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LA VÉRITÉ SUR EMANUEL
Je m'appelle Emanuel.
J'ai 17 ans et j'ai tué ma mère.
On lui a ouvert le ventre,
comme une chèvre à l'abattoir,
pour pouvoir m'extirper.
Tandis qu'elle saignait,
le médecin m'insufflait de l'air
et pressait ses mains rythmiquement
sur mon thorax,
avec le même geste répétitif
qu'il avait utilisé pour se branler,
le matin même.
Ça a marché.
Il a joui et moi, j'ai pu jouir
de la vie.
Le fait que ma mère
ait perdu la vie pour ça,
pour moi,
n'est sûrement qu'un à-côté.
À mettre dans les frais généraux.
Mais c'est moi qui paye.
J'ai une ardoise.
Et les intérêts s'accumulent
au fil des ans.
Résultat,
je n'ai ma place nulle part.
Parce que je ne suis pas
censée être ici.
Peut-être si j'étais une sorte
d'athlète olympique,
une scientifique de génie.
Mais non.
Je ne suis rien de tout ça.
Je ne suis qu'une fille.
Une meurtrière sans mobile.
Alors, je purge ma peine.
J'attends que mon châtiment
se termine.
C'est délicieux.
J'ai mis du gouda
au lieu du cheddar,
d'où le goût plus relevé.
Qu'en dis-tu, ma grande ?
"Sophistiqué",
c'est ce qui me vient à l'esprit.
"Sophistiqué", ça me plaît.
Bonne journée, ma puce ?
Super. J'ai rencontré un garçon,
c'est sérieux.
- Merveilleux ! Il s'appelle ?
- Claude.
Une rencontre et c'est sérieux ?
Oui. Tu me passes les brocolis ?
C'est formidable.
Il est temps qu'Emanuel
ait un petit ami.
Pourquoi ?
Tu craignais que je sois lesbienne ?
Pourquoi tu dis ça ?
J'ai rêvé de toi,
un truc sexuel.
Tu l'as peut-être senti.
Non, pas du tout.
Rien d'anormal.
Un complexe d'Œdipe-Electra
hybride,
sur mesure pour famille recomposée.
T'inquiète, ça veut pas dire que...
T'es pas mon type.
Ça suffit !
Ne fais pas attention à elle.
Elle est toujours comme ça
avant son anniversaire.
Emanuel, fais attention.
Non, c'est pas
un local à branlette.
C'est une échelle bancale
pour ranger du matériel sophistiqué.
Sophistiquée,
une pompe à pénis ?
Essaye-la, qu'on en finisse.
Pourquoi c'est collant ?
Si j'avais un pénis, j'essaierais.
C'est comme un restau,
avec un nouveau plat.
Il faut goûter pour le conseiller.
Pas ce plat-là.
Vos billets.
Je suis Claude.
Je sais.
C'est écrit sur ton sac.
C'est pas mon sac.
Enfin, si.
De quand j'étais petit.
On m'a volé mon sac,
j'ai ressorti celui-là.
Vos billets.
T'as quoi, sur le bras ?
Mon nom.
"Emanuel".
C'est pas un nom de garçon ?
Ils croyaient
que je serais un garçon.
Mais tu ne l'es pas.
La réalité, c'est surfait.
Pourquoi c'est tatoué
sur ton bras ?
Si je perds mon sac,
j'oublierai pas qui je suis.
Salut.
Elle a l'air gentille, réservée.
- Elle est d'où ?
- De Denver.
Elle a un mari ?
Je n'ai pas demandé,
mais on ne dirait pas.
Quel dommage,
devoir élever un bébé toute seule.
Papa l'a fait
et regarde le beau résultat.
Tu devrais aller
lui donner des conseils.
Elle cherche une baby-sitter,
mais je n'ai personne en tête,
pour l'instant.
Les jumelles Denzel
ont déménagé, non ?
Je le ferai.
Vraiment ?
Oui.
- Tu dé*** les enfants.
- J'ai besoin d'argent.
Pourquoi ?
Je vais collectionner les figurines
"Moments Précieux".
Elle se moque de toi.
Pas du tout.
J'en ai envie.
Pour me rappeler
que la vie est précieuse.
Je commence quand ?
Je lui parlerai demain.
Tu lui as dit quoi ?
Que tu m'as mise enceinte.
