accepte avec joie! Je commencerai dès demain!
C'est cette fenêtre dont vous parlez dans la revue, n'est-ce pas?
Je peux l'ouvrir?
Le vent est froid.
Je voulais tant regarder par cette fenêtre.
Je me demandais ce que l'on y voyait.
Rien qu'un paysage très banal.
Pruniers et bambous. Pivoines au printemps.
La lune d'automne. La neige en hiver...
Et encore...
Un jour ou l'autre, vous...
Vous êtes celle qui arrachera le fruit
que nous avons fait pousser avec tant de soin.
Il fait de plus en plus froid: C'est bizarre, non?
J'étais en train de me dire: Je ne sais même pas où on va.
Pourquoi est-ce que je roule? Ça fait déjà deux bonnes heures...
- C'est quoi, le temps? - C'est le pôle Nord ici, ou quoi?
Le chauffage marche pas. Il est en panne.
Remercions la civilisation pour nous avoir donné le froid.
J'ai pigé! En fait j'accompagne une prostituée!
Nous fuyons!
Si encore c'était ça... Hélas, on va seulement secourir quelqu'un.
Je me demande si Megumi est déjà morte...
- Je parie que oui! - Moi aussi. Mais on parie quoi?
Un pari, ça marche pas comme ça.
Si on va à un enterrement, c'est pas vraiment la peine de se presser.
J'en peux plus... Arrête-toi!
Je cherche l'hôpital, ma femme a avalé des médicaments!
Laisse-la tranquille! Tu vas juste l'obliger à recommencer.
- L'hôpital! - On sait pas où on est.
Et il fait super froid.
Tous ceux qui prennent ce chemin
laissent leurs espoirs derrière eux.
Si elle a prévu de sauter, c'est parfait.
J'ai embrassé Noe.
J'ai embrassé Noe.
Elle est amoureuse de moi.
C'est pour me dire ça que tu es venu?
Tu es une femme cultivée et intelligente.
Tu comprends forcément ma façon de penser.
Oui... Je sais.
J'ai déjà dû te le dire au début de notre relation.
Je suis marié avec Yasuko, une femme d'avant, sans éducation.
Mais son caractère convient à la femme d'un révolutionnaire.
Je lui cause beaucoup de peine. Mais je l'aime.
Comme je t'aime, toi.
Et comme tu aimes Noe?
Très bien.
Je me réjouis pour toi, du plus profond de mon cœur.
Trois personnes peuvent tout aussi bien s'entendre.
Si toutefois nous respectons trois conditions.
Quelles conditions?
Un: Nous devons être financièrement indépendants les uns des autres.
Deux: Sans habiter avec aucune de vous,
je vivrai séparément avec chacune.
Trois: Nous devons respecter la liberté de chacun.
Liberté qui comprend bien évidemment les relations sexuelles.
J'ai beaucoup d'amis,
mais parmi eux, aucun ne se plaint jamais qu'untel
ne lui témoigne pas suffisamment d'amitié.
Nous sommes amis en toute équité, en toute égalité.
Notre amour également repose
sur cette même égalité et la conquête de notre liberté.
Dans ce cas,
j'aurais souhaité que tu tiennes ta promesse.
Une promesse? Quelle promesse?
La première nuit que nous avons passée ensemble...
Tu n'as pas pu oublier.
Je t'en ai parlé cette nuit-là.
Le mariage n'a pour moi aucune valeur.
Je m'en suis convaincue en observant longuement mes sœurs,
lorsque je vivais auprès d'elles et de leur mari.
Aujourd'hui le mariage n'est plus capable d'assurer le bonheur des femmes.
C'est pourquoi je n'ai aucune envie de me marier.
Puisque je ne crois pas au mariage, j'ai pu t'aimer sans jamais ressentir
la moindre culpabilité envers Yasuko, ni même sentir sa présence.
Mais en contrepartie, j'ai résolu
de décider seule et entièrement de ma vie,
quelles que soient les difficultés que je puisse rencontrer.
Je t'écoute. De quelle promesse s'agit-il?
Tu cherches à me dire que Noe est différente de Yasuko?
Non! Je t'ai dit la même chose quand il n'y avait que Yasuko.
Je voulais que tu gardes notre relation secrète.
Au lieu de cela tu as tout dit à Yasuko.
S'il ne s'agissait que de Yasuko... Tes camarades eux aussi...
J'ai beau chercher, je ne vois aucune raison de le taire.
Mais nous aurions été à l'abri de tous!
Nous aurions pu nous voir librement!
Librement...
Tu veux dire en nous terrant pour fuir les rumeurs...
Je ne crains ni les rumeurs, ni ceux de tes camarades
qui restent attachés à la monogamie.
Mais nous ne pouvons pas changer complètement leur façon de penser.
C'est pour cela que, pour préserver notre amour...
Tu n'as pas à te soucier d'eux. Ignore-les.
Un jour ou l'autre, le monde nous suivra. Mais nous serons attaqués
tant que nous chercherons à nous défendre.
Tu te permets de dire cela parce que tu es un homme.
Quand j'avais 18 ans, j'étais amoureuse d'un homme marié.
J'ai tenté d'aller au bout de cet amour, mais c'était impossible.
