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-Vous êtes la première! -La première?
Vous avez dit avoir rêvé de la métallurgie.
J'ai trouvé ça très beau.
J'ai été très émue, à l'époque des grèves de 1979.
Nous n'avions pas la télé, mais j'écoutais la radio.
Je trouvais cela tellement beau, quelqu'un qui lutte pour une cause.
À l'époque, lutter pour ses droits était interdit.
On voyait les puissants commander aux plus faibles
et on ne pouvait rien faire, rien dire.
En entendant cela je pensais : ''Mon Dieu! Pourrai-je un jour
participer également à ces luttes?''
Alors en 81, je suis allée à São Paulo.
J'ai été métallo là-bas de 85 à 94,
et je suis revenue en 98.
Parce qu'en 93 j'ai eu mon fils.
Alors, je n'ai pas supporté de travailler un an de plus.
ll était très attaché à moi, il était maladif, je devais m'occuper de lui.
À l'usine il n'y avait pas de crèche.
ll ne s'est pas adapté à la maternelle, alors j'ai préféré quitter.
À l'époque, j'appartenais à la direction
du syndicat des métallurgistes de l'A.B.C.
Vous vivez de quoi?
Maintenant, je suis simplement ménagère.
Et vous vivez de quoi?
Je vis de la pension de ce petit, que son père...
Depuis notre séparation, il paye la pension.
Nous vivons de cette pension.
lci il n'y a pas de travail?
ll n'y en a pas. Beaucoup de jeunes ici sont au chômage.
Alors, imaginez une personne de plus de 49 ans...
Ça a valu la peine d'aller à São Paulo?
-Oui, vraiment. -Pour moi, ça a valu le coup!
Pour moi, qui y ai vécu 32 ans, ça a été un grand apprentissage.
-Pourquoi? -Parce que, si j'étais resté ici...
ll ne me resterait qu'à aller travailler dans les champs.
Je ne savais rien du syndicalisme. Aujourd'hui, je suivrais encore
les consignes de vote d'un chef politique.
Le vote de faveur, appelé ''vote de complaisance''.
lci, il existe encore des ''votes de complaisance''?
Oui, aujourd'hui encore.
Vous êtes venu ici pour faire quoi? La retraite?
J'ai végété. Je suis arrivé ici
et je suis resté comme ça, sans rien faire.
Je conduis Arthur à l'école, c'est tout.
Vous prenez votre fils à l'école? Dites-moi.
C'est ma tâche la plus lourde.
Votre retraite vous permet de vivre, ici?
Ça suffit pour se maintenir.
Je pars avec vous et Arthur nous accompagne.
Je pars devant, vous m'accompagnez.
Vous n'aurez pas à vous arrêter pour demander des renseignements.
Zacarias est aussi mon ami.
M. Zacarias est ici?
-Vous êtes Mme Ana? -Oui!
Je me souviens très bien,
en allant travailler chez Volks, je n'avais pas de vêtements chauds.
À l'époque,
il y avait une très forte gelée, vraiment forte.
Je grimpais sur la ligne d'assemblage 5.
Les ''coccinelles'', on en fabriquait de tonnes chez Volkswagen.
Je voyais le capot des voitures, couvert de givre
et moi, venu de Bahia...
Les autres se moquaient de moi. ''Pourquoi tu ne mets pas un blouson?''
J'ai répondu : ''Je n'aime pas ça. Je n'ai pas froid.''
Mes jambes tremblaient,
mais je n'avais pas d'argent pour acheter un blouson.
C'est arrivé à nous tous qui y sommes allés
pour tenter une autre vie.
Vous avez eu du mal à vous habituer?
Non, ça n'a pas traîné.
Je me suis habitué et en même temps pas vraiment.
Mon rêve était, une fois retraité, de revenir
où je suis né.
Et Dieu m'a aidé.
Et on y est arrivé, difficilement, mais j'ai obtenu ma retraite,
et aujourd'hui me voilà, je mène une vie tranquille.
Vous pensez que la vie chez Volkswagen
a toujours généré de la souffrance?
Oui, pas seulement chez Volks.
Dans toutes les grandes entreprises également.
On peut dire Scania, et pourquoi pas Mercedes ou Ford?
ll y avait de la souffrance. Pourquoi?
Parce qu'au début, on était traités comme des esclaves.
C'est vrai, comme des esclaves.
Car voyez-vous...
lls profitaient de notre peur de perdre notre emploi.
''Si je perds mon emploi, je suis...''
Maintes fois j'entendais : ''Si tu n'assures pas, gare à toi...''
Que pouvions-nous faire d'autre?
Plusieurs fois j'ai quitté une machine pour ne pas casser la gueule d'un chef.
Et j'allais aux toilettes pour pleurer. J'ai fait ça si souvent...
Alors, pour ça, il y avait de la souffrance.
Vous allez voir pas mal de gens qui ont participé
aux grèves de 198O. Toutes le grèves :
grève interne, grève externe, tous les mouvements qui ont eu lieu...
Toute la souffrance des métallos, on aurait dit une guerre.
Des types qui couraient, qui jetaient des bombes,
et la Police qui tabassait les types, certains tombaient par terre...
D'autres étaient licenciés sans droits et foutaient la pagaille.
C'était un vrai mouvement, on aurait dit une vraie guerre.
Je lutte et ce n'est pas pour rien.
Novembre 79. Quelle merveille!
C'est bien conservé.
Vous le gardez depuis cette époque?
Toute une vie de lutte aux côtés des travailleurs.
Sincèrement...
Je suis de gauche.
Les gars disent : ''Lula ne sait pas gouverner!''
Si moi je sais, pourquoi pas Lula? Pourquoi pas les travailleurs?
Ce qui compte, c'est l'équipe.
Ce n'est pas Lula en soi, c'est l'équipe.
C'est maintenant qu'il faut...
''Je sais gouverner, maintenant j'agis!''
Jeudi, Lula a dit là au café de São Bernardo,
prenant un café,
qu'il ne gouvernerait pas pour les banquiers.
Je disais à Bezerra qu'il n'aurait pas dD dire ça,
car la bande peut tramer un sale coup
et nous rendre la tâche de gouverner plus difficile.
Car les autres disent déjà : ''Lula ceci, cela...''
Le gouvernement de Lula c'est le PT.
Le Parti des Travailleurs!
ll n'a pas à dire ce qu'il va faire! Asphalter cette rue
ou asphalter je ne sais quoi.
Parti des Travailleurs!
Maintenant s'il ne fait rien pour nous, alors ça se passera mal!
-À quel âge êtes-vous parti d'ici? -Je suis parti
...à 3O ans et des poussières. -À cet âge là?
J'avais déjà 5 enfants, 5 petits.
Alors, quand j'ai vu mes enfants pleurer de faim, j'ai dit :
''lci ce n'est pas possible.'' Et je suis parti.
-Vous êtes allé à São Paulo? -Oui.
-Le travail était très dur? -Très dur, très dur.
Le travail à l'usine ou l'organisation de la grève?
L'organisation de la grève était dure car nous avions, disons,
ce second père
qui ne se battait pas à notre place, mais nous guidait.
Quand on est guidé, on a de la force.
Parce que nous sommes une machine, comme on dit :
''Si vous n'huilez pas la machine, elle ne marche pas.''
Alors, nous avions cet homme
que nous admirions,
pas seulement moi, mais tout le monde, pour nous guider,
pour être à nos côtés, quoi qu'il arrive.
Vous traitez Lula de second père?
Oui, parce qu'aujourd'hui, grâce au Ciel,
j'ai cette petite maison, une voiture et deux propriétés à São Bernardo.
Sinon, je gagnerais 2OO reais par mois
et n'aurais même pas un mulet, comme je vous ai dit,
dans la ferme où je suis né.
Mes parents sont pauvres. En restant ici, je le serais aussi.
Et vos enfants, que font-ils aujourd'hui?
À l'un de mes enfants, j'ai laissé ma place chez Volkswagen.
Et l'autre est métallo également.
L'autre était travailleur, mais
aujourd'hui il a mal tourné, car ça n'a pas marché.
Grâce à Dieu, j'ai sept enfants, dont trois...
J'ai trois filles mariées.
Seule la plus jeune n'est pas propriétaire de sa maison.
Mes deux autres filles sont très bien mariées.
Mais vous habitez ici?
Non, je n'habite pas ici, j'y passe quelques jours.
Parce que, comme je vous ai dit, je suis né et ai grandi ici,
mais je ne peux pas laisser São Bernardo
où ont eu lieu toutes les choses importantes de ma vie.
Je n'échangerais São Bernardo pour rien.
-Vous passez quelques jours ici? -Oui.