Que je vais avorter
et je veux te le dire en public,
au cas où tu deviendrais violent.
Super façon de libérer une place.
Je suis Emanuel.
Entre.
Tu bois quelque chose ?
Un verre d'eau, merci.
Tu as quel âge ?
18 ans ce mois-ci.
Un âge sympa.
J'imagine.
Des projets pour la fac ?
Non, je n'aimais pas trop le lycée.
Je ne vois pas pourquoi
je continuerais volontairement.
Mais j'aime apprendre.
J'étudie le français toute seule.
Alors, tu veux voyager ?
Dommage de parler français
sans aller en France.
J'ai des courses à faire.
Je reviens dans une heure et demie.
Mets ton verre dans l'évier.
Et le bébé ?
Tu es là pour ça.
Oui, mais je devrais pas la voir
avant votre départ ?
Non, Chloé dort.
Si je la réveille,
elle sera grognon.
Fais comme chez toi.
Il y a une stéréo.
Et si elle se réveille ?
Il y a un écoute-bébé,
tu sauras si elle a besoin de toi.
Tu aimes vivre ici ?
Ça va, en gros.
Je n'ai jamais vécu ailleurs.
Il ne se passe rien.
Coucou !
Une boisson vous fera du bien,
il fait chaud.
C'est gentil.
Ce n'est rien.
Ça avance bien.
C'est un début.
Je vous laisse travailler...
Tenez.
Je ne peux pas.
Allez, si je mets tout chez moi,
ça fera enterrement.
Merci, elles sont magnifiques.
À tout à l'heure.
Pourquoi tu n'aimes pas
ta belle-mère ?
Elle est OK.
J'ai été seule avec mon père
si longtemps,
je ne suis pas encore habituée.
Où est ta mère ?
Morte.
C'est terrible.
Tu peux ramasser ça
et tout remettre dans la remise ?
Fausse alerte.
Elle s'étirait, pour trouver
une position plus confortable.
J'aimerais faire
des siestes d'enfer comme ça.
J'ai quelque chose pour toi.
J'ai vécu en France un moment.
Merci. Vous n'en avez pas besoin,
c'est sûr ?
Certain. J'ignore pourquoi
je les ai emportés.
Il y a du linge de Chloé
à la buanderie,
tu peux le mettre
dans l'armoire du haut ?
Que fais-tu ?
J'ai cru entendre du bruit,
mais plus maintenant.
Je n'entends rien.
Je relaverai ça, pas de souci.
Descends.
Je ne veux pas chambouler
son sommeil.
Qu'est-ce que tu fais là ?
J'étudie.
- Tu étudies ?
- Le français.
Vraiment ?
Tu dois être douée, maintenant.
Tu as hérité ça de ta mère.
Elle absorbait les langues
comme une éponge.
Le nombre de films français
où elle m'a traîné !
Et si j'étais morte à sa place,
tu y penses parfois ?
Non.
C'est vrai ?
Moi, si.
Tu sais, j'ai réfléchi.
Peut-être que cette année,
tu pourrais venir avec moi
sur sa tombe ?
Pas forcément
le jour de ton anniversaire.
Pourquoi je ferais ça ?
Tu n'y es jamais allée.
C'est important, l'anniversaire
de la mort de quelqu'un.
Si tu veux de la compagnie,
emmène Janice.
Ce n'est pas
pour avoir de la compagnie.
C'est pour toi.
Je ne t'attendais
que cet après-midi.
C'est le week-end.
Vous vouliez ranger votre bureau.
Vas-y.
J'arrive. Chloé dort.
Par où commencer...
C'était son préféré.
Mais il est tombé tant de fois
qu'on l'a mis au rancart.
Linda ?
Excuse-moi.
Je me rends compte
que je suis très fatiguée.
Je vais faire une petite sieste
dans le bureau.
Tu mets ce carton
dans ma chambre ?
Je l'ai entendue aussi.
Tout va bien.
Tu n'aimes pas
avoir les couches mouillées.
Pas du tout.
C'est le seul moment où elle grogne.
Je peux la nourrir en retard,
la coucher en retard...
mais si je ne change pas
sa couche mouillée,
rien ne va plus.
Tu prends sa grenouillère
avec les singes ?
Pour mon ouistiti.
Oui, pour toi.
Dans la commode.
Tu me l'apportes ?
On a froid, ici !
J'attrape tes orteils !
