Tip:
Highlight text to annotate it
X
De mon Permesse aimé je viens à vous,
illustres héros, noble sang des rois,
dont la Renommée vante les mérites éclatants
sans atteindre à la vérité
car ils sont trop grands.
Je suis la Musique
et, par mes doux accents, sais apaiser tous les cœurs troublés
et puis enflammer d'amour ou de noble courroux
les esprits les plus glacés.
Chantant sur ma cithare d'or,
je flatte l'oreille des mortels ;
et prépare ainsi l'âme à l'harmonie sonore
de la lyre céleste.
Le désir me pousse ici à vous parler d'Orphée,
Orphée qui par son chant apprivoisa les fauves
et par ses prières soumit l'Enfer,
gloire immortelle du Pinde et de l'Hélicon.
Pendant mes chants tour à tour
tristes ou gais,
qu'aucun oiseau ne bouge parmi ces plantes,
qu'aucune onde ne murmure sur ces rives,
et que chaque brise en sa course s'arrête.
En ce jour heureux et fortuné
qui a mis fin aux tourments amoureux de notre demi-dieu,
chantons, bergers, avec de si doux accents
que notre concert soit digne d'Orphée.
Aujourd'hui s'est attendrie l'âme naguère si dédaigneuse
de la belle Eurydice.
Aujourd'hui Orphée a trouvé le bonheur sur ce sein
pour lequel il a dans ces bois tant soupiré et pleuré.
Donc en ce jour heureux et fortuné
qui met fin aux tourments amoureux de notre demi-dieu,
chantons, bergers, avec de si doux accents
que notre concert soit digne d'Orphée.
Viens Hyménée, de grâce viens,
et que ta face ardente soit comme un soleil naissant
qui apporte aux amants des jours sereins,
et au loin dissipe
l'horreur et l'ombre des tourments et de la douleur.
Muses, gloires du Parnasse, amour du Ciel,
aimable réconfort du cœur désolé,
que vos lyres sonores déchirent le sombre voile des nuages ;
et pendant que nous invoquons aujourd'hui
Hyménée afin qu'il soit propice à notre cher Orphée,
sur ces instruments bien accordés, que votre chant s'unisse au nôtre.
Quittez les monts, quittez les sources,
nymphes gracieuses et joyeuses,
et en ces prés habitués aux danses,
faites courir votre beau pied.
Qu'ici le soleil contemple vos rondes plus gracieuses que celles
que les étoiles en la nuit noire dansent au ciel pour la lune.
Quittez les monts, quittez les sources, nymphes gracieuses et joyeuses,
et en ces prés habitués aux danses, faites courir votre beau pied.
Puis de belles fleurs ornez
les cheveux de ces amants,
puisque du martyre de leurs désirs
ils sont heureusement délivrés.
Mais toi, aimable chanteur, si tes plaintes
ont déjà fait pleurer ces campagnes,
pourquoi maintenant au son de ta fameuse lyre
ne fais-tu se réjouir avec toi collines et vallées ?
Que de joyeux chants inspirés par l'Amour
témoignent de ton bonheur.
Rose du ciel, vie du monde,
et digne descendant de celui qui régit l'univers,
soleil, toi qui englobes tout et vois tout,
des cercles étincelants du ciel, dis-moi:
as-tu jamais vu amant plus heureux et plus fortuné que moi ?
Il fut bien heureux le jour, mon amour, où je te vis pour la première fois,
et plus heureuse encore l'heure où je soupirai pour toi,
puisqu'à mes soupirs tu répondis ;
qu'il fut heureux le moment où tu me tendis ta main blanche
en pur gage de ta foi !
Si j'avais autant de cœurs que le ciel éternel compte d'astres
et ces tendres collines de frondaisons au vert mois de mai,
ils seraient tous comblés et déborderaient
du plaisir qui aujourd'hui me rend heureux.
Je ne dirai pas quelle est
ma joie, Orphée, à ton plaisir,
car mon cœur n'est pas avec moi,
il se tient avec toi aux côtés d'Amour.
Demande-lui donc, si tu désires entendre
combien je suis heureuse
et combien je t'aime.
Quittez les monts, quittez les sources, nymphes gracieuses et joyeuses,
et en ces prés habitués aux danses, faites courir votre beau pied.
