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GUERRE ET PAIX
LA PAIX Première partie
OTRADNOIE, PROPRIÉTÉ DU COMTE ROSTOV Printemps 1809
Ce ciel clair et printanier...
N'est-ce point une illusion ?
Le soleil, le printemps et le bonheur, existent-ils seulement ?
Aujourd'hui, j'ai traversé la forêt.
Tout fleurissait et verdoyait.
Les bouleaux et les aulnes se paraient d'un nouveau feuillage.
Dans l'herbe verte,
les fleurs printanières jetaient de vives couleurs.
Et au bord du sentier forestier
se dressait un immense chêne,
tout couvert d'anciennes cicatrices,
ses bras et ses doigts tordus.
Il se tenait parmi les tendres bouleaux,
géant revêche et méprisant,
et semblait dire :
« Le printemps, l'amour et le bonheur,
tout cela n'est qu'illusion stupide et insensée.
Il n'y a ni printemps, ni soleil, ni bonheur. »
Je ne dormirai pas, je ne peux pas dormir !
Sonia ! Sonia ! Comment peut-on dormir ?
Jamais il n'y a eu une nuit pareille.
Tout est calme, tout s'est figé.
Sous les arbres noirs,
l'herbe fraîche et humide luit comme de l'argent.
Au-dessus,
elles ne semblent pas dormir non plus.
Natacha,
Il est déjà une heure passé !
J'aimerais m'accroupir, comme ceci,
et tenir mes genoux,
fort, le plus fort que je puis,
et m'envoler, comme ceci !
Elle, de nouveau !
On dirait qu'elle le fait exprès !
Sonia !
Cette jeune fille aux cheveux bruns,
et aux yeux noirs...
Ce n'est pas un jardin, mais un royaume enchanté !
Je crois qu'elle s'appelle Natacha.
Ruisseau qui coule en serpentant dans le sable clair,
comme j'aime ton doux chant harmonieux,
comme tu scintilles lorsque tu te jettes dans le fleuve !
Viens à moi, ô muse bienheureuse !
Couronnée de roses tendres,
un flûtiau d'or dans tes mains,
penche-toi, songeuse, au-dessus de l'onde écumante.
Donne vie aux sons
et chante le soir brumeux
au sein de la nature qui sommeille.
Le coucher du soleil derrière les collines est fascinant,
les champs se teintent d'ombre,
et les bosquets s'évanouissent au loin.
Des hauteurs dorées, les troupeaux descendent vers la rivière,
et le grondement de leurs clameurs retentit plus fort au-dessus des eaux.
Le pêcheur ramène ses filets
et dirige sa barque vers la rive où elle tangue
sous les rameaux des buissons.
Oh Dieu ! Mon Dieu !
Que m'est-il arrivé ?
Il faut enfin dormir !
Elle ignore mon existence.
Elle a quelque chose qui est hors du commun,
quelque chose de tout à fait particulier,
cette jeune fille
qui voulait s'envoler vers le ciel.
Il me semblait que ma vie était finie,
que j'en attendrais la fin sans faire de mal,
sans émois et sans désirs.
Quelle est la cause
de ce sentiment printanier de renouveau et d'allégresse ?
Non, la vie n'est pas terminée à 31 ans.
Elle ne s'écoulera pas inutilement.
Il faut croire de toute son âme
à la possibilité du bonheur.
Il faut croire au printemps et à la joie
pour trouver le bonheur.
SAINT-PÉTERSBOURG, BAL DU NOUVEL AN Six mois plus ***
Que le chœur commence !
Sur les paroles du jeune Batiouchkov.
Est-ce vous, mes amis, ici près de moi
sous les peupliers,
des coupes d'or à la main,
des mots d'amour et d'amitié sur les lèvres ?
Mes amis, la lune s'est déjà levée au-dessus du fleuve...
Le comte Ilia Andréiévitch Rostov !
... mais devons-nous chercher ici le silence...
Laquelle est votre fille ? - Celle de droite. - Oh, charmante!
... quand le jardin...
Ma chère filleule, tu as encore embelli ! Soniouchka, bonjour !
... et les ruisseaux cristallins tissent la fraîcheur de leur ombre ?
Il y en a qui sont aussi jolies que nous, et d'autres qui le sont moins.
Le comte et la comtesse Bézoukhov !
... Êtes-vous ici près de moi sous les peupliers...
Hélène, la tsarine de Pétersbourg !
Comme elle est belle !
Regardez comme jeunes et vieux la courtisent ! Quelles épaules !
Oui, c'est comme si les regards des hommes les avaient lustrées.
Je ne fréquente pas la Bézoukhov et je ne vous le conseille pas non plus.
Et le gros à lunettes, un franc-maçon notoire !
Il est trop drôle à voir à côté de sa femme !
Quel personnage ridicule !
Mais il est si aimable et si noble !
Il m'a promis de venir ici ce soir
pour me présenter des cavaliers.
Le prince Kouraguine, le lieutenant Dolokhov !
Kouraguine, le frère de la Bézoukhov. Quelle ressemblance, quelle beauté !
On ne parle plus que de Dolokhov.
On ne jure que par lui, on le présente fièrement à ses amis.
Lui et Kouraguine ont tourné la tête à toutes nos jeunes filles.
Mais eux préfèrent les tziganes.
Le tsar nous honore de sa présence !
Le tsar nous honore de sa présence !
Le chœur !
Chantons l'ode de Lomonossov !
Que les astres poursuivent régulièrement
les rondes qui leur sont dévolues,
que les fleuves coulent paisiblement
entre les berges qui te sont soumises.
Que la haine et la méchanceté
soient à jamais bannies des cœurs,
que le glaive et le feu épargnent ton royaume,
que toute nuisance disparaisse de ton pays.
Que le printemps s'épanouisse allègrement dans sa tendre verdure,
et que le laboureur
récolte dans la paix une moisson abondante.
Regardez, le colonel danse la mazurka,
léger comme une plume, il vole sur le parquet.
Regardez, le colonel danse la mazurka,
léger comme une plume, il vole sur le parquet.
Sonia, encore quelqu'un que nous connaissons : Bolkonski.
Tu te souviens, Sonia ? Il a passé une nuit chez nous à Otradnoié.
Il élabore toute sorte de projets avec les ministres,
et son orgueil n'a pas de limites.
Tout le portrait de son père.
Son père était un dignitaire à l'époque de Catherine la grande.
Un vieillard obstiné, mais un patriote.
Est-il possible que personne ne m'invite à danser?
Est-il possible que je ne danse pas parmi les premières?
Ils devraient savoir combien j'ai envie de danser,
et quel plaisir ils auraient à danser avec moi!
Une valse, une valse, mesdames !
Une valse, une valse, mesdames !
Vous qui dansez toujours, prince...
Il y a là ma protégée,
la jeune Rostova.
Invitez-la.
C'est une jeune fille exceptionnelle.
Où est-elle donc, cette protégée ?
Une valse, une valse, mesdames !
Permettez-moi de vous présenter ma fille.
J'ai le plaisir de la connaître déjà,
la comtesse se souvient peut-être de moi.
Vraiment charmante !
Je lui ferais volontiers un peu la cour.
Qu'en dis-tu Hélène ?
Si tu me le demandes gentiment...
... eh bien, je t'aiderai.
Hélène, vous êtes une sœur merveilleuse !
Une valse, une valse, mesdames !
Quand au printemps j'étais à Otradnoié,
je vous ai entendue rêver tout haut,
lors de cette nuit printanière illuminée par la lune.
Que ce bal est joyeux !
Comme tout est élégant,
comme tout scintille et resplendit !
