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LE SCÉNARIO DE CE FILM REPOSE SUR DES ÉTUDES HISTORIQUES ET ARCHÉOLOGIQUES.
Au troisième siècle avant Jésus-Christ,
Rome et Carthage se disputent la suprématie sur la Méditerranée occidentale.
Un conflit qui provoquera plus de cent ans d'affrontements belliqueux...
... au cours des fameuses "Guerres Puniques".
Après la défaite de Carthage à l'issue de la première de ces batailles, les navires romains dominent la mer,
et un fort contingent de troupes fait voile vers les côtes d'Hispanie.
FLOTTE CARTHAGINOISE. 228 AV. J.-C.
Les unes derrière les autres, les pentères et les tétrères arrivèrent dans la baie.
Leurs magnifiques coques peintes étaient hérissées d'innombrables rangées de rames puissantes.
De leurs entrailles surgirent des hommes, des bêtes et des armes :
Soixante mille fantassins, huit mille cavaliers, deux cents éléphants...
Une armée de Carthaginois aguerris sous le commandement d'Hasdrubal,
le gendre d'Hamilcar Barca, chef suprême de Carthage.
Ces milliers d'âmes n'avaient qu'une chose en tête :
créer un site stratégique où se fortifier et lancer de futures offensives contre leur ennemi le plus détesté :
Rome.
QART HADASHT. VILLE FORTIFIÉE FONDÉE PAR HASDRUBAL.
FUTURE CARTHAGO NOVA.
210 AV. J.-C.
"TOUT CE QUI EST SOUS TERRE, LE TEMPS LE PRODUIRA À LA LUMIÈRE ; ET IL ENGLOUTIRA AUSSI TOUT CE QUI BRILLE"
QUINTUS HORATIUS FLACUS (65-8 AV. J.-C.) ; POÈTE LATIN.
Ce jour-là, Poséidon somnolait. La mer brillait, tel un cristal incandescent, sur les nymphes et les néréides.
La volonté des dieux était calme, mais celle des hommes...
De puissants bras animaient la volonté des robustes bateaux qui assombrissaient l'horizon.
Ensuite, les larges voiles gonflées, par Neptune lui-même,
encouragèrent la prodigieuse flotte de ces rapides navires.
FLOTTE ROMAINE DE CAÏUS LAELIUS. 209 AV. J.-C.
Les légions assiègent Carthago Nova.
Vingt-cinq mille fantassins, deux mille cinq cents cavaliers.
Des échelles, des tours d'assaut, des formations d'attaque...
La puissante machine de guerre romaine sur le point d'entrer au combat.
LA BATAILLE. SCIPION DONNE L'ORDRE D'ATTAQUER.
LA REDDITION. MAGON DÉPOSE LES ARMES.
300 OTAGES. PLUS DE 2 000 MORTS. 10 000 PRISONNIERS DE GUERRE.
MAGON, LE FRÈRE D'HANNIBAL BARCA.
Scipion l'Africain se montra magnanime face à la reddition de son ennemi.
Fit cesser les massacres.
Le pillage pouvait commencer.
18 300 LIVRES D'ARGENT BRUT ET SOUS FORME DE MONNAIE SONT SAISIS.
Les bateaux furent remplis d'argent étincelant...
... et les rues s'emplirent de mort sombre...
300 ANS PLUS ***...
NÉCROPOLE DE CARTHAGO NOVA. 114 APR. J.-.C.
La cacophonie de la guerre. La musique de la victoire. Et le silence... Le silence en honneur à ceux qui sont tombés...
J'ai toujours aimé ces enceintes sacrées...
Me promener parmi ces vies qui ne sont plus...
Lire les inscriptions, imaginer quelle fut leur existence...
La tristesse réveille parfois les nostalgies les plus douces...
... La jeunesse d'un garçon dans la Carthago Nova impériale...
... L'enclave vertueuse. La cité magiquement bénie par Mercure...
... Carthago Nova, superbe et voluptueuse... Née des jours épiques de guerre et de paix.
... Des artisans et des commerçants...
... Des comédiens et des musiciens...
... Des dieux et des hommes...
... Des affranchis et des esclaves...
... tous interprétant à l'unisson le formidable spectacle de la vie...
MARCHÉ AUX ESCLAVES
CARTHAGO NOVA.64 APR. J.-C.
DOMUS DE LA FAMILLE ALBINUS.
Mes yeux virent le jour à l'époque paisible de l'empereur Claude.
Les dieux m'accordèrent la fortune de naître au sein d'une honorable famille romaine.
Ma mère s'appelait Octavia Lucana.
C'était une femme d'ascendance noble, cultivée et raffinée.
Moi, Titus Albinus, son unique fils.
Et mon père, Marcus Albinus, un marchand prospère et respecté.
Un homme pratique, aux goûts simples...