C'est celle-là qu'on aime.
Toute douce et rigolote.
Comme toi.
Tu veux finir de la changer ?
Approche-toi,
tu verras comment on fait.
Il faut toujours
lui soutenir un peu la tête.
On commence
par ses mignons petits petons.
J'ai envie de les manger !
Puis, tes jolies petites fesses.
Tu gigotes comme un ver !
On boutonne tout.
Et on te mange !
Tiens, prends-la.
Elle va pas te mordre,
elle n'a pas de dents.
Poulet rôti aux herbes,
avec une farce aux cèpes.
Alors ?
Alors quoi ?
Comment ça se passe avec...
Linda, c'est ça ?
Ça va.
"Ça va", c'est tout ?
Non, ça a l'air délicieux.
On parle du baby-sitting.
Oui, comment ça se passe ?
Ça va.
Pourquoi une enfant parlant mieux
à 2 ans qu'un écolier de CP
devient soudain monosyllabique
à 18 ans ?
J'ai peut-être
un début tardif d'autisme.
Ou bien tu en fais trop.
Tu as l'air fatiguée.
Avec ton emploi en ville
et maintenant, le baby-sitting.
Tu parles comme une femme, parfois.
Sans vouloir te vexer, Janice.
Je meurs d'envie de voir ce bébé.
Je suis son contrôleur judiciaire,
je dois m'asseoir là.
Tu veux pas savoir
ce que je lui ai dit ?
Ça va ?
Écoute, j'ai fait un truc
qui t'a ennuyée ?
T'as l'air furieuse
et j'ai aucune idée...
Vraiment ? Aucune idée ?
Où t'étais, ce matin ?
Je t'ai cherché dans les 32 voitures.
- J'ai raté le train de 6 h...
- Laisse tomber.
Pourquoi t'as pris le train de 6 h ?
Pour te voir.
Je suis là.
Ça marche pas comme ça.
Si t'es mon petit ami,
faut pas disparaître.
Je supporte pas qu'on disparaisse.
Petit ami ?
Je t'en prie !
Me dis pas que t'as pas songé
à me tenir la main ?
À m'embrasser ?
Peut-être...
Décide-toi : "peut-être" ou "oui" ?
Alors à demain, dans le train.
Je suis dans la cuisine.
Elle adore
prendre un bain au réveil.
Rince-la, c'est ce qu'elle préfère.
Non, merci.
Apprends à la connaître,
elle doit te faire confiance.
Allez.
Mets ta main derrière sa tête,
comme ça.
C'est bien.
C'est pas compliqué.
Je crois qu'elle est bien rincée.
Alors, sèche-la.
Mets-lui des vêtements chauds.
On sort se promener.
Dehors ?
Oui, l'air frais lui fera du bien.
On a jardiné ce matin,
mais je veux lui montrer le quartier.
Il y a une épidémie de grippe.
Très mauvaise.
Ne la présentez pas
aux voisins maintenant.
Tu ne vois pas qu'elle pleure ?
Si...
je savais pas quoi faire.
Tu la berces en marchant.
Et tu lui parles, elle aime ça.
Elle aime qu'on lui parle.
N'est-ce pas, Chloé ?
Parce que tu sais bien écouter,
hein ma chérie ?
Ne t'en fais pas.
Ça viendra.
J'étais si inquiète,
en quittant la maternité.
Est-ce que j'allais savoir
m'occuper d'elle ?
Et si j'étais une mauvaise mère ?
Et si ça ne me plaisait pas ?
Et puis...
ça vient tout seul, petit à petit,
comme si...
tu étais faite pour ça,
tu avais fait ça toute ta vie.
Puis tu penses à ta vie
avant elle...
si inutile,
si égoïste, que tu ne peux imaginer
vivre sans elle.
Pas sans toi.
Finalement, je vais courir.
Perdre mes 2 kg en trop.
Ne lui tourne jamais le dos
quand elle est sur la table.
Elle remue beaucoup.
Il ne faudrait pas qu'elle tombe.
Non, bien sûr.
Désolée.
Ce n'est rien.
Je reviens vite.
Alors on va t'habiller.
Rien de personnel, mais...
je ne suis pas
quelqu'un de très bavard.
Alors...
si on ne parle pas beaucoup,
ce n'est pas que je ne t'aime pas.
C'est plutôt
que je suis réservée.