-Vous êtes arrivé quand? -ll y a 4 ans.
-''Quelques jours''? -Non, mais quelques jours
ça veut dire ''tant que les choses vont bien''.
Mais de temps en temps, je prends l'avion.
Je suis arrivé le mois dernier.
Vous avez le temps long...
Oui, quand mes petits me manquent, je fais un saut.
1959 - NAlSSANCE DE L'lNDUSTRlE AUTOMOBlLE AU BRESlL.
DES ENTREPRlSES MULTlNATlONALES S'lNSTALLENT
DANS LA REGlON DE L'ABC, DANS LE GRAND SÃO PAULO.
1964 - UN COUP D'ETAT MlLlTAlRE lNSTALLE UNE DlCTATURE
QUl VA DURER 21 ANS. LES SYNDlCATS SUBlSSENT
UNE lNTERVENTlON ET LE DROlT DE GREVE EST PRATlQUEMENT ABOLl.
1979 - LES METALLOS DE L'ABC
DECLENCHENT UNE GREVE GENERALE.
C'EST LE PREMlER MOUVEMENT DE MASSE
DE LA CLASSE OUVRlERE DEPUlS 1964.
LUlZ lNÁClO LULA DA SlLVA, LULA,
MENE PRES DE 14O MlLLE GREVlSTES.
Les travailleurs unis ne seront jamais vaincus!
Les travailleurs unis ne seront jamais vaincus!
Lula! Lula! Lula!
LE GOUVERNEMENT DECLARE LA GREVE lLLEGALE,
lL lNTERVlENT DANS LE SYNDlCAT DE SÃO BERNARDO DO CAMPO
ET ELOlGNE LA DlRECTlON.
Vous savez tous quoi faire demain matin!
Tous!
''ABC DE LA GREVE'', DE LEON HlRSZMAN
Vous savez tous quoi faire.
Nous avons fait dix jours consécutifs.
Dix jours!
Personne ne peut oublier cela.
ll existe un travail à faire dans les quartiers,
il existe un travail à faire aux arrêts de bus.
Et ce qui est plus important :
Personne ne doit aller à la porte de l'usine.
APRES DEUX SEMAlNES DE GREVE, LES METALLOS ETABLlSSENT
UNE TREVE DE 45 JOURS EN VUE DE NOUVELLES NEGOClATlONS
ET DEClDENT DE REPRENDRE LE TRAVAlL.
A L'lSSUE DE LA TREVE, LA GREVE SE TERMlNE PAR UN ACCORD
SALARlAL DONT LES GAlNS SONT PRATlQUEMENT NULS.
Nous allons reprendre le travail
et si notre demande n'est pas satisfaite,
nous nous arrêterons une autre fois!
J'assume...
J'assume un engagement, ici, avec vous.
Moi-même, je décréterai la grève une autre fois.
198O - RENFORCES PAR LA CREATlON D'UN
FONDS DE GREVE, LES METALLOS DE L'ABC PARALYSENT
L'lNDUSTRlE AUTOMOBlLE DU BRESlL DURANT 41 JOURS.
Nous savons tous pourquoi nous sommes en grève.
''CHAlNE DE MONTAGE'' ll n'y a que le gouvernement qui ne sache pas.
Et seuls nos chefs d'entreprise ne veulent pas savoir.
Nous savons tous que dans le monde entier
les travailleurs n'ont jamais rien obtenu, sans luttes,
sans persévérance,
sans disposition à lutter jusqu'au bout.
LA REPRESSlON EST VlOLENTE. LULA ET DlVERS DRlGEANTS
SONT ARRETES. VAlNCUS, LES METALLOS REPRENNENT
LE TRAVAlL. DES CENTAlNES DE GREVlSTES SONT LlCENClES.
LULA PREND UND DlMENSlON NATlONALE.
1981 - LULA ENREGlSTRE LE PT (PARTl DES TRAVAlLLEURS)
AUPRES DE LA JUSTlCE ELECTORALE.
2OO2 - LUlZ lNÁClO LULA DA SlLVA EST, POUR LA QUATRlEME FOlS,
CANDlDAT A LA PRESlDENCE DE LA REPUBLlQUE. LES
SONDAGES ELECTORAUX LE DONNENT LARGEMENT COMME FAVORl.
1er OCTOBRE 2OO2,
A 5 JOURS DU PREMlER TOUR.
Écoutez, je voudrais tous vous remercier d'être venus ici.
Nous réalisons un double documentaire :
une partie couvrira la campagne de Lula
et l'autre retracera les souvenirs
des participants à la grève et de préférence des anonymes,
les inconnus, pas les députés et autres.
Et qui est apparu sur des photos ou des vidéos de l'époque.
Je voudrais donc vous dire que nous allons passer une vidéo
qui dure 34 minutes et qui est un peu le résumé,
où apparaissent de nombreux inconnus,
au cours d'assemblées et ailleurs, en 79 e 8O.
Alors, lorsque vous les reconnaîtrez, pointez-les
ou tentez de les localiser, d'accord?
Je souhaIterais demander aux travailleurs
qui souhaItent me donner un vote de confiance
pour mon travail à la tête du syndicat.
Qu'ils approuvent un accord qui est très mauvais,mais si nous...
Voilà Ratinho.
Geraldo Siqueira!
Regardez, Feijoada, le grand noir!
C'est Severino, le trésorier du syndicat à l'époque.
Ce type est toujours ici, sous la... Ce type, là.
Regardez, c'est Miguel, Miguel du Cavaquinho.
-Miguel du Cavaquinho. -Oui, il est facile à localiser.
Voilà Feijoada!
Là on voit Manuel et Janjão.
-On met de côté ou non? -Non, faites passer.
Celle-là c'est Elza de l'usine Polimatic.
Elza de la Polimatic.
J'ai son téléphone.
Tu te souviens qui est ce type, là?
Avec les mains dans le dos de Lula.
-Attendez, j'ai cru voir un type... -Désolé, je vais trop vite.
Lui, je crois que c'est Formigão.
ll habite près du Syndicat.
Maintenant, quant à se rappeler le nom de tous ces types...
C'est compliqué.
lci, un gars très important, très pugnace, Geraldão!
-C'est Carrapicho? -Oui.
ll y en a 3 ou 4 comme lui, mais lui, c'est l'original, il travaillait dans
Fabrini. Ce type a disparu également.
Ce type là! ll faut interviewer ce type.
ll est mourant.
C'est Frelon.
Un autre type avec qui vous pouvez parler, c'est Contreras.
Je crois que c'est celui-ci.
Sonia a son téléphone.
Et ici? Ce gars me ressemble.
ll était beau, hein?
Oui, aujourd'hui encore.
Vous racontez ça à vos enfants
et espérez qu'ils soient fiers de la mémoire, non?
Je raconte toujours l'histoire des grèves, j'aime en parler.
J'espère qu'il soit fier et dise ainsi :
''Mon père a été métallo!''
C'est récent.
Plus *** ça apparaîtra plus loin... cette histoire.
Alors plus l'histoire est ancienne, mieux vaut la conter.
Si cela m'était arrivé hier, on dirait : ''Mensonge!''
Mais si cela s'était produit il y a 2O ans, les gens diraient :
''Oui... ça c'est une histoire.''
J'aimerais appeler notre ami.
C'est un camarade,
un ami de la direction, Djalma de Souza Bom,
qui va chanter une musique pourvous.
Tu es divine et gracieuse
Majestueuse statue de I'amour
Sculptée par Dieu
Et moulée avec ardeur
De I'âme de la plus belle fleur
Du plus attachant arôme
La préférée du colibri
Écoutez,camarades : préparez-vous pour lundi.
Une pause d'une demi-heure pour répèteren vue de lundi.
Allons-y!
Nous devons montrer que nous sommes vraiment prêts.
Ne cédez pas à Mercedes, qui veut seulement vous exploIter.
Je le sais bien,car je travaille lá depuis 15 ans!
Allons-y,les gars,allons-y.
N'ayez pas peur d'être arrêtés. La prison a été faIte pour I'homme.
Nous luttons pour une vie plus juste!
On se réunissait ici au centre de la place.
À peu près ici.
La foule se réunissait là, et nous étions ici, en haut.
La1e assemblée dont j'ai participé
s'est passée juste après la mise sous tutelle du syndicat.
Lula était chez sa belle-mère,
ils m'ont dit que c'était important que je m'adresse aux métallos
pour ne pas perdre la direction du mouvement.
Avec beaucoup de précaution,
nous sommes donc venus parler aux métallos.
Lors d'une seconde assemblée, Lula a repris en main le mouvement.
...nous serons aux côtés de tous les Brésiliens
qui veulent en finir avec I'exploItation
commise par le capItal muItinational.
