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Moleman 2 - Demoscene - L'Art des Algorithmes
Alors ça continue, mais où cela a-t-il commencé ?
Artistes indépendants, sportifs bravant la loi...
La culture urbaine si variée est devenue une tribune pour diverses formes d'expression personnelle.
Pensées, images, rythmes et mélodies, parfums et matériaux transformés en formes uniques, tout peut exprimer une émotion humaine.
Mais que se passe-t-il quand quelqu'un décide de s'exprimer à l'aide de nombres ?
Dans les années 1980, quelque chose a changé le monde à jamais.
La technologie informatique, en grande partie grâce à l'arrivée de l'abordable Commodore 64, est entrée dans tous les foyers du monde,
offrant à chacun la possibilité de créer de l'art numérique.
Mais les formes d'art existantes n'ont pas été les seules à être transposées sur ces ordinateurs...
de toutes nouvelles formes d'art, que l'on croyait impossibles jusqu'alors, firent également leur apparition.
Les ordinateurs offraient aux créateurs la possibilité de produire des images et des sons
et de les associer pour créer l'expérience audiovisuelle absolue,
en utilisant seulement le langage des mathématiques et en écrivant des programmes, sans interaction physique.
Conséquences de ces techniques, les démos étaient nées, et avec elles, la subculture de la demoscene.
Une démo peut être vue comme une vidéo d'animation musicale spectaculaire, d'une durée de quelques minutes en général.
Et pourtant c'est quelque chose de complètement différent d'une vidéo traditionnelle.
- Donc ce n'est ni une vidéo, ni un fichier audio.
- Non, c'est un programme exécutable. - Oui, c'est un logiciel.
- Oui, c'est un logiciel comme un jeu vidéo.
Le terme « démo » peut sembler familier aux amateurs de jeux vidéo.
Ces programmes, toutefois, ne doivent pas être confondus avec les œuvres que les demosceners appellent « démos ».
- Les démos de jeux sont des versions promotionnelles d'un jeu qui offrent, par exemple, deux niveaux sur deux cents.
- Une démo dans la demoscene est une œuvre qui n'a rien à voir avec les démos de jeux.
Elles ont néanmoins une chose en commun : les démos sont réalisées avec les mêmes techniques que les jeux vidéo,
les mêmes compétences sont requises pour les créer, et tous deux se présentent sous forme de programmes.
Bien sûr, il y a beaucoup de différences entre les deux.
- Si tu crées un jeu professionnellement, ou même si tu crées un jeu pour toi et tes amis,
- il y a un schéma établi que tu dois respecter. Dans la demoscene, tu peux quasiment tout enfreindre.
Sir Garbagetruck. Programmeur américain, organisateur, qui s'est installé en Europe.
Admet avoir un problème pour terminer ses démos.
- Tu peux faire de l'abstrait, tu peux avoir un plan. Il y a tant de choses différentes,
- et la créativité nécessaire et juste être capable, la liberté nécessaire pour faire tout ce que tu peux avoir envie de faire,
- Dans la scene, tu peux rencontrer des problèmes qui enflamment ta créativité en programmation,
- pour trouver comment réaliser quelque chose de plus simple, plus petit, plus efficacement.
- Le but d'une démo c'est de créer une expérience similaire à une vidéo musicale, avec des images et du son, vraiment agréable à regarder.
- Des amis se réunissent - programmeurs, designers, graphistes, musiciens - et ils décident de créer quelque chose de spectaculaire,
- ou de pas spectaculaire mais de marrant à faire. Et puis ils décident de le montrer à d'autres personnes.
- C'est ça le concept, un passe-temps gratifiant qui te fait passer de bons moments.
- La plupart des gens n'ont pas fait d'études pour ça. En fait, je crois que personne n'a fait d'études pour ça,
- tout le monde ici est un programmeur, artiste ou musicien autodidacte. De ce point de vue, c'est une forme d'art naïf.
- A part être un exutoire pour l'expression personnelle, la demoscene ne rime pas à grand chose telle qu'elle existe aujourd'hui.
BoyC. Programmeur, membre de Conspiracy et Digital Dynamite.
Sa démo Chaos Theory, réalisée avec Addict, son logiciel de création de démos, a été présentée aux Etats-Unis à la SIGGRAPH,
le congrès d'imagerie informatique le plus connu au monde.
- Les gens ont toujours créé des démos pour le plaisir.
- Et aussi, à l'époque, pour frimer devant les autres : « Regarde ce que j'ai fait avec cet ordinateur. »
- Dans les années 90, quand nous avons commencé à nous intéresser sérieusement à ces trucs-là, nous étions sans cesse étonnés par les démos,
- parce qu'on pouvait voir des choses à l'écran qu'on ne pensait pas possibles.
- On voyait ces choses, on en restait bouche bée, et on pensait « Oh mon dieu, on peut faire ÇA avec ce programme ? »
- C'est ça qui nous pousse, qui nous motive, trouver des façons nouvelles et impressionnantes d'afficher des graphismes.
Les similitudes ne s'arrêtent pas là.
La naissance de la demoscene et la popularité qu'elle a acquise peuvent être largement attribuées à l'apparition des jeux vidéo,
la suppression de leur protection anti-copie, et la diffusion qui s'en suivait.
- Quand des gens ont commencé à déplomber des jeux sur le C64 il y a vingt, vingt-cinq, presque trente ans,
- ils étaient si contents de les avoir crackés qu'ils écrivaient leurs noms là, dans la liste des meilleurs scores, ou dans une image.
- Et puis ils ont réalisé que c'était encore plus cool de rajouter une image avant le jeu, par exemple.
- Ils y ont ajouté des textes défilants et des greetings et c'est devenu de plus en plus sophistiqué.
- Ça commence à beaucoup ressembler au graffiti pour moi.
- Ouais, c'est similaire, j'ai déjà entendu dire que la demoscene c'était du « graffiti numérique ».
- Quand quelqu'un crackait un jeu, il mettait de petites « intros » ou « cracktros » devant le jeu, pour présenter le groupe,
- pour dire : « on est cools parce qu'on a cracké ce jeu, et vous non. »
- Et puis ces groupes se sont formés, et le défi n'était plus seulement de déplomber le jeu,
- mais aussi de faire de plus belles intros pour ce jeu.
- Les gens en sont arrivés au point où ils ne s'intéressaient plus au jeu et regardaient seulement les intros.
- Et je faisais partie de ces gens-là ! J'aimais beaucoup la musique, les polices de caractères étaient cools, et elles faisaient des choses incroyables.
- Parfois elles étaient techniquement plus évoluées que le jeu lui-même.
- Et puis il y a eu un moment où les gens qui faisaient ça ont commencé à y prendre tellement de plaisir
- qu'ils ont décidé qu'ils n'avaient plus besoin des jeux, seulement des intros.
- C'est à ce moment que la demoscene est née.
- Si tu avais un ordinateur, tu faisais partie d'une élite, et tu voulais rencontrer d'autres possesseurs d'ordinateurs
- c'est de créer des choses avec l'ordinateur qui était excitant, au lieu de juste jouer à des jeux.
- C'est grâce à ça que la demoscene a pu prendre forme.
Slyspy. Musicien, artiste graphique, membre de United Force.
A très probablement composé plus de musique qu'aucun autre scener hongrois.
et a récemment acquis une popularité hors de Hongrie grâce à ses propres démos et animations.
- On s'est connus à la « Csoki », le Centre Communal Csokonay,
- c'était le centre de la culture informatique hongroise, le club du weekend.
- C'est là que j'ai vu mes premières démos sur le C64, et j'ai tout de suite aimé ça.
- Pendant quelques années je m'y suis juste intéressé, puis, quand des groupes on commencé à se former,
- j'ai progressivement commencé à m'impliquer, comme les gens qui créaient ces choses.
Au cours des 30 dernières années, la demoscene, descendante des cracktros,
a connu des changements radicaux, comme l'informatique elle-même.
Au fil du temps, les outils, les limites, les motivations, tout a changé.
- Au début tout tournait autour de la programmation, pour tirer le meilleur parti des limitations du matériel, comme sur un C64 8-bits ou un Amiga.
- A l'époque l'attitude c'était : « on va prouver qu'on est les meilleurs.»
- les records du monde étaient faciles à déterminer car, comme le C64, tous les ordinateurs avaient les mêmes capacités.
- Alors ils tentaient le record du monde de l'affichage du plus grand nombre de courbes de points ou de textes ondulants.
- Et si quelqu'un pouvait dessiner 250 points, mais que son voisin arrivait à en afficher 253,
- ça devenait une course sous caféine de 48 heures pour réussir à en afficher 257.
- Les limites ont bien reculé maintenant, alors ça se joue plutôt sur le design.
- Les démos essaient d'être uniques sur le plan artistique, mais les plus appréciées restent celles
- qui sont passionnantes tant au niveau du code - en repoussant les limites - qu'artistiquement.
- Le but c'est de présenter une production qui va faire ch*er les gens dans leur froc.