Juste pour que ce soit clair,
d'accord ?
- Pourquoi t'es là ?
- J'ai des cookies.
- Linda n'en veut pas.
- Absurde !
Elle veut maigrir.
Ridicule, elle est toute maigre.
Je peux pas entrer ?
Linda est partie courir.
J'adorerais voir le bébé.
Non, elle dort.
Juste un coup d'œil au berceau.
C'est bien plus joli
que je n'imaginais.
Elle s'est installée drôlement vite.
Comment elle a fait ?
Elle a tout mesuré avant
et apporté le mobilier parfait ?
Comment je le saurais ?
Non !
On doit se désinfecter les mains
avant de toucher les jouets de Chloé.
Mes mains sont moins sales
que le plancher.
Elle est très maniaque,
limite névrosée.
Où est la cuisine ?
Par là.
Ça me plaît...
Joli.
Tu aimes travailler pour Linda ?
Oui, ça va.
Elle est comment ?
Sympa.
- Et... ?
- C'est tout.
Vous êtes souvent ensemble,
je croyais
que tu la connaîtrais mieux.
Pas vraiment.
Mais tu l'aimes bien ?
Je vous ai vues jardiner,
vous aviez l'air de vous amuser,
de bavarder...
Oui.
Bien couru, on dirait.
Trop brièvement, en fait.
J'ai apporté des cookies maison.
C'est très gentil, merci.
Où est Chloé ?
Elle dort.
Elle s'est endormie dans mes bras,
je l'ai mise au lit.
On aimerait vous inviter à dîner,
avec Chloé, un soir.
J'aimerais beaucoup,
mais Chloé se couche très tôt.
Emanuel pourrait rester plus ***,
gagner plus d'argent.
Je n'en ai pas besoin.
Et le soir, j'étudie le français.
Tu étudieras ici,
pendant que le bébé dort.
Génial, c'est réglé.
Vendredi, ça va ?
Passez une bonne soirée.
Ça fait combien de calories ?
Je sais pas. Beaucoup ?
Je dois réveiller Chloé,
ou elle ne fera pas sa nuit.
J'y vais,
pour qu'elle s'habitue à moi.
Faites-moi confiance.
D'accord, bonne idée.
Qu'y a-t-il ?
Je suis désolée.
Ça va ?
Je voulais
lui faire prendre l'air et...
Mon Dieu...
C'est juste une petite coupure.
Viens, tout va bien.
Ça va piquer,
pas longtemps.
Ça va mieux ?
Regarde, on dirait deux sœurs.
J'espère que Chloé deviendra
aussi jolie et intéressante que toi.
Il se passe tant de choses,
derrière tes yeux bleus.
Je l'ai remarqué
dès que je t'ai vue.
Je me reconnais en toi.
Ce n'est pas forcément
une bonne chose.
Tu fais quoi ?
Ça se voit pas ?
Je résous la faim dans le monde.
Très drôle.
C'est dangereux,
c'est pas un boulot de femme.
Descends, laisse-moi finir.
Ça va.
Je ne veux pas exploiter
tes talents virils de rangement.
Va servir.
Les interactions déclenchent
ma germophobie
et mon masque chirurgical
effraie les clients.
Pas d'accord.
Ça te donne l'air compétent.
Descends,
laisse-moi faire mon boulot.
Comment tu vas rencontrer
une femme, ici ?
Tu es très beau, ces temps-ci.
Et moi, ça me fait rien.
Pourquoi t'es si sympa ?
Et joyeuse ?
Je suis une fille sympa et joyeuse.
Le docteur dit que j'ai des poux.
Ça serait possible
de se voir sur la terre ferme,
pour changer ?
D'accord.
Vendredi soir ?
Je peux pas, vendredi.
Je fais du baby-sitting ***.
Quoique...
En fait, ça serait parfait.
Tu me prends à 19 h ?
Super.
On est en haut !
Dieu merci, tu es là.
Elle me rend folle, aujourd'hui.
Pourquoi ?
Je l'ignore.
D'habitude, dans son transat,
elle s'amuse toute seule.
Mais aujourd'hui,
je dois m'occuper d'elle
sans arrêt.
Tiens.
Voilà son grand copain.
C'est affreux, mais parfois
je n'ai pas envie d'être maman.
J'aimerais appuyer sur un bouton,
mettre Chloé sur "pause"
et faire ce que j'ai à faire.