Dis-moi, Maetius... Sur qui parierais-tu lors des prochains jeux ?
Sur mon école, bien sûr !...
Titus, couvrez-vous en attaquant.
Les exercices de lutte. Un rendez-vous quotidien inéluctable.
Le laniste, Maetius "le Grec", régentait une célèbre école de gladiateurs.
Mon père souhaitait affermir ma virilité naissante...
... et m'éloigner de ce qu'il appelait la "dangereuse féminité des lettres"...
Mais mes dons pour les disciplines corporelles n'avaient guère reçu les faveurs de Mars.
Si vous ne vous couvrez pas en attaquant, vous servirez de pâture aux charognards.
Tu as bien combattu, mon garçon.
Merci, Père.
Es-tu sûr de n'avoir point besoin d'un jeune gladiateur pour ton école ?
Père, je fais du mieux que je peux. Ouf !
Il paraît que Ben Ali a préparé des gladiateurs invincibles...
Ce chien ne fait que dresser des fauves...
Mais on dit que le glaive de Dardanus, le Barbare, est redoutable...
Tu parles là d'un rat ! Cette vermine ne sait pas ce que c'est qu'un combat loyal.
Tiens ? Il y a donc entre les gladiateurs des combats honorables, mon brave Maetius ?
Marcus Albinus, il y a plus d'honneur dans l'arène de l'Amphithéâtre
que dans tout le Sénat de Rome.
Lorsque mon père et Maetius parlaient de paris et de gladiateurs,
mon pauvre corps meurtri était de trop.
TABLINUM
C'était l'heure de l'érudition.
"La lecture complète les hommes", citait souvent ma mère...
Les heures d'étude coïncidaient avec ses offrandes aux dieux.
Octavia était experte et chevronnée en matière de mélanges de vins pour les libations...
TRICLINIUM
Un délicat savoir-faire que mon père n'appréciait pas toujours à sa juste valeur...
Octavia, qu'est-ce que c'est que cette ambroisie ?
Du vin de dattes... N'est-il point à ton goût ?
Ma chère épouse et ses mélanges... Tu veux goûter, Titus ?
Aujourd'hui je préfère l'eau, Père.
Sage décision.
C'est une libation splendide pour Vesta..., très raffinée.
Je n'en doute pas..., mais j'ai des goûts plus simples.
Tu sais, Fils ? Je crois que tu devrais t'initer aux affaires dont tu hériteras un jour.
Et ça ?
Du vin de lotus et de dattes..., cela rappelle le vin au miel..., une libation spéciale pour Vulcain.
On ne peut donc plus boire de vin normal chez soi ?
Tu vois, Fils, ce qui est bon pour les dieux ne l'est pas pour ton père.
C'est que les dieux sont immortels, Octavia ! Pas moi !
Cher époux, je te respecte trop pour songer à te contrarier.
Et d'ailleurs, "Le trop parler n'est pas marque d'esprit", comme disait...
Thalès de Milet ?
Magnifique ! Tu te rends compte, Marcus ? Notre fils devient érudit.
Titus, je voudrais que tu m'accompagnes au forum.
On annoncera aujourd'hui qui se chargera du chantier des nouvelles conduites d'eau...
... et je veux que tu sois à mes côtés.
C'est toujours pour moi une fierté que d'être vu en compagnie de mon père.
Du vin de pétales de roses... C'est l'idéal pour Isis... Aromatique...
Très aromatique... Titus... Sur le forum, j'espère bénéficier de la faveur des dieux.
SILOS ET ENTREPÔTS DE LA FAMILLE ALBINUS
À l'époque, la prospérité de la famille Albinus resplendissait comme l'étoile la plus brillante.
Les récoltes étaient bénéfiques.
Ma mère aurait dit que, grâce à ses libations, Cérès s'était montrée magnanime.
Les meules pouvaient rassasier leur fringale de grain.
Les moulins regorgeaient de farine...
... et les fours, de pains croustillants.
RUE DES POTIERS
La famille Salvius nous fabriquait les amphores nécessaires au commerce du vin et de l'huile.
Ils faisaient aussi des pièces de vaisselle.
Des pièces délicates modelées par les mains de leur fille, la belle Lydia.
Mon caractère devenait méditatif et les mots me manquaient lorsque je me trouvais en sa présence.
Concentrée sur sa tâche de modelage de l'argile, Lydia me faisait de temps en temps cadeau d'un de ses merveilleux sourires.
N'eussent été les échos qui parvenaient du port tout proche, bouillonnant d'activité,
jamais je ne serais sorti de cette transe exquise.
C'était le bon temps.
Carthago Nova, l'enclave vertueuse, grandissait et prospérait.
Des hommes et des richesses y affluaient depuis les confins les plus reculés.
Une fortune qui semblait devoir durer toujours.
