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Monsieur l'Intendant, s'il vous plaît!
De tous les côtés, je vous cherche!
Que puis-je pour vous?
Notez toutefois que je suis pressé.
Les préparatifs pour la fête de ce jour
dans le palais du plus riche homme de Vienne,
comme j'aime à qualifier monseigneur...
Rien qu'un mot!
Je viens d'apprendre une chose qui, pourtant, semble incroyable...
Quelle chose?
...et je suis dans un état fiévreux qui me trouble.
Vite, je vous prie.
J'apprends qu'à l'occasion de la fête, en ce palais,
après l'opera seria de mon élève,
- puis-je en croire mes oreilles? -
l'on va jouer encore une autre œuvre,
soi-disant œuvre musicale, sorte d'opérette, plutôt farce grossière,
à la manière du bouffe-italien!
- Ça, c'est impossible! - Impossible?
Pourquoi?
- Certes! - Vous dites?
L'auteur ne voudra, non jamais, le permettre!
L'auteur ne voudra pas permettre?
Dans ce palais où vous êtes,
et avez l'honneur de produire votre talent,
je ne sais pas qui, sinon monseigneur,
a quelque chose à permettre, et moins encore à ordonner!
Mais c'est contraire à nos conventions!
L'opera seria «Ariane»
devait, à l'occasion de cette fête, seul être composé.
Et les honoraires stipulés,
outre une généreuse gratification, passeront de ma main
dans la vôtre.
Je n'ai aucun doute quant à la solvabilité d'un homme aussi riche.
Moyennant quoi, votre élève et vous
deviez livrer votre ouvrage musical.
Que désirez-vous donc encore?
Cet ouvrage musical est grave et de haute valeur.
Nous ne pouvons négliger le cadre dans lequel il faut qu'on le montre.
Cependant il appartient à monseigneur, summo et unico loco, de décider
quel genre de spectacle il lui plaît de donner à ses hôtes éminents,
après les avoir mis devant une imposante collation.
Selon vous l'héroïque opéra «Ariane» est un des plaisirs favorisant la digestion?
Donc «Ariane» pour commencer,
ensuite, à neuf heures tapantes, le feu d'artifice,
et, entre les deux, l'opéra-bouffe.
Là-dessus, j'ai l'honneur de vous saluer.
Par quel moyen en aviser mon élève?
Là, Votre Honneur pourra trouver Mam'sell' Zerbinetta.
Elle est à sa toilette. Je frappe à sa porte.
Laisse-moi donc, et va-t'en au diable!
C'est le langage de la passion
qu'enchaîne et pervertit un indigne objet.
Cher ami, veuillez me chercher les violons.
Prévenez-les qu'il faut qu'on soit ici pour revoir quelques pages.
Les violons ne pourront venir,
primo, car ils n'ont pas de pieds, secundo, on les tient en main.
Quand je dis: un violon, je parle du violoniste.
Ah, bien! Ils se trouvent tous où je dois être aussi!
Et j'y vais tout de suite, au lieu d'attendre en votre compagnie.
- Où donc est-ce? - À table!
Quoi? Un quart d'heure avant de jouer mon opéra, ces gens mangent!
Quand je dis: à table,
j'entends, naturellement, la table seigneuriale,
et non celle des instrumentistes.
- Que veux-tu dire? - Qu'ils sont à l'œuvre.
Capito? Donc, pour leur parler, cherchez une autre heure.
Alors je vais, avec la chanteuse, revoir l'air d'Ariane une fois encore.
Non, là n'est pas la demoiselle que vous cherchez.
La jeune demoiselle qui se trouve là
ne tient pas à ce qu'on la dérange.
Sais-tu qui je suis?
Aux acteurs qui jouent son œuvre, quand il lui plaît, l'auteur leur parle!
Tête de veau! Espèce impertinente d'âne!
Cet idiot me laisse tout seul devant la porte...
seul devant cette porte
et part.
J'y voudrais changer encore beaucoup de choses au dernier moment...
Et aujourd'hui mon opéra va...
Quel âne! Ô joie!
Ô dieu tout-puissant!
Ô mon cœur tremble!
Toi, dieu tout-puissant!
Faire comprendre à Bacchus qu'il est un dieu, un garçon bienheureux!
Et non qu'il n'est qu'un baladin sous une peau de tigre!
Voilà sa porte, il me semble.
Bel enfant, tendre éphèbe, toi, dieu tout-puissant!
Ça! Pour un Bacchus!
Tu veux que je mette ça sur mon front?
Tiens donc, fripon! Prends ça pour ton Bacchus!
Très Honoré! J'ai quelques mots à vous dire!
Je ne m'explique votre comportement que par un naturel impulsif.
Très Honoré!
Je n'ai nul motif d'avoir honte à votre égard de la façon dont je travaille.
Avez-vous un peu de papier, monsieur?
Je voudrais noter un thème, et j'oublie en un instant.
Je regrette.
Nous nous retrouverons après la pièce.