C'est horrible,
non ?
Non, c'est honnête.
Je lui donne son bain ?
Non, c'est fait.
Ce qui m'aiderait beaucoup,
c'est de me dire honnêtement
quels vêtements jeter.
D'accord, mais la mode,
c'est pas mon truc.
Allez, assieds-toi.
J'adore ton style.
C'est trop jeune pour moi,
mais tu as un goût excellent.
Que devrais-je porter,
vendredi soir ?
En fait, je serai prise.
Un imprévu.
Pas de souci.
Que vas-tu faire ?
J'ai un genre de rencard.
Génial. Qui est-ce ?
Un garçon rencontré dans le train.
Il a un nom ?
Claude.
Tu devrais porter ça.
Essaie-le.
- C'est très joli, mais...
- Essaie-le.
Viens là.
Regarde-toi.
Tu es magnifique.
Je te le donne.
Non, je l'emprunte.
Je ne l'ai pas mis
depuis des lustres.
Je crois que c'est...
celui que je portais
au 1er rendez-vous
avec le père de Chloé.
Où est le père de Chloé ?
Disons que...
tous les hommes n'assurent pas
quand il s'agit d'être père.
Et on ne pouvait pas accepter ça,
non, impossible.
Je ne sais pas
pourquoi elle voit ce garçon
le soir où on a invité Linda,
sachant que c'est impossible
si elle ne garde pas Chloé.
Entrez.
Bonsoir, je suis Claude.
Papa, Janice,
je vous présente Claude.
Voici mon père, Dennis
et Janice.
Enchantée, je suis la belle-mère
d'Emanuel.
Enchanté.
Quel joli chemisier.
Où l'as-tu trouvé ?
Bon, c'était sympa.
On y va.
Venez vendredi prochain,
c'est son anniversaire,
je ferai son plat préféré,
une tourte au poulet.
D'accord, génial.
Bonne soirée.
Tu montes derrière ?
D'accord.
Il faut prendre le coup,
mais une fois que t'y es, t'y es.
Sauf si tu te crashes.
Oui, mais ça n'arrivera pas.
J'espère que tu as faim.
Très.
C'est notre 1er dîner
en tête à tête depuis longtemps.
J'admire tes efforts
pour transformer son manque d'égards
en soirée romantique.
Janice, arrête.
Je sais : Emanuel est fragile.
Elle a souffert,
elle est différente.
Je t'en prie.
Tu es son père.
Moi, je n'ai pas d'enfant,
je ne sais pas m'y prendre.
- Je n'ai pas dit ça.
- Tu le penses !
Et cette musique !
Je voulais t'emmener
dans un endroit classe.
T'apprécies pas cet éclairage
romantique au néon ?
16, 25 $.
Je peux vous demander un truc ?
C'est un peu personnel.
Ça t'ennuie ?
Pas du tout, je t'attends dehors.
Parfois, quand je suis seule,
je m'imagine en train de mourir.
La vie s'écoule de moi,
comme d'un robinet.
Ça fait une rivière de sang.
Ma question c'est : vous m'avez vue
passer en flottant ?
J'ai rien vu.
Je croyais que c'était privé.
Ça l'est.
Tu enfreins un tas de lois, ce soir.
Vol, intrusion.
Quoi d'autre, maintenant ?
Consommation d'alcool
par mineurs.
Mon père m'amenait souvent ici,
quand j'étais petite.
Puis, ça a été privatisé
et on est allés de l'autre côté,
mais il savait que j'aimais moins.
Il y a quelque chose de spécial, ici.
Pourquoi tu vis avec ton père,
pas ta mère ?
Parce qu'elle est morte.
D'où ce tatouage sur mon bras.
C'est la seule chose
qu'elle a décidée pour moi.
Mon nom.
Mon père pense que c'est le nom
d'un garçon qu'elle a connu
pendant son semestre à Paris,
mais il l'a accepté quand même.
Stupide.
Il me plaît,
ton tatouage.
Il déchire, comme toi.
Moi, je déchire ?
Oui, je trouve.
Tu vis dans ton propre monde.
Le monde des autres n'a pas prise,
car ce n'est pas le tien.
Vous avez dit "Réjuvénator" ?
J'aimerais bien,
mais j'ai dit "Rhuminator."
Bonjour, je viens de rencontrer
ton charmant ami, Arthur.