Non seulement ma famille, mais le monde entier nous a forcés à nous séparer.
Se soumettre aux règles de la société? Se cacher à Hikage?
Tu penses que nous serons libres à Hikage?
Essayons déjà de respecter ces trois conditions.
Pour être réellement libres.
Mais je suis une femme, moi.
Tu dis que tu veux fuir les responsabilités et les ennuis...
La dernière fois encore...
Tu me demandes de ne pas faire d'enfants, c'est ça?
Bien, si c'est ce que tu souhaites.
J'imagine que c'est ta deuxième condition.
Et la troisième?
Dis...
Tu n'es pas obligé de rentrer aujourd'hui...
Quand j'ai embrassé Noe,
elle était haletante...
Son tremblement s'est communiqué jusqu'à moi...
J'en ai moi-même été surpris.
Tu fais exprès de rendre la situation plus impossible encore.
On dirait que tu y prends plaisir.
Tu rentres chez Yasuko, n'est-ce pas?
Attends!
Tu as sûrement besoin d'argent...
En fait, je ne sais pas grand-chose de toi.
- Tu es étudiant? - Qu'est-ce que j'en sais!
Yakuza alors?
Je t'ai vue coucher avec d'autres, mais je n'ai jamais couché avec toi.
Ça s'appelle l'"impuissance psychogène".
C'est faux!
C'est pour ça que je veux coucher avec toi!
Tu acceptes...
Nous allons à l'hôtel...
Mais non, j'ai plus envie!
Tu refuses!
Dis-le!
C'est mon tour, maintenant?
C'est non! Je refuse.
Alors moi, tout à coup,
je bondis et te frappe au creux de l'estomac!
Toi, tu gémis et tu te plies en deux.
Je me plie en deux.
Je te tiens les bras par-derrière, et j'essaie de te plaquer au sol.
Tu te débats!
Continue, ça me plaît beaucoup.
Ma main s'est refermée sur ton cou...
Ta main s'est refermée...
Mais dans un ultime effort, tu résistes!
Je résiste!
Ta jupe est relevée, tes sous-vêtements déchirés.
Je m'introduis...
Tu t'introduis en moi!
Attends! Tu vois?
Des gens courent, il y a un attroupement.
Il y a eu un accident!
Qu'est-ce qui s'est passé? Dis-le-moi!
Un meurtre? Une révolution? Une collision?
Il y a trop de gens, je ne vois rien!
Faut qu'on s'approche!
- Vous avez assisté à l'accident? - Oui.
- C'était effrayant! - Dites-nous ce qui s'est passé.
Une immense grue est tombée d'un coup!
Les câbles de soutien ont lâché l'un après l'autre.
Pour quelle raison ont-ils lâché?
- Un câble de soutien lâche forcément! - Et après?
À la grue était suspendue une nacelle.
Qu'est-ce qu'il y avait dans cette nacelle?
- Qu'est-ce qu'il y avait... - On échange les rôles.
C'était pas une nacelle.
C'était une arche de fer!
Qui sert à quoi?
Elle devait nous permettre de survivre à la catastrophe.
Mais elle est tombée!
16 tonnes tombant
- à la vitesse de 82 km/s. - Et alors?
Elle est tombée sur un bus qui passait dessous au même moment.
Et le bus...
Le bus...
C'était le bus d'une maison de retraite, il était plein de vieux!
Le lieu de l'accident offre une vision du 4e cercle des Enfers.
Une mer de sang et de chair!
Une petite sacoche roule dans le caniveau, c'est impressionnant.
La voici! Regardez! Il y a une poupée à l'intérieur.
Elle devait être pour sa petite-fille.
Cette petite vieille avait vraiment
- une petite-fille? - Ce petit vieux!
Qui te dit que c'est une petite vieille?
Écarte-toi! Il faut secourir les blessés.
Écarte-toi! Encore!
Encore! Encore!
Tu n'as rien à faire dans ce monde!
Vous aviez raison, je l'ai conduit jusqu'à la chambre.
Quand il est entré, une autre fille l'attendait à l'intérieur.
Tu m'as fait venir exprès pour me dire ça?
Oui. Qu'est-ce que j'aurais d'autre à vous dire?
Qu'est-ce que tu essaies de me faire croire?
Mais j'ai vraiment servi d'intermédiaire! C'est la vérité.
Voici ma commission.
Je viens de la toucher.
Arrête ton cirque.
Vous ne me croyez pas...
Qu'est-ce qui te prend de faire ça?
Ce n'est pourtant pas très difficile à comprendre.
Vous avez bien voulu faire de moi
une criminelle, une suspecte. Vous m'avez donné un objectif.
L'endroit se trouve... Non, cherchez vous-même.
Avec votre flair, vous trouvez même des crimes qui n'ont pas eu lieu.
Je vous offre moi aussi un objectif, en guise de remerciements.
Vous êtes persuadée de mener une vie malheureuse.
Vous pensez qu'une vie sans but n'est pas une vie.
Mais la vie n'a pas de but.
La vie est malheureuse.
Une chose est certaine: Chacun de nous va mourir.
À part ça, personne ne peut prétendre connaître l'avenir.
C'est pour ça qu'on voudrait vivre dans son imagination.