Regardez, c'est moi. En chemise bleue.
-Celui-là? -Oui, c'est moi.
-Vous ne voulez pas vous montrer? -Pas question!
C'est à cause de... Vous n'aimez pas...
Non, ce n'est pas parce que je n'aime pas. C'est parce que...
Je ne veux pas m'engager parce que...
Je ne veux pas m'engager.
Même quand il parle de la relation amoureuse?
Non, la relation amoureuse...
Soyez à l'aise. Si à un moment donné vous...
ll en parlera. C'est son histoire.
Vous ne voulez pas qu'on vous voie, mais si vous changiez d'avis,
vous décidez, d'accord?
Comment vous avez connu votre femme?
Ma femme, je l'ai connue, quand j'étais encore gamin.
Vous étiez plus pauvre ou plus riche qu'elle?
Ah, elle était...
À côté de moi, elle était plus riche.
Pourquoi?
Elle avait une petite propriété,
elle avait un moulin à farine.
Je dépendais de la terre des autres, je n'avais pas d'endroit à moi.
La maison dans laquelle j'habitais avait une porte faite de branches.
C'était une maison construite en pisé.
Cinq ans plus ***, alors que j'étais déjà à São Paulo,
son père est décédé,
puis, elles sont venues à São Paulo.
La vie à la campagne était difficile.
Quand elle est arrivée ici, je lui ai demandé :
''Tu veux toujours m'épouser? Si tu veux, on se marie!''
J'étais ému...
Voilà, après un moment ensemble, on s'est marié.
On a pris du guaraná pour célébrer l'occasion, n'est-ce pas?
Les fiançailles au guaraná, c'est ça?
Oui, on a porté un toast aux fiançailles avec du guaraná.
On s'est marié
et grâce au Ciel, je suis heureux.
Pardon, je suis ému.
Ce film...
ma vie...
en vérité, ce film retrace ma vie.
Depuis que je suis venu du Nord-Est, ma vie a été un véritable feuilleton.
Nous avons fait grève durant 41 jours.
Alors, quand je suis retourné au travail, j'ai travaillé deux jours.
Puis, j'ai dit à un camarade : ''On s'en est tiré une fois de plus!''
Le jour suivant, quand je suis arrivé, ma carte n'était plus au tableau.
Je suis allé à la comptabilité et quand je suis arrivé ils m'ont dit :
''Tu es viré!''
Mon fils était triste, car il était fier de me dire
quand il voyait un camion de Mercedes :
''Papa, ce camion a une pièce que tu as fabriquée!''
Alors, je sentais qu'il était fier de moi.
''Regarde, papa, tous les camions Mercedes qu'on voit
ont une pièce fabriquée par toi.'' ''C'est vrai, mon fils!''
Ça fait combien de temps que vous êtes chauffeur de taxi?
21 ans. Je n'ai plus jamais travaillé dans l'industrie.
Ça vous plaît d'être chauffeur de taxi?
Eh bien... Je n'ai pas le choix, non?
Mais je n'aimais pas. Je ne suis pas un vrai chauffeur de taxi.
Ça me dépanne, car je ne gagne pas beaucoup d'argent
parce que je suis honnête!
Je n'aime pas voler les gens.
Pourquoi aimeriez-vous que Lula gagne?
Écoutez, je vais être franc avec vous.
J'aimerais que Lula gagne car il vient du même endroit que moi,
du Nord, et qu'il a eu faim également.
En arrivant ici, il n'avait que sa mère ; elle était domestique.
Elle creusait un trou dans le sol, et l'enterrait jusqu'à la ceinture
pour aller ensuite travailler, pour lui donner à manger.
Alors, je sais que lui aussi a souffert.
Je n'ai pas honte de dire que je suis communiste, d'accord?
Si je mourrais communiste, ce serait comme une récompense.
Et il n'y a rien à faire, je vais mourir comme tel.
Quand j'ai connu le syndicat, que j'ai commencé à lire
que notre sort n'allait s'améliorer que si nous luttions
en voyant les histoires des autres pays...
J'ai dit : ''C'est exactement ça!''
Et je dis la vérité, je trouve ça très beau.
Pour moi,
la plus belle chose au monde c'est le mot ''Syndicalisme''.
Je trouve que c'est une chose très belle!
Excepté le fait de danser,
les deux choses que je préfère : danser et le syndicat.
Vous trouvez mauvais qu'il fasse de la politique?
Juste votre voix...
Je le respecte car il faut respecter tout le monde.
Mais je ne suis pas d'accord.
-Mais vous ne vous disputiez pas? -Juste la voix...
Non, d'ailleurs ça ne servait à rien de se disputer.
Je crois que son problème c'est d'avoir un idéal. ldéaliser!
ll idéalise cela. Je crois que la vie ce n'est pas ça!
Mais les grèves n'étaient pas partisanes,
il s'agissait de justice, non?
À l'époque, je n'étais pas très informée comme aujourd'hui.
Aujourd'hui, je sais ce qu'est la vérité.
-C'est quoi? -C'est Dieu!
Je crois que nous nous sommes mariés par amour.
Je crois que seul l'amour permet de vaincre les difficultés.
D'abord il y a l'amour, puis l'amitié, le compagnonnage,
puis la routine, non?
Beaucoup de choses arrivent ensemble, non?
-Elle a raison, M. Chapéu? -4O ans, hein?
-Mais ce qu'elle dit est juste? -C'est juste...
Quand est-ce que vous vous êtes mêlée de politique, de grèves?
En pleine conscience de ce que je faisais, en 79.
En 79, ça ne faisait que 2 mois que je travaillais à la Polimatic.
J'ai beaucoup couru, car au sein de l'entreprise
il y avait les commandos de choc.
On essayait d'approcher l'entreprise pour convaincre les collègues
de ne pas briser la grève, de ne pas travailler.
On courrait beaucoup, et je courais vite.
J'ai témoigné des situations horribles :
des collègues se faisant tabasser...
Je n'ai pas flirté beaucoup. Je me suis mariée à 28 ans.
Avec qui?
Avec l'ex directeur du Syndicat de la Métallurgie.
Ce mariage a été réussi?
Aussi longtemps que ça a duré.
Malheureusement, les difficultés financières...
Le chômage, le manque d'argent...
Alors, j'ai rencontré différentes difficultés.
À l'époque, j'avais très envie de faire des études.
Je voulais être journaliste, c'était mon rêve.
Je n'ai jamais réussi à la faire, car je gagnais peu d'argent.
Ce n'est que l'année dernière
que j'ai réussi à terminer le cours de pédagogie.
Alors j'ai eu mes enfants étant déjà directrice, les trois.
J'avais de sérieux problèmes de santé.
Je n'aurais pas dD être enceinte, selon les médecins.
Mes enfants naissaient avec une césarienne
et un mois et demi plus *** j'étais au syndicat.
J'ai un certain chagrin...
Non pas des regrets, mais du chagrin.
Je n'ai pas vu mes enfants grandir.
C'est sans doute pour ça qu'aujourd'hui
j'adore jouer avec les enfants. Je joue, je danse,
je crois que je n'ai pas connu ça avec mes enfants.
J'étais très dévouée au mouvement syndical.
Je ne voyais pas mes enfants...
Je n'ai pas allaité mes enfants, pour commencer.
Mon fils va avoir 13 ans et il dit pour rigoler :
''Écoute, maman, si je votais, ce serait contre ceux que tu soutiens.
Rien que pour te contrarier.
Pour te faire renoncer à tes histoires de politique.''
lls n'acceptent pas... Je discute pas mal avec eux.
Je crois que ça n'a pas été mauvais pour moi, pour eux non plus.
Je crois que j'ai un peu participé à la marche de l'Histoire.
J'ai apporté ma contribution
pour qu'aujourd'hui les gens puissent critiquer, donner leur avis.
Car à l'époque, nous ne pouvions pas.
Alors je crois que j'ai apporté ma contribution
pour que mes enfants aient la parole et puissent sortir dans la rue
et critiquer le candidat qu'ils n'aiment pas.
Mais critiquer avec des motifs.
Je crois qu'avec le temps ils comprendront, ils seront même fiers.
Le voici. C'est celui-ci.
''Les trois jours de repos d'Antonio...''
Le reportage date du fin de 75.
Vous disiez : ''Pour achever la construction de votre maison,
vous avez fait 1O56 heures supplémentaires.''
''Avec seulement trois jours de repos durant une année.''
Ça veut dire quoi?
Que vous travailliez le samedi et le dimanche?
-Oui. -Rien que trois jours?
Oui. Trois jours de congé.
Dans le reportage, vous disiez :
''Encore 37 mois et la maison sera soldée
et les mensualités de la voiture etc, etc.