Qu'est-ce que vous faites là ?
Tu es en sueur, tu vas bien ?
Tu as les joues rouges.
Chloé va bien ?
Oui, à part un rhume.
Je suis venue voir
si vous aviez un petit...
... aspirateur nasal.
Arthur, la dame dans l'allée 3
cherche quelque chose.
Donc, allez-y tout doucement
et ceci réglera le problème.
Merci, c'est parfait.
Ta belle-mère est passée
m'inviter à ton anniversaire.
Tu ne peux pas garder Chloé
pendant ta fête,
alors si tu connais
quelqu'un de confiance qui...
Je peux.
Je suis fiable
et j'aime les enfants.
Vraiment ?
Ça ne vous dérange pas ?
Je crois que ça me plairait.
Formidable.
Quand ?
- Vendredi, 19 h.
- Ça marche.
Je vous dois ?
On vous l'offre.
En cadeau, pour vos achats.
Mais c'est ça, mon achat.
Exact, donc...
c'est un achat
qui s'est transformé en cadeau.
Pour vous.
C'était quoi, ça ?
Mon cœur palpitant
qui chamboule tout.
Commence au début.
C'est ça, le début.
Le moment où elle te réveille.
Elle a des contractions,
tu l'aides à marcher.
Je l'aide à marcher dans la chambre.
Le soleil se lève à peine.
Elle s'assied à...
... la fenêtre.
Les premiers rayons du soleil
éclairent son visage.
Elle te sourit
d'une façon toute nouvelle.
Comme si elle a un secret
qu'elle brûle de partager.
Elle est magnifique.
Calme.
Je m'assieds près d'elle,
je compte les minutes
entre les contractions.
Tu l'aides à se lever.
Elle te dit qu'elle t'aime.
Qu'elle a fait un rêve fabuleux.
Elle nageait sous l'eau dans un lac,
mais elle pouvait respirer.
C'était la nuit, mais elle voyait.
Car la lueur de la lune
traçait des chemins dans l'eau,
comme des doigts montrant la voie.
Elle était heureuse,
nageant parmi les poissons.
Le temps que le médecin arrive,
son visage...
était devenu livide.
Elle avait le regard lointain.
Mais sa main me serrait encore fort.
Ils l'ont ouverte
et t'ont sortie.
Tu étais bleue.
Pas de respiration.
Le cordon était enroulé
autour de ton petit cou.
Le médecin
t'a fait de la réanimation.
Tu as émis ton 1er souffle...
Et elle, son dernier.
Ils ont tenté de la réanimer.
Mais elle était partie.
Elle était partie.
Et j'étais là.
Tu étais là.
C'est vraiment tout ?
C'est vraiment tout.
Tu fais ça pour me punir ?
Je veux juste être sûre
que tu m'as tout dit.
Que tu n'as rien laissé de côté.
Joyeux anniversaire.
Ma petite fille est adulte,
je ne peux plus le nier.
Ça, on verra.
À toi de couper en premier.
Faites-le.
Ça porte chance à celle qu'on fête,
de couper en premier.
Je vais le faire.
Un peu de chance,
ça ne se refuse pas.
N'est-ce pas, Claude ?
On adorerait voir la petite Chloé.
Elle a un horrible rhume,
en ce moment.
Bientôt, quand elle sera
moins grincheuse,
je l'amènerai.
Ça serait formidable.
Je suis contente que vous soyez
si proches, avec Emanuel.
Je suis mariée à son père
depuis presque un an
et on n'est pas vraiment proches.
C'est différent,
vous êtes sa belle-mère.
C'est une tout autre histoire.
Sûrement.
J'espérais connaître un peu
le plaisir d'être...
mère...
avec Emanuel, mais...
je vois bien
que ce ne sera pas le cas.
C'est sûrement son âge.
C'est une jeune fille tourmentée.
Et désorientée.
Il faut que vous...
le sachiez.
Qu'elle n'interprète pas mal
votre affection pour elle.
Je ne suis pas sûre de saisir.
Elle n'a jamais eu de mère.
Je crois que cela a créé...
un désir chez elle
qui n'est...
pas correct.
Perturbé.
On était tous un peu perturbés,
à cet âge.
Il doit être clair pour elle
que vous vous intéressez aux hommes.
Vous vous intéressez bien aux...
hommes,
n'est-ce pas ?
