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Le projet a commencé quand Tim Kirk, le producteur du film, et moi avons découvert
cette espèce de sous-culture émergeante :
de nombreuses personnes avaient fait des recherches sur Shining et l'avaient examiné au microscope,
puis avaient écrit dessus des analyses très profondes et très symboliques.
Je les trouvais incroyables et quelquefois très étranges.
Tout au long de ce processus, lors de nos recherches préliminaires,
on aurait pu être tenté de se pencher sur un autre film,
mais Shining a l'air d'avoir généré davantage de ces analyses.
Très tôt, des parallèles ont commencé à apparaître.
Room 237 et Shining sont des films qui mettent en scène des gens enfermés dans des labyrinthes.
J'ai trouvé toutes ces idées bien inquiétantes.
Alors faire ce travail avec un film d'horreur semblait cohérent...
J'ai d'ailleurs toujours pensé que les films d'horreur faisaient les meilleures métaphores,
que ce soit Dr. Jekyll and Mr. Hyde, King Kong, Godzilla ou L'invasion des profanateurs de sépultures.
Ils comportent des métaphores sociales, politiques
d'une façon peut-être plus naturelle que les autres films de genre.
Peut-être que j'ai un mauvais fond, parce que ça ne m'avait jamais traversé l'esprit d'y être opposé.
Il le fait, oui, d'après Jay Weidner,
dont la théorie compare les choses qui arrivent dans Shining
à un livre traitant de l'usage des images subliminales dans les pubs à la télévision.
Selon Jay, ce que Stanley Kubrick fait
est toujours lié au type d'histoire qu'il veut raconter.
Peut-être que s'il s'en servait pour vendre de la nourriture ou du papier toilettes,
j'aurais plus de mal avec cette idée.
Ce n'est pas comme si c'était une mauvaise chose !
Je pense qu'au final c'est une des interrogations que pose Room 237,
mais qu'on ne parvient pas à résoudre, et de loin.
Est-ce que ces gens, ou le public en général,
ont eu ces idées à cause des personnes qui ont réalisé le film ?
Ou est-ce à cause de leurs propres expériences, qu'ils plaquent sur le film ?
Il y a une citation de Stanley Kubrick à ce propos,
qui dit que ce que chacun tire d'une œuvre d'art est toujours différent, car toujours personnel.
Ce qui n'exclue pas
qu'il ait utilisé le symbolisme dans un but particulier dans son film.
Ses films ont toujours fonctionné à un degré symbolique.
Si on remonte à son premier film, Fear and Desire,
un film de guerre en noir et blanc, rarement diffusé,
il a utilisé les mêmes acteurs pour interpréter les héros et leurs ennemis.
On ne voit les méchants que dans quelques séquences,
mais je ne pense pas qu'il ait fait ça
seulement pour des raisons budgétaires, parce que c'était moins cher que d'engager d'autres acteurs !
Je pense qu'il essayait de produire une sorte de métaphore, qu'il pensait à la portée symbolique.
D'une manière intéressante, cela traite du double.
Nombre de ses films sont remplis de doubles, d'alter ego et de jumeaux.
Shining l'est très certainement : pas seulement avec les jumelles,
mais aussi avec Delbert Grady et Charles Grady,
Jack dans le film et Jack sur la photographie.
C'est une sorte de figure récurrente à laquelle il aime revenir.
Le concept du film finit par ressembler à une expérience scientifique
où l'on superpose cinq pensées très différentes.
Il est très peu probable
que toutes servent un but que Stanley Kubrick aurait eu.
On est obligé de se poser la question ou de choisir entre toutes.
Mais même faire le choix d'être d'accord avec toutes est possible.
Tant de films ont deux niveaux de lecture,
il n'est pas si extraordinaire de dire que Stanley Kubrick fonctionne sur cinq degrés à la fois, voire plus.
Mais c'est un choix que chacun doit faire seul.
Je ne dirais pas ça.
Tant de réalisateurs ont des styles diamétralement différents.
Robert Altman ou David Lynch sont par exemple bien plus ouverts à l'improvisation et aux heureux hasards.
En opposition à quelqu'un qui contrôle tout rigoureusement.
On peut penser au dessin d'animation,
quelqu'un comme Don Hertzfeldt, qui fait tout lui-même.
Il a le contrôle absolu, même s'il ne compose pas la musique.
John Carpenter compose sa musique, lui, mais...
Faire un film est un procédé si gigantesque
on ne peut pas imaginer qu'une seule personne peut contrôler absolument tout.
