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Mémoires de la Vallée Les traces de José María Velasco
On peut donc dire que l´idée de paysage
s´est transformée radicalement
depuis le XVIIIe siècle
On se pose la question
de la nature du visible,
la nature du regard,
et non seulement du regard
en tant qu´observation ou témoignage
sinon en tant qu´intervention créatrice
dans l´espace.
Mémoires de la Vallée Les traces de José María Velasco
Afin d´explorer le processus de configuration
du paysage dans l´art plastique mexicain,
nous prendrons comme point de départ
l´œuvre de José María Velasco
et ses études de la Vallée de Mexico.
Velasco est sans doute
le peintre paysagiste du XIXe siècle
le plus important
et son œuvre a très largement influencé
la peinture contemporaine.
Comment et pourquoi le regard de Velasco
a-t-il influencé la peinture contemporaine?
D´où peignait l´artiste
et que reste-t-il de ces lieux?
Comment voit-on la ville actuellement
depuis ces points de vue?
Ce sont ces questions-là qui nous ont menés
à faire un voyage dans le temps et dans l´espace
afin d´explorer les traces de José María Velasco
dans l´imaginaire et la peinture contemporaine.
Velasco a réalisé ses principales œuvres
dans le nord de la ville de Mexico,
depuis la Sierra de Guadalupe
et en particulier les monts Atzacoalco et Santa Isabel.
Aujourd´hui, ces montagnes s´élèvent
comme des îlots de mémoires
qui persistent au milieu des zones urbanisées,
traces du passé,
immobiles face au changement.
Cette montagne s´appelle Vincent Guerrero.
Le mont Sainte Isabelle c´est celui que l´on voit là-bas
En fait on l´appelle depuis toujours
le Mont Zacatenco,
on dit Sainte Isabelle
à cause du quartier où il se trouve.
C´est pour cela qu´on ne le trouve pas facilement.
Cet endroit, il me semble
que je le reconnais, on dirait que c´est ici,
où l on voit le mur.
Là, c´est aqueduc.
Oui, l´aqueduc passe au-dessous.
La découverte de ces lieux
perdus au milieu de la zone urbaine,
nous fait sentir l´existence d´un temps pur,
sans dates, absent de notre monde
de simulacres et restaurations,
Un temps perdu
que nous retrouvons dans l´art.
Face à une peinture de la Vallée de Mexico
de José María Velasco,
on peut avoir au moins deux impressions:
l´une,
c´est de se trouver face à un espace naturel
surprenant mais qui a déjà disparu,
l´autre,
c´est d´être en présence d´une œuvre d´art
monumentale et imposante.
Mais d´où viennent ces sensations?
Depuis toujours, le paysage naturel de la Vallée de Mexico
a attiré l´attention des étrangers.
Au XIXème siècle,
quand ils découvraient le panorama,
ils étaient surpris par la qualité de l´air,
une transparence particulière qui, comme une lentille,
modifiait la perception visuelle:
les objets éloignés paraissaient être plus proches
et les couleurs plus vives.
Velasco réussit à capturer dans ses toiles
ce phénomène :
l´air des hauteurs.
Il a également su représenter d´une manière très précise
les détails orographiques et botaniques,
ce qui donnait à son œuvre une impression de vérité.
Rappelons que José María Velasco a collaboré
avec la Société Mexicaine d´Histoire Naturelle
en tant que chercheur et illustrateur.
Il a réalisé des études de la faune et la flore,
en particulier le projet d´un Atlas
de la Flore de la Vallée de Mexico.
Où nous nous trouvons actuellement,
c´est cette montagne.
Non seulement il élargissait la perspective
afin de montrer une immensité
entourée de montagnes et de volcans,
et il représentait la nature
d´une manière presque scientifique,
mais il a aussi su récupérer l´image d´un bassin
et l´interpréter comme un creux géologique,
un sein maternel pour la ville,
concavité et matrice, “matrie”.
Ces efforts correspondaient à la recherche
d´une image identitaire pour le Mexique.
Le paysage, la transparence de l´air,
l´immensité de la Vallée et le bassin,
sont devenus les symboles
de l´identité nationale,
une vision utopique
de tranquillité et d´harmonie
qui effaçaient les conflits politiques et sociaux
et convenait parfaitement à la construction
de l´état porfiriste.
A la fin du XIXème siècle,
l´œuvre de Velasco a été largement
diffusée à l´étranger.
Ses œuvres ont été montrées
dans les expositions internationales
de New Orleans, Chicago et Paris.
Non seulement il séduisait le public
par l´originalité et l´aspect monumental de ses peintures,
mais celles-ci ont aussi servi le régime de Porfirio Diaz
qui voulait divulguer à l´extérieur l´image allégorique d´une nation
solide dans laquelle cohabitaient tradition et modernité.