Vivre... Mais vivre n'est que souffrance.
Ma mère assassinée m'a appris que la vie est un combat.
Un combat, parfaitement! Est-ce que ce n'est pas ça, vivre?
Assassinée?
Par qui?
Nos pères!
Votre imagination est volontiers ennuyeuse.
L'imagination, qu'est-ce que c'est?
C'est le fantasme des pauvres.
À défaut de devenir riches, ils font marcher leur imagination.
Ils rêvent de révolution.
Cet homme devant moi, qui parle au téléphone,
qu'a-t-il fait de la main gauche pendant ce temps?
Il commence à imaginer quelque chose,
puis il agit en confondant la réalité avec son imagination:
À la seconde où il en prend conscience,
ses actes se matérialisent dans mon monde à moi.
Voilà précisément ce que l'on appelle un crime.
Et moi, immédiatement...
Je le flaire. Je me change en chien.
Et je l'arrête.
Pourquoi suis-je capable de faire ça?
Parce que je ne vis pas dans mon imagination.
Parce que je ne souffre pas.
Et parce que je ne crois pas à l'impuissance des hommes.
Vous savez, en ce moment même, une autre moi se prostitue.
Ceux qui souffrent,
ceux-là sont déjà en prison. Ou à l'asile.
Ce n'est pas la peine de les arrêter à nouveau.
Un mauvais rêve t'a réveillée ce matin, rien de plus.
J'ai déjà mis la main sur le réseau de prostitution que je cherchais.
Hier.
Je vais te montrer quelque chose.
J'ai décidé de te tuer.
Je l'ai acheté hier à Nihonbashi.
La lame fait 16 cm et demi. Il m'a coûté 50 sens.
J'ai donc décidé de ne pas te quitter.
Si je te quittais, je ne pourrais plus te tuer.
J'ai pris la résolution de te tuer.
Cette liberté qui est aux fondements de la vie...
Il faut rendre à la vie sa liberté...
La libération des femmes
est pour les hommes le...
Non, le bonheur de l'humanité entière réside dans la liberté.
Si je reconnais ta liberté et ton ego,
je l'écrirai noir sur blanc, dans un contrat...
Fondé sur ces trois conditions...
C'était un coup monté pour vous payer ma tête.
Pourquoi?
Pourquoi?
Il n'y a pas de coup monté. Eiko se fait seulement du souci pour moi.
Je m'incline devant tant d'amitié!
Attendez!
Je n'ai jamais couché avec un garçon.
Ne partez pas! J'ai peur!
Au secours! J'ai peur!
Soudain, j'ai ouvert les yeux.
Comme d'habitude, j'ai regardé l'heure.
Il était 6 h 37.
J'étais immobile. Je me suis rendormie.
Quand j'ai à nouveau regardé l'heure, il était 10 h 07.
Je me suis levée lentement, et j'ai regardé dans la glace.
Mon visage était rugueux.
Couvert de petites peaux.
J'ai mis un quart d'heure pour m'habiller.
J'hésitais: "Est-ce que je mets un jean ou une jupe?"
Je me suis dit qu'hésiter ne servait à rien, alors je n'ai rien mis.
Puis je suis allée dans la salle de bains. Je me suis brossé les dents.
Je me suis alors rendu compte que je venais de me les brosser.
Mais en fait, c'était hier matin.
Et hier matin, je pensais exactement la même chose!
La fenêtre de la salle de bains s'ouvre de 3 cm environ.
Le vent s'engouffrait par là.
Le vent tiède d'un printemps.
Je me suis penchée et j'ai regardé dehors.
Sur la route en face, un employé de voirie
essayait d'entasser des rouleaux de câble dans un camion,
sans y parvenir.
À chaque fois tout s'écroulait.
Quand il a fini par y arriver, je suis revenue ici.
Je ne me suis pas maquillée.
Je me suis juste passé un peu de crème.
Ces derniers temps quand je me maquille,
ou quand je mets du rouge sur mes lèvres, je me mets à trembler de froid.
Puis j'ai mangé.
J'ai bu une bouteille de lait. Une bouteille de 180 grammes!
De la laitue et la moitié d'une baguette.
Après je suis restée dans ce fauteuil à ne rien faire.
Une heure peut-être!
Puis je me suis souvenue que je n'avais pas arrosé les plantes.
Je les ai arrosées pendant une demi-heure.
Je les ai trop arrosées peut-être!
Et de nouveau, plus rien à faire.
J'étais encore assise dans ce fauteuil.
Alors le téléphone a sonné! Il était 11 h 12.
C'était l'agence immobilière pour la facture de téléphone.
J'ai simplement répondu "oui".
Puis, encore, plus rien à faire.
De nouveau, j'étais assise là.
Aidez-moi, je vous en prie!
Je vous en prie!
Y a-t-il un moyen de vivre sans avoir peur?
Une année entière à n'entendre que le bruit des voitures en bas...
Il faut que je m'accroche! Il faut que je m'accroche!
Reste calme.
Ne pense à rien.
Il ne faut pas que tu penses. C'est rien.
Rien.
C'est mon père.
J'ai envoyé un télégramme pour dire que j'allais mourir.
Mais je ne veux voir ni mon père ni ma mère.