Hélas, ce n'est pas sans peine que je ferai rire cette noble assemblée
lorsque, d'abord, ils l'auront embêtée quelque temps.
Croyez-vous, vraiment, que j'en sois capable?
Vite, mon cher, appelez un valet!
Je dois immédiatement parler au Comte.
Défense d'entrer par là.
La belle se coiffe.
Quelle est cette jeune femme?
Ce ne sera qu'un jeu pour vous, mad'moiselle.
Cet opéra languit.
Quant aux idées, il en tient plus dans le talon gauche de mon soulier
que dans toute «Ariane à Naxos».
Quelle est cette charmante personne?
Eh, tant mieux, si son minois te plaît.
C'est notre Zerbinetta,
qui joue, avec quatre autres, l'épilogue comique qu'on donne après ton opéra.
Après ma pièce!
On joue un épilogue comique?
Danses et farces,
mines grotesques et mots à double sens après «Ariane»?
Dis? Parle!
Je t'en supplie, écoute!
Le mystère de l'âme devant eux paraît,
les prend par la main,
et c'est à cet instant qu'ils réclament une singerie,
pour chasser stupidement
cet impérissable souvenir de leur cervelle!
- Âne que je suis! - Du calme, allons!
Non, non! Pourquoi du calme?
Jouer une farce! Un exutoire pour leur bassesse!
Cette lourde foule, au goût banal, voudrait faire un pont
qui de mon âme allât jusqu'à son âme vile!
Ô mécène!
Vivre un tel moment va m'empoisonner, bien sûr, l'existence!
Comment donc pourrai-je, à présent, trouver une mélodie encore?
Aucune, en ce vil monde, ne peut plus entr'ouvrir ses ailes!
Et précisément une inspiration sublime me venait!
Un mouvement de colère contre ce maudit laquais,
et la mélodie a fui.
Et puis le Ténor a donné la gifle, mécontent de sa perruque
et l'air m'est revenu!
Un air amoureux, d'un sentiment très doux,
une aveugle confiance, dont le monde est indigne.
Là.
Ô dieu d'amour qui, tour à tour, nous donne joie et souffrance!
Mon jeune cœur par toi s'emplit d'espérance!
Bel enfant, tendre éphèbe, toi, dieu tout-puissant!
Toi, dieu tout-puissant!
Un papier pour prendre des notes!
Camarades, chers et toujours fidèles!
Cherchez ma glace, mon rouge et mon crayon!
Et toi, tu le savais! Toi, tu le savais!
Mon cher, j'ai vingt-neuf ou trente ans de plus que toi,
et je sais comment l'on doit mener sa barque.
Et l'homme qui me parle fut mon ami naguère!
Avez-vous été voir chez le Comte?
Fi! Que font donc là tous ces saltimbanques?
Nous, avec des gens de la sorte, assemblés ici!
Ne sait-on pas qui je suis? Comment le Comte a-t-il pu...
Si cet opéra ne vaut rien,
il aurait mieux valu, d'abord, qu'on jouât notre pièce,
avant que le public n'en eût assez.
Quand ils se seront embêtés pendant une heure,
on ne pourra les faire rire sans peine.
Bien au contraire! On sort de table,
on est pesant, on se sent mal dispos,
on voudrait faire discrètement un bon somme,
on applaudit un peu, pour ne pas s'endormir.
Mais voici, peu à peu, qu'on se réveille.
«Et la suite?» se dit-on.
C'est «L'Infidèle Zerbinetta avec ses quatre amants»,
un épilogue amusant avec des danses et des mélodies gaies et légères,
d'un esprit clair comme le jour. Chacun sait ce qu'on lui veut.
«C'est ma propre histoire», se dit-on.
On se ranime, on est tout à la pièce.
Puis quand on s'en va dans son bon carrosse,
on n'a plus nulle autre chose en tête
que ce spectacle exquis: l'incomparable Zerbinetta dans ses danses.
Surtout restez calme! C'est rien, et moins que rien.
Ariane sera le clou de la fête.
Pour entendre Ariane, de vrais connaisseurs
et grands personnages se rendent chez un riche mécène.
Chacun ne parle que de vous.
De vous, Ariane!
Demain sera-t-il quelqu'un qui sache encore
qu'outre l'illustre «Ariane» on a joué quelque chose?
Les convives sortent de table!
Qu'ici chacun donc s'apprête.
Mesdames, messieurs, tous à vos places.
J'ai à vous annoncer, à tous, la soudaine décision
de monseigneur.
C'est entendu.
Nous sommes prêts à commencer par notre pièce, «Ariane», à l'instant même.
Monseigneur a de nouveau changé d'intention.
Alors ce n'est pas par «Ariane» que l'on commence?
Que veut dire cela?
Pardon. Où est le Maître de Danse?
Que veut-on de moi?
J'ai un ordre de monseigneur
pour vous deux.
Monseigneur désire modifier le programme qu'il avait lui-même ordonné...
Mais, au dernier moment? Ce n'est vraiment pas possible!
...de modifier
de la façon suivante.