Claude est horticulteur.
Vous jardinez beaucoup.
Il pourrait vous aider
à planter vos fleurs.
Bonne idée.
Entrez.
J'aime bien ta chambre.
Elle est si différente
du reste de la maison.
En quoi ?
Je ne sais pas.
Elle te ressemble.
C'est ta mère ?
Comment elle s'appelait ?
Ava.
Tu lui ressembles beaucoup.
Il y a une atmosphère...
de mystère,
d'énigme autour d'elle.
Comme quelqu'un
qu'on connaît depuis longtemps,
sans le connaître vraiment.
Là, elle a réussi son coup.
Elle n'a rien laissé derrière elle.
Pas une trace.
Elle t'a laissée, toi.
C'est une sacrée trace.
Vous êtes là...
Il se fait ***, je crois
que Claude doit rentrer.
Je devrais faire pareil.
Merci d'avoir supporté ça.
- Je suis content d'être venu.
- Vraiment ?
Une famille, c'est toujours bizarre.
Sinon,
c'est pas vraiment une famille.
Donc, ce sentiment de gêne
et d'irritation quand je rentre
m'indique
que je suis chez moi ?
En gros, oui.
Je me sens pareille.
Pareille que quoi ?
Qu'avant.
C'est bête, mais...
chaque année, à mon anniversaire,
j'ai l'impression
que je me sentirai différente.
C'est jamais le cas.
Différente comment ?
Je sais pas.
Peu importe.
Qui est-ce ?
Un ami du boulot.
Il a fait du baby-sitting.
Je vais aménager son jardin.
Ton père lui a vendu
mon savoir-faire.
À elle de voir,
mais j'assurerai.
J'ai pas forcément envie
de te voir tout le temps.
T'es déjà venu ici
deux fois.
Tu me colles dans le train
et quand je baby-sitterai,
tu seras là aussi ?
Si c'est ce que tu ressens,
je vais te faciliter les choses.
C'est plus la peine de me voir.
Celles-ci ou celles-là ?
N'importe.
Tu as raison.
C'est OK, si je sors avec Arthur ?
Mais je doute qu'il soit
un bon petit ami pour vous.
Ce n'est qu'un dîner.
On finira sûrement juste amis.
Je ne peux pas gérer plus,
pour l'instant.
Ça serait bien, pourtant.
On ne peut pas rester
toutes les trois éternellement.
Je crois qu'elle a faim.
Elle a beaucoup grandi,
ces 15 derniers jours, non ?
Je n'arrive pas à croire
que je fais ça.
Je peux dire
que vous êtes souffrante,
que Chloé est malade.
Il comprendrait.
Ça ira.
Je ne rentrerai pas ***.
Je suis comment ?
Très belle.
Elle commence à m'aimer
comme elle t'aime, toi.
C'est ce que je ressens.
J'ai toujours imaginé
qu'on devait ressentir ça.
Merci.
Ce n'est que
du jus de fruit fermenté...
Te voilà.
Chloé n'est pas réveillée ?
Non, elle dort profondément.
Arthur veut la voir.
J'ai eu du mal à la coucher.
Et si elle se réveille ?
On fera très attention.
Non.
Ne t'en fais pas, j'assure.
Tu serais fier de moi.
Joli maquillage.
S'il te plaît, reste en bas.
Vous venez ?
Qu'elle est jolie.
Elle est magnifique, non ?
Elle est un peu raide.
Elle ne bouge pas.
Elle n'a pas l'air réelle.
Elle est très spéciale.
J'imagine que toutes les mères
pensent ça de leur enfant.
On descend boire un verre ?
C'est un faux bébé.
C'est une poupée,
où est votre bébé ?
Où est mon bébé ?
- On va la trouver.
- Où est Chloé ?
Emanuel a dû la coucher ailleurs.
- Où est-elle ?
- Emanuel l'a mise ailleurs.
Où est Chloé ?
Elle est censée être ici !
Où est Chloé ?
Dans son berceau.
Où ?
Juste là.
C'est une poupée.
Où est son bébé ?
C'est elle, Arthur.
C'est pas drôle !
Tu sais rien !
Tu sais pas de quoi tu parles.
Je t'en prie...
Où est-elle ?
Réponds !
Où est-elle ?
Réponds !
Qu'est-ce que tu lui as fait ?
Rends-moi mon bébé !