Moi aussi, j'aimais tournoyer au rythme d'une valse.
Votre enthousiasme,
votre joie, je les comprends si bien.
Tu t'amuses bien, Natacha ?
Je ne me suis jamais autant amusée de ma vie !
Je serais très heureux de vous voir chez nous dimanche, prince.
Si elle s'approche d'abord de sa cousine,
et ensuite de l'autre dame,
elle deviendra ma femme !
Quelles sottises vous passent parfois par l'esprit !
Elle s'est approchée de sa cousine !
MOSCOU, CHEZ LE PRINCE BOLKONSKl 181 1
La fiancée du jeune prince !
La fiancée du jeune prince !
La fiancée du jeune prince ?
Que faire ?
Le vieux prince a donné ordre de ne pas la recevoir.
Ce matin, j'ai entendu le vieux prince crier :
« Que la princesse la reçoive, si ça lui chante ! »
Le prince Nicolas Andréiévitch et la princesse sont-ils chez eux ?
Annoncez le comte Rostov et sa fille.
Eh bien, que Dieu nous bénisse !
Ils ne peuvent pas ne pas m'aimer.
Je suis prête à faire tout ce qu'ils désirent.
Prête à aimer le vieux prince puisque c'est son père,
et la princesse, parce qu'elle est sa sœur.
Ils ne peuvent pas
ne pas m'aimer.
Le prince ne peut pas vous recevoir maintenant.
Je vais vous annoncer à la princesse.
Comment, il refuse de nous voir ?
Natacha, tu sais bien que le vieux prince ne souhaite pas
que son fils t'épouse.
Il considère cette alliance
comme peu flatteuse en ce qui concerne le rang, la fortune et la parentèle.
De quel droit ?
Le prince André choisira par lui-même,
mais nous ne devrions pas entrer dans sa famille contre sa volonté.
Tu es intelligente, tu sauras agir comme il faut.
Tout ira bien.
Ah, comte... Quel plaisir de vous voir... Comme je...
Voyez, ma chère princesse,
je vous ai amené mon petit oiseau chanteur.
J'ai beaucoup entendu parler de vous. Je suis très... très...
Je suis ravi que vous fassiez connaissance.
Si vous le permettez, je vous laisse Natacha pour un petit quart d'heure.
Le temps de rendre une petite visite à Madame Akhrossimova,
et je reviens tout de suite.
Il craint surtout de rencontrer le vieux prince.
Je suis enchantée.
Je vous prierais de ne pas trop vous presser.
Je vous en prie, prenons place.
Prenons donc place.
De quoi vais-je parler avec cette personne fardée et insouciante ?
Dites-moi,
aimez-vous Moscou? - Oui, beaucoup !
La vie bruyante me pèse.
C'est pour la santé de mon père que nous sommes ici.
Mais je crains que la polémique autour de Bonaparte n'aggrave son état.
Tout Moscou parle de Bonaparte.
Cela exaspère mon père de le voir traiter notre souverain,
petit-fils de Catherine la Grande, comme s'il était son égal.
Y aura-t-il à nouveau la guerre ?
Si nous avions un général comme Souvorov,
ce monstre corse n'oserait pas fouler le sol russe.
Regardez, voici un portrait miniature de mon père.
Elle parle de tout, sauf du prince André.
Mais je ne peux pas aborder le sujet la première.
C'est là mon père.
Ah, Mademoiselle...
comtesse...
comtesse Rostova, si je ne me trompe ?
Je vous prie de m'excuser,
j'ignorais, Mademoiselle, Dieu m'en est témoin,
j'ignorais que vous nous honoriez de votre visite.
C'est ma fille que je venais voir dans cette tenue.
Je vous prie de m'excuser, Mademoiselle la comtesse.
Une belle alliance, hein ?
Des gens intelligents ?
Riches ? Nobles ?
Qu'il se marie. Qu'il mène sa propre vie.
Toi aussi peut-être, Maria, tu iras mener la même vie qu'eux ?
Au diable, si Dieu veut, au diable !
Et moi, j'épouserai la petite Bourienne,
la gouvernante, mais si !
Oh, pourquoi est-il ainsi ?
Pourquoi compromet-il son âme,
son âme éternelle ?
C'est exprès qu'il a envoyé le prince André à l'étranger pour un an,
afin de repousser notre mariage d'un an.
Il espère que notre amour...
Seigneur, rendez-moi humble !
Me voici ! - Enfin !
Rentrons à la maison.
Tout de suite, Natacha. Laisse-moi bavarder un peu avec la princesse.
De quel droit
refusent-ils de m'accepter dans leur famille ?
Mon Dieu, si seulement il était ici !
Mais peut-être rentrera-t-il aujourd'hui ?
Peut-être est-il déjà rentré hier soir,
et je l'ai oublié.
Il est assis là-bas, au salon.
Je l'étreindrai sans aucune timidité,
pour l'obliger à me regarder dans les yeux,
de son regard étonné
et plein de curiosité.
Je rentrerai à la maison,
et soudain, je l'apercevrai.
Je verrai ses yeux,
son visage, son sourire.
Ah, pourquoi me sens-je aussi perdue !
J'ai besoin de lui, maintenant !
Tout de suite, sur-le-champ !
Donnez-le-moi vite, je ne peux pas attendre.
Je crains qu'il n'arrive un malheur.
Que peut-on faire pour qu'il revienne bientôt ?
J'ai peur pour lui, pour moi, pour tout.
Je ne sais pas pourquoi il m'est si difficile de parler de ce mariage.
Mais quels que soient mes sentiments,
je dois aimer celle que mon frère a choisie.
Je vous prie, écoutez-moi. Je dois...
Chère Natacha, sachez
que je suis heureuse que mon frère ait trouvé le bonheur...
Peut-être, princesse, n'est-ce pas le moment d'en parler.
MOSCOU; CHEZ PIERRE & HÉLÈNE BEZOUKHOV Le dimanche suivant
Ma charmante, ravissante Natacha !
Enfin je peux vous accueillir chez moi.
Comment peut-on vivre à Moscou sans aller nulle part ?
Une fiancée doit-elle donc vivre monacalement ?
Mon fiancé... Vous êtes au courant ?
Je sais que vous êtes la fiancée du plus intelligent, du plus cultivé
et du plus actif des jeunes hommes de notre société.
À propos...
Hier, mon frère était ici pour le dîner.
Nous n'avons pas arrêté de rire.
Le pauvre ne mange plus, tant il soupire après vous, ma belle.
Il vous aime à la folie.
Que dites-vous là ?
Comme elle rougit, la mignonne.
Il est temps de rentrer, Natacha. Où est Sonia ?
Mon cher comte, vous ne pouvez pas partir maintenant !
Votre fille est le joyau de ce bal.
Non, pour rien au monde je ne la laisserai partir.
Tenez, voilà qui vous intéressera.
Je vais vous présenter un abbé français très apprécié.
Il nous donnera toutes les nouvelles de Paris.
Ah, quelles nouvelles !
Les affaires avec les Français s'aggravent d'heure en heure.
Bonaparte se conduit en Europe comme un pirate sur un bateau conquis.
Comme elle est belle, une vraie beauté,
et on voit bien qu'elle m'aime de tout son cœur.
Elle sait que j'appartiens à un autre,
et pourtant, avec Pierre, son mari si bon et loyal,
elle a plaisanté et ri en parlant d'Anatole.
Cela signifie qu'il n'y a donc pas de mal.
Ce n'est donc rien de grave.
Depuis que je vous ai rencontrée, je pense à vous en tout instant.