C'est ça, nous changeons l'ordre.
On va commencer par «L'Infidèle Zerbinetta»,
puis «Ariane».
C'est très sage.
Pardon.
La mascarade dansée ne sera jouée ni avant ni après,
mais en même temps que le drame «Ariane».
Quoi! Ce grand seigneur perd-il la tête?
Il veut nous faire une farce?
Mais ces gens sont devenus fous!
À l'instant je veux m'adresser au Comte!
C'est exactement comme je le dis.
Comment vous le ferez, ça, c'est naturellement votre affaire.
Notre affaire!
Monseigneur a une opinion très flatteuse de vous,
et croit que vous connaissez suffisamment votre métier,
pour arranger ce petit changement sans aucune difficulté.
Du reste, c'est la volonté de monseigneur
que les deux pièces, la gaie et la triste,
avec tous leurs personnages et leur musique exacte,
telles qu'il les a commandées, et payées,
soient jouées en même temps sur son théâtre.
- Pourquoi donc ensemble? - Il faut donc que je me hâte!
Et de telle manière que le spectacle permette de tirer le feu d'artifice
dans le jardin, à neuf heures juste, comme il a été ordonné.
Comment, par tous les dieux, votre seigneur voit-il un spectacle pareil?
Dès l'âge du berceau, j'avais déjà l'idée
d'une histoire de ce genre.
Ce n'est pas l'affaire de monseigneur, lorsqu'il a payé un spectacle,
de s'occuper encore de la manière de l'organiser.
Sa Grâce est habituée à commander
et à voir ses ordres accomplis.
D'ailleurs, depuis trois jours, monseigneur est très mécontent
que dans une maison bien tenue comme la sienne
soit installé un décor aussi pitoyable qu'une île déserte,
et c'est précisément pour y remédier
que lui est venue l'idée sublime
d'orner un peu décemment cette île déserte
par les personnages de l'autre pièce.
Je trouve ça très juste.
C'est manquer de goût que montrer une île aussi déserte.
Ariane à Naxos, monsieur,
c'est le symbole de la solitude humaine!
Il lui faut donc de la compagnie.
Rien autour que la mer,
les pierres, les arbres, l'écho insensible.
S'il paraît un visage humain, ma musique perd tout sens.
Mais l'auditoire au moins se réveille!
Tandis qu'à présent cet auditoire dort et ronfle!
Pardon, mais je vous prie de vous hâter vivement,
les seigneurs vont venir.
Je ne sais où j'ai la tête.
Si j'avais quelques heures pour pouvoir au moins régler les choses!
Quoi, tu voudrais régler ceci, quand la bêtise humaine,
telle la Méduse, nous fixe en grimaçant?
Viens! Que pouvons-nous donc y perdre?
Ce que nous pouvons y perdre?
Cinquante ducats, notamment,
avec lesquels pendant les six mois à venir tu peux vivre à l'aise!
Entre ce monde et moi, rien de commun!
Pourquoi donc y rester?
Je comprends fort mal
que l'un et l'autre vous vous opposiez par de vains scrupules
à ce projet qui semble très raisonnable.
Mais croyez-vous la chose faisable?
Rien n'est plus aisé.
«Ariane» est longue, fâcheusement longue. Coupez-y donc.
Ces artistes sont capables d'improviser et de sortir de toute impasse.
Chut!
S'il vous entend, il se suicide.
Qu'il dise s'il veut écouter son opéra quelque peu raccourci,
ou s'il veut ne jamais le voir jouer.
Donnez-lui de l'encre, plumes, crayon rouge, et tout le reste!
Il s'agit donc de sauver votre œuvre!
Plutôt aux flammes!
Cent grands maîtres, qu'avec dévotion on admire,
ne firent jouer leur première œuvre qu'en faisant bien d'autres sacrifices.
Pensez-vous?
Est-ce vrai? Toi?
Dois-je céder?
Le faut-il?
Veillez à ce qu'il en supprime.
J'appelle entre-temps Zerbinetta.
Nous l'aviserons en deux mots de l'affaire.
Elle est sans égale pour improviser. Jouant toujours elle-même,
elle sent ce que veut chaque situation.
Et si les autres la suivent, tout marchera sur des roulettes.
Il faut couper le rôle d'Ariane.
Dites-lui que son Bacchus soit moins prolixe.
- Il chante trop de notes aiguës. - Vous gardez tout.
On ne supporte pas de voir cette femme en scène tout le temps.
Il a coupé deux de ses airs. Vous, pas une note!
Ne me trahissez pas!
Bacchus perd la moitié de son rôle.
Ariane est fille d'un roi.
Elle s'enfuit avec un certain Thésée,
dont elle avait sauvé la vie.
Ces choses-là, souvent, tournent mal.
Lui, bientôt, en ayant assez,
l'abandonne une nuit sur une île déserte.
- Et ça encore, il le faut! - Quel fripon!
Elle languit dans l'attente et appelle la mort.
La mort! On dit cela,
mais il n'empêche que l'on en cherche un autre.