Qu'ici le soleil contemple vos rondes plus gracieuses que celles
que les étoiles en la nuit noire dansent au ciel pour la lune.
Viens Hyménée, de grâce viens,
et que ta face ardente soit comme un soleil naissant
qui apporte aux amants des jours sereins,
et au loin dissipe
l'horreur et l'ombre des tourments et de la douleur.
Mais si notre plaisir nous vient du Ciel
comme vient du Ciel tout ce qui nous arrive ici-bas,
il est bien juste qu'avec dévotion nous lui offrions encens et vœux.
Aussi, que chacun se dirige vers le temple
pour prier celui qui tient le monde dans sa main droite,
afin qu'il nous conserve longtemps notre bonheur.
Que nul ne s'abandonne désespéré au chagrin,
même si parfois il nous assaille avec force
et rend notre vie amère.
Car, quand les nuées hostiles
chargées de funeste tempête ont terrifié l'univers,
le soleil dispense plus clair ses lumineux rayons.
Et après l'âpre gel de l'hiver dénudé
le printemps revêt de fleurs les champs.
Voici Orphée
qui autrefois se nourrissait de soupirs
et se désaltérait de larmes:
il est aujourd'hui si heureux
qu'il n'a plus rien à désirer.
Voici que je reviens à vous, chères forêts et plages aimées,
par ce soleil rendues heureuses qui seul sait changer mes nuits en jours.
Voyez comme Orphée se prélasse à l'ombre de ces hêtres
alors que Phébus darde ses rayons brûlants du haut du ciel.
Sur cette rive herbeuse reposons-nous, et de diverses manières
que chacun accorde sa voix au murmure des eaux.
Sur ce pré fleuri toutes les divinités agrestes
ont coutume de passer d'heureux moments.
Ici on entendit Pan, dieu des bergers, rappeler doucement,
avec tristesse parfois, ses amours difficiles.
Ici on vit les nymphes gracieuses, en foule toujours fleurie,
de leurs blanches mains cueillir des roses.
Donc, Orphée, rends dignes du son de ta lyre
ces champs où souffle une brise parfumée.
Vous souvenez-vous, ô bois épais,
de mes longs et amers tourments,
lorsque les pierres pleines de compassion répondaient à mes plaintes ?
Dites, ne vous semblai-je pas alors,
le plus malheureux des hommes ?
Maintenant le sort a changé
et transformé en fête mes tourments.
J'ai vécu triste et malheureux,
maintenant je me réjouis, et ce que j'ai souffert pendant tant d'années
rend plus précieux mon bonheur présent.
C'est pour toi seule, belle Eurydice,
que je bénis mon tourment ;
après la douleur on est plus content,
après le malheur, plus heureux.
Regarde, Orphée, oh, regarde
autour de nous
comme rient bois et prés.
Continue donc de ton spectre doré
à rendre l'air plus doux en ce jour si heureux.
Hélas, destin amer !
Hélas, sort funeste et cruel !
Hélas, étoiles inhumaines !
Hélas, Ciel barbare !
Quelle plainte trouble ce jour heureux ?
Malheureuse, il m'appartient donc,
alors qu'Orphée réjouit le Ciel de ses chants,
de transpercer son cœur par mes paroles ?
C'est la charmante Sylvia,
la très douce compagne de la belle Eurydice:
oh, comme elle semble malheureuse.
Qu'y a-t-il donc ?
Oh, dieux très puissants, ne détournez pas votre regard bienveillant.
Bergers, cessez vos chants
car toute notre allégresse s'est changée en deuil.
D'où viens-tu ? Où vas-tu ? Nymphe, quelle nouvelle ?
Je viens à toi, Orphée, messagère infortunée
d'un destin malheureux et funeste:
ta belle Eurydice...
Hélas, qu'entends-je ?
Ton épouse bien-aimée...
est morte.
Hélas !
Dans un pré fleuri avec ses amies
elle marchait, cueillant des fleurs pour en faire une guirlande à tes cheveux,
lorsqu'un serpent perfide, caché dans l'herbe,
mordit son pied d'une dent venimeuse.
Et voilà qu'immédiatement son beau visage pâlit
et de ses yeux se ternit l'éclat
qui la faisait rivale du soleil.
