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J'étais une plante, avec à des moments des sentiments violents qui lui poussent
Comme des fleurs ou des déclarations extravagantes, puis parmi la mousse
Que font en pourrissant les peuples dans les livres, j'avançais dans des romans
Infestés de catastrophes et d'explosions, sous les blasphèmes d'un sergent
À d'autres moments j'étais un oiseau volant très au-dessus des solitudes
Volant haut et ne voulant surtout rien savoir du monde ni de tous leurs jeux
Ou bien je traquais en Guinée un bandit pratiquant avec des façons rudes
La traite des fleurs bleues, celle des perles bleues et celle des négresses bleues
Toi, tu t'ennuyais en vacances dans une villa dix-neuf cent bien trop grande
Fille unique en jupe Vichy, une mère folle, un père dans le coton
L'après-midi, énervés par nos avenirs, nous allions nous baigner en bande
Avec tes cousins de Neuilly, dans l'eau glacée d'un gave, en sautant des pontons
Et nous lisions ! Et nous lisions ! Notre Sainte-Mecque était la bibliothèque
Où règnait, reine des Atlas, et belle, une vieille demoiselle en chignon
J'avais pendu mon forban, ta mère pleurait, nous découvrions les Toltèques
Les grands mots formidables comme "pariétale" ou "Henri III et ses mignons"
Les ministères tombés, les coups d'État ratés... nous lisions ! L'alcool, les meurtres...
Nous lisions ! Le Nil flattait les marbres blonds du gouverneur dans sa palmeraie
La mission Flatters avait été massacrée par des Touaregs prétendus neutres...
Puis ton départ pour Paris, le cri d'un oiseau solitaire dans l'oseraie
Ces livres lourds, ces livres bourrés d'épices, de fourrures, de soie, d'indienne
Ces livres filaient sous le fouet des averses, les alizés, l'amour, l'espoir
Te retrouverai-je jamais, jeune fille diaphane - et ce tome troisième -
Les chapitres sur les plages atlantiques dispersés au vent du ciel noir
Je me souviens du signal du guetteur accroupi en haut de la tour de l'aube
Apercevant venir parmi tout le savoir de nouveaux mots vers la clarté
Je me souviens du remugle des passions, et des grands nombres gagnant dans l'ombre
Les dentelles tombant du clocher sur les rayonnages, ton front, la beauté
J'avais à peine mes douze ans, voici les lueurs jaunes du soir et les bruits
Ceux qui durent longtemps dans l'âme et s'enfoncent, voici la douceur et l'ennui
Dans l'Aronde Plein-Ciel qui me ramène vers toi je me serais assoupi cent ans !
Comme l'éternellement bel enfant dont le livre enchante la nuit