C'est juste ce qu'il advient!
Non, vous vous trompez, monsieur!
Car, monsieur, elle est une de ces femmes
qui n'appartiennent qu'à un seul homme dans leur vie
et à personne d'autre après lui...
à la mort seulement
Pourtant la mort ne vient pas. Je parierais autre chose.
Peut-être un jeune homme, noble front, regard sombre,
- semblable à toi. - C'est fort bien deviné.
C'est le fier et jeune dieu Bacchus qu'on voit venir.
On prévoyait l'histoire!
Donc elle a trouvé l'objet de ses vœux.
Il est, croit-elle, le dieu des morts.
Pour ses yeux tristes, pour son âme, c'est bien lui, et, pour ça,
rien que pour ça...
C'est elle qui l'a conté!
Oui, pour cela seul, elle le suit sur sa nef.
S'imagine-t-elle qu'elle meurt?
Non!
Elle meurt réellement.
Tu veux donc me révéler mes semblables?
Vous êtes peu semblables.
Je sais qu'elle meurt.
Ariane, parmi des millions, est seule!
Elle est la femme qui se souvient.
Poète!
Écoutez: nous jouerons dans l'opéra «Ariane à Naxos».
Voici l'histoire:
une princesse, par son amoureux, un jour, est délaissée,
et son nouvel amant n'est pas encore là.
La scène figure une île toute déserte.
Nous sommes une aimable société, qui, par un fol hasard, s'y trouve assemblée.
Réglez-vous d'après moi,
car sitôt que l'occasion s'en présente,
nous nous montrons et nous nous mêlons à la pièce.
Elle s'abandonne à la mort.
Elle n'est déjà plus là... effacée.
Elle se précipite dans le mystère de la transfiguration.
Elle renaît,
retrouve vie dans ses bras!
Il est donc bien un dieu!
Car comment exprimer son essence divine,
sinon par cette puissance?
Courage! Votre ambition devient plus raisonnable.
Je la voyais, vivante, là!
Si j'entrais alors, serait-ce pire?
Comment survivre à ce sublime instant?
Tu survivras à bien d'autres choses!
Quel est le sens d'un tel langage?
Un langage est peu de chose,
un gage est mieux.
Bien des hommes croient me connaître,
mais leurs yeux les abusent.
Si en scène je suis coquette,
qui dit que mon cœur aussi prend part au jeu?
Je semble gaie,
mais je suis triste,
faite pour le monde,
et je suis seule.
Douce et tristement incomprise!
Non, mieux vaut dire: tête folle,
qui parfois voudrait être l'amante
d'un seul homme, rien qu'à lui, fidèle
pour toute la vie.
Quel est l'homme qu'attend ton rêve?
Toi! Toi comme moi!
Nul vœu terrestre n'a place dans ta chère âme.
Tu lis en moi-même.
Je m'en vais.
Hélas, oublieras-tu donc
cet instant inoubliable?
Une heure immortelle
doit vivre éternellement!
Prenez vos places, mesdames, messieurs!
Ariane, Zerbinetta, Scaramouche, Arlequin!
Sur la scène, à mon premier appel!
Il faut qu'avec cette femme-là je monte en scène?
À quoi pensez-vous?
Quelque indulgence! Ne suis-je pas votre vieux maître?
Chassez cette créature de scène,
ou, sinon, Dieu sait ce que je fais!
Mais vous avez justement l'occasion, sur cette scène, de faire voir
à quel point votre art est démesurément supérieur au sien!
Supérieur! Ha, ha! C'est un monde entre nous!
Mettez donc ce monde en chaque attitude
et vous verrez le public enthousiaste à vos genoux!
Réconcilions-nous.
Sous un nouvel angle je vois l'existence!
L'abîme des âmes est insondable!
Mon cher ami!
Que de choses par le monde sont indicibles!
Poète, on sait trouver ses mots, des mots très justes.
Pourtant...
Pourtant, pourtant, pourtant!
J'ai du courage, ami!
Le monde est aimable
pour les courageux et s'offre à leur audace.
Qu'est-ce donc que la musique?
La musique est un art sacré,
qui concentre les plus folles audaces,
tels chérubins sur un sommet rayonnant,
et pour cela le plus saint parmi les arts des hommes!
La sainte musique!
Qu'est-ce? Où vont-ils?
Que font donc ces créatures?
Dans mon sanctuaire, faire leurs cabrioles? Ah!
Mais tu l'as permis!
J'aurais dû le défendre!
Tu n'aurais pas dû me permettre de le permettre!
Qui t'a demandé de m'entraîner dans ce monde?
Laisse-moi mourir de froid, de faim,
me pétrifier dans le mien!
Dort-elle?
Dort-elle?
Non, elle pleure!
Elle dort et pleure.
Écoutez sa plainte!
- Elle pleure. - Elle dort et pleure.
Ah, toujours ainsi la voir!
Chaque jour sa peine augmente.
Peine amère, cris et larmes.