Bien sûr, c'est plus facile à réaliser quand le public connait les limites d'un ordinateur donné,
et a conscience de ses possibilités techniques.
Les observateurs non-avertis peuvent ne pas être impressionnés par un cube qui tourne,
même si les ingénieurs qui ont créé cet ordinateur n'auraient peut-être jamais cru cela possible sur ce système.
Quand les limites ont reculé, il est devenu possible de créer des démos spectaculaires
pouvant être appréciées sans connaissances techniques particulères.
Ceci peut aussi être attribué à un changement dans l'approche artistique.
- Aujourd'hui les rôles sont plus compartimentés, il y a en général une sorte de producteur ou de réalisateur pour les démos et les intros,
- qui a une certaine vision du tableau final, et qui essaie de gérer le déroulement du travail.
- Le metteur en scène. - Ouais, le metteur en scène.
- Certaines démos reposent purement sur la technique : « Regarde, j'ai fait un effet cool, ouah, super. »
- D'autres n'utilisent pas les dernières techniques, mais elles sont juste superbes, et c'est leur but.
- Et il y en a d'autres qui, ma foi, essaient de faire passer une sorte de message.
Mardi, j'ai réalisé que j'aide des gens à vendre à d'autres gens des trucs dont ils n'ont pas vraiment besoin.
C'est arrivé pendant le déjeuner.
- C'est devenu plus difficile d'apprécier une démo qui se contente d'afficher un cube ou une jolie scène en 3D
- même si c'est joli, il faut qu'il y ait un concept autour pour qu'elle soit vraiment appréciée.
Gargaj. Programmeur, musicien, membre de Conspiracy et Ümlaüt Design.
Organisateur principal de la demoparty Function, participe activement à différents évènements à l'étranger.
- Un des aspects que souvent les Etats-Unis ne voient pas dans la demoscene c'est son côté social.
- C'est quelque chose de très social.
La petite communauté de la scene est aussi importante que les artistes eux-mêmes pour maintenir la démarche créative.
L'évènement communautaire de la demoscene s'appelle une demoparty,
une manifestation liée à l'informatique où les fans de la scene confrontent leurs talents, échangent des expériences et des idées, et rencontrent des gens.
Les productions sont présentées dans différentes catégories et finissent par faire l'objet d'un vote du public.
En résumé, ces parties maintiennent la demoscene active.
- Peu de personnes font des productions « pour le fun », juste pour les diffuser sur un site web.
- Normalement l'idée c'est de participer à un concours dans une party, une « compo », pour voir sa production sur l'écran géant et l'entendre sur la sono,
- et soit les gens l'aiment, soit ils ne l'aiment pas, mais au moins elle a un impact sur eux.
- Nous sommes un groupe de personnes obstinées qui aimons voir des gens créer des choses.
- Voir ton œuvre sur un écran géant, être vue et applaudie par deux cents personnes, il n'y a rien de mieux que ça !
- Certains aiment présenter des démos pour le défi de battre d'autres groupes.
- Certains aiment juste la compétition.
- Certains aiment participer à des compos pour présenter quelque chose qu'ils savent que les gens vont détester.
Les racines des demoparties se trouvent dans les années 80,
et leur existence peut aussi être reliée aux jeux piratés et distribués illégalement.
- Ces parties étaient des copyparties à l'origine, les gens se réunissaient pour copier des trucs.
- Tu veux dire qu'on ne pouvait pas juste prendre des trucs
- Bien sûr qu'on pouvait, mais il n'y avait pas Internet à l'époque, et en dehors du courrier postal,
- le moyen le plus simple était d'aller chez ton voisin pour copier une disquette.
- Et si tu avais plus de quarante « voisins », tu louais une salle.
- Ils se réunissaient, copiaient des trucs, et puis les démos sont apparues,
- parce que certains étaient seulement intéressés par la création d'intros.
- Actuellement il n'y a qu'une seule party ici en Hongrie qui soit une party « PC » multiplateforme, et il y en a aussi une pour les 8-bits.
- Il n'y a pas de prix importants ici, c'est plus pour, je ne sais pas, la victoire morale, l'expérience en elle-même.
Function est actuellement la plus grande party multiplateforme de la demoscene hongroise,
accueillant 150 à 200 passionnés chaque année depuis 2003.
A peu près un quart d'entre eux participe également aux compétitions.
- Le noyau dur tournait toujours autour de 100 à 200 personnes, et ça s'est réduit depuis à 50-60, ce qui fait qu'on se connait tous assez bien maintenant.
- Qu'attendez-vous de ce genre d'évènement ?
- Est-ce que vous attendez de bonnes démos, ou la présence de la communauté ? Y a-t-il un objectif précis ou pas ?
- Nous voulons que les gens viennent, qu'ils s'amusent, et qu'ils amènent d'excellentes productions.
- Je ne saurais pas comment classer ces choses.
- Ce que je sais c'est que quand une party se termine et que tu regardes ces 100, 150, 200 personnes qui sont venues
- parce que c'est la taille des parties hongroises -
- à ce moment tu sais juste instinctivement que tu dois recommencer l'année d'après, point. Je ne peux pas expliquer pourquoi.
- C'est le fait de voir des gens heureux. Que ce soit parce qu'ils ont vu de superbes démos qu'ils n'avaient jamais vues avant,
- ou parce qu'ils ont commencé à discuter avec leur voisin, qu'ils ont échangé des sources et ont quelque chose à exploiter plus ***,
- ou parce qu'ils ont fait l'expérience de l'ambiance qu'il y a quand les organisateurs annoncent le début de la compo,
- que les lumières s'éteignent, que la première démo apparait, et qu'ils en ont eu des frissons.
- Toutes ces choses me sont arrivées quand j'ai commencé à aller dans des parties, et je ne pourrais pas en choisir juste une seule.
- Tout ce que je sais c'est que quand je suis rentré de ma première party j'ai pensé « Ouais, c'est bon, ça me plait, faut que j'aille dans d'autres parties. »
- Je me demandais si c'était rentable d'organiser des parties. Je veux dire, vous n'avez pas vraiment de sponsors,
- il n'y a pas de produits à vendre, donc c'est juste organisé pour le plaisir et dans le but de se retrouver, non ?
- Financièrement, ça ne vaut pas le coup.
- On ne reçoit pas de subventions, parce que ce que nous faisons n'est pas considéré comme étant de l'art ou de la culture.
- On ne fait pas ça parce que c'est rentable ou pas.
- Parfois les gens font des choses en sachant que ça ne va rien leur rapporter, mais ils les font parce qu'ils savent qu'ils doivent les faire.
- Nous avons beaucoup de visiteurs étrangers qui reviennent.
- Ils ne viennent pas juste pour voir où se trouve 'Bucarest', mais parce qu'ils sont déjà venus ici et se sont amusés.
Arles. Une petite ville dans le sud de la France, pas loin de Marseille.
Elle est appréciée par les visiteurs pour sa vieille ville Méditerranéenne authentique,
mais en octobre, les gens y sont attirés pour une autre raison.
Ces dernières années, Arles a accueilli une des parties Françaises les plus connues, MAiN,
en partie organisée par des Hongrois.
- On organisait une party en Hongrie, et lors des deux dernières éditions, les gens à l'étranger ont regardé la diffusion vidéo sur Internet
- et plus *** ils nous ont demandé de l'aide pour l'organisation de leur propre party.
Pasy. Programmeur, organisateur, membre de Fresh!Mindworkz et Rebels.
A probablement programmé plus de démos que tout autre scener hongrois.
Organisateur technique principal de la MAiN party en France.
- D'abord je suis allé seul à une réunion, puis j'ai rassemblé une équipe,
- et au final, toute l'équipe technique s'est trouvée composée de Hongrois.
- Les organisateurs Français sont meilleurs en ce qui concerne l'organisation politique et financière, le relationnel, ce genre de choses.
Il y a beaucoup de ressemblances entre les parties hongroises et étrangères, mais il y a aussi beaucoup de différences,
pas nécessairement limitées à l'écran géant fixé sur le toit de la salle de la party,
qui offre d'ailleurs un support de compétition pour un certain nombre de productions.
- Le budget d'une partie hongroise correspond au montant dépensé pour deux ou trois personnes ici.
- Les responsables de l'association sont très bons pour trouver des sponsors,
- et l'art est beaucoup mieux subventionné ici en France, quel que soit le type d'art.
La demoscene est une des rares formes d'art où les artistes font tous partie d'un même collectif.
On aurait du mal à imaginer plusieurs communautés indépendantes ou différents circuits d'expression
ou que quelqu'un puisse créer des démos tout en étant détaché de la communauté, en diffusant son travail dans divers endroits.
- Si les gens arrêtent de faire des parties, la demoscene mourra.
- Parce que t'as besoin de vrais contacts dans la vie réelle avec les gens avec qui tu fais des démos,
- et que tu rencontres pour discuter, même si ce n'est qu'une ou deux fois par an.
- Tu éprouves ce qu'est la demoscene quand tu discutes avec les gens.