Il est plutôt question de donner une direction générale à l'ensemble.
Les films ont des centaines de séquences.
Certains sont contents de laisser des anomalies ou des accidents arriver.
Room 237 serait un film très différent s'il traitait d'un film de l'un de ces réalisateurs,
parce que personne, excepté peut-être un dessinateur d'animation
-- et encore pas n'importe lequel --
ne pourrait tout contrôler.
Kubrick avait effectivement davantage de contrôle que la plupart des gens.
Il travaillait avec plus d'autonomie,
il passait beaucoup de temps à tourner,
plus de temps à répéter.
Il avait clairement un contrôle précis sur la lumière et la caméra.
Il choisissait la musique lui-même.
Donc il y a en effet davantage d'éléments intentionnels, jusque dans les petits détails,
dans Shining que dans la majorité des films.
Oh oui, c'est connu. Il n'aimait pas parler du symbolisme dans ses films.
Et je parlais à un ami qui me disait
que Kubrick refusait toutes les théories selon lesquelles
il y avait des significations symboliques dans ses films.
Mais moi mon interprétation immature me dit
qu'il avait peur de paraître trop prétentieux
et qu'il voulait sembler plus terre-à-terre.
Mais Kubrick a dit clairement,
si je parviens à expliquer ce qu'il voulait dire :
« Ne pas enchaîner le spectateur à une réalité qui n'est pas la sienne. »
Il voulait que les gens se fassent leur propre idée.
J'ai lu que les gens lui parlaient de 2001
et il s'intéressait à ce qui était dit,
mais il ne voulait jamais déclarer « oui, c'est exact » ou « non, c'est faux ».
Donc j'en conclus que c'est qu'il voulait, cet engagement du public.
Mais permettre aux gens d'avoir toutes sortes d'interprétations différentes
ne signifie pas pour autant qu'il n'avait d'intention précise.
Je n'ai gardé aucune distance, j'ai plongé tête la première,
en étudiant ces théories les unes après les autres.
Pour moi, c'est comparable à ce plan où Jack regarde le labyrinthe.
Il regarde une maquette,
mais de son point de vue, c'est un vrai labyrinthe,
et Danny et Wendy sont dedans -- c'est d'ailleurs un plan très intéressant
qui pose toutes sortes de questions.
Mais dans celui-ci on démarre très large et on zoome, alors que pour moi, c'était plus comme un dé-zoom
parce que le labyrinthe continuait de s'agrandir et de se compliquer,
à mesure que l'on pensait à d'autres possibilités d'études en cheminant à l'intérieur.
Il y a un mot pour désigner l'état transcendent dans lequel nous plonge un film : hypnagogique.
Ça fonctionne comme par magie.
On regarde le film et la pièce dans laquelle on est disparaît.
On se retrouve transporté dans le labyrinthe ou dans l'hôtel.
Et je me suis retrouvé englouti de nouveau.
Quand je l'étudiais pour les besoins du film,
c'était plus efficace de le regarder plan par plan,
image par image,
sans le son,
figé, pour bien étudier le cadre.
Quand on le regarde normalement,
on retombe à nouveau dedans.
Je ne vais pas en faire un semblable à celui-ci, du moins pas tout de suite.
Je pense à des films comme Mulholland Drive,
ou La Nuit du chasseur.
Un autre qui pourrait se prêter à l'analyse, étonnamment,
c'est Invasion Los Angeles, de John Carpenter.
Il y en a beaucoup. En un sens, j'aimerais que quelqu'un d'autre prenne le relais
et fasse un film sur un film à son tour, comme ça je pourrais m'atteler à d'autres choses.
Parce que ce film m'a vraiment épuisé.
Kubrick excelle dans une demi-douzaine de catégories,
de son style visuel à son usage de la musique,
de la façon dont il travaille avec les acteurs,
jusqu'à la structure de ses films.
Et beaucoup de cinéastes qui, je pense, partagent un peu sa sensibilité
ne le font pas à tous les niveaux.
Ils font certaines choses de la même manière mais d'autres très différemment.
P.T. Anderson ou David Fincher ont un sens de la rigueur assez similaire.
Gaspar Noé, même si je ne connais pas sa filmographie entière aussi bien qu'Enter the Void,
qui d'ailleurs vaudrait la peine d'être étudié.
Mais bon sang, celui-là...
On prendrait vraiment cher à s'aventurer deux ans dans ce labyrinthe-là !