Toujours de nouvelles et amères lamentations
- qui la tourmentent. - Mal qui ronge, et dure, dure.
- Toujours et encore inconsolable. - Inconsolable.
Ah, toujours la voir si triste!
Comme une onde qui retombe,
comme une aile de colombe,
glissent ses soupirs lointains.
Le deuil qui la désole,
las, et la rend folle,
n'a repos soirs ni matins!
Comme une aile de colombe, comme une onde qui retombe,
glissent ses soupirs lointains.
Ah!
Ah!
Où étais-je?
Morte?
Et je vis, je revis,
je vis encore?
Une pareille vie, est-ce vivre?
Ce cœur brisé veut-il encore battre?
Qu'ai-je donc rêvé?
Hélas, j'ai déjà oublié!
Plus rien ne reste en moi.
Des ombres passent, et passent dans une ombre.
Pourtant quelque chose au cœur me fait bien mal!
Si jeune, et belle, et si meurtrie!
L'aspect est d'une enfant, mais dans ses yeux quelle ombre!
Je crains qu'un mal pareil ne tienne dur!
Si beaux tous deux!
Eux, Thésée-Ariane,
sous l'or du soleil,
buvant à grands traits la vie.
Si beaux tous deux!
Ariane-Thésée,
Thésée!
Sous l'or du soleil,
buvant à grands traits la vie.
Ariane-Thésée.
Pourquoi penser encore?
Que l'oubli vienne!
Cet oubli, il faut que je le trouve:
quelle honte d'être réduite ainsi!
Soyons plus forte!
Oui, que je redevienne la femme que j'étais!
La voici, ô dieux!
Je veux la retenir!
Mais plus ces noms,
un nom, toujours, avec un autre nom se mêle!
Toutes choses aisément s'imprègnent! Las!
Ariane!
Non, plus jamais!
Elle vit ici, toute seule.
Son souffle est doux, sa marche est lente,
ses pas effleurent son chemin,
son somme est pur, son âme est claire,
son cœur limpide comme la source.
Elle est tranquille,
et quand le jour se lève
alors elle peut
se draper dans sa robe,
sur son visage elle descend son voile,
et peut rester couchée,
inerte comme une morte!
Il semble qu'un grand coup ait frappé son esprit.
Tâtez de la musique.
Sans nul doute elle est folle.
Folle, mais sage, oui!
Doux est l'amour,
quand on l'éloigne
de son cœur trop faible.
Allons, tâtez de votre petit air.
Peine, haine, espoir ou doute, bonheur calme ou mal d'amour,
chacune et chacun les supportent, soit ensemble ou tour à tour.
Mais joie ou chagrin, ô femme, nous causant mille embarras,
ne leur ouvre pas ton âme,
et telle tu me plairas!
Quitte la ténèbre immense,
sans effroi d'un nouveau sort,
et reviens à l'existence
pour en vivre une autre encor!
Sa tête n'a même pas bougé.
Tout à fait inutile. Je l'ai vu pendant ma romance.
Tu sembles perdre la tête.
Jamais humaine douleur ne m'a tant troublé.
Toujours ainsi devant chacune.
Et toi de même, devant chacun?
C'est un empire où tout est pur,
et les mortels le nomment
Hadès.
Ici, rien n'est pur! Tout ensemble se mêle.
Un messager s'approche;
Hermès, tel est son nom.
Du caducée, il mène les âmes:
oiseaux légers, feuillages morts et tourbillonnants.
Ô calme, sage dieu!
Vois! Ariane attend!
Ah, de toutes ses souffrances que mon cœur soit donc lavé!
Puis de ton regard fais-moi signe,
viens ici devant ma grotte!
L'ombre descendra sur mes paupières,
et ta main se posera contre mon cœur.
Dans le riche habit de fête que ma mère a fait si beau,
je serai froide et muette comme un mort en son tombeau.
Mais mon âme qu'il emporte suivra ce nouveau maître,
comme un vol de feuilles mortes suit la brise, doucement.
Sur mes yeux descendra l'ombre et mon cœur sera vidé d'amour.
Parée, dans la nuit sombre, je serai toute seule, et pour toujours.
Sois ma délivrance!
Rends-moi mon âme!
Ma lourde existence, prends-la, pour jamais!
En toi je veux toute me perdre.
Qu'à toi seul Ariane soit!
La dame qui fond toute en pleurs se livre trop à sa douleur.
Nos maux, bien fou qui s'en souvient: le temps, si tôt, n'en laisse rien!
L'amour cause maintes douleurs et peines,
mais toutes plaintes nous paraissent vaines.
Qu'on la divertisse! Ainsi s'avance avec ses compagnes l'aimable enfant.
Nos chants, nos danses, remplis de charmes,
sauront-ils essuyer ces beaux yeux en larmes?
Au *** soleil la douleur se dissipe.
Les pleurs se sèchent aux jeux du vent.
Par leurs paroles, leurs cabrioles,
l'un ou l'autre
me plairait déjà.
La dame qui fond toute en pleurs se livre trop à son désespoir.