- Une fois, une démo pour laquelle j'avais fait la musique a été projetée,
- et quelqu'un et venu me voir pour me demander si j'avais utilisé tel instrument ou tel synthé,
- et on a commencé à discuter et on est devenus amis.
- Nos plus grands rivaux sont aussi nos meilleurs amis, je suis content de dire ça.
Les compos ne sont pas l'unique but des parties, on y acquiert aussi de l'expérience et on s'amuse.
En dehors des conférences techniques, les programmes incluent des numéros ou des groupes liés à la scene,
et plusieurs demoparties sont restées dans les mémoires, pas seulement à cause des démos présentées,
mais également pour la party en elle-même.
- Il est arrivé, dans des parties polonaises, que les organisateurs soient bourrés dès le premier jour
- avec les gens qui arrivent, essayant de trouver la party
- Les Finlandais se contentent de se poser n'importe où pour boire de la *** directement au goulot,
- Il y a aussi le gars qui se pointe et va *** sur le vélo de quelqu'un d'autre.
- Il n'y a pas eu de décès en tout cas. Ni décès, ni naissances.
- Je voudrais savoir ce que ça fait d'être une fille dans la scene, parce que ça fait très club de mecs.
- Est-ce que c'est facile de se faire des amis, vu qu'il n'y a quasiment que des garçons ?
- Bien sûr, ce n'est pas si difficile. Evidemment, chacun y va de sa théorie personnelle sur la façon dont ça fonctionne.
- Quand j'ai commencé, il y avait déjà quelques filles dans la scene partout en Europe, et en Hongrie aussi.
- Y avait des musiciennes, des filles graphistes, des programmeuses, et pas mal de filles qui accompagnaient leur copain.
- Je ne connais pas les proportions, je dirais autour de 90/10, non ? Ou 80/20 ?
- Je dirais 80/20.
Il n'y a pas que les démos qui s'affrontent dans les parties :
il y a d'autres catégories comme le graphisme, la musique, la programmation, et même la photo et divers autres types de productions.
Elles ont toutefois toutes un point en commun : La plupart sont terminées juste avant la fin du temps imparti.
- Tout le monde n'a que trop peu de temps pour faire des démos, alors il reste des choses à terminer jusqu'à la toute dernière minute.
- En général tu ne dors pas les derniers jours, tu te concentres entièrement sur ta démo.
- Ça se manifeste souvent par des défauts et des petites imperfections, parce qu'elles sont littéralement finies à la dernière minute.
- mais ça crée une excitation qui pousse les gens à continuer.
- Alors dans un sens c'est comme un sport cérébral extrême.
- Parfois il arrive que la démo soit terminée à la party. - Oui, j'ai entendu que quelqu'un est en train de terminer au dernier moment.
- Quelqu'un est en train de finir la démo - C'est pas comme ça, c'est pas parfait, c'est pas parfait.
- Non, quand je suis parti de la maison elle plantait encore au début, il y a encore quelques gros défauts à corriger.
- C'est une sensation complètement différente d'aller à une party avec quelque chose à présenter que de simplement y assister
- C'est une sensation complètement différente d'aller à une party en sachant que tu vas passer tout ton temps dans un coin
- devant un portable, à essayer de bricoler quelque chose.
- Ouais, c'est arrivé, même si c'était pas toute la party.
- Mais ça a aussi son charme d'être assis là à bosser sur quelque chose, les gens viennent, jettent un œil ou une oreille
- Tu peux regarder autour de toi, mater quelqu'un d'autre qui est également en train de bosser
- Tu peux demander conseil à d'autres musiciens si tu bosses sur un morceau, ou à d'autres programmeurs si tu programmes.
- Ouais, si ça plante il te suffit de gueuler : « Hé, vous pouvez jeter un œil à ce truc ? »
- Et tu te retrouves avec trois personnes en train de déboguer ton code.
- Quel est le temps minimum nécessaire à la création d'une démo ?
- 90 minutes.
- Ouais, ça peut aller de 90 minutes à plusieurs années.
Quand l'évolution de l'informatique a permis de repousser les limites techniques, le besoin de créer des limites artificielles s'est fait clairement sentir.
C'est ainsi que les démos avec une taille limitée, ou « intros », ont fait leur apparition.
Leur particularité est que le fichier exécutable final ne doit pas dépasser la taille limite imposée, par exemple 4 ou 64 kilo-octets.
- Un copain de classe m'a donné une disquette et m'a dit
- « mate ça, tu ne vas pas croire tout ce que ça va te montrer en seulement 64 kilo-octets ! »
- T'as un fichier exécutable, tu le lances, tu vois une vidéo musicale de quatre minutes, et c'est si incroyable que tu restes scotché.
- De la techno qui bombarde. - Ouais !
- Tu vois une intro de 4 ko, qui t'affiche un nombre hallucinant d'images de haute qualité,
- et t'arrives même pas à réaliser ce que ça représente, 4 kilo-octets :
- Tu commences à taper quelque chose dans Wordpad et tu dépasses rapidement les 4 kilo-octets.
- Mets, par exemple... ton CV dans Microsoft Word. Ton CV est déjà 3 fois plus gros que cette intro.
Pour stocker une lettre, ou un caractère, il faut un espace d'un octet.
4 kilo-octets représentent 4096 caractères. C'est à peine plus qu'une seule page de texte.
C'est la quantité maximale de données qu'une intro de 4 ko peut contenir.
Néanmoins, l'exécution d'un tel programme peut permettre à l'ordinateur de générer 5 minutes de musique et d'images
en haute définition, en temps réel. Comme celle-ci.
- Quand tu te limites à une taille très petite, comme 4 ko ou 64 ko,
- tu dois absolument utiliser des moyens pas très conventionnels pour dessiner à l'écran ou pour faire sortir du son des haut-parleurs.
Bien que les intros de 64 ko contiennent 16 fois plus d'informations que les 4 ko,
elles sont quand même considérablement plus petites que des données stockées de façon traditionnelle.
Normalement, un espace de 64 kilo-octets permet de stocker environ 4 secondes de MP3 de qualité moyenne, ou à peu près une demie-seconde de vidéo.
- Tu regardes une vidéo de cinq minutes, et t'es fasciné parce que c'est tellement génial, puis tu te rends compte
- que le fichier pourrait tenir dix mille fois sur un DVD ou un CD.
- Si tu en faisais une vidéo, elle ne pourrait y tenir que trois fois.
Certains pensent que 4 kilo-octets c'est encore trop.
C'est pourquoi on peut voir des productions et des compos pour des intros de 256 ou même 128 octets
où la limite est à peine de ce nombre de caractères. En général, ce sont de courtes animations sans son.
- On a vu de la 3D en 128 octets.
- mâchoires décrochées, applaudissements, hurlements, la totale. Et puis ils ont montré le contenu du programme sur le grand écran, dans un éditeur hexadécimal.
- « C'est juste ça. » Et on a applaudi le code, parce qu'on n'arrivait pas à croire que quelqu'un avait pu le faire avec juste ça.
- On ressent le besoin d'avoir des contraintes, tu vois, pour se sentir plus créatif.
Tout comme ces artistes qui s'efforcent de vaincre ces limites artificielles sur les ordinateurs actuels,
les gens qui créent des démos sur les ordinateurs rétro sont motivés par l'exploration poussée de leurs limites techniques.
Commodore 64, Plus 4, ZX Spectrum, Amiga.
Des ordinateurs qui ne sont plus fabriqués depuis longtemps, avec des technologies et des limites parfois vieilles de 30 ans,
et qui pourtant servent encore à présenter de nouvelles choses parfois incroyables.
Preuve de leur popularité, le C64 peut encore se targuer d'avoir le plus grand nombre de créations jamais diffusées,
avec plus de 18.000 productions contre environ 14.000 sur PC.
- Il y a un certain nombre de personnes qui adorent ces ordinateurs,
- et peut-être qu'ils ne s'intéressent même pas aux autres machines, parce qu'ils ont leur propre demoscene.
- A l'époque où il y avait plus de sceners, il y avait cette rivalité pas vraiment sérieuse.
- C'était un peu exagéré, utilisateurs du C64 contre utilisateurs de PC, et surtout possesseurs d'Amiga contre utilisateurs de PC.
- Tu sais, un peu comme les fans de Depeche Mode contre les fans de Cure, et ainsi de suite.
Reptile. A débuté comme musicien, puis a continué comme programmeur.
Membre de Astroidea, avec qui il a remporté plusieurs concours.
- L'Amiga était un ordinateur largement en avance sur son temps. C'était une machine incroyablement bien conçue, très ingénieuse.
- Et pour beaucoup, le passage au PC a été douloureux parce qu'ils considéraient ça comme un retour en arrière à bien des égards.
- L'Amiga n'était pas un ordinateur pour le grand public ! C'était ça l'idée, c'était comme une Harley-Davidson, il avait la classe.
- Et puis le PC est arrivé, une machine pour la grande diffusion, de la camelote en plastique avec des pièces interchangeables.