DES DIZAINES DE VAISSEAUX ONÉRAIRES ACCOSTAIENT CHAQUE JOUR AU PORT
Du blé, du vin, de l'huile, de l'alfa, du plomb, et... de l'argent. De l'argent aussi brillant que les astres.
De majestueux navires accouchaient de milliers d'amphores...5 000, parfois 10 000.
Et, de toutes parts, des gens affairés à discuter ou à marchander.
Des âmes qui s'embrassaient en se retrouvaillant.
Des cœurs se séparant lors des adieux.
De nouveau, devant moi, la symphonie de la vie dans toute sa splendeur,
et moi, insatiable, qui l'absorbais dans le bonheur le plus complet.
Heureux de faire partie des vivants. Heureux de savourer de cette voluptueuse et superbe Carthago Nova.
FORUM DE CARTHAGO NOVA. ENTRE LA COLLINE DU MOLINETE ET CELLE DE LA CONCEPCIÓN.
Ce jour-là, le Forum bouillait d'activité.
La foule, la monumentalité, les augustes statues... Tout faisait frémir mon esprit.
Ce jour-là, des rumeurs étranges circulaient de bouche à oreille.
Heureusement, ma chère Lydia était là pour nous encourager.
Voilà Lucius Andrus et ses sbires... Des serpents de la pire espèce.
Citoyens de Carthago Nova ! Oyez l'édit par lequel...
les honorables duumvirs proclament l'adjudication des nouveaux travaux d'adduction d'eau !
J'ai un mauvais pressentiment, Titus.
Les respectables citoyens se présentant à cet appel d'offres sont ...
... d'une part, Marcus Albinus, et de l'autre Lucius Andrus.
Par le présent édit,
il est décidé que, vu la similitude des offres proposées,
la concession est déclarée déserte.
Qui a-t-il bien pu acheter cette fois-ci... Un reptile, voilà ce que c'est !
Afin d'aboutir à un verdict définitif,
les magistrats de la Curie ont statué que les honorables Lucius Andrus et Marcus Albinus devaient entrer en concurrence.
Ils devront construire chacun une fontaine ici, sur la place de ce Forum.
L'adjudicataire final du projet sera celui qui terminera la sienne en premier.
L'eau des fontaines devra être saine et utile à l'usage public.
Personne ne s'attendait à une telle dispute,
mais le caractère incertain et inattendu du litige attisa les enjeux et ranima les esprits mélancoliques.
BÂTIMENT DES THERMES. VERSANT SUD-OUEST DE LA COLLINE DU MOLINETE
"Notre caractère est le résultat de notre conduite", disait Aristote.
En ce jour où les dieux avaient agité la mer des inquiétudes...
Tepidarium
... rien de tel, pour apaiser les esprits, que les splendides et confortables thermes de Carthago Nova.
Ses eaux, froides, tièdes et chaudes, calmaient les esprits les plus exaltés.Caldarium
C'était un lieu de rencontres et, à l'occasion, de discussions amicales.
Il est dit que la grandeur d'un homme se mesure à l'aune de ses adversaires, noble Marcus Albinus.
C'est le destin qui en a voulu ainsi aujourd'hui, cher Lucius Andrus.
Chers amis, comment faut-il considérer celui qui mord la main qui lui donne à manger ?
Ta personne outragée semble avoir oublié qui a lutté jusqu'à ce qu'il trouve le gisement.
Celui qui l'a tiré de l'indigence, et grâce à qui il est aujourd'hui propriétaire d'une mine d'argent.
Et la plus féconde de toutes celles exploitées à Carthago Nova !
Dont tu t'es enrichi en même temps que moi.
"La prudence manque souvent au moment où l'on en a le plus besoin"
Mais les yeux attentifs de mon vaillant père ne surent pas découvrir combien Publius Syrus avait raison.
C'est bien le moins que je sois ton associé : je ne t'ai imposé aucun taux d'intérêt.
La moitié du total n'a pas dû sembler une mauvaise récompense aux yeux de Lucius.
Quelle ingratitude, Ben Ali, et quelle insolence !
Les paroles offensives perdent leur vertu dans la bouche de Lucius Andrus.
Je vois que tu ne souhaite plus être mon associé.
Pas un jour de plus, si les dieux veulent bien m'accorder cette grâce.
Je prends à témoins toutes les personnes ici présentes de ma proposition :
Que le vainqueur de la dispute des fontaines gagnera la part de la mine du perdant...,
... comme cela, nous cesserons d'être associés pour redevenir... des amis.
Que Jupiter scelle tes paroles, et ainsi soit-il.
La dispute des fontaines fut à l'origine d'une myriade de prédictions et de paris.
Tant aux thermes qu'à la maison, la tranquillité était comme un locataire absent.
AQUEDUC DE CARTHAGO NOVA
L'Eau, sève vitale de Carthago Nova, était recueillie amoureusement par le svelte et robuste aqueduc.