Dans ce sens,
Velasco est devenu le peintre officiel du régime
et l´interprète des aspirations d´une élite
qui cherchait l´approbation du monde européen.
Après une période qui se caractérisait
par un état autoritaire et un peuple épuisé et soumis,
émergent les signes latents
du mécontentement social et politique
qui précéderont la Révolution Mexicaine.
Depuis la fin du régime de Porfirio Díaz
et pendant ces années agitées,
l´image idyllique du pays représentée
par l´œuvre du peintre devient obsolète.
Oublié du régime et éloigné de l´Académie,
José María Velasco meurt en 1912.
Parmi la peinture du XIXème siècle,
l´œuvre de Velasco fut la première
à être redécouverte et revalorisée.
En 1942, avec à sa tête le critique Luis Islas
et le peintre Diego Rivera,
l´opinion publique,
redevient favorable à Velasco.
On lui rendit hommage
en organisant une grande exposition
au Palais des Beaux-Arts de Mexico.
Carlos Pellicer en fut le responsable.
Cette redécouverte de l´œuvre de Velasco
s´explique par une volonté de renouer
avec la tradition et le passé glorieux
de la peinture mexicaine.
Ce changement peut aussi s´expliquer
par l´apparition du monde des collectionneurs
qui prétendent conserver
la valeur de leur patrimoine.
À la même époque, on redécouvre les œuvres
de José Guadalupe Posada, Juan Cordero et Agustín Arrieta.
Durant le XXème siècle,
plusieurs mouvements artistiques
furent influencés par Velasco.
On retrouve dans l´œuvre de certains peintres
le thème de la Vallée de Mexico.
Certains d´entre eux, les plus nostalgiques,
regrettent la beauté et la monumentalité de la Vallée;
d´autres, plus réalistes, critiquent les changements
dus à l´urbanisation et la modernité;
quant aux plus récents, ils s´approprient
l´œuvre de Velasco afin de réfléchir
sur la nature même de la peinture.
Les artistes du premier groupe,
comme Nishizawa et Luis Acosta
explorent le thème de la Vallée de Mexico avec nostalgie.
Faisant écho à l´œuvre de Velasco,
ils conservent une vision naturelle
et harmonieuse de la vallée,
avec son air limpide et son espace grandiose,
comme une forme de résistance
à l´expansion de la ville et à la modernité.
Dans les œuvres de ces artistes,
la ville est à peine évoquée,
comme pour résister à la contamination visuelle
qui commençait.
Le paysage naturel
reste un élément important
dans la recherche d´une singularité de l´espace.
On remarque une prédilection pour la périphérie
avec sa végétation et ses roches,
une nostalgie pour la paix et l´immensité
des paysages de Velasco,
pourtant la technique est différente
et il y a une recherche de nouvelles perspectives.
Un autre groupe d´artiste s´éloignent
de cette image romantique,
centrée sur la nature,
et adoptent une posture plus radicale
face aux changements urbains.
Pour certains, comme
Phil Kelly ou *** Rabel,
la ville devient un paysage:
en parcourant les rues et en créant
un nouvel espace saturé et agité,
La ville s´étend horizontalement.
Les références à la nature disparaissent,
le regard se désoriente.
Les éléments qui conformaient lasingularité de la Ville de Mexico
l´air, l´espace, la visibilité, avaient disparu.
Juan Villoro appelle cette sensation
« le vertige horizontal »,
une idée que l´on retrouve
dans plusieurs œuvres de cette période.
Le dernier groupe d´artistes, les plus récents
comme Daniel Lezama,
s´approprient les figures paradigmatiques de Velasco
afin de réfléchir
sur la nature de la peinture et de l´image en elle-même.
Ils opposent la vision idyllique de la Vallée de Mexico
à la violence de la réalité.
Ils interrogent la place qu´occupe aujourd´hui
l´œuvre de Velasco, dans le contexte du discours visuel
du nationalisme postrévolutionnaire.
Il ne s´agit pas vraiment d´une critique à l´œuvre du peintre
mais plutôt à l´usage idéologique de ses images.
Certains artistes décident de retourner
sur les lieux où peignait Velasco.
Ils s´approprient la perspective du peintre
afin de réinterpréter son œuvre.
Hugo Pérez et Carmen Parra Velasco
veulent récupérer l´identité perdue
afin de créer une nouvelle image.
Aujourd´hui, la Vallée de Mexico
ne ressemble plus au paysage monumental
et harmonieux que peignait Velasco.
Pourtant les trace du passé subsistent:
le paysage est une marque de l´homme sur le territoire
et en même temps le territoire
laisse son empreinte dans la mémoire.
Le paysage actuel est une accumulation
des différentes paysages antérieurs
et de son imaginaire social.
Les traces sont uniques, c´est par elles
que nous regardons et que nous nous regardons.
La peinture est une trace du lieu.
Elle est mémoire.