- Commercialement parlant, c'était évidemment un meilleur modèle,
- mais l'élégance de l'Amiga a engendré une culture unique : les gens pourraient tuer pour tout ce que l'Amiga représente pour eux.
Ajkarendek. Un petit village ordinaire dans l'ouest de la Hongrie. Les rues sont tranquilles, les gens sympathiques.
Une fois par an, toutefois, quelque chose change.
Chaque été le village est envahi pendant 3 jours par des fans d'ordinateurs 8-bits,
qui viennent là pour participer à la Árok Party, une manifestation qui existe depuis près de quinze ans.
- Árok Party est vraiment LA party dédiée au C64 et aux autres ordinateurs 8-bits en Hongrie.
- Au départ on en avait fait un évènement strictement demoscene, c'était l'idée, mais on a réalisé que le public était bien plus large.
- Des gens venaient, certains qui fabriquaient du hardware, d'autres qui jouaient, simplement.
Poison. Artiste graphique, membre de Singular Crew.
Un des organisateurs principaux de la Árok Party.
- C'est une de ces parties surtout basées sur l'amitié, au-delà de l'héritage commun que ces gens ont.
- Beaucoup d'anciens viennent s'y balader, quand on se réunit chaque été.
- Il y a eu des années où on a eu presque cent personnes, des Tchèques, des Polonais, parfois un Suédois
- Il y avait une règle qui interdisait d'apporter des machines qui n'étaient pas 8-bits,
- c'était très strict, et puis même les organisateurs ont fini par apporter leur propre matos, et faisaient tourner des émulateurs.
- Ils ne pouvaient pas apporter de téléphones.
- Ouais, cette règle était un problème pour les téléphones, le mien par exemple est mille fois plus rapide qu'un C64.
- On a eu l'idée d'étendre les concours au-delà des concours habituels de graphisme, musique, démo,
- mais on essaie aussi de trouver des trucs amusants qu'on ne voit pas dans d'autres manifestations.
- Cette année on a fait un jeu d'aventure grandeur nature, qui s'est déroulé dans le village même.
- Ça n'avait aucun rapport avec les ordinateurs, t'avais une carte et tu devais réaliser des quêtes.
- Oooh, ça doit être un genre de niveau - C'est un p*tain d'effet plasma !
- Ouais, c'est une party pour la « sous-sous-culture. »
L'engouement pour le Commodore 64 perdure sous différentes formes.
La popularité de la musique créée avec le C64 est intacte.
Aujourd'hui, beaucoup de gens s'essaient à l'interprétation live de musiques du C64, que ce soit avec un orchestre ou bien a cappella.
Et bien sûr, il y a eu des cas de producteurs connus qui ont été inspirés par des musiques du C64.
SIDRip Alliance est un groupe qui reprend des musiques du C64 avec le matériel d'un groupe rock.
- On était au collège et on jouait tout le temps sur le C64.
- Il y avait un magnétophone avec lequel on pouvait enregistrer la musique à partir de la télé.
- On enregistrait les musiques à partir de la télé, et on les écoutait sur cassette. Des musiques de jeux C64.
- Donc vous écoutiez surtout des musiques de jeux ?
- Ouais, des musiques de jeux et de démos.
- Il n'y a pas de partitions, alors il faut tout retrouver
- C'est difficile d'écrire des partitions à partir de 1, 0, 0, 1
- Il n'y a que trois canaux, et répartir trois canaux entre six instruments, c'est pas évident.
- J'imagine que le plus dur c'est qu'il y a pas mal de morceaux qui n'ont jamais été destinés à être joués live.
- Ils n'ont pas des tonalités bien définies, ils vont à droite, à gauche, et bien qu'ils aient une certaine logique,
- tu ne peux pas dire "OK, c'est une gamme majeure", non.
Adapter des musiques du C64 à de vrais instruments est une tâche délicate,
probablement parce que sur un ordinateur, il faut adopter une approche radicalement différente pour créer une note par rapport à un instrument physique.
On ne peut pas juste pincer une corde ou appuyer sur une touche.
- Il y a des similitudes entre les synthétiseurs actuels et la création musicale oldschool
- les deux sont basés sur des formes d'ondes sinusoïdales ou triangulaires, par exemple, à la place d'échantillons.
- Ce n'est pas comme prendre une trompette, la mettre devant un micro et boum, c'est dans la machine.
- Non, tu prends des formes d'ondes de base, tu les modules et tu les modifies.
- Donc tu dois donner un ordre à la machine dans son propre langage et lui dire « prends ce son et module-le comme-ci et comme-ça ».
- Ouais, prends une onde sinusoïdale, mets-la à la fréquence X, par exemple 1 kHz, ajoute un filtre, mets-le sur passe-bas, coupe-le à 2000 Hz, etc.
Vincenzo. Musicien, membre de Conspiracy, Rebels et Fresh!Mindworkz.
Peut faire de la musique sur n'importe quelle machine, quel que soit le nombre de bits disponibles.
- Le SID du C64 est assez limité, mais tu peux faire un tas de choses avec.
- Tu ne peux utiliser que trois canaux, ce qui signifie que tu ne peux jouer que trois sons en même temps.
- Etre créatif est exponentiellement utile ici.
- En gros, ça c'est la partition. A la vitesse 3, avec l'instrument 1, au volume ***, il joue un Fa 1.
- puis il continue, et là il tombe sur une « GATE », ce qui veut dire qu'il arrête la note.
- Puis on passe à l'instrument 0, qui joue un Sol 1, et puis on le coupe.
- La génération sonore elle-même, l'édition des paramètres du son, s'effectue sur un autre écran.
- Tu commences à 0, avec la valeur 41 qui signifie « onde carrée », puis encore une onde carrée avec la modulation C,
- qui veut dire « monte d'une octave », puis 41 00 qui signifie « onde carrée sans changement de hauteur ».
- Et comment tu sais tout ça ? - L'expérience.
- J'imagine que t'aurais pas pu apprendre ça dans un livre. - L'expérience, ce n'est que de l'expérience.
- Tu as ces sons de base, tu peux jouer avec et les combiner entre eux.
- Ce n'est pas si compliqué, si tu apprends les bases, tu peux facilement faire de la musique sur un C64.
- Il dit des conneries en fait, n'en crois pas un seul mot, j'ai entendu une démo où il avait programmé un hennissement !
- Comment t'as fait ça ? Je veux dire, c'était VRAIMENT le hennissement d'un cheval !
- Oh c'est facile, 02, 06, 41, 68, 7B
- Ces limites ont obligé les gens qui faisaient de la musique sur ordinateur à créer quelque chose à partir de rien,
- et ce n'est pas quelque chose que l'on peut faire sans une sacrée dose de génie.
- Des concerts avec un Commodore 64 ? C'est possible ? - Il y a des gens qui l'ont fait, ouais !
Avec l'arrivée de l'Amiga et du PC, les outils de création musicale ont évolué. Il y a d'abord eu les trackers,
ressemblant un peu aux logiciels du C64, mais pouvant jouer des sons numérisés,
permettant enfin aux utilisateurs de créer des œuvres musicales complexes.
Aujourd'hui, la musique des démos est créée avec la toute dernière génération de logiciels musicaux, les mêmes qui sont utilisés pour les chansons qu'on entend à la radio.
Mais les démos de 4 ou 64 Ko, à cause des restrictions dues à leur taille, permettent rarement l'utilisation de sons numérisés.
Alors il faut revenir aux techniques utilisées sur le C64, et créer des sons à partir de simples formes d'ondes.
- La demoscene réagit comment aux modes musicales ? Est-ce que ce qui cartonne ou pas a de l'importance ?
- Je t'ai dit, j'ai fait une indigestion de dubstep ! - Donc même les sceners font du dubstep ?
- Des tonnes ! Des tonnes de bigbeat, des tonnes de drum'n bass, des tonnes de dubstep.
- De temps en temps tu tombes sur une démo sympa avec du Métal, en général en provenance de Finlande.
- Donc il n'y a aucune restriction, même dans la musique électronique.
- Aucune. Il y a de l'ambient, il y a même beaucoup de drone ambient, avec la même note qui bourdonne pendant dix minutes.
- Il y a même des démos avec des morceaux de samba, mais ce n'est pas exactement une tendance.
- Bien que ce soit des morceaux créés sur ordinateur, ils sont vraiment bien foutus, il y a des trucs géniaux là-dedans,
- et s'ils avaient été écrits dans un but commercial, ils auraient cartonné. Leur style mélodique le garantit.
- La majorité des musiciens de la demoscene sont uniquement des musiciens de la demoscene. - Je vois, ils sont séparés du milieu de la musique.
- Pas complètement séparés mais oui, tu trouves des musiciens dans la demoscene qui font de la bonne drum'n bass,
- mais ils ne la diffusent que dans la demoscene, et nulle part ailleurs.
- Exploiter commercialement la musique d'une démo est tellement éloigné de la philosophie de la chose, personne ne s'intéresse vraiment à ça.