Ne me dites pas de pareilles choses. Je suis fiancée, j'en aime un autre.
Que m'importe ?
Je vous aime, je vous aime à la folie.
Vous êtes ravissante. Est-ce donc ma faute ?
Pour des raisons secrètes, je ne puis aller vous voir.
Je vous expliquerai plus ***. - Je ne comprends pas.
Voici une lettre. Un seul mot suffira, et plus rien
entre nous ne s'opposera à notre bonheur.
Rien... je n'ai rien à vous dire.
Un mot, un seul,
pour l'amour de Dieu !
« Décidez de mon destin :
être aimé de vous, ou mourir. »
Décider ?
Tout ce qu'il voudra.
« Il vous suffit de dire oui, et je vous emmènerai
jusqu'au bout du monde. »
Mon Dieu, comment ai-je pu aller aussi loin ?
Pourrais-je vraiment
renoncer pour toujours
au pur bonheur
de l'amour du prince André ?
Ce bonheur m'a tant apporté pendant si longtemps.
Suis-je perdue pour lui ?
M'est-il arrivé quelque chose ?
Mais que m'est-il donc arrivé ?
Rien.
Il ne s'est rien passé.
Le prince André saura m'aimer telle que je suis.
Telle que je suis ?
Oh, mon Dieu !
Pourquoi n'est-il pas ici, avec moi ?
Pourquoi n'est-il pas ici, avec moi ?
Comme je me sens subitement si proche de cet homme ! C'est affreux !
Natacha !
Et le prince Bolkonski ? - Ah Sonia !
Tu ne peux pas comprendre !
Le prince André m'est très cher,
mais qu'y puis-je, si aujourd'hui
je suis si heureuse ?
Ne sois pas ridicule, tu n'as vu Kouraguine que trois fois.
Et s'il n'était pas homme d'honneur ?
Il est honnête et aimable... - C'est un menteur et un scélérat...
J'empêcherai ce malheur.
Je ne permettrai pas qu'il souille notre famille !
Partons, Natacha, partons.
Les dames et les messieurs dans cette maison
ne sont que trop connus pour leurs mœurs libertines.
Ce n'est pas un endroit pour ma Natacha.
CHEZ DOLOKHOV Le jeudi suivant
Ce soir à dix heures, elle m'attendra.
Nous prendrons une troïka qui nous conduira à Kamenka,
et cette nuit encore nous serons mariés.
Ensuite, nous prendrons la route pour Varsovie.
Je l'emmènerai à l'étranger par la diligence.
Elle est belle. Elle est tellement belle !
N'est-ce pas, Dolokhov ? N'est-ce pas une beauté ?
Oui, mais elle n'est pas pour nous.
Attends qu'elle soit mariée.
Imbécile ! Tu sais bien
que j'adore les filles jeunes.
Sérieusement, laisse tomber ! Tu as encore le temps.
Les filles vraiment bien jeunes ! - Je te parle franchement.
Tes intentions ne sont pas une plaisanterie.
Tu veux encore me provoquer ?
Va au diable !
Écoute, je te le dis pour la dernière fois. T'ai-je jamais contredit ?
Qui a tout combiné ? Qui a écrit la lettre d'amour ?
« Décidez de mon destin : être aimé de vous, ou mourir ! »
« Être aimé de vous,
ou mourir ! »
Eh bien, merci !
Crois-tu que je ne te sois pas reconnaissant ?
Qui t'a fourni le passeport ? - Merci !
Qui a trouvé un prêtre défroqué ? - Merci !
Qui a procuré l'argent ? Toujours moi.
Admettons que tu l'enlèves. Et son fiancé ?
Elle n'a qu'à rompre. - Et le gros Pierre ?
Je me suis déjà trouvé en face de son revolver.
Il est dans son domaine, occupé à libérer ses paysans
et à construire des hôpitaux. Il ne s'intéresse pas à nous.
Quand le pope t'aura uni à la Rostova,
tu seras coupable de pratiquer la bigamie,
et on te traînera devant les tribunaux.
Rien que des bêtises. Ça suffit, tais-toi !
Nous serons bientôt en guerre contre les Français.
Que feras-tu alors ?
Quoi alors ?
Alors ?
Eh bien...
Je n'en sais rien.
Il est temps.
Et qu'en est-il de mon cœur ?
Regarde comme il bat.
Oh, quel petit pied,
quel regard !
Une déesse !
Balaga !
Fiodor Ivanitch !
Votre Excellence !
Dis-moi, Balaga, tu m'aimes bien ?
Pour Votre Excellence j'ai fait à maintes fois des choses
pour lesquelles on aurait pu m'envoyer en Sibérie.
Balaga, rends-moi un service. Avec quels chevaux es-tu venu ?
Avec les vôtres, vos bêtes sauvages.
Écoute, Balaga ! Crève les chevaux, et fais-nous arriver en trois heures !
Si je les crève, comment arriverons-nous?
Cesse tes plaisanteries, sinon je te casse la figure !
Que ne ferais-je pas pour ces messieurs.
Alors, assieds-toi. - Assieds-toi ! - Je veux rester debout. - Assieds-toi
et bois !
Voilà cinq cents roubles. - Ah, que j'aime pousser les chevaux
et conduire ces messieurs à toute allure !
Je risque souvent ma peau. En avant !
Cinq cents plus cinq cents
plus cinq cents font 1 .500 !
J'ai éreinté plus d'un bon cheval,
ça n'a pas d'importance !
J'ai écrasé bien des badauds,
pousse-toi de là, idiot !
Trois mille, quatre...
... cinq !
Vite, les tziganes nous attendent.
Les petites tziganes nous attendent, les beuveries !
Bois, Balaga ! Casse les verres !
Ça, c'est la vie !
Dix mille. C'est tout.
Quand partons-nous,
Votre Excellence ?
Immédiatement.
Eh bien, Fédia, adieu, et merci pour tout.
Levez vos verres, toi aussi, Balaga.
On s'est bien amusé,
on a bien profité de la vie.
Mais quand nous reverrons-nous ?
Adieu, mes amis ! À votre santé ! Hourra !
A la tienne !
Maintenant, en route !
Où est Khvostikov ? - Dans le traîneau.
Qui est Khvostikov ? - Ton témoin.
Joseph ! Joseph !
Où est le manteau ? Joseph !
Va chez Matriona Matviévna
et demande le manteau de zibeline.
Joseph ! La zibeline !
Je sais comment c'est quand on enlève une femme.
Elle sortira précipitamment, à moitié morte, dans les habits
qu'elle portait chez elle. Si tu hésites un peu,
elle fond en larmes et appelle papa maman.
Elle aura froid, voudra retourner, rentrer chez elle.
Alors tu l'enveloppes tout de suite dans une fourrure
et la portes vite jusqu'au traîneau.
Pas celui-là !
Je t'avais dit la zibeline !
Eh, Matriochka, en zibeline !
Bon,
je veux bien le donner.
Je veux bien le donner, prends-le, prends-le.
Regarde, c'est comme ça qu'on fait...
puis comme ça...
et comme cela...
Tu vois ?
Eh bien adieu, Matriochka, ma belle.
Finis maintenant
les jours insouciants !
Souhaite-moi bonne chance.
Eh bien, que Dieu
vous donne beaucoup de bonheur, mon prince.
Prêts ?
En route ! - Hue, mes beaux !
CHEZ MADAME AKHROSSIMOVA Le même soir
Oh, Mademoiselle !
Tout semble perdu. À notre maîtresse Marie Dimitriévna,
la jeune fille a tout raconté !
Sonia ? - Oui, elle.