Alors, toutes troublées et tristes, nous l'entourâmes
pour rappeler ses esprits égarés avec de l'eau fraîche
et des charmes puissants.
Mais rien n'y parvint, hélas,
car entrouvrant des yeux languissants
et t'appelant, Orphée,
après un profond soupir
elle expira dans mes bras,
et je demeurai
le cœur plein de pitié et d'épouvante.
Hélas, destin amer !
Hélas, sort funeste et cruel !
Hélas, étoiles inhumaines !
Hélas, Ciel barbare !
À cette amère nouvelle le malheureux reste muet comme une pierre,
sa douleur est trop grande pour qu'il puisse se plaindre.
Hélas, il faudrait un cœur de tigre ou d'ours
pour ne pas avoir pitié de ta douleur,
malheureux amant privé de ton bien.
Tu es morte,
tu es morte, ô ma vie,
et moi je respire ?
Tu m'as quitté,
tu m'as quitté pour ne plus jamais revenir,
et moi je reste ?
Non, non,
car si mes vers ont quelque pouvoir,
je descendrai sans crainte aux plus profonds abîmes
et, après avoir attendri le cœur du roi des ombres,
je t'entraînerai avec moi pour revoir les étoiles,
et si un destin impie me refuse cela,
je resterai avec toi en compagnie de la mort.
Adieu, terre,
adieu, ciel
et soleil, adieu !
Hélas, destin amer !
Hélas, sort funeste et cruel !
Hélas, étoiles inhumaines !
Hélas, Ciel barbare !
Qu'aucun mortel ne se fie au bonheur fugace et fragile
qui fuit rapidement,
et souvent le précipice est proche du sommet.
Mais moi, dont la bouche a porté le coup fatal
qui déchira l'âme aimante d'Orphée,
odieuse aux nymphes et aux bergers,
odieuse à moi-même,
où vais-je me cacher ?
Funeste oiseau de nuit, je fuirai le soleil pour toujours
et dans un antre solitaire mènerai une existence
conforme à ma douleur.
Qui nous consolera, ah, malheureux ?
Ou du moins qui offrira à nos yeux la vive fontaine
pour pleurer comme il convient
en ce triste jour,
d'autant plus triste qu'il était si joyeux ?
Aujourd'hui un accident cruel
a éteint les deux astres les plus éclatants de nos forêts,
Eurydice et Orphée,
l'une mordue par un serpent,
l'autre, hélas,
mordu par la douleur.
Hélas, destin amer !
Hélas, sort funeste et cruel !
Hélas, étoiles inhumaines !
Hélas, Ciel barbare !
Mais où est maintenant
le beau corps glacé de la malheureuse,
où la digne demeure élue par cette âme exquise
partie en la fleur de ses jours ?
Allons, bergers, allons
le chercher, avec révérence,
et portons au moins notre offrande de larmes amères
à ce corps exsangue.
Hélas, destin amer !
Hélas, sort funeste et cruel !
Hélas, étoiles inhumaines !
Hélas, Ciel barbare !
Sous ton escorte, ô ma déesse Espérance,
Espérance, unique bien des mortels affligés,
je suis enfin arrivé en ces régions tristes et ténébreuses
où nul rayon de soleil jamais ne parvint.
Toi, ma compagne et mon guide,
sur ces routes étranges et inconnues
tu as soutenu mon pas faible et tremblant,
et c'est pourquoi j'ai aujourd'hui encore l'espoir de revoir ces yeux bien-aimés
qui seuls montrent la lumière à mes yeux.
Voici le sombre palude, voici le nocher
qui mène les âmes désincarnées sur l'autre rive,
là où Pluton règne sur le vaste empire des ombres.
Au-delà de ce noir marécage, au-delà de ce fleuve,
en ces champs de pleurs et de douleur,
le destin cruel te cache ce qui est tout ton bien.
Il te faut maintenant un cœur courageux et un beau chant.
Je t'ai conduit jusqu'ici,
il ne convient pas que j'aille plus avant avec toi
car une loi sévère le défend.