C'est pour ça que je suis venue habiter seule à Tokyo.
Tu as un endroit à la campagne où rentrer.
Tu devrais être heureuse!
- Alors? - Non!
Je ne veux pas les voir. Je ne veux plus voir personne!
Dites-leur que je suis sortie.
Ne dis pas de bêtises.
Tiens. Sèche tes larmes.
Va ouvrir.
Où allez-vous? Vous rentrez?
J'ai envie de prendre des vacances.
De longues vacances.
Non, n'ouvrez pas!
Je vous en prie, n'ouvrez surtout pas!
Pendant qu'elles élèvent leurs enfants,
on dit que les femmes ne doivent rien faire d'autre.
Mais comme tu es trop indulgent avec Noe,
ne serait-elle pas devenue imbue d'elle-même?
Ne te fais pas de souci.
Si je l'empêchais de travailler,
elle deviendrait invivable.
Tout de même, elle exagère de s'absenter ainsi jusqu'au soir.
Je m'y suis habitué.
Habitué...
Pourquoi ne la grondes-tu pas?
Oh, tu sais, je ne suis qu'un paresseux,
tout juste bon à jouer du shakuhachi.
J'ai dû finir par la dégoûter un peu.
Viens ici.
Viens ici.
Pauvre Jun!
Pauvre Jun!
C'est curieux.
Encore tout à l'heure,
j'envisageais sérieusement d'aller vivre ailleurs.
Parce que tu es amoureuse d'Ôsugi?
Non!
Je pensais m'éloigner,
de toi et d'Ôsugi, pour réfléchir tranquillement.
Chiyo! Nous sommes du même âge...
Nous avons été élevées comme des sœurs jumelles!
Comment a-t-elle pu coucher avec toi?
Elle l'a fait par compassion, ni plus ni moins.
Quand en ce moment même,
j'éprouve combien la jalousie
peut être un sentiment violent,
comment peux-tu rester aussi impassible?
C'est tout ce que tu as à répondre à ta femme après 4 années?
Réponds!
Une épouse digne de ce nom
se comporterait-elle comme tu t'es comportée récemment?
"Je ferai tout pour révéler la vraie Noe,
"pour élever tes talents au point le plus haut qu'une femme puisse atteindre.
"Je ferai de toi une femme admirable"... Qui a dit cela?
Tu disais toi-même que je n'étais pas une femme ordinaire!
Tu as raison. Tu n'étais pas
une femme ordinaire.
Mais notre famille, qu'est-elle devenue?
"Notre famille..."
Ces derniers temps, ni toi ni moi
n'avons pu supporter de nous voir devenir
aussi ordinaires que ces gens que nous méprisons.
Nous sommes incapables de nous tromper mutuellement.
Deux personnes,
désespérées d'être unies l'une à l'autre
comme n'importe quel autre couple.
Et qui, n'en étant que trop conscientes,
sont pourtant retenues par le souvenir
des circonstances de leur union, l'état de la société, leurs enfants,
et leurs propres faiblesses.
Nous passons chaque journée
accrochés l'un à l'autre, par inertie, tout en riant de nous-mêmes.
Arrête!
J'en suis sûre désormais,
je t'aime!
Impossible!
Cela n'est plus possible.
Tu es énervée, rien de plus.
Tu as raison. La jalousie sans doute.
Une autre a couché avec ton mari.
Ton orgueil d'épouse est blessé.
- Cela te rend furieuse, c'est tout. - Non.
Je suis furieuse parce que tu as trahi ma confiance!
Je te parle de l'évolution de nos sentiments
depuis cet hiver.
À ce point d'éloignement,
on ne peut déjà plus parler de couple.
Dans ces conditions, il n'y a pas de trahison qui tienne.
Tu as beau te mettre en colère
pour cette offense à ta condition d'épouse sans substance,
n'est-ce pas l'expression d'une vanité un peu déplacée?
Comment? Comment peux-tu parler avec tant de calme et de détachement?
Je ne parviens pas à te comprendre!
Makoto sera probablement triste.
Mais au moins peux-tu tranquillement quitter cette maison.
Le cœur tranquille...
T'éloigner de moi...
pour aller là où bon te semble.
Non...
Je ne te quitterai pas...
Si c'est pour me dire de quitter Ôsugi, ce n'est pas la peine.
- J'en suis folle! - Même si c'est un espion?
Un espion? Qu'est-ce que vous voulez dire?
La rumeur circule parmi nos camarades.
À court d'argent, ce coureur aurait vendu ses services aux autorités.
Pour pouvoir entretenir toutes ses femmes?
Vous me faites rire! J'en ai les larmes aux yeux!
- Ôsugi... - Y a pas de quoi rire!
À moins que vous vouliez que j'enquête?
Bien.
Si j'apprends quelque chose, je vous le dirai.
Mais qu'il soit un espion ou non, je n'en ai rien à faire.
Ôsugi est juste l'homme que j'aime.
Noe?
Je vous remercie de ne pas ouvrir cette porte.
Je ne suis pas une femme curieuse.
Je ne tiens pas à tout voir.
J'ai beau être la femme de mon mari,
suis-je obligée de voir le visage de celle qui prétend devenir sa maîtresse?
