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Je n'ai pas su partir au loin
Convoquant les ports et les îles
Brisant les lignes du destin
Comme un joueur d'osselets malin
Bousculant la donne et les villes
Je n'ai pas été l'homme-oiseau
Régnant sur la côte dalmate
Ni protecteur des pays Baltes
Avec son sceptre de roseau
Il étend son bras jusqu'à Malte
Au Vidame des ponts, à Pise
Avant de le tuer comme un chien
Il a racheté sept putains
Qui viennent manger dans sa main
Et l'aiment et qui le lui disent
Ses pirogues sont sur l'Ogooué
Chargées de son camphre et son miel
Le roi du Soudan amadoué
Lui paye des plants d'arbre à sel
Avec deux cents chevaux de selle
Il conquiert les Pays du Livre
Avec quatre cents cavaliers
- Mon manteau pourpre les rend ivres :
Livre ton âme et ta monnaie
Remercie Dieu qui te délivre !
J'ai menti plus qu'on ne peut dire
J'ai vendu des années durant
De faux ciboires en fer blanc
Disant la messe en allemand
Pour de faux moines durs à cuire
Piroguiers descendant l'Ogooué
Qui donc gémit dans ces barils ?
- Des âmes d'enfants étouffés
Des pierres bleues du dieu Avril
Des larmes gemmes pour les îles
J'ai sauvé les couvents de Bâle
Cernés par les Teutons haineux
Ils voulaient la peau des moniales
Ces démons se battaient mieux qu'eux
- La supérieure fut triviale
J'ai parcouru l'ancienne Épire
Fuyant l'Europe et ma moitié
Suivi d'un mamelück d'empire
Et deux femmes qui me battaient
- Battez-moi, mon ancienne est pire...
D'un ministre l'épouse en fuite
Blanche et grasse et toujours très nue
Serait-ce cela qui m'excite :
Des ministresses la vertu ?
Iconoclastie tu m'habites !
Puis la négresse belle et fine
Cadeau de son père à Sidney
- Je l'avais sauvé de la ruine
M'offrant sa fille il en pleurait :
"Prends ma fille et rends-moi ma mine"
Ils m'ont tendu une embuscade
Le Turc m'ayant brûlé les pieds
Je dus égorger mes beautés
Selon un rituel omeyade
Y pensant, j'en reste malade
La grosse reine de Bohême
Me fit fouetter par ses minets
Avant de me s'offrir soi-même
Mâle ou femelle, je ne sais
M'empalaient parmi les blasphèmes
Ô la nostalgie de l'Ogooué
Les chants des rameurs sur le Nil
L'enchantement du fleuve Avril
Les canons tirant de la baie
Et les peuples grouillant qui filent
J'ai lutté pour rien au Mexique
J'ai vaincu à Tenochtitlan
Bousculant une armée d'enfants
Faméliques, chacun douze ans
Ils chantaient des chants pathétiques
Puis tombaient parmi les blés maigres
Ce tableau naïf est vendu
- Le commodore fut pendu
J'en garde un souvenir ému
Et des fusils à Port-Alègre
On fait des festins sur l'Ogooué
Vous n'imaginez pas lesquels
Le fiel coule de la cervelle
D'un jeune singe ébouillanté
Pour Pâques, bouffez de la pucelle
Oui, le Négus trichait aux cartes
Oui, un beau jour j'ai abordé
Salomé, Sarah, Jacobé
Gouinant sur leur petit voilier
Qui voulaient plus que je reparte
Une autre fois, rôdant dans l'Indre
J'ai vu la mission Lavilliers
Cherchant le Pérou sur l'Allier
Croisant l'expédition Hallier
Qui faisait semblant d'être aux Indes
Beaux mensonges, beaux mariniers
Emportez-moi vers d'autres rades
Faux palais, faux marbres, faux jades
Auprès de vous des Templiers
Le secret me paraît bien fade
Mais l'aventure la plus folle
C'est la fille que j'ai aimée
À vingt ans qui dans la corolle
De ses bras m'a emprisonné
Et qui veut plus que j'en décolle
La moue de tes lèvres cruelles
Me fouaille plus que coups de fouet
Toiles claquant des caravelles
Tes vrais yeux sont des faux billets
Chaque nuit j'en oublie la belle
Ta sainte alcôve pour moi compte
Plus que les bouges de Tanger
Tu me parles à l'oreille et honte
Me vient, l'orage au ciel chargé
Je te soudoie et on se monte
Certaines fois le vent se lève
Pour la migration des regards
"Maîtresse, rentrons, il est ***"
- J'aime ce léger désespoir
Qui donne son parfum aux rêves
Certaines fois je crois en l'Homme
Tu me convaincs et tu m'absous
Par le rire et l'amour. En somme
La foi y est cachée dessous
Je crois au monde ou c'est tout comme
Et tu es toute ma frontière
On y passe en fraude un baiser
Un de plus et la vie entière
J'affrête pour appareiller
Ma pirogue sur l'oreiller