Une loi gravée au fer dans la pierre dure
sur le seuil affreux de l'empire des abîmes,
dont le sens farouche s'exprime en ces mots:
« Abandonnez tout espoir, ô vous qui entrez. »
Donc, si tu es déterminé en ton cœur
à poser le pied dans la cité douloureuse,
je m'enfuis loin de toi et retourne en mon habituel séjour.
Où, ah, où t'en vas-tu,
unique doux réconfort de mon âme ?
Puisqu'après une longue route je touche enfin au but,
pourquoi t'éloigner et m'abandonner, hélas, sur ce chemin périlleux ?
Que me reste-t-il si tu me quittes,
très douce Espérance ?
Ô toi qui, bravant la mort, t'avances téméraire sur ces rives,
arrête tes pas.
Voguer sur ces eaux n'est pas donné aux mortels
et qui vit ne peut demeurer avec les morts.
Quoi ? Tu veux peut-être, ennemi de mon maître,
éloigner Cerbère des portes du Tartare ?
Ou bien enlever sa chère épouse,
le cœur enflammé d'un désir impudique ?
Mets un frein à ta folle audace, dans ma barque
aucun corps animé ne remonta jamais,
car des anciens outrages mon âme conserve
un souvenir amer et un juste ressentiment.
Esprit puissant
et divinité redoutable,
sans qui toute âme séparée de son corps
ne peut passer sur l'autre rive.
Je ne vis plus
puisque la vie a été ravie
à ma chère épouse,
mon cœur n'est plus avec moi,
et sans cœur, comment puis-je être en vie ?
C'est vers elle...
que, dans l'obscurité,
je marchai
et non vers l'Enfer, car là où se trouve
une telle beauté,
là est le Paradis.
C'est moi Orphée,
qui suis les pas d'Eurydice
à travers ces sphères ténébreuses
où jamais nul mortel n'est venu.
Ô lumière sereine de mes yeux,
si un seul de vos regards peut me redonner vie,
ah, qui refusera cette consolation à mes peines ?
Soleil, noble dieu, tu peux me prêter secours,
ne crains rien, car sur une lyre dorée
je n'arme mes doigts que de cordes suaves
contre qui une âme sévère s'endurcirait en vain.
Tu sais me flatter en me charmant le cœur,
inconsolable chanteur, de tes pleurs et de ton chant.
Mais que de mon cœur
toute pitié reste éloignée, indigne de ma valeur.
Hélas, malheureux amant ! Il n'est donc pas permis d'espérer
que les citoyens d'Averne entendent mes prières ?
Donc, telle l'ombre errante d'un pauvre corps sans sépulture,
je serai privé du Ciel comme de l'Enfer ?
Un destin cruel veut-il donc
que dans l'horreur de la mort, loin de toi, mon amour,
je crie ton nom en vain
et que, priant et pleurant, je me consume ?
Rendez-moi mon bien,
dieux du Tartare.
Il dort,
et ma lyre, si elle n'obtient nulle pitié de ce cœur endurci,
ne laisse pas le sommeil fuir ses paupières.
Allons donc, pourquoi m'attarder davantage ?
Il est grand temps d'aborder l'autre rive
si personne ne m'en empêche,
que l'audace réussisse là où les prières furent vaines.
La chance est une fleur charmante du Temps qu'il faut cueillir à temps.
Pendant que mes yeux versent des torrents amers,
rendez-moi mon bien,
dieux du Tartare !
Rien n'est tenté en vain par l'homme
et contre lui la nature ne saurait se défendre:
sur la surface accidentée il a labouré les champs ondoyants
et a semé le grain de son labeur,
et récolté une blonde moisson.
Aussi, afin que vive le souvenir de sa gloire,
la Renommée délie sa langue pour parler de celui
qui affronta la mer sur une barque fragile
et méprisa la colère d'Auster et d'Aquilon.
Seigneur, le malheureux
qui parcourt ces vastes champs de la mort
en appelant Eurydice
et que tu as entendu tout à l'heure se lamenter si suavement,
m'a rempli le cœur de tant de compassion
qu'une fois encore je t'implore
pour que ton Dieu accède à sa prière.
De grâce, si jamais mes yeux t'ont prodigué quelque douceur amoureuse,
si jamais ce front serein te plut que tu nommes ton Ciel
et par qui tu me jures de ne pas envier le sort de Jupiter,
je te prie,
par ce feu dont Amour a déjà enflammé ta grande âme,
fais qu'Eurydice retourne
jouir des jours qu'elle passait entre fête et chanson,
et console les pleurs du misérable Orphée.