À ma place, vous penseriez sûrement la même chose.
Y a-t-il autre chose?
Si tel n'est pas le cas, rentrez chez vous.
Ôsugi n'est pas là.
Alors transmettez-lui ce message.
J'ai décidé de ne plus le voir.
Je devrais le lui dire en personne.
Mais je suis pressée. Et je veux régler cette affaire tout de suite.
Dis-moi, tu m'appartiens quand tu es avec moi, n'est-ce pas?
Libre à toi de penser ainsi.
Pour ma part, je ne suis prisonnier de personne.
Eh bien moi, je pense le contraire.
Tout comme Yasuko, et Noe.
Vous êtes d'accord, n'est-ce pas?
Ne vous inquiétez pas.
Je suis venu rompre avec Ôsugi.
Rompre?
Vous ne voulez pas quitter Tsuji...
Après tant d'années, vous ne pouvez pas vous séparer.
Non, je quitte également Tsuji.
Mais je ne rejoins pas Ôsugi pour autant.
Dorénavant, je vivrai seule.
À partir de maintenant,
je ne dépends plus ni d'Ôsugi, ni de quiconque.
En fin de compte, vous ne pensiez qu'à vous et à Tsuji.
- Vous avez peut-être raison. - Bien sûr que oui.
Vous ne voulez pas être celle qui a détruit sa famille!
Quelle malhonnêteté!
Vivre seule, affranchie de Tsuji et d'Ôsugi...
Vous cherchez à sauver les apparences!
Et vous pensez y arriver?
Vous n'y arriverez pas!
Si, j'y arriverai. Ma décision est prise.
Si telle était votre volonté, vous ne viendriez pas faire vos adieux.
Vous ne pensez rien de ce que vous dites.
Dites-moi franchement...
que ce soit Ôsugi ou un autre,
pour vous, cela n'aurait pas vraiment eu d'importance.
Vivre avec Tsuji était trop dur.
Pour fuir cette vie,
n'importe quel homme n'aurait-il pas fait l'affaire?
Non, cela m'est égal.
Peut-être avez-vous voulu essayer de nouvelles chaussures.
Mais à peine esquissez-vous un pas...
qu'elles sont couvertes de boue...
Tenez, regardez.
Où que vous alliez, le dégel a rendu les chemins boueux.
C'est drôle...
Vous... Moi...
Couvertes de boue...
Aimiez-vous Tsuji?
L'aimiez-vous de tout votre cœur?
Et Ôsugi, l'avez-vous aimé?
Avez-vous seulement réfléchi à ce qu'aimer signifie?
Accaparer l'autre,
accaparer son cœur,
le monopoliser...
Voilà ce que cela signifie pour moi.
Il en est ainsi entre Ôsugi et moi:
Nous appartenons l'un à l'autre.
Depuis que vous vous êtes entichée d'Ôsugi,
vous vous êtes immiscée entre nous.
Vous ne pouvez pas vous affranchir de nous.
Pas avant que nous en ayons fini.
Posséder quelqu'un... Personne ne le peut!
Bien sûr que si!
Mon salaire en tant que journaliste s'élève à 150 yens.
Lui n'est qu'un pauvre anarchiste sans le sou.
C'est moi qui les entretiens, Yasuko et lui.
Un principe d'assistance mutuelle...
Mais c'est faux, et il le sait pertinemment.
Quand il reçoit 10 yens de ma part,
il refuse d'admettre qu'il reçoit en fait bien plus!
Acculé par le manque d'argent, il serait obligé
de devenir le mouchard du gouvernement.
Il ne pourrait être libre sans argent.
Mais espionner reviendrait à vendre sa liberté pour de l'argent.
Pourtant, même avec cet argent,
il ne pourrait s'affranchir de moi:
Je le tuerais s'il essayait de fuir.
Les sentiments ne s'achètent pas, dit-on, mais c'est faux.
Même un révolutionnaire s'achète.
Comme s'achète aussi son âme!
Voilà bien le caractère d'Itsuko.
Dire des énormités la met en joie.
N'écoutez pas ce qu'elle dit.
Mais tout cela n'a plus rien à voir avec moi.
Je vous quitte.
Tout cela n'a plus aucune importance.
Bien.
Nous ne nous reverrons donc plus...
Non.
Comme l'a dit Itsuko,
peut-être ai-je été malhonnête.
Peut-être me suis-je servie de vous
comme d'un tremplin vers une autre vie.
Je n'ai cherché qu'à défaire l'un des nœuds qui me retenaient.
Mais en défaisant ce nœud,
vous êtes parvenue à défaire l'ensemble.
Adieu.
Nous ne nous reverrons plus.
Ah...
Tu vas donc finalement t'installer avec Ôsugi.
Oui.
Qu'il y ait aussi Yasuko,
et Itsuko, cela n'a pas d'importance?
Bien...
Sois heureuse.
Je crois qu'en fait, je suis amoureux de moi-même.
Le mieux est que tu ailles là où tu penses devoir aller.
Makoto et Ryûji eux aussi
le comprendront sûrement quand ils seront grands.
- Tu as déjà fait un rêve? - Un cauchemar?
J'en fais un en ce moment même.
J'espère pouvoir t'en faire profiter.
