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A vous entendre, on dirait que c'est l'objectif...
principal. Mais ce n'est pas le cas.
L'objectif principal,
c'est d'exposer un problème et d'essayer de le régler.
Dans ce cas précis, le problème était
de rendre hommage
à ceux qui sont tombés dans la lutte
contre la répression et l'impérialisme.
En définitive...
le contenu politique de mon travail
n'est pas dans la narration
mais plutôt dans l'action de faire de l'art
comme un lieu géographique de l'éthique.
Cela peut parfois sembler être une solution formaliste,
parfois une solution philosophique,
ou encore une solution politique, comme dans ce cas précis.
Mais je n'aime pas limiter la définition de mon travail
à un seul thème.
Et j'avais l'impression que c'est ce que vous faisiez.
C'est une oeuvre en soi.
Je suis mal à l'aise de constater
que vous considérez l'Amérique latine
comme un tout. C'est la première chose.
C'est comme si nous organisions une exposition intitulée "Europe".
Imaginez ce que cela donnerait,
une exposition intitulée "Europe".
Vous essayez, à travers chacune de vos questions,
d'obtenir une réponse qui corresponde
à ce que vous voulez entendre.
Où vous situez-vous, en tant que Français,
vous qui avez vécu, ou vos parents, dans une ville
occupée par les Allemands ?
Vous ne cessez de parler de répression,
de dénonciation,
et de nous faire parler de politique.
Mais nous aimerions savoir comment vous,
en tant que Français, vous vous situez par rapport à la répression.
Car il semble, d'après ce que vous avez dit,
que ce soit une sorte de lieu commun.
Je vous assure
qu'il y a de nombreux artistes latino-américains
qui ont ressenti le même malaise que moi.
Le néolibéralisme est global.
N'est-ce pas ? C'est un phénomène global.
Le capitalisme, au stade suprême,
touche la planète entière. N'est-ce pas ?
Alors, il y a une sorte de romantisme
quand vous dites que nous n'avons pas d'iPhone
ou que nous n'avons pas de McDonald's.
L'important, c'est de voir les problèmes politiques
tels qu'ils sont et de ne pas nous idéaliser,
comme si nous étions à l'écart du monde,
des Etats-Unis, de la guerre en Irak,
ou de la situation au Moyen-Orient.
Ce qui m'intéresse...
c'est d'investir le moins d'énergie possible,
par paresse et par souci d'économie,
pour arriver à un maximum d'effet, avec un apport minimum.
Ça donne un résultat élégant, en matière de création.
Je suis à la fois d'accord et pas d'accord avec Eugenio.
Je ne suis pas d'accord avec lui dans le sens où McDonald's,
bien qu'il globalise
la société de consommation,
est perçu différemment
en Amérique latine et aux Etats-Unis.
Aux Etats-Unis, c'est une franchise acceptée,
voire adorée.
Mon épouse, qui est américaine, adore leurs hamburgers.
Alors que moi, je vais aux toilettes pour vomir.
Il y a une différence d'idéologie de consommation
entre nous, après 34 ans, que nous n'avons pas encore réglée.
Il existe donc des icones qui, bien qu'ils soient globaux,
sont différents, dans la manière dont ils sont perçus.
Je ne crois pas qu'il y ait un art global ou international.
Il y a des dialectes et une créolisation de la langue.
Il y a toujours le risque qu'une telle exposition,
que j'admire beaucoup,
nécessite un regard archéologique,
de la part de ceux qui sont étrangers à l'évènement,
et à la fois, moins archéologique, plus direct et plus interactif
pour un public averti.
Je trouve que l'Amérique latine est une oeuvre conceptuelle
qui n'a jamais été achevée.
En même temps, c'est aussi une île,
pas au sens purement géographique car au Nord, il y a un mur.
Mais elle est entourée d'eau.
Dans ce sens, il y a une insularité
qui rapproche, à travers la langue, la religion,
ou des phénomènes de répression, d'oppression et d'impérialisme.
Alors, il n'est pas étonnant de voir une unité esthétique
prendre forme.
Même si les artistes ne se sont pas concertés.
C'est pour cela que je trouve cette exposition passionnante.
Je connais beaucoup des artistes exposés,
mais j'en découvre aussi beaucoup et je constate nos ressemblances.
Oui, mais le message n'est pas dans la photo.
Il est dans la dénonciation du montage.
La photographie ne m'intéresse pas en tant que pratique artistique.
Je l'utilise quand cela m'arrange,
quand elle est inévitable à mon projet.
Elle est inévitable, parfois,
sur la base d'un vieux préjugé
selon lequel ce que je photographie est vrai.