Non, Sonia n'aurait jamais fait cela.
Douniacha, l'as-tu entendu toi-même ?
Non, on me l'a raconté dans la chambre des bonnes.
On y dit beaucoup de choses.
Ils ne tarderont pas à venir me chercher.
Donne-moi mon châle.
Jamais
Sonia ne ferait une chose pareille.
Madame veut vous voir.
Qui donc ? Et qui êtes-vous ?
Venez,
j'ai ordre de vous y conduire. - Kouraguine !
Arrière, c'est un piège !
Arrière !
En voilà de belles histoires !
Tu donnes rendez-vous à tes amants dans ma maison !
Écoute-moi quand je te parle !
Ne joue pas les innocentes.
Tu t'es couverte de honte, comme la dernière des catins.
Qui as-tu fréquenté ? La Bézoukhov.
Qu'y as-tu trouvé ? Des sentiments à la française,
la mode à la française.
Les dames y sont à moitié nues,
comme sur ces enseignes des bains publics, Dieu me pardonne.
Elles tournent autour de Métivier, ce charlatan français.
Ils adorent les Français. Paris est pour eux la ville céleste !
Qu'as-tu à y faire ?
Laissez-moi !
Ah, quel malheur avec ces filles quand leur mère n'est pas là.
Que vais-je dire à la comtesse ?
Que vais-je dire à ta mère ?
Si seulement elle était là...
Elle comprendrait.
Ce filou a de la chance de m'avoir échappé.
Mais je le retrouverai.
Tu entends ce que je te dis ?
Laissez... moi !
Qu'est-ce que je...
Je vais mourir.
Natalia, je ne veux que ton bien.
Bon, reste comme tu es et écoute-moi.
Ton père l'apprendra,
ton frère, ton fiancé !
Je connais le prince André depuis son plus jeune âge,
et je l'aime comme une mère !
Il n'y a pas de fiancé. J'ai rompu.
Peu importe, ils l'apprendront. Et s'il y avait un duel ?
Laissez-moi! Pourquoi vous en êtes-vous mêlée ?
Mais qu'attendais-tu ?
Pourquoi ? Qui vous l'a demandé ? - Pourquoi voulait-il t'enlever ?
Parce que c'est un scélérat, un brigand !
Il vaut mieux que vous tous ! - Si je l'attrape, celui-là !
Si vous ne vous en étiez pas mêlée !
Oh mon Dieu, mon Dieu ! Mais qu'est-ce que c'est ?
Sonia, pourquoi ? Pourquoi me haïssez, me méprisez-vous tous ?
Laissez-moi !
J'annonce... - Je ne reçois personne.
... le comte Pierre Kirilovitch Bézoukhov.
Bézoukhov ?
Fais-le entrer.
C'est justement de lui que j'ai besoin.
C'est un homme très distrait
et on se moque souvent de lui,
mais c'est un cœur d'or.
Oh, mon ami, quelles histoires !
En cinquante-huit ans de ma vie
je n'ai jamais rien vu d'aussi honteux !
Que s'est-il passé ?
À l'insu de ses parents, Natalia a rompu avec son fiancé.
Kouraguine lui a tourné la tête.
C'est ta femme qui a tout manigancé.
En l'absence de son père, elle voulait s'enfuir et se marier secrètement.
Comment ça ? Il ne peut pas se marier.
Il est déjà marié ! - Vraiment charmant ! Quel scélérat !
Fais en sorte qu'il quitte Moscou,
sinon il y aura un scandale et un duel. - Il partira,
il partira demain ! - Dis à Natalia qu'il est marié.
Elle cessera au moins de l'attendre.
Et ne dis rien à son père.
Les affaires vont déjà mal pour lui. Sa propriété est mise aux enchères.
Reste pour le thé, si tu veux.
Je l'ai toujours évitée,
parce qu'il me semblait que mes sentiments pour elle
étaient plus forts qu'ils ne devaient.
Finalement je suis marié, et elle est la fiancée de mon ami.
La fiancée de mon ami...
La fiancée du prince André
qui l'aime tellement.
Natacha Rostova, autrefois si délicieuse,
a quitté André Bolkonski
pour cet imbécile d'Anatole,
et en est tellement éprise
qu'elle veut s'enfuir avec lui !
Et le prince André ?
Et la fierté des Bolkonski ?
Est-il possible que je ne sois pas le seul
à connaître le triste destin d'être lié à une femme
vile et superficielle ?
Natalia Ilinitchna...
Est-ce vrai qu'il est marié ?
Cela ne devrait pas avoir d'importance pour vous, car...
Ce n'est donc pas vrai qu'il est marié ?
Si, c'est vrai.
Pierre Kirilovitch,
je vous fais confiance en tout.
Vous êtes le meilleur,
le plus généreux des hommes que je connaisse.
Dites-moi, est-il marié ?
Depuis longtemps ?
Dites-le-moi sur l'honneur !
Sur l'honneur.
Je ne vous demande qu'une chose :
considérez-moi comme votre ami.
Si un jour vous avez besoin d'aide,
ou d'un conseil, ou si vous éprouvez le besoin
de vous confier à quelqu'un,
pas maintenant, mais quand ce nuage sur votre cœur se sera dissipé,
alors, souvenez-vous de moi.
Ne me parlez pas ainsi.
Croyez-moi, je ne mérite pas que vous me parliez ainsi.
Pierre Kirilovitch,
le prince Bolkonski a toujours été votre ami.
Il m'avait dit autrefois,
que s'il arrivait quelque chose, de m'adresser à vous.
Dites-lui...
... qu'il me par... par...
pardonne.
Oui, je le lui dirai.
Mais...
Oh non, je sais que tout est fini,
on ne peut plus revenir en arrière. Il ne peut plus rien y avoir entre nous.
Mais ce qui me tourmente, c'est le mal,
le tort que j'ai commis.
Dites-lui
que je lui demande de me pardonner.
De me pardonner, s'il peut...
... de tout me pardonner.
Je le lui dirai.
Je lui dirai tout.
Mais cessez de vous tourmenter.
Vous avez encore la vie entière devant vous.
Devant moi ? Non.
Pour moi, tout est fini.
Fini ?
Si j'étais l'homme le plus beau au monde,
si j'étais l'homme le plus intelligent au monde,
et si j'étais libre,
en cet instant même, je tomberai à genoux devant vous
et vous demanderais
... votre main...
... et... et...
... votre amour.
Vous avez encore la vie entière devant vous...
Il est marié...
... la vie entière devant vous...
Il est marié.
Parole d'honneur.
Je suis la plus misérable créature qui soit sur cette terre.
Elle a dit que j'étais son ennemie.
Elle m'évite.
Elle va se tuer.
Va la mettre au lit
et donne-lui à boire du tilleul.
Sonia !
Sauvez-moi !
Sonia !
J'ai pris du poison !
CHEZ PIERRE & HÉLÈNE BEZOUKHOV Le même soir
Imaginez, comtesse,
ce matin je vais à la maison
du vieux prince Bolkonski, à l'occasion de sa fête.
J'entre et veux le saluer
quand subitement, dans un accès de rage,
et tout tremblant de colère, il se jette sur moi :
« Espion français, esclave de Bonaparte,
hors de cette maison ! »
Mettre à la porte un médecin comme vous,
un magicien de la médecine !
C'est impardonnable.
Il a dû complètement perdre la raison !
Monsieur l'abbé, est-ce là un péché véniel ou mortel ?
Péché mortel ! - Un péché mortel.
Prends garde à toi, Anatole,
au cas où le jeune Bolkonski
serait atteint de la même démence que son père !