Celui-ci la déversait doucement dans un répartiteur bien conçu, qui alimentait trois beaux bassins.
CASTELLUM AQUAE.PARTIE HAUTE DE LA COLLINE DU MOLINETE.
Un bassin desservait les Thermes.
Un autre, les fontaines et les bassins publics.
Et le dernier alimentait les demeures.
Grâce aux influences et à la corruption, la source la plus proche et la plus rentable échut à Lucius.
De plus, pour construire la conduite, celui-ci accapara toutes les amphores de Carthago Nova.
Et, au cas où les vents divins cesseraient de souffler en sa faveur...
CHANTIER DE LUCIUS ANDRUS
... le vieil usurier fit l'acquisition d'une véritable légion d'esclaves.
C'est à peine si mon père, victime de la froide stratégie de son opposant, trouva des bras à louer.
La crainte envers Lucius Andrus était plus forte que le besoin de sesterces.
Et, pour ce qui est des précieuses amphores,
c'est tout juste si nous pouvions compter sur celles que fabriquait la poterie de ce brave Salvius.
CHANTIER DE MARCUS ALBINUS
Pour comble de malchance, Pluton fit affleurer un terrain rocheux.
Fendre la terre devint un lent et dur labeur.
Ma mère aurait dit que les dieux nous tournaient le dos.
Et qu'il fallait réaliser des offrandes et des libations pour retrouver leur faveur.
En quelques jours, comme si Mercure, le dieu ailé, y avait mis du sien,
la conduite de Lucius Andrus gagna du terrain sur la nôtre.
"Toute adversité est un exercice aux yeux de l'homme de bien"
Mais, en de telles circonstance, la sagesse de Sénèque ne suffisait pas à rassurer la famille Albinus.
Et ce met délicat, Octavia ?
Un plat que j'ai inventé... des cailles farcies.
Bon, c'est bien des cailles...
Oui, et farcies d'olives amères... Comment les trouves-tu ?
Amères !
Je mangerai du raisin... c'est plus sûr.
Marcus, sais-tu ce qui m'inquiète d'avoir Lucius Andrus pour ennemi ?
Cet infâme...
Si j'étais à ta place, les dieux savent que j'abandonnerais le pari.
Ne t'inquiète pas, ce ne sera pas nécessaire. Il est déjà presque perdu.
Pas forcément, Père.
J'ai étudié notre source d'eau, et...
Elle est plus éloignée que la sienne. Ce rat s'est chargé de soudoyer qui il fallait.
Certes, mais elle a l'avantage d'être située plus haut, et la pente est plus douce.
Alors que la pente jusqu'à la source d'Andrus, en revanche, est très abrupte.
Seulement sur le premier tronçon.
Père, je suis sûr que la force de l'eau aura raison de la conduite.
Ça, ça les retarderait !
Mais pas assez...
D'autre part, nous pourrions utiliser du plomb au lieu des amphores.
Des conduites en plomb ?
Elles sont plus solides, et beaucoup plus fines.
Ce qui permet de creuser des tranchées plus petites, donc plus vite.
Avec l'aide des dieux, nous regagnerons le terrain perdu.
Telles les vies de deux amants qui rêvent de finir leurs jours ensemble,
les chantiers des conduites de Lucius Andrus et de mon père progressaient.
Les dieux ne se décidaient pas à qui accorder leur faveur.
Une gracieuse cigogne vint couronner les travaux de Marcus Albinus,
et un magnifique lion parapher agressivement ceux de Lucius Andrus.
"Dans la circonférence, commencement et fin coïncident"
Et, comme dans l'irréfutable définition d'Héraclite,
le début et la fin des deux chantiers rivaux coïncidèrent.
L'ombre noire de Lucius vint attiser la lutte.
Le plomb céda à l'adversité. Les dieux avaient-ils déjà décidé ?
Mais mes prédictions, comme dictées par un oracle infaillible, devinrent réalité.
Tel un fils du dieu Esculape,
Salvius déboucha l'artère qui portait la sève de notre victoire.
Pendant ce temps, pour les hommes de Lucius, la célérité était devenue une vertu.
D'innombrables regards scrutaient les deux fontaines.
De laquelle l'eau jaillirait-elle en premier ? De la cigogne ou du lion ?
Toutes les voix se turent dans l'attente de la décision incertaine du destin.
Et l'eau jaillit, fraîche et claire.
Et les vivats portèrent aux nues la famille Albinus
"Le lendemain s'instruit aux leçons de la veille", comme rappelait sagement Pindare.
Nous ne devions jamais oublier ce jour où la cigogne vainquit le lion, et l'ingéniosité l'emporta sur la force.
Nous nous souviendrions toujours de ce vertueux exploit, qui eut l'enclave vertueuse pour théâtre.