La télé couleurs, le sofa...'' Vous avez tout obtenu?
Oui, bien sDr!
J'ai même réussi à acheter un fermette, dans ma terre natale,
que je prévoyais pour ma retraite.
J'ai pu acheter cette fermette et je suis très satisfait.
Je suis content d'avoir travaillé comme je l'ai fait
pour satisfaire mes désirs. J'ai réussi.
-ll est également métallo? -Bien sDr.
C'était déjà...
C'était déjà prévu, non?
-C'était prévu! -Vous l'avez dit ici.
C'est ça!
''Je fais des efforts,
je suis prêt à voir mon fils ouvrier d'usine!''
C'est ça!
J'ai démérité?
Non, au contraire, il y a de quoi être fier.
Tu as suivi une formation pour entrer à Volkswagen?
Au SENAl également, technicien...
-Électronique... -Technicien en électronique.
C'est ce qui était exigé à l'époque pour un électricien.
Aujourd'hui, il faut passer par l'université. Je dois faire une fac.
-Tu l'as déjà fait? -Non...
La grande majorité l'a fait, 9O°/o...
-Pourquoi faut-il le faire? -Pour garder le niveau.
Je travaille dans le secteur de la soudure
complètement insalubre, dans un périmètre de 2O mètres.
-Explique-moi ça. -C'est un secteur de soudure.
C'est le secteur où j'assure l'entretien...
ll y a des robots et à 15 mètres, la soudure manuelle,
avec les types habillés en cuir, manches longues, gants...
-La tenue ancienne de soudure... -Exactement.
Avec le masque et en train de souder...
Vous m'avez demandé le pourquoi de la grève.
L'un des motifs était celui-ci : manque de respect pour la vie.
Lula lui-même, pourquoi lui manque-t-il un doigt?
C'est ça, même Lula. Pourquoi a-t-il perdu un bout de doigt?
Ce genre de choses... Lula était tourneur.
Je suis électricien et j'ai des traces de décharges.
Regardez, j'ai des cicatrices.
Là encore, une brDlure... on voit la trace.
Ma dernière brDlure... en 1979.
J'ai cette trace, mais j'en souffre plus dans l'âme que dans la peau.
Car quand on a un accident, mon ami,
on éprouve une grande déchéance professionnelle.
Pourquoi? On dit que vous êtes incompétent?
-Exact. -Oui, que cela aurait pu être évité.
-C'est votre petite-fille? -Oui.
-Elle s'appelle comment? -Joana Alves de Souza.
Ma1e petite fille porte le nom de ma mère.
La socialiste qui m'a élevé et dont je me souviens...
Va avec tatie.
Moi, à 7 ans, je travaillais déjà dans les champs.
-7 ans? -Jusqu'à 19 ans,
j'ai été agriculteur, puis je suis venu à São Paulo.
Et vous êtes venu avec vos parents?
Non, je suis venu avec Dieu.
Une séparation très cruelle, vous savez?
Mais comment avez-vous participé à la grève?
En allant au stade, faisant partie de piquets...
Tout ce que vous pouvez ou voulez imaginer. J'y ai participé.
Vous avez assisté ou participé à des scènes de violence?
Je me suis fait pas mal tabasser, presque à toutes les entrées d'usine.
Car j'étais de ceux qui occupaient les entrées,
interdisant l'accès.
Moi, Jair, Riva, Djalma, on a pas mal écopé
en entrant chez Volkswagen. Dans l'affrontement de l'Artec
où six travailleurs ont été blessés par balle.
Lors d'une manif à São Bernardo,
ma femme a commencé à ressentir les premières douleurs.
Alors elle m'a dit : ''Je sens les premières contractions...''
Mais je ne pouvais pas rater la manif. Alors je lui ai dit...
Un ami avait une vieille van et je lui ai demandé de nous emmener.
ll a dit oui et nous sommes tous descendus. J'ai trouvé
quelques personnes pour grossir le défilé
et en route, nous l'avons laissée à l'hôpital.
Arrivé là-bas, j'étais pressé de la faire sortir de la voiture
pour foncer à la manif.
Et au moment de sortir, une infirmière m'a appelé :
''Apportez les vêtements pour votre fille, car elle sera bientôt née!''
''D'accord, j'en ai pour une minute.'' Et je suis allé à la manif.
Ensuite, j'ai mis 4 heures pour retourner à l'hôpital.
Quand je suis arrivé, la petite était là.
Vous êtes arrivé 4 heures et demie en retard?
Plus ou moins... c'était peut être plus.
Le défilé a commencé vers midi et je suis arrivé là-bas vers 19 h.
-Votre épouse vous a réprimandé? -Ma femme non, mais l'infirmière oui.
''Mais quel genre de père êtes-vous?'' ''Écoutez, j'ai eu quelques ennuis,
je n'ai pas pu arriver à l'heure.''
Et votre femme vous a pardonné?
Elle dit qu'oui, mais allez savoir...
Que faire, hein?
ll était très fanatique lors de la grève?
ll était malade... Pas fanatique, c'était une maladie.
-Et ça continue? -Ça n'a pas changé.
La politique pour lui... c'est sa vie.
-Et vous? -Non... ça m'est égal.
-Et les enfants ont accepté? -Oui, ils sont presque tous comme lui.
J'étais au chômage...
alors, j'ai essayé dans un atelier mécanique chez une connaissance.
Vous avez été viré de la Vilares?
-J'ai été licencié. -Quand?
En 1988.
-Pour quel motif? -Grève.
J'ai travaillé 19 mois comme ouvrier agricole, dans une ferme.
J'ai gagné un peu d'argent et suis allé au Paraguay.
J'ai fait de la contrebande durant 5 ans et demi.
En bus de Foz de lguaçu à ici.
Ça suffisait pour vivre?
À l'époque, oui. Je faisais trois voyages par semaine,
sans dormir, sans manger. Je ne faisais que travailler
118O km à l'aller, 118O km au retour.
C'est à dire 23OO km par voyage,
3 voyages par semaine... Ça vous donne une idée.
Vous vivez de quoi? De votre retraite?
Non, je ne suis pas retraité, je travaille à la mairie de S. Bernardo.
Dr Maurício m'a demandé de travailler là-bas.
Que faites-vous?
Je travaille comme assistant politique.
Un service de terrain, un travail populaire.
Que faites-vous?
Je travaille dans le service de coordination sociale
dans le secteur des favelas, de l'urbanisation, du relogement.
Là où il y a l'organisation d'un mouvement, je suis présent.
-Ce travail vous plaît? -J'adore.
Qu'en sera-t-il de notre grève si tous les camarades qui sont ici
ne sont pas là-bas pour dire aux gens :
''Vous ne devez pas travailler, ils ont fermé notre syndicat!''
C'est vous qui devez méditer. Je n'ai pas à former votre opinion.
Vous êtes adultes!
C'est pour ça que nous faisons ce que nous faisons.
C'est vous qui devez méditer.
Où êtes-vous plus importants?
Je vous ai déjà dit que le syndicat ce n'est pas ce bâtiment,
mais c'est chacun de vous sur vos machines,
c'est chacun de vous dans la rue!
Ce que je veux vous demander maintenant
c'est que, si je suis arrêté,
vous poursuivez la grève jusqu'à la victoire!
''GRÈVE'' DE JOÃO BATlSTA DE ANDRADE.
La maison de Henok Batista, un ouvrier spècialisé.
Notre posItion en tant qu'épouse est la suivante :
Mon mari se lève à 5 h du matin pourtravailler
et il arrive à 6,7 heures du soir.
Nous n'avons pratiquement pas de temps pour dialoguer.
Vous appuyez votre mari dans cette grève?
Je I'appuie,bien sûr.
J'estime qu'un homme doIt lutter pour que ses enfants
vivent dans un pays meilleur.
-C'est la1e fois que vous le voyez? -Oui.
Quels souvenirs ça vous rappelle?
De bons souvenirs puisque j'ai vu mon épouse.
De bons souvenirs.
Comment s'appelait votre épouse?
Maria da Penha Fernandes Batista.
Le 4 novembre ça fera dix ans qu'elle est morte.
Vous vivez avec qui?
-Je vis seul. -Et vos enfants?
Mes enfants... Vous connaissez l'histoire,
ils se marient, ils ont des enfants...
lls s'occupent d'eux.
Et vous vivez avec un pécule. C'est comment?
Oui, je me suis blessé à la colonne et je reçois un pécule...
Je vis avec ça en attendant la pension de retraite.
Comment faites-vous pour cuisiner?
Non, je ne cuisine pas. Les voisins m'apportent la nourriture.
lls viennent nettoyer la maison. Vous comprenez?