Bien qu'un arrêt du sort sévère et immuable
s'oppose, épouse aimée, à tes désirs,
que rien pourtant ne soit refusé à tant de beauté
et tant de prières.
Qu'Orphée,
malgré l'arrêt fatal,
retrouve sa chère Eurydice.
Mais avant qu'il ne sorte de ces abîmes,
que jamais il ne tourne vers elle ses yeux avides,
car d'une perte éternelle un seul regard serait la cause.
C'est là ma volonté.
Dans tout mon royaume,
ô ministres, faites connaître mon ordre
afin qu'Orphée l'entende et que l'entende Eurydice,
et que personne n'espère s'y opposer.
Ô puissant roi des habitants de l'ombre éternelle,
que ta parole soit notre loi,
car rechercher d'autres motifs à ta décision
n'est pas digne de nos pensées.
Orphée tirera hors de cette grotte horrible son épouse,
il mettra en œuvre tout son génie
pour ne pas être vaincu par sa juvénile ardeur
et ne pas oublier le grave commandement.
Comment te rendre grâce, maintenant que tu exauces
si noblement ma prière, aimable seigneur ?
Béni soit le jour où je te plus pour la première fois,
bénis le rapt et la douce tromperie,
puisque par cette aventure je t'ai gagné
en perdant le soleil.
Tes douces paroles
ravivent en mon cœur l'ancienne blessure d'Amour ;
aussi, que ton âme abandonne les plaisirs célestes
qui te font délaisser la couche conjugale.
Aujourd'hui la Pitié et l'Amour
triomphent en Enfer.
Voici l'aimable chanteur
qui conduit son épouse vers les hauteurs célestes.
Quel honneur est-il digne de toi, ô ma lyre toute puissante,
si dans le royaume du Tartare tu as su fléchir tous les esprits endurcis ?
Tu auras place parmi les plus belles images célestes
et, à ton chant, les étoiles danseront en rondes tour à tour lentes et rapides.
Et moi, grâce à toi pleinement heureux, je verrai le visage aimé,
et sur le sein candide de ma femme, je reposerai aujourd'hui.
Mais pendant que je chante, hélas,
qui m'assure qu'elle me suit ?
Hélas, qui me dissimule la douce clarté de ces yeux adorés ?
Peut-être piquées par l'envie les divinités d'Averne,
pour que je ne sois tout à fait heureux ici-bas,
me privent-elles de votre vue, étoiles heureuses et riantes,
qui d'un seul regard peuvent combler chacun ?
Mais que crains-tu, mon cœur ?
Ce qu'interdit Pluton, Amour le commande.
C'est à un dieu plus puissant, qui vainc les hommes et les dieux,
que je devrais obéir.
Mais qu'entends-je, hélas ? C'est peut-être pour mon malheur
qu'avec une telle rage les furies s'arment pour me ravir mon bien,
et moi j'y consens ?
Ô très doux regards, je vous vois pourtant,
pourtant je...
Mais quelle éclipse, hélas, vous obscurcit ?
Tu as enfreint la loi et tu es indigne de grâce.
Hélas, vision trop douce
et trop amère ;
ainsi par trop d'amour tu me perds ?
Et moi, malheureuse, je perds
le pouvoir de jouir de la lumière et de la vie,
ainsi que je te perds,
toi, de tous les biens le plus cher,
ô mon époux.
Retourne à l'ombre de la mort, malheureuse Eurydice,
et n'espère plus revoir les étoiles
car l'Enfer sera désormais sourd à tes prières.
Où t'en vas-tu, ma vie ?
Voici, je te suis.
Mais qui m'en empêche ? Est-ce que je rêve ou divague ?
Quelle occulte puissance loin de ces lieux horribles, de ces horreurs aimées,
malgré moi m'entraîne et me conduit vers la lumière odieuse ?
La vertu est un rayon de céleste beauté,
joyau de l'âme, elle seule a du prix:
elle ne craint pas l'outrage du temps,
mais au contraire, chez l'homme, les années augmentent sa splendeur.