- Le problème c'est que la qualité et la popularité de la musique ne sont pas toujours au même niveau.
- Je veux dire, je ne sais pas si tu l'entends dans le fond, mais on peut entendre un truc électronique excellent,
- Et qu'est-ce qu'on entend à l'extérieur ? « Come on Barbie girl »
Comme leurs facultés musicales, les capacités graphiques des ordinateurs ont considérablement évolué au cours des trente dernières années.
Pour créer un objet 3D, les artistes utilisent aujourd'hui des outils qui permettent une approche similaire à la sculpture d'une statue réelle.
Il y a 20, 25 ans, à l'époque du C64, les artistes étaient confrontés à des limitations
qui ont fait du dessin au point par point la méthode la plus rapide pour créer des images.
- Ce programme s'utilise avec le clavier.
- C'est ce qui permet de travailler très vite, si tu t'y fais et que tu t'habitues à ses fonctions, tu peux dessiner relativement rapidement.
- Et quand tu l'affiches en plein écran, là tu peux seulement regarder l'image.
Mais le plus grand défi, c'est qu'en plus de n'avoir que 16 couleurs, le C64 ne peut en afficher que 2 ou 4 sur un même caractère.
Les logiciels de dessin indiquent les limites de ces caractères à l'aide d'une grille.
- Regarde, tu peux voir que je ne peux pas utiliser d'orange ici,
- parce que j'utilise déjà trois couleurs dans ce caractère en plus du fond noir.
- C'est là que tu commences à utiliser des astuces, en remplaçant certaines couleurs pour que ça passe.
- Ton œil ne va pas forcément remarquer que quelques pixels sont de la mauvaise couleur.
- C'est un peu de ce qui fait la beauté du Pixel Art, tu dois te plier aux contraintes.
- Tout dessiner point par point ne suffit pas, tu dois être conscient des limitations du matériel.
- Si tu regardes les artistes graphiques sur C64 qui créent des images aujourd'hui, la plupart n'utilisent plus un C64.
- Il y a beaucoup d'outils multiplateformes, ce qui veut dire qu'ils tournent sur une machine différente, offrent beaucoup plus de fonctions,
- mais ils font en sorte que le résultat final puisse être affiché sur un C64.
- le dernier truc à la mode c'est de créer des convertisseurs au lieu de logiciels de dessin.
- Ça veut dire que tu peux utiliser n'importe quel logiciel de dessin sur PC, et envoyer l'image au convertisseur
- qui essaie de trouver comment afficher l'image sur un C64 de la meilleure façon possible.
Les programmeurs rivalisent dans l'utilisation de fonctionnalités cachées et généralement défectueuses de l'ordinateur
pour créer de nouveaux modes vidéos plus polyvalents qui peuvent être utilisés pour produire des images ayant des résolutions plus élevées ou avec plus de couleurs.
Les règles des ces modes sont si complexes qu'il est quasiment impossible de les avoir toutes à l'esprit quand on dessine,
c'est pourquoi on a créé des outils pour convertir les images achevées vers ces formats.
- Il n'est pas humainement possible de retenir toutes ces contraintes.
- Des trucs comme : « je peux utiliser la couleur de fond un caractère sur trois, si c'est un pixel large, et au dessus »
- « je peux utiliser trois autres couleurs pour chaque ligne et puis » enfin, bref. Tu ne peux pas retenir tout ça.
- Ce qui est incroyable, c'est qu'on découvre encore de nouveaux modes vidéo sur le C64, des modes qu'on pourrait croire impossibles.
- Chaque année on se dit « non, c'est fini, on ne peut pas aller plus loin », et pourtant il y a toujours quelqu'un qui y arrive.
- Alors le retrochip se développe et les limites peuvent encore être repoussées. - Absolument, ils font reculer les limites, ouais !
Grâce aux progrès de l'informatique, les images sont évidemment passées aussi à un niveau supérieur.
Aujourd'hui, les outils utilisés pour créer les images présentées lors des demoparties
sont les mêmes qui sont utilisés pour réaliser les films d'animation grand public ou les jeux vidéo.
Il est néanmoins possible d'identifier des sous-genres spécifiques à la demoscene,
comme les logos, qui ont pour vocation d'afficher du texte de manière artistique, comparable au graffiti.
Ces logos sont parfois également présents dans les fichiers textes d'information qui accompagnent les démos,
et ils sont alors recréés en utilisant uniquement le jeu de caractères ASCII de l'ordinateur.
Dans les années 80 et 90, ce n'était pas seulement le processus de création de ces œuvres d'art qui était plus difficile qu'aujourd'hui.
Sans Internet, la communication et la distribution de ces œuvres s'effectuaient de façon analogique, via la poste.
Les « swappers » qui avaient créé leurs propres réseaux autour de la planète,
copiaient des démos, des jeux et d'autres logiciels sur des disquettes, et les échangeaient par courrier postal.
- Nous, les mailtraders, avions une centaine de personnes comme contacts. Nous étions une sorte de réseau P2P.
- Je reçois des trucs d'un gars, je fais une lettre, j'emballe les disquettes, et je les envoie aux autres.
- C'était important, si tu avais une nouveauté, il fallait que tu l'envoies à tous les autres.
- Ici en Hongrie, il y avait des types qui avaient plus de cinq cents contacts à qui ils envoyaient des trucs par la poste.
- Et le facteur devait faire une tournée supplémentaire.
- On recevait des enveloppes pleines de disquettes, quatre disquettes, huit disquettes, de toute l'Europe.
- Et j'avais, disons, vingt enveloppes énormes dans ma boîte tous les jours.
- Les swappers étaient des gens importants à cette époque dans les groupes, parce que c'était eux qui diffusaient tes productions.
- Après chaque party je sortais un pack. Toutes les intros de la party étaient incluses dans le pack.
Les démos et les applications n'ont pas été les seules choses à être distribuées par courrier.
Des équipes de rédacteurs autoproclamés ont lancé ce qu'ils ont appelé des diskmagazines.
Ce n'était pas de simples fichiers texte, mais des programmes qui affichaient leur contenu.
- Tu avais une disquette, un fichier PRG, et c'était un magazine. Tu le lançais et tu choisissais une rubrique, news, articles, etc.
- Et puis tu l'envoyais à tes amis, relations, voisins, et c'est comme ça que ça se diffusait.
- Si tu regardes ces premiers diskmags, tu peux voir des termes comme « Stamps back! » (renvoyez les timbres !)
- Tu sais, les gars essayaient... ils n'avaient pas tant d'argent que ça mais bon, il fallait bien que tu conserves tous tes contacts.
- Et si tu avais une centaine de contacts, tu disais « Stamps back! »,
- ce qui voulait dire renvoie-moi mes timbres pour que je puisse les réutiliser, ou en tout cas essayer.
A l'époque, même le téléchargement était différent.
Pour être précis, le terme correct devrait être « télé-sifflement ».
- C'était au milieu des années 80, les télés et radios nationales hongroises avaient fait des émissions expérimentales,
- au cours desquelles ils « télé-sifflaient » des programmes.
- En gros, quand tu enregistres un programme du C64 sur cassette, tu obtiens du bruit, des bips.
- Donc ils prenaient ce bruit, ils le diffusaient, et tu pouvais l'enregistrer.
- Alors si t'avais un magnétophone, ils disaient « Utilisateurs de Commodore, utilisateurs de Spectrum, commencez à enregistrer »,
- tu enregistrais le bruit, et tu te servais de la cassette pour charger le programme sur un C64 ou un Spectrum.
Aujourd'hui, il y a en général deux façons de créer une intro ou une démo sur PC :
Soit à partir de zéro, en programmant la totalité de la démo en partant de rien,
soit en utilisant un outil de création de démo conçu par le programmeur du groupe.
- Créer une démo, la façon dont je le faisais par exemple si je voulais créer un objet 3D, à l'époque du groupe Digital Dynamite,
- je dessinais un schéma en 3D de la lettre D sur du papier millimétré, et je me servais de la grille en disant
- « OK, ce point en haut à gauche sera 0,0. Un carreau égale une unité donc le prochain sera à 2,0 »
- Je notais les chiffres, je les tapais, puis je me débrouillais pour l'afficher, parce que c'était dans la mémoire.
- J'ai fait ça un paquet de fois puis ça m'a pris la tête, alors j'ai dit « OK, je vais écrire un programme qui écrira le code source à ma place ! »
- Maintenant je n'ai plus qu'à tracer la lettre D et le programme me génère le code source.
- Si je devais citer des exemples de la « vraie vie », notre outil serait un mélange de Photoshop, 3D Studio et Premiere.
- Il permet de générer des textures procédurales, de créer des objets 3D, de les animer, d'éditer les scènes 3D animées,
- puis tu appuies sur la barre d'espace et la démo se lance.
- Nous n'utilisons pas d'outils du commerce parce que nous faisons des intros de 64 ko, nous voulons créer des fichiers de petite taille.
- On avait besoin d'outils spécialisés, alors on les a créés.