Carthago Nova, superbe et voluptueuse, née des jours épiques de guerre et de paix.
10 ANS PLUS ***...
"L'HOMME A MILLE PLANS POUR LUI-MÊME. LE HASARD N'EN A QU'UN POUR CHACUN."ARISTOTE (384-322 AV. J.-C.)
"Telle une fleur fanée : ainsi tombe toute chose feinte"
mais la justice du Temps ne met pas à l'abri d'évènements déshonorants.
Néron avait gouverné Rome.
Des vents de décadence balayaient l'Empire.
À Carthago Nova, les jours de prospérité étaient révolus.
Cérès, vexée de l'ingratitude humaine, infligea elle aussi son châtiment.
Cinq années de sécheresse vidèrent les greniers.
Et Pluton, las de nous voir fouiller les entrailles de son royaume, empêcha le pillage de ses richesses.
Les mines d'argent s'épuisèrent.
La famine et la misère noircissaient l'avenir.
La peur régna alors à Carthago Nova.
Les vols et les attaques pendant les nuits sombres.
Le peuple, fuyant ses soucis, redoublait d'assiduité aux spectacles et aux représentations.
Lorsqu'il s'agit de ranimer des esprits attristés, tout est bon.
La Curie organisa des Jeux du cirque.
Un fugace remède contre le mécontentement populaire.
Des vénations, des combats acharnés de bêtes contre des bêtes,
et de bêtes contre des hommes.
Et surtout les plus appréciés et attendus : les combats de gladiateurs.
Des hommes contre des hommes.Les combats à mort échauffaient les esprits.
La sauvagerie dans l'arène tempère la rage face à l'adversité.
Magnifique esquive, Titus.
Maetius, si vous ne vous couvrez pas en attaquant, vous servirez de pâture aux charognards.
Le Grec, en veux-tu maintenant pour ton école ?
Ce n'est pas avec ces stratagèmes à la Ben Ali qu'il pourra faire partie de mon équipe triée sur le volet.
Relève-toi, Maetius ! Tiens-toi à mon bras !
Un gladiateur se relève tout seul, ou il reste à jamais dans l'arène.
Bravo, mon garçon ! Tu t'es bien défendu.
Titus, ces ruses sont indignes d'un de mes disciples.
Moi, je dirais plutôt qu'elles sont marquées du feu de ton sceau !
Ce sont des ruses ignobles !
Tu ne reconnais plus les ébréchures de ton vieux glaive ?
Bah ! Un apprenti un peu doué de ce misérable Ben Ali,
voilà ce à quoi ressemble ton fils, Marcus Albinus.
Comme chaque fois qu'ils entamaient une de leurs "paisibles" discussions, je pris discrètement le large,
heureux d'avoir percé d'un rayon de lumière le brouillard de soucis qui enveloppait mon père.
Chez les Albinus, le temps de la prospérité avait passé.
De mauvaise récoltes. De mauvaises affaires.
... Et un funeste Destin, que les ferventes libations de ma mère Octavia n'avait pu dissuader.
À l'époque, j'étais plongé dans l'apprentissage des savantes disciplines de Vitruve.
D'après le grand maître, les constructions humaines devaient être attrayantes, pratiques et durables.
Pour comprendre comment appliquer ces concepts d'harmonie et d'équilibre,
Octavia me fit travailler, sans rémunération, auprès des trois architectes les plus renommés de Carthago Nova.
Gracchus Paetus était célèbre pour sa sagesse lorsqu'il s'agissait de chantiers fonctionnels et pratiques.
C'est à sa main que l'on devait la rénovation du bâtiment de la Curie.
BÂTIMENT DE LA CURIE
Les désordres que nous subissons sont injustifiables.
Alors que la Pax Romana règne sur tous les confins de l'Empire,
comment est-il possible qu'elle ait disparu de notre Carthago Nova bien-aimée ?
Nos rues doivent retrouver leur sécurité. C'est notre honneur de citoyens Romains qui nous l'exige.
THÉÂTRE. 5 000 MÈTRES CARRÉS DE BÂTI.
Le célèbre Tullius Baebius était un autre de mes maîtres.
Les créations artistiques de cet expert arboraient une grande prestance.
Les travaux d'entretien du gracieux et svelte théâtre portaient l'empreinte de sa main.
Il devait surélever l'avant-scène d'un proscenium déjà spectaculaire.
6 000 spectateurs admiraient le savoir-faire du génial Baebius.
AMPHITHÉÂTRE.CAPACITÉ D'ACCUEIL : 11 000 SPECTATEURS.
Et enfin le plus réputé des architectes de Carthago Nova, le grand Licinius Didius.
Ses connaissances exceptionnelles en matière de robustesse des matériaux lui avaient valu le titre d' "architecte de l'éternel".