L'image est réelle.
C'est une idée du XIXe siècle ou de la moitié du XXe.
Mais aujourd'hui, ça ne marche plus.
Aujourd'hui, c'est devenu de la fiction, grâce à Photoshop.
Ce qu'on voit sur une photo, c'est de la fiction.
Ce n'est pas un document.
On ne s'est toujours pas adaptés à ce changement culturel.
Tant que ça a été réel, c'était utile.
Si je proposais des photos, au siècle dernier,
je savais que dans le processus de communication,
le public les intégrait comme quelque chose de vrai,
comme un document réel
qui fige un instant précis
et qui le conserve comme quelque chose d'objectif.
Ce qui me touche, ce n'est pas
cette transmission directe.
Ce qui m'intéresse, c'est que les données informatives
contenues dans la photo,
ou dans n'importe quel support,
déclenche autre chose.
C'est pourquoi je me sers de tout ce que je fais
comme d'un levier
qui puise l'énergie du contexte
pour se développer.
On retrouve l'implication minimum
pour un résultat maximum.
La photo seule n'a pas de poids.
La photo a un impact, comme tout,
quand elle trouve une résonance
et qu'elle exploite le contexte culturel,
la connaissance du public
et les références tacites
que j'ai en commun, en tant que membre de cette société,
avec le spectateur.
Je comptais attendre que vous ayez fini pour intervenir.
Mais depuis le début, comme mon camarade Dittborn
l'a souligné, je crois que l'on fait fausse route.
Vous avez dit, et je vais vous citer,
"50 ans de folie, de violence et de sauvagerie".
Et vous avez répété le mot "dictature",
car finalement, tout cela est lié à la dénonciation
du mensonge dans la publicité.
Moi, je suis péruvien. Nous n'avons pas eu de dictature
qui corresponde à ce que vous décrivez ici.
Au Pérou, nous avons eu le Sentier Lumineux,
une proposition de gauche,
qui a usé de la pire sauvagerie afin d'imposer une idée
et qui a obtenu une réponse de l'Etat péruvien.
Mais nous étions en démocratie.
Alors, pour parler
de ce qui nous rend mal à l'aise en ce moment,
arrêtons de penser que l'art latino se résume au réalisme magique
et abandonnons aussi le cliché selon lequel l'art contemporain latino
ne traiterait que de dictature, de sauvagerie et de mort.
Il est vrai, et je vais finir là-dessus,
qu'il existe une dénonciation des mensonges de la publicité
mais c'est beaucoup lié à l'idée
que le gouvernement et l'Etat sont les méchants.
Selon mon expérience, au Pérou,
le mal était dans l'Etat, certes,
mais aussi dans un mouvement subversif armé
qui a mené à la répression de l'Etat.
C'est en cela que mon pays se démarque des autres pays latinos.
Je pourrais me taire et écouter
mais pour le public français qui connaît mal l'Amérique latine,
je crois que l'on fait fausse route.
Tout cela est trop schématique. Voilà ce que je voulais dire.
L'Amérique latine a connu l'opération Condor
qui était une vague de répression
qui a sévi dans le sud de l'Amérique latine.
Certains pays n'ont pas eu besoin de cette opération.
Belaunde Terry, au Pérou, fournissait du pétrole
sans broncher aux Etats-Unis,
malgré des feuilles manquantes dans le contrat.
Ensuite, la violence a été réciproque.
C'est une autre histoire, mais je ne la trouve pas
si éloignée,
contrairement à certains pays. Mais peu importe...
Ce qui compte, c'est de définir notre rôle
en tant qu'artistes.
Dans nos sociétés, les artistes sont des individus.
Depuis peu, on voit émerger
des collectifs,
des artistes qui ne se présentent plus comme des individus
mais qui promeuvent des causes.
En réalité, l'art ne m'intéresse pas beaucoup.
Je suis devenu artiste par accident.
Ce que j'aime, c'est l'éthique,
la politique, en tant qu'étude de stratégies
visant à trouver cette éthique.
L'art m'intéresse,
d'un point de vue idéographique,
en tant qu'instrument avec lequel
je mets en place des stratégies politiques.
Donc, pour moi, il n'a qu'une importance minime.
Ce qui compte, c'est d'être un bon citoyen
dans la société que j'imagine
et de faire en sorte que chacun soit un bon citoyen dans cette société,
qui est bien entendu utopique et qui n'existera jamais.
Mais j'essaie. Pour ne pas me suicider.
Je crois que c'est le noyau qui nous rassemble tous.
Essayer, en étant plus ou moins clairs,
de travailler dans ce sens.