- Ça c'est la chronologie. Ce petit curseur blanc indique à quel endroit de l'intro on se trouve.
- C'est un peu comme Premiere, un logiciel d'édition vidéo classique.
- Ça ce sont différents évènements, ceux-là par exemple sont les effets post-traitement tels que le contraste, le flou, ce genre de choses.
- Ça, c'est un objet 3D complet, créé à l'aide de cet outil.
- On ne travaille pas en définissant des triangles, au lieu de ça on dit « voilà un tore, de tel rayon, composé de tant de points. »
- Ça permet de n'avoir que trois paramètres à stocker au lieu de douze mille points.
- C'est ça le principe d'une 64 ko : utiliser trois paramètres au lieu de douze mille points.
Ces tailles incroyablement petites sont obtenues en créant les intros avec du code binaire et des paramètres
au lieu d'utiliser de gros fichiers d'objets 3D, d'images, de vidéo ou de musique créés à l'avance.
L'ordinateur utilise alors ces paramètres et ces algorithmes pour produire les images et le son.
- Tout est réalisé à partir d'images comme celles-ci. Il n'y a rien de spectaculaire là-dedans, mais le résultat final rend vraiment bien.
- Ceci n'est pas une simulation aquatique, bien que ça y ressemble.
- Ce ne sont pas de vrais scintillements, bien que ça ressemble à des reflets du soleil.
- Rien de tout ça n'est une simulation de choses réelles, simplement différentes méthodes pour ressembler à la réalité.
- Ça ce sont les évènements qui sont calculés, par exemple, sur ce calque, ce sont les nuages derrière le soleil, je ne sais pas si tu vois bien.
- Le suivant c'est le ciel, un simple rectangle avec un dégradé de couleurs.
- Celui d'après c'est l'eau, tu peux voir que c'est une simple texture qui défile.
- Le suivant ce sont les reflets sur l'eau, qui ne sont que de simples particules.
- le truc c'est qu'on utilise un effet qui permet de décaler les lignes horizontalement, et quand tu l'appliques, ça ressemble aux mouvements de l'eau.
- tu as la texture qui défile et il y a des reflets de lumière par-dessus.
- Avec tout ça tu peux faire des choses vraiment spectaculaires dans de petites tailles pour une 64 ko.
Evidemment, tout le monde n'a pas envie de créer un outil de création de démos.
Certains s'amusent plus en repartant de zéro à chaque fois qu'ils créent une démo.
- Je vais dessiner trois fois quarante lignes, et je vais faire tourner la caméra autour.
- Là on a les lignes, et maintenant on commence à ajouter des effets, l'un après l'autre.
- D'abord on va les tordre.
- Voilà la ligne qui les fait se tordre, et voilà comment ça fonctionne :
- tu as le centre de ces petits axes là, les coordonnées XYZ, et je vais les faire tourner selon leur distance depuis l'origine,
- multipliée par une valeur de sinus basée sur le temps, faire ça sur deux axes,
- puis écrire le résultat dans le vecteur XYZ d'origine, et calculer l'affichage à l'écran.
- Disons que je veux que ces lignes soient plus longues si elles sont plus éloignées du point d'origine.
- V représente la longueur des lignes : c'est la distance depuis l'origine, c'est-à-dire la valeur absolue de i divisée par dix.
- C'est pour ça qu'elles sont plus longues quand elles sont plus éloignées, parce que si les coordonnées sont plus grandes, ça veut dire qu'elles sont plus loin.
- Ici j'ajoute V aux coordonnées : X, puis Y, puis Z.
La complexité d'un programme peut augmenter à l'infini...
même parmi les démos les plus spectaculaires, on en trouve qui ont été créées entièrement à partir de zéro.
sans l'assistance d'un outil de création de démos ou autre logiciel de ce genre.
Avec le temps, sont apparues des œuvres qui ne pouvaient pas être classées dans la musique, les images ou les démos.
Elles ont donné naissance à la catégorie « wild ».
- Ça peut être une très belle animation, un court-métrage, ou n'importe quelle daube épouvantable.
Murphy. Programmeur, artiste graphique, membre de Exceed.
Editeur de Scene.hu, et encyclopédie vivante de la demoscene.
- Il y a quelques années, je crois que c'était à la Breakpoint, des gars avaient participé à la wild avec une énorme machine qu'ils avaient poussée sur la scène,
- ils avaient mis un cube de LEDs de 3x3x3 ou 8x8x8 et toutes sortes de trucs clignotants dessus, et elle était posée là, à faire son truc.
- Il y a eu des numéros live dans des concours wild, c'est-à-dire pas des projections, mais des gens qui montaient sur scène.
- Quelqu'un prend un microcontrôleur dans un réfrigérateur et l'utilise pour faire une démo
- Mais tu peux être sûr que c'est une farce ! - Non !
- OK, évidemment, quand il la crée, il le fait de façon très sérieuse.
- Ouais, et quand tu la regardes, tu le fais sérieusement parce qu'elle dure trois minutes,
- il y a de bons effets, de la bonne musique,
- C'est juste que quand ça commence, et que le gars explique que c'est un microcontrôleur utilisé par telle marque de réfrigérateurs,
- Tu ne peux pas t'empêcher de penser "D'aaaaaccord, voyons ça".
- A un moment, quelqu'un a réalisé une production sur une machine vraiment hors normes, et depuis, ils essaient de se surpasser les uns les autres.
- Il n'y a pratiquement aucune machine au monde qui n'ait été utilisée pour la demoscene à un moment ou à un autre.
- De la calculatrice de poche à l'immeuble d'habitation.
Bien qu'elles ne soient pas vraiment liées à la demoscene, on pourrait peut-être classer dans les démos wild
les animations qui sont présentées tous les ans sur les 18 étages de la façade du foyer Schönherz
à l'Université de Technologie de Budapest pendant la Schönherz Qpa.
A l'origine, il s'agissait simplement de lampes placées derrière les fenêtres des chambres du foyer,
mais depuis 2010, l'affichage a été amélioré afin d'obtenir une plus grande résolution et des couleurs pour l'évènement appelé La Matrice.
- En Hongrie il y avait ce concours appelé « lamer demo ». Ça n'a pas vraiment eu de succès ailleurs.
- C'est pas notre faute !
- L'idée était que la plupart des démos wild étaient censées être « drôles », alors pourquoi ne pas leur réserver une compo particulière ?
Tu as la plus belle chevelure du monde ! Je peux la toucher ? Attends, c'est pas ce que je voulais dire, NON !
- Pendant quelques années, ça a été la compo la plus populaire.
- Ouais, parce qu'il n'y avait pas besoin d'avoir d'énormes connaissances techniques,
- il suffisait de prendre une animation primitive, et de lui ajouter de la musique ou des commentaires « hilarants ».
- Il y en a eu de vraiment très drôles, mais la plupart étaient juste fatigantes.
Cet enfant utilisera Windows à partir de 38 ans, aura une crise cardiaque à 40, et mourra à 41.
C'est en Allemagne et en Europe du nord que la demoscene connait le plus grand succès.
C'est également dans ces pays que sont organisées les plus grandes parties anuelles.
Breakpoint, en Allemagne, organisée 8 fois jusqu'en 2010, accueillait plus d'un millier de visiteurs venant de près de trente pays du monde entier.
Assembly en Finlande ou The Gathering en Norvège, autres manifestations gigantesques,
étaient aussi des demoparties à l'origine, mais elles accueillent également aujourd'hui la foule des joueurs sur PC.
Des évènements plus modestes ont lieu dans le monde entier, et le nombre total de productions présentées à ce jour dépasse les 50.000.
La liste des acteurs est évidemment énorme, alors arriver à faire partie des meilleurs et des plus reconnus n'est pas une tâche aisée.
Mais, de temps à autre, les groupes hongrois ont confirmé leur place parmi les meilleurs,
en présentant des artistes dont la réputation dépasse les frontières.
- NVIDIA organisait une demoparty à San José, aux USA, et ils ont demandé à Gargaj d'animer la manifestation !
- Ils voulaient quelqu'un d'authentique, alors ils ont emmené un Hongrois aux USA pour parler en anglais !
- Il y a toujours quelques groupes remarquables, parfois Britanniques,
- parfois Norvégiens, parfois Allemands, parfois Finlandais.
- Et ouais, des groupes hongrois arrivent aussi à se retrouver parmi les meilleurs quelquefois.
Conspiracy est un de ces groupes, formé en 2002 par des membres des 3 groupes les plus actifs du moment.
- Nous sommes apparus dans la scene avec ce groupe pour défier les rois de la 64 Ko de l'époque,
- Ceux qui écrasaient tout le monde à tel point que certains retiraient leur participation des concours
- quand ils apprenaient qu'il y avait une intro de Farbrausch, parce qu'ils n'avaient aucune chance !
- Et avec notre première production, on les a pulvérisés !
- Conspiracy s'est pointé à Breakpoint avec une intro en quatre parties, tu vois,
- quatre vraies démos complètes dans une seule 64 ko, ce qui était incroyable !