Le grandiose Amphithéâtre était maintenant sous son équerre.
Il s'agissait de porter sa capacité d'accueil à 11 000 âmes.
À l'ombre du maître, mes connaissance progressaient de jour en jour.
Malheureusement, Jupiter ne fut pas aussi bienveillant envers le destin de ma famille.
Ce poisson n'est pas très frais.
En effet, ...Octavia.
Par les temps qui courent, il est difficile de trouver quoi que ce soit à un prix raisonnable.
Bon ! Rien de tel qu'un peu de garum pour arranger un plat.
Tu appelles ça "un peu", Père ?.
Titus, le voilà le véritable trésor de Carthago Nova. ... Mmm ! Délicieux !
Tu verras... Un jour, son commerce à grande échelle sera une très bonne affaire.
Marcus, tu sais qu'un jeune architecte a besoin d'un lieu d'étude plus spacieux ?
Mère, je t'ai déjà dit que ce n'était pas nécessaire.
Ah, le garum ! Plus précieux que l'argent lui-même.
Je crois qu'il y a une pièce qui pourrait te servir... Elle est vaste et lumineuse...
Et il ne s'épuisera jamais.
Que penses-tu de celle qui donne sur le jardin ?
Tant qu'il y aura du poisson !
Cela ferait une bibliothèque parfaite !
Cette sorte de dialogue de sourds était leur façon de feindre une normalité qui n'était plus.
Tu te souviens cette phrase, Titus ? "Si tu as une bibliothèque et un jardin..."
"Si tu as une bibliothèque et un jardin, tu ne manqueras de rien".
Voilà... Et c'est de... ?
Cicéron, chère Mère ?
Quelle mémoire !
Marcus, ne crois-tu pas que notre futur Vitruve mérite bien sa bibliothèque ?
Titus, souviens-toi de ce que te dit ton père :
Un jour, les navires embarqueront des milliers d'amphores de ce trésor.
Mais les vaisseaux de mon père ne devaient jamais parvenir à destination.
Neptune devait faire payer ses faveurs avec un acharnement implacable,
et les richesses de Marcus Albinus illumineraient les sombres profondeurs abyssales.
TAVERNE.
Mon père dut recourir au plus odieux des prêteurs sur gages de la cité : Lucius Andrus.
D'une manière ou d'une autre, je tiendrai parole.
Les temps sont durs, Marcus Albinus.
Sur mon honneur ! Je te rembourserai jusqu'au dernier sesterce !
Le vieil usurier lui imposa un taux d'usure draconien.
Il s'acharna sur le seul homme qui avait osé lui tenir tête.
N'aie crainte de verser, ô Femme !
Brute sauvage !
Et tendre avec ça !
Laissez-la tranquille !
Tu veux des caresses ?
Hors de ma vue, bâ*** !
Viens me chercher si tu es si courageux !
Allez ! Fais-moi sortir si tu peux !
Chien immonde !
Vas-y, Ben Ali ! Achève-le !
Donne-lui ce qu'il mérite !
Tu vas voir ce que tu vas voir...
Bravo ! Achève-le, ce rat !
(Rires)
Allez ! Sortez-moi cette racaille de là !
Et que je ne vous revoie plus !
J'ai toujours su que nous referions de bonnes affaires, toi et moi.
Merci.
Marcus Albinus, je recouvre toujours mes dettes.
Tout le monde sait que Lucius Andrus a toujours fait honneur à la réputation qu'il a si bien méritée.
Perclus de dettes, mon père dut affranchir son fidèle artisan.
Jamais plus les mains de Salvius ne modèleraient pour lui l'argile,
jamais plus le tendre regard de Lydia n'apaiserait le noble visage de mon père.
"Que la consolation est froide et insipide, lorsqu'elle n'est pas assortie d'un remède...", disait jadis Platon.
Un funeste destin guettait la maisonnée d'Albinus.
Père ! Il paraît que la tempête a jeté le navire contre l'île !
Marcus, tu ne devrais pas sortir ce soir avec un temps pareil.
Les naufragés disent qu'ils essayaient de rentrer à l'abri du port.
Si c'est vrai, c'est notre ruine, Octavia.
Mais les rues ne sont pas sûres.
Ne t'inquiète pas, Mère, je vais l'accompagner.
Titus, reste là.
Attend ! Laisse au moins ton fils appeler Maetius.
Prend soin de ta mère.
Nos regards échangèrent un terrible pressentiment.
"Telle une fleur fanée, ainsi tombe toute chose feinte", mais... et les braves gens, ô sage Cicéron ?
Pourquoi le noble, le bon Marcus Albinus ?
Le corps sans vie de mon père apparut au bout de trois jours.
Neptune fut compatissant : il le conduisit jusqu'à nous.
Certains disent que ce fut un coup de mer.
Mais d'autres réclamèrent justice.