Je me demande si ça a marché entre lui et Megumi.
Marché? Qu'est-ce qui aurait pu marcher?
Tout... Absolument tout.
On ne peut pas revenir en arrière.
À quoi tu penses?
Je ne suis pas mal non plus, non?
J'étais en 5e année d'école primaire.
Il tombait de la neige fondue.
Je le voyais à travers la vitre de la banque.
J'étais dehors, debout, je le regardais.
C'était le mec de ma mère!
C'est ce que je croyais.
Je l'avais souvent rencontré dans le quartier.
On arrête tout.
C'est la dernière fois qu'on se voit.
Celui qui a fait ces films, ce bon à rien qui a 10 ans de retard?
C'est ça, le type qui a tourné ces films
est le sosie du mec de ma mère.
Tu crois qu'il a l'intention d'utiliser ça pour une pub?
Le matin du 19 septembre, aux environs de 9 h,
par-dessus la haie de l'arrière-cour,
je vis sortir Ôsugi et Noe.
Mako, qui était justement venue jouer à la maison,
bondit dehors en voyant passer leurs deux silhouettes.
Mais elle revint immédiatement,
en disant: "C'est mon papa et ma maman!"
C'est la dernière fois que je vis Ôsugi.
Le jour d'après, puis le suivant,
Mako vint jouer comme à son habitude.
Un jour qu'elle était là à jouer comme toujours,
un journaliste surgit pour prendre une photo d'elle.
Le lendemain,
on annonça officiellement la mort d'Ôsugi.
"Si Mako vient jouer aujourd'hui,
"je t'interdis de lui parler de son père!"
Intimai-je à mon fils, de peur qu'il ne blesse
le petit cœur de cette pauvre Mako.
Il eut l'air de comprendre
qu'une chose effroyable avait eu lieu,
et acquiesça en silence.
Quelques instants plus ***,
Mako entra comme d'habitude par la porte de derrière.
Quand elle nous vit, elle dit:
"Papa et maman sont morts.
"Tonton et grand-père sont venus les chercher,
"je rentrerai avec eux en voiture aujourd'hui."
La petite fille intelligente qu'était Mako avait tout compris.
Toutefois, elle le comprenait comme le peut une enfant de 7 ans.
Elle avait beau connaître le triste destin de ses parents,
elle s'amusait comme d'habitude, en toute innocence.
Mon fils, la prenant alors en pitié,
lui offrit une poupée qu'il adorait,
ainsi que toutes ses feuilles de couleur.
Roan Uchida, Les Personnes dont je me souviens:
Les derniers jours d'Ôsugi.
Qu'est-ce que tu espérais trouver dans cette sombre bibliothèque?
Le passé? L'histoire?
Des archives? De la poussière?
Ou de la culture?
À ta place, je jetterais tout ça.
Ce que j'ai fait hier, pourquoi... Arrête de fourrer ton nez là-dedans.
De toute façon, tu comprends rien.
Noe?
Vous êtes bien Noe Itô?
Oui, c'est moi.
Je vous cherche depuis très longtemps.
Je suis tellement heureuse de vous rencontrer.
Je suis même allée à Hakata et Imajuku.
C'était mon rêve!
Et que puis-je faire pour vous?
Je voulais simplement vous parler.
Savez-vous pour demain?
Oui...
- Qu'allez-vous faire demain? - Oui...
Aujourd'hui, je saurais très bien quoi faire demain.
Si Ôsugi et vous n'aviez pas été ensemble...
Je vais le dire autrement...
Avez-vous déjà réfléchi au fait que si Masaoka
s'était imposée dans votre relation triangulaire,
vous n'auriez pas trouvé la mort
sept ans plus ***, au lendemain du désastre de 1923?
On ne change pas ses principes.
C'est justement cela, les principes.
Mes principes.
Bien, alors, pour finir: De 1923 à 1969,
comment voyez-vous ces 46 années?
Je suis venu pour me battre, moi!
- En camarade ou en ami? - Les deux!
Je te donne un dernier conseil. Alors, écoute!
Tout cela ne te concerne pas.
Tu dois bien les entendre, ces voix!
- J'entends miauler... - Les larmes de Yasuko.
Et celles d'Itsuko. Tu les entends sûrement?
- Je les entends. - Itsuko a quitté le journal.
Pendant que vous batifoliez tous les deux à Onjuku grâce à son argent,
elle, elle attendait ton retour à la gare de Ryôgoku,
à bout de nerfs...
Tu réalises un peu ce que tu es en train de faire?
C'est tout ce que tu as à me dire?
Tu n'as donc pas honte?
Je ne peux plus rien y changer.
Qu'est-ce que tu dis?
J'aime ces femmes avec impartialité et en toute égalité.
Toutes trois le savent parfaitement.
Impartialité? Tu ne manques pas d'air!
Ne privilégies-tu pas Noe au contraire?
Vous vivez ensemble ici-même, à l'hôtel Kikufuji!
Alors! Tu comptes faire quoi?
Tu vas laisser les deux autres mourir à petit feu?
Je te dis que je ne peux rien faire de plus!
Nous étions censés vivre séparément, en toute indépendance.
Mais aujourd'hui, Noe n'a pas de travail. Elle est sans ressources.