- Ça continue encore ?
- Ça continue ENCORE ???
- On l'a fait dans le plus grand secret, personne ne savait qu'on présentait une intro, personne ne savait même qu'on existait.
- On a voulu frapper un grand coup, tu sais, boum, nous voilà ! Et ça a marché !
- On est assis là à la compo, ils envoient les intros, les dernières intros sont diffusées,
- parce que tu ne sais jamais combien il y en a, ils ne te le disent jamais, tu te dis juste « Oh, encore une ! Super ! »
- Donc il y en a quelques unes très bonnes, puis ils passent celle de Farbrausch, qui est vraiment une super bonne intro,
- la première intro avec un personnage humain animé, une nana à poil en plus, alors imagine !
- Et leur intro se termine, tout le monde pense que c'est fini, et ils envoient la dernière, la nôtre.
- Tomcat est assis derrière moi et sort « ils feraient aussi bien de pas la passer, celle-là ! » parce que Farbrausch avaient été tellement bons.
- Donc arrive notre intro, Project Genesis, elle dure dix minutes, elle est très, très variée, et contient de quoi plaire à tout le monde.
- On avait mis un énorme logo « Conspiracy » au premier plan,
- personne ne savait qui c'était, ni ce qu'ils voulaient, et on a gardé le secret jusqu'au générique de fin.
- On avait fait une simulation de tissu en temps réel, devant laquelle nos noms s'affichaient.
- Et au moment où mon nom s'affiche, Tomcat me met un coup de poing dans l'épaule
- et s'écrie « P*tain, vous avez jamais parlé de ça, enfoirés ! »
- Gargaj a bondi, et il a commencé à agiter le drapeau hongrois dans la rangée de devant, c'était excellent.
Leur première intro n'a pas été leur unique succès. Leur intro 64 ko, Chaos Theory, est sans doute l'intro hongroise la plus connue dans le monde.
Sa popularité et le respect qu'elle inspire sont bien illustrés par le fait que le groupe Français FRequency en a fait un remix 4 ko pour la MAiN 2010.
- Il y a deux semaines, on cherchait une idée d'intro rapide à faire pour la compo 4k.
- On regardait des démos comme d'habitude avec des amis un soir ***, et on s'est dit :
- Hé, pourquoi ne pas prendre une 64k et essayer de la refaire en 4k ?
- Et quand on s'est dit ça, la première 64k qui nous est venue à l'esprit était Chaos Theory.
- Elle est vraiment très connue dans la demoscene,
- parce que c'est vraiment la première démo avec une musique aussi entraînante et des visuels aussi complexes dans une aussi petite taille.
Bien sûr, Conspiracy n'est pas le seul groupe hongrois dont nous pouvons être fiers.
Exceed, en 2000, a marqué l'histoire de la démo en gagnant deux des plus grosses demoparties la même année.
Leur intro 64k est toujours considérée comme une des meilleures à ce jour, et leur démo Spot a gagné à l'Assembly en Finlande.
La liste des succès des groupes hongrois pourrait continuer :
Sur le C64, la démo Soiled Legacy, de Resource, a été classée parmi les 10 meilleures démos sur cette plateforme pendant des années.
- Ce qui est marrant, c'est cette espèce de mentalité hongroise qui existe aussi dans la scene.
- Regarde, au moment des Jeux Olympiques à Barcelone ou à Sydney,
- quand le pays entier encourageait Egerszegi Krisztina, Kovács Ági, Darnyi Tamás, Nagy Tímea.
- Je crois que ce genre de soutien peut être aussi ressenti par les groupes de démo, nous savons que notre Histoire nous handicape un peu,
- on est un peu des outsiders,
- et ça crée cet esprit hongrois qui permet à un petit groupe de balayer la concurrence !
- Alors qu'est-il arrivé en 91/92 ?
- C'était particulier puisque nous étions dans le bloc des pays de l'Est, et même les sceners actifs étaient gênés par la barrière de la langue.
- Il y avait quand même une énorme communauté. Il y avait des demoparties qui accueillaient plus de mille personnes ici en Hongrie.
- La scene était énorme à l'époque, et on était bien entre nous, parce qu'il y avait parfois six à huit parties par an.
- Certaines années, on a eu autant de parties que quatre autres pays réunis.
- il se passait tellement de choses qu'on se débrouillait bien entre nous.
- Pour juger du succès des Hongrois, il y a un site appelé Pouët,
- qui est le plus gros site de la demoscene, et où tu peux trouver quasiment toutes les productions qui te viennent à l'esprit.
- il y a une liste des dix démos les plus populaires,
- et je ne sais pas ce qu'il en est aujourd'hui, mais à une époque, il y en avait trois sur les dix qui étaient hongroises.
- Alors quelle est la plus belle récompense pour votre travail ?
- Quand tu gagnes à une party, et en particulier quand tu gagnes contre des gens qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes.
- Je crois que ça dépend. Ma récompense préférée c'est quand quelqu'un vient te voir à une party
- et te dit, « oh, t'es celui qui a fait... woooah ».
- Tu sais, quand tu te rends compte que ton travail a parcouru toute la chaîne, jusqu'aux gens qui en ont seulement entendu parler.
- et qui sont étonnés quand ils te disent « wow, c'est toi qui as fait ça ? Je l'ai regardé tellement de fois, je l'ai adoré ! »
- En effet, c'est le meilleur, quand ils ne savent pas que c'est toi qui l'as fait et qu'ils le découvrent. Je crois que c'est la meilleure forme de reconnaissance.
Les « greetings », marques de considération mutuelle, sont un des éléments caractéristiques des démos,
dans lesquels les créateurs de la démo présentent leurs respects aux groupes pour lesquels ils ont une grande estime.
Etre salué dans une démo réalisée par un des groupes les plus appréciés est considéré comme un signe de respect,
car ça signifie que ce groupe considère que votre travail fait partie de ce qui se fait de mieux.
- Y a-t-il des « célébrités » ou des « légendes » en Hongrie ?
- Les légendes sont faites par les plus jeunes, par exemple je pense que c'est Gargaj et son groupe les plus connus,
- alors pour les nouveaux venus, ce sont eux qui sont considérés comme des légendes.
- Vous avez été des légendes vous aussi !
- Ouais, j'ai lu des articles qui parlaient de Murphy dans des diskmags. C'est très bizarre de rencontrer quelqu'un sur qui tu as lu autant de choses.
De temps en temps, une démo devient célèbre aussi en dehors de la scene.
- Je suis à Szeged, complètement bourré, et au-dessus de moi, il y a deux gars qui parlent d'intros 64k, de Conspiracy et de trucs comme ça.
- Je les regarde et je leur demande « Quoi ? Vous connaissez Conspiracy ? » « Ouais, ils sont géniaux ! »
- « Salut, je suis BoyC ». Le type ouvre de grands yeux et me sort « Mais qu'est-ce que tu fous ici ? »
- « Ben quoi ? Je suis venu voir un concert. »
- On était en train de picoler près de l'Université ELTE, et ces trois filles arrivent, un ami les avait amenées,
- et un pote me demande de leur montrer Chaos Theory, parce que je l'avais en vidéo sur mon téléphone.
- Alors je la montre à une de filles et elle s'écrie « Oh je la connais, on l'a étudiée celle-là ! »
La demoscene est morte.
- La phrase « la scene est morte » tourne depuis trente ans.
- J'ai connu la scene vers 1998 et déjà en 98 il y avait des gens qui voulaient l'enterrer... enfin, c'était différent !
- Il y a quinze ans, il y avait une demie-douzaine ou une douzaine de parties par an, mais ça a beaucoup chuté.
Quand on a fait SCEnEST en 96, on a eu mille deux cents visiteurs payants ! Ça a été une sacrée party !
- Cette génération de lycéens est ensuite entrée à la Fac, a grandi, puis hop, une famille,
- le boulot, et tout le reste. L'enthousiasme est toujours présent, mais le temps fait défaut.
- Rester assis pour faire une bonne démo, la dernière fois que ça m'est arrivé c'était en 1999.
- Maintenant c'est pas de groupe, pas de démo ? - Non, pas vraiment, il y a toujours des projets, mais rien ne se fait jamais.
- Pourquoi ? - Parce que je suis vieux !
- Et tu ne peux plus faire de démos ? - Je peux mais
- Je suis vieux et fainéant. Non, je veux dire, je n'ai pas le temps, ou l'état d'esprit, plutôt.
- Tu rentres chez toi après avoir bossé pendant dix heures - ne rigole pas
- dix heures au bureau, t'as pas vraiment envie de rentrer pour continuer à faire la même chose, ça ne marche pas.
- Il y a encore une nouvelle génération, mais ils ne sont pas aussi nombreux qu'ils l'étaient pendant « l'âge d'or ».
- La création d'une démo demande d'y investir beaucoup de travail.