Ah, Pierre,
tu ne sais pas ce que notre Anatole...
Où que vous soyez, règnent la débauche et le mal.
Pas devant nos invités, s'il te plaît !
Mes amis, passons au salon.
Je dois vous parler.
Vous... aviez promis
à la comtesse Rostova
de l'épouser, et vous vouliez l'enlever ?
Mon cher,
je ne réponds pas à des questions qui me sont posées sur un ton pareil !
J'ai juste dit que j'avais à vous parler !
Eh bien,
c'est plutôt ridicule, non ?
Vous êtes un fripon et un scélérat,
et je ne sais pas ce qui me retient du plaisir
de vous fracasser le crâne !
Lui avez-vous promis de l'épouser ?
Je... je ne pensais pas...
En tout cas, je n'ai jamais rien promis,
parce que...
Avez-vous des lettres d'elle ?
N'ayez crainte, je ne ferai pas usage de la force.
Premièrement : les lettres.
Deuxièmement :
vous devez quitter Moscou demain.
Mais comment puis-je... - Troisièmement :
Jamais vous ne direz mot à qui que ce soit
de ce qui s'est passé entre la comtesse et vous.
Cela,
j'en ai bien conscience, je ne puis vous l'interdire.
Mais s'il vous reste une étincelle d'honnêteté,
vous comprendrez alors,
qu'en dehors de votre propre plaisir,
il y a aussi le bonheur des autres.
Comprenez que vous êtes en train
de détruire toute une vie,
pour l'unique raison
de vouloir vous divertir !
Amusez-vous donc avec des femmes comme mon épouse, votre sœur !
Mais promettre le mariage à une jeune fille,
la tromper, l'enlever...
Vous devriez comprendre que c'est aussi lâche
que de frapper un vieillard ou un enfant !
Ça, je n'en sais rien.
Je n'en sais rien et ne veux rien savoir.
Mais vous avez employé à mon égard des mots
tels que ’'lâche'’ parmi d'autres,
qu'en tant qu'homme d'honneur je ne tolère de la part de personne.
Est-ce satisfaction qu'il vous faut ?
Vous pourriez au moins retirer vos propos, n'est-ce pas ?
Si vous voulez que j'obéisse à vos désirs, n'est-ce pas ?
Oui, je les retire.
Et je vous prie de m'excuser.
Et si vous avez besoin d'argent
pour le voyage...
Quelle méprisable,
et vile racaille !
Je voudrais partir d'ici,
n'importe où, surtout ne pas rester dans cette maison,
mais abandonner cette vie de luxe inutile.
Que faire pour trouver la paix intérieure ?
Je l'ai cherchée en aidant les autres et en me souciant de leur bonheur,
je l'ai cherchée dans la fraternité avec les francs-maçons,
dans leur doctrine sur l'égalité et l'amour.
Je l'ai cherchée dans les distractions de la vie mondaine,
je l'ai cherchée dans l'amour romantique,
dans l'amour pour Natacha Rostova.
Natacha Rostova !
Comte Pierre Kirilovitch !
Un courrier de Vilna.
Napoléon a rassemblé ses troupes près de notre frontière.
La guerre ?
Oui, je crains qu'il y ait bientôt la guerre.
ÉPIGRAPHE
Les armées
de douze pays européens
ont envahi la Russie.
Les armées
de douze pays européens
ont envahi la Russie.
Le peuple russe,
fut embrasé par le sentiment
de vouloir venger cette honte,
embrasé par le feu
d'une sainte colère.
Le peuple russe se souleva
pour défendre sa terre.
Pareille à une massue, la guerre du peuple frappa,
de toute sa majestueuse
et terrible puissance.
Elle frappa inlassablement
et s'abattit sur l'ennemi jusqu'à son anéantissement,
jusqu'à ce que les envahisseurs soient tous décimés.
Grande est notre patrie.
Elle a d'innombrables
fils courageux.
Immenses sont les terres
de notre mère la Russie.
L'abondance de ses ressources lui assure la victoire
sur les armées ennemies
qui cherchent à l'anéantir.
Mais notre patrie
ne s'est pas encore entièrement
dressée de toute sa hauteur
géante et menaçante.
Le malheur s'abattra sur l'ennemi
à l'heure où elle se lèvera.
C'est une mort cruelle qui l'attendra.
Grande est notre Russie,
notre patrie bien-aimée !
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
LA GUERRE Deuxième partie
CHAMP DE BATAILLE DE BORODINO Nuit du 25 août 1812
En avant, les gars ! - Ouais !
Tous ensemble, d'un coup !
C'est parti !
Ensemble maintenant ! Tous ensemble, comme les haleurs !
L'ennemi est fort,
mais on se ruera sur lui, tout notre peuple !
On se ruera sur lui. - En un mot : Moscou!
Moscou ! Moscou !
Où puis-je trouver notre commandant ? - Je me rends chez lui. Bolkonski.
Camarades, tombons-lui dessus !
Allez, tous ensemble !
Le prince Bolkonski ? Enchanté.
Lieutenant-colonel Denissov, plus connu sous le nom de Vaska.
Vous venez lui parler d'affaires ? - D'une guerre des partisans.
Les lignes françaises sont trop étirées.
Donnez-moi 500 hommes, je prendrai des paysans avec eux,
et, parole de Vassili Denissov,
je réussirai à interrompre les lignes de communication de Napoléon !
Nous abattrons et détruirons tout,
tout volera en poussière et disparaîtra de la terre,
tout ce qui se trouvera sur notre passage
sera emporté par ce formidable ouragan qui se dirigera exactement
vers les lignes arrière de l'ennemi.
Donnez-moi 500 hommes,
500 hommes seulement.
500 ! Nous ne serons pas 500,
mais des milliers ! Des milliers !
Pas vrai, camarades ?
Des milliers...
Des milliers !
Notre Koutouzov est allé vers son peuple,
il a exhorté les hommes à vaincre les Français,
il nous a exhortés à vaincre les Français !
La Russie appelle ses fils au combat,
l'appel d'une mère est cher au cœur de ses fils.
Le peuple accourt par-delà les collines bleues,
il accourt du fond des forêts et des mers lointaines.
Nous voulons donner notre vie et écraserons les régiments de fer !
Partout les traces noires de l'ennemi, partout le malheur !
Sang et cendres jonchent son chemin.
Les épis froissés pleurent, ils pleurent dans les vastes champs.
Les bouleaux blessés pleurent. L'ennemi écrase notre terre adorée,
mais nul ne peut briser la force des héros russes.
Notre Koutouzov a exhorté son peuple à vaincre les Français.
D'innombrables fils courageux sont alors venus à lui.
Nous mourons pour notre droit et notre honneur, la sainte vengeance au cœur.
Le noir ennemi périra ! Seuls les loups et les corbeaux oseront l'approcher.
Ni la peau ni les os ne resteront de lui. Ses os s'entrechoqueront.
Nous l'écraserons comme une puce, le hacherons comme un oignon.
Il voulait éprouver la force des héros,
cette nuée de sauterelles étrangères.
Quand notre père Koutouzov est venu vers nous,
quand il a rassemblé le peuple pour vaincre les Français,
le peuple s'est levé avec une force formidable.
Celui qui est venu en Russie le glaive à la main,
ne s'en tirera pas vivant !
Denissov,
son premier fiancé.
C'est lui qui, sans trop savoir comment,
a demandé la main de Natacha Rostova quand elle avait quinze ans.
Et je l'aimais aussi.
Il me semblait
qu'elle était emplie d'une force mystérieuse.
Et c'est précisément cette force de son cœur
que je comprenais
et que j'aimais en elle.