Attendre est tout ce que nous pouvons faire.
Mais pendant ce temps les deux autres sont lésées.
Tu voudrais que j'abandonne Noe?
Tes conseils sont vains.
Noe a fait revivre le révolutionnaire qui était en moi.
Au moment où toute réunion nous était interdite,
et où la censure qui pèse sur nos revues nous décourageait tous.
Parle pour toi!
Je parle pour nous tous.
Nous nous étions résignés aux persécutions de la classe dominante,
et assistions en spectateur au drame de Yanaka,
quand elle m'a rappelé à mes premiers engagements.
Elle m'a appris à haïr l'haïssable,
à m'indigner contre l'indignité, à avancer, inflexiblement.
Sakai la taxait de sentimentalisme enfantin,
mais n'était-ce pas justement ce dont nous avions besoin?
Et le résultat de ton inflexible avancée est ce misérable scandale?
Si ces mots n'étaient pas sortis de la bouche d'une de tes maîtresses,
tu n'aurais pas perdu un seul de tes camarades!
Mes camarades...
Mes camarades de révolution...
Mais pour nous, que signifiait "révolution"?
La révolution est le moyen d'ouvrir un champ d'absolue liberté.
Notre moyen le plus précieux pour mettre un terme
à l'exploitation de l'homme par l'homme.
La pérennité de cette exploitation est assurée par la propriété privée.
Mais qu'est-ce que la propriété privée?
C'est un système qui, au nom de la morale,
érige en principe absolu l'union d'un homme et d'une femme,
qui fait de la fortune une chose héréditaire.
Pire! Elle est notre volonté la plus profonde!
C'est là qu'est le problème.
La révolution consiste à abattre radicalement ce système!
Le couple... La famille que bâ*** le couple...
L'État que fonde la famille...
Tant qu'ils seront tenus pour des principes inviolables et sacrés,
la révolution restera pour nous hors de portée!
Essaie d'être un peu lucide!
Un homme avec plusieurs femmes, c'est pas une morale de bourgeois?
Belle récompense pour ces militantes de l'émancipation féminine!
Ils se vouent à la révolution pour obtenir leur liberté,
mais dès qu'untel parle d'amour libre entre homme et femme,
ils s'emportent,
ils crient à la trahison, à la prostitution.
Ils s'éloignent... Je vois...
Je sais combien il est difficile de garder la tête froide.
Mais enfin de quoi s'agit-il?
Vous voulez redevenir des confucianistes radicaux?
Quelle étrange situation!
Vous refusez de toucher à ce qui vous entoure,
et vous vous demandez
si la vraie révolution et la liberté sont accessibles.
Ça suffit. Porte-toi bien.
La Russie... La situation est en train d'évoluer.
Certains disent que ça ne tiendra pas jusqu'en mars prochain.
Raïson!
Veille sur Yasuko, s'il te plaît.
En fin de compte, vous avez bel et bien
arraché le fruit que j'ai fait pousser,
avant de le laisser tomber par terre.
Mais ce n'est rien.
Seitô était à vous, je vous l'avais confiée.
Regrettez-vous de me l'avoir confiée?
Chéri? Le vent n'est-il pas un peu froid?
Pas le moindre petit regret!
Quand j'ai pensé en interrompre d'un coup la publication,
vous aviez tellement envie de la poursuivre!
Finir en beauté de toute façon
n'eut pas convenu à une revue telle que la nôtre.
Le nombre de pages a diminué peu à peu,
la qualité du papier s'est dégradée.
Puis Seitô s'est échouée misérablement au bord d'un fossé.
C'était peut-être ce qu'il pouvait lui arriver de mieux...
Vous ne voulez pas vous pousser?
Vous me cachez le soleil.
Pourquoi n'a-t-elle pas été capable de me dire
de reprendre la publication de Seitô?
Tu n'as rien à te reprocher.
À toi seule, tu as abattu un travail considérable.
Mais tous ces efforts ne sont rien aux yeux d'une bourgeoise,
pour qui cette revue était comme son enfant.
J'ai voulu protester,
lui dire que j'allais sortir une nouvelle formule...
Mais les mots ne sont pas sortis,
comme si quelque chose les en empêchait.
"Quelque chose"?
Je ne parle pas de toi, bien entendu.
Plutôt d'une sorte d'appréhension vis-à-vis d'Aichô.
Peut-être parce que nous nous sommes trop éloignées l'une de l'autre.
Il est vrai que ne pas réagir ne te ressemble pas.
Quand je serai plus calme, je reprendrai la publication.
Être parti de chez Tsuji pour courir chez toi
n'aurait sinon plus aucun sens.
"Pour courir"...
Je vois...
Il est vrai que tu cours vite.
C'est aussi ce que m'a dit Yaeko Nogami:
"Tu cours tellement vite,
"ne serais-tu pas dépassée par toi-même parfois?"
Peut-être est-ce effectivement le cas en ce moment...
Je ne pensais pas qu'il s'agissait de Noe.
La domestique m'a dit que vous étiez deux,
mais je pensais que c'était Yasuko.
Je rentre.
Excuse-moi.
J'aurais mieux fait de ne pas venir.
Si tu le penses vraiment,
tu aurais mieux fait de rentrer chez toi tout à l'heure.