- Et il n'y a pas de retour immédiat ou de satisfaction immédiate comme tu peux en avoir quand, par exemple,
- tu crées une vidéo YouTube en cinq minutes, et elle est vue par cinquante mille personnes
- qui te disent tout de suite soit que c'est génial, soit que tu crains.
- Ça n'existe pas dans la demoscene,
- tu vas avoir douze personnes qui vont te dire combien c'est génial, et trois cents qui vont te dire que c'est nul.
- Il n'y a pas forcément le genre de gratification qui pourrait inciter un gamin à se dire « Je veux y investir tout ce temps. »
- A l'époque, Orange était un bon exemple de comment passer de zéro à héros en un an
- simplement en bossant dur pour produire quelque chose de classe internationale.
- Aujourd'hui, si tu veux commencer à zéro, ça va te prendre à peu près quatre ans.
- Une vidéo virale sur Internet va durer quoi ? Moins de 15 minutes de gloire.
- Mais tu sais, une démo... on se souvient des démos de l'année dernière, de l'année d'avant, d'il y a dix ans, quinze ans.
- Si tu pouvais faire tourner un cube à l'écran, tu étais le roi. Les critères actuels sont très différents.
- Regarde, tu vas au cinéma, tu vois Avatar, c'est à ce niveau de qualité que tu te mesures.
- C'est pour ça qu'il faut les aider. C'est presque comme si tu devais les préparer mentalement à créer leur première démo.
- Ouais, qu'ils n'osent pas se lancer est un problème, mais c'est une attitude idiote. Si tu n'y arrives pas, tu n'y arrives pas, mais au moins tu auras essayé.
- Tout est une question d'attitude. Le tout est de savoir si tu veux avoir du succès dans la scene, ou juste en faire partie.
- Si tu veux avoir du succès, tu dois créer un outil, travailler pendant des années, trouver un dessinateur, un designer.
- Si tu veux juste t'amuser, tu t'asseois et tu fais des démos.
- Quand tu y réfléchis, la scene c'est plutôt orienté techique, artistique, informatique, underground, et c'est une vraie pagaille.
- Ça t'étonne que ça ne soit pas plus populaire ?
- Je crois que c'est normal, maintenant il y a Internet, les consoles ceci, les consoles cela, les gosses s'intéressent des choses différentes.
- A l'époque, tu sais, on n'avait pas Internet, on bidouillait juste les petits ordinateurs qu'on s'achetait
- Qu'on s'achetait ? Que nos parents achetaient, je veux dire ! Et on trouvait que c'était vraiment intéressant, tout ce qu'on pouvait faire.
- Dans chaque ville il n'y avait qu'un petit nombre d'ordinateurs, et certains ont commencé à faire des choses créatives avec,
- d'une certaine façon, c'était un privilège. De nos jours, tout le monde utilise des ordinateurs, alors on ne peut pas se développer plus que ça.
- Quand les gosses vont sur Internet aujourd'hui, ils ont le monde entier devant eux, ils font ce qu'ils veulent,
- ils jouent à des jeux, ils naviguent. C'est différent, le monde fonctionne différemment aujourd'hui.
- Il faut comprendre qu'en 1995, les choses les plus incroyables qu'on pouvait voir sur un ordinateur, c'était les démos.
- La plupart des jeux étaient en 2D à l'époque, et ils étaient un cran en dessous.
- Ils étaient bien en avance sur les jeux produits par les studios professionnels, ils savaient produire une qualité supérieure.
- Maintenant tout ce que tu as à faire c'est aller sur YouTube,
- pour regarder les vidéos de démo des dix meilleurs studios d'effets spéciaux pour voir du haut de gamme.
- On n'avait pas de Toy Story ni d'autres trucs de ce genre.
- Quelqu'un qui va au cinéma, et ensuite regarde une intro 4k, peut évidemment se demander à quoi ça sert !
- Tu ne peux pas comparer une séquence d'animation qui a nécessité des centaines de mois-homme de travail avec l'activité de 5 ou 6 personnes sur leur temps libre.
- Alors aujourd'hui, c'est plutôt une question de trouver de nouvelles idées.
- Les plus vieux sont toujours en train de se plaindre du manque de nouveaux sceners.
- mais il y a toujours quelques nouveaux groupes, de nouveaux gars, ils font leurs gammes et puis ils évoluent.
- Je dirais ceci : je suis très, très chanceux d'avoir la demoscene. Je me sens très heureux, et ça a très bien marché.
- Comment as-tu connu la demoscene ?
- Je cherchais des trucs sur la programmation, et je suis tombé dessus par hasard.
- Et quand j'ai vu ça, j'ai juste pensé : « Wow, c'est quoi ça ? C'est trop cool ! »
MaxUser6000. A fait le voyage de Transylvanie jusqu'à Budapest pour présenter sa toute première démo à Function 2010.
- Pendant que ma démo passait, mon cœur s'est mis à battre très vite !
- Comme un groupe jouant sur scène ? - Exactement, comme un groupe sur scène !
- Alors quel était ton objectif quand tu t'es assis pour faire ta démo ? La compétition est plutôt rude.
- Tu voulais juste bien te placer ? Ou gagner ?
- Je pensais juste à la démo, à faire une démo qui n'agresse pas trop le public, et qui soit peut-être un peu appréciée.
- C'est ce que j'avais projeté, et ça s'est passé mieux que prévu.
« Mieux que prévu » signifie ici que la démo a fini première du concours de démo après le vote du public.
Et bien qu'il n'y ait pas grand chose à gagner à part de la reconnaissance et quelques modestes prix grâce aux sponsors,
il y a une chance pour que l'expérience acquise dans la scene lui permette d'obtenir une offre de travail intéressante.
- Le plus gros marché de l'emploi pour les demosceners est évidemment le développement de jeux,
- ou quelquefois des gens finissent par travailler dans des studios d'animation.
- Moi je me suis retrouvé développeur de jeux,
- parce que le PDG d'une des plus anciennes boîtes de développement de jeux venait dans les parties pour chasser les nouveaux talents.
- Je ne veux pas mentir, mais pour moi, pendant 7-8 ans, c'était juste un hobby, je faisais de la musique en permanence.
- Et j'ai atteint un stade où j'ai pu commencer à en vivre
- parce que j'ai fait ça pendant si longtemps que la demoscene a été un tremplin pour moi
- C'est un bon environnement pour se former, quand tu fais quelque chose, tu as aussitôt des réactions.
- Ta démo passe et, le public étant très moqueur, tu sais tout de suite si c'était nul ou si c'était génial.
- Et tu peux apprendre beaucoup de ces réactions comment dire... brutes et non-filtrées.
- Tu apprends ce qui marche et ce qui ne marche pas.
- Les gens qui ont démarré ça au début des années 90, ils travaillent probablement tous dans un studio de développement de jeux maintenant,
- ou dans une société d'effets spéciaux ou de post-production.
- Ces gens sont vraiment très bons, tu sais ?
- Et il travaillent dans de très grosses sociétés comme Pixar, Apple ou Microsoft.
Non seulement ces gens travaillent pour certaines des meilleures sociétés, mais plusieurs studios européens de développement de jeux ont été créés par des demosceners.
Des groupes sont à l'origine de la naissance de DICE, les créateurs de la série Battlefield,
ou de Remedy, auteurs de jeux comme Max Payne ou Alan Wake.
Plusieurs musiciens de démos ont également travaillé sur les bandes son de jeux à succès,
comme Assassins’ Creed ou la série des Unreal.
On a aussi vu des multinationales comme NVIDIA, Intel ou Microsoft organiser leur propres demoparties et concours de démos,
en fournissant leur propres outils pour que les créateurs les utilisent dans leurs productions.
Les artistes de la scene sont pas motivés par la publicité ou par un succès mondial.
Aussi professionnelles qu'elles soient, leurs créations sont uniquement destinées à ces quelques centaines de personnes qui savent les comprendre et les apprécier.
Leurs œuvres peuvent être de classe mondiale, mais ils ne semblent pas se soucier du fait que le monde n'a probablement jamais entendu parler d'eux.
- La demoscene est une ligue amateur. Les gens ne se prennent pas trop au sérieux.
- Je veux dire, même si le programmeur et le graphiste font quelque chose d'extraordinaire dans une démo, ça reste quand même un hobby.
- Si le musicien écrit une super chanson qui pourrait être un tube, ça reste un hobby.
- Le but c'est de montrer ta production à ce cercle très restreint de personnes.
- Je n'ai pas envie de faire quelque chose qui touche tout le monde, parce que c'est ce qu'il y a de mieux là-dedans,
- que ce soit limité à ces quelques personnes, c'est leur hobby, et c'est tout.
Que nous sachions reconnaître les valeurs de notre époque et de notre passé dépend de nous.
Ce que nous pouvons apprendre de notre environnement culturel dépend aussi de nous.
Il y a toujours une nouvelle scène passionnante à découvrir.
Que notre avenir soit riche en couleurs ou qu'il sombre dans la grisaille, en fin de compte, ne dépend que de nous.
Adaptation française par Den/3LN