Ça va aller, on va la trouver.
Emanuel, j'appelle la police !
Rends-la-moi, où est-elle ?
Où est Chloé ?
Emanuel, tu m'entends ?
Em ? Tu m'entends ?
Doucement.
Vous restez avec Linda ?
J'accompagne Emanuel à l'hôpital.
Vous pouvez ?
Elle ne doit pas rester seule.
On a localisé le mari de Linda.
Il arrive en avion.
Mais j'ai des questions à vous poser.
Elle n'est pas en état de répondre.
Il est temps de parler du bébé
à votre père.
Emanuel, ma puce ?
Tu dois répondre
aux questions de la police.
Elle est retournée dans l'eau.
Elle est avec maman.
J'ai essayé de l'arrêter,
mais elle s'est sauvée.
Elles se sont éloignées à la nage.
Elles m'ont laissée.
Ça suffit pour ce soir.
Il fallait m'en parler
avant qu'on en arrive là.
Pourquoi parler et tirer Linda
de son monde parfait ?
C'est si bien, ici ?
Ne te coupe pas de moi.
Ce monde n'est pas parfait,
moi non plus,
mais c'est ce que tu as.
On doit tous faire avec ce qu'on a.
Sinon, on est perdus.
Et le chemin du retour est long.
Qu'est-ce que tu fais avec ça ?
On ne peut pas...
laver ce genre de vêtement,
ça se nettoie à sec.
Si tu veux parler
de ce qui s'est passé,
maintenant ou n'importe quand,
je suis là.
Je comprends plus de choses
que tu ne crois.
À propos de Linda,
de ce qu'elle traverse.
Je ne peux pas avoir d'enfants.
Mon premier mari
m'a quittée à cause de ça.
Le chagrin que j'ai ressenti...
a failli me rendre folle.
Enfin, voilà.
Désolée, pour l'autre soir.
Avoir un bébé était mon idée.
Je pensais que ça arrangerait
les choses entre nous.
Cinq ans et presque...
100 000 $ plus ***,
on a enfin eu notre bébé.
À ce moment-là,
notre mariage était quasiment fichu.
Et puis...
Linda s'est sentie coupable.
C'est elle qui l'a trouvée.
L'autopsie n'a pas donné
de résultat,
on ne saura jamais
ce qui s'est passé.
Ma femme a refusé d'aller
à l'enterrement, elle ne pouvait pas.
Et la poupée est arrivée.
J'ai voulu la faire interner,
elle a disparu.
Je suis allé au commissariat,
déclarer sa disparition.
Quel est le pronostic ?
Le médecin ne semblait pas optimiste.
Je veux la voir.
Je crois pas.
Pas comme ça.
Et ce n'est pas possible,
c'est réservé à la famille.
Ça va ?
Tu m'aides
à voir Linda ?
Ferme la porte.
Ton obsession pour Linda
doit cesser.
Ce n'est pas ta mère.
Elle ne ressemble
en rien à ta mère !
Elle mérite quand même
d'être sauvée.
Les médecins font tout pour l'aider.
Comme pour maman !
Son mari
va la laisser pourrir !
Tu ne connais pas
le cœur des gens.
Mais je connais le mien.
Merci de m'aider.
Où est Chloé ?
Je l'ai.
Elle va bien ?
Tu lui as fait du mal ?
Elle allait déjà mal.
Je veux la voir, où elle est ?
Que s'est-il passé ?
Que s'est-il passé ?
La marée est montée.
Je lui tenais la main,
la mer l'a emportée.
Pourquoi tu ne l'as pas tenue
plus fort ?
Je n'ai pas pu.
La marée était trop forte.
Elle nous a emportées là où l'eau
est du bleu le plus profond
qu'on ait jamais vu.
On était heureuses.
On nageait parmi les poissons.
Puis, Chloé a lâché ma main.
Et j'ai eu peur.
Peur pour moi,
pas pour elle.
Elle savait exactement
ce qu'elle faisait, où elle allait.
Je l'ai perdue de vue.
Puis les poissons m'ont ramenée ici.
Pourquoi ils t'ont ramenée ?
Pour toi.
C'est là.
Ava Frances Langdon
Épouse et mère
Je n'y arriverai pas toute seule.
Aide-moi.
C'est bien.
Adaptation : Brigitte Lescut
Sous-titrage : C.M.C.