J'avais envie de te voir.
Tu peux le comprendre, n'est-ce pas?
Hier,
avant-hier, j'ai désespérément attendu de tes nouvelles.
Comme rien ne venait, je me suis inquiétée.
Je me suis demandé si tu n'étais pas tombé malade.
Malade? Si, en effet...
Je suis un peu enrhumé et fiévreux.
Alors, patiente encore un peu, et laisse-moi dormir.
Repose-toi bien.
Noe, peut-être?
C'est elle, j'en suis sûre.
Je ne trouve pas les clés de l'hôtel Kikufuji.
J'ai eu beau chercher, elles n'étaient nulle part.
Je suis allée jusqu'à Yokohama mais j'ai rebroussé chemin.
Tu es vraiment impossible...
Reste où tu es, je viens te chercher.
Si tu es enrhumé, sortir le soir n'est pas très conseillé.
Apporte-moi mon manteau.
Je rentre, maintenant.
Noe a dit qu'elle rentrait, mais... ne serait-elle pas cachée près d'ici,
à guetter mon départ?
Tu ne veux pas te taire un peu?
- Noe te préoccupe, n'est-ce pas? - Ça suffit!
- "Noe..." - Tu as peur qu'elle rappelle?
Elle ne rappellera pas! Noe n'est pas ce genre de femmes.
Qu'est-ce que j'en sais? Elle est tellement sournoise.
Je crois qu'il faut que nous parlions sérieusement.
Je ne peux plus supporter cette situation!
Tu le penses vraiment?
Je le pense aussi.
Tu seras d'accord pour trouver cela lamentable.
J'en ai assez!
Finissons-en une bonne fois pour toutes.
Alors, tu...
Notre histoire est finie, dirait-on.
- C'est tout ce que tu as à me dire? - Quoi d'autre?
N'est-ce pas toi, le théoricien de l'amour libre?
J'ai cru à tes théories, j'ai fait comme tu disais.
Mais là, c'est trop! C'est trop!
Tu me demandes de reconnaître que mes théories ont échoué?
Volontiers!
Ce qui devait échouer a échoué parce que ça devait échouer.
Ça te va?
Mon égoïsme a tout compromis.
C'est ce que tu cherches à me dire, n'est-ce pas?
Plus rien n'est-il donc possible entre nous deux?
L'amour libre?
Il est à portée de mains. À portée de mains!
Un jour, les hommes et les femmes,
même mariés, feront l'amour sans parler d'argent.
- Je... - Ce qui est impossible est impossible!
Je sais maintenant à quoi tu penses.
Tu n'en sais rien.
Les jours où tu as de l'argent, et ceux où tu n'en as pas...
Sois plus claire!
Noe portait un très joli kimono.
Dès que tu as un peu d'argent, tu n'es plus le même.
Cesse de dire n'importe quoi. Je ne change pas.
C'est ta façon de voir les choses qui a changé.
Tu es doué pour parler, mais pour agir?
Quelle était la réalité de notre relation?
Et Noe? Elle s'est mise entre nous!
Sans même travailler, elle a profité de votre argent.
Non... Elle a profité sans vergogne des sacrifices que j'ai consentis!
Un peu d'argent, et la voilà qui se pavane dans des kimonos vulgaires!
La voilà, la réalité de l'amour libre!
Un pauvre petit scandale, comme on en voit tant d'autres!
Exactement! Un pauvre petit scandale!
À commencer par tout cet argent!
C'est ça?
C'est donc ça?
Je te dois effectivement de l'argent.
C'est ce qui te permet de m'attaquer avec tant de fatuité!
Tiens, je te le rends!
Ce n'est pas l'argent d'un espion.
Je l'ai obtenu en menaçant le ministre de l'Intérieur.
Notre mouvement les gêne,
c'est normal qu'ils lâchent un peu d'argent!
Tiens, je te le rends!
Regarde, de l'argent. Embrasse-le!
Prends-le et rentre chez toi!
Tu es désormais une étrangère pour moi! Une étrangère!
Qu'est-ce que tu fais?
J'ai envie... Serre-moi dans tes bras.
Je ne te connais plus.
Je te présente mes excuses.
Pardonne-moi. J'ai eu tort.
Alors...
Ne vois-tu pas comme tu es pitoyable?
Tant que nous n'aurons pas réglé ce problème...
J'ai froid. Je n'arrive pas à dormir.
Mettre de côté les problèmes en attendant qu'ils se règlent...
Je dé*** ça! Qu'est-ce que c'est que cette façon de penser!
J'ai mes règles... Je te demande juste de me serrer dans tes bras.
C'est hors de question.
Tu accepterais si c'était Noe. Mais moi, non.
J'ai lu les lettres de Noe, je sais tout...
Noe...
Noe.
Tu cries partout que tu es une victime.
Tu es même allée jusqu'à te procurer un couteau.
Mais en fait, en me volant à elle, tu as toi-même agressé Yasuko.
Pareil agresseur,
sous prétexte qu'il est désormais la victime de Noe,
devrait s'abstenir de faire tant de bruit.
Je sais que la présence de Noe est pour vous une agression.
J'y suis très attentif.
Traduction Mathieu Capel