Un faux naufrage, manigancé à la faveur de la nuit.
Seul. Sans défense. Assailli. Frappé. Jeté à la mer, comme s'il s'était agi d'un angoissant suicide.
Jamais on ne sut ce qui s'était passé...
... mais certains disaient que l'ombre de Lucius Andrus brouillait la vérité.
Le bûcher funéraire brûla dans les règles,
sans bois sculpté en l'honneur du défunt.
Les dernières braises furent éteintes avec du vin.
Il n'y eut ni pleureuses, ni banquets.
COLUMBARIUM
Les nobles cendres furent recueillies dans une belle urne, et conservée en un lieu discret.
TABLINUM
Lucius réclama sa dette, au mépris des jours sacrés du deuil.
Ma mère le calma avec quelques propriétés.
Mourir si jeune, c'est du gâchis... C'est un gaspillage des dieux.
Sais-tu, Octavia, que malgré nos différends j'ai toujours respecté ton époux ?
Même au plus fort de la concurrence, j'admirais sa vaillance.
Il fut le seul à avoir le courage de se mesurer à moi.
La grandeur d'un homme se mesure à l'aune de ses ennemis.
Tiens... La mine t'appartient.
Merci... Seul Jupiter sait combien j'ai attendu ce moment, ...
... depuis ce jour néfaste où feu ton époux gagna son pari contre moi.
Ce fut de bonne guerre.
Personne n'en doute... Mais la récupérer... après tant d'années...
Pardonne à mon vieux cœur de s'émouvoir.
C'est tout, Lucius ?
Pour l'instant, chère Octavia, pour l'instant.
Pratiquement privé de revenus, je me vis forcé à demander à mes maîtres de me rémunérer.
Seul Licinius Didius accepta.
Rome avait été la proie des flammes quelque temps auparavant.
Dans la nouvelle cité qui renaissait de ses cendres, "l'architecte de l'éternel" se devait de réaliser un projet impérial...
... et il me confia ses chantiers de Carthago Nova.
Des poulies et des plates-formes. Des pierres et des hommes.
Tout à mes occupations quotidiennes, c'est à peine si j'avais le temps de songer à ma Lydia bien-aimée.
Homoplaque, si vous oubliez votre défense, vous servirez de pâture aux charognards.
Dans l'arène, les gladiateurs du brave Maetius s'entraînaient déjà.
Les jeux fastueux, organisés pour l'inauguration du nouvel amphithéâtre, se rapprochaient.
Il y avait un rétiaire Nubien, dénommé Fabius.
Son agilité féline était prodigieuse.
Mais j'admirais surtout sa noblesse au combat.
Tu serviras de pâture aux vautours ! M'entends-tu, l'homoplaque ?
Noblesse n'est point pitié, Nubien. Il ne peut y en avoir.
Dans l'arène, la vie dépend de la victoire. Une hésitation, et c'est la mort.
Les exercices de lutte étaient durs, parfois même cruels.
Maetius possédait la gamme de gladiateurs la plus appréciée du public.
Vingt esclaves, dont chacun était passé maître dans un art de combat.
J'allais souvent aux carrières.
J'y choisissais les pierres à tailler, qui devaient provenir des veines les plus saines.
Au cours d'une de ces journées, les dieux éclairèrent ma destinée.
Je passai à côté d'une petite fabrique de garum à l'abandon.
En souvenir de mon père, j'entrepris de la visiter.
L'entrepôt, les dieux en soient loués, regorgeait de produit à vendre.
Notre famille avait depuis longtemps perdu sa puissance commerciale.
"Le lendemain s'instruit aux leçons de la veille...", mais le temps joue presque toujours contre les plus affligés.
Nous devons vendre, Titus.
Mère, mais c'est la maison de famille des Albinus !
Je ne peux plus payer Lucius.
Te souviens-tu de ce que mon père disait au sujet du garum ?
Le trésor de Carthago Nova...
Sais-tu qu'ils sont en train de reconstruire Rome ?
Oui. Il paraît même que le port d'Ostie a retrouvé son niveau de commerce d'autrefois.
Une cargaison de cela sur ses quais, et...
Crois-tu les dieux aient prévu de mettre fin à nos peines à travers des entrailles de poisson ?
Et pourquoi pas ? Les amphores de garum sont petites.
Et les sesterces pour affréter les navires, d'où sortiraient-ils ?
Mais un bateau peut en transporter des milliers. Je crois qu'en une seule traversée, nous pourrions...
Fils, "la consolation est froide et insipide, lorsqu'elle n'est pas assortie d'un remède."
Les paroles de Platon dans la bouche ma mère coupèrent court à l'initiative.
Le garum retomba dans l'oubli.
Mais la vie continuait, et mon maître était revenu.
Licinius Didius s'émerveilla de la bonne exécution du projet. Il m'offrit même de travailler à Rome.