Mais la princesse a fermé ses paupières,
le chant l'importune, elle n'aime pas ces sons.
Allez-vous-en! Cessez!
Vous l'importunez!
Qu'on la divertisse! Ainsi l'ordonne, ô triste dame, cette aimable enfant.
Allez-vous-en! Vous l'importunez!
Hélas, nos grâces, nos chants, nos danses
et tout le reste, c'est insuffisant.
Laissez vos danses, laissez vos chants,
laissez vos chants, allez-vous-en.
C'est insuffisant.
Grande et haute princesse,
qui ne comprendrait que la tristesse d'une auguste personne
ne peut être mesurée, ici-bas, de la même façon
que celle de pauvres et communs mortels.
Pourtant puisque entre femmes nous voici,
ne bat-il en notre sein
un cœur complexe, et mal compris?
Avouer nos faiblesses,
en parler nous-mêmes,
c'est doucement amer!
Et n'y pensons-nous pas toujours?
Vous refusez d'entendre?
Belle et fière, et pétrifiée,
ainsi qu'une statue sur votre propre tombe.
Vous ne voulez pas d'autres confidents
que ce rocher et ces tristes vagues?
Princesse, écoutez-moi!
Non vous seule! Nous, toutes, toutes, car ce cœur transi,
quelle est la femme qui n'en a pas connu la souffrance?
Quittée! Désolée! Sans appui!
Ah, ces îles désertes sont innombrables, même parmi les humains.
Moi, moi-même, j'y séjournais souvent,
et pourtant, sans apprendre à maudire les hommes.
Tous sont infidèles!
Tous des monstres! Sans mesure!
Une brève nuit, un jour passager,
un souffle de l'air, un œil langoureux, transforment leur cœur!
Et peut-on se garantir contre l'amère, la douce,
l'incompréhensible transformation?
Je crois qu'un amant m'appartient encore,
moi-même je crois n'être encor qu'à lui seul,
déjà dans mon cœur, tout doux, vient d'éclore
un inconnu désir d'être libre!
Un jeune amour encore timide,
mais qui me frôle d'un geste effronté!
Je ne mens pas, pourtant déjà j'invente,
fidèle et trompeuse en même temps!
Avec de faux poids j'adultère ma vente,
et moitié consciente et moitié dans le rêve,
mon cœur le trompe enfin,
mon cœur le trompe enfin et je l'aime pourtant!
Moi-même, je crois n'être encore qu'à lui seul,
déjà dans mon cœur, tout doux, vient d'éclore
un inconnu désir d'être amoureuse.
Ce fut avec Paillasse e Mezzetin!
Puis avec Cavicchio, puis Burattin, puis Pasquariello!
Et quelquefois même, il me semble,
deux ensemble!
Non par caprice,
mais par contrainte!
Toujours avec une même surprise,
car le cœur, même en lui-même, ne voit rien.
Tel qu'un dieu, je vois chacun paraître,
à son pas seul, que mon cœur bat!
Un baiser au front et sur les joues,
me voilà prisonnière du dieu, transformée de fond en comble.
Qu'un nouveau dieu vienne à paraître,
je suis prise sans combat.
Un baiser aux lèvres et sur les joues,
je suis prise sans combat.
Qu'un nouveau dieu vienne à paraître,
je suis prise
sans combat.
Bien prêché pour des oreilles sourdes!
On dirait qu'elle et moi parlons deux langues différentes.
Il semble.
Je me demande s'il lui serait possible d'apprendre à s'exprimer dans ma langue.
Attendons qu'elle apprenne. Mais ce que je veux, sans plus attendre...
- Pour qui me prends-tu? - Pour une fille adorable,
dont les rapports avec moi veulent une tendresse plus chaude.
Insolence!
Dans cet endroit-ci! Devant l'appartement de la princesse!
Peuh! Cela? Ce n'est qu'une grotte!
- Ça n'y fait rien! - Beaucoup! Pas de fenêtres!
Je crois que tu en es capable...
N'en doute pas! De tout!
Et dire qu'il y a des femmes qui, pour cela, voudraient d'un tel homme!
Et dire que toi, des pieds à la tête, tu voudrais comme elles!
Zerbinetta!
Les hommes!
Ô mon Dieu, si tu nous commandes de ne pas répondre à leurs avances,
pourquoi les fis-tu donc aussi dissemblables?
Calmer ce cœur trop obstiné par des sauts et des couplets,
ne me semble pas possible!
Qu'elle pleure, s'il lui plaît!
Moi je me sens joyeux quand tu fais tes doux yeux.
Et ton regard suffit pour me troubler l'esprit.
L'île est déserte, viens, laisse-toi conduire,
les jolis coins, je les connais bien!
Rien qu'un carrosse avec un palefroi,
et la petite serait à moi!
Elle gaspille
regards et gestes, charmante fille,
j'attends le reste!
Toujours contrainte!
Non caprice!
Nouvelle surprise, délicieux supplice!
Moi je me sens joyeux.
J'attends le reste.