Certaines choses nous unissent. D'autres, nous séparent.
Je me sens très éloigné des artistes formalistes,
qui produisent des objets pour les vendre.
Et je me sens très proche
des artistes qui essaient de changer la culture
en générant une dynamique progressiste dans la culture
et en renforçant le reste de la société.
Dans ce sens-là...
J'essaie, sans grand succès, de faire en sorte que mon travail
soit inévitable,
dans le processus de communication.
Une fois que je commence à travailler,
il faut que l'oeuvre soit nécessaire
pour faire passer mon message.
Et par ailleurs, j'essaie, en tant qu'artiste,
d'être dispensable.
A partir du moment
où je dois continuer à faire de l'art,
je confesse l'échec
de ma mission.
Le jour où je ne serai plus utile en tant qu'artiste,
j'aurai réussi.
Non, personne ne s'est trompé.
Il s'agit de la rencontre
de plusieurs manières d'interpréter
le continent sur lequel nous vivons
et la façon dont il a été représenté
et interprété par les artistes ou les photographes.
Appelez-les comme vous voudrez.
Je crois qu'il s'agit surtout de comment aborder
le travail de chacun.
Il est toujours question de l'idéologie du photographe.
Ce qu'il pense
se retrouve
dans son oeuvre, dans la photo.
Que ce soit mon idée ou celle des autres,
comme dans le cas de Camnitzer.
Je suis d'accord avec presque tout ce qu'il a dit.
- Pas tout ? - Non.
Le travail dont vous parlez
est le reflet
de mon parcours. J'ai été photographe d'architecture
pendant longtemps, en Italie et au Venezuela. J'avais 20 ans.
J'ai vécu 4 ans à Cuba,
quand je suis rentré en Amérique latine.
Puis, j'ai été engagé pour un projet sur l'architecture.
Je suis allé du Mexique à l'Argentine.
Il s'agissait de photos d'architecture
pas seulement dans leur contexte...
Mais du point de vue du travail des architectes
ou de cabinets d'architectes.
C'était des photos d'immeubles, de banques, d'écoles,
des maisons, de grandes propriétés, etc.
Cela tournait autour de l'urbanisme.
En prenant ces photos,
avec un appareil professionnel,
il fallait que tout...
soit le plus net et le plus compréhensible possible.
Et je me suis rendu compte que la vie, autour...
Bien sûr, je l'avais déjà constaté avant.
Autour de ces banques et de ces immeubles,
il y avait...
Il y avait un fossé entre ces deux mondes.
La réalité sociale qui entourait cet environnement urbain
était toujours à l'opposé de ce que je voyais.
Il se passait la même chose avec ce que je voyais
sur les publicités.
C'était en contradiction avec ceux qui étaient sous les panneaux.
Il y a deux mondes : celui d'en haut et celui d'en bas.
Oui. Je peux ? Je voulais ajouter,
par rapport à cette conversation,
qu'il s'agit de l'exposition "América Latina 1960-2013".
Nous sommes 30 photographes vivants.
Nous sommes ici présents.
Notre travail ne parle pas uniquement du passé
mais aussi, fondamentalement, du présent et de notre vision
du présent.
Chaque personne du public, les commissaires d'exposition,
tous ceux qui vont voir cette exposition,
vont réagir face au présent,
qu'il s'agisse du présent latino ou européen.
C'est pourquoi, nous autres,
qui venons d'Amérique latine,
avec notre lourd passé... Je rejoins ce que disait Eugenio,
l'Europe aussi a connu des traumatismes.
Et nous ne sommes pas là pour être complaisants
et admirer la grandeur de l'Europe
alors qu'aujourd'hui, l'Amérique latine
a des choses à dire
en matière de fascisme, de racisme,
ou de rejet de l'autre.
Je crois que, dans une certaine mesure,
notre travail conceptuel, ici présent,
élabore un ensemble d'idées qui rejoint notre problématique
mais aussi celle de l'Europe,
avec des thèmes communs,
comme le rejet de l'autre,
le racisme, la violence
et les manifestations politiques
auxquelles nous avons assisté.
Les photos de Paolo, sur les banques,
sont toujours d'actualité. En Amérique latine, certes,
mais aussi en banlieue parisienne, d'où sont parties ces émeutes,
qu'on a retrouvées à Rio de Janeiro ou à Istanbul.
Le présent fait partie de cette exposition.
Quels sont les problèmes posés ici ?
La relation entre le mot et l'image,
entre le texte et la pensée,
la possibilité que l'art change la société et l'interpelle,
s'il existe une entité latino-américaine,
question que l'on se pose depuis le 1er forum de Mexico en 1978,
et dont on débattait encore à Sao Paulo, il y a 3 semaines.