Ça m'aide beaucoup.
Mais alors, les voisins sont des amis?
Oui, plus que des parents. Nous sommes évangéliques.
Elle priait pour les personnes, vous savez?
lci c'était toujours plein de monde.
-Elle priait ici? -Oui... Elle priait pour les gens...
ll y a quelques temps, j'ai reçu un coup de téléphone,
une demande de prière.
On vous voit dans le film avec vos camarades.
-Vous étiez farouche, non? -Oui, j'étais farouche.
Vous parlez d'une blessure à la lèvre, et le sergent...
Moi, aujourd'hui...
À cause des coups durs,
je me suis beaucoup assagi.
Mais à l'époque, je me bagarrais pour n'importe quoi.
À l'époque, des types avaient
dénoncé Lula auprès d'un juge.
On voulait absolument savoir qui c'était, pour leur casser la gueule.
Mais c'était difficile, car la police les planquait.
C'était un briseur de grève?
Oui, un espion des grévistes, car il y en avait.
Mais chez Volkswagen, on savait que vous participiez à la grève?
-Oui, j'ai été viré à cause de ça. -Quand?
Après la grève de 8O, ils m'ont viré.
lls m'ont pris...
ll y a des types qui surveillent : ''Untel est en grève, c'est lui.''
lls font une liste et la transmettent à la direction.
Et vous faites dix plans pour parfois en sauver un.
-lnutile de faire des plans? -Non, mais on en fait, c'est humain.
On dit qu'au monde, chaque tête est une sentence. N'es-ce pas?
Une sentence ne ressemble pas à une autre et ainsi de suite.
C'est pourquoi il y a des chocs. Vous comprenez?
Alors on fait des tas de plans.
Je comptais tout régler ici et retourner à la campagne,
acheter une petite propriété. J'avais ce projet...
Alors mon épouse est morte et j'ai perdu l'envie.
On me dit : ''Pourquoi tu n'achètes pas une maison à la campagne?''
Qu'est-ce que je vais y faire tout seul?
Lula, au cours d'une assemblée,
Lula a pris le micro : ''Camarades, nous avons 5 questions à discuter.''
Et moi : ''4!'' Lui : ''5 questions à discuter.''
Et moi : ''4!''
Et lui : ''Fils de pute! 5 questions à discuter!''
-Ça ne l'énerve pas? -C'est un sacré plaisantin!
Lors des dernières élections, je lui ai dit :
''Tu as déjà disputé trois élections, mais ne t 'en fais pas,
Salvador Allende en a disputé trois aussi.''
''Vraiment? Alors j'ai de la chance. La quatrième fois il a gagné.''
J'ai répondu : ''Oui, mais il est mort!''
Je suis plus lié à ma famille.
Même si la vie m'a séparé de mes parents, en raison de la lutte.
Depuis 14 ans je suis dans la lutte, par exemple...
Vous travaillez depuis l'âge de 14 ans?
Depuis 14 ans je fais partie du mouvement étudiant,
mouvement de l'Église, mouvement ouvrier...
Dans le militantisme politique, depuis l'âge de 14 ans.
En 8O, j'ai adhéré au syndicat de l'usine.
Aprés la grève, en 81,
j'ai été élu pour 3 mandats.
En 86, Ford a cassé les mandats de 28 membres de la commission.
Elle en a licencié 24. J'ai présenté un projet.
J'ai dit : ''Je suis un photographe amateur averti...
Et si le syndicat investissait dans ma formation?
J'enregistrerais moi-même l'histoire du syndicat.''
C'est différent pour le photographe d'un journal.
ll photographie la même grève que moi, mais son regard est différent,
parce qu'il vient du dehors et moi, je suis le fruit de cette catégorie,
je me suis formé dans le tas.
La photo peut être prise sous le même angle,
mais avec un autre regard.
C'était une époque très dure dans ma vie.
Je n'ai pas demandé à mes filles ou à ma femme
si elles voulaient vivre cela.
J'ai simplement imposé cela.
Et je n'ai pas vu mes filles grandir.
Je n'ai pas de rancur, mais une certaine douleur,
et j'essaye de récupérer le temps perdu,
sans quitter la lutte, car je crois en elle plus que jamais.
Je referais tout ce que j'ai fait, exactement de la même manière.
Je ne regrette absolument rien, y compris les erreurs.
Lula nous a enseigné cela : ''Nous ne sommes rien!
Le mandat syndical passe! Ce sont les travailleurs qui restent!
Les travailleurs sont plus importants que nous!''
Lula est le grand maître de cette honnêteté.
En 79, grève générale : 14O OOO travailleurs arrêtés.
Toute la direction réunie dans le bureau de Lula,
comme toujours avec sa casquette et sa barbe.
Arrive une caisse de la taille de cette table.
ll ouvre la caisse ; une superbe chaîne stéréo.
''Qui a envoyé ça?'' ''Monsieur Untel!''
ll a pris le téléphone : ''Écoute, fils de pute,
tu as 1O min pour enlever ce truc, sinon j'appelle la police
et je raconte à tout le monde que tu as voulu m'acheter!''
À partir de là, j'ai dit : ''C'est le type qu'il nous faut!''
À l'époque, on sortait de chez Ford et on entrait chez Coca Cola.
On sortait de Coca Cola et on entrait chez Souza Cruz,
on sortait de Souza Cruz... Le boulot courait après les travailleurs.
Aujourd'hui, non. Si un type perd son job,
il reste chômeur 3 à 4 ans. ll n'y a pas de travail.
Ce n'est pas lui le problème, mais son poste de travail a été supprimé.
Avant, par exemple, pour monter une voiture,
il fallait 1O personnes!
Aujourd'hui, l'ordinateur fait tout seul.
Tu vas chez Volkswagen, c'est incroyable!
Un de ces jours Lula y est allé avec Meneghelli et je dis :
''Et si on faisait grève avec ces gens là?''
ll n'y avait que des ordinateurs.
J'ai commencé à travailler le 25 juillet 1979.
J'ai encore mon ancienne carte.
Alors vous avez commencé après la grève de 79?
Oui, et j'ai participé à la grève de 79 comme spectatrice,
parce que mon frère était métallo, vous comprenez?
Je sentais déjà
cette chaleur qui venait des gens, vous savez?
La grève de 198O a été la meilleure chose,
pour moi, ça a été un tournant.
Comment avez-vous vécu cette grève?
J'ai vécu cette grève intensément.
D'abord, cette grève a été comme une accouchement.
On se préparait depuis juin, on se réunissait...
Une de mes frustrations est de ne pas avoir réussi
à rester métallo,
car je suis sDre que si j'étais restée au syndicat comme métallo,
je serais devenue directrice du syndicat,
j'aurais fait un travail à un niveau plus...
2O années ont passé, j'ai été domestique...
Mais je continue à être métallo de cur.
Je m'identifie toujours aux métallos.
Notre proposition au PT, qui venait de naître, était :
''Le PT n'entrera jamais dans cette politique conventionnelle.''
On souhaitait faire toujours un travail de base, communautaire.
Ce PT que j'ai contribué à fonder, dans une arrière-cour,
aujourd'hui je vois...
Je veux être claire, j'aime Lula.
Ça fait plusieurs années que je n'ai pas vu Lula, mais je l'aime.
C'est quelqu'un de très intelligent. Je vais voter pour lui.
C'est l'une des personnes les plus intelligentes que je connaisse.
ll est d'une habileté fantastique.
Mais je vous donne mon opinion.
Je pense que Lula arrive à la Présidence, mais pas le PT.
C'est dommage que je n'aie plus 23 ans.
Si j'avais à nouveau 23 ans, je crois que...
Je crois que j'ai battu en retraite trop tôt. J'aurais pu lutter encore.
Je ne sais pas ce qui s'est passé.
J'avais deux filles à élever et moi, avec cette manie d'être indépendante.
Tout en voulant me débrouiller par moi-même,
je manquais de structure... C'est vraiment dommage.
Je suis née dans le Paraíba, dans une propriété appelée Capoeira.
-À Monteiro? -À Monteiro, j'y ai été baptisée.
Et votre famille?
Une famille très pauvre.
Nous étions tous très pauvres.
Mon père était vacher dans la propriété.
Alors, nous avons quitté Monteiro
pour venir ici à São Bernardo.
J'avais une parente qui habitait ici. Elle est déjà décédée.
À la Vila Maggi, j'ai longtemps vécu avec eux dans un cabanon.
Ensuite, mon mari m'a quittée,
car j'ai toujours été une femme spontanée.
Je n'aime pas être commandée, qu'on me dise : ''Tais-toi.''
Nous avons tous le droit de dire ce que nous voulons.