Cette franchise,
cette sincérité
que j'aimais si fort avec tant de bonheur.
Kouraguine n'avait que faire de tout cela.
Il ne voyait en elle qu'une très jeune fille,
et ne voulait pas lier son sort au sien.
Et jusqu'à ce jour il est vivant et bien joyeux.
Et moi ? Je forgeais des projets romantiques.
Je croyais en un amour céleste et idéal,
en un amour qui me serait resté fidèle au-delà d'une année d'absence.
Oh, petit garçon naïf !
Je craignais qu'elle ne dépérisse
en se languissant de moi.
En réalité, tout est beaucoup plus simple.
Tout cela est affreusement simple
et répugnant.
Pierre Bézoukhov...
Pourvu qu'il ne me parle pas d'elle.
Prenez garde à votre chapeau, Monsieur !
Allez camarades, on leur fera la peau !
Vous ici ? Comment se fait-il ?
Je suis venu... vous savez... je voulais voir la bataille.
Oui, oui.
Et vos francs-maçons qui prêchent l'amour réciproque des hommes,
que disent-ils de la guerre ?
Comment l'empêcher ?
Il faut élargir le terrain, il faut étendre la guerre. - Oui.
Écoutez donc ces généraux allemands.
Notre unique objectif étant d'affaiblir l'ennemi,
les pertes en vies humaines n'ont aucune importance. - Oui.
Étendre la guerre !
L'étendre !
Mon père y est allé,
il en est mort de chagrin.
Les Français ont saccagé ma maison,
et ils saccageront Moscou.
Les Allemands ont livré toute l'Europe
à Bonaparte, et viennent maintenant nous donner des leçons de guerre.
De beaux maîtres !
Votre Excellence, le régiment est en place, derrière le tertre.
Mais je te dis,
quoi qu'il advienne, crois-moi,
nous gagnerons ce combat.
Demandez-lui,
il sait que nous gagnerons.
Ce que eux ne comprennent pas,
c'est que nous allons nous battre pour notre terre russe.
Voilà pourquoi nous vaincrons !
L'issue de la bataille
dépend du sentiment
que je porte en moi,
qu'il porte en lui, que chaque soldat porte en lui.
Plus nous mettrons de rage à combattre,
moins nous penserons à notre propre vie.
C'est ainsi que nous arracherons la victoire à l'ennemi.
Tout s'est arrangé au mieux, Excellence,
depuis que le commandant s'est joint à nous.
Tuer
et aller à la mort !
Quiconque est allé aussi loin
que moi,
et a traversé autant de souffrances...
Adieu ! Va !
Nous reverrons-nous ?
Et s'il me faut mourir...
Eh bien, s'il le faut...
je ne m'y prendrai pas plus mal qu'un autre.
Je le sais,
c'est notre dernière rencontre.
Hourra ! Hourra !
Comme autrefois, au temps de Souvorov, nous crions hourra
et marchons en avant ! A la baïonnette nous fendrons les forces ennemies,
nous les abattrons, les transpercerons !
Amis, nous ne les raterons pas,
allons-y de toutes nos forces, camarades !
Comme aux temps anciens de Souvorov,
nous crions hourra !
Nous crions hourra et avançons comme aux temps anciens de Souvorov,
pour que le malfaisant périsse par notre baïonnette, pour que son armée
meure sur le champ de bataille !
Hourra ! Hourra !
Hourra ! Hourra !
Peuple magnifique !
Peuple incomparable et merveilleux !
Le monstre sera blessé à mort
par la force russe unie.
Nous le chasserons de notre pays sacré.
Le régiment de grenadiers de Fanagariski !
Hourra !
Battre en retraite avec de pareils gaillards !
Le régiment de chasseurs de Bolkonski !
Hourra pour les glorieux chasseurs !
Faites venir le prince Bolkonski.
Le régiment de la garde impériale d'Izmailov.
A la glorieuse garde, hourra !
Ah prince, mon ami, te voilà.
Je t'ai fait appeler parce que...
Je t'ai fait appeler pour te demander de rester auprès de moi.
Je remercie
Votre Excellence,
mais je crains de ne plus vous être utile à l'état-major.
Je le regrette. J'aurais bien eu besoin de toi.
Mais surtout,
je me suis accoutumé à mon régiment.
J'ai appris à aimer mes hommes
et je crois qu'ils m'estiment.
Je le regrette, mais tu as raison.
Des conseillers, il y en a à profusion.
Ah, les conseillers, les conseillers !
Nos régiments auraient une autre allure
si tous les conseillers
servaient au cœur des régiments, comme tu le fais toi-même !
Va avec Dieu et va ton chemin.
Ton chemin
est le chemin de l'honneur.
Alors, adieu, mon ami.
La patience et le temps
sont mes deux chevaux de bataille dans cette guerre.
Quant aux Français,
crois-moi,
je les forcerai à manger la viande de leurs propres chevaux.
Le peuple tout entier s'est ébranlé.
Il marche vers un combat sanglant pour sauver notre pays.
Pour l'honneur de notre chère patrie,
nous combattrons jusqu'à la mort.
Le maréchal conduit notre armée.
Suivons-le, mes frères.
Défendons la sainte Russie !
Combattons, frères, jusqu'à la mort !
Koutouzov nous conduit, notre père nous conduit.
Au nom de la justice, il s'est placé à la tête du peuple russe.
Le maréchal conduit notre armée. Mes frères, suivons-le tous !
Combattons pour la sainte Russie !
QUARTIER GÉNÉRAL DE NAPOLÉON Aube du 26 août 1812
Le vin est tiré.
Il faut le boire.
Un seul mot de ma part,
un seul geste,
et c'en est fait de cette antique cité asiatique,
la sainte Moscou.
Mais ma miséricorde est grande
et je suis clément envers les vaincus.
Du haut du Kremlin, j'édicterai des lois
qui sont justes.
Je leur montrerai
ce qu'est la vraie civilisation.
Moscou...
Sans aucun doute, la députation avec les clefs de la ville.
Sire, la deuxième attaque a été repoussée par les Russes.
Le maréchal Davout est mort,
le valeureux général Compans aussi.
Davout... Compans... - Les hommes sont fiers
de combattre et de mourir sous les yeux de l'Empereur.
La présence de votre majesté les pousse à se sacrifier corps et âme.
Il faut qu'on prenne les positions des archers !
Notre attaque doit continuer !
Qu'on envoie en renfort les troupes du maréchal Ney !
Nous prendrons leurs positions
si vous nous accordez encore une division de réserve.
Ces Russes tirent comme des diables.
Le maréchal Davout est blessé. - Blessé ou mort?
Non, blessé uniquement.
La réserve ?
Dites au roi de Naples
que le soleil n'a pas encore atteint le zénith
et que je ne vois pas encore très clair
sur mon échiquier.
Retirez-vous !
Retourner sous ce feu d'enfer !
Courage, petit. C'est le sort du soldat.
Caulaincourt ! Berthier !
Sur mon honneur, les Russes sont perdus
si votre majesté nous accorde encore une division.
Vous êtes surexcité, Belliard.
Dans le feu de l'action, le guerrier peut aisément se tromper.
Allez observer la situation et revenez me voir ensuite.
Et vous, que voulez-vous ?
Sire, le prince Eugène...
... demande des renforts !
Notre artillerie
les abat rang par rang.
Rang par rang !
Mais ils résistent toujours.
Il faut envoyer la réserve.
Qui envoyer ?
La division de Claparède !
La division de Claparède !
Non, je ne peux pas envoyer Claparède.