D'après lui, j'étais mûr pour voler de mes propres ailes...
Si vous oubliez votre défense, vous servirez de pâture aux charognards.
Une hésitation, et c'est la mort... M'entends-tu, l'homoplaque ?
Tu serviras de pâture aux vautours... Dans l'arène, la victoire, c'est la vie.
Une hésitation, et c'est la mort.
Attention !
Ça va, Maetius ?
Un gladiateur se relève tout seul ou reste à jamais dans l'arène.
Mon garçon, je te dois la vie.
Ces pierres, c'est mon affaire... C'est à moi de te demander de m'excuser.
Choisis le gladiateur que tu préfères : il t'appartient...
Maetius, tu ne me dois rien.
Accepte-le !
Je te répète que tu ne me dois rien.
Me refuserais-tu l'honneur de montrer ma gratitude ?
Mais, Maetius, je n'y connais rien en gladiateurs !
Je poursuivrai son entraînement, mais lors des Jeux il combattra pour toi... Celui-ci te plait-il ?
Tu sais bien que je n'ai jamais parié sur les combats.
Avec l'aide de tes dieux et des miens, il peut te couvrir d'or.
Bon, tu as gagné... Je choisis celui-ci.
Fabius ? Il est bon, certes... Mais trop noble.
Regarde celui-là : il est fort, son cœur est impitoyable, il luttera pour toi jusqu'à la mort.
Si je dois en choisir un, je préfère celui-ci.
Têtu comme son père... Il ne se laissait jamais conseiller.
Je l'aurais couvert d'or s'il m'avait écouté.
Fabius, tu as un nouveau maître.
Ce n'était pas la raison qui manquait au vieux Maetius.
Si Fabius s'en sortait vainqueur, nous gagnerions assez pour affréter le garum...
... et sinon, quelle importance après tout ?
TEMPLE DE CARTHAGO NOVA
Invoquer un destin favorable n'a jamais été de trop, proclamait ma mère.
Minerve, fille de Jupiter, déesse de la guerre et de la paix, protectrice des arts et des sciences...
... fit l'objet de nos libations et de nos sacrifices.
"La prudence manque souvent au moment où l'on en a le plus besoin".
Si ma famille avait médité le sage avertissement de Publius Syrus,
jamais elle n'aurait misé ses maigres biens lors de ces Jeux absurdes.
Le sinistre Lucius était là,
tout prêt à grossir sa fortune tachée de sang.
Les glaives de son fidèle Ben Ali et ceux de notre brave Maetius devaient s'entrecroiser.
Lucius Andrus misa de fortes sommes sur le glaive de Dardanus, l'invincible mirmillon.
Tandis que tous nos espoirs reposaient sur le filet et le trident du noble Fabius.
"Toute l'eau des rivières ne suffirait pas à laver les mains ensanglantées d'un homicide"
Malheureusement, le noble Eschyle n'avait plus guère sa place dans cette Rome impitoyable faite d'arène, de souffrance et de mort.
Le féroce mirmillon de Ben Ali décimait les gladiateurs de Maetius.
Lucius s'enrichissait à chaque nouvelle mort.
Comment regarder dans les yeux celui dont on a la vie à sa merci ?
Quels mots adresser à celui appelé à combattre la Mort elle-même ?
Pour de tels hommes, il n'y a qu'une seule satisfaction possible : la liberté.
Ce fut le serment que j'adressais au digne et vaillant Fabius.
"Notre caractère est le résultat de notre conduite".
N'en déplaise à l'indiscutable Aristote, j'ajouterais : et notre mort n'est que conséquence de notre vie.
Fabius obtint sa liberté.
La garum fut livré à Rome.
Et la famille Albinus put enfin atteindre la dignité de la paix.
FORUM DE CARTHAGO NOVA.114 APR. J.-C.
De nombreux printemps ont passé.
Les paysages et les gens ont changé devant moi.
Mais encore aujourd'hui, les jours ensoleillés, je marche sur ce forum et j'évoque mes parents.
Maintenant que mes os fatigués sentent l'appel de la terre,
mon âme est soulagée de savoir qu'elle reposera éternellement à leurs côtés.
La tristesse réveille parfois les nostalgies les plus douces.
La jeunesse d'un garçon dans la Carthago Nova impériale.
Je revois Lydia, et c'est guidé par sa main que je retrouve le port magique qui me captiva étant enfant.
Une fois de plus, le plaisir d'admirer...
... des navires et des amphores... des âmes et des cœurs... des accolades et des adieux.
De nouveau, mes sens s'émeuvent devant cette symphonie vivante, vertigineuse et insatiable...
Cette voluptueuse et superbe Carthago Nova.
Cette vertueuse enclave des dieux.
Cette cité bien-aimée aux pierres éternelles.