Qu'on ait tort ou raison, on corrige plus ***.
ll n'a pas aimé et s'est tiré.
Et vous êtes restée avec vos enfants?
Oui.
-Combien? -Avec 7 enfants.
Trois ans plus ***, j'ai rencontré Zito.
-Que faisait Zito? -Zito... il dormait.
À l'époque, il dormait bien.
ll ne travaillait pas et vivait dans une pension chez un oncle.
Nous avons été mariés 22 ans.
-Vous avez été mariés 22 ans? -Oui.
-ll n'était pas métallo? -Si, chez Volkswagen,
mais après m'avoir rencontrée.
ll voulait briser la grève et on s'est beaucoup disputé.
Nous avons eu une grande mésentente.
Pas à cause de ça.
Je lui ai jeté une pierre et je l'ai blessé.
ll m'a dit que, de cette façon, il ne pouvait pas vivre avec moi.
ll buvait beaucoup.
-Vous avez réussi à vous en libérer? -Je suis libre.
Je l'ai toujours été, en tout :
amour, politique, enfants, cuisine, lessive.
J'ai mes griefs et parfois je pleure,
j'insulte, mais je suis libre. Je sors quand je veux.
Mon plaisir dans la vie
est de me disputer, insulter.
J'adore dire des gros mots. J'adore ça.
J'adore dire des gros mots.
Dans ma ville,
ma sur habitait une rue et moi une autre.
J'avais Eduardo qui était l'aîné...
Je criais depuis ma rue vers la maison de ma sur.
Je le traitais de fils de pute :
''Rentre à la maison, fils de cocu, fils de pute!'' Je semais la merde.
Mon intimité avec Lula, qui me permet de le tutoyer,
vient du fait qu'il est une grande personne,
un grand camarade.
Je suis sDre que la mère de Lula, Mme Eurides, où qu'elle se trouve,
est fière et heureuse
d'avoir mis au monde un fils si beau, tellement beau.
Ça fait 22 ans que j'y suis.
Vous occupant de la nourriture du syndicat?
On a fermé la cuisine,
car le syndicat n'avait pas les moyens de continuer.
Alors, fini la cuisine.
J'ai commencé à préparer du riz, une petite salade, un petit steak,
et les gens ont commencé à y prendre goDt.
Aujourd'hui, nous avons cette belle petite buvette.
Toute la politique du syndicat
et du PT s'est faite dans cette buvette.
-Et vous entendiez tout? -Tout à fait.
-Vous donniez votre avis? -Oui. Parfois je disais :
''Attendez, ce n'est pas comme ça que ça doit être.''
À l'époque, on se coltinait les mecs, on se disputait, on se battait.
Allô?
Salut, mon garçon! J'étais en train de parler de toi.
Ça va.
La presse est là.
T'aurais dD les inviter à bavarder avec toi.
D'accord? lls sont ici, chez-moi.
Je sers du café à mes amis, ceux qui ont pu venir...
Non, mon cur... j'ai fait faire un examen lundi, de bonne heure.
Tout va bien. J'ai mal à la jambe, mais le cur tient le coup.
D'accord.
Ne t 'en fais pas, tu vas y arriver, d'accord?
OK, salut.
C'est mon fils.
C'est lui que je traitais de fils de pute.
ll a habité un endroit où une femme
traitait ses enfants de cette manière.
ll disait : ''Écoute, maman me traitait comme ça aussi.''
Aujourd'hui encore il raconte ça.
C'est pour ça que j'aime tous mes enfants.
''CHAlNE DE MONTAGE''
Je vous demande, à vous travailleurs,
si vous estimez que cette direction a failli avec vous,
vous pouvez librement
rejeter la continuité de cette direction.
Hé, Lula!
Ne pleure pas, mon gars! Allez!
Lula! Lula!
Dis-moi, mon fils.
Pour quoi faire, Leo?
Je te les donnerai quand tu viendras. D'accord?
Tu arrives?
Tu peux venir à la maison. D'accord?
Salut!
-C'était votre fils? -Oui.
Tout va bien?
ll m'a demandé un ou deux reais pour aller au cinéma.
''Tu aurais un peu d'argent pour moi?''
''T'en fais pas, maman va t 'en donner.''
Voir un dessin animé, tout ça.
Vous êtes venue à São Paulo toute seule?
Non, je suis venue avec mon frère.
Vous avez tout de suite trouvé du travail?
Mon frère travaillait chez Volkswagen. ll m'a amenée.
J'ai travaillé chez Wheaton, mais ça n'a pas marché
alors, j'ai demandé ma démission
puis j'ai prospecté chez Volks
et ils m'ont embauchée.
J'ai travaillé en montant des allumages.
J'enfilais des câbles dans le delco.
J'ai travaillé sur des machines, et plus ***,
j'ai travaillé sur la chaîne de montage, avec les câbles d'allumage.
Selon le sens du montage, vous prenez le câble d'allumage
et vous le jetez en arrière.
Puis vous en prenez un autre, devant, et vous le jetez à nouveau.
Et je répétais le mouvement de l'avant vers l'arrière.
J'en prenais un autre devant et je le jetais en arrière.
Alors, en dormant, je faisais comme ça avec les bras.
Je projetais les bras...
-En dormant? -En dormant.
Je bougeais les bras et mon frère disait : ''Dis donc...''
Je répondais : ''Je rêve, je bouge mes bras...''
-Vous vous réveilliez? -Non, je rêvais que
je travaillais sur la chaîne de montage, alors, je projetais les bras.
Quand je prenais une pièce, ma tendinite
et mes cervicales me faisaient mal.
Je ne pouvais pas soulever du poids, je ne pouvais pas faire d'efforts,
mais je continuais. Selon eux, il n'y avait pas d'autre travail pour moi,
car je n'étais pas instruite.
Je ne peux pas dire du mal de Volkswagen,
parce qu'aujourd'hui, Grâce au Ciel,
j'ai un salaire pour entretenir mon fils.
Aujourd'hui, je suis séparée.
Je remercie Volkswagen d'avoir un salaire pour nous entretenir.
Malgré tous les problèmes, malgré ma lutte...
Car notre vie est ainsi faite.
Comment ça?
Parfois des problèmes surgissent...
Certaines personnes arrivent là où j'en suis,
et d'autres n'y arrivent pas.
M. Antonio, votre cuisine est pleine de livres, comment se fait-il?
Je ne me sers pas de cette cuisine pour les repas, pour mes amis,
pour les anniversaires... Je ne m'en sers que pour ça.
Et les livres sur la table sont à vous?
lls sont tous à moi.
-Vous vivez seul ici? -Oui... cur solitaire.
-Ça veut dire quoi? -Seul.
Comment vous faites pour la cuisine?
Je prépare moi-même
mon feijão, mon riz avec des carottes...
-Quand vous êtes-vous marié? -En 1963.
Vous vous êtes marié de suite?
Ça a été compliqué.
J'ai fréquenté plusieurs jeunes femmes, alors j'ai rencontré sa mère.
Elle était également métallo?
Non, elle travaillait dans une usine de pâtes,
de produits alimentaires.
-Comme ouvrière, également? -Comme ouvrière.
Pourquoi vous être engagé dans les grèves?
Parce que j'aimais ça.
J'étais très actif dans le syndicat.
J'aimais les réunions auxquelles je participais.
J'y ai pris goDt.
J'ai participé à toutes les grèves.
Votre femme était contrariée par cela?
Oui. À vrai dire, elle l'était.
Parfois je rentrais ***,
car au lieu de venir à la maison, j'allais à l'Assemblée.
J'arrivais à la maison vers 11 h du soir. Elle n'aimait pas ça.
Elle disait qu'en sortant du travail, ma place était à la maison.
-Vous n'avez qu'une seule fille? -Une seule.
-Elle a fait des études? -Elle a fait des études.
Heureusement. Grâce au Ciel.
-Et elle fait quoi, aujourd'hui? -Elle est journaliste.
-C'est elle qui se cache? -Oui, elle se cache.
Viens près de moi au lieu de te cacher. Viens ici, ma fille.
Quand je me réveillais le samedi, il avait déjà branché la radio.
Après son petit déjeuner, il se mettait à chanter.
-Elle aussi aimait chanter. -Ah oui?
-Elle rigole... -Mais, vous chantiez pour elle?
Vous branchiez la radio et chantiez pour votre épouse, pour votre fille?
Je chantais parce que je me sentais heureux auprès d'elles.
Rien que pour ça, et pas parce que je savais chanter.
Allons-y.
-C'est toi qui chante. -Non, tu chantes avec moi.
Si je me rappelle la chanson...