Envoyez la division de Friant.
En arrière, la division Claparède !
Ordre au général Friant.
Oserai-je...
Oserai-je proposer à votre majesté de déjeuner ?
J'espère pouvoir déjà féliciter votre majesté d'une nouvelle victoire.
Rien au monde
ne devrait empêcher votre majesté de déjeuner.
Allez vous faire...
Pourquoi notre empereur est-il d'aussi sombre humeur aujourd'hui ?
N'avons-nous pas gagné la bataille ?
Gagné ?
Nous l'avons presque perdue.
Si la chance nous quitte ne serait-ce qu'un instant, tout est perdu !
La situation n'est vraiment pas, mais pas du tout,
la situation n'est vraiment pas, mais pas du tout,
ce qu'elle était dans les batailles précédentes.
Autrefois, il suffisait que je donne deux ou trois ordres,
les maréchaux accouraient au galop, la mine joyeuse,
m'annoncer leurs prises :
corps d'armée faits prisonniers,
canons, étendards...
Maintenant, il se passe des choses étranges
sur le champ de bataille.
Les troupes sont les mêmes,
les généraux aussi.
Moi-même, je n'ai pas changé,
entre-temps, j'ai même beaucoup plus d'expérience.
Pourquoi alors
ne suffit-il plus que j'agite
ce bras terrifiant pour m'assurer la victoire ?
CONSEIL DE GUERRE CHEZ KOUTOUZOV Nuit du 1er septembre 1812
Messieurs, la question est de savoir
s'il est plus avantageux pour nous
de nous battre pour Moscou...
... ou ferions-nous mieux
d'abandonner notre antique et sainte capitale à l'ennemi ?
« Notre antique et sainte capitale ! »
C'est une question que nous ne devons même pas nous poser.
Tant qu'il y aura notre armée,
nous garderons l'espoir
de remporter la victoire dans cette guerre.
Mais si l'armée est anéantie,
ce sera la fin, non seulement pour Moscou, mais pour toute la Russie.
Devons-nous risquer
de perdre et notre armée et Moscou...
... en livrant bataille, malgré une position désavantageuse,
ou devons-nous nous retirer derrière Moscou ?
Voilà la question, et je voudrais connaître votre avis à ce sujet.
Si nous nous battons
devant Moscou, il nous sera impossible d'éviter une défaite.
L'idée d'abandonner la capitale est douloureuse,
mais je crois que nous devons nous retirer.
Notre position sur les Monts Vorobyovy est défavorable,
mais comme nous savons ce que Moscou représente pour le peuple russe,
je propose de livrer bataille et de défendre Moscou.
On imagine aisément l'effet
qu'aurait sur les cours étrangères l'occupation de Moscou.
Je propose de réunir de nuit
toutes nos forces sur le flanc gauche,
et d'attaquer Napoléon dans le centre de ses positions
qui seront affaiblies par les troupes qui doivent attaquer par l'arrière.
Il est dangereux de manœuvrer sous les yeux de l'ennemi.
Nous devons aussi tenir compte de nos pertes.
Les pertes de l'ennemi
ne seront pas moindres.
Si nous décidons de livrer bataille,
il vaut mieux prendre l'ennemi de front.
Mais la Russie n'est pas seulement Moscou,
c'est aussi les fils de tout le territoire.
C'est pourquoi il faut avant tout sauvegarder les soldats.
À mon avis,
nous devrions quitter Moscou sans combattre.
Mais je parle en tant que soldat.
Seul le prince Mikhail
en décidera.
Alors, messieurs,
à moi de payer les pots cassés.
Messieurs, j'ai entendu vos avis.
En nous retirant de Moscou,
nous tendons un piège mortel à l'ennemi.
Par les pouvoirs qui m'ont été conférés par notre souverain,
j'ordonne, pour le bien de la patrie,
la retraite !
De Moscou nous irons vers Riazan.
Messieurs, vous pouvez disposer.
L'ennemi nous apporte le glaive et le feu,
le désir brûlant des combats se répand dans nos veines.
Avec notre Koutouzov, avec notre maréchal,
allons nous battre pour la patrie, sans crainte de la mort.
Terre natale, terre puissante,
terre de nos pères, nous te défendrons avec notre sang.
A la mère patrie, au prince Koutouzov,
les guerriers russes sont fidèles.
Quand donc...
Quand donc ce terrible destin a-t-il été scellé ?
Majestueuse, illuminée par le soleil,
mère de toutes les villes
te voici étendue devant nous, Moscou.
Est-elle vraiment proche,
l'heure dangereuse et douloureuse,
où nos troupes russes, sans avoir combattu,
devront abandonner tes murs sacrés ?
L'ennemi perfide a osé fouler notre sol,
mais il commencera bientôt à se lamenter.
L'amour pour notre patrie, le courage de nos soldats,
et nos prières nous donneront la victoire.
La Russie n'est pas pays à se soumettre,
son peuple défendra sa liberté.
Nous rendrons la paix au pays de nos pères
et aux autres peuples.
Dans les murs blancs de Moscou
l'ennemi ne réussira jamais
à assujettir les cœurs des hommes intrépides et libres.
La terre russe entière
sera parsemée des ossements de nos ennemis.
Notre noble peuple vaincra l'ennemi !
L'ennemi nous apporte le glaive et le feu,
le désir brûlant des combats se répand dans nos veines.
Avec notre Koutouzov, avec notre maréchal,
allons combattre pour la patrie, sans crainte de la mort.
Terre natale, terre puissante,
terre de nos pères, nous te défendrons avec notre sang.
A la mère patrie, au prince Koutouzov, les guerriers russes sont fidèles.
UNE RUE DE MOSCOU Le lendemain, 2 septembre 1812
Moscou est déserte.
L'empereur est d'humeur sombre.
La députation avec les clefs de la ville n'est pas venue.
Un officier trop zélé
a ramassé dans la ville une demi-douzaine de vagabonds.
Il les a poussés devant son cheval et les a conduits devant l'empereur,
parce qu'il croyait que c'était la députation.
Je suis sûr que cette scène ridicule a irrité
et offensé l'empereur.
On dit que les femmes russes sont très belles.
Mais quelle idée
de se terrer dans les steppes, quand l'armée française est à Moscou !
Elles ont raté une belle occasion.
Ma belle a dit... - Toc, toc, toc, c'est mon cœur qui bat.
Ma belle a dit : mon ami est parti au combat.
Toc, toc, c'est mon cœur qui bat. Mon ami est parti au combat.
Il frappe l'ennemi et sonne le clairon.
Toc, toc, c'est mon cœur qui bat. Mon ami est parti au combat.
Quand il reviendra victorieux...
Toc, toc, c'est mon cœur qui bat. - Quand il reviendra victorieux,
je l'accueillerai tendrement.
Toc, toc, c'est mon cœur qui bat. Je l'accueillerai tendrement.
Quand il rentrera, l'amour il trouvera.
Toc, toc, c'est mon cœur qui bat.
Je l'accueillerai tendrement.
Viens ma belle, dans le jardin verdoyant.
Les cerises sont mûres, allons les cueillir.
Viens ma belle, allons travailler au jardin.
Je ne puis, j'ai trébuché.
Je ne trouve pas mon tablier. Où mettrons-nous les cerises ?
Gérard ! - Jacqueau !
Es-tu bien logé ? - Pas vraiment.
Attends, je vais t'installer dans le plus beau palais de Moscou.
Quand je gouvernerai les Indes, je te ferai ministre du Cachemire.
Viens ma belle, dans le jardin verdoyant.
Je ne puis, j'ai trébuché, mon cœur.