- Si la petite était à moi! - Je connais les jolis coins!
Ce fut avec Pasquiarello et Mezzetin!
Puis avec Cavicchio et Burattin!
Non par caprice,
mais par contrainte!
Et quelquefois même, deux ensemble!
Comme il se baisse avec empressement!
Si je le rends jaloux...
Elle me rend jaloux de celui-là.
Tu me fais tourner la tête, et d'amour je suis transi.
Si je le rends jaloux, le lourdaud perdra la tête!
Je le tiens à ma merci!
Comme elle les rend prestes, et zélés, chacun jaloux de l'autre!
- Moi, la main! - Moi, le soulier!
Moi, le regard!
C'était son gage!
Tendre femme, c'est moi qu'elle espère!
C'est à moi que son cœur veut plaire!
Pst! Où est-elle? Où peut-elle être?
Pst! Où est-elle? Où peut-elle être?
Pst! Où est-elle? Où peut-elle être?
Pst! Où est-elle? Où peut-elle être?
Hasard stupide!
On ne m'a pas reconnu!
Car le cœur, même en lui-même, ne voit rien!
Comme sa silhouette est fine et charmante!
Aï, aï, aï, aï!
Mains et lèvres, bouches et mains!
Mains et lèvres, bouches et mains!
Quel bien-être surhumain!
Aï, aï! Voleur!
Le répugnant voleur!
Vois, comme sa silhouette est fine et charmante,
comme son étreinte répond à mon étreinte,
mains et lèvres, bouches et mains,
- quel bien-être surhumain! - Voleur! Le répugnant voleur!
- Un beau miracle! - Un éphèbe adorable!
- Un jeune dieu! - Alors, vous savez? - Il se nomme? - Bacchus!
Un éphèbe adorable!
- Écoutez-moi donc! - Qu'on m'écoute!
Sa mère est morte à sa naissance!
- Une fille de roi! - Par un dieu chérie!
Quel fils de l'Olympe?
- Par un dieu chérie! - L'enfant sans mère... Qu'on écoute!
Par des nymphes fut élevé.
- Des nymphes! Le tendre enfant du dieu! - Par des nymphes fut élevé!
Que n'est-ce à nous que c'est arrivé!
Que n'est-ce à nous que c'est arrivé!
Grandi comme une flamme au vent!
Il devient homme, jeune et viril!
Il s'embarque avec de rudes marins!
De nuit, il a mis les voiles!
- Lui à la barre. - Il est audacieux, le jeune homme!
- L'aventure est un prodige! - Lui à la barre!
La première aventure? Veut-on la savoir?
Circé! Circé! À son rivage aborde la nef
et dans son palais il pénètre, au feu des torches.
Elle-même l'attend au seuil,
à sa table elle l'assied,
elle veut qu'il mange,
- et boive aussi. - Boisson magique!
- Aux lèvres enchantées! - Dons d'amour!
Mais l'éphèbe! Quand, perfide, un jour la reine croit l'avoir enfin dompté,
son astuce magicienne n'a rien pu sur sa fierté!
Son astuce magicienne
n'a rien pu sur sa fierté!
Délivré de son étreinte, droit, l'éclair d'orgueil aux yeux,
fier et libre, mais sans crainte, qu'il est beau, le jeune dieu!
Fier et libre, mais sans crainte, qu'il est beau, le jeune dieu!
- Ariane! - Fier et libre!
- Dort-elle? - Sans crainte!
- Non, elle écoute! - Un beau miracle!
- Fier et libre! - Un beau miracle!
- Un éphèbe! - Un dieu!
Hier encore, l'hôte de Circé, couché près d'elle à sa table,
buvant la boisson magique...
- Un éphèbe! - Il est aujourd'hui chez nous!
- Un dieu! - Tu entends, Ariane?
Circé, peux-tu m'entendre?
J'ai su fuir, moi, tes charmes vains,
mais ceux que tu transformes,
quel est leur vil destin!
Circé, vois, je suis libre. Vois,
je puis rire sans effroi.
Circé, que voulais-tu faire aussi de moi?
À travers ma souffrance, ô doux consolateur,
un cœur parle à mon cœur.
Chante, chante, douce voix,
chante encore, étrange oiseau,
tes plaintes vivifient,
tes chants nous ravissent!
Mais si, rompant tes charmes, j'ai su quitter tes bras,
d'où viennent ces voix qui m'alarment et qui me parlent tout bas?
Je sens en mon cœur se répandre comme un poison sournois!
Circé, quel sort étrange as-tu jeté sur moi?
Ô messager de mort, ta voix est bien douce!
Baume en mes veines,
et trêve pour mon âme!
Chante, chante, douce voix,
douce voix, chante encore!
Tes plaintes vivifient!
Tes chants nous ravissent!
Circé, j'ai su quitter tes bras!
Circé, j'ai fui tes charmes vains!
Circé, j'ai su quitter tes bras!
Vois, je peux rire sans effroi!
Circé, que voulais-tu faire aussi de moi?
Ne trouble point de volupté par tes transports nocturnes
mon cœur déjà si faible!
La femme qui t'appelle, emmène-la!
Thésée!
Non, non!
C'est toi, le beau, le sage dieu!
Salut à toi,
à toi, le dieu des messagers!
Ô toi, superbe!
Es-tu déesse de cette île?
La grotte est-elle ton palais?
Étaient-ce là tes trois suivantes?
Chantant au rouet, magicienne,
attires-tu l'étranger pour l'asseoir à ton festin
et lui fais-tu verser un philtre qui le perd?
Et qui se donne à toi, le métamorphoses-tu?
Malheur! Es-tu donc enchanteresse aussi?
J'ignore à quoi tu penses.
Mais toi, dis, voudrais-tu m'éprouver?
Mon cœur est plein d'une tristesse sans espoir!
Je vis ici, dans ton attente!
J'attends depuis des jours, des nuits,
depuis combien de temps,
ah, je ne sais plus!
Quoi? Me connais-tu?
Tu m'as déjà nommé de quelque nom.
Non, non, lui, tu n'es pas.
Mes sens sont si troublés.
Qui suis-je donc?
Tu es le seigneur qui sur un noir vaisseau
chevauche les sombres flots.
Oui, le seigneur sur un vaisseau.
Prends-moi! Sans crainte, oui, prends-moi, avec mon cœur las!
À quoi peut-il servir sur terre encore?
Ainsi, tu m'accompagnes sur ma nef?
Quand tu voudras.
Mais quoi? Tu veux m'éprouver!
Comment me transformeras-tu?
Par tes mains? Par ton bâton?
Dis? Ou bien est-ce un philtre que tu fais boire aussi?
D'un philtre tu parlais!
Ai-je parlé d'un philtre?
Vraiment? J'ignore.
Je sais, c'est bien ainsi, là-bas, où tu m'emmènes!
Qui, là, séjourne, promptement oublie!
Parole et souffle aussi, tout meurt bientôt!
On se repose, et se repose encore de son repos,
car personne ne se fatigue à pleurer,
on ne sait pas pourquoi l'on fut si triste:
rien n'a plus aucun intérêt, là-bas!
Je suis un dieu!
Un dieu m'a fait!
Quant à ma mère, elle est morte brûlée,
lorsque mon père parut en ses foudres.
Le philtre de Circé fut vain contre moi,
je le défie:
baume, éther, et non sang mortel, circulant dans mes veines.
Sois-en sûre, toi qui m'écoutes,
toi qui veux mourir:
les astres mêmes pourront s'éteindre,
sans qu'à mon étreinte la mort t'enlève!
Ce sont des mots magiques!
Hélas! Déjà?
Et sans aucun retour!
Aurai-je donc l'oubli si promptement déjà?
Tout va-t-il donc s'effacer?
Soleil? Etoiles? Et moi-même?
Pour toujours mes chagrins vont-ils enfin disparaître?
Ah! Un souffle est tout ce qui subsiste d'Ariane?
Je te le dis:
vivre commence enfin pour nous, pour toi et pour moi!
Plus aucun poids ne broie mon cœur!
L'as-tu chassé d'un souffle?
De tes tourments surgit le bonheur dont l'onde emplit ton cœur et le mien!
Là-bas était la pauvre chienne, par terre étendue,
avec les vers, les cloportes, et les brûlantes orties.
Mais toi, l'enchanteur,
tu me transformes!
Est-ce, dans cette ombre qui te drape,
le regard maternel qui brille sur moi?
C'est là ton sombre empire? Ombre bénie,
où tout est libre du monde terrestre!
Toi-même! Te voilà libre!
Toi, mon enchanteresse!
Quel est le passage?
Suis-je arrivée?
Est-ce l'au-delà?
Sommes-nous déjà sur l'autre rive?
Ma grotte même est belle, voûtée,
et sur la couche amoureuse
un autel sacré s'élève!
Miraculeuse métamorphose!
Tout! Tout pour toi!
Je suis tout autre que le fus!
L'âme divine en moi s'éveille!
Ton être intime, je le possède!
Mon être brûle du plaisir d'un dieu!
La grotte, là! Laisse!
La grotte où tu fus triste,
abritera l'ivresse de nos deux cœurs!
- Chante, chante, douce voix. - Que suis-je encore entre tes bras?
- Chante encore, étrange oiseau. - Oh, que fais-tu mourir en moi,
- Tes plaintes - étrange et doux mystère,
- vivifient. - au souffle de tes lèvres?
- Tes chants nous ravissent! - Que reste-t-il d'Ariane?
Fais que ma peine
ne soit pas perdue.
Qu'un nouveau dieu paraisse,
sans combattre, nous sommes prises.
C'est toi que mon cœur attendait.
Maintenant je suis différent de celui que j'étais.
Laisse Ariane auprès de toi!
De tes souffrances je suis riche
et mon être brûle du plaisir d'un dieu!
Les astres pourront s'éteindre
sans qu'à mon étreinte la mort t'enlève!