Un jourtes pieds fouleront le sable blanc
L'eau bleue de la mer mouillera tes cheveux
Les portes et les fenêtres s'ouvriront surton passage
Et te sentant chez toi Tu pleureras
Sous les boucles de tes cheveux
Une histoire à raconter Celle d'un monde si lointain
Sous les boucles de tes cheveux
Un sanglot et I'envie de resterencore un peu
Tu te rappelles?
Je ne me souviens pas des paroles, que puis-je faire?
C'est celle qu'il chantait le plus?
C'est celle qu'il chantait pour moi.
Mais pour maman il en chantait une de Roberto Carlos :
Quand les enfants partiront en vacances
On pourra peut-être s'aimer un peu plus
Tu te souviens?
Je crois que mon père a toujours été très solitaire,
plus dans le sens d'un enrichissement.
ll partageait avec nous le moment que nous vivions,
il entretenait la maison, il s'occupait de moi, de maman,
mais il avait pour lui de suivre ce en quoi il croyait.
Alors, les chansons, tout cela enrichissait notre vie quotidienne,
mais au centre de sa vie il y avait la discussion politique.
Lorsque j'étais enfant, le fait qu'il soit engagé dans la politique
ce qui effrayait ma mère...
Avant la période des grèves,
lorsqu'il parlait dans les bus, sur les places,
il bavardait avec elle assez fort pour que les autres entendent.
Exactement.
Et elle était furieuse, elle le pinçait...
Moi, je ne comprenais pas bien ça.
Je crois que durant une période, j'avais de l'aversion pour ça :
(( Purée, mon père s'intéresse plus à la politique qu'à ma mère.
Plus à la politique qu'à nous. ))
-Ta mère est morte quand? -En 85. Quand j'ai fini mes études.
Cela t 'a rapproché de ton père? Ou vice-versa?
Au début ça ne nous a pas rapprochés,
je crois que chacun a fait son deuil de son côté.
ll est resté seul, moi aussi.
Mais avec le temps on s'est rapprochés.
On ne s'était jamais séparé,
mais nous vivions notre tristesse comme deux personnes solitaires,
chacun à sa manière, sans parler, sans rien.
C'est ici le syndicat de Diadema?
C'est la sous-section de Diadema à laquelle j'appartiens.
-Vous faites quoi, ici? -Je travaille,
je suis femme de ménage et je fais le café.
C'est pourquoi il y a toutes ces thermos là-bas.
C'est ça, le café, le thé, c'est moi qui l'ai fait.
-C'est vous qui faites tout? -D'abord je faisais le ménage,
maintenant je fais seulement le café.
J'ai été promue.
Vous avez commencé au syndicat en quelle année?
En 76. Le 1er octobre 1976.
Et vous avez connu Lula à cette époque?
J'ai connu Lula. ll devenait président du syndicat, et moi femme de ménage.
-Et comment a été votre relation? -Très bonne.
Ma relation avec Lula a été très bonne.
Lula pour moi est comme mon père, mon frère, mon tout.
Un de ces jours, je ferais du café pour mon Président de la République,
qui sera Luiz lnácio Lula da Silva.
Je le verrai Président et ferai du café pour lui,
et je le servirai là-bas,
à Brasilia.
J'aurai le privilège d'y aller et d'entrer dans la cuisine
pour demander un plateau, pour que je puisse le servir.
Et vous, pendant les grèves de 79 et 8O, vous avez tout vu?
-J'y étais et j'ai vécu tout ça. -Vous souteniez les métallos?
Je les soutenais très fort.
Le travail de base : distribuer ''La Tribune'',
à l'époque où ils furent cassés,
je le faisais pour eux.
Je fourrais ''La Tribune'' partout,
dans les pantalons, le slip et le soutien gorge
et je la distribuais.
Un jour, alors que je nettoyais au rez-de-chaussée,
chaussée de bottes,
ces bottes en plastique que vous avez déjà vues,
et avec un tablier...
Alors les gamins sont arrivés, frappant à la porte de secours.
-Les gamins? -Les directeurs.
Une demi-douzaine de directeurs.
-''Zelinha! Zelinha!'' -''Qu'est-ce qui se passe?''
J'ai ouvert la porte.
''Cache ce film!''
C'était une de ces grosses bobines de film.
J'ai enveloppé le film dans un journal que j'ai trouvé sur place
et je l'ai fourré dans un sac à provisions.
J'ai mis quelques chaussures par-dessus et je leur ai dit :
''Voilà, c'est prêt.''
Je suis partie à pied, et eux en voiture.
Et la Police Fédérale était à la porte?
C'est ça, la Police était à la porte, comme j'ai dit.
La Police Fédérale, vous voyez? Ces grands types, baraqués...
Les directeurs pensaient qu'ils voulaient confisquer le film?
lls en étaient sDrs. lls étaient là pour ça,
mais les directeurs ont été plus rapides qu'eux.
Alors je suis passée au milieu d'eux :
''Bonsoir, camarades!'' Et eux : ''Bonsoir'',
en hochant la tête.
Et je suis partie avec mon sac à provisions.
J'ai vu que personne ne me suivait,
j'ai regardé et eux...
lls ont arrêté la voiture : ''Monte, Zelinha!''
Je suis montée à l'arrière, j'ai sorti le film du sac
et l'ai glissé sous le siège.
J'ai remis les chaussures en place.
On a fait deux mètres, deux mille mètres,
alors j'ai dit : ''Vous pouvez me laisser ici!''
-Vous êtes fière d'avoir sauvé? -Je suis fière, très fière!
Parce que c'était la seule histoire dont nous disposions à ce moment là.
S'ils l'avaient pris, on se serait retrouvés sans histoire,
on serait revenus au point de départ.
Comment s'appelait le film?
''Chaîne de Montage''.
-Vous avez vu ce film? -Non.
Je travaillais en blouse avec cette chaleur,
le col, les lunettes, les gants, un tablier en toile écrue.
J'étais un robot et les calories de la feijoada y passaient.
Votre travail était plutôt dur.
Pas tellement... Vous savez ce qui est dur?
Porter lourd, au soleil.
Mais ce n'était pas dur pour moi.
ll n'y avait pas de feu, pas d'étincelles, pas de poussière?
Non. ll y avait de la poussière.
De la fibre de verre, mais on s'habitue.
Lula n'a pas dit que les ouvriers ont un cuir de crocodile?
Ce que j'admire le plus dans l'hymne national :
(( Vous verrez que votre enfant ne fuit pas la lutte. ))
-Pourquoi? -Parce que...
Je trouve que c'est beau une personne qui lutte,
puisque vous parliez de Lula...
Je trouve que c'est beau, car Lula...
ll en a bavé pendant les grèves.
Si les métallos en ont bavé, souffert de privations
au point d'aller à l'église prendre des paniers repas comme nous tous,
il a souffert d'avantage,
car il a été chassé, il a été incarcéré,
il a souffert bien d'avantage, mais a-t-il fui?
Où est-il à présent?
C'est lui notre hymne national :
(( Vous verrez que votre enfant ne fuit pas la lutte. ))
-Lula? -Oui, il ne fuit pas.
-Elza, quelle est cette revue? -''Visão''.
-De quelle date? -Avril 198O.
-Vous figurez dedans? -Oui.
Vous avez découvert par hasard?
Non, à cause du surveillant de l'entreprise où je bossais.
ll vous a prévenue?
Oui, quand je suis arrivée au boulot.
ll a dit : ''C'est la fille de la revue!''
Je lui ai demandé : ''Dégotte-moi cette revue
pour que je puisse montrer à mes enfants
que leur maman était une bagarreuse.''
Mais comme je suis célibataire et n'ai pas d'enfants,
je le montre à mes neveux
et je leur dis de ne pas fuir les difficultés.
Vous vous souvenez de l'occasion?
C'était un 1er mai, au cours d'une assemblée.
Qui est d'accord avec la proposition des patrons?
Qui souhaite faire grève dans la nuit de lundi?
Je voudrais que vous leviez la main encore une fois!
Gardez les bras en l'air pour que tout le monde voie
ce que veulent les travailleurs de São Bernardo et de Diadema.
-Elle a vu, n'est-ce pas? -Oui, j'ai vu.
Moi, ne suis pas arrivé à voir.
ll faut me dire quand je dois arrêter.
C'est celui-là?
Non, pas celui-là. Je l'ai déjà vu.
-Où ça? -Reviens...
Le voilà!
Voilà! Regardez-le. Regardez sa tête de coquin!
-Celui-là? -C'est celui-là!
-Avec cette moustache? -Oui.
-ll ne le reconnaît pas? -Non, je...
ll ne l'a pas vu...
Si, j'ai bien vu.
Je suis entré chez Volks en juillet 7O.
Comment c'était le travail chez Volks, c'était bien?