Je ne trouve pas mon tablier. Où mettrons-nous les cerises ?
Nos biens...
... protéger.
C'est tous nos biens qu'il emportent !
Ils emportent tous nos biens !
Voyez-moi ça, ce ne sont que de misérables pilleurs !
Mes amis, qu'est-ce que c'est ?
Ils embrochent des choses sur leurs baïonnettes !
Des allemands !
Quand une armée commence à piller...
... ce n'est plus une armée.
Quel spectacle ignoble ! Regardez plutôt ceci.
Où avez-vous trouvé cela ?
C'était accroché au-dessus du lit dans la maison où j'habite.
Le propriétaire s'y connaissait probablement. C'est un vrai Watteau.
Il ne vous appartient donc pas !
Quand on a franchi une telle distance,
on peut bien rapporter un souvenir à sa bien-aimée.
Il est temps de ramener en France ce maître français.
Bonne chance, je suis pressé.
L'empereur a ordonné de faire revenir les popes
et de faire dire à nouveau la messe dans les églises.
Moscou ne s'inclinera pas devant l'ennemi.
Nous ne le tolérerons pas dans notre Moscou.
Pour cette ville, le peuple marche au combat mortel.
En avant, fils de Moscou, marchons au combat mortel !
Moscou ne s'inclinera pas devant l'ennemi.
L'ennemi ne brisera pas notre puissance, notre force russe.
La colère sacrée du peuple le vaincra.
Il saura combien Moscou est chère à ses fils.
Au sein de ses murs blancs la colère sacrée du peuple l'attend.
Moscou ne s'inclinera pas devant l'ennemi.
Nous ne le tolèrerons pas dans notre Moscou.
Pour cette ville, le peuple marche au combat mortel.
En avant, fils de Moscou...
À Moscou, l'ennemi court à sa perte. Brû*** tout !
Russes, hommes libres,
brû*** tout ! À Moscou, l'ennemi court à sa perte. Brû*** tout !
Nous ne nous rendrons pas ! Brû*** tout !
Moscou ne s'inclinera pas devant l'ennemi.
Nous ne le tolérerons pas dans notre Moscou.
Pour cette ville, le peuple marche au combat mortel.
En avant, fils de Moscou, marchons au combat mortel !
L'ennemi n'y trouvera pas l'hospitalité,
seule la mort, la mort par le feu. La mort l'attend à Moscou !
Il me faut réussir
ou mourir.
Pierre Kirilovitch, petit père,
un petit instant.
Quoi ? Qui ?
Mavra Kouzminitcha, vous ici ?
Où est le comte Rostov Ilia Andréiévitch ? À Moscou ?
Ils sont partis, petit père.
Ils ont abandonné toutes leurs affaires.
Abandonné ?
Oui, dans notre maison il y avait des blessés,
et quand la famille a voulu partir,
notre chère demoiselle Natalia a décidé
d'emmener tous les blessés.
Elle donna l'ordre de redescendre les malles de la voiture.
Notre chère comtesse était tout en pleurs.
Et la demoiselle de crier : « Maman, c'est mal, c'est affreux ! »
Elle cria et pleura mais elle tint bon.
Elle est comme ça, notre demoiselle.
Ils laissèrent les tapis persans,
ils laissèrent la porcelaine de Saxe,
les faïences, les miroirs, les tableaux
et les bronzes... - Ils ont emmené les blessés,
et parmi eux, le prince blessé.
Le prince ? Quel prince ?
L'ancien fiancé de Mademoiselle.
On a tout caché à la pauvrette.
Par le seigneur Jésus !
Le prince André.
Et vous, petit père, qu'allez-vous faire ? Resterez-vous à Moscou ?
À Moscou ?
Oui, à Moscou.
Adieu.
Il est blessé et se trouve chez les Rostov !
Quelle étrange destinée !
Il faut que je le fasse.
Il faut que je tue Napoléon.
Soit je périrai,
soit j'arrêterai le malheur de toute l'Europe.
Ce n'est pas moi, mais le bras de la providence
qui te punit, lui dirai-je.
Qui vous a mis dans cet état, les gars ?
On est allé chercher des provisions près de Moscou.
On l'a échappé belle ! - Des femmes avec des fourches nous ont attaqués.
Des femmes ? Curieux. - Les paysans brûlent leurs maisons...
Les paysans brûlent leurs céréales... - ... et s'en vont dans la forêt.
Ils chassent le bétail.
Ils nous attaquent avec des fourches.
Que diable ! On va leur donner une leçon ! Formez les rangs, marche !
Brû*** toutes vos provisions !
Brû***-les !
Ne laissons rien
tomber aux mains de ces diables !
Mieux vaut qu'elles soient perdues !
Vous aussi, incendiez vos provisions !
Brû*** vos provisions !
Brû***-les pour qu'elles ne tombent pas aux mains de ces diables !
Moscou ne s'incline pas devant l'ennemi.
Nous ne le tolérerons pas dans notre Moscou.
Pour cette ville, le peuple marche au combat mortel.
En avant, fils de Moscou, marchons au combat mortel !
Peuple, lève-toi, défend l'honneur de Moscou, capitale aux murs blancs !
Pour l'honneur de Moscou, lève-toi, pour l'honneur de la grande Moscou !
Brû*** tout ! Brû*** tout !
Que rien ne tombe aux mains de ces diables !
Brû*** tout !
Apportez les mèches !
Brû*** tout !
Qu'à Moscou ils ne trouvent que la mort ! - Brû*** tout !
Brû*** tout! - Ils attendent un accueil cordial !
Au lieu de cela, nous les accueillons par le feu !
Davout, le cruel Davout,
le tortionnaire de Napoléon !
Qui sont ces hommes ?
Des incendiaires, mon général.
Vous connaissez les ordres de l'empereur :
les coupables d'incendies criminels sont à exécuter sur-le-champ.
Celui-là aussi est un incendiaire ?
Vous en êtes un ?
Non, j'ai frappé un soldat français
qui voulait offenser une femme.
Chaque homme a le devoir de défendre une femme qui est offensée, et...
Venez-en au fait.
Êtes-vous un incendiaire ?
Je connais cet homme.
Excellence, vous ne pouvez pas me connaître.
C'est un espion russe.
Oh non, je suis officier des milices.
Votre nom ?
Comte Bézoukhov.
Qui me prouve que vous ne mentez pas ?
Excellence !
Agissez conformément à cet ordre !
Gauche ! Marche !
Par deux !
Je ne suis qu'une minuscule brindille
tombée dans les rouages d'une machine que je ne connais pas.
Ainsi vous allez m'exécuter, m'ôter la vie, me tuer,
moi, Pierre Bézoukhov,
avec toutes mes pensées,
mes désirs, mes espoirs et mes souvenirs !
Au suivant !
Non, non, non !
On ne tue pas des hommes !
Non, non, vous ne pouvez pas tuer comme ça !
Vous ne pouvez pas !
Pourquoi ne crie-t-il pas ?
Pourquoi ne crie-t-il plus ?
Quel crime effroyable !
J'ai subitement le sentiment
qu'on a extirpé de mon âme la force
qui veillait à mon équilibre,
le moteur de ma vie.
Et tout s'est effondré
en un amas de poussière dénué de sens.
Ah, que la chose terrible
qui doit m'arriver
s'accomplisse le plus vite possible !
Ne voit-il donc pas qu'il est sauvé ?
Ça leur apprendra à mettre le feu !
Vous êtes gracié. Vous passez dans les baraques des prisonniers de guerre.
Tout cela n'est rien,
tout cela n'est rien.
Hourra !