Orphée vainquit l'Enfer
puis fut vaincu
par ses propres passions.
Que seul soit digne de gloire éternelle celui-là qui saura se vaincre lui-même.
Voici les champs de Thrace,
et voici le lieu où mon cœur fut transpercé de douleur
par l'amère nouvelle.
Puisque je n'ai plus espoir de retrouver en priant,
en pleurant et en soupirant, mon amour perdu,
que puis-je faire
sinon m'adresser à vous,
douces forêts, ancien réconfort de mes tourments
lorsqu'il plaisait au Ciel
de vous faire souffrir avec moi par compassion
pour mes souffrances ?
Vous avez gémi, ô montagnes, et vous avez pleuré,
ô rochers, au départ de notre soleil,
et moi avec vous, je pleurerai toujours,
et jamais plus ne dormirai, oh deuil, oh larmes !
« ...oh larmes ! »
Charmante Écho amoureuse, qui restes inconsolable
et voudrais consoler mes peines,
bien que les pleurs aient changé mes yeux en deux fontaines,
mon malheur est si grave et cruel
que je ne saurai pleurer assez !
« ...assez ! »
Si j'avais les yeux d'Argus
et qu'ils répandent tous un océan de larmes,
cela ne suffirait pour tant de malheur !
« ...malheur ! »
Si tu as pitié de mon mal,
je te remercie de ta bienveillance.
Mais, pendant que je me tourmente, dis,
pourquoi ne me réponds-tu que par mes derniers accents ?
Rends-moi tout entières mes plaintes.
Mais toi, mon âme,
si jamais ton ombre froide retourne
à ces plages aimées,
accepte de moi cet ultime hommage,
que te consacrent ma lyre et mon chant.
Comme déjà, sur l'autel de l'amour,
je t'offris en sacrifice mon cœur enflammé.
Tu fus belle et sage,
et le Ciel te fit présent de toutes ses grâces charmantes
quand pour toute autre il fut avare de ses dons.
Il convient que toutes les bouches chantent ta louange
car tu abritais dans un beau corps une âme plus belle encore,
d'autant plus digne d'honneur qu'elle était modeste.
Or les autres femmes sont orgueilleuses et perfides,
impitoyables et changeantes envers ceux qui les adorent,
dépourvues de jugement ou de noble pensée.
C'est à raison qu'on ne loue pas leurs œuvres,
et ce ne fut jamais pour une de ces méprisables femmes
qu'Amour me perça le cœur de sa flèche dorée.
Pourquoi, ô mon fils, t'abandonnes-tu ainsi à la colère et au désespoir ?
Ce n'est certes pas la marque d'un cœur généreux
que d'être esclave de ses sentiments.
Honte et danger te menacent, je le vois,
et je descends du ciel pour te porter secours.
Écoute-moi
et tu y gagneras la gloire et la vie.
Cher père, tu viens à moi dans un besoin extrême
car le chagrin et l'amour dans une douleur extrême
m'ont conduit à un acte désespéré.
Me voici donc attentif à tes conseils,
père céleste: impose-moi ta volonté.
Tu t'es réjoui avec trop d'exubérance de ton heureuse aventure ;
maintenant, tu pleures trop ton destin dur et cruel.
Ne sais-tu pas encore que rien ici-bas ne réjouit ni ne dure ?
Donc, si tu veux jouir de la vie immortelle,
suis-moi au ciel qui t'invite.
Ainsi je ne verrai jamais plus les doux regards de ma chère Eurydice ?
C'est dans le soleil et les étoiles que tu retrouveras ses beaux traits.
D'un tel père je serais fils indigne
si je ne suivais tes bienveillants conseils.
Montons, montons
en chantant au ciel
où la vraie vertu trouve sa digne récompense,
le plaisir et la paix.
Va, Orphée, pleinement heureux, jouir des honneurs célestes,
là où le bien ne fait jamais défaut, où jamais n'exista la douleur,
alors que sur nos autels nous t'offrons joyeux et pieux encens et vœux.
Ainsi va celui qui ne recule pas à l'appel des dieux éternels,
c'est ainsi qu'obtient la grâce du Ciel celui qui ici-bas a éprouvé l'Enfer.
Et celui qui sème dans la douleur récolte le fruit de toute grâce.