À l'époque, le travail était très lourd. Aujourd'hui je ne sais pas,
mais à l'époque, c'était vraiment très lourd.
J'ai d'abord travaillé 75 jours sans un seul jour de repos.
Comment avez-vous participé à la grève?
Dans les piquets, lors de la grève de 8O...
Djalma peut en témoigner,
de ce côté de la route Anchieta, j'étais à la tête de 153 hommes.
Je faisais des piquets dans toutes les usines et sur toutes les routes.
C'est moi qui commandais tout ça.
On faisait des réunions pour répartir le personnel.
J'avais mon équipe...
De ce côté de l'Anchieta, c'est moi qui commandais.
-Vous assuriez? -J'assurais.
Vous en veniez aux mains?
J'ai pris et donné beaucoup de coups.
lls étaient nombreux en face, certains avec un revolver...
Personne n'a tiré, quoique... il y a eu des blessés.
-Briseur de grève ou policier? -Un briseur de grève!
J'ai un peu insisté pour partir, car j'avais aussi un idéal.
Même si ça n'a pas marché, je voulais monter ma propre affaire.
C'est pourquoi j'ai insisté.
-Vous l'avez montée? -Oui, mais ça n'a pas marché.
-C'était quoi? -Un dancing.
-Un dancing? -Oui...
De la grève des métallos, vous êtes passé au dancing?
Pourquoi c'était un idéal?
Je jouais déjà à l'époque, j'avais un très bon ensemble.
L'ensemble s'appelait : ''Les sept nordestins.''
On jouait très bien...
Alors j'ai monté une salle pour pouvoir y jouer.
Mais ça n'a pas marché
à cause de l'effondrement de l'industrie.
Les usines ont licencié tout le monde
et les grévistes ne trouvaient pas de travail...
ll n'y avait plus d'argent.
Alors Djalma m'a dégotté un job d'encaisseur
...dans une compagnie de transport. -Djalma Bom?
Vous avez fini par devenir encaisseur?
Vous avez été chef d'entreprise...
-J'ai fait de tout... -Combien de temps
...comme encaisseur? -Presque 1O ans.
-Encaisseur dans un bus? -Oui.
-Vous aimiez ça, ou non? -Je détestais,
...mais je n'avais pas le choix. -Pourquoi?
Parce que c'était un travail dangereux.
-Encaisseur? -Un des emplois les plus dangereux.
ll y sans cesse des voleurs armés qui volent tout le monde,
y compris l'encaisseur.
En tant qu'artiste, vous étiez plutôt bohème ou chef d'entreprise?
Un peu bohème, un peu chef d'entreprise.
Bohème, chef d'entreprise et métallo.
C'est ça... les trois.
Le pire, c'est que j'ai été aussi bohème et encaisseur d'autobus.
J'ai joué quelques fois avec Luiz Gonzaga,
dans les années 6O dans la radio de Santo André.
Gonzaga m'a dit comme-ça :
''Mon garçon, va de l'avant, tu as de l'avenir!''
Mais il arrive parfois que l'on perd sa chance
en laissant passer les occasions, et il n'y en a pas d'autres.
Alors, on ne progresse pas.
Geraldo, dites-moi, nous sommes le 27 octobre 2OO2,
il est midi vingt... qu'avez-vous fait aujourd'hui?
-Aujourd'hui, j'ai voté! -Vous avez voté comment?
J'ai voté pour les (( 13 )) : Lula et Genoíno, ici, à São Paulo.
-Et il va gagner? -Oui.
Vous savez que vous êtes le dernier interviewé de ce film?
-Vraiment, Coutinho? -Oui.
Heureux de l'apprendre.
-C'est un honneur pour nous. -Pour moi aussi.
Mais dites-moi, vous continuez à travailler comme métallo?
-Oui. -À quel endroit?
À présent, je travaille dans un autre état, au Paraná.
Et que faites-vous là-bas?
Je travaille comme soudeur.
Et ça va durer longtemps?
Là-bas, Coutinho, mon contrat va jusqu'au 2O novembre.
2 mois pour tout démonter et apporter ici.
-Mais c'est un contrat temporaire? -Temporaire, oui.
La durée d'une mission.
Alors, parfois vous êtes au chômage?
Parfois je suis au chômage, pour incroyable que ça paraisse.
Comment ça s'est passé ces dernières années?
En 2OO1, j'étais plus souvent à l'arrêt, réduit à de petits boulots.
Jessica a décroché le téléphone : ''Papa, un boulot pour toi!''
J'étais en train de déjeuner,
j'ai pris le combiné :
''M. Geraldo, il y a une place de soudeur pour vous!''
''Ah oui, j'arrive!'' J'ai pris un bus
sans argent pour payer mon voyage.
Je suis arrivé là-bas : ''Vous avez une bonne expérience,
mais il y a un problème, M. Geraldo : votre âge!''
''Mon Dieu!'' J'ai failli lui foutre une baffe. ''Quel est le problème?''
''Vous avez plus de 4O ans, alors ça n'ira pas!''
-Vous avez combien d'enfants? -Un couple. Rafael et Jéssica.
-Les deux font des études? -Oui.
L'un étudie au SESl, et l'autre est au lycée.
Vous voudriez qu'ils fassent quoi dans la vie?
Ah...
je ne voudrais pas qu'ils passent par où je suis passé :
...''peão'' à la chaîne. -Comment ça?
Qu'ils ne vivent pas ce que j'ai vécu.
Je veux qu'ils fassent des études d'ingénieur.
Vous ne voulez pas qu'ils soient ''peões''?
-Non. -C'est quoi, être ''peão''?
Un peão dans les années 7O, c'était comme ça...
Les peões d'usine n'existaient pas.
Dans mon cas, par exemple, j'étais ici un jour
et le lendemain l'entreprise m'envoyait à Bahia
alors que le siège était ici.
Les travaux de Bahia terminés, on m'envoyait dans le Sud du pays.
Alors, le peão n'arrêtait pas de bouger.
Dans les années 8O, tout le monde est devenu peão.
Peão mobile, peão d'usine...
C'est quoi un peão d'usine?
C'est celui qui travaille dans l'usine.
Celui qui travaille sur une machine, les pieds dans l'usine.
-Un outilleur c'est un peão? -Oui, c'est un peão.
-Un outilleur aussi? -Oui, tous des peões...
-Même celui qui gagne le plus? -Oui.
Tous ceux qui portent un uniforme sont des peões.
Celui qui est soumis à un horaire, qui pointe, est un peão.
Le peão, c'est celui qui n'est pas un col blanc,
mensualisé qui arrive à 8 heures
part plus tôt s'il le souhaite, ne pointe pas.
Le peão est celui qui pointe.
ll passe sa carte et voilà, c'est un peão.
Quand vous me parlez des grèves, vous êtes fier?
Écoutez :
mon sentiment est fort.
On luttait pour que les choses s'améliorent,
et Lula était un héros à l'époque.
C'était un héros car je n'oublie pas qu'à la mort de sa mère
il était emprisonné au DOPS
...et on y est allé. -Vous y êtes allé?
Oui, avec un groupe.
Alors, ils l'ont libéré pour qu'il puisse veiller sa mère.
ll a regardé le corps et s'est mis à pleurer
et ils l'ont embarqué de suite.
-Vous l'avez vu? -Oui.
Vous êtes fier d'effectuer un travail bien fait?
-En tant que soudeur... -Oui.
Je suis un professionnel depuis de nombreuses années et j'en suis fier.
J'ai appris mon métier et je veux prendre ma retraite,
en montrant ce que je sais faire.
J'enseigne aux autres ce que j'ai appris.
Dans ce sens, l'usine vous manque parfois?
Parfois, oui.
J'ai le temps long malgré toute la souffrance.
-Malgré quoi? -La souffrance.
À l'époque, on n'avait pas de sécurité.
Malgré toute la souffrance à l'époque, j'ai le temps long.
Mais je n'aimerais pas que mon fils soit un peão.
J'ai beaucoup souffert. J'ai le temps long après les collègues
des fois on se croise :
''Geraldo! Comment ça va?'' ''Je fais aller...''
''Et le bon vieux temps?'' Je me souviens...
J'espère que mes enfants ne passeront pas par où je suis passé.
C'est dur...
J'espère pas pour eux...
Vous avez déjà été peão?
Non.
LE 27 OCTOBRE 2OO2, LUlZ lNÁClO LULA DA SlLVA
A ÉTÉ ÉLU PRÉSlDENT DE LA RÉPUBLlQUE AU SECOND TOUR,
AVEC PLUS DE 52 MlLLlONS DE VOlX.
TRADUCTlON ET ADAPTATlON : FABlAN ET JEAN MARlE L. REMY