Mais au-delà de la question d'une identité commune,
notre propos ne concerne pas uniquement l'Amérique latine.
L'essor du fascisme, aujourd'hui, n'a pas lieu là-bas,
mais en Europe.
Juste une petite...
précision sur ce que disait Marcelo.
Le fascisme n'est pas présent ici et absent là-bas.
Je crois qu'il est partout.
Et disons que...
la fonction, ou la nécessité, comme vous le disiez,
ou l'inévitabilité de faire quelque chose par rapport à cela...
Le rôle de l'artiste
est le même partout
en fonction de ce qu'il pense
et de comment il pense.
D'après moi, il faudrait toujours se positionner
d'un point de vue éthique
en prenant l'homme
comme argument indispensable.
Certainement, car pendant ces 50 ans,
l'Amérique latine a vécu
une crise profonde, qui a touché la conscience
des artistes et qui les a poussés à s'exprimer.
Quelle était l'autre question ?
Eh bien, je crois
que l'exposition est très bien réalisée
pour permettre de comprendre ce processus.
Elle reflète...
de façon bien structurée,
le travail de tous ces photographes
tout au long de ces années difficiles,
et aussi les contradictions.
La dernière contradiction que nous vivons,
c'est que nous regardons
cette tragédie
installés dans un endroit
qui est le symbole de l'opulence.
C'est la Fondation Cartier.
C'est un paradoxe supplémentaire.
Car en même temps, c'est grâce à elle
que nous pouvons exposer notre travail.
Je voudrais prendre la parole.
Je parlerai en portugais et quelqu'un traduira.
Je suis une artiste brésilienne.
Toutes les questions posées durant cette conférence...
Je ne vais pas les aborder. Je suis une artiste...
Mais je voudrais dire certaines choses...
au sujet de la lecture que l'on peut faire
de l'Amérique latine.
Et quand on fait cette lecture de l'Amérique latine...
Il est évident qu'une telle exposition...
Ce n'est pas pour en faire l'éloge, mais elle est très belle,
parfaite...
Qu'est-ce que l'"Amérique latine"...
Etant brésilienne, je vois l'Amérique latine du côté pacifique,
et le Brésil de l'autre côté.
Divers historiens ont déjà écrit sur ce sujet.
Les questions que nous soulevons ici :
l'Europe d'un côté, l'Amérique latine de l'autre,
les Etats-Unis encore ailleurs.
Je ne les comprends pas. Même si je ne suis pas idiote.
Je ne comprends pas ce que vous cherchez.
Un artiste, justement, travaille malgré les mots,
malgré les contradictions, et le reste.
Nous conversons ici entre artistes
qui traitent ou ont traité... Ils sont encore vivants.
Ils traitent de questions
sur l'art
et sur la politique.
De nombreux artistes d'Amérique latine et du Brésil
ont développé ce travail principalement dans les années 70.
L'art politique...
Je vais reprendre le portugais.
C'est la tour de Babel dans ma tête.
L'art politique...
Jusqu'à présent mon travail...
Mon travail, je ne vais pas le classifier,
mais le travail que je présente dans l'exposition
"Amérique latine, 1960 - 2013",
montre mes travaux des années 70.
Sans doute
que ces travaux,
malgré les différences entre les artistes,
et même entre les travaux des artistes brésiliens de l'époque,
traitent tous de la question de la dictature
que nous avons vécue pendant 21 années,
et ce n'est pas rien.
Dans les années 60...
De 1964 jusqu'à 1981,
la dictature a poussé
les artistes
qui avaient une conscience politique
à protester
à travers le production d'objets artistiques.
La situation au Brésil
métaphoriquement,
dans sa réalité,
ou symboliquement,
est liée
de manière importante et concomitante
à celle de divers artistes d'Uruguay
et d'Argentine.
Ceux que je connais le mieux sont en Uruguay et en Argentine.
En effet si on compare
les longues dictatures
à d'autres longues dictatures,
il y a des périodes...
sous ces régimes, le Chili...
Notre préoccupation
en tant qu'artiste
par rapport à l'Europe
et au Etats-Unis, étant brésilienne...
Notre... ou ma...
et celle de quelques autres artistes... Notre préoccupation
à propos de la situation au Moyen-Orient...
C'est une vive inquiétude.
La situation en Iran ou en Irak,
avec tous ces événements, fait aussi partie
de mes préoccupations
et façonne ma réflexion d'artiste
sur ce que traverse ce monde.
C